ÉDITION PROVISOIRE DU 6/11/2019
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GERARD HOGAN
présentées le 7 novembre 2019 ( 1 )
Affaire C‑488/18
Finanzamt Kaufbeuren mit Außenstelle Füssen
contre
Golfclub Schloss Igling eV
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Exonérations – Article 132, paragraphe 1, sous m) – Prestation de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport – Effet direct – Étendue de la marge d’appréciation des États membres – Principe de neutralité fiscale – Principe d’égalité de traitement – Notion d’“organismes sans but lucratif” »
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).
2. Cette demande a été formée dans le cadre d’une procédure entre le Finanzamt Kaufbeuren mit Außenstelle Füssen (administration fiscale de Kaufbeuren, agence de Füssen, Allemagne) et Golfclub Schloss Igling eV (ci‑après « Golfclub ») concernant le refus par l’administration fiscale d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du golf fournies par Golfclub.
3. La question principale soulevée par la présente affaire est celle de savoir si, bien que le libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 vise simplement « certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport », cette disposition peut néanmoins être considérée comme suffisamment précise et inconditionnelle et avoir, dès lors, un effet direct.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. L’article 132 de la directive 2006/112 dispose :
« 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
m) certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique ;
n) certaines prestations de services culturels, ainsi que les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes culturels reconnus par l’État membre concerné ;
[...] »
B. Le droit allemand
5. Aux termes de l’article 4, point 22, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), dans sa version publiée le 21 février 2005 (BGB1. 2005 I, p. 386), les opérations suivantes sont exonérées de la taxe :
« a) les conférences, cours et autres manifestations, à caractère scientifique ou éducatif, organisés par des personnes morales de droit public, des écoles supérieures d’administration et d’économie, des universités populaires ou des établissements poursuivant des objectifs d’utilité publique ou ceux d’une organisation professionnelle, si la majeure partie des recettes servait à couvrir les charges,
b) d’autres manifestations culturelles et sportives organisées par les opérateurs visés sous a), lorsque la redevance consiste en des frais de participation ».
6. Les articles 51, 52, 55, 58 à 61 de l’Abgabenordnung (code des impôts) prévoyaient :
« Article 51
Généralités
(1) En cas d’octroi d’un avantage fiscal par la loi parce qu’une collectivité poursuit exclusivement et de manière directe un but d’utilité publique, caritatif ou religieux (fins ouvrant droit à des avantages fiscaux), les dispositions suivantes s’appliquent. On entend par “collectivité” une collectivité, une association ou un ensemble d’actifs, comme défini dans la loi sur l’impôt des sociétés. Les subdivisions fonctionnelles (divisions ou services) de collectivités ne sont pas considérées
comme des entités imposables indépendantes.
[...]
Article 52
Buts d’utilité publique
(1) Une collectivité poursuit un but d’utilité publique lorsque son activité vise à apporter de manière désintéressée au public des bienfaits dans le domaine matériel, spirituel ou moral. Il n’y a pas de promotion de l’intérêt public lorsque le cercle des bénéficiaires est défini, par exemple, par l’appartenance à une famille ou au personnel d’une entreprise, ou lorsqu’il ne peut jamais être autre que restreint en raison de sa définition, en particulier, en fonction de caractéristiques
géographiques ou professionnelles. On ne saurait affirmer qu’il y a promotion de l’intérêt public au seul motif qu’une collectivité affecte ses fonds à une entité de droit public.
(2) Sous réserve des dispositions du paragraphe 1 ci‑dessus, sont reconnus comme promotion de l’intérêt public :
[...]
21. la promotion du sport (les échecs sont considérés comme un sport) ;
[...]
Article 55
Désintéressement
(1) Une promotion ou un soutien est désintéressé s’il ne poursuit pas à titre principal un but lucratif, par exemple, des fins commerciales ou d’autres fins économiques, et si les conditions suivantes sont remplies :
1. Les fonds de la collectivité ne peuvent être utilisés qu’à des fins conformes aux statuts. Les membres ou les associés (membres au sens de la présente disposition) ne peuvent recevoir aucune participation aux bénéfices et, en leur qualité de membres, aucun autre don provenant des moyens de la collectivité. La collectivité ne peut utiliser ses fonds aux fins de soutenir ou de promouvoir, directement ou indirectement, des partis politiques.
2. Les membres ne recevront pas plus que leurs parts de capital libérées et la valeur vénale de leurs contributions en nature lorsqu’ils quittent la collectivité ou si celle‑ci est dissoute, volontairement ou non.
3. La collectivité ne peut favoriser une personne par des dépenses étrangères à l’objet de la collectivité ou par une rémunération disproportionnée.
4. En cas de dissolution volontaire ou non de la collectivité ou en cas de disparition de son objet social, le patrimoine de la collectivité, dans la mesure où il dépasse les parts de capital libérées des membres et la valeur vénale des contributions en nature versées par les membres, ne peut être utilisé qu’à des fins ouvrant droit à des avantages fiscaux (principe d’obligation d’affectation statutaire du patrimoine). Cette condition est également remplie lorsque le patrimoine doit être cédé à
une autre collectivité bénéficiant d’avantages fiscaux ou à une personne morale de droit public à des fins ouvrant droit à des avantages fiscaux.
5. Sous réserve des dispositions de l’article 62, la collectivité doit, en principe, utiliser ses fonds en temps utile pour ses objectifs statutaires ouvrant droit à des avantages fiscaux. L’utilisation de fonds pour l’acquisition ou la création de biens qui contribuent aux objectifs statutaires constitue également une utilisation conforme. Les fonds sont réputés avoir été utilisés en temps utile lorsqu’ils sont utilisés pour les objectifs statutaires ouvrant droit à des avantages fiscaux au plus
tard deux années civiles ou deux exercices comptables suivant leur perception.
[...]
Article 58
Activités non imposables
L’avantage fiscal n’est pas exclu du fait que [...]
[...]
