CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 30 janvier 2020 ( 1 )
Affaire C‑452/18
XZ
contre
Ibercaja Banco SA
[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 3 de Teruel (tribunal de première instance et d’instruction no 3 de Teruel, Espagne)]
« Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Contrat de crédit hypothécaire – Clause de limitation de la variabilité du taux d’intérêt (clause “plancher”) – Défaut de transparence – Caractère abusif – Conclusion par les parties d’un accord emportant novation de la clause “plancher”, confirmation de la validité du contrat de crédit hypothécaire et renonciation mutuelle à le contester en justice – Compatibilité avec la
directive 93/13 – Conditions »
I. Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle a été introduite par le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 3 de Teruel (tribunal de première instance et d’instruction no 3 de Teruel, Espagne) dans le cadre d’un litige opposant XZ à Ibercaja Banco SA (ci-après « Ibercaja »). En substance, les parties au principal étaient liées par un contrat de crédit hypothécaire à taux d’intérêt variable. Ce contrat stipulait une clause « plancher » limitant la variabilité dudit taux. Un arrêt du
Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a mis en cause la compatibilité de pareille clause avec la réglementation espagnole transposant la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 2 ). Dans ce contexte, XZ et Ibercaja ont conclu un accord, dont elles disputent la qualification juridique, emportant novation de la clause en question, confirmation de la validité dudit contrat de crédit et renonciation mutuelle à le contester en justice.
2. Par ses questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la compatibilité d’un tel accord avec la directive 93/13. Celles-ci offrent l’occasion à la Cour de juger, de manière inédite, si, et le cas échéant dans quelles conditions, un consommateur peut renoncer contractuellement à se prévaloir du caractère abusif, au sens de cette directive, d’une clause donnée. De cette question dépend, en particulier, l’étendue de l’autonomie dont disposent un consommateur et un professionnel pour
confirmer ou nover une clause contractuelle potentiellement abusive, ou encore conclure des accords amiables, en particulier des transactions, afin de régler extrajudiciairement leurs différends en la matière.
3. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai que la directive 93/13 n’interdit pas, en principe, à un consommateur et à un professionnel de conclure un accord emportant renonciation du consommateur à se prévaloir du caractère abusif d’une clause préexistante. Néanmoins, un tel accord doit respecter les exigences posées par cette directive et, en particulier, l’impératif de transparence prévu dans celle-ci. Ainsi, je proposerai à la Cour d’adopter une approche permettant, notamment, de
sauvegarder la validité des « vraies » transactions amiables conclues en toute connaissance de cause par les consommateurs, tout en condamnant celles, imposées par les professionnels, n’en présentant que l’apparence.
II. Le cadre juridique
A. La directive 93/13
4. L’article 3 de la directive 93/13 dispose :
« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.
Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe.
3. L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives. »
5. L’article 4 de cette directive prévoit :
« 1. Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
2. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
6. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
7. L’annexe de la même directive, intitulée « Clauses visées à l’article 3 paragraphe 3 », mentionne, à son point 1, sous q), les clauses ayant pour objet ou pour effet « de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à
celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat ».
B. Le droit espagnol
8. La directive 93/13 a été transposée en droit espagnol, pour l’essentiel, par la Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación (loi 7/1998, relative aux conditions générales des contrats), du 13 avril 1998, laquelle a été refondue, avec d’autres dispositions transposant différentes directives de l’Union en matière de protection des consommateurs, par le Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y
Usuarios y otras leyes complementarias [décret royal législatif 1/2007, portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (ci-après le « décret royal législatif 1/2007 »)], du 16 novembre 2001.
9. L’article 10 du décret royal législatif 1/2007 dispose :
« La renonciation préalable aux droits que la présente réglementation confère aux consommateurs et aux usagers est nulle, tout comme les actes accomplis en fraude à la loi, conformément à l’article 6 du code civil [espagnol] ».
10. L’article 83 du décret royal législatif 1/2007 prévoit, à son paragraphe 1, que « [l]es clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites ».
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
11. Par acte authentique du 23 décembre 2011, XZ a acquis un bien immobilier auprès d’un promoteur. Ce bien était grevé d’une hypothèque, constituée au profit de la Caja de Ahorros de la Inmaculada de Aragón, en garantie du remboursement d’un prêt consenti par cette dernière audit promoteur, conformément à un contrat du 23 juillet 2010 ( 3 ). En acquérant ledit bien, XZ s’est subrogée audit promoteur dans ce contrat.
12. Le contrat de crédit hypothécaire prévoyait qu’un taux d’intérêt variable était appliqué audit prêt. Une clause de ce contrat limitait néanmoins cette variabilité, en indiquant un taux annuel « plafond » de 9,75 % et un taux annuel « plancher » de 3,25 %.
13. Le 4 mars 2014, Ibercaja, ayant succédé à la Caja de Ahorros de la Inmaculada de Aragón dans le prêt en question ( 4 ), a conclu avec XZ un accord intitulé « contrat de novation modifiant le prêt ». Cet accord prévoyait, en particulier, un abaissement à 2,35 % du taux « plancher » applicable à ce prêt, effectif à compter de sa prochaine mensualité et jusqu’à son remboursement complet. Ledit accord stipulait également une clause se lisant comme suit :
« Les parties confirment la validité et l’application du prêt, jugent ses conditions adéquates et, en conséquence, renoncent expressément et mutuellement à exercer toute action à l’encontre de l’autre partie en ce qui concerne le contrat conclu et ses clauses, ainsi que les règlements et paiements effectués à ce jour, dont elles reconnaissent le caractère conforme. »
14. En outre, ce même accord contenait une mention manuscrite, écrite et signée par XZ, suivant un modèle fourni par Ibercaja, par laquelle la première déclarait :
« Je suis consciente et je comprends que le taux d’intérêt de mon prêt ne descendrait jamais en dessous du taux nominal annuel de 2,35 %. »
15. Le 14 janvier 2016, XZ a remboursé la dernière mensualité du prêt.
16. Le 1er février 2017, l’intéressée a introduit un recours devant le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 3 de Teruel (tribunal de première instance et d’instruction no 3 de Teruel) en demandant que soit constatée la nullité, pour caractère abusif, de la clause « plancher » stipulée dans le contrat de crédit hypothécaire et qu’Ibercaja soit condamnée à restituer les sommes versées en application de cette clause.
17. Devant cette juridiction, Ibercaja a contesté que ladite clause soit abusive et s’est opposée à la restitution demandée en excipant, notamment, du « contrat de novation modifiant le prêt » conclu entre elle et XZ. Dans ce contexte, cette dernière a fait valoir que la règle selon laquelle les clauses abusives « ne lient pas les consommateurs », prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, doit s’étendre à un tel contrat, de sorte que celui-ci devrait être, tout comme cette même
clause, considéré comme nul.
18. Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 3 de Teruel (tribunal de première instance et d’instruction no 3 de Teruel) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le principe de l’absence de caractère contraignant des clauses nulles (article 6 de la [directive 93/13]) doit-il également s’étendre aux contrats et actes juridiques postérieurs portant sur de telles clauses, tels que le [“contrat de novation modifiant le prêt”] ?
Étant donné que la nullité absolue implique qu’une telle clause n’ait jamais existé dans la vie juridique et économique du contrat, peut-on conclure que les actes juridiques postérieurs, à savoir le [“contrat de novation modifiant le prêt”], et leurs effets sur une telle clause disparaissent également de la réalité juridique et doivent être réputés non écrits et dépourvus d’effets ?
2) Les documents qui modifient ou comportent des transactions relatives à des clauses non négociées susceptibles de ne pas passer avec succès les contrôles d’absence de caractère abusif et de transparence peuvent-ils constituer des conditions contractuelles générales au sens de l’article 3 de la directive 93/13 et, partant, être soumis aux mêmes causes de nullité que les documents originaux ayant fait l’objet d’une novation ou d’une transaction ?
3) La renonciation aux actions en justice contenue dans le [“contrat de novation modifiant le prêt”] doit-elle également être nulle, dans la mesure où les contrats signés par les clients n’informaient pas ceux-ci de la nullité de la clause ni du montant ou de la somme d’argent qu’ils avaient le droit de percevoir à titre de remboursement des intérêts versés en raison de l’imposition initiale des “clauses plancher” ?
Le client signait ainsi une renonciation à agir en justice sans avoir été informé par la banque de ce à quoi il renonçait [ou] de la somme d’argent à laquelle il renonçait.
4) En analysant le [“contrat de novation modifiant le prêt”] au regard de la jurisprudence de la Cour [...] ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, y a-t-il lieu de considérer que la nouvelle “clause plancher” incluse dans ledit contrat de novation est à nouveau entachée d’un manque de transparence, en ce que la banque ne respecte à nouveau pas les conditions de transparence fixées dans l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 9 mai
2013 et n’informe pas le client du véritable coût économique de cette clause dans son hypothèque, de façon à ce qu’il puisse connaître le taux d’intérêt (et la mensualité en résultant) qu’il devrait payer en cas d’application de la nouvelle “clause plancher” ainsi que le taux d’intérêt (et la mensualité en résultant) qu’il devrait payer si aucune “clause plancher” n’était appliquée et que le taux était le taux d’intérêt convenu dans le prêt hypothécaire sans application d’un plancher ?
En d’autres termes, en imposant le document dénommé “document de novation” relatif aux “clauses plancher”, l’établissement financier aurait-il dû satisfaire aux contrôles de transparence établis à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 et informer le consommateur du montant des sommes dont il a été lésé du fait de l’application des “clauses plancher” ainsi que du taux d’intérêt qui serait applicable si ces clauses n’existaient pas et, dans la mesure
où l’établissement financier ne l’a pas fait, ces documents souffrent-ils également d’une cause de nullité ?
5) Les clauses relatives aux actions en justice figurant dans les conditions générales du [“contrat de novation modifiant le prêt”] peuvent-elles être considérées comme abusives en raison de leur contenu au regard des dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 et de l’annexe de ce texte relative aux clauses abusives, notamment [au point 1, sous] q) [...], dans la mesure où elles limitent le droit des consommateurs d’exercer des droits qui peuvent naître ou se
révéler après la signature du contrat, comme cela a été le cas avec la possibilité de réclamer le remboursement intégral des intérêts payés (conformément à [l’arrêt Gutiérrez Naranjo e.a. ( 5 )]) ? »
19. La décision de renvoi, datée du 26 juin 2018, est parvenue au greffe de la Cour le 11 juillet 2018. Des observations écrites ont été déposées par Ibercaja, le gouvernement espagnol ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties et intéressés, ainsi que XZ, ont été représentés lors de l’audience de plaidoirie qui s’est tenue le 11 septembre 2019.
