ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
30 janvier 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Directive 82/891/CEE – Articles 12 et 19 – Scissions des sociétés à responsabilité limitée – Protection des intérêts des créanciers de la société scindée – Nullité de la scission – Action paulienne »
Dans l’affaire C‑394/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie), par décision du 27 février 2018, parvenue à la Cour le 14 juin 2018, dans la procédure
I.G.I. Srl
contre
Maria Grazia Cicenia,
Mario Di Pierro,
Salvatore de Vito,
Antonio Raffaele,
en présence de :
Costruzioni Ing. G. Iandolo Srl,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. P. G. Xuereb (rapporteur), T. von Danwitz, C. Vajda et A. Kumin, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. R. Schiano, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juin 2019,
considérant les observations présentées :
– pour I.G.I. Srl, par Me S. Ietti, avvocatessa,
– pour Costruzioni Ing. G. Iandolo Srl, par Mes S. Pierro et S. Ietti, avvocatesse,
– pour la Commission européenne, par MM. L. Malferrari, W. Mölls et H. Støvlbæk, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 septembre 2019,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12 et 19 de la sixième directive 82/891/CEE du Conseil, du 17 décembre 1982, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 point g) du traité et concernant les scissions des sociétés anonymes (JO 1982, L 378, p. 47), telle que modifiée par la directive 2007/63/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007 (JO 2007, L 300, p. 47) (ci-après la « sixième directive »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant I.G.I. Srl à Mme Maria Grazia Cicenia et à MM. Mario Di Pierro, Salvatore de Vito ainsi qu’Antonio Raffaele au sujet de la possibilité pour ces derniers, en tant que créanciers d’une société scindée dont une partie du patrimoine a été transférée à I.G.I., d’exercer une action paulienne afin de faire déclarer l’acte de scission sans effets à leur égard et de former des actions exécutoires ou conservatoires sur les biens transférés
à I.G.I.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La troisième directive 78/855/CEE
3 L’article 1er de la troisième directive 78/855/CEE du Conseil, du 9 octobre 1978, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 sous g) du traité et concernant les fusions des sociétés anonymes (JO 1978, L 295, p. 36), telle que modifiée par la directive 2007/63 (ci-après la « troisième directive »), intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les mesures de coordination prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux formes de sociétés suivantes :
[...]
– pour l’Italie
la società per azioni,
[...] »
4 L’article 13, paragraphe 3, de la troisième directive dispose :
« La protection peut être différente pour les créanciers de la société absorbante et ceux de la société absorbée. »
La sixième directive
5 Aux termes du huitième considérant de la sixième directive :
« [...] les créanciers, obligataires ou non, et les porteurs d’autres titres des sociétés participant à la scission doivent être protégés afin que la réalisation de la scission ne leur porte pas préjudice ».
6 Le onzième considérant de cette directive prévoit :
« [...] pour assurer la sécurité juridique dans les rapports tant entre les sociétés participant à la scission qu’entre celles-ci et les tiers ainsi qu’entre les actionnaires, il y a lieu de limiter les cas de nullité et d’établir, d’une part, le principe de la régularisation chaque fois qu’elle est possible et, d’autre part, un délai bref pour invoquer la nullité ».
7 L’article 1er de ladite directive dispose :
« 1. Lorsque les États membres permettent, pour les sociétés relevant de leur législation et visées à l’article 1er paragraphe 1 de la [troisième directive], l’opération de scission par absorption définie à l’article 2 de la présente directive, ils soumettent cette opération aux dispositions du chapitre Ier de cette dernière directive.
2. Lorsque les États membres permettent, pour les sociétés indiquées au paragraphe 1, l’opération de scission par constitution des nouvelles sociétés, définie à l’article 21, ils soumettent cette opération aux dispositions du chapitre II.
[...] »
8 L’article 2 de la sixième directive prévoit :
« 1. Au sens de la présente directive, est considérée comme scission par absorption l’opération par laquelle, par suite de sa dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, moyennant l’attribution aux actionnaires de la société scindée d’actions des sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission, ci-après dénommées “sociétés bénéficiaires”, et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas
10 % de la valeur nominale des actions attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de leur pair comptable.
[...]
3. Pour autant que la présente directive renvoie à la [troisième directive], l’expression “sociétés qui fusionnent” désigne les sociétés participant à la scission, l’expression “société absorbée” désigne la société scindée, l’expression “société absorbante” désigne chacune des sociétés bénéficiaires et l’expression “projet de fusion” désigne le projet de scission. »
9 L’article 12 de la sixième directive est libellé de la manière suivante :
« 1. Les législations des États membres doivent prévoir un système de protection adéquat des intérêts des créanciers des sociétés participant à la scission pour les créances nées antérieurement à la publication du projet de scission et non encore échues au moment de cette publication.
2. À cet effet, les législations des États membres prévoient au moins que ces créanciers ont le droit d’obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière de la société scindée ainsi que celle de la société à laquelle l’obligation sera transférée conformément au projet de scission rend cette protection nécessaire et que ces créanciers ne disposent pas déjà de telles garanties.
