ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
19 novembre 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Union douanière – Règlement (CEE) no 2913/92 – Code des douanes communautaire – Article 29, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a) – Article 32, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, sous b) – Règlement (CEE) no 2454/93 – Article 157, paragraphe 2 – Détermination de la valeur en douane – Valeur transactionnelle des marchandises importées – Notion de “condition de la vente” – Paiement en contrepartie de l’octroi d’un droit de distribution exclusive »
Dans l’affaire C‑775/19,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Bade-Wurtemberg, Allemagne), par décision du 22 juillet 2019, parvenue à la Cour le 22 octobre 2019, dans la procédure
5th AVENUE Products Trading GmbH
contre
Hauptzollamt Singen,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Regan, (rapporteur), président de la cinquième chambre, faisant fonction de président de la dixième chambre, MM. E. Juhász et I. Jarukaitis, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le Hauptzollamt Singen, par Mme B. Geyer, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. C. Vollrath et Mme M. Kocjan, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 32, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, sous b), du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 50, ci-après le « code des douanes »), ainsi que de l’article 157, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement no 2913/92 (JO 1993, L 253, p. 1,
ci‑après le « règlement d’application »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant 5th AVENUE Products Trading GmbH (ci-après « 5th Avenue ») au Hauptzollamt Singen (bureau de douane principal de Singen, Allemagne) (ci-après le « bureau de douane »), au sujet de la prise en compte du paiement effectué en contrepartie de l’octroi d’un droit de distribution exclusive pour la détermination de la valeur en douane de marchandises importées d’un pays tiers en vue de leur mise en libre pratique sur le territoire de
l’Union européenne.
Le cadre juridique
Le code des douanes
3 Le code des douanes a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé) (JO 2008, L 145, p. 1), puis par le règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, et rectificatif JO 2013, L 287, p. 90). Toutefois, en vertu de l’article 286, paragraphe 2, de ce dernier
règlement, lu en combinaison avec l’article 288, paragraphe 2, de celui-ci, le code des douanes est resté applicable jusqu’au 30 avril 2016.
4 Figurant au chapitre 3, intitulé « Valeur en douane des marchandises », du titre II, intitulé « Éléments sur la base desquels les droits à l’importation ou à l’exportation ainsi que les autres mesures prévues dans le cadre des échanges des marchandises sont appliqués », du code des douanes, l’article 29 de celui-ci prévoyait :
« 1. La valeur en douane des marchandises importées est leur valeur transactionnelle, c’est‑à‑dire le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du territoire douanier de la Communauté, le cas échéant, après ajustement effectué conformément aux articles 32 et 33 [...]
[...]
3.
a) Le prix effectivement payé ou à payer est le paiement total effectué ou à effectuer par l’acheteur au vendeur, ou au bénéfice de celui‑ci, pour les marchandises importées et comprend tous les paiements effectués ou à effectuer, comme condition de la vente des marchandises importées, par l’acheteur au vendeur, ou par l’acheteur à une tierce personne pour satisfaire à une obligation du vendeur. [...]
[...] »
5 Figurant au même chapitre, l’article 32 dudit code disposait :
« 1. Pour déterminer la valeur en douane par application de l’article 29, on ajoute au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées :
[...]
c) les redevances et les droits de licence relatifs aux marchandises à évaluer, que l’acheteur est tenu d’acquitter, soit directement, soit indirectement, en tant que condition de la vente des marchandises à évaluer, dans la mesure où ces redevances et droits de licence n’ont pas été inclus dans le prix effectivement payé ou à payer ;
d) la valeur de toute partie du produit de toute revente, cession ou utilisation ultérieure des marchandises importées qui revient directement ou indirectement au vendeur ;
[...]
2. Tout élément qui est ajouté par application du présent article au prix effectivement payé ou à payer est fondé exclusivement sur des données objectives et quantifiables.
[...]
5. Nonobstant le paragraphe 1 point c) :
[...]
b) les paiements effectués par l’acheteur en contrepartie du droit de distribuer ou de revendre les marchandises importées ne sont pas ajoutés au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées si ces paiements ne sont pas une condition de la vente, pour l’exportation, des marchandises importées à destination de la Communauté. »
Le règlement d’application
6 Figurant au chapitre 2, intitulé « Dispositions relatives aux redevances et droits de licence », du titre V, intitulé « Valeur en douane », du règlement d’application, l’article 157 de ce règlement disposait :
« 1. Aux fins de l’article 32 paragraphe 1 point c) du code [des douanes], on entend par redevances et droits de licence notamment le paiement pour l’usage de droits se rapportant :
– à la fabrication de la marchandise importée (notamment les brevets, les dessins, les modèles et les savoir-faire en matière de fabrication)
ou
– à la vente pour l’exportation de la marchandise importée (notamment les marques de commerce ou de fabrique, les modèles déposés)
ou
– à l’utilisation ou à la revente de la marchandise importée (notamment les droits d’auteur, les procédés de fabrication inséparablement incorporés dans la marchandise importée).
2. Indépendamment des cas prévus à l’article 32 paragraphe 5 du code [des douanes], lorsque la valeur en douane de la marchandise importée est déterminée par application des dispositions de l’article 29 du code [des douanes], la redevance ou le droit de licence n’est à ajouter au prix effectivement payé ou à payer que si ce paiement :
– est en relation avec la marchandise à évaluer
et
– constitue une condition de vente de cette marchandise. »
7 Figurant à ce chapitre 2, l’article 158, paragraphe 3, dudit règlement énonçait :
« Si les redevances ou les droits de licence se rapportent en partie aux marchandises importées et en partie à d’autres ingrédients ou éléments constitutifs ajoutés aux marchandises après leur importation ou encore à des prestations ou services postérieurs à l’importation, une répartition appropriée n’est à effectuer que sur la base de données objectives et quantifiables, conformément à la note interprétative figurant à l’annexe 23 et afférente à l’article 32 paragraphe 2 du code [des douanes]. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Le 31 janvier 2012, 5th Avenue, société établie en Allemagne ayant pour objet social, notamment, le