IV. Analyse
20. La présente affaire a pour toile de fond la problématique des clauses « plancher » utilisées dans les contrats de crédit ( 6 ). Je rappelle brièvement que la pratique suivie, en particulier, par les banques espagnoles aux abords et pendant la crise financière qui a secoué l’économie mondiale entre les années 2007 et 2012 était de proposer des prêts hypothécaires à taux d’intérêt variable comportant une telle clause, destinée à limiter la variabilité de ce taux. Plus précisément, cette clause
implique que, dans l’hypothèse où ledit taux descend en dessous du seuil « plancher » y prévu, l’emprunteur doit payer des intérêts correspondant à ce seuil ( 7 ). En pratique, les clauses « plancher » ont ainsi eu pour conséquence d’empêcher les consommateurs espagnols de bénéficier de la chute des taux d’intérêts survenue au cours de cette crise financière, tout en protégeant les établissements de crédit des effets négatifs que cette chute aurait dû avoir sur leurs marges ( 8 ).
21. Cela étant, l’utilisation de clauses « plancher » n’est pas restée sans conséquences pour les banques espagnoles. Dans un arrêt du 9 mai 2013 ( 9 ), le Tribunal Supremo (Cour suprême) a constaté le caractère abusif, pour défaut de transparence, et, en conséquence, a prononcé la nullité des clauses « plancher » figurant dans les conditions générales appliquées par trois d’entre elles. Néanmoins, cette juridiction a limité dans le temps les effets de son arrêt, lequel ne devait notamment pas
concerner les sommes versées par les consommateurs en application de ces clauses avant la date de sa publication ( 10 ). Bien que les parties au principal soient en désaccord sur l’étendue de la publicité reçue par cet arrêt lors de son prononcé, il me semble possible d’affirmer sans risque que celui-ci a, pour le moins, généré des doutes sérieux quant au point de savoir si les clauses « plancher » utilisées par d’autres banques étaient entachées du même défaut de transparence.
22. Dans ce contexte, au cours du mois de juillet 2013, Ibercaja a adopté une politique interne consistant à conclure, avec certains, voire l’ensemble, de ses clients ayant un prêt hypothécaire contenant une clause « plancher » ( 11 ), un accord intitulé « contrat de novation modifiant le prêt ». Cet accord prévoyait, en particulier, un abaissement du seuil « plancher » applicable au prêt du client concerné, effectif à compter de la prochaine mensualité et jusqu’à la fin de ce prêt ainsi qu’une
renonciation expresse et mutuelle à contester en justice les clauses dudit prêt. Le 4 mars 2014, Ibercaja a conclu un tel accord avec XZ.
23. Le 21 décembre 2016, la Cour, saisie par plusieurs juridictions espagnoles de la question des conséquences qu’elles devaient tirer du constat du caractère abusif d’une clause « plancher », a prononcé l’arrêt Gutiérrez Naranjo. Dans cet arrêt, la Cour a jugé, en substance, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 impose au juge national, lorsqu’il constate le caractère abusif d’une telle clause, en principe, d’écarter son application et d’ordonner que soient restituées au consommateur
les sommes versées en application de celle-ci ( 12 ). La Cour a précisé, en outre, que cette disposition s’oppose à ce que ce droit à restitution soit limité dans le temps, comme l’avait fait le Tribunal Supremo (Cour suprême) dans son arrêt du 9 mai 2013 ( 13 ).
24. Ayant vraisemblablement eu vent de cet arrêt de la Cour, XZ a saisi, le 1er février 2017, la juridiction de renvoi en demandant que soit constatée la nullité, pour caractère abusif, de la clause « plancher » stipulée dans son contrat de crédit hypothécaire et qu’Ibercaja soit condamnée à lui restituer les sommes versées en application de cette clause ( 14 ).
25. La question centrale soulevée devant cette juridiction est celle des conséquences juridiques que le « contrat de novation modifiant le prêt », conclu par XZ et Ibercaja le 4 mars 2014, peut avoir sur ces demandes.
26. La banque soutient, en effet, que cet accord s’oppose à ce que XZ invoque en justice le caractère abusif de la clause « plancher » initialement stipulée dans le contrat de crédit hypothécaire. Son argumentation à cet égard fait écho à un arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême), du 11 avril 2018 ( 15 ), dans lequel celui-ci s’est prononcé sur des accords identiques conclus entre Ibercaja et deux autres de ses clients. Cette juridiction a estimé, en substance, que pareil accord constitue une
transaction ( 16 ), conclue par les parties afin de régler extrajudiciairement et définitivement l’incertitude, générée par son arrêt du 9 mai 2013, entourant la validité de la clause « plancher » contenue dans leurs contrats de crédit, et ce en échange de concessions réciproques prenant la forme d’un abaissement du seuil prévu à cette clause. En conséquence, le juge ne pourrait pas examiner la question du caractère abusif de ladite clause, cette transaction ayant force obligatoire entre les
parties. Dans ce cadre, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a jugé que la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce qu’un professionnel et un consommateur transigent pour régler extrajudiciairement leurs différends. En outre, cette juridiction a considéré que les accords en cause étaient transparents pour les consommateurs ( 17 ).
27. XZ soutient, pour sa part, que le « contrat de novation modifiant le prêt » devrait être considéré comme nul et qu’il ne saurait donc empêcher la juridiction de renvoi d’examiner ses demandes. Son argumentation à cet égard reflète, quant à elle, l’opinion dissidente accompagnant l’arrêt du Tribunal Supremo du 11 avril 2018 ( 18 ), évoqué au point précédent. Il y est soutenu, en substance, qu’un tel accord constitue non pas une transaction, mais un contrat de novation ( 19 ) de la clause
« plancher » contenue dans les contrats de crédit hypothécaires des clients concernés, une telle novation n’étant pas valable selon le droit national ( 20 ). En toute hypothèse, d’une part, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’opposerait à ce que les parties modifient ou confirment une clause abusive ou encore à ce que le consommateur renonce au droit de la contester en justice. D’autre part, pareil accord manquerait de transparence dès lors qu’il ne contient pas l’information
permettant aux consommateurs de comprendre les conséquences économiques et juridiques qui découlaient pour eux de sa conclusion. La juridiction de renvoi tend à être du même avis.
28. J’indique d’emblée que, bien qu’il ressorte des deux points précédents que la qualification juridique du « contrat de novation modifiant le prêt » est litigieuse entre les parties au principal, cette question relève, comme le fait valoir la Commission, du seul droit espagnol, de sorte qu’il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi, de la trancher.
29. Il revient à la Cour, en revanche, d’analyser à l’aune de la directive 93/13 l’hypothèse dans laquelle (1) un consommateur et un professionnel sont liés par un contrat, (2) des doutes sérieux sont apparus concernant le caractère potentiellement abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, d’une clause de ce contrat ( 21 ) et (3) les parties ont, par un accord subséquent, nové la clause en question ( 22 ), confirmé la validité du contrat initial et renoncé mutuellement à le
contester en justice. Plus précisément, il s’agit de déterminer, d’abord, comme le demande la juridiction de renvoi dans sa première question, si l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive s’oppose, par principe, à ce qu’un tel accord ait force obligatoire à l’égard du consommateur. J’exposerai, dans un premier volet des présentes conclusions, les raisons pour lesquelles, selon moi, tel n’est pas le cas (section A).
A. Sur la faculté du consommateur de nover une clause potentiellement abusive, d’en confirmer la validité et/ou de renoncer à la contester en justice (première question préjudicielle)
30. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose, je le rappelle, que « les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux ». En vertu de cette disposition, le juge national doit, lorsqu’il constate le caractère abusif d’une clause contractuelle donnée, tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de ce constat afin de s’assurer que le
consommateur ne soit pas lié par cette clause. Ledit juge est, en effet, tenu d’écarter l’application de ladite clause afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur ( 23 ).
31. Dans l’arrêt Gutiérrez Naranjo, la Cour a encore précisé qu’une clause abusive « doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur ». Partant, le constat judiciaire du caractère abusif d’une clause contractuelle « doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de ladite clause ». Lorsque la clause en
question impose au consommateur le paiement de sommes d’argent, l’obligation pour le juge d’en écarter l’application « emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant à l’égard de ces mêmes sommes » ( 24 ).
32. En conséquence, si la juridiction de renvoi devait constater, dans l’affaire au principal, que la clause « plancher » figurant dans le contrat de crédit hypothécaire est abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, elle serait en principe tenue, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, d’écarter cette clause et de condamner Ibercaja à restituer à XZ les sommes versées en application de ladite clause.
33. Cependant, le « contrat de novation modifiant le prêt » ferait, selon l’interprétation du droit espagnol retenue par le Tribunal Supremo (Cour suprême) dans son arrêt du 11 avril 2018, obstacle à ce que la juridiction de renvoi examine la question même du caractère abusif de cette clause « plancher» ( 25 ). Plus précisément, le gouvernement espagnol indique que si XZ ne pourrait plus demander au juge de contrôler la validité de la clause « plancher » initiale figurant dans le contrat de crédit
hypothécaire, elle pourrait, en revanche, contester la validité de la nouvelle clause « plancher » stipulée dans cet accord.
34. Dans ces conditions, la question se pose de savoir si, comme le soutient XZ ( 26 ), l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose, par principe, à ce que consommateur et professionnel concluent un accord emportant novation d’une clause potentiellement abusive, confirmation ( 27 ) de sa validité et/ou renonciation à la contester en justice – ou, plus précisément, si cette disposition s’oppose à ce que cet accord ait force obligatoire à l’égard du consommateur.
35. Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne suis pas de cet avis. En effet, cette question appelle, selon moi, une réponse nuancée.
36. Selon ma compréhension, l’approche de XZ se fonde sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle, compte tenu de la situation d’infériorité dans laquelle se trouve le consommateur à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 constitue une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un
équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers, cette disposition devant, de surcroit, être considérée comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public ( 28 ).
