ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
27 février 2020 (*)
« Manquement d’État – Directive 91/676/CEE – Protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles – Arrêt de la Cour constatant un manquement – Inexécution – Article 260, paragraphe 2, TFUE – Sanctions pécuniaires – Somme forfaitaire »
Dans l’affaire C‑298/19,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, introduit le 11 avril 2019,
Commission européenne, représentée par MM. M. Konstantinidis et E. Manhaeve, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République hellénique, représentée par M^me E. Skandalou, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. S. Rodin, président de chambre, M. D. Šváby et M^me K. Jürimäe (rapporteure), juges,
avocat général : M. G. Hogan,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :
– de constater que, en n’ayant pas pris toutes les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE ;
– d’enjoindre à la République hellénique de verser à la Commission, sur un compte qui sera indiqué par celle-ci, l’astreinte proposée d’un montant de 23 753,25 euros par jour de retard dans l’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), à compter du jour où sera rendu l’arrêt dans la présente affaire jusqu’au jour où sera exécuté l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264) ;
– d’enjoindre à la République hellénique de verser à la Commission, sur un compte qui sera indiqué par celle-ci, la somme forfaitaire journalière de 2 639,25 euros, avec un montant total d’au moins 1 310 000 euros, à compter du jour du prononcé de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), jusqu’au jour où sera rendu l’arrêt dans la présente affaire ou jusqu’au jour où sera exécuté l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié,
EU:C:2015:264), s’il l’est auparavant, et
– de condamner la République hellénique aux dépens.
Le cadre juridique
2 La directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO 1991, L 375, p. 1), prévoit, à son article 3 :
« 1. Les eaux atteintes par la pollution et celles qui sont susceptibles de l’être si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises sont définies par les États membres en fonction des critères fixés à l’annexe I.
2. Dans un délai de deux ans à compter de la notification de la présente directive, les États membres désignent comme zones vulnérables toutes les zones connues sur leur territoire qui alimentent les eaux définies conformément au paragraphe 1 et qui contribuent à la pollution. Ils notifient cette désignation initiale à la Commission dans un délai de six mois.
[...]
4. Les États membres réexaminent et, au besoin, révisent ou complètent en temps opportun, au moins tous les quatre ans, la liste des zones vulnérables désignées, afin de tenir compte des changements et des facteurs imprévisibles au moment de la désignation précédente. Ils notifient à la Commission, dans un délai de six mois, toute révision ou ajout apporté à la liste des désignations.
5. Les États membres sont exemptés de l’obligation de désigner des zones vulnérables spécifiques lorsqu’ils établissent et appliquent à l’ensemble de leur territoire national les programmes d’action visés à l’article 5 conformément à la présente directive. »
3 L’article 5 de cette directive dispose :
« 1. Pour les besoins des objectifs visés à l’article 1^er et dans un délai de deux ans à compter de la désignation initiale visée à l’article 3, paragraphe 2, ou d’un an après chaque nouvelle désignation visée à l’article 3, paragraphe 4, les États membres établissent des programmes d’action portant sur les zones vulnérables désignées.
2. Un programme d’action peut porter sur toutes les zones vulnérables situées sur le territoire d’un État membre ou, si cet État l’estime approprié, des programmes différents peuvent être établis pour diverses zones ou parties de zones vulnérables.
3. Les programmes d’action tiennent compte :
a) des données scientifiques et techniques disponibles concernant essentiellement les quantités respectives d’azote d’origine agricole ou provenant d’autres sources ;
b) des conditions de l’environnement dans les régions concernées de l’État membre en question.
4. Les programmes d’action sont mis en œuvre dans un délai de quatre ans à compter de leur élaboration et ils contiennent les mesures obligatoires suivantes :
a) les mesures visées à l’annexe III ;
b) les mesures que les États membres ont arrêtées dans le(s) code(s) de bonne pratique agricole élaboré(s) conformément à l’article 4, à l’exception de celles qui ont été remplacées par les mesures énoncées à l’annexe III.