3. Dans la mesure où un créancier de la société à laquelle l’obligation a été transférée conformément au projet de scission n’a pas eu satisfaction, les sociétés bénéficiaires sont tenues solidairement pour cette obligation. Les États membres peuvent limiter cette responsabilité à l’actif net attribué à chacune de ces sociétés autres que celle à laquelle l’obligation a été transférée. Ils peuvent ne pas appliquer le présent paragraphe lorsque l’opération de scission est soumise au contrôle d’une
autorité judiciaire conformément à l’article 23 et qu’une majorité des créanciers, représentant les trois quarts du montant des créances, ou une majorité d’une catégorie de créanciers de la société scindée, représentant les trois quarts du montant des créances de cette catégorie, a renoncé à faire valoir cette responsabilité solidaire lors d’une assemblée tenue conformément à l’article 23 paragraphe 1 point c).
4. L’article 13, paragraphe 3, de la [troisième directive] s’applique.
5. Sans préjudice des règles relatives à l’exercice collectif de leurs droits, il est fait application des paragraphes 1 à 4 aux obligataires des sociétés participant à la scission, sauf si la scission a été approuvée par une assemblée des obligataires, lorsque la loi nationale prévoit une telle assemblée, ou par les obligataires individuellement.
6. Les États membres peuvent prévoir que les sociétés bénéficiaires sont tenues solidairement pour les obligations de la société scindée. Dans ce cas, ils peuvent ne pas appliquer les paragraphes précédents.
7. Lorsqu’un État membre combine le système de protection des créanciers visé aux paragraphes 1 à 5 avec la responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires visée au paragraphe 6, il peut limiter cette responsabilité à l’actif net attribué à chacune de ces sociétés. »
10 L’article 15 de la sixième directive énonce :
« Les législations des États membres déterminent la date à laquelle la scission prend effet. »
11 L’article 17, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« La scission entraîne ipso jure et simultanément les effets suivants :
a) la transmission, tant entre la société scindée et les sociétés bénéficiaires qu’à l’égard des tiers, de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société scindée aux sociétés bénéficiaires ; cette transmission s’effectue par parties conformément à la répartition prévue au projet de scission ou à l’article 3 paragraphe 3 ;
b) les actionnaires de la société scindée deviennent actionnaires d’une ou des sociétés bénéficiaires, conformément à la répartition prévue au projet de scission ;
c) la société scindée cesse d’exister. »
12 L’article 19 de ladite directive est libellé comme suit :
« 1. Les législations des États membres ne peuvent organiser le régime des nullités de la scission que dans les conditions suivantes :
a) la nullité doit être prononcée par décision judiciaire ;
b) la nullité d’une scission qui a pris effet au sens de l’article 15 ne peut être prononcée si ce n’est pour défaut soit de contrôle préventif judiciaire ou administratif de légalité, soit d’acte authentique, ou bien s’il est établi que la décision de l’assemblée générale est nulle ou annulable en vertu du droit national ;
c) l’action en nullité ne peut plus être intentée après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date à laquelle la scission est opposable à celui qui invoque la nullité, ou bien si la situation a été régularisée ;
d) lorsqu’il est possible de porter remède à l’irrégularité susceptible d’entraîner la nullité de la scission, le tribunal compétent accorde aux sociétés intéressées un délai pour régulariser la situation ;
e) la décision prononçant la nullité de la scission fait l’objet d’une publicité effectuée selon les modes prévus par la législation de chaque État membre conformément à l’article 3 de la [première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58, deuxième alinéa, du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO 1968, L 65,
p. 8)] ;
f) la tierce opposition, lorsque la législation d’un État membre la prévoit, n’est plus recevable après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la publicité de la décision effectuée selon la directive 68/151/CEE ;
g) la décision prononçant la nullité de la scission ne porte pas atteinte par elle-même à la validité des obligations nées à la charge ou au profit des sociétés bénéficiaires, antérieurement à la publicité de la décision et postérieurement à la date visée à l’article 15 ;
h) chacune des sociétés bénéficiaires répond des obligations à sa charge nées après la date à laquelle la scission a pris effet et avant la date à laquelle la décision prononçant la nullité de la scission a été publiée. La société scindée répond aussi de ces obligations ; les États membres peuvent prévoir que cette responsabilité est limitée à l’actif net attribué à la société bénéficiaire à la charge de laquelle ces obligations sont nées.
2. Par dérogation au paragraphe 1 point a), la législation d’un État membre peut aussi faire prononcer la nullité de la scission par une autorité administrative si un recours contre une telle décision peut être intenté devant une autorité judiciaire. Les points b), d), e), f), g) et h) s’appliquent par analogie à l’autorité administrative. Cette procédure de nullité ne peut plus être engagée après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date visée à l’article 15.
3. Il n’est pas porté atteinte aux législations des États membres relatives à la nullité d’une scission prononcée à la suite d’un contrôle de celle-ci autre que le contrôle préventif judiciaire ou administratif de légalité. »
13 Les articles 2 à 19 de la sixième directive figurent sous le chapitre Ide celle-ci, intitulé « Scission par absorption ».