37. J’admets que cette jurisprudence, lue en combinaison avec celle rappelée aux points 30 et 31 des présentes conclusions, fait, dans une certaine mesure, écho au régime de la nullité absolue, existant dans le droit de différents États membres, dont le Royaume d’Espagne ( 29 ). C’est, d’ailleurs, précisément la sanction prévue, en droit espagnol, en cas de constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle ( 30 ). Or, le régime de la nullité absolue ne laisse aucune place à la volonté des
parties au contrat. Celles-ci ne peuvent pas confirmer ou nover une obligation frappée d’une telle nullité. Elles ne peuvent pas non plus transiger sur pareille obligation : le juge constatera d’office sa nullité et l’absence d’effet de ces opérations. Selon XZ, consommateur et professionnel ne pourraient donc pas nover, confirmer ou transiger sur une clause abusive. Un éventuel accord entre les parties ne saurait empêcher le juge d’examiner la question du caractère abusif d’une clause
contractuelle donnée ( 31 ).
38. Toutefois, la jurisprudence de la Cour ne va, en réalité, pas jusque-là. En effet, celle-ci juge de manière constante – et, à mes yeux, ce point est crucial – que le consommateur peut renoncer à se prévaloir du caractère abusif d’une clause contractuelle ( 32 ). Selon la Cour, « la directive 93/13 ne va pas jusqu’à rendre obligatoire le système de protection contre l’utilisation de clauses abusives par les professionnels qu’elle a instauré au bénéfice des consommateurs » ( 33 ) et « le droit à
une protection effective du consommateur englobe la faculté de renoncer à faire valoir ses droits » ( 34 ).
39. Dans l’arrêt Banif Plus Bank ( 35 ), la Cour a ainsi précisé qu’il incombe au juge national « de tenir compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par le consommateur lorsque, conscient du caractère non contraignant d’une clause abusive, ce dernier indique néanmoins qu’il s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question ».
40. Contrairement à la Commission, je ne pense pas que ces considérations soient pertinentes uniquement dans la situation dans laquelle le juge a constaté d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et en a informé le consommateur. Il en ressort, à mes yeux, une logique plus générale, selon laquelle ce dernier peut renoncer à se prévaloir du caractère abusif d’une clause donnée, pour autant que cette renonciation procède, ainsi que la Cour a jugé dans ce dernier arrêt, d’un consentement
libre et éclairé de sa part.
41. Cette logique reflète, à mon sens, l’idée, présente dans la jurisprudence de la Cour, selon laquelle la directive 93/13 tend notamment à éviter que le consommateur prenne des engagements dont il ignore ou ne saisit pas réellement la portée ( 36 ). Lorsque, à l’inverse, le consommateur a conscience des conséquences juridiques résultant pour lui d’une renonciation à la protection que lui offre cette directive, une telle renonciation est compatible avec cette directive.
42. Or, si le consommateur est réputé avoir conscience des conséquences de ses actions lorsqu’il renonce devant le juge, après avoir été informé par ce dernier du caractère abusif d’une clause, à s’en prévaloir, cela ne signifie pas qu’il n’existerait aucune autre situation dans laquelle ce serait possible. En particulier, je ne vois pas d’obstacle s’opposant, par principe, à ce qu’un consommateur exerce sa faculté de renonciation par la voie contractuelle, pour autant, encore une fois, que cette
renonciation procède d’un consentement libre et éclairé. Sur ce dernier point, j’estime que deux hypothèses doivent néanmoins être opposées.
43. Selon moi, d’une part, un consommateur ne peut jamais renoncer d’emblée à la protection qu’il tire de la directive 93/13 lorsqu’il achète un bien ou reçoit un service d’un professionnel. Une clause d’un contrat de vente ou de prestation de services emportant confirmation de sa validité ou renonciation au droit de le contester en justice ne saurait avoir un quelconque effet contraignant à l’égard du consommateur. Différents instruments du droit de l’Union interdisent d’ailleurs expressément une
telle renonciation ( 37 ).
44. En effet, pareille renonciation ne saurait en aucun cas être considérée comme « éclairée ». Tout un chacun ne saisit réellement l’importance de la protection offerte par le droit de la consommation qu’une fois qu’une difficulté survient et qu’il a concrètement besoin de cette protection. C’est en ce sens qu’il faut comprendre, selon moi, l’idée de renonciation préalable : une renonciation est « préalable » lorsqu’elle intervient en amont, au moment de l’établissement de la relation contractuelle
entre le professionnel et le consommateur, et dont ce dernier n’imagine pas, ou n’attache pas suffisamment d’importance au fait, qu’elle pourrait devenir problématique.
45. En revanche, d’autre part, lorsqu’un problème est survenu dans cette relation contractuelle, que, par exemple, des doutes sérieux sont apparus concernant le caractère potentiellement abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’une clause contractuelle donnée, et qu’il existe, le cas échéant, un différend entre les parties sur ce point, le fait que le consommateur renonce à se prévaloir de l’absence d’effet contraignant de cette clause ne doit pas être vu avec la même
sévérité. Dans une telle hypothèse, le consommateur est susceptible de saisir l’importance de la protection que lui offre cette directive et, en conséquence, de comprendre la portée de cette renonciation ( 38 ). En d’autres termes, selon moi, un consommateur a la faculté, dans certaines conditions, de renoncer postérieurement, par la voie contractuelle, aux droits qu’il tire de ladite directive.
46. Il s’ensuit que, à mon sens, dans cette seconde hypothèse, le consommateur a la faculté, par la voie d’un accord avec le professionnel, de nover la clause concernée, de la confirmer ou encore de renoncer à porter devant le juge la question de son caractère abusif, pour autant qu’il le fasse de manière libre et éclairée ( 39 ).
47. Il peut notamment exercer sa faculté de renonciation en concluant, avec le professionnel, une transaction amiable concernant ladite clause, qu’elle soit judiciaire ou extrajudiciaire. Pareille transaction peut d’ailleurs présenter certains avantages pour le consommateur, dont celui d’obtenir un bénéfice immédiat – c’est précisément l’objet des concessions réciproques devant être présentes dans une transaction –, sans avoir à contester en justice cette même clause, à supporter le coût du procès
et à attendre son issue, et ce d’autant plus qu’il n’a pas la certitude, au moment où il conclut cette transaction, que cette issue lui sera favorable ( 40 ).
48. Pour autant, je le répète, qu’il l’ait conclu en toute connaissance de cause, je ne vois pas d’obstacle à ce que pareil accord ait force obligatoire, y compris à l’égard du consommateur. En particulier, une transaction doit pouvoir offrir une sécurité juridique aux parties, ce qui implique qu’elle ne saurait rester sans effet contraignant à l’égard de l’une d’entre elles. En outre, la renonciation aux actions en justice en échange de concessions réciproques est, comme je l’expliquerai par la
suite, « l’objet principal », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, d’une transaction, soit le cœur de l’autonomie contractuelle que cette directive ne vise pas, en principe, à remettre en cause ( 41 ).
49. Ce dernier point est corroboré, à mes yeux, par les dispositions de la directive 2013/11/UE relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation ( 42 ). Conformément à cette directive, consommateur et professionnel peuvent, lorsqu’un différend les oppose concernant un contrat de consommation, recourir à une procédure de règlement extrajudiciaire des litiges (REL). Lorsque, dans ce cadre, ils choisissent de recourir à une procédure visant à régler le différend en proposant une
solution – telle que, par exemple, la médiation – et que cette procédure débouche sur un compromis mutuellement acceptable, ce compromis est, en règle générale, concrétisé par une transaction ( 43 ). Or, le législateur de l’Union n’a pas réservé au consommateur, dans une telle hypothèse, le droit de demander au juge d’examiner ce différend en dépit de la conclusion de cet accord amiable. Au contraire, ledit législateur a reconnu qu’un tel accord a des conséquences juridiques pour le
consommateur ( 44 ). Néanmoins, ladite directive prévoit des garanties visant à assurer que la conclusion d’une telle transaction résulte d’un consentement libre et éclairé de la part de ce dernier ( 45 ). Si cette même directive ne s’applique pas aux accords amiables conclus entre professionnel et consommateur en dehors d’une procédure de REL ( 46 ), la logique qui en découle peut, selon moi, être généralisée.
50. Contrairement à la Commission, je ne considère pas que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne appelle une réponse différente. Selon moi, d’une part, cet article garantit au consommateur une réelle faculté d’exercer en justice les droits qu’il tire de la directive 93/13, en assurant qu’il dispose à cette fin de voies de recours qui ne soient pas soumises à des conditions procédurales de nature à rendre cet exercice excessivement difficile, voire impossible ( 47 ).
Cette disposition ne vise toutefois pas à forcer le consommateur à exercer cette faculté lorsqu’il décide sciemment d’y renoncer. D’autre part, si j’admets que, eu égard à l’importance fondamentale du droit à un recours effectif, un particulier ne saurait céder, d’une manière générale, son droit d’ester en justice, cette hypothèse doit néanmoins être distinguée d’une renonciation ciblée, centrée sur une clause ou un litige donné.
51. Cela étant précisé, la situation d’infériorité dans laquelle se trouve le consommateur à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information ( 48 ) ne doit pas pour autant être perdue de vue. Le risque que la renonciation du consommateur à se prévaloir du caractère abusif d’une clause résulte d’un abus de puissance ( 49 ) du professionnel ne saurait être ignoré. En concluant avec ce dernier un accord emportant pareille renonciation, le
consommateur ne saurait donc renoncer à toute protection juridictionnelle et cette situation d’infériorité doit pouvoir être compensée par une « intervention positive » du juge ( 50 ).
52. À cet égard, j’observe que pareil accord constitue, par définition, un contrat qui, d’une part, est soumis aux règles générales et spéciales du droit des contrats qui lui est applicable et, d’autre part, est susceptible de relever, comme n’importe quel contrat entre un professionnel et un consommateur, de la directive 93/13 ( 51 ). Ce n’est que dans l’hypothèse dans laquelle cet accord est conforme à ces différentes règles qu’il acquiert force obligatoire.
53. En conséquence, ledit accord peut être soumis à un contrôle juridictionnel ( 52 ). Je note d’ailleurs que, si les parties au principal et les autres intéressés s’opposent, en l’occurrence, sur le point de savoir si XZ peut demander au juge de constater le caractère abusif de la clause « plancher » qui figurait initialement dans le contrat de crédit hypothécaire, compte tenu de la conclusion du « contrat de novation modifiant le prêt », nul ne remet en cause le fait que celle-ci puisse contester,
devant ce juge, la validité de ce dernier accord ( 53 ).