5. En outre, les États membres prennent, dans le cadre des programmes d’action, toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’ils estiment nécessaires, s’il s’avère, dès le début ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action, que les mesures visées au paragraphe 4 ne suffiront pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1^er. Dans le choix de ces mesures ou actions, les États membres tiennent compte de leur efficacité et de leur
coût par rapport à d’autres mesures préventives envisageables.
[...] »
4 L’annexe I de ladite directive, intitulée « Critères de définition des eaux visés à l’article 3, paragraphe 1 », précise :
« A. Les eaux visées à l’article 3, paragraphe 1, sont définies en fonction, entre autres, des critères suivants :
1) si les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées au captage d’eau potable, contiennent ou risquent de contenir, si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises, une concentration de nitrates supérieure à celle prévue par la [directive 75/440/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire dans les États membres (JO 1975, L 194, p. 26)] ;
2) si les eaux souterraines ont, ou risquent d’avoir, une teneur en nitrate supérieure à 50 milligrammes par litre si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises ;
3) si les lacs naturels d’eau douce, les autres masses d’eau douce, les estuaires, les eaux côtières et marines ont subi ou risquent dans un avenir proche de subir une eutrophisation si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises.
[...] »
L’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264)
5 Dans l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), la Cour a jugé que, en ayant omis de procéder à la désignation en tant que zones vulnérables des zones caractérisées par la présence de masses d’eaux superficielles et souterraines affectées par des concentrations en nitrates supérieures à 50 milligrammes par litre et/ou par un phénomène d’eutrophisation, et en n’ayant pas établi les programmes d’action afférents à ces zones dans un délai d’un an après
cette désignation, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 4, et de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/676.
La procédure précontentieuse
6 À la suite du prononcé de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), les services de la Commission ont demandé aux autorités grecques, par lettre du 15 juillet 2015, des informations sur les mesures prises aux fins de l’exécution de cet arrêt. Dans ce cadre, ces services ont indiqué avoir analysé les éléments que ces autorités leur avaient transmis, le 23 mars 2015, et ont indiqué qu’ils considéraient que lesdites autorités avaient désigné les zones
visées dans le dispositif de cet arrêt. Toutefois, lesdits services ont constaté que l’ensemble des programmes d’action afférents à ces zones n’avait pas été établi.
7 Par lettre du 13 novembre 2015, la République hellénique a répondu qu’elle avait constitué un groupe de travail chargé de préparer et de rédiger un projet d’arrêté interministériel qui comprendrait les programmes d’action pour toutes les zones vulnérables aux nitrates (ci-après les « ZVN ») désignées par cet État membre.
8 Par lettre du 12 juillet 2016, la République hellénique a fourni des informations sur les critères et les règles qui seraient pris en compte lors de l’établissement de ces programmes d’action.
9 Par lettre du 30 janvier 2017, la République hellénique a informé la Commission que le projet concernant l’élaboration des programmes d’action avait été confié à l’université agricole d’Athènes (Grèce).
10 Dans une lettre du 29 mai 2017, elle a informé la Commission qu’elle avait signé, le 5 avril 2017, une convention avec l’université agricole d’Athènes et qu’une période de six mois, à partir de cette date, serait nécessaire pour rassembler toutes les informations requises pour achever l’élaboration du projet d’arrêté interministériel.
11 Par une lettre de mise en demeure, du 5 octobre 2017, la Commission a indiqué aux autorités grecques qu’elles ne s’étaient pas conformées à l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), au motif qu’elles n’avaient pas établi les programmes d’action afférents aux ZVN.
12 La République hellénique a répondu par lettre du 1^er décembre 2017 en fournissant des informations sur l’étude réalisée par l’université agricole d’Athènes en vue de l’établissement des programmes d’action. Elle y a indiqué que la durée prévue du projet était de 12 mois à compter de la signature de la convention le 5 avril 2017, mentionnée au point 10 du présent arrêt. Par cette lettre, les autorités grecques ont invité la Commission à tenir une téléconférence dans le cadre de la procédure
« pair-à-pair ».
