ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
11 décembre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroniques – Directive 2002/21/CE (directive “cadre”) – Article 2, sous m) – Fourniture d’un réseau de communications électroniques – Notion – Directive 2002/22/CE (directive “service universel”) – Article 31, paragraphe 1 – Obligation de transmission de chaînes de radio ou de télévision spécifiées – Opérateur proposant un bouquet de chaînes par satellite – Obligations raisonnables de diffuser – Conditions – Article 56 TFUE –
Proportionnalité »
Dans l’affaire C‑87/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie), par décision du 23 janvier 2019, parvenue à la Cour le 7 février 2019, dans la procédure
TV Play Baltic AS
contre
Lietuvos radijo ir televizijos komisija,
en présence de :
Lietuvos nacionalinis radijas ir televizija VšĮ,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. M. Vilaras (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la neuvième chambre, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour TV Play Baltic AS, par Mme L. Darulienė, advokatė, ainsi que par Mmes R. Gediminskaitė et I. Barauskienė,
– pour le gouvernement lituanien, par MM. R. Dzikovič et K. Dieninis ainsi que par Mme K. Juodelytė, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, par Mme A.-L. Desjonquères et M. R. Coesme, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. S. L. Kalėda et Mme L. Nicolae, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte, principalement, sur l’interprétation de l’article 2, sous m), de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33, ci-après la « directive-cadre »), et de l’article 31, paragraphe 1, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le
service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel ») (JO 2002, L 108, p. 51), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des
données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) no 2006/2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs (JO 2009, L 337, p. 11) (ci-après la « directive “service universel” »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TV Play Baltic AS (anciennement Viasat AS) à la Lietuvos radijo ir televizijos komisija (Commission lituanienne de la radio et de la télévision, ci-après la « LRTK »), au sujet du rejet, par cette dernière, de la demande de Viasat tendant à ce qu’elle soit exemptée de l’obligation de retransmettre la chaîne de télévision LRT Kultūra.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2 de la directive-cadre, intitulé « Définitions », dispose, à son point m) :
« “fourniture d’un réseau de communications électroniques” : la mise en place, l’exploitation, la surveillance ou la mise à disposition d’un tel réseau ».
4 Les considérants 43 à 45 de la directive « service universel » énoncent :
« (43) À l’heure actuelle, les États membres imposent certaines obligations de diffusion (“must carry”) sur les réseaux pour la diffusion au public d’émissions de radio ou de télévision. Les États membres devraient être en mesure d’imposer aux entreprises sous leur juridiction, en considération d’intérêts publics légitimes et uniquement lorsque cela est nécessaire pour atteindre des objectifs d’intérêt général clairement définis par eux conformément au droit [de l’Union], des obligations qui
devraient être proportionnées, transparentes et soumises à un réexamen périodique. Les obligations de diffuser (“must carry”) imposées par les États membres devraient être raisonnables ; en d’autres termes, elles devraient être proportionnées et transparentes compte tenu d’objectifs d’intérêt général clairement définis, et pourraient, le cas échéant, s’accompagner d’une disposition prévoyant une rémunération proportionnée. Ces obligations de diffuser (“must carry”) peuvent comprendre la
transmission de services spécialement destinés à permettre un accès convenable des utilisateurs handicapés.
(44) Les réseaux utilisés pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision comprennent les réseaux de télédistribution et les réseaux de diffusion par satellite et terrestre. Ils peuvent également inclure d’autres réseaux dans la mesure où un nombre significatif d’utilisateurs finals utilisent ces réseaux comme leurs moyens principaux de réception d’émissions de radio ou de télévision.