54. Or, à mes yeux, c’est dans le cadre de ce contrôle juridictionnel que le juge peut procéder à l’« intervention positive » nécessaire pour protéger le consommateur contre les abus de puissance du professionnel. Le juge doit vérifier, y compris d’office, lorsque pareil accord lui est soumis, si la renonciation du consommateur à se prévaloir du caractère abusif d’une clause donnée procède d’un consentement libre et éclairé de sa part ou, au contraire, d’un tel abus. Cela implique de vérifier,
notamment ( 54 ), si les clauses de cet accord ont été individuellement négociées ou, au contraire, imposées par le professionnel et, dans la seconde hypothèse, si les impératifs de transparence, d’équilibre et de bonne foi découlant de la directive 93/13 ont été respectés.
55. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question en ce sens que lorsqu’un consommateur et un professionnel sont liés par un contrat, que des doutes sérieux sont apparus concernant le caractère potentiellement abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, d’une clause de ce contrat et que les parties ont, par un accord subséquent, modifié la clause en question, confirmé la validité du contrat initial et renoncé
mutuellement à contester ses clauses en justice, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive ne s’oppose pas à ce que cet accord ait force obligatoire à l’égard du consommateur, pour autant que ledit accord procède d’un consentement libre et éclairé de la part de ce dernier.
56. Compte tenu de cette proposition de réponse, j’exposerai, dans un second volet des présentes conclusions, les conditions que doit remplir un accord tel que celui visé au point précédent pour être compatible avec la directive 93/13. À ce titre, conformément à ce que j’ai indiqué au point 54 des présentes conclusions, je reviendrai d’abord sur la notion de « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive,
notion qui fait l’objet de la deuxième question préjudicielle (section B). J’examinerai ensuite les exigences de transparence, d’équilibre et de bonne foi résultant de ladite directive, évoquées dans les troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles (section C).
B. Sur la notion de « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle » (deuxième question préjudicielle)
57. Selon ma compréhension, la juridiction de renvoi cherche, par sa deuxième question, à obtenir des précisions sur la notion de « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle » figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, et ce afin de pouvoir contrôler les clauses du « contrat de novation modifiant le prêt » au regard des exigences de transparence, d’équilibre et de bonne foi résultant de cette directive. Je rappelle que, conformément audit
article 3, paragraphe 1, ladite directive s’applique uniquement aux clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une telle négociation. Cette disposition pose, ainsi, une condition préalable à ce contrôle. Or, quelques précisions à son sujet me semblent en effet bienvenues ( 55 ).
58. La directive 93/13 ne définit pas la notion de « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle ». L’article 3, paragraphe 2, de cette directive précise néanmoins, à son premier alinéa, qu’une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été « rédigée préalablement » et que le consommateur « n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu », notamment dans le cadre d’un « contrat d’adhésion ».
59. Plusieurs enseignements peuvent, selon moi, être déduits de cette disposition. Tout d’abord, une clause est « négociée individuellement », en accord avec le sens usuel de ces termes, lorsqu’elle a été spécifiquement discutée entre les parties. Ensuite, tel n’est pas le cas, notamment, lorsque la clause en question est rédigée par le professionnel « préalablement » à toute discussion sur le sujet dont elle traite. Enfin, comme le fait valoir la Commission, le critère décisif est de savoir si le
consommateur a eu ou non la possibilité d’influencer le contenu de cette clause ( 56 ).
60. Il s’en déduit encore que les clauses dont le contenu ne peut pas être influencé par les consommateurs incluent, en particulier, celles figurant dans les contrats dits « d’adhésion », c’est-à-dire les contrats qu’ils peuvent seulement accepter ou refuser dans leur ensemble, de sorte que leur marge de manœuvre se limite à contracter ou ne pas contracter avec le professionnel. La notion de « contrat d’adhésion » est, par ailleurs, intimement liée à celle de « conditions générales », à savoir les
clauses standards pré-rédigées qu’un professionnel utilise de manière systématique dans ses relations d’affaires avec les consommateurs afin de rationaliser ses coûts.
61. Si les conditions générales et les contrats d’adhésion constituent ainsi le « cœur de cible » de la directive 93/13, je souligne néanmoins que celle-ci s’applique à l’ensemble des clauses non négociées. Simplement, en cas de clause standard pré-rédigée, l’article 3, paragraphe 2, de cette directive pose une présomption d’absence de négociation, susceptible d’être renversée par la preuve contraire, preuve dont la charge repose sur le professionnel ( 57 ). Dans le cas inverse, cette présomption ne
s’applique pas et il revient, en conséquence, au consommateur d’établir l’absence de négociation.
62. Dans l’affaire au principal, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer si les clauses du « contrat de novation modifiant le prêt » ont fait ou non l’objet d’une négociation individuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 ( 58 ). Le point de départ de son analyse devra être de vérifier s’il s’agit de clauses standards pré-rédigées – ce qui semble être le cas ( 59 ). Si tel est effectivement le cas, l’absence de pareille négociation sera présumée,
conformément à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, et il reviendra à Ibercaja d’apporter la preuve contraire.
63. Sur ce dernier point, je précise que déterminer si une négociation a eu lieu implique de s’attacher, comme le soutient à juste titre la Commission, aux circonstances entourant la conclusion du contrat. Le consommateur a eu la possibilité d’influencer le contenu d’une clause donnée lorsque cette conclusion a été précédée de discussions entre les parties lui offrant une réelle opportunité de le faire. Le professionnel doit donc apporter des éléments démontrant non seulement l’existence de
pareilles discussions, mais également que le consommateur a eu, au cours de celles-ci, un rôle actif dans l’établissement du contenu de la clause ( 60 ).
64. En l’occurrence, je note qu’Ibercaja se borne, pour l’essentiel, à soutenir que, selon les informations contenues dans le document interne définissant la politique qu’elle avait adoptée s’agissant de la renégociation des clauses « plancher » contenues dans les contrats de crédit de ses clients ( 61 ), le seuil le plus bas que ses employés pouvaient leur proposer dans ce cadre était de 2,75 %. Le fait que le« contrat de novation modifiant le prêt » conclu avec XZ comporte un seuil « plancher » de
2,35 % démontrerait donc qu’il y a eu négociation entre les parties. Il reviendra à la juridiction de renvoi de déterminer la valeur probante de ces informations – lesquelles suffisent difficilement, selon moi, à établir les éléments évoqués au point précédent ( 62 ).
65. Compte tenu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la deuxième question en ce sens qu’une clause contractuelle n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, lorsque le consommateur n’a pas eu une possibilité réelle d’influencer son contenu. Ce point s’apprécie au regard des circonstances entourant la conclusion du contrat et, en particulier, de l’étendue des discussions intervenues entre les parties
en ce qui concerne le sujet dont traite cette clause. Lorsqu’il s’agit d’une clause standard pré-rédigée, il revient au professionnel d’apporter la preuve qu’elle a fait l’objet d’une telle négociation, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive.
C. Sur le contrôle des exigences de transparence, d’équilibre et de bonne foi résultant de la directive 93/13 (troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles)
66. À supposer que les clauses du « contrat de novation modifiant le prêt » n’aient pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, la juridiction de renvoi interroge la Cour, par ses troisième, quatrième et cinquième questions, sur la compatibilité avec les exigences de transparence, d’équilibre et de bonne foi résultant de cette directive des deux clauses principales de cet accord : d’une part, la clause emportant renonciation mutuelle
aux actions en justice ; d’autre part, la nouvelle clause « plancher », modifiant le seuil figurant dans le contrat de crédit hypothécaire liant XZ et Ibercaja. J’examinerai tour à tour ces deux clauses.
1. Le contrôle de la clause emportant renonciation mutuelle aux actions en justice
67. Les troisième et cinquième questions de la juridiction de renvoi portent, en substance, sur le point de savoir si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec le point 1, sous q), de l’annexe de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’une clause emportant renonciation mutuelle aux actions en justice, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, est abusive, au sens dudit article 3, paragraphe 1, dès lors, d’une part, qu’elle empêche le consommateur
d’exercer des droits qui se sont révélés après la conclusion de cet accord, dont la possibilité de demander la restitution des sommes versées en application de la clause « plancher » ( 63 ) et, d’autre part, qu’elle n’informait pas le consommateur du potentiel caractère abusif de cette dernière clause ou du montant qu’il avait potentiellement le droit de se voir restituer.
68. À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. Par ailleurs, l’article 5 de cette directive prévoit que, lorsque les clauses proposées au consommateur
sont mises par écrit, elles doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible, cette dernière exigence étant généralement comprise comme posant un impératif de transparence. En outre, le point 1, sous q), de l’annexe de ladite directive vise, en tant que clauses susceptibles d’être abusives, celles ayant pour objet ou pour effet « de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur ».
69. Dans ce contexte, la Commission soutient qu’une clause emportant renonciation mutuelle aux actions en justice, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens dudit article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 – comme c’est vraisemblablement le cas de celle incluse dans le « contrat de novation modifiant le prêt » – est abusive en soi, sans qu’un examen complémentaire soit nécessaire à cet égard ( 64 ).
70. Pour ma part, et en accord avec les explications données dans la section A des présentes conclusions, j’estime que la réponse doit être plus nuancée. En effet, au-delà du fait que la liste figurant à l’annexe de la directive 93/13 n’est, conformément à son article 3, paragraphe 3, qu’indicative et que, en conséquence, une clause contractuelle ne saurait être qualifiée d’abusive au seul motif qu’elle y figure ( 65 ), il convient, selon moi, de garder à l’esprit la distinction entre renonciation
préalable et renonciation postérieure.
71. D’une part, une clause emportant renonciation aux actions en justice incluse dans un contrat de vente ou de prestation de services doit effectivement être considérée comme abusive en soi. En effet, ainsi que je l’ai indiqué aux points 43 et 44 des présentes conclusions, un consommateur ne peut jamais renoncer préalablement à la protection juridictionnelle et aux droits qu’il tire de la directive 93/13. Peu importe, à cet égard, que cette renonciation soit mutuelle.
72. En revanche, d’autre part, je suis d’avis que la directive 93/13 ne s’oppose pas, en principe, aux clauses contractuelles prévoyant une renonciation mutuelle aux actions en justice lorsqu’elles sont stipulées dans des accords, tels une transaction, dont l’objet même est le règlement d’un différend existant entre un professionnel et un consommateur.
73. En effet, dans un tel contexte, comme je l’ai indiqué au point 47 des présentes conclusions, la clause de renonciation aux actions en justice est susceptible d’être considérée comme relevant de l’« objet principal » de pareil accord, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Je rappelle que, selon la Cour, les clauses du contrat qui relèvent de cette notion sont celles qui fixent les prestations essentielles du contrat en cause et qui, comme telles, caractérisent celui-ci ( 66
). À cet égard, il est de l’essence même, en particulier, d’une transaction de contenir une clause emportant renonciation à tous droits, actions et prétentions relatifs au différend qui y a donné lieu, et de faire obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ( 67 ).