13 Une téléconférence entre les services de la Commission et les autorités grecques a eu lieu le 25 janvier 2018. Ces services ont souligné qu’ils étaient prêts à aider les autorités grecques dans la réalisation de l’étude afin que celle-ci soit achevée le plus rapidement possible.
14 Par lettre du 13 juillet 2018, la République hellénique a informé la Commission sur l’état d’avancement de l’étude confiée à l’université agricole d’Athènes. Aucune information précise n’a été fournie concernant le calendrier relatif à l’achèvement de l’élaboration des programmes d’action.
15 Dans ces conditions, la Commission, considérant que la mise en conformité avec l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), faisait encore défaut, a introduit le présent recours.
La procédure devant la Cour
16 Le 24 avril 2019, la République hellénique a adopté un arrêté interministériel, intitulé « Programme d’action concernant les régions désignées comme zones vulnérables à la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles en application de l’article 2 de l’arrêté interministériel n^o 19652/1906/1999 ([FEK] B’ 1575), tel qu’en vigueur, adopté conformément à la [directive 91/676] » (FEK B’ 1496/3.5.2019, ci-après l’« arrêté interministériel »), afin de se conformer à l’arrêt du 23 avril
2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264).
17 La Commission a considéré que, ce faisant, la République hellénique avait pris toutes les mesures nécessaires en vue de l’exécution de cet arrêt. Elle a, partant, indiqué, dans son mémoire en réplique, qu’elle se désistait partiellement de son recours en ce qui concerne la demande de versement de l’astreinte proposée. Toutefois, elle a maintenu son recours en tant qu’il vise le paiement d’une somme forfaitaire et pour le montant indiqué dans celui-ci.
Sur le manquement
Argumentation des parties
18 S’agissant du manquement allégué, la Commission fait valoir que, à l’expiration du délai de deux mois fixé dans la lettre de mise en demeure, à savoir le 5 décembre 2017, la République hellénique n’avait pas pris les mesures nécessaires aux fins de l’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264).
19 Si, à cette date, la République hellénique avait effectivement désigné toutes les ZVN selon les critères définis à l’article 3 de la directive 91/676, il n’existait pas, selon la Commission, de programmes d’action visant à garantir leur protection efficace, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive. L’établissement de ces programmes d’action n’aurait été effectif qu’avec l’adoption de l’arrêté interministériel, de telle sorte que le manquement aurait perduré jusqu’au 3 mai
2019.
20 La République hellénique soutient que l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), a été intégralement exécuté avec l’adoption de l’arrêté interministériel et que, partant, le recours de la Commission est dénué de fondement.
21 La République hellénique indique que, durant toute la procédure d’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), elle a coopéré, de manière systématique, avec les services de la Commission pour lui fournir des informations sur le déroulement de cette procédure. Le retard dans l’achèvement de cette procédure ne serait pas dû à un manquement intentionnel, dans la mesure où les autorités grecques auraient pris les mesures nécessaires à l’exécution
de cet arrêt, notamment en ce qui concerne la désignation des ZVN. Le retard en ce qui concerne la publication des programmes d’action serait dû, d’une part, à la procédure d’appel d’offres relative à l’étude universitaire utilisée pour la préparation de ces programmes et, d’autre part, au temps considérable qu’aurait nécessité la préparation de cette étude.
Appréciation de la Cour
22 En vertu de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, si la Commission estime que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, elle peut saisir cette dernière après avoir mis cet État en mesure de présenter des observations, en indiquant le montant de la somme forfaitaire ou de l’astreinte à payer par ledit État qu’elle estime adapté aux circonstances.
23 À cet égard, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement au titre de l’article 260, paragraphe 1, TFUE est celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure émise en vertu de cette disposition (arrêt du 17 octobre 2013, Commission/Belgique, C‑533/11, EU:C:2013:659, point 32 et jurisprudence citée).
24 En l’occurrence, à l’issue du délai de deux mois suivant la réception par la République hellénique de la lettre de mise en demeure mentionnée au point 11 du présent arrêt, à savoir le 5 décembre 2017, cet État membre n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations découlant de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264). En effet, il est constant que ces mesures n’ont été arrêtées par ledit État membre qu’à la suite de
l’adoption de l’arrêté interministériel, entré en vigueur le 3 mai 2019, soit bien après que le délai de deux mois imparti à cet égard a expiré.