14 Sous le chapitre II de cette directive, intitulé « Scission par constitution de nouvelles sociétés », l’article 21, paragraphe 1, de celle-ci prévoit :
« Au sens de la présente directive, est considérée comme scission par constitution de nouvelles sociétés l’opération par laquelle, par suite de dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés nouvellement constituées l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, moyennant l’attribution aux actionnaires de la société scindée d’actions des sociétés bénéficiaires et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des actions
attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de leur pair comptable. »
15 Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de ladite directive, figurant également sous le chapitre II de celle-ci :
« Les articles 3, 4, 5 et 7, l’article 8 paragraphes 1 et 2 et les articles 9 à 19 sont applicables, sans préjudice des articles 11 et 12 de la directive 68/151/CEE, à la scission par constitution de nouvelles sociétés. Pour cette application, l’expression “sociétés participant à la scission” désigne la société scindée, l’expression “société bénéficiaire des apports résultant de la scission” désigne chacune des nouvelles sociétés. »
16 L’article 25 de la sixième directive, figurant sous le chapitre IV de celle-ci, intitulé « Autres opérations assimilées à la scission », dispose :
« Lorsque la législation d’un État membre permet une des opérations visées à l’article 1er sans que la société scindée cesse d’exister, les chapitres Ier, II et III sont applicables, à l’exception de l’article 17 paragraphe 1 point c). »
Le droit italien
17 L’article 2503 du codice civile (code civil), intitulé « Opposition des créanciers », dispose :
« La fusion ne peut être réalisée que 60 jours après la dernière des inscriptions prévues à l’article 2502 bis, sauf en cas d’accord des créanciers des sociétés participant à la fusion, dont la créance est antérieure à l’inscription ou à la publication prévue à l’article 2501 ter, troisième alinéa, ou de paiement des créanciers qui n’ont pas donné leur accord, ou encore en cas de dépôt des sommes en cause auprès d’une banque, à moins que le rapport visé à l’article 2501 sexies ait été établi,
pour toutes les sociétés participant à la fusion, par une seule société de réviseurs qui certifie, sous sa propre responsabilité, conformément à l’article 2501 sexies, sixième alinéa, que, compte tenu de la situation patrimoniale et financière des sociétés participant à la fusion, il n’est pas nécessaire de constituer des garanties pour protéger lesdits créanciers.
Lorsqu’aucune de ces exceptions ne s’applique, les créanciers visés à l’alinéa précédent peuvent faire opposition dans ce délai de 60 jours. Dans ce cas, l’article 2445, dernier alinéa, est applicable. »
18 L’article 2504 quater de ce code, intitulé « Invalidité de la fusion », prévoit :
« Lorsqu’il a fait l’objet des inscriptions visées à l’article 2504, deuxième alinéa, l’acte de fusion ne peut plus être déclaré invalide.
Le droit à réparation du préjudice éventuellement subi par les associés ou par des tiers lésés par la fusion subsiste. »
19 L’article 2506 dudit code, intitulé « Formes de scission », dispose :
« Dans le cadre de la scission, une société attribue l’ensemble de son patrimoine à plusieurs sociétés, préexistantes ou nouvellement constituées, ou une partie de son patrimoine, dans ce cas éventuellement à une seule société, et les actions ou parts correspondantes à ses actionnaires.
Le versement d’une soulte en espèces est autorisé, pour autant que celle-ci ne dépasse pas dix pour cent de la valeur nominale des actions ou parts attribuées. Il est en outre permis que, par consentement unanime, certains actionnaires reçoivent non pas des actions ou parts de l’une des sociétés bénéficiaires de la scission, mais des actions ou parts de la société scindée.
La société scindée peut, dans le cadre de la scission, soit procéder à sa propre dissolution sans liquidation, soit poursuivre son activité.
La participation à une scission est interdite aux sociétés en liquidation ayant commencé la répartition de l’actif. »
20 L’article 2506 ter, dernier alinéa, du code civil, intitulé « Dispositions applicables », prévoit :
« Les articles 2501 septies, 2502, 2502 bis, 2503, 2503 bis, 2504, 2504 ter, 2504 quater, 2505, premier et deuxième alinéas, 2505 bis et 2505 ter s’appliquent également aux scissions. Toutes les références à la fusion figurant dans ces articles sont réputées viser également la scission. »
21 L’article 2506 quater de ce code, intitulé « Effets de la scission », dispose, à son dernier alinéa :
« Dans les limites de l’actif net qui lui a été attribué ou qu’elle conserve, chaque société est solidairement responsable des dettes de la société scindée auxquelles la société à laquelle elles ont été transférées n’a pas satisfait. »
22 Aux termes de l’article 2901 dudit code, qui figure dans une section intitulée « Sur l’action révocatoire » :
« Même lorsqu’il détient une créance conditionnelle ou à terme, le créancier peut demander que les actes de disposition du patrimoine par lesquels le débiteur lui porte préjudice soient déclarés sans effets à son égard lorsque les conditions suivantes sont réunies :
1) le débiteur avait connaissance du préjudice causé au créancier ou, lorsqu’il s’agit d’un acte antérieur à la naissance de la créance, il l’a réalisé dans l’intention d’empêcher que la créance puisse être satisfaite ;
2) en outre, lorsqu’il s’agit d’un acte à titre onéreux, le tiers avait connaissance du préjudice et, lorsqu’il s’agit d’un acte antérieur à la naissance de la créance, il est complice de l’acte réalisé dans l’intention de nuire au créancier.