(45) Les services fournissant un contenu, tels qu’une offre de vente de contenus de radiodiffusion sonore ou de télévision, ne sont pas couverts par le cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques. Les fournisseurs de ces services ne devraient pas être soumis aux obligations de service universel pour ces activités. La présente directive est, par conséquent, sans préjudice des mesures arrêtées au niveau national, conformément à la législation [de l’Union],
à l’égard de ces services. »
5 L’article 31 de la directive « service universel », intitulé « Obligations de diffuser (“must carry”) », est libellé comme suit :
« 1. Les États membres peuvent imposer des obligations raisonnables de diffuser (“must carry”) pour la transmission de chaînes de radio et de télévision spécifiées et de services complémentaires, notamment les services d’accessibilité destinés à assurer un accès approprié pour les utilisateurs finals handicapés, aux entreprises relevant de leur ressort qui fournissent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision, lorsqu’un
nombre significatif d’utilisateurs finals utilisent ces réseaux comme leur moyen principal pour recevoir des chaînes de radio et de télévision. Ces obligations ne sont imposées que lorsqu’elles sont nécessaires pour atteindre des objectifs d’intérêt général clairement définis par chaque État membre, et sont proportionnées et transparentes.
[...] »
Le droit lituanien
6 L’article 33, paragraphes 5 à 7, du Lietuvos Respublikos visuomenės informavimo įstatymas (loi lituanienne sur l’information de la société, ci-après la « loi sur l’information »), telle que modifiée par la loi no XII-1731, du 21 mai 2015, prévoit :
« 5. Les opérateurs fournissant en Lituanie des services de retransmission de programmes télévisés, ainsi que d’autres personnes fournissant aux consommateurs lituaniens des services de distribution sur Internet de chaînes et/ou d’émissions de télévision, ont obligation de retransmettre et de diffuser sur Internet toutes les chaînes de télévision nationales de Lietuvos nacionalinis radijas ir televizija non cryptées.
6. La Lietuvos radijo ir televizijos komisija [Commission lituanienne de la radio et de la télévision] peut décider d’exempter de l’obligation de retransmettre ou de diffuser sur Internet les chaînes de télévision nationales de Lietuvos nacionalinis radijas ir televizija non cryptées si cette décision ne restreint pas les possibilités du consommateur de voir ces chaînes avec les seuls moyens techniques dont il dispose.
7. La retransmission et/ou la diffusion en ligne obligatoire de programmes télévisés ne donne lieu à aucun paiement entre les radiodiffuseurs, les opérateurs retransmetteurs et les autres opérateurs fournissant aux consommateurs lituaniens des services de distribution sur Internet de chaînes et/ou d’émissions de télévision. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7 TV Play Baltic est une société établie en Estonie, qui diffuse des bouquets de chaînes de télévision payants en Lituanie au moyen d’un réseau satellitaire appartenant à un tiers qu’elle rémunère à cet effet.
8 Depuis la modification, au cours de l’année 2015, de la loi sur l’information, les activités de la requérante au principal sont assimilées à des activités de retransmission de programmes télévisés et, conformément à l’article 33, paragraphe 5, de cette loi, elle est soumise à l’obligation de retransmettre les chaînes de Lietuvos nacionalinis radijas ir televizija VšĮ (ci-après « LRT »), au nombre desquelles figure la chaîne LRT Kultūra.
9 La requérante au principal a présenté à la LRTK une demande de dérogation à l’obligation de diffuser cette chaîne.
10 Cette dérogation lui ayant été refusée, la requérante au principal a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision rejetant sa demande devant le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie).
11 Par une décision du 4 janvier 2017, cette juridiction a, notamment, confirmé l’obligation faite à la requérante au principal de retransmettre ladite chaîne.
12 Saisie en appel, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) nourrit des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de faire du droit de l’Union, notamment de l’article 56 TFUE ainsi que de la directive-cadre et de la directive « service universel ».
13 Au préalable, la juridiction de renvoi précise que l’obligation de retransmission, prévue à l’article 33, paragraphe 5, de la loi sur l’information, telle que modifiée par la loi no XII-1731, du 21 mai 2015, n’est soumise à aucune condition et que cette disposition constitue la transposition, dans le droit lituanien, de l’article 31 de la directive « service universel ».
14 En premier lieu, cette juridiction s’interroge sur la question de savoir si les activités de la requérante au principal doivent être considérées comme la « fourniture d’un réseau de communications électroniques », au sens de l’article 2, sous m), de la directive-cadre et de l’article 31 de la directive « service universel ». Elle relève, à cet égard, que celle-ci retransmet des chaînes de télévision en utilisant, contre paiement, une infrastructure de communication appartenant à d’autres
opérateurs économiques.