25 S’agissant de l’argumentation de la République hellénique tirée de difficultés auxquelles cet État membre aurait été confronté pour se conformer à l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait exciper de difficultés d’ordre interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union (arrêt du 22 février 2018,
Commission/Grèce, C‑328/16, EU:C:2018:98, point 53 et jurisprudence citée).
26 Dans ces conditions, il convient de constater que, en n’ayant pas pris, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans la lettre de mise en demeure émise par le Commission, à savoir le 5 décembre 2017, les mesures nécessaires que comportait l’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.
Sur la somme forfaitaire
Argumentation des parties
27 La Commission demande que la République hellénique soit condamnée au versement d’une somme forfaitaire.
28 S’agissant du montant de cette somme forfaitaire, la Commission se fonde sur sa communication, du 13 décembre 2005, intitulée « Mise en œuvre de l’article [260 TFUE] » [SEC(2005) 1658] (ci-après la « communication du 13 décembre 2005 »), telle que modifiée par la communication de la Commission, intitulée « Modification de la méthode de calcul des sommes forfaitaires et des astreintes journalières proposées par la Commission dans le cadre des procédures d’infraction devant la Cour de justice
de l’Union européenne » (JO 2019, C 70, p. 1, ci-après la « communication de 2019 »).
29 La Commission indique que, conformément au point 20 de la communication du 13 décembre 2005, lors de toute saisine de la Cour au titre de l’article 260 TFUE, elle propose au moins une somme forfaitaire minimale, qui, pour la République hellénique, est fixée à 1 310 000 euros par la communication de 2019.
30 S’agissant de la somme forfaitaire journalière, la Commission propose qu’elle soit fixée à 2 639,25 euros. Elle se réfère, à cet égard, à la formule figurant au point 23 de la communication du 13 décembre 2005 qui prévoit que cette somme résulte de la multiplication d’un forfait de base uniforme, fixé à 1 035 euros par la communication de 2019, par un coefficient de gravité et par un facteur fixe par pays (le facteur « n ») qui est de 0,51 en ce qui concerne la République hellénique.
31 S’agissant du coefficient de gravité, que la Commission propose de fixer à 5 sur une échelle de 1 à 20, cette institution indique avoir pris en compte, conformément aux points 16 à 16.6 de la communication du 13 décembre 2005, deux critères, à savoir l’importance des règles de l’Union ayant fait l’objet de l’infraction et les conséquences de cette infraction pour des intérêts généraux et particuliers. Cette institution s’est, en outre, référée à l’existence de circonstances atténuantes et
aggravantes, tenant à la durée de l’infraction, au degré de clarté de l’obligation figurant à l’article 5 de la directive 91/676 et à la répétition du comportement infractionnel de la République hellénique dans le secteur concerné par le manquement.
32 Considérant que l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), a été exécuté le 3 mai 2019, la Commission estime que, pour le calcul de la somme forfaitaire, le nombre de jours à prendre en considération s’élève à 1 470. Partant, la somme forfaitaire totale serait égale à la somme forfaitaire journalière visée au point 30 du présent arrêt, multiplié par ce nombre de jours, à savoir 3 879 697,50 euros.
33 La République hellénique fait valoir qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires en vue de la pleine exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), et qu’elle a pleinement coopéré avec la Commission, de telle sorte que la somme forfaitaire demandée par la Commission ne se justifie pas. Pour cet État membre, la nécessité de l’imposition d’une telle somme devrait être évaluée au regard d’un risque de récidive. Or, un tel risque serait, en
l’occurrence, absent, dans la mesure où, par l’adoption de l’arrêté interministériel, la République hellénique aurait rempli les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 91/676.