[...] »
23 Il résulte de l’article 2902, premier alinéa, du code civil que le créancier qui a obtenu que l’acte de disposition du débiteur ayant porté atteinte à la garantie sur le patrimoine de ce dernier soit déclaré sans effets, peut former contre les tiers acquéreurs les actions exécutoires ou conservatoires sur les biens qui font l’objet de l’acte attaqué.
24 Enfin, il ressort de l’article 2903 de ce code que l’action révocatoire est soumise à un délai de prescription quinquennal qui court à compter de l’accomplissement de l’acte.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
25 Par acte notarié du 16 septembre 2009, Costruzioni Ing. G. Iandolo Srl a, dans le cadre d’une scission, transféré une partie de son patrimoine à I.G.I., constituée à cette fin par le même acte notarié.
26 Estimant que cette scission avait fait perdre à Costruzioni Ing. G. Iandolo une grande partie de son patrimoine et qu’elle n’était désormais propriétaire que de parcelles de terrain de faible valeur, Mme Cicenia ainsi que MM. Di Pierro, de Vito et Raffaele ont introduit un recours, devant le Tribunale di Avellino (tribunal d’Avellino, Italie), contre I.G.I. et Costruzioni Ing. G. Iandolo, dans lequel ils ont déclaré être créanciers de cette dernière. À titre principal, ils ont intenté une action
révocatoire, dite « action paulienne », en vertu de l’article 2901 du code civil, demandant que l’acte de scission en cause soit déclaré sans effets à leur égard. À titre subsidiaire, ils ont demandé que Costruzioni Ing. G. Iandolo et I.G.I. soient déclarées solidairement responsables des dettes de Costruzioni Ing. G. Iandolo, en vertu de l’article 2506 quater du code civil.
27 Par jugement du 11 décembre 2015, le Tribunale di Avellino (tribunal d’Avellino) a fait droit à la demande principale des créanciers et a déclaré l’acte de transfert de biens figurant dans l’acte de scission en cause sans effets à leur égard « pour ce qui concerne les biens visés par l’acte révoqué que détient encore I.G.I. ».
28 I.G.I. et Costruzioni Ing. G. Iandolo ont interjeté appel de ce jugement devant la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples, Italie) en faisant valoir que l’action paulienne intentée par les créanciers concernés est irrecevable au motif que l’opposition visée à l’article 2503 du code civil est la seule voie de recours que peuvent exercer les créanciers de sociétés participant à une scission et que, lorsqu’aucune opposition n’est formée, les effets de la scission deviennent définitifs à
l’égard de ces créanciers. Ces sociétés soutiennent, en outre, que l’article 2504 quater du code civil s’oppose à ce qu’une scission soit déclarée invalide après que les formalités de publication ont été effectuées.
29 La juridiction de renvoi indique que les articles 2503, 2504 quater, 2506 ter et l’article 2506 quater, dernier alinéa, du code civil transposent, en droit national, les articles 12 et 19 de la sixième directive.
30 Plus précisément, la juridiction de renvoi relève que, afin de mettre en œuvre l’article 12 de la sixième directive, qui porte sur la protection des intérêts des créanciers des sociétés participant à la scission pour les créances nées antérieurement à la publication du projet de scission, le législateur italien a prévu que les créanciers, dont les droits sont antérieurs à la scission, peuvent faire opposition à la scission dans un bref délai. Il a également prévu que chaque société est tenue
solidairement responsable, dans les limites de l’actif net qui lui a été attribué ou qu’elle a conservé, des dettes de la société scindée que la société à laquelle l’obligation a été transférée n’a pas satisfaites. Enfin, il a prévu, dans le cas où l’acte de scission ne peut plus être déclaré invalide, un droit à réparation du préjudice éventuellement subi par les associés ou par des tiers lésés par la scission.
31 La juridiction de renvoi relève également que, afin de mettre en œuvre l’article 19 de la sixième directive, qui prévoit le régime des nullités d’une scission, le législateur italien a prévu que l’acte de scission ne peut plus être invalidé lorsqu’il a été enregistré au registre des entreprises.
32 La juridiction de renvoi souligne également que, en ce qui concerne la question de savoir si l’action paulienne intentée par des créanciers d’une société scindée est recevable, il existe deux courants de jurisprudence opposés qui ont été développés par les juridictions du fond.
33 Selon un premier courant de jurisprudence, une telle action est recevable au motif que, bien que tant l’opposition prévue à l’article 2503 du code civil que l’action révocatoire prévue à l’article 2901 de ce code aient pour objet la préservation de la garantie des créanciers sur le patrimoine du débiteur, ces actions ne sont pas comparables. Ainsi, elles diffèrent par les personnes qui peuvent s’en prévaloir, par le moment où elles peuvent être formées, par les délais dans lesquelles elles
doivent être exercées, par le fait que l’action révocatoire vise à sanctionner un comportement frauduleux, et, enfin, par leurs effets.