8. une collectivité organise des réunions conviviales, secondaires par rapport à son activité ouvrant droit à des avantages fiscaux,
9. une association sportive fait la promotion des sports rémunérés en plus de celle des sports non rémunérés,
[...]
Article 59
Condition de l’avantage fiscal
L’avantage fiscal est accordé si les statuts, l’acte de fondation ou un autre acte constitutif (statuts au sens des présentes dispositions) décrivant la finalité de la collectivité, indiquent que cette finalité satisfait aux exigences des articles 52 à 55 et qu’elle est poursuivie à titre exclusif et de manière directe ; la gestion effective doit être conforme à ces dispositions statutaires.
Article 60
Conditions applicables aux statuts
(1) La définition de l’objet social et la manière dont il doit être réalisé doivent être suffisamment précises pour pouvoir vérifier, sur la base des statuts, si les conditions statutaires d’octroi de l’avantage fiscal sont remplies. Les statuts contiennent les dispositions visées à l’annexe 1.
(2) Les statuts sont conformes aux exigences prescrites en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés et la taxe professionnelle, pendant toute la période d’imposition et de référence, et en ce qui concerne les autres impôts, au moment où l’obligation fiscale prend naissance.
Article 61
Obligation d’affectation statutaire du patrimoine
(1) L’obligation d’affectation statutaire du patrimoine est suffisante sur le plan fiscal (article 55, paragraphe 1, point 4) si la finalité pour laquelle le patrimoine doit être utilisé, en cas de dissolution volontaire ou non de la collectivité ou en cas de disparition de son objet social, est définie dans les statuts de manière suffisamment précise pour que l’on puisse déterminer, sur la base des statuts, si l’utilisation prévue ouvre droit à des avantages fiscaux.
(2) (abrogé)
(3) Si la disposition relative à l’obligation d’affectation statutaire du patrimoine est modifiée a posteriori d’une manière telle qu’elle ne répond plus aux exigences de l’article 55, paragraphe 1, point 4, elle est considérée comme insuffisante sur le plan fiscal depuis le départ. L’article 175, paragraphe 1, premier alinéa, point 2, doit être appliqué, étant entendu que des avis d’imposition peuvent être émis, annulés ou modifiés dans la mesure où ils concernent des impôts nés au cours des
dix dernières années civiles précédant la modification de la disposition relative à l’obligation d’affectation statutaire du patrimoine. »
II. Antécédents du litige
7. Golfclub est une association déclarée, qui n’a pas été reconnue comme caritative au sens des articles 51 et suivants du code des impôts au cours de l’année concernée par la présente affaire (2011). Selon son acte constitutif, son objet est de favoriser et de promouvoir le sport qu’est le golf. À cette fin, elle gère un terrain de golf et les installations y afférentes qu’elle loue à Golfplatz-Y-Betriebs-GmbH (ci‑après « Golfplatz »). En vertu de l’article 13, paragraphe 3, des statuts de
l’association, les biens de celle‑ci sont, en cas de dissolution volontaire ou forcée, transférés à une personne ou à une institution désignée par l’assemblée générale.
8. Le 25 janvier 2011, Golfplatz a été acquis par Golfclub pour 380000 euros. Pour financer cette opération, Golfclub a contracté auprès de ses membres des emprunts avec un taux d’intérêt annuel de 4 % et remboursés à raison de 5 % par an.
9. Durant la même année, Golfclub a perçu des revenus, d’un montant total de 78615,02 euros, avec les activités suivantes :
i) l’utilisation du terrain de golf ;
ii) la location de balles de golf ;
iii) la location de caddies ;
iv) la vente de clubs de golf ;
v) l’organisation et la tenue de tournois et d’événements de golf pour lesquels Golfclub a perçu des droits d’entrée, permettant d’y participer.
10. L’administration fiscale refuse d’exonérer ces activités de la TVA au motif que, en vertu de l’article 4, point 22, de la loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, seuls les droits de participation sont exonérés et que, même pour l’organisation et la tenue de tournois de golf, cette exonération ne peut être appliquée étant donné que Golfclub n’est pas un organisme caritatif au sens des articles 51 et suivants du code des impôts. En effet, son acte constitutif n’a pas prévu de règles
suffisamment précises en ce qui concerne l’affectation statutaire de son patrimoine en cas de dissolution, et l’acquisition de Golfplatz démontrerait qu’elle ne poursuit pas exclusivement un but non lucratif.
11. La décision adoptée par l’administration fiscale en ce qui concerne Golfclub a été annulée par le Finanzgericht München (tribunal des finances de Munich, Allemagne) au motif que Golfclub est un organisme sans but lucratif au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 et que cette disposition, qui a un effet direct, oblige les États membres à exonérer toutes les activités, ayant un lien étroit avec la pratique du sport, d’un organisme sans but lucratif.
III. Faits et demande de décision préjudicielle
12. L’administration fiscale a introduit un recours en révision contre le jugement du Finanzgericht München (tribunal des finances de Munich) devant la juridiction de renvoi. Cette dernière estime que l’issue du litige dépend de la question de savoir si l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 a un effet direct et, par conséquent, si des organismes sans but lucratif peuvent se prévaloir directement de cette disposition en cas de transposition incorrecte de ladite directive. Par
ailleurs, le litige porte sur la signification de la notion d’« organismes sans but lucratif » utilisée par cette même disposition.
13. En ce qui concerne la première question, la juridiction nationale explique qu’elle a des doutes quant au point de savoir si l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 a un effet direct étant donné que la Cour a jugé, dans son arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117, points 23 et 24), que l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États
membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci‑après la « sixième directive ») n’avait pas d’effet direct. En effet, pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’est fondée, en particulier, sur le fait que cette disposition se référait, comme le fait l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112, à « certaines prestations de services » et accordait, par conséquent, aux États
membres une marge d’appréciation pour décider quelles prestations exonérer. Cela a conduit la Cour à conclure que cette disposition ne remplissait pas les conditions qui lui permettraient d’avoir un effet direct devant les juridictions nationales.