34 En outre, la République hellénique indique que la Commission consent que cet État membre s’est conformé à ses obligations depuis le prononcé de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), en désignant les ZVN. Par ailleurs, les autorités grecques auraient été en contact avec les services de la Commission en ce qui concerne l’élaboration de l’arrêté interministériel, de telle sorte que cette institution était informée que l’exécution complète de cet arrêt
serait imminente. Par conséquent, la demande de somme forfaitaire de la Commission ne se fonderait pas sur des critères objectifs et devrait être rejetée.
35 En tout état de cause, la République hellénique estime que la somme demandée par la Commission est excessive et disproportionnée par rapport à la gravité du manquement ainsi qu’à l’objectif poursuivi et demande à la Cour de procéder à une réduction de cette somme.
36 Dans son mémoire en duplique, la République hellénique estime que le coefficient de gravité de 5 proposé par la Commission est disproportionné. En outre, les conséquences du retard pris dans l’adoption des programmes d’action, notamment sur l’environnement, la santé humaine et les eaux superficielles, n’auraient pas été précisément évaluées par la Commission.
37 Cet État membre fait valoir qu’il a adopté un ensemble de mesures, avant même l’introduction du présent recours, visant à exécuter l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), et que ces mesures devraient être prises en compte dans l’appréciation de la somme forfaitaire proposée par la Commission.
38 Au vu de ces mesures, la République hellénique soutient que le retard pris dans l’adoption de l’arrêté interministériel ne justifie pas l’imposition de la somme forfaitaire demandée par la Commission, puisque lesdites mesures ont permis d’éviter la survenance de conséquences néfastes pour l’environnement, ce qui constitue une exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264). Or, conformément à la jurisprudence de la Cour, la sanction imposée
devrait prendre en compte les progrès réalisés par l’État membre concerné. Enfin, cet État membre conteste l’argument de la Commission visant le comportement infractionnel généralisé dudit État membre, dans la mesure où un tel comportement devrait être évalué au cas par cas.
Appréciation de la Cour
39 À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que, si l’imposition d’une astreinte semble particulièrement adaptée pour inciter un État membre à mettre fin, dans les plus brefs délais, à un manquement qui, en l’absence d’une telle mesure, aurait tendance à persister, l’imposition d’une somme forfaitaire repose essentiellement sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment
lorsque le manquement a persisté pendant une longue période postérieurement à l’arrêt qui l’a initialement constaté (arrêt du 13 juillet 2017, Commission/Espagne, C‑388/16, non publié, EU:C:2017:548, point 34 et jurisprudence citée).
40 La condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et la fixation du montant éventuel de cette somme doivent, dans chaque cas d’espèce, demeurer fonction de l’ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté qu’à l’attitude propre à l’État membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l’article 260 TFUE. À cet égard, celui-ci investit la Cour d’un large pouvoir d’appréciation afin de décider de l’infliction ou non d’une telle
sanction et de déterminer, le cas échéant, son montant [arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 113 et jurisprudence citée].
41 En l’espèce, les éléments à l’origine du manquement constaté par le présent arrêt, à savoir le fait qu’aucun programme d’action visé à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/676 n’a été adopté dans le délai requis, justifient, compte tenu du risque que ce manquement représente pour l’environnement et la santé humaine, et eu égard à la nécessité de prévenir de manière effective la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union, l’adoption d’une mesure dissuasive, telle
que la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire.
42 Il appartient à la Cour, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, de fixer le montant de cette somme forfaitaire de telle sorte qu’elle soit, d’une part, adaptée aux circonstances et, d’autre part, proportionnée à l’infraction commise. Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité de l’infraction constatée, la période durant laquelle celle-ci a persisté depuis le prononcé de l’arrêt l’ayant constatée ainsi que la capacité de paiement de
l’État membre en cause [arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 114 et jurisprudence citée].
43 Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de la durée de l’infraction, il y a lieu de rappeler que celle-ci doit être évaluée en prenant en considération le moment auquel la Cour apprécie les faits et non pas celui où cette dernière est saisie par la Commission (arrêt du 22 février 2018, Commission/Grèce, C‑328/16, EU:C:2018:98, point 99).