34 Selon le second courant de jurisprudence, une action révocatoire des créanciers de la société scindée doit être exclue au vu de l’objectif de la sixième directive visant à assurer que les effets de la scission deviennent définitifs et irrévocables à l’égard des créanciers, dans un délai court, afin de sauvegarder les intérêts des nombreuses parties intéressées, concernées par la scission, autres que les créanciers de la société scindée.
35 À cet égard, la juridiction de renvoi observe que la préservation de la sécurité juridique des effets de la scission et des intérêts des parties intéressées à la scission, qui est un des objectifs de la sixième directive, ne peut être assurée que si l’absence d’exercice des actions prévues à l’article 12 de la sixième directive a pour effet d’exclure la possibilité pour les créanciers d’exercer ultérieurement d’autres actions afin de protéger leur garantie sur le patrimoine du débiteur. Ainsi, la
notion de « nullité » visée à l’article 19 de la sixième directive devrait englober toutes les actions entraînant l’inefficacité de la scission, tant absolue que relative, et, dans ce dernier cas, indépendamment de la validité de la scission.
36 La juridiction de renvoi souligne, néanmoins, que l’article 12 de la sixième directive n’exclut pas l’exercice de toute action ultérieure tendant à protéger la garantie des créanciers sur le patrimoine du débiteur et qu’il existe un certain nombre de différences, en droit national, entre l’action en nullité et l’action paulienne.
37 Dans ces conditions, la Corte d’appello di Napoli (cour d’appel de Naples) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les créanciers de la société scindée, dont les droits sont antérieurs à la scission et qui ne se sont pas prévalus de la possibilité de faire opposition au titre de l’article 2503 du code civil (c’est-à-dire de l’instrument de protection instauré dans le cadre de la transposition de l’article 12 de la [sixième directive]) peuvent-ils intenter une action révocatoire (ou paulienne) au titre de l’article 2901 du code civil lorsque la scission a été réalisée, afin de faire déclarer que cette
scission ne produit pas d’effets à leur égard et dès lors, dans le cadre de l’exécution forcée, d’obtenir une position préférentielle par rapport aux créanciers de la société bénéficiaire ou des sociétés bénéficiaires et de prendre rang avant les associés de ces dernières ?
2) La notion de “nullité” visée à l’article 19 de la [sixième directive] fait-elle référence uniquement aux recours portant sur la validité de l’acte de scission ou renvoie-t-elle également aux recours qui, sans porter sur sa validité, demandent l’“inefficacité” relative ou l’inopposabilité de la scission ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la directive applicable
38 Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi se réfère tant à la sixième directive qu’à la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46), qui a abrogé la sixième directive à compter de son entrée en vigueur le 20 juillet 2017. Étant donné que les faits au principal sont tous antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la directive 2017/1132, la sixième directive
s’applique.
Sur la compétence de la Cour
39 La Commission a émis des doutes sur la compétence de la Cour pour statuer sur la présente demande préjudicielle, au motif que le litige au principal ne relèverait pas du champ d’application de la sixième directive, seulement une partie du patrimoine de Costruzioni Ing. G. Iandolo ayant été transférée à I.G.I.
40 En effet, selon la Commission, il ressort de l’article 21, paragraphe 1, de la sixième directive, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, que celle-ci ne s’applique aux scissions par constitution de nouvelles sociétés qu’en cas de transfert de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société scindée.
41 D’une part, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, il ressort de l’intitulé de la sixième directive que celle-ci concerne les scissions des sociétés anonymes. Il résulte également de l’article 1er de cette directive, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, de la troisième directive, que la sixième directive s’applique, pour la République italienne, aux « società per azioni » (sociétés anonymes). Or, Costruzioni Ing. G. Iandolo et I.G.I. sont non pas
des sociétés anonymes, mais des sociétés à responsabilité limitée.
42 D’autre part, en vertu de l’article 21 de la sixième directive, est considérée comme scission par constitution de nouvelles sociétés l’opération par laquelle, par suite de dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés nouvellement constituées l’ensemble de son patrimoine. Cependant, Costruzioni Ing. G. Iandolo a transféré non pas l’ensemble de son patrimoine à plusieurs sociétés, mais seulement une partie de son patrimoine à une société, I.G.I.
43 Par conséquent, l’opération de scission en cause au principal ne relève pas directement du champ d’application de la sixième directive.
44 Conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des traités ainsi que des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée par cet article, il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la
pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
45 En application de cette jurisprudence, la Cour s’est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur les demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application directe du droit de l’Union, mais dans lesquelles lesdites dispositions avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci. Dans ces cas,
même si les faits au principal ne relevaient pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 37, du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C‑28/95, EU:C:1997:369, points 27 et 32, et du
15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 53).
46 En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues par le droit de l’Union, afin, par exemple, d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence, ou encore d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt de l’Union certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les
dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer. Ainsi, une interprétation, par la Cour, des dispositions du droit de l’Union dans des situations purement internes se justifie au motif que celles-ci ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations
régies par le droit de l’Union (arrêts du 21 décembre 2011, Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, points 18 et 19, et du 21 novembre 2019, Deutsche Post e.a., C‑203/18 et C‑374/18, EU:C:2019:999, point 37).