74. Or, en application de cet article 4, paragraphe 2, les clauses relevant de l’« objet principal du contrat » ne font, en principe, pas l’objet d’une appréciation de leur éventuel caractère abusif ( 68 ). Pour autant qu’elle s’inscrive dans le contexte particulier visé aux deux points précédents, une clause emportant renonciation aux actions en justice ne saurait donc être considérée comme étant abusive en soi.
75. Dans ce contexte particulier, pareille clause n’est pas non plus, à mes yeux, abusive du seul fait qu’elle est susceptible d’empêcher le consommateur d’exercer des droits qui se sont révélés après la conclusion de l’accord qui la contient. Tel est le cas en l’occurrence, comme le souligne la juridiction de renvoi dans sa cinquième question, s’agissant du droit à restitution que XZ tire de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13. À cet égard, je rappelle que, dans l’arrêt du 9 mai 2013
relatif aux clauses « plancher », le Tribunal Supremo (Cour suprême) avait limité les effets dans le temps de son arrêt, lequel ne devait pas concerner les paiements effectués avant la date de sa publication. Or, cet accord a été conclu le 4 mars 2014, soit après cet arrêt, mais deux ans avant l’arrêt Gutiérrez Naranjo, prononcé le 21 décembre 2016, dans lequel la Cour a jugé que ledit article 6, paragraphe 1, s’oppose à une telle limitation ( 69 ). Cependant, le caractère abusif d’une clause
contractuelle s’apprécie par référence au moment de la conclusion du contrat concerné, en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont le professionnel pouvait avoir connaissance audit moment et qui étaient de nature à influer sur l’exécution ultérieure de celui-ci ( 70 ).
76. Il reviendra à la juridiction de renvoi de vérifier, dans l’affaire au principal, si la clause de renonciation mutuelle aux actions en justice incluse dans le « contrat de novation modifiant le prêt » relève effectivement de l’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Cela dépendra notamment du point de savoir si, comme le prétend Ibercaja, il s’agit réellement d’une transaction ( 71 ).
77. Cela étant, en tout état de cause, l’analyse ne devra pas s’arrêter là. En effet, je rappelle que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, les clauses relevant de « l’objet principal du contrat » ne font pas l’objet d’une appréciation de leur éventuel caractère abusif pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible. L’impératif de transparence figurant à l’article 5 de cette directive doit ainsi être respecté même s’agissant de ces clauses.
78. À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, cet impératif de transparence ne saurait être réduit au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical des clauses contractuelles ( 72 ). L’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 imposent un contrôle de la transparence matérielle de ces clauses ( 73 ). Une clause contractuelle est transparente, du point de vue matériel, lorsqu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif
et avisé, peut comprendre les conséquences (tant juridiques qu’économiques) qui en découlent pour lui. Il y a lieu de vérifier, en particulier, si le contrat en cause expose de manière transparente les motifs et les particularités du mécanisme visé par la clause en question. Sont également pertinentes, dans ce cadre, la publicité et l’information précontractuelle fournies par le professionnel sur les conditions contractuelles et leurs conséquences pour le consommateur ( 74 ).
79. S’agissant d’une clause contractuelle emportant renonciation mutuelle à contester en justice la validité d’une clause préexistante s’inscrivant dans un accord tel qu’une transaction, je suis d’avis qu’un consommateur moyen peut comprendre les conséquences juridiques et économiques qui en découlent pour lui si, au moment de la conclusion de cet accord, il est conscient du vice affectant potentiellement cette dernière clause, des droits qu’il pouvait tirer de la directive 93/13 à cet égard, du
fait qu’il était libre de conclure ledit accord ou de le refuser et d’aller devant le juge, ainsi que du fait qu’il ne pourrait plus le faire après sa conclusion ( 75 ). Il appartiendra à la juridiction de renvoi de le vérifier dans l’affaire au principal, au regard des stipulations du « contrat de novation modifiant le prêt » et de l’information précontractuelle fournie par Ibercaja à XZ.
80. Dans ce cadre, cette juridiction devra vérifier, d’une part, si XZ avait véritablement conscience, avant la conclusion du « contrat de novation modifiant le prêt », du vice affectant potentiellement la clause « plancher » figurant dans le contrat de crédit hypothécaire et des droits qu’elle pouvait tirer, le cas échéant, de la directive 93/13. À cet égard, je me bornerai à observer qu’il n’est pas certain que XZ ait même déposé auprès d’Ibercaja une plainte visant la suppression de cette clause
et que l’accord en question a été présenté par cette banque non pas comme une transaction traduisant l’existence d’un différend entre les parties sur ce point ( 76 ), mais comme un « contrat de novation » destiné à adapter le contrat de crédit hypothécaire aux modifications de la conjoncture économique. La clause de renonciation mutuelle stipulée dans cet accord est, en elle-même, ambiguë car particulièrement large : elle n’est pas ciblée sur la question de la validité de la clause « plancher »,
mais vise l’ensemble des clauses du contrat de crédit hypothécaire.
81. Ladite juridiction devra vérifier, d’autre part, si XZ avait été informée par Ibercaja du fait qu’elle était libre de conclure cet accord ou de le refuser et d’aller devant le juge, et du fait qu’elle ne pourrait plus le faire après sa conclusion ( 77 ). Dans ce cadre, est également pertinent le point de savoir si XZ a disposé d’un délai de réflexion raisonnable avant d’indiquer sa décision. Sur ce point, j’indiquerai simplement qu’il est constant que le projet d’accord ne lui avait pas été
soumis à l’avance ( 78 ) et que celle-ci n’a pas non plus eu l’opportunité de l’emporter chez elle, étant contrainte de prendre une décision sur place.
82. Certes, dans son arrêt du 11 avril 2018, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a jugé qu’un accord tel que celui conclu par XZ satisfaisait à l’impératif de transparence aux motifs que son arrêt du 9 mai 2013 concernant les clauses « plancher » était connu du grand public et que cet accord comportait une clause manuscrite dans laquelle le consommateur reconnaissait avoir compris la portée du nouveau seuil « plancher ». Toutefois, je nourris des doutes à l’égard de ce raisonnement. En effet,
l’éventuelle notoriété d’une décision ne suffit pas, à mon sens, à dégager un professionnel de son obligation de rédiger des clauses transparentes et d’agir de manière toute aussi transparente dans la phrase précontractuelle. D’autre part, je ne suis pas certain qu’une clause manuscrite, dont le modèle est imposé par la banque, et se référant au fait que le consommateur a compris que son taux d’intérêt ne descendra pas en dessous d’un certain seuil, soit de nature à démontrer la compréhension,
par ce dernier, de la portée de la renonciation à laquelle il vient de consentir.
83. Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi confirmerait le défaut de transparence de la clause emportant renonciation mutuelle aux actions en justice stipulée dans le « contrat de novation modifiant le prêt », il s’ensuivrait qu’elle pourrait contrôler le caractère abusif de cette clause, quand bien même elle relèverait de l’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13. Cela étant, un tel défaut de transparence suffirait, selon moi, dans le
contexte particulier d’un accord tel que celui en cause, à démontrer l’incompatibilité de ladite clause avec cette directive, sans même qu’il soit nécessaire d’examiner les critères du déséquilibre significatif et de la bonne foi prévus à son article 3, paragraphe 1. En effet, du fait de cette absence de transparence, la renonciation prévue à cette même clause ne saurait être considérée comme procédant du « consentement éclairé » du consommateur ( 79 ). Du reste, à mon sens, ladite absence de
transparence et l’asymétrie d’information qu’elle implique permettraient de présumer ce déséquilibre significatif et tendraient à démontrer un manquement d’Ibercaja à l’exigence de bonne foi ( 80 ).
84. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux troisième et cinquième questions qu’une clause emportant renonciation mutuelle aux actions en justice, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, est abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, sauf dans l’hypothèse où cette clause est stipulée dans un accord dont l’objet même est le règlement d’un différend existant entre un consommateur et un professionnel.
Néanmoins, même dans cette hypothèse, une telle clause doit être conforme à l’impératif de transparence résultant de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de cette directive. S’agissant d’une clause de pareil accord emportant renonciation mutuelle à contester en justice la validité d’une clause contractuelle préexistante, un consommateur moyen est réputé comprendre les conséquences juridiques et économiques qui en découlent pour lui si, au moment de la conclusion de cet accord, il est
conscient du vice affectant potentiellement cette dernière clause, des droits qu’il pouvait tirer de ladite directive à cet égard, du fait qu’il était libre de conclure ledit accord ou de le refuser et d’aller devant le juge, ainsi que du fait qu’il ne pourrait plus le faire après sa conclusion.
2. Le contrôle de la nouvelle clause « plancher »
85. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si une clause, telle que la nouvelle clause « plancher » stipulée dans le « contrat de novation modifiant le prêt », est entachée d’un défaut de transparence, au sens de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13 au motif que la banque n’a pas informé le consommateur, dans cet accord, du véritable coût économique de cette clause, de sorte qu’il puisse connaître le taux d’intérêt qui serait applicable et les
mensualités qu’il devrait payer en l’absence de ladite clause.
86. Dans l’affaire au principal, il est probable que la nouvelle clause « plancher » relève de l’« objet principal », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, du « contrat de novation modifiant le prêt », et ce qu’elle que soit la qualification juridique que doit recevoir cet accord en vertu du droit national. En effet, si le but dudit accord est, comme le soutient XZ, de nover la clause « plancher » initiale qui figurait dans le contrat de crédit hypothécaire, alors cette
nouvelle clause ne peut en être que l’objet principal. Si la finalité de ce même accord est, comme le soutiennent Ibercaja et le gouvernement espagnol, de régler définitivement un différend en échange de concessions réciproques, alors ladite clause relève également de cet objet principal, en tant qu’elle concrétise ces concessions.