14. En ce qui concerne la deuxième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la notion d’« organisme sans but lucratif » utilisée à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union et, dans l’affirmative, si cette notion doit être interprétée comme exigeant, pour qu’un organisme soit ainsi qualifié, que son acte constitutif indique que, en cas de transfert à un autre organisme, celui‑ci
doit également poursuivre un but non lucratif.
15. Dans ces circonstances, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 132, paragraphe 1, sous m), de la [directive 2006/112], selon lequel [les États membres exonèrent] “certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique” est‑il d’application directe, permettant ainsi aux organismes sans but lucratif de s’en prévaloir directement en l’absence de transposition ?
2) En cas de réponse positive à la première question : l’“organisme sans but lucratif” au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la [directive 2006/112] se réfère-t-il :
– à une notion qui doit être interprétée de manière autonome sous l’angle du droit de l’Union ou bien
– les États membres ont-ils le droit de subordonner l’existence d’un tel organisme au respect de conditions telles que celles prévues à l’article 52 de l’Abgabenordnung (code des impôts) combiné à l’article 55 (ou aux articles 51 et suivants du code des impôts dans leur intégralité) ?
3) Dans le cas où il s’agit d’une notion qui doit être interprétée de manière autonome sous l’angle du droit de l’Union : un organisme sans but lucratif au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la [directive 2006/112] est-il tenu de prendre des dispositions l’obligeant, en cas de dissolution, à transférer le patrimoine dont il dispose alors à un autre organisme sans but lucratif de promotion du sport et de l’éducation physique ? »
IV. Analyse
16. Comme l’a demandé la Cour, je limiterai mes observations, dans les présentes conclusions, à la première question préjudicielle.
17. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 a un effet direct et peut, par conséquent, être invoqué devant les juridictions nationales par des particuliers.
18. À titre liminaire, il convient de rappeler que les particuliers sont fondés à invoquer une disposition devant les juridictions nationales à l’encontre d’un État membre, en particulier, lorsque ce dernier s’est abstenu de transposer dans les délais impartis la directive en droit national ou lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte, si cette disposition est inconditionnelle et suffisamment précise ( 2 ).
19. Une disposition du droit de l’Union doit être considérée comme inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union européenne, soit des États membres ( 3 ). Pour être considérée comme suffisamment précise, une disposition doit décrire l’obligation qu’elle énonce dans des termes non équivoques et inconditionnels ( 4 ).
20. Dans le cas de l’article 132, paragraphe 1, point m), de la directive 2006/112, la jurisprudence existante fournit déjà des indications quant à la manière dont il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.
A. Analyse à la lumière de la jurisprudence existante de la Cour
21. La jurisprudence ancienne de la Cour concernant l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 – telle que les arrêts du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571) ; du 21 février 2013, Žamberk (C‑18/12, EU:C:2013:95), et du 19 décembre 2013, Bridport and West Dorset Golf Club (C‑495/12, EU:C:2013:861) – pourrait, à première vue, donner l’impression que les États membres sont tenus d’exonérer toute prestation de services
ayant un lien étroit avec la pratique du sport fournie par des organismes sans but lucratif. Je considère toutefois qu’une analyse plus détaillée de ces arrêts montre que ce n’est, en fait, pas le cas.
22. Dans son arrêt du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571, point 27), la Cour a jugé que « l’article 13, A, paragraphe 1, sous m), de la sixième directive n’entend pas faire bénéficier de l’exonération prévue à cette disposition seulement certains types de sport, mais vise la pratique du sport en général ». Dans cette affaire, la question centrale était celle de savoir si les cotisations d’affiliation payées par les clubs de hockey à
England Hockey en échange des services fournis par cet organisme étaient soumises à la TVA.
23. Dans le cadre de sa réponse à la première question posée par la juridiction de renvoi, la Cour a d’abord jugé que les prestations de services aux fins de ce qui est l’actuel article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 couvrent les prestations de services fournies, d’un point de vue formel, non seulement à des personnes physiques, mais également à des personnes morales et à des associations non enregistrées, pour autant que, notamment, les bénéficiaires effectifs desdites
prestations soient des personnes qui pratiquent le sport. En effet, s’il en était autrement, cela signifierait que « l’exonération prévue à cette disposition dépendrait de l’existence d’un rapport juridique entre le prestataire de services et les personnes pratiquant le sport au sein d’une telle structure ». Une telle conclusion irait à l’encontre du but, tout entier, poursuivi par cette exonération.
24. La Cour a ensuite abordé la deuxième question, celle de savoir si les États membres sont autorisés à restreindre le régime d’exonération prévu à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 aux seules prestations de services fournies à des particuliers qui pratiquent le sport. Elle a jugé, au paragraphe 39, que cette directive ne permettait pas aux États membres « d’exclure un certain groupe de destinataires de ces prestations du bénéfice de l’exonération en cause » étant donné
qu’aucune marge d’appréciation à cet égard n’avait été accordée aux États membres.
25. De même, dans son arrêt du 21 février 2013, Žamberk (C‑18/12, EU:C:2013:95), la Cour a jugé, au point 21, que l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 « n’entend pas faire bénéficier de l’exonération qu’elle prévoit certains types de sport seulement ». La Cour a ainsi jugé, au point 25, que « des activités sportives non organisées, non systématiques et n’ayant pas pour but la participation à des compétitions sportives peuvent être qualifiées de pratique du sport au sens de
cette disposition » ( 5 ). En toute hypothèse, le langage facultatif (« peuvent ») utilisé par la Cour audit point suggère, en soi, que les États membres disposent d’une marge d’appréciation en la matière. Si la disposition en question avait été considérée comme inconditionnelle, on peut supposer que la Cour l’aurait indiqué en utilisant des termes impératifs, tels que « doivent ».
26. En s’arrêtant à ce stade, il est possible d’admettre que, dans ces deux affaires, la Cour semble avoir agi sur la base de l’hypothèse tacite que l’article 132, paragraphe 1, sous m), était lui‑même d’effet direct. Il y a, toutefois, également lieu de noter que la question de l’effet direct n’était pas expressément soumise à la Cour et qu’il ne lui était demandé, ni dans l’une ni dans l’autre affaire, d’aborder ce point.