47 Lorsque la Cour est saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation ne relevant pas directement du champ d’application du droit de l’Union, elle ne saurait, sans indication de la juridiction de renvoi autre que le fait que la réglementation nationale en cause est indistinctement applicable aux situations régies par les disposition du droit de l’Union en cause et aux situations purement internes, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les
dispositions de ce droit lui est nécessaire à la solution du litige pendant devant elle (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 54).
48 Les éléments concrets permettant d’établir que les dispositions du droit de l’Union ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union, doivent ressortir de la décision de renvoi (arrêt du 20 septembre 2018, Fremoluc, C‑343/17, EU:C:2018:754, point 21).
49 À cette fin, il incombe à la juridiction de renvoi d’indiquer, conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige. Ces exigences sont, par ailleurs, reflétées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à
l’attention des juridictions nationales, relative à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).
50 En l’occurrence, la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par l’article 267 TFUE, a précisé que les articles 2503, 2504 quater, 2506 ter, et l’article 2506 quater, dernier alinéa, du code civil, dont l’application au cas d’espèce est demandée par les parties au principal, transposent, en droit national, les articles 12 et 19 de la sixième directive. Cela ressort, en effet, ainsi que le relève la
Commission, du decreto legislativo n. 22 – Attuazione delle direttive n. 78/855/CEE e n. 82/891/CEE in materia di fusioni e scissioni societarie, ai sensi dell’art. 2, comma 1, della legge 26 marzo 1990, n. 69 (décret législatif no 22, portant mise en œuvre des directives 78/855/CEE et 82/891/CE sur les fusions et scissions, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la loi no 69, du 26 mars 1990), du 16 janvier 1991 (GURI no 19, du 23 janvier 1991).
51 Il ressort également de la décision de renvoi que ces articles du code civil, qui transposent, en droit national, les articles 12 et 19 de la sixième directive, s’appliquent, en vertu de l’article 2506 du code civil, tant aux opérations de scission par lesquelles une société attribue une partie seulement de son patrimoine à une ou à plusieurs sociétés, qu’aux opérations de scission par lesquelles une société attribue l’ensemble de son patrimoine à plusieurs sociétés, et cela tant pour les
sociétés anonymes que pour les sociétés à responsabilité limitée.
52 En transposant la sixième directive de cette manière, le législateur italien a donc décidé d’appliquer les articles 12 et 19 de la sixième directive de manière directe et inconditionnelle également aux opérations de scission des sociétés à responsabilité limitée par lesquelles une société attribue une partie seulement de son patrimoine à une autre société.
53 En outre, il convient de relever que l’article 25 de la sixième directive, invoqué par la Commission dans ses observations écrites, n’interdit pas au législateur national d’appliquer le régime des scissions prévu par la sixième directive à des opérations de scission des sociétés à responsabilité limitée par lesquelles une société attribue une partie seulement de son patrimoine à une autre société, ainsi que la Commission l’a reconnu lors de l’audience.
54 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce que soutient la Commission, la Cour est compétente pour répondre aux questions déférées par la juridiction de renvoi.
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
55 I.G.I. soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif qu’elle ne contient pas la description du cadre factuel et réglementaire des questions déférées à la Cour, contrairement à ce qu’exige l’article 94 du règlement de procédure. En outre, I.G.I. et Costruzioni Ing. G. Iandolo font valoir que les questions posées sont dénuées de pertinence étant donné que les créances, que les défendeurs au principal ont cherché à protéger en introduisant une action paulienne, ont
toutes été éteintes. Lors de l’audience, la Commission a également relevé que, si ces créances ont effectivement été éteintes, la demande de décision préjudicielle est dépourvue d’objet et doit être déclarée irrecevable.
56 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que
l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 10 juillet 2019, Federal Express Corporation Deutsche Niederlassung, C‑26/18, EU:C:2019:579, point 32 et jurisprudence citée).
57 Il résulte également d’une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit en outre indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur
l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, point 29 et jurisprudence citée).
58 Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi décrit de manière suffisante le cadre juridique et factuel de l’affaire au principal et explique clairement que les questions déférées à la Cour sont nécessaires pour trancher la question de la compatibilité de l’action paulienne, introduite devant elle, avec le droit de l’Union.
59 En outre, au regard des indications fournies par la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi par l’article 267 TFUE, il ne saurait être considéré que les questions déférées à la Cour ne présentent pas de rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou qu’elles portent sur un problème de nature hypothétique.
60 Partant, la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur la première question
61 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12 de la sixième directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, après la réalisation d’une scission, les créanciers de la société scindée, dont les droits sont antérieurs à cette scission et qui n’ont pas fait usage des instruments de protection des créanciers prévus par la réglementation nationale en application de cet article, puissent intenter une action paulienne afin de faire déclarer
que ladite scission ne produit pas d’effets à leur égard et de former des actions exécutoires ou conservatoires sur les biens transférés à la société bénéficiaire.