15 Ladite juridiction fait observer, néanmoins, que certaines ressources de cette infrastructure sont ainsi utilisées exclusivement pour acheminer les signaux transmis par la requérante au principal et que celle-ci pourrait être considérée comme étant un opérateur de réseau, au sens de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive
« accès ») (JO 2002, L 108, p. 7), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 37).
16 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi estime que, si les activités de la requérante au principal ne relèvent pas de la notion de fourniture d’un réseau de communications électroniques, il convient de déterminer si un État membre peut imposer des obligations de diffuser à des opérateurs économiques autres que ceux visés à l’article 31 de la directive « service universel ». Elle est d’avis que les activités de la requérante au principal peuvent être considérées comme des services de
communications électroniques relevant des champs d’application de la directive-cadre et de la directive « service universel ». Cependant, elle n’exclut pas que ces activités puissent être regardées comme un service de fourniture de contenu, auquel les obligations de service universel prévues par cette dernière directive ne s’appliquent pas.
17 En troisième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’exigence figurant à l’article 31, paragraphe 1, de la directive « service universel », selon laquelle une obligation de diffuser ne peut être imposée que lorsqu’un nombre significatif d’utilisateurs finals utilisent le réseau en question comme moyen principal de recevoir des chaînes de radio ou de télévision. Elle fait observer que, si cette exigence ne s’applique pas aux entreprises qui ne relèvent pas du champ
d’application de cette disposition, le législateur lituanien assure un traitement uniforme de tous les opérateurs retransmetteurs au regard de cette obligation.
18 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi relève que l’obligation de diffuser restreint la libre prestation des services, visée à l’article 56 TFUE. Elle estime que, si une telle restriction peut être justifiée pour des raisons impérieuses d’intérêt général liée à la politique culturelle, cette obligation doit être proportionnée et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis. Or, elle se demande si la possibilité, pour LRT, de diffuser elle-même LRT Kultūra sur le même réseau
satellitaire que celui utilisé par les clients de la requérante au principal est pertinent à cet égard, LRT diffusant une autre chaîne gratuite sur le même satellite que celui utilisé par cette dernière. Elle s’interroge de la même manière quant au fait que cette chaîne est diffusée via le réseau terrestre de télévision et qu’une partie de son contenu est accessible gratuitement sur Internet.
19 Dans ces conditions le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 2, sous m), de la [directive-cadre] en ce sens que ne relève pas de la notion de “fourniture d’un réseau de communications électroniques” une activité de retransmission de programmes télévisés au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers, telle que celle exercée par la [requérante au principal] ?
2) Convient-il d’interpréter l’article 31, paragraphe 1, de la [directive “service universel”] en ce sens qu’il interdit aux États membres d’imposer une obligation de diffusion (“must carry”) (obligation de retransmettre un programme télévisé au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers et de permettre aux utilisateurs finals d’accéder à ce programme) à des entreprises telles que la [requérante au principal], entreprises qui[, premièrement,] diffusent, au moyen de réseaux
satellitaires appartenant à des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel, en captant le signal des programmes télévisés (des chaînes de télévision) diffusés, le convertissant, le cryptant et l’acheminant jusqu’au satellite, depuis lequel ces signaux sont ensuite émis, en continu, à destination de la Terre et[, deuxièmement], offrent aux clients des bouquets de programmes télévisés, leur permettant, contre paiement, d’accéder par un dispositif d’accès
conditionnel à ladite chaîne (émission) de télévision protégée ?
3) Convient-il d’interpréter l’article 31, paragraphe 1, de la [directive “service universel”] en ce sens qu’il n’y a pas lieu de considérer qu’un nombre significatif d’utilisateurs finals utilisent les réseaux de communications électroniques (en l’espèce, le réseau de diffusion par satellite) comme leur moyen principal pour recevoir des chaînes de télévision, au sens de ladite disposition, lorsque seulement environ 6 % de tous les utilisateurs finals (en l’espèce, des ménages) utilisent ces
réseaux comme moyen principal de réception ?