27. Par conséquent, étant donné que les questions posées dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571), et du 21 février 2013, Žamberk (C‑18/12, EU:C:2013:95), ne portaient pas expressément sur l’existence d’une certaine marge d’appréciation pour les États membres de décider quelles prestations de services exonérer ou sur le caractère inconditionnel de l’article 132, paragraphe 1, sous m), je
considère qu’aucune conclusion ne saurait être tirée de ces arrêts en ce qui concerne la présente question de l’effet direct de cette disposition. Pour ma part, je pense que ces décisions devraient être comprises en ce sens qu’elles n’excluent pas ex ante certaines activités sportives du champ d’application de cette disposition simplement parce qu’elles ne répondaient pas au critère particulier qui était respectivement en cause dans chacune de ces affaires.
28. Dans son arrêt du 19 décembre 2013, Bridport and West Dorset Golf Club (C‑495/12, EU:C:2013:861, point 32), la Cour a jugé, en réponse aux cinq premières questions posées par la juridiction de renvoi, que « l’article 134, sous b), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il n’exclut pas du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de cette directive la prestation de services consistant en l’octroi, par un organisme sans but lucratif gérant un
terrain de golf et proposant un système d’affiliation, du droit d’utiliser ce terrain de golf aux visiteurs non‑membres de cet organisme ». Toutefois, la disposition qui était en cause dans l’arrêt Bridport and West Dorset Golf Club n’était pas l’article 132, paragraphe 1, sous m), mais l’article 134, sous b), de la directive 2006/112 ( 6 ). Dans la mesure où l’article 134, sous b), restreint la possibilité pour les États membres d’exonérer, sur le fondement de l’article 132, paragraphe 1,
sous m), certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, la Cour a implicitement, mais nécessairement, fondé son raisonnement sur la prémisse que les conditions d’application de cette disposition étaient remplies.
29. Par conséquent, on ne saurait affirmer que la Cour a effectivement abordé la question, tout à fait distincte, de savoir si l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 était lui‑même d’effet direct. Il en résulte, dès lors, qu’aucune conclusion ne peut être tirée de cet arrêt, lui non plus, à tout le moins en ce qui concerne la question centrale en l’espèce.
30. En toute hypothèse, cette analyse au cas par cas de la jurisprudence ancienne importe peu à présent, étant donné que la Cour a depuis lors expressément pris position dans au moins deux arrêts, à savoir les arrêts du 13 juillet 2017, London Borough of Ealing, (C‑633/15, EU:C:2017:544), et du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117), qui font clairement apparaître que l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 laisse aux États membres une marge
d’appréciation s’agissant de l’étendue de leur pouvoir d’exonérer certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport. L’existence même d’une telle marge d’appréciation, en soi, implique que les dispositions de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de cette directive ne sauraient être considérées comme ayant un caractère inconditionnel. Étant donné que l’exigence d’inconditionnalité est une condition préalable à l’application de la théorie de l’effet direct,
l’article 132, paragraphe 1, sous m), de ladite directive ne saurait être considéré comme d’effet direct. Ce point de vue peut être illustré par un examen de ces deux décisions.
31. Premièrement, dans son arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117), la Cour a jugé que l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive – qui a depuis lors été remplacé par les dispositions identiques de l’article 132, paragraphe 1, sous n), de la directive 2006/112 – « doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas doté d’un effet direct, de telle sorte que, en l’absence de transposition, cette disposition ne peut pas être directement invoquée par
un organisme de droit public ou un autre organisme culturel ».
32. La Cour a noté, en particulier, que l’expression « certaines prestations de services culturels » utilisée par cette disposition « n’exige pas l’exonération de toutes les prestations de services culturels, de telle sorte que les États membres peuvent en exonérer “certaines” tout en en soumettant d’autres à la TVA » ( 7 ). La Cour a adopté cette position étant donné que, premièrement, « une telle interprétation ne correspond pas au sens habituel du terme “certaines” employé à l’article 13, A,
paragraphe 1, sous n), de la sixième directive et prive d’effet utile le recours à ce terme au sein de cette disposition » ( 8 ). Deuxièmement, comme pour l’article 13, A, paragraphe 1, sous n), de la sixième directive, le législateur de l’Union a expressément rejeté la proposition initiale de la Commission européenne de préciser, d’une manière harmonisée, les services concernés ( 9 ). Troisièmement, la décision du législateur de l’Union de laisser aux États membres une marge d’appréciation pour
déterminer quelles prestations de services devraient être exonérées pourrait s’expliquer par la grande variété de traditions culturelles et de patrimoines régionaux au sein de l’Union, et parfois au sein d’un même État ( 10 ).
33. De manière cruciale, la Cour a conclu que l’existence de la marge d’appréciation pour exonérer « certaines » prestations de services culturels impliquait que cette disposition ne remplissait pas les conditions nécessaires à l’application de la théorie de l’effet direct ( 11 ).
34. Deuxièmement, dans son arrêt du 13 juillet 2017, London Borough of Ealing (C‑633/15, EU:C:2017:544, point 19), la Cour a rejeté l’argument selon lequel l’exigence que les États membres soumettent à la TVA toutes les prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport, aux fins de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 était d’effet direct, au motif que cela « serait [...] contraire aux termes de cet article 132, paragraphe 1, sous m), [...] qui visent
“certaines” prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique ».
35. Toutes ces considérations sont parfaitement applicables dans le cas de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 étant donné que cette disposition se réfère également au pouvoir d’exonérer « certaines » prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique. Le fait que les États membres disposent d’une marge d’appréciation en la matière n’est pas conforme à l’exigence d’inconditionnalité, qui est elle‑même une condition préalable à
l’application de la théorie de l’effet direct. Je considère par conséquent que, compte tenu du raisonnement de la Cour dans ses arrêts du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117), et du 13 juillet 2017, London Borough of Ealing (C‑633/15, EU:C:2017:544), l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 ne saurait être considéré comme suffisamment précis et inconditionnel pour avoir un effet direct.