62 À titre liminaire, il convient de relever que, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la sixième directive, les articles 12 et 19 de cette directive sont applicables aux scissions par constitution de nouvelles sociétés, au sens de l’article 21, paragraphe 1, de la sixième directive. Il ressort dudit article 22, paragraphe 1, que, pour cette application, l’expression « sociétés participant à la scission » désigne la société scindée et l’expression « société bénéficiaire » désigne chacune des
nouvelles sociétés.
63 En vertu de l’article 12, paragraphe 1, de la sixième directive, les États membres doivent prévoir un système de protection adéquat des intérêts des créanciers de la société scindée, pour les créances nées antérieurement à la publication du projet de scission et non encore échues à la date de cette publication.
64 L’article 12, paragraphe 2, de la sixième directive prévoit que, aux fins du paragraphe 1 de cet article, les États membres doivent prévoir, au moins, que ces créanciers aient le droit d’obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière de la société scindée ainsi que celle de la société à laquelle l’obligation sera transférée conformément au projet de scission rend cette protection nécessaire et que lesdits créanciers ne disposent pas déjà de telles garanties.
65 En outre, il ressort de l’article 12, paragraphes 3 et 6, de la sixième directive, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, que les États membres peuvent prévoir une responsabilité solidaire des sociétés nouvellement constituées pour les obligations de la société scindée.
66 Certes, parmi les instruments de protection des créanciers de la société scindée, prévus à l’article 12 de la sixième directive, ne figurent pas les actions pauliennes.
67 Cependant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, aux points 59 et 60 de ses conclusions, l’emploi de l’expression « au moins », à l’article 12, paragraphe 2, de la sixième directive, indique que cet article prévoit un système minimal de protection des intérêts des créanciers de la société scindée, pour les créances nées antérieurement à la publication du projet de scission et non encore échues à la date de cette publication. Partant, ledit paragraphe n’empêche pas les États membres de prévoir
des instruments de protection des intérêts de ces créanciers supplémentaires, en ce qui concerne ces créances.
68 En outre, il ne ressort pas de l’article 12 de la sixième directive que l’absence de recours à l’un des instruments de protection des créanciers de la société scindée, prévus par la réglementation nationale en application de cet article, empêche ceux-ci de faire usage d’instruments de protection autres que ceux énumérés audit article.
69 Dans ces conditions, il convient de considérer, à la lumière de l’objectif énoncé au huitième considérant de cette directive de protéger les créanciers, obligataires ou non, et les porteurs d’autres titres des sociétés participant à la scission du préjudice qui peut résulter de la réalisation de la scission, que l’article 12 de la sixième directive n’exclut pas la possibilité, pour les créanciers d’une société scindée, d’introduire une action paulienne, telle que celle en cause au principal,
lorsque la situation financière de la société scindée ainsi que celle de la société à laquelle l’obligation sera transférée conformément au projet de scission rend cette protection nécessaire. Toutefois, les effets d’une telle action ne doivent pas être contraires à l’objectif de cette disposition.
70 Dans ce contexte, il y a lieu de relever qu’il ressort du libellé même de la première question qu’une action paulienne, telle que celle prévue à l’article 2901 du code civil, intentée par des créanciers de la société scindée, peut leur permettre d’obtenir, dans le cadre de l’exécution forcée, une position préférentielle par rapport aux créanciers de la société bénéficiaire ou des sociétés bénéficiaires et de prendre rang avant les associés de ces dernières. Étant donné que l’opération de scission
en cause au principal est une opération de scission par constitution d’une nouvelle société, l’expression « la société bénéficiaire ou des sociétés bénéficiaires », utilisée par la juridiction de renvoi, doit être comprise comme désignant la société nouvellement constituée ou les sociétés nouvellement constituées.
71 Or, le système de protection minimal des intérêts des créanciers, prévu à l’article 12, paragraphe 1, de la sixième directive, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, concerne les créanciers de la société scindée et non ceux des sociétés nouvellement constituées ou des associés de ces dernières, ces sociétés n’ayant pas existé antérieurement à la scission.
72 En outre, il résulte de l’article 12, paragraphe 4, de la sixième directive, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 3, de cette directive et l’article 13, paragraphe 3, de la troisième directive, que la protection « peut être différente » pour les créanciers des sociétés nouvellement constituées et ceux de la société scindée.
73 L’article 12 de la sixième directive n’exige donc pas que la protection des créanciers des sociétés nouvellement constituées prévue par les États membres soit équivalente à celle des créanciers de la société scindée.
74 Il peut donc être déduit de l’ensemble de ces dispositions que l’harmonisation a minima, opérée par la sixième directive, de la protection des intérêts des créanciers des sociétés participant à la scission, ne s’oppose pas à ce que, dans le contexte d’une scission par constitution d’une nouvelle société comme c’est le cas dans le cadre du litige au principal, la priorité soit accordée à la protection des intérêts des créanciers de la société scindée.
75 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 12 de la sixième directive, lu en combinaison avec les articles 21 et 22 de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, après la réalisation d’une scission, les créanciers de la société scindée, dont les droits sont antérieurs à cette scission et qui n’ont pas fait usage des instruments de protection des créanciers prévus par la réglementation
nationale en application dudit article 12, puissent intenter une action paulienne afin de faire déclarer que ladite scission ne produit pas d’effets à leur égard et de former des actions exécutoires ou conservatoires sur les biens transférés à la société nouvellement constituée.