87. Néanmoins, comme je l’ai précédemment indiqué, même une clause relevant de l’« objet principal du contrat », au sens de cet article 4, paragraphe 2, doit satisfaire à l’impératif de transparence. Ainsi qu’il a été rappelé dans les présentes conclusions, une clause contractuelle est transparente lorsqu’un consommateur moyen est en mesure de comprendre les conséquences économiques qui en découlent pour lui. S’agissant d’une clause « plancher », le contrat qui la contient doit exposer de manière
transparente les motifs et les particularités du mécanisme visé par cette clause ( 81 ). À cet égard, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a posé, dans son arrêt du 9 mai 2013, des conditions concernant l’usage de ce type de clauses dans les contrats de crédit ( 82 ), qui constituent, selon moi, une concrétisation de l’impératif de transparence posé, en des termes généraux, par la Cour. Ces conditions doivent être respectées en l’occurrence, indépendamment du fait que le « contrat de novation
modifiant le prêt » ne soit pas, en soi, un contrat de crédit. Il reviendrait à la juridiction de renvoi de le vérifier.
88. Deux points spécifiques doivent néanmoins être abordés. D’une part, je ne suis pas certain qu’il puisse être exigé de l’établissement de crédit d’exposer, pour le futur, les mensualités que le consommateur devrait payer en l’absence de la clause « plancher ». En effet, le taux d’intérêt dépendant de variations économiques rarement prévisibles, une telle exigence ne me semble pas raisonnable ( 83 ). Tout au plus, le professionnel doit indiquer, comme le Tribunal Supremo (Cour suprême) l’a relevé
dans sa jurisprudence, des scénarios quant au comportement raisonnablement prévisible du taux d’intérêt au jour de la conclusion du contrat. D’autre part, quant à la clause manuscrite rédigée par le consommateur ( 84 ), et à laquelle le Tribunal Supremo (Cour suprême) a accordé, dans son arrêt du 11 avril 2018, un poids déterminant dans la démonstration du respect de l’impératif de transparence, j’estime que si une telle clause est indéniablement un indice pertinent, elle ne saurait être, à elle
seule, décisive. Cette clause manuscrite prouve certes que l’attention du consommateur a été attirée sur les effets d’une clause « plancher ». Toutefois, cette clause ne suffit pas à démontrer le respect des strictes conditions de transparence posées par la Cour et le Tribunal Supremo (Cour suprême). L’indice que constitue cette clause manuscrite doit donc, selon moi, être complété par d’autres éléments concordants.
89. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la quatrième question qu’une clause « plancher », qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, doit être considérée comme transparente, au sens de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, lorsque le consommateur est en mesure de comprendre les conséquences économiques qui en découlent pour lui. En particulier, le contrat qui la contient doit exposer de manière transparente les
motifs et les particularités du mécanisme visé par cette clause. En revanche, il ne saurait être exigé du professionnel qu’il expose, pour le futur, les mensualités que le client devrait payer en l’absence de ladite clause.
V. Conclusion
90. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 3 de Teruel (tribunal de première instance et d’instruction no 3 de Teruel, Espagne) :
1) Lorsqu’un consommateur et un professionnel sont liés par un contrat, que des doutes sérieux sont apparus concernant le caractère potentiellement abusif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, d’une clause de ce contrat et que les parties ont, par un accord subséquent, modifié la clause en question, confirmé la validité du contrat initial et renoncé
mutuellement à contester ses clauses en justice, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive ne s’oppose pas à ce que cet accord ait force obligatoire à l’égard du consommateur, pour autant que ledit accord procède d’un consentement libre et éclairé de la part de ce dernier.
2) Une clause contractuelle n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, lorsque le consommateur n’a pas eu une possibilité réelle d’influencer son contenu. Ce point s’apprécie au regard des circonstances entourant la conclusion du contrat et, en particulier, de l’étendue des discussions intervenues entre les parties en ce qui concerne le sujet dont traite cette clause. Lorsqu’il s’agit d’une clause standard pré-rédigée, il
revient au professionnel d’apporter la preuve qu’elle a fait l’objet d’une telle négociation, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive.
3) Une clause emportant renonciation mutuelle aux actions en justice, qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, est abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, sauf dans l’hypothèse où cette clause est stipulée dans un accord dont l’objet même est le règlement d’un litige existant entre consommateur et professionnel. Néanmoins, même dans cette hypothèse, une telle clause doit être conforme à l’impératif de transparence résultant de l’article 4,
paragraphe 2, et de l’article 5 de cette directive. S’agissant d’une clause de pareil accord emportant renonciation mutuelle à contester en justice la validité d’une clause contractuelle préexistante, un consommateur moyen est réputé comprendre les conséquences juridiques et économiques qui en découlent pour lui si, au moment de la conclusion de cet accord, il est conscient du vice affectant potentiellement cette dernière clause, des droits qu’il pouvait tirer de ladite directive à cet égard,
du fait qu’il était libre de conclure ledit accord ou de le refuser et d’aller devant le juge, ainsi que du fait qu’il ne pourrait plus le faire après sa conclusion.
4) Une clause « plancher », qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, doit être considérée comme transparente, au sens de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5 de la directive 93/13, lorsque le consommateur est en mesure de comprendre les conséquences économiques qui en découlent pour lui. En particulier, le contrat qui la contient doit exposer de manière transparente les motifs et les particularités du mécanisme visé par cette clause. En revanche, il ne saurait être exigé
du professionnel qu’il expose, pour le futur, les mensualités que le client devrait payer en l’absence de ladite clause.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 (JO 1993, L 95, p. 29).
( 3 ) Ci-après le « contrat de crédit hypothécaire ».
( 4 ) Il ressort de la décision de renvoi et des observations d’Ibercaja que, à une date non communiquée, la Caja de Ahorros de la Inmaculada de Aragón a été intégrée dans Banco Grupo Cajatrés SA. Puis, le 23 mai 2013, cet établissement a lui-même été intégré dans Ibercaja, avant d’être finalement absorbé par celle-ci le 1er octobre 2014.
( 5 ) Arrêt du 21 décembre 2016 (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, ci-après l’« arrêt Gutiérrez Naranjo , EU:C:2016:980).
( 6 ) Cette problématique a déjà été portée à l’attention de la Cour. Voir, en particulier, arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252) ; arrêt Gutiérrez Naranjo, ainsi que ordonnance du 14 novembre 2013, Banco Popular Español et Banco de Valencia (C‑537/12 et C‑116/13, EU:C:2013:759).
( 7 ) Voir arrêt Gutiérrez Naranjo, point 18.
( 8 ) L’ampleur du phénomène fut considérable : à titre exemplatif, pas moins d’un tiers de l’ensemble des prêts hypothécaires commercialisés en Espagne au cours de l’année 2010 incluait pareille clause (voir Zunzunegui, F., « Mortgage Credit – Mis-selling of Financial Products – Study requested by the ECON committee », European Parliament, Policy Department for Economic, Scientific and Quality of Life Policies, Directorate-General for Internal Policies, juin 2018, p. 23 à 32 et références citées).
( 9 ) Arrêt no 241/2013 (ci-après l’« arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013 » ou l’ « arrêt du 9 mai 2013 », ES :TS :2013 :1916).
( 10 ) Le Tribunal Supremo (Cour suprême) a confirmé cette solution par la suite [voir notamment arrêts du 25 mars 2015, no 139/2015 (ES :TS :2015 :1280), et du 29 avril 2015, no 222/2015 (ES :TS :2015 :2207)]. Voir arrêt Gutiérrez Naranjo, points 18 à 21 et 67.
( 11 ) Selon Ibercaja, ses employés devaient proposer la conclusion d’un « contrat de novation modifiant le prêt » aux seuls clients qui, consécutivement à l’arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013, avaient présenté une réclamation concernant la clause « plancher » stipulée dans leur contrat. En revanche, selon XZ, la conclusion de tels accords s’inscrivait dans le cadre d’une campagne visant l’ensemble des clients dont le contrat contenait pareille clause « plancher », qu’ils aient ou non présenté
une réclamation à son sujet. Je précise que le point de savoir si XZ avait elle-même présenté une telle réclamation est disputé entre les parties au principal devant la juridiction de renvoi (voir point 80 des présentes conclusions).
( 12 ) Soit, concrètement, la différence entre les sommes payées conformément au seuil « plancher » et celles qui auraient été versées si ce seuil n’avait pas existé et que le taux d’intérêt variable avait été appliqué.
( 13 ) Voir arrêt Gutiérrez Naranjo, points 61 à 75, ainsi que point 21 des présentes conclusions.
( 14 ) Le cas de XZ est loin d’être isolé. Plus d’un million de demandes en restitution de sommes versées en application d’une clause « plancher » ont été introduites devant les juridictions espagnoles (voir Zunzunegui, F., op. cit., p. 6). Voir, sur la question de l’impact de l’arrêt du Tribunal Supremo du 9 mai 2013 et de l’arrêt Gutiérrez Naranjo sur l’économie espagnole, International Monetary Fund, IMF Country Report No 17/345, Spain : Financial Sector Assessment Program – Technical Note on
Supervision of Spanish Banks – Select[ed] issues, 13 novembre 2017, p. 8, 10, 23 et 53, élevant la commercialisation de prêts hypothécaires comportant une clause « plancher » au rang de risque systémique pour cette économie.
( 15 ) Arrêt no 205/2018 (ci-après l’« arrêt du Tribunal Supremo du 11 avril 2018 » ou l’« arrêt du 11 avril 2018 », ES :TS :2018 :1238).
( 16 ) Conformément à l’article 1809 du code civil espagnol, une transaction est un contrat par lequel les parties, donnant, promettant ou retenant chacune quelque chose, évitent une contestation à naître ou terminent une contestation née.
( 17 ) Voir, pour plus de détails, point 82 des présentes conclusions.
( 18 ) Ci-après l’« opinion dissidente du juge Orduña Moreno ».
( 19 ) La novation est un contrat, envisagé notamment à l’article 1203 du code civil espagnol, par lequel deux parties, liées par un rapport d’obligation préexistant, modifient cette obligation ou la substituent par une autre.
( 20 ) Voir note en bas de page 31 des présentes conclusions.
( 21 ) Ibercaja et le gouvernement espagnol ont souligné que, dans l’arrêt du 9 mai 2013, le Tribunal Supremo (Cour suprême) n’a pas annulé toutes les clauses « plancher », mais uniquement celles utilisées par les trois banques visées par l’action en cessation dont il était saisi. Par ailleurs, conformément à cet arrêt, les clauses « plancher » sont abusives seulement dans la mesure où elles manquent de transparence, ce qui doit être constaté au cas par cas par le juge. Or, au moment où les parties
au principal ont conclu le « contrat de novation modifiant le prêt », la clause « plancher » stipulée dans le contrat de crédit hypothécaire n’avait pas été contestée devant le juge. XZ et la Commission soutiennent néanmoins que les conditions de transparence posées dans cet arrêt sont très strictes, de sorte qu’il y a, à tout le moins, une probabilité élevée que la clause « plancher » litigieuse soit abusive. Selon eux, dans presque 97 % des cas, les procédures judiciaires pour clauses abusives, y
compris les clauses « plancher », ont été gagnées par les consommateurs. Je rappelle que, dans l’arrêt Gutiérrez Naranjo, la Cour ne s’est pas prononcée sur le caractère abusif des clauses « plancher ». Elle est partie de la prémisse qu’elles étaient abusives. Dans la présente affaire également, il n’appartient pas à la Cour de trancher elle-même cette question.