B. Analyse à la lumière des méthodes d’interprétation communément admises
36. Toute analyse de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 à la lumière des méthodes d’interprétation traditionnellement utilisées par la Cour fondées sur le libellé, le contexte et l’objectif de la disposition en cause, conduit également à la même conclusion.
1. Le libellé de l’article 132, paragraphe 1, sous m)
37. L’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 prévoit que les États membres exonèrent de la TVA « certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique ».
38. Étant donné que le libellé de cette disposition prévoit que les États membres devraient exonérer certaines prestations de services – et non, à noter, toutes les prestations de services – ayant un lien étroit avec la pratique du sport, il est clair que les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation en la matière. Ils peuvent, par conséquent, déterminer quelles prestations de services ayant un lien avec la pratique du sport ou de l’éducation physique fournies par des organismes
non lucratifs, ils souhaitent exonérer.
39. Dans ses observations écrites, le gouvernement néerlandais fait toutefois valoir que le terme « certaines » devrait être compris, non pas au sens de « certaines, mais pas toutes », mais plutôt comme soulignant le fait que cette exonération ne s’applique qu’aux prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport fournies par des organismes non lucratifs.
40. Il m’est impossible d’accepter cet argument. En effet, il y a lieu de rappeler que, étant donné que les termes employés pour désigner les exonérations prévues à l’article 132 de la directive 2006/112 constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation effectuée à titre onéreux par un assujetti, ces termes sont d’interprétation stricte.
41. Il est évident que cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir cette exonération devraient être interprétés d’une manière qui priverait celle‑ci de ses effets ( 12 ). Elle implique néanmoins que, lorsque le libellé d’une exonération – telle que celle prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 – est clair, son interprétation littérale devrait prévaloir.
42. En l’espèce, pour que l’argument avancé par le gouvernement néerlandais soit tenable, il aurait, selon moi, été nécessaire que la fin de la phrase ait été structurée différemment et, en particulier, que les termes « fournies par des organismes sans but lucratif » aient été mentionnés séparément. Si le législateur de l’Union avait eu comme intention que cette disposition reçoive l’interprétation prônée par le gouvernement néerlandais, il aurait, par exemple, pu prévoir ce qui suit : « certaines
prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, à savoir celles fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique » sont exonérées ( 13 ).
43. Par conséquent, au vu de la règle d’interprétation qui vient d’être mentionnée, l’argument du gouvernement néerlandais ne saurait prévaloir.
44. Il mérite également d’être observé que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées non seulement à la lumière de leur libellé, mais également à la lumière de leur contexte et de leurs objectifs ( 14 ). En l’occurrence, l’analyse des objectifs poursuivis par l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 et de son contexte conduit également à la même conclusion.
2. Objectifs poursuivis par l’article 132, paragraphe 1, sous m)
45. Il est vrai que les considérants de la directive 2006/112 offrent peu d’indications en ce qui concerne les objectifs poursuivis par son article 132, paragraphe 1, sous m) ( 15 ). Étant donné que cette disposition exonère certaines prestations de services ayant un lien avec la pratique du sport, on peut toutefois supposer que cette exonération vise à favoriser l’activité sportive par le public, en particulier, dans la mesure où elle contribue à des objectifs de santé publique ( 16 ).
46. Un tel objectif n’implique toutefois pas que l’intention du législateur de l’Union ait été d’exonérer toutes les prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport fournies par des organismes sans but lucratif. Il est vrai que la Cour a jugé que la notion de « sport » renvoie à une activité caractérisée par une « composante physique non négligeable » ( 17 ). Cependant, les activités physiques ne contribuent pas toutes à l’objectif d’intérêt public général d’entretenir la
condition physique de la population dans la même mesure. De manière similaire, les prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique ne sont pas toutes susceptibles de contribuer à cet objectif. Par conséquent, à la lumière de cet objectif, le législateur de l’Union peut avoir considéré, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5, paragraphe 1, TUE, que les États membres étaient mieux placés pour décider quelles prestations de
services ayant un lien étroit avec la pratique du sport devraient être exonérées par leur propre législation de transposition.
47. Plusieurs considérations peuvent avoir conduit le législateur de l’Union à cette conclusion.
48. Premièrement, comme pour les services culturels, il existe, entre les États membres, une grande diversité tant de pratiques sportives que d’attitudes à l’égard des différents sports. Les courses de taureaux sont, par exemple, considérées par certains comme l’une des grandes gloires de l’Espagne, tandis que ce sport est, au mieux, toléré dans certains États membres ( 18 ) et vu avec désapprobation dans d’autres. Les sports de combat et de contact posent leurs propres questions tant en termes de
sécurité que de bien-être physique des participants. On peut en dire autant de certains sports extrêmes. Une fois encore, certains autres sports peuvent être considérés comme posant problème au regard du bien-être animal et font l’objet d’opinions diverses dans différents États membres. Une autre considération est que, tandis que certains sports sont profondément ancrés dans la vie culturelle et sportive de certains États membres – on pense ici aux courses de taureaux en Espagne, à la pétanque
en France, au criquet au Royaume‑Uni et au football gaélique et au hurling en Irlande –, ces sports sont également en grande partie inconnus et ne sont que rarement pratiqués dans l’Union, en dehors de l’État membre concerné.
49. Tout cela signifie que les États membres peuvent avoir leurs propres points de vue spécifiques sur l’utilité de ces sports et la mesure dans laquelle une participation publique dans certains sports devrait être encouragée ou aidée financièrement.