Sur la seconde question
76 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19 de la sixième directive, qui prévoit le régime des nullités de la scission, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’introduction, après la réalisation d’une scission, par des créanciers de la société scindée, d’une action paulienne qui ne porte pas atteinte à la validité de cette scission, mais permet seulement de rendre celle-ci inopposable à ces créanciers.
77 L’article 19 de la sixième directive prévoit le régime des nullités de la scission. En particulier, cet article limite les cas de nullité, prévoit un délai bref pour invoquer la nullité et établit que, lorsqu’il est possible de remédier à l’irrégularité susceptible d’entraîner la nullité de la scission, un délai est accordé aux sociétés intéressées pour régulariser la situation.
78 La notion de « nullité » n’est pas définie par la sixième directive.
79 En l’absence de définition de cette notion, il y a lieu, selon une jurisprudence constante de la Cour, de déterminer la signification et la portée de celle-ci conformément au sens habituel des termes employés, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêt du 26 juillet 2017, Jafari, C‑646/16, EU:C:2017:586, point 73 et jurisprudence citée).
80 La notion de « nullité », dans son sens habituel, fait référence à des actions qui visent l’annulation d’un acte, entraînent sa disparition et produisent des effets à l’égard de tous.
81 Cette signification de la notion de « nullité » est confirmée par le contexte de cette notion et par les objectifs poursuivis par la sixième directive, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 73 à 75 de ses conclusions.
82 En effet, en ce qui concerne le contexte de ladite notion, il convient de relever que l’article 19, paragraphe 1, sous b), de la sixième directive prévoit que la nullité d’une scission qui a pris effet ne peut être prononcée que dans trois cas, à savoir pour défaut de contrôle préventif judiciaire ou administratif de légalité, pour défaut d’acte authentique ou bien s’il est établi que la décision de l’assemblée générale, qui a approuvé le projet de scission, est nulle ou annulable en vertu du
droit national.
83 Or, ces trois cas de nullité ont trait à la formation de la scission et affectent l’existence même de celle-ci. Il s’agit donc de cas qui entraînent la disparition de la scission.
84 En ce qui concerne les objectifs poursuivis par la sixième directive, il ressort du onzième considérant de la sixième directive que le législateur de l’Union a estimé qu’il y avait lieu de limiter les cas de nullité et d’établir, d’une part, le principe de la régularisation chaque fois qu’elle est possible et, d’autre part, un délai bref pour invoquer la nullité afin d’assurer la sécurité juridique dans les rapports tant entre les sociétés participant à la scission qu’entre celles-ci et les tiers
ainsi qu’entre les actionnaires. Cet objectif de la sixième directive, qui a été mis en œuvre à l’article 19 de celle-ci, confirme que la nullité d’une scission produit des effets à l’égard de tous.
85 Or, ainsi que le note M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, si l’action en nullité vise à sanctionner le non-respect des conditions de formation de l’acte de scission, une action paulienne telle que celle en cause au principal a seulement pour objet la protection des créanciers aux droits desquels la scission a porté préjudice.
86 En effet, il ressort de la décision de renvoi que l’action paulienne intentée par les défendeurs au principal, sur le fondement de l’article 2901 du code civil, permet seulement de rendre inopposable à leur égard la scission concernée et, en particulier, le transfert de certains biens visés dans l’acte de scission. Cette action n’affecte pas la validité de cette scission, n’entraîne pas sa disparition et n’a pas d’effets à l’égard de tous.
87 Partant, ladite action ne relève pas de la notion de « nullité » visée à l’article 19 de la sixième directive.
88 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 19 de la sixième directive, lu en combinaison avec les articles 21 et 22 de cette directive, qui prévoit le régime des nullités de la scission, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’introduction, après la réalisation d’une scission, par des créanciers de la société scindée, d’une action paulienne qui ne porte pas atteinte à la validité de cette scission, mais
permet seulement de rendre celle-ci inopposable à ces créanciers.
Sur les dépens
89 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L’article 12 de la sixième directive 82/891/CEE du Conseil, du 17 décembre 1982, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 point g) du traité et concernant les scissions des sociétés anonymes, telle que modifiée par la directive 2007/63/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007, lu en combinaison avec les articles 21 et 22 de ladite directive 82/891, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, après la réalisation d’une scission, les créanciers de la société
scindée, dont les droits sont antérieurs à cette scission et qui n’ont pas fait usage des instruments de protection des créanciers prévus par la réglementation nationale en application dudit article 12, puissent intenter une action paulienne afin de faire déclarer que ladite scission ne produit pas d’effets à leur égard et de former des actions exécutoires ou conservatoires sur les biens transférés à la société nouvellement constituée.
2) L’article 19 de la directive 82/891, telle que modifiée par la directive 2007/63, lu en combinaison avec les articles 21 et 22 de ladite directive 82/891, qui prévoit le régime des nullités de la scission, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’introduction, après la réalisation d’une scission, par des créanciers de la société scindée, d’une action paulienne qui ne porte pas atteinte à la validité de cette scission, mais permet seulement de rendre celle-ci inopposable à ces
créanciers.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.