4) Pour déterminer s’il est justifié d’appliquer l’article 31, paragraphe 1, de la [directive “service universel”], convient-il de tenir compte des utilisateurs d’Internet, qui peuvent regarder la chaîne en cause (ses émissions) gratuitement et en direct sur Internet ?
5) Convient-il d’interpréter l’article 56 TFUE en ce sens qu’il interdit aux États membres d’imposer à des entreprises telles que la [requérante au principal] une obligation de retransmettre gratuitement une chaîne de télévision par des réseaux de communications électroniques lorsque le radiodiffuseur au profit duquel cette obligation est imposée a la possibilité de diffuser lui-même la chaîne en cause par le même réseau, à ses frais ?
6) Convient-il d’interpréter l’article 56 TFUE en ce sens qu’il interdit aux États membres d’imposer à des entreprises telles que la [requérante au principal] une obligation de retransmettre gratuitement une chaîne de télévision par des réseaux de communications électroniques lorsque cette obligation permettrait d’atteindre seulement environ 6 % de l’ensemble des ménages et que ceux-ci ont la possibilité de regarder ladite chaîne en utilisant le réseau de radiodiffusion terrestre ou Internet ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si une activité de retransmission de programmes télévisés au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers relève de la notion de « fourniture d’un réseau de communications électroniques », au sens de l’article 2, sous m), de la directive-cadre.
21 Il convient de relever que la Cour a jugé qu’une entreprise qui se borne à proposer le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet ne fournit pas un réseau de communications électroniques, mais qu’elle offre, en revanche, un accès aux contenus de services audiovisuels fournis sur les réseaux de communications électroniques (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, France Télévisions, C‑298/17, EU:C:2018:1017, points 18 et 19).
22 Or, la situation d’une entreprise qui, comme la requérante au principal, retransmet des chaînes de télévision par voie satellitaire n’est pas différente de celle d’une entreprise qui diffuse de telles chaînes par Internet, en ce sens que, comme cette dernière, elle offre un accès à des contenus de services audiovisuels fournis sur un réseau de communications électroniques, en l’occurrence un réseau satellitaire.
23 Si la juridiction de renvoi s’interroge, néanmoins, sur la possibilité de regarder l’activité en cause au principal comme consistant en la fourniture de réseaux de communications électroniques, au motif que certaines ressources de l’infrastructure satellitaire sont utilisées exclusivement pour acheminer les signaux transmis par la requérante au principal, il est constant que cette dernière ne remplit aucune des missions assurées par le fournisseur d’un réseau de communications électroniques, au
sens de l’article 2, sous m), de la directive-cadre, à savoir être responsable de la mise en place, de l’exploitation, de la surveillance ou de la mise à disposition d’un tel réseau.
24 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, sous m), de la directive-cadre doit être interprété en ce sens qu’une activité de retransmission de programmes télévisés au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers ne relève pas de la notion de « fourniture d’un réseau de communications électroniques », au sens de cette disposition.
Sur la deuxième question
25 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 31, paragraphe 1, de la directive « service universel » s’oppose à ce que les États membres imposent une obligation de diffuser un programme télévisé à des entreprises qui retransmettent, au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel et offrent à leurs clients des bouquets de programmes télévisés.
26 Il convient de rappeler que la Cour a jugé que les directives relevant du cadre réglementaire commun, dont font partie la directive-cadre et la directive « service universel », ne portent pas atteinte aux mesures prises au niveau national, dans le respect du droit de l’Union, pour poursuivre des objectifs d’intérêt général, notamment en ce qui concerne la réglementation en matière de contenus et la politique audiovisuelle, ce cadre commun ne s’appliquant pas aux contenus des services fournis sur
les réseaux de communications électroniques (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, France Télévisions, C‑298/17, EU:C:2018:1017, points 25 et 26).