50. Deuxièmement, s’agissant d’un sport donné, le point de savoir si certaines prestations de services ayant un lien étroit avec ce sport devraient être exonérées peut s’avérer une question complexe. Par exemple, la navigation à voile peut être considérée comme un sport dans le cadre d’une course, mais lorsqu’elle est pratiquée d’une manière différente, elle peut être considérée comme une simple activité de loisir ou même comme un moyen de transport. De manière similaire, si la randonnée équestre ou
les promenades guidées à cheval s’inscrivent dans le cadre de l’équitation – comme cela est, par exemple, quelquefois proposé aux enfants pendant les vacances – cela peut ne pas suffire pour que ces prestations de services soient considérées comme ayant un lien avec la pratique d’un sport, comme requis à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112. Dans certaines circonstances et à certaines conditions, cela pourrait être considéré simplement comme une activité de loisir, et
non comme un sport en tant que tel.
51. Troisièmement, l’exonération prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 est susceptible d’avoir des répercussions économiques significatives sur les prestations de services sportifs de chaque marché national étant donné que l’exonération ne peut être accordée qu’à des organismes sans but lucratif ( 19 ). C’est pourquoi le législateur de l’Union, en accordant une certaine marge d’appréciation aux États membres pour décider quelles prestations de services exonérer,
peut avoir estimé que les États membres étaient mieux placés pour décider de l’impact que ces exonérations auraient sur la concurrence locale.
52. Il en résulte, par conséquent, que le législateur de l’Union a pu considérer approprié de s’en remettre au jugement des États membres dans ces matières, ce qui pourrait expliquer, à son tour, pourquoi cette disposition ne pose pas une obligation inconditionnelle aux États membres d’exonérer toutes les activités sportives.
3. Contexte dans lequel l’article 132, paragraphe 1, sous m), est utilisé
53. Le contexte dans lequel l’article 132, paragraphe 1, sous m), est utilisé peut également être considéré comme laissant peu de place à des doutes quant à l’interprétation qui doit être donnée à l’article 132, paragraphe 1, sous m). La plupart des exonérations spécifiques visées à l’article 132 s’appliquent non seulement en ce qui concerne certaines activités, mais également, à la différence des exonérations visées à l’article 135, à des activités exercées par certaines catégories de
fournisseurs ( 20 ). Si, par conséquent, l’article 132, paragraphe 1, sous m), avait la signification que prétend le gouvernement néerlandais, le législateur de l’Union aurait dû utiliser le terme « certaines » dans chacune de ces exonérations. Toutefois, ce terme n’est utilisé qu’en rapport avec deux de ces exonérations, à savoir l’article 132, paragraphe 1, sous n), concernant les prestations de services culturels, et l’article 132, paragraphe 1, sous m).
54. Il en résulte que tant le libellé que le contexte dans lequel l’article 132, paragraphe 1, sous m), a été adopté, démontrent que cette disposition doit être interprétée comme accordant aux États membres une certaine marge d’appréciation pour déterminer, parmi les prestations de services ayant un lien avec la pratique du sport ou de l’éducation physique fournies par des organismes sans but lucratif, celles qu’ils souhaitent exonérer.
C. Impact du principe d’égalité de traitement sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous m)
55. L’existence d’une certaine marge d’appréciation accordée aux États membres n’est pas non plus exclue par le principe d’égalité de traitement, quelquefois désigné, dans le contexte de la TVA, comme le principe de neutralité fiscale ( 21 ).
56. Le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié pour un motif particulier ( 22 ).
57. Selon une jurisprudence constante, la nature comparable de plusieurs situations, qui est requise pour qu’une différence de traitement relève du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée à la lumière de l’objet et du but des dispositions en question ainsi que des principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause ( 23 ). L’étendue des compétences détenues par l’intéressé doit également être prise en compte lorsqu’on applique le principe d’égalité de traitement ( 24 ).
58. Par conséquent, lorsqu’une disposition de l’Union laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres pour préciser les conditions de son application, ce n’est que si l’objectif poursuivi par cette disposition exige que certains biens ou services soient traités de la même manière que le principe d’égalité peut restreindre la marge de manœuvre dont disposent ces États ( 25 ). À défaut de cela, le principe d’égalité de traitement ne peut être invoqué pour soutenir que cette disposition doit
être interprétée, contrairement à son libellé, comme ne laissant aucune marge d’appréciation à ces États membres. En effet, si cela n’était pas le cas, cela signifierait que la portée de toute harmonisation réalisée par un quelconque acte de droit de l’Union serait toujours totale.
59. Étant donné que l’objectif poursuivi par l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 n’exige pas que toutes les prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique soient considérées de la même manière, le principe d’égalité de traitement n’impose pas que toutes ces prestations de services soient traitées de manière identique. Ce n’est que lorsqu’un État membre a exercé la marge d’appréciation qui lui a ainsi été conférée par la
directive que l’on pourrait soutenir, au vu des objectifs poursuivis par cet État lors de l’exercice de cette marge d’appréciation, que la manière dont elle a en fait été exercée viole le principe d’égalité de traitement ( 26 ).
60. Par conséquent, dans la procédure au principal, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer si, compte tenu des objectifs poursuivis par le législateur allemand lorsqu’il a exercé la marge d’appréciation qui lui a été conférée par l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112, ce législateur a respecté le principe d’égalité de traitement en n’exonérant pas les activités en cause dans la procédure au principal.
D. Invocation exceptionnelle de l’article 132, paragraphe 1, sous m)
61. Comme la jurisprudence de la Cour l’indique, lorsqu’une disposition accorde un certain pouvoir d’appréciation aux États membres, une personne peut toujours invoquer, en certaines circonstances, cette disposition aux fins de se prévaloir de la théorie de l’effet direct ( 27 ). Néanmoins, elle ne peut le faire que dans la mesure où l’État membre concerné a outrepassé son pouvoir d’appréciation ( 28 ) ou s’il a expressément renoncé à toute intention d’exercer le pouvoir d’appréciation ainsi
conféré. ( 29 )
62. Dans le cas de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112, le pouvoir d’appréciation serait outrepassé, par exemple si un État membre refusait d’exonérer une prestation de services pour un motif qui n’est pas autorisé, comme lorsque la prestation de services n’est pas fournie par des organismes sans but lucratif à des personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique ou lorsque les destinataires de la prestation de services ne sont pas membres d’un organisme sans but
lucratif ( 30 ), lorsque le prestataire de ce service, bien qu’il soit un organisme sans but lucratif, n’est pas un organisme de droit public ( 31 ), lorsque la prestation de services est fournie à une personne morale plutôt qu’à une personne physique ( 32 ), ou, comme cela a été expliqué précédemment, si, au vu des objectifs poursuivis par la législation nationale faisant application de cette marge de manœuvre, ce motif violait le principe d’égalité de traitement.