44 En outre, si l’article 260 TFUE ne précise pas le délai dans lequel l’exécution d’un arrêt doit intervenir, il est toutefois constant que la mise en œuvre de l’exécution doit être entamée immédiatement et qu’elle doit aboutir dans les délais les plus brefs possibles (arrêt du 22 février 2018, Commission/Grèce, C‑328/16, EU:C:2018:98, point 100 et jurisprudence citée).
45 En l’occurrence, il y a lieu de relever que, bien que la République hellénique ait coopéré avec les services de la Commission en vue de l’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), plus de quatre ans se sont écoulés depuis la date du prononcé de cet arrêt, jusqu’à celle de l’entrée en vigueur, le 3 mai 2019, de l’arrêt interministériel, ayant permis d’exécuter ledit arrêt.
46 Les justifications invoquées par la République hellénique à cet égard, à savoir le fait que le retard dans l’exécution dudit arrêt serait dû à des difficultés internes, ne sauraient être retenues. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 25 du présent arrêt, un État membre ne saurait exciper de difficultés d’ordre interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union.
47 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le manquement reproché à la République hellénique a persisté pendant une période significative.
48 S’agissant, en deuxième lieu, de la gravité de l’infraction, il convient de rappeler que la directive 91/676 vise à protéger l’environnement. À cet égard, la Cour a jugé que l’objectif de protection de l’environnement constitue l’un des objectifs essentiels de l’Union et revêt un caractère tant transversal que fondamental [arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 115 et jurisprudence citée].
49 L’absence de respect de l’obligation résultant de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/676 risque, par la nature même de cette obligation, de porter préjudice à l’environnement et doit être considérée comme particulièrement grave (voir, par analogie, arrêt du 2 décembre 2014, Commission/Grèce, C‑378/13, EU:C:2014:2405, point 54).
50 Ainsi, s’il convient également de prendre en compte les efforts accomplis par la République hellénique et reconnus par la Commission dans la perspective de l’exécution complète des obligations découlant de la directive 91/676, en ce qui concerne notamment la désignation des ZVN, ce n’est qu’avec l’adoption de l’arrêté interministériel et des programmes d’action visés à l’article 5 de cette directive que la prévention et la réduction de la pollution dans ces zones ont pu être réellement
effectives.
51 S’agissant de la circonstance invoquée par la République hellénique, selon laquelle, jusqu’à l’adoption de l’arrêté interministériel, lesdites zones ont pu bénéficier d’une protection suffisante grâce à des mesures visant à protéger les eaux superficielles et souterraines contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, elle ne saurait, en l’occurrence, être prise en compte en tant que circonstance atténuante, dès lors qu’il est constant que c’est exclusivement avec
l’adoption de cet arrêté interministériel que cet État membre a pu se conformer aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/676.
52 Dans ces conditions, la Cour ne peut que constater la durée significative d’une infraction qui, eu égard à l’objectif de protection de l’environnement poursuivi par la directive 91/676, revêt une gravité particulière.
53 En troisième lieu, en ce qui concerne la capacité de paiement de l’État membre en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de prendre en compte l’évolution récente du produit intérieur brut (PIB) de cet État membre, telle qu’elle se présente à la date de l’examen des faits par la Cour (arrêt du 22 février 2018, Commission/Grèce, C‑328/16, EU:C:2018:98, point 101).
54 Eu égard à l’ensemble de considérations qui précèdent, la Cour considère qu’il est justifié d’infliger à la République hellénique le paiement d’une somme forfaitaire et qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en fixant à 3 500 000 euros le montant de la somme forfaitaire que la République hellénique devra acquitter, sur un compte qui sera indiqué par la Commission.
Sur les dépens
55 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et le manquement ayant été constaté, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
1) En n’ayant pas pris, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans la lettre de mise en demeure émise par la Commission européenne, à savoir le 5 décembre 2017, les mesures nécessaires que comportait l’exécution de l’arrêt du 23 avril 2015, Commission/Grèce (C‑149/14, non publié, EU:C:2015:264), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE.
2) La République hellénique est condamnée à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire de 3 500 000 euros, sur un compte qui sera indiqué par celle-ci.
3) La République hellénique est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : le grec.