27 En conséquence, la Cour a considéré que la directive « service universel » laisse les États membres libres d’imposer des obligations de diffuser en dehors de celles visées à l’article 31, paragraphe 1, de celle-ci, notamment à des entreprises qui, sans fournir des réseaux de communications électroniques, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet (arrêt du 13 décembre 2018, France Télévisions, C‑298/17, EU:C:2018:1017, point 27).
28 Tout comme l’activité en cause dans l’affaire ayant donné à lieu à cet arrêt, une activité de retransmission, au moyen d’un réseau satellitaire, de programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel consiste en la mise à disposition de contenus télévisuels.
29 Il ne ressort d’aucun élément du dossier dont dispose la Cour qu’il y aurait lieu d’apprécier différemment une activité de diffusion de contenus télévisuels, au regard de l’article 31, paragraphe 1, de la directive « service universel », selon qu’elle est exercée par voie satellitaire ou au moyen d’Internet.
30 Il convient, par conséquent, de répondre à la deuxième question que l’article 31, paragraphe 1, de la directive « service universel » doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les États membres imposent une obligation de diffuser un programme télévisé à des entreprises qui retransmettent, au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel et offrent à leurs clients des bouquets de programmes
télévisés.
Sur les troisième et quatrième questions
31 Eu égard aux réponses apportées aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux troisième et quatrième questions.
Sur les cinquième et sixième questions
32 Par ses cinquième et sixième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les États membres imposent une obligation de diffuser gratuitement une chaîne de télévision à des entreprises qui retransmettent, au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel et offrent à leurs clients des bouquets de programmes télévisés, alors que,
d’une part, le radiodiffuseur au profit duquel cette obligation est imposée a la possibilité de diffuser lui-même, à ses frais, la chaîne concernée par le même réseau et, d’autre part, ladite obligation permet d’atteindre seulement environ 6 % de l’ensemble des ménages et que ceux-ci ont la possibilité de regarder cette chaîne en utilisant le réseau de radiodiffusion terrestre ou Internet.
33 À titre liminaire, il y a lieu de constater que le droit de l’Union n’a pas procédé à une harmonisation complète du secteur des services de communications électroniques et, par conséquent, la réglementation nationale en cause au principal doit être examinée au regard de l’article 56 TFUE en ce qui concerne les aspects non couverts notamment par la directive-cadre et la directive « service universel » (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2014, UPC DTH, C‑475/12, EU:C:2014:285, point 70).
34 Selon une jurisprudence constante, l’émission de messages télévisés, y compris ceux transmis par la voie de la télédistribution, constitue, en tant que telle, une prestation de services, au sens de l’article 56 TFUE (arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C‑250/06, EU:C:2007:783, point 28 ainsi que jurisprudence citée).
35 S’agissant de la question de savoir si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal comporte une restriction interdite au titre de l’article 56 TFUE, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la libre prestation des services exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique
indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C‑250/06, EU:C:2007:783, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
36 Force est de constater que, en imposant une obligation de diffuser certains programmes télévisés de LRT aux entreprises qui, quel que soit leur lieu d’établissement, retransmettent des programmes télévisés par la voie satellitaire, à destination des téléspectateurs lituaniens, la réglementation nationale en cause au principal institue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE.
37 Selon la jurisprudence, une telle restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE peut être justifiée, dès lors qu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C‑250/06, EU:C:2007:783, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
38 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une politique culturelle peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une restriction à la libre prestation des services. En effet, le maintien du pluralisme qu’entend garantir cette politique est lié à la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le
4 novembre 1950, cette liberté figurant parmi les droits fondamentaux garantis par l’ordre juridique de l’Union, notamment, par l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C‑250/06, EU:C:2007:783, point 41 ainsi que jurisprudence citée).
39 En l’occurrence, le gouvernement lituanien a souligné que l’obligation de diffuser la chaîne de télévision LRT Kultūra, imposée aux entreprises telles que la requérante au principal, poursuit un but d’intérêt général lié à la politique culturelle, eu égard à l’importante valeur sociale et culturelle de cette chaîne pour les téléspectateurs lituaniens.
40 Un tel objectif de politique culturelle peut être de nature à justifier l’existence d’une restriction à la libre prestation des services.