63. En l’espèce, les autorités fiscales ont refusé d’exonérer les prestations de services en cause – à l’exception de l’organisation de tournois de golf – au motif qu’il ne s’agit pas de l’une de celles que la République fédérale d’Allemagne a choisi d’exonérer. Cette raison particulière ne peut en soi être considérée comme excédant les limites de la marge d’appréciation accordée par l’article 132, paragraphe 1, sous m), aux États membres étant donné que, comme j’ai déjà cherché à l’expliquer, les
États membres sont, en principe, fondés à décider quelles prestations de services particulières ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique ils choisissent d’exonérer. Par conséquent, Golfclub ne peut pas se prévaloir directement de cette disposition, à moins que, comme cela a été expliqué précédemment, il n’apparaisse, au vu des objectifs poursuivis par la République fédérale d’Allemagne lorsqu’elle a exercé sa marge d’appréciation, que ces prestations de services
auraient dû être considérées comme impliquant la même situation que les services sportifs qui ont effectivement été exonérés par le droit allemand. C’est toutefois à la juridiction nationale qu’il appartient fondamentalement de se prononcer sur ce point.
64. J’ajouterai également que cette question particulière n’a pas été débattue directement devant nous et que la Cour n’est pas en possession non plus d’informations qui lui permettraient de fournir des indications utiles à la juridiction de renvoi à cet égard.
65. Je propose dès lors qu’il soit répondu à la première question en ce sens que l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112 doit être interprété comme n’ayant pas d’effet direct de sorte que cette disposition ne peut être invoquée directement devant les juridictions nationales par des particuliers, à moins que l’État membre concerné n’ait excédé les limites de la marge d’appréciation qui lui a été conférée par cette disposition de la directive ( 33 ).
V. Conclusion
66. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) de la manière suivante :
L’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui exonère « certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l’éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l’éducation physique », doit être interprété comme n’étant pas d’effet direct de sorte que cette disposition ne peut être invoquée
directement devant les juridictions nationales par des particuliers, à moins que l’État membre concerné n’ait excédé les limites de la marge d’appréciation qui lui a été conférée par cette disposition de la directive.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Voir, en ce sens, arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 33) ; du 12 décembre 2013, Portgás (C‑425/12, EU:C:2013:829, point 18) ; du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2, point 31) ; du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 31), et du 7 juillet 2016, Ambisig (C‑46/15, EU:C:2016:530, point 16).
( 3 ) Voir, en ce sens, arrêts du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 32) ; du 16 juillet 2015, Larentia + Minerva et Marenave Schiffahrt (C‑108/14 et C‑109/14, EU:C:2015:496, point 49), et du 13 février 2019, Human Operator (C‑434/17, EU:C:2019:112, point 38).
( 4 ) Arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, EU:C:1986:84, point 52), et du 26 octobre 2006, Pohl-Boskamp (C‑317/05, EU:C:2006:684, point 41).
( 5 ) Mise en italique par mes soins.
( 6 ) C’est également le cas pour l’arrêt du 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg (C‑246/04, EU:C:2006:22, point 36), qui concernait l’interprétation de l’article 13, B, sous b), et C, de la sixième directive, et non l’article 13, A, paragraphe 1, sous m), de ladite directive.
( 7 ) Arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117, point 23).
( 8 ) Arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117, point 16).
( 9 ) Arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117, points 19 à 21).
( 10 ) Arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117, point 22).
( 11 ) Arrêt du 15 février 2017, British Film Institute (C‑592/15, EU:C:2017:117, points 23 et 24).
( 12 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 novembre 2004, Temco Europe (C‑284/03, EU:C:2004:730, point 17), et du 21 février 2013, Žamberk (C‑18/12, EU:C:2013:95, point 19).
( 13 ) Les travaux préparatoires montrent en outre que l’utilisation du terme « certaines » est le résultat de l’intention expresse du législateur d’accorder aux États membres une certaine marge d’appréciation. En effet, dans sa proposition de sixième directive, la Commission a initialement proposé que les États membres exonèrent « les prestations de services et les livraisons de biens accessoires auxdites prestations, fournies à leurs membres par des organismes sans but lucratif ayant pour but
l’exercice du sport ou l’éducation physique ; la présente exonération porte exclusivement sur les opérations ayant un lien direct avec la pratique du sport ou de l’éducation physique par des amateurs ». Toutefois, cette proposition a été expressément rejetée par le Conseil, qui lui a substitué le texte correspondant au libellé actuel de l’article 132, paragraphe 1, sous m), de la directive 2006/112. Par la suite, lorsque la Commission a suggéré au Conseil le 5 décembre 1984 de supprimer le terme
« certaines », le Conseil a, de nouveau, rejeté cette proposition, laissant le libellé de ladite disposition tel qu’il était dans la version initiale, du 17 mai 1977.
( 14 ) Voir, par exemple, arrêt du 10 juillet 2019, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände (C‑649/17, EU:C:2019:576, point 37).
( 15 ) Selon la jurisprudence de la Cour, « le principe de la sécurité et clarté juridique exige que l’interprétation que la Cour est appelée à donner se réfère au libellé et aux objectifs apparents des textes pertinents ». Voir arrêt du 5 mai 1988, Erzeugergemeinschaft Gutshof-Ei (91/87, EU:C:1988:235, point 8).