( 22 ) À proprement parler, ce n’est pas la clause qui est novée mais l’obligation qui en découle. Je parlerai néanmoins dans les présentes conclusions de « novation d’une clause » par commodité.
( 23 ) Voir notamment arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 58) ; du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič (C‑453/10, EU:C:2012:144, point 30) ; du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, point 65), ainsi que du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340, point 41).
( 24 ) Arrêt Gutiérrez Naranjo, points 61 et 62.
( 25 ) Voir point 26 des présentes conclusions.
( 26 ) Voir point 27 des présentes conclusions.
( 27 ) Je vise par ce terme l’acte par lequel une partie à un contrat renonce à se prévaloir d’une cause de nullité, envisagé notamment aux articles 1309 à 1313 du code civil espagnol.
( 28 ) Voir notamment arrêts du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, EU:C:2006:675, points 25, 36 et 37) ; du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 30, 51 et 52), ainsi que du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen (C‑147/16, EU:C:2018:320, points 26, 27, 34 et 35).
( 29 ) Je rappelle que le droit de plusieurs États, dont le Royaume de Belgique, la République française et le Royaume d’Espagne, opère une distinction entre nullité « absolue » et nullité « relative » des contrats. La nullité absolue est encourue de plein droit et doit être constatée d’office par le juge. À l’inverse, la nullité relative peut uniquement être invoquée en justice par la partie que la loi entend protéger et, le cas échéant, est prononcée par le juge. Il est généralement admis que le
critère de distinction entre ces deux sanctions est le fondement de la règle transgressée, selon qu’elle vise à sauvegarder l’intérêt général ou à protéger des intérêts privés. La nullité est absolue dans le premier cas, et relative dans le second. Voir notamment conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Martín Martín (C‑227/08, EU:C:2009:295, point 51 et références citées).
( 30 ) Voir article 83, paragraphe 1, du décret royal législatif 1/2007.
( 31 ) Voir notamment arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 16 octobre 2017, no 558/2017. Dans cet arrêt, cette juridiction a considéré qu’un « contrat de novation » conclu entre une banque et un consommateur, dans lequel ceux-ci avaient nové la clause « plancher » incluse dans leur contrat de prêt, était nul dès lors que cette clause était abusive et que, partant, elle était frappée de nullité absolue. Voir également arrêt du 26 février 2015, Matei (C‑143/13, EU:C:2015:127, points 37 à 42).
Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, deux consommateurs avaient contesté en justice différentes clauses de leur contrat de crédit. Le juge national avait saisi la Cour de plusieurs questions concernant l’interprétation de la directive 93/13. Ces consommateurs et la banque défenderesse avaient conclu, par la suite, une transaction destinée à régler extrajudiciairement le litige. Cette banque s’en était prévalue devant la Cour afin de justifier de l’irrecevabilité des questions préjudicielles.
La juridiction nationale avait toutefois indiqué à la Cour qu’elle n’avait pas pris acte de cette transaction au motif que la question du caractère prétendument abusif des clauses contractuelles en cause est une question d’ordre public sur laquelle les parties ne peuvent transiger. Je souligne que la Cour n’a pas, dans son arrêt, tranché ce point. Elle s’est bornée à constater qu’un litige était toujours pendant devant la juridiction de renvoi et, partant, à rejeter l’exception d’irrecevabilité
soulevée devant elle.
( 32 ) Voir arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350, points 33 et 35).
( 33 ) Arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819, point 54).
( 34 ) Arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 25). Voir, pour l’origine de cette formulation, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Duarte Hueros (C‑32/12, EU:C:2013:128, point 53).
( 35 ) Arrêt du 21 février 2013 (C‑472/11, EU:C:2013:88, point 35).
( 36 ) Voir, en particulier, la jurisprudence de la Cour concernant l’impératif de transparence des clauses contractuelles découlant de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 5, de la directive 93/13 (voir section C des présentes conclusions). Je me réfère ici à l’idée d’un consentement « éclairé » du consommateur. De manière générale, la question du caractère « libre » du consentement donné par le consommateur à un contrat relève des règles nationales en matière de vices du consentement (voir
note en bas de page 54 des présentes conclusions).
( 37 ) Voir notamment article 41, sous a), de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 60, p. 34) et article 25 de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du
Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64). Voir également, en droit espagnol, article 10 du décret royal législatif 1/2007.
( 38 ) Voir, par analogie, la solution prévue dans le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), en matière de clauses attributives de juridiction dans les litiges transfrontaliers concernant les contrats de consommation. Je rappelle que la section 4 du chapitre II de ce règlement prévoit des règles de compétence
protectrices du consommateur. Dans ce contexte, l’article 19 dudit règlement dispose qu’il ne peut être dérogé à ces règles que par des conventions attributives de juridictions qui, notamment, sont postérieures à la naissance du différend existant entre les parties. L’explication admise en doctrine de cette règle est que le consommateur n’est capable de saisir pleinement les conséquences d’une telle convention et, partant, d’y consentir de manière éclairée qu’une fois qu’il sait sur quoi porte le
différend. Voir Nielsen, P. A., « Article 19 », dans Magnus, U., et Mankowski, P., Brussels Ibis Regulation – Commentary, European Commentaries on Private International Law, Schmidt, Otto, Dr., KG, Verlag, 2016, p. 519.
( 39 ) L’affirmation de la Cour selon laquelle une clause abusive doit être considérée « comme n’ayant jamais existé » est donc une fiction juridique devant être relativisée – la Cour a d’ailleurs elle-même souligné que tel n’est qu’« en principe » le cas (voir arrêt Gutiérrez Naranjo, point 61). Le consommateur a la faculté de préserver l’existence de la clause en question. Pour continuer l’analogie avec les régimes de nullité existant dans le droit de certains États membres (voir point 37 des
présentes conclusions), le régime des clauses abusives s’apparente, dans cette mesure, à mes yeux, aux nullités relatives, susceptibles de donner lieu à novation ou confirmation.
( 40 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Gavrilescu (C‑627/15, EU:C:2017:690, points 46 à 52).
( 41 ) Voir conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (C‑484/08, EU:C:2009:682, point 40 et références citées). Voir point 73 des présentes conclusions.
( 42 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2009/22/CE (directive relative au RELC) (JO L 165, 2013, p. 63).
( 43 ) Certes, la directive 2013/11 ne règle pas la question de la nature ou des effets juridiques de l’instrument devant être utilisé pour formaliser le consentement des parties à la solution proposée, de sorte que cette question relève du droit de chaque État membre. Toutefois, la transaction est l’instrument le plus utilisé pour concrétiser l’accord amiable résultant d’une médiation (voir Caponi, R., « “Just Settlement” or “Just About Settlement” ? Mediated Agreements : A Comparative Overview of
the Basics », RabelsZ, no 79, 2015, p. 117-141).
( 44 ) Voir article 9, paragraphe 2, sous c), de la directive 2013/11.
( 45 ) Voir article 9, paragraphe 2, de la directive 2013/11, reproduit en note en bas de page 75 des présentes conclusions.
( 46 ) Conformément à son article 2, paragraphe 2, sous e), la directive 2013/11 ne s’applique pas « aux négociations directes entre professionnel et consommateur ». Je relève, du reste, que, par cette disposition, le législateur de l’Union s’est borné à exclure du champ d’application de ladite directive les transactions directement négociées entre professionnel et consommateur : il ne les a pas pour autant interdites, alors qu’il aurait très bien pu le faire, si tel avait été sa volonté.
( 47 ) Voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, point 59), et du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová (C‑377/14, EU:C:2016:283, point 56).
( 48 ) Voir jurisprudence évoquée au point 36 des présentes conclusions.
( 49 ) Voir, pour cette notion, neuvième considérant de la directive 93/13.
( 50 ) Voir notamment arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 27), du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 31), ainsi que du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 23).
( 51 ) Ainsi que l’énonce son dixième considérant, la directive 93/13 s’applique à « tout contrat » conclu entre un professionnel et un consommateur.
( 52 ) Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Gavrilescu (C‑627/15, EU:C:2017:690, point 55).
( 53 ) Voir point 33 des présentes conclusions.
( 54 ) Le point de savoir si le consentement du consommateur est « libre » doit être vérifié au regard des règles nationales en matière de vices du consentement. En outre, en ce qui concerne le caractère « éclairé » du consentement du consommateur, le droit des États membres est susceptible de prévoir des garanties entourant des opérations telles que la novation, la confirmation ou la transaction, afin précisément d’assurer que les parties concluent une telle opération en toute connaissance de
cause. Voir, à titre exemplatif, article 1182 du code civil français, prévoyant que l’acte valant confirmation d’une obligation doit mentionner, en particulier, le vice affectant le contrat.
( 55 ) Jusqu’à présent, la Cour s’est essentiellement bornée à rappeler le contenu de l’article 3 de la directive 93/13 aux juridictions nationales. Voir ordonnances du 16 novembre 2010, Pohotovosť (C‑76/10, EU:C:2010:685, point 57), et du 3 avril 2014, Sebestyén (C‑342/13, EU:C:2014:1857, point 24).
( 56 ) Voir, pour une définition similaire, article II.-1 :110, paragraphe 1, du Draft Common Frame of Reference (DCFR) [Von Bar, C. et al. (éd.), Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law. Draft Common Frame of Reference (DCFR) – Interim Outline Edition ; prepared by the Study Group on a European Civil Code and the Research Group on EC Private Law (Acquis Group), Sellier, European Law Publishers, Munich, 2008, p. 160]. Voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat
général Tanchev dans l’affaire OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:303, point 53).
( 57 ) En effet, si le premier alinéa de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 93/13 tend à indiquer qu’une clause pré-rédigée doit « toujours » (c’est-à-dire nécessairement) être considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, son troisième alinéa laisse toutefois au professionnel la possibilité de démontrer qu’une clause standardisée (par hypothèse pré-rédigée) a fait l’objet d’une négociation individuelle.