41 Toutefois, la réglementation nationale qui met en place une telle restriction doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi. Sur ce point, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, l’obligation de diffuser certains programmes télévisés peut permettre d’atteindre l’objectif de politique culturelle qu’elle poursuit, en ce qu’elle est de nature à assurer que les téléspectateurs lituaniens, qui ne disposent que d’un accès à la télévision par voie
satellitaire, aient la possibilité de regarder les programmes de la chaîne LRT Kultūra, auxquels ils n’auraient pas accès autrement.
42 S’agissant de la proportionnalité de la mesure en cause au principal, qui fait, plus particulièrement, l’objet des cinquième et sixième questions, s’il appartiendra à la juridiction de renvoi de se prononcer à cet égard, au vu des éléments portés à sa connaissance dans le cadre du litige au principal, la Cour peut lui fournir des indications quant aux paramètres à prendre en considération lors de cet examen.
43 Ainsi, il conviendra, comme l’a souligné la Commission européenne dans ses observations, que la juridiction de renvoi tienne compte du nombre ou du pourcentage d’utilisateurs finals qui recourent effectivement aux moyens de diffusion des chaînes de télévision, pour apprécier la proportionnalité de l’obligation de diffuser en cause au principal.
44 En outre, afin d’apprécier si l’obligation de diffuser en cause au principal est proportionnée, la juridiction de renvoi devra également prendre en considération, après les avoir vérifiés, des éléments tels que la répartition géographique des utilisateurs finals des services fournis par la requérante au principal, la circonstance que la chaîne LRT Kultūra est retransmise par celle-ci sans être cryptée, touchant par-là un public plus large, et la circonstance que cette chaîne, ou une grande partie
de ses programmes, est accessible gratuitement par Internet ainsi que par le réseau de télévision terrestre.
45 Eu égard à ces considérations, il convient de répondre aux cinquième et sixième questions que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les États membres imposent une obligation de diffuser gratuitement une chaîne de télévision à des entreprises qui retransmettent, au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel et offrent à leurs clients des bouquets de programmes télévisés,
sous réserve, d’une part, que cette obligation de diffuser permette à un nombre ou à un pourcentage significatif d’utilisateurs finals de l’ensemble des moyens de diffusion des programmes télévisés d’accéder à la chaîne bénéficiant de ladite obligation et, d’autre part, qu’il soit tenu compte de la répartition géographique des utilisateurs finals des services fournis par l’opérateur auquel la même obligation de diffuser est imposée, de la circonstance que celui-ci retransmet cette chaîne sans la
crypter et de celle que ladite chaîne est accessible gratuitement par Internet ainsi que par le réseau de télévision terrestre, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
1) L’article 2, sous m), de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »), doit être interprété en ce sens qu’une activité de retransmission de programmes télévisés au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers ne relève pas de la notion de « fourniture d’un réseau de communications électroniques », au sens de cette disposition.
2) L’article 31, paragraphe 1, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »), doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les États membres imposent une obligation de diffuser un programme télévisé à des entreprises qui retransmettent, au moyen de réseaux satellitaires appartenant à
des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel et offrent à leurs clients des bouquets de programmes télévisés.
3) L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les États membres imposent une obligation de diffuser gratuitement une chaîne de télévision à des entreprises qui retransmettent, au moyen de réseaux satellitaires appartenant à des tiers, des programmes télévisés protégés par un système d’accès conditionnel et offrent à leurs clients des bouquets de programmes télévisés, sous réserve, d’une part, que cette obligation de diffuser permette à un nombre ou à un
pourcentage significatif d’utilisateurs finals de l’ensemble des moyens de diffusion des programmes télévisés d’accéder à la chaîne bénéficiant de ladite obligation et, d’autre part, qu’il soit tenu compte de la répartition géographique des utilisateurs finals des services fournis par l’opérateur auquel la même obligation de diffuser est imposée, de la circonstance que celui-ci retransmet cette chaîne sans la crypter et de celle que ladite chaîne est accessible gratuitement par Internet ainsi
que par le réseau de télévision terrestre, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le lituanien.