( 16 ) Voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2013, Žamberk (C‑18/12, EU:C:2013:95, point 23) ; du 19 décembre 2013, Bridport and West Dorset Golf Club (C‑495/12, EU:C:2013:861, point 20), et du 26 octobre 2017, The English Bridge Union (C‑90/16, EU:C:2017:814, point 23). En particulier, dans son arrêt dans l’affaire Žamberk, la Cour a rejeté l’argument selon lequel l’exonération n’était pas applicable à des « activités sportives non organisées et non systématiques », telles que – comme dans ladite
affaire – la natation occasionnelle dans un complexe de bassins de natation.
( 17 ) Voir arrêt du 26 octobre 2017, The English Bridge Union (C‑90/16, EU:C:2017:814, point 22).
( 18 ) Par exemple, en droit français, les courses de taureaux ne sont autorisées que dans les régions où il existe une tradition locale ininterrompue. Voir article 521-1 du code pénal français.
( 19 ) Si une distorsion de la concurrence est inhérente au fait que l’article 132 de la directive 2006/112 prévoit des exonérations [arrêt du 19 décembre 2013, Bridport and West Dorset Golf Club (C‑495/12, EU:C:2013:861, point 37)], cela ne signifie pas que le législateur de l’Union a cherché, d’une manière ou d’une autre, à empêcher les États membres de déterminer l’étendue de telles distorsions lorsqu’il leur a accordé la marge d’appréciation prévue à l’article 132, paragraphe 1, sous m).
( 20 ) Voir arrêt du 14 décembre 2006, VDP Dental Laboratory (C‑401/05, EU:C:2006:792, point 28).
( 21 ) L’utilisation, dans ce contexte, de l’expression « principe de neutralité fiscale » est trompeuse étant donné qu’elle peut être confondue avec le mécanisme de déduction prévu par la sixième directive en vue de libérer l’opérateur de la charge de la TVA due ou payée sur ses activités économiques qui sont elles‑mêmes soumises à la TVA. À cet égard, la jurisprudence n’a pas toujours été constante. En effet, comme je l’ai déjà souligné dans mes conclusions dans l’affaire Grup Servicii Petroliere
(C‑291/18, EU:C:2019:302), en vertu de certains arrêts, le principe de neutralité constitue la « traduction », en matière de TVA, du principe d’égalité de traitement [ordonnance du 18 novembre 2014, MDDP (C‑319/12, EU:C:2014:2395, point 38)]. Dans d’autres arrêts, la Cour a considéré que le principe de neutralité fiscale est une expression particulière du principe d’égalité de traitement [arrêt du 7 mars 2013, Efir (C‑19/12, non publié, EU:C:2013:148, point 35)] qui ne coïncide pas avec ce dernier
[arrêt du 25 avril 2013, Commission/Suède (C‑480/10, EU:C:2013:263, point 18)]. Toutefois, dans son arrêt ultérieur du 7 mars 2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174), la grande chambre a suivi une approche plus stricte, considérant que, dans sa seconde acception, la notion de « neutralité de l’impôt » était identique au principe d’égalité de traitement mais que, aux fins de mesures fiscales, un large pouvoir d’appréciation devait être conféré au législateur de l’Union.
( 22 ) Voir, par exemple, arrêt du 7 mars 2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174, point 41).
( 23 ) Arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 26). Par conséquent, pour que le principe d’égalité de traitement s’applique, il n’est pas suffisant que les biens ou services concernés soient en concurrence les uns avec les autres. Ils doivent être similaires à la lumière de l’objet et du but poursuivi par les dispositions en cause et il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine en cause. Voir arrêt du 7 mars
2017, RPO (C‑390/15, EU:C:2017:174, point 42), s’écartant de l’arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group (C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 36). Par conséquent, en droit de l’Union, appliquer le principe d’égalité de traitement revient à effectuer un test de cohérence.
( 24 ) Voir, par analogie, en ce qui concerne l’existence d’un avantage sélectif en matière d’aide d’État, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑236/16 et C‑237/16, EU:C:2018:291, point 29).
( 25 ) En d’autres termes, le principe d’égalité de traitement ne détermine pas l’existence d’une marge d’appréciation laissée aux État membres, mais limite la manière dont cette marge d’appréciation sera exercée.
( 26 ) Voir, en ce sens, arrêts du 17 février 2005, Linneweber et Akritidis (C‑453/02 et C‑462/02, EU:C:2005:92, point 37), et du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454, point 50).
( 27 ) Arrêt du 28 juin 2007, JP Morgan Fleming Claverhouse Investment Trust et The Association of Investment Trust Companies (C‑363/05, EU:C:2007:391, point 61).
( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2017, Lombard Ingatlan Lízing (C‑404/16, EU:C:2017:759, point 38).
( 29 ) Voir, à cet égard, arrêt du 17 février 2005, Linneweber et Akritidis (C‑453/02 et C‑462/02, EU:C:2005:92, point 35).
( 30 ) Voir arrêt du 19 décembre 2013, Bridport and West Dorset Golf Club (C‑495/12, EU:C:2013:861, points 32 et 39).
( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2017, London Borough of Ealing (C‑633/15, EU:C:2017:544, point 33).
( 32 ) Voir arrêt du 16 octobre 2008, Canterbury Hockey Club et Canterbury Ladies Hockey Club (C‑253/07, EU:C:2008:571, point 35).
( 33 ) L’article 132, paragraphe 1, sous m), bien qu’il laisse aux États membres la tâche de déterminer précisément quelles prestations de services doivent être exonérées, limite leur marge d’appréciation en exigeant, pour qu’une prestation de services soit exonérée, qu’elle ait été fournie par un organisme sans but lucratif. Je suggère que la Cour prenne dès lors position sur le point de savoir si un État membre peut ou s’il doit refuser d’exonérer une prestation de services lorsque celle‑ci est
fournie par des organismes sans but lucratif dont les actes constitutifs n’excluent pas que, en cas de liquidation, les profits puissent être transférés à leurs membres ou à un organisme à but lucratif.