( 58 ) Voir, par analogie, arrêt du 16 janvier 2014, Constructora Principado (C‑226/12, EU:C:2014:10, point 19), et ordonnance du 24 octobre 2019, Topaz (C‑211/17, non publiée, EU:C:2019:906, point 46).
( 59 ) Ibercaja reconnaît elle-même que la conclusion de tels accords avec ses clients procédait d’une politique généralisée (voir point 22 des présentes conclusions). En outre, dans l’arrêt du 11 avril 2018, qui concerne, je le rappelle, des accords identiques à celui en cause au principal, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a jugé que les clauses de ces accords n’avaient pas fait l’objet d’une négociation individuelle de sorte qu’elles pouvaient être contrôlées au regard de l’exigence de
transparence résultant de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 (voir points 26 et 82 des présentes conclusions).
( 60 ) En ce sens, le seul fait pour le professionnel d’expliquer le contenu d’une clause au consommateur n’indique pas une négociation. Il en est de même du fait, pour le consommateur, de ne pas objecter au contenu d’une clause ou de demander des explications quant à son contenu. En revanche, le fait qu’une clause a été modifiée en substance au cours des échanges intervenus entre les parties constitue un indice d’une négociation individuelle. Dans l’hypothèse où, après avoir entendu les
explications du professionnel, le consommateur fait une contre-proposition et où les parties engagent une discussion ayant abouti à un compromis, alors la clause doit être considérée comme négociée (voir Von Bar, C. et al., op. cit., p. 161 et 162).
( 61 ) Voir point 22 des présentes conclusions.
( 62 ) De même, le fait que le « contrat de novation modifiant le prêt » comporte une clause manuscrite par laquelle le consommateur atteste comprendre le mécanisme de la clause « plancher » (voir point 14 des présentes conclusions) n’est pas de nature à démontrer qu’il y a eu négociation individuelle de cette clause [voir, en ce sens, ordonnance du 24 octobre 2019, Topaz (C‑211/17, non publiée, EU:C:2019:906, points 47 à 51)] ou, a fortiori, de la clause emportant renonciation mutuelle aux actions
en justice.
( 63 ) Voir arrêt Gutiérrez Naranjo, point 62.
( 64 ) Voir, s’agissant d’une clause attributive de juridiction n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et désignant les juridictions du siège du professionnel, arrêt du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 24).
( 65 ) Voir arrêt du 19 septembre 2019, Lovasné Tóth (C‑34/18, EU:C:2019:764, points 45, 46 et 49, ainsi que jurisprudence citée).
( 66 ) Voir arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, points 49 et 50), ainsi que du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, points 35 et 36).
( 67 ) Voir article 1816 du code civil espagnol et Caponi, R., « Agreements Resulting from Mediation : Judiciation Review, Avoidance, and Enforcement », dans Stürner, M. et al, The Role of Consumer ADR in the Administration of Justice, 2013, Sellier, p. 149 et suiv.
( 68 ) Conformément à cette disposition, « [l]’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ». Voir arrêts du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (C‑484/08, EU:C:2010:309, points 31, 35 et 40), ainsi que du
30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 41).
( 69 ) Voir points 21 et 23 des présentes conclusions.
( 70 ) Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, point 54).
( 71 ) Le Tribunal Supremo (Cour suprême), dans son arrêt du 11 avril 2018, a considéré que les conditions de la transaction, telles que prévues à l’article 1809 du code civil (voir note en bas de page 16 des présentes conclusions), étaient remplies s’agissant d’un accord tel que celui en cause au principal dès lors que les parties avaient entendu définitivement régler une situation d’incertitude concernant la validité des clauses « plancher » en renonçant aux actions en justice en échange de
concessions réciproques : d’une part, l’établissement de crédit, qui bénéficiait d’un certain seuil « plancher », consentait à une baisse de ce seuil ; d’autre part, le consommateur, qui ne souhaitait pas de clause « plancher », consentait à supporter un plancher plus bas que celui initialement fixé (voir point 26 des présentes conclusions). Dans son opinion dissidente, le juge Orduña Moreno a quant à lui soutenu que cet accord ne constituait pas une transaction dès lors que ledit accord ne
reflétait pas l’existence d’une situation litigieuse entre les parties. De même, l’Audiencia Provincial de Badajoz (cour provinciale de Badajoz, Espagne), dans l’arrêt no 168/2018, du 26 avril 2018, se prononçant sur un contrat similaire, a jugé qu’on ne pouvait parler de transaction, étant donné qu’il n’y avait pas de litige entre les parties. J’éprouve moi-même des doutes quant à l’analyse du Tribunal Supremo (Cour suprême) à cet égard (voir point 80 des présentes conclusions).
( 72 ) Voir arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, points 71 et 72), ainsi que du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko (C‑448/17, EU:C:2018:745, point 61).
( 73 ) Voir arrêt Gutiérrez Naranjo, points 48 à 51.
( 74 ) Voir notamment arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, points 73 et 74), ainsi que du 5 juin 2019, GT (C‑38/17, EU:C:2019:461, point 35). En effet, la Cour a itérativement jugé que l’information précontractuelle est, pour un consommateur, d’une importance fondamentale. C’est, notamment, sur le fondement de cette information que ce dernier décide s’il souhaite se lier par les conditions rédigées préalablement par le professionnel. Voir notamment arrêts du
21 mars 2013, RWE Vertrieb (C‑92/11, EU:C:2013:180, point 44), ainsi que du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, point 48).
( 75 ) Selon moi, il est possible ici de s’inspirer des garanties prévues par le législateur de l’Union dans la directive 2013/11, évoquées au point 49 des présentes conclusions. Conformément à l’article 9, paragraphe 2, de cette directive, « [d]ans les procédures de REL qui visent à régler un litige en proposant une solution, les États membres veillent à ce que : [...] b) les parties, avant d’accepter ou de suivre la solution proposée, soient informées : i) qu’elles ont la possibilité d’accepter,
de refuser ou de suivre la solution proposée ; ii) que la participation à la procédure n’exclut pas la possibilité de former un recours par le biais des procédures judiciaires ; iii) que la solution proposée pourrait être différente de la décision d’un tribunal appliquant les dispositions légales ; c) les parties, avant d’accepter ou de suivre la solution proposée, soient informées des conséquences juridiques liées au fait d’accepter ou de suivre cette solution ; d) les parties disposent d’un délai
de réflexion raisonnable avant d’indiquer qu’elles acceptent la solution proposée ou un accord à l’amiable ».
( 76 ) À titre exemplatif, en matière de conventions attributives de juridiction dans les litiges transfrontaliers de consommation (voir note en bas de page 38 des présentes conclusions), il est considéré qu’un différend est né entre les parties dès qu’il y a désaccord entre elles sur un point déterminé et qu’une procédure s’annonce comme imminente ou prochaine [voir rapport de M. P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en
matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1), p. 33]. Une simple réclamation du consommateur ne suffit pas pour considérer que tel est le cas : encore faut-il que le professionnel ait refusé d’y faire droit (Nielsen, P. A., op. cit., p. 520).
( 77 ) Cela n’implique pas nécessairement, comme l’indique la juridiction de renvoi, que le professionnel devrait indiquer le montant exact auquel le consommateur renonce. Une telle exigence me semble irréaliste dans le cadre de la négociation d’une transaction. La Cour veille d’ailleurs, dans le cadre de l’impératif de transparence, à ne pas aller au-delà de ce qui peut être raisonnablement attendu du professionnel [voir arrêt du 19 septembre 2019, Lovasné Tóth (C‑34/18, EU:C:2019:764, point 69)].
Du reste, en l’occurrence, au moment de la conclusion du « contrat de novation modifiant le prêt », la banque ne pouvait pas raisonnablement savoir que XZ bénéficierait potentiellement d’un tel droit à restitution (voir point 75 des présentes conclusions).
( 78 ) Le vingtième considérant de la directive 93/13 précise que le consommateur doit avoir effectivement l’opportunité de prendre connaissance de toutes les clauses du contrat. En outre, la Cour a déjà jugé que le fait que le consommateur reçoive le contrat à l’avance contribue au respect de l’impératif de transparence. Voir, en ce sens, ordonnance du 24 octobre 2019, Topaz (C‑211/17, non publiée, EU:C:2019:906, point 50).
( 79 ) Voir la réponse que je suggère à la première question préjudicielle.
( 80 ) La Cour a jugé qu’afin de déterminer si le déséquilibre causé par une clause contractuelle est créé « en dépit de l’exigence de bonne foi », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national doit vérifier à ces fins si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle. Voir notamment arrêt du 14 mars 2013, Aziz
(C‑415/11, EU :C :2013 :164, point 69).
( 81 ) Voir point 78 des présentes conclusions.
( 82 ) Le Tribunal Supremo (Cour suprême) a jugé qu’une clause « plancher » manque de transparence dans la mesure où a) il manque des informations suffisamment claires concernant le fait qu’il s’agit d’un élément définissant l’objet principal du contrat ; b) les clauses sont insérées en même temps que les clauses plafond et présentées comme si elles en constituaient la contrepartie ; c) il n’existe pas de simulations de divers scénarios quant au comportement raisonnablement prévisible du taux
d’intérêt au jour de la conclusion du contrat ; d) il n’existe pas d’information préalable, claire et compréhensible du coût comparé à d’autres modalités de prêt de l’établissement – si tant est qu’elles existent – ou un avertissement au client que, au vu de son profil, ces modalités ne lui sont pas proposées, et e) la clause « plancher » figure parmi une énorme quantité de données qui les masquent et qui détournent l’attention du consommateur.
( 83 ) En particulier, cela irait, me semble-t-il, bien au-delà des exigences posées par la directive 2014/17 qui, si elle n’est pas applicable ratione temporis au litige au principal, fournit néanmoins un point de repère utile. En effet, cette directive prévoit, à son article 14, que le prêteur doit remplir son obligation d’information précontractuelle au moyen de la fiche d’information standardisée européenne (FISE) figurant en annexe II de ladite directive. Or, cette annexe se borne à prévoir au
point 6 de sa section 3, intitulée « Principales caractéristiques du prêt », que « cette section précise si le taux débiteur est fixe ou variable et, le cas échéant, les périodes pendant lesquelles il restera fixe, la fréquence des révisions du taux et les limites éventuelles de variation du taux débiteur (plafonds et planchers, par exemple) ».
( 84 ) Voir point 14 des présentes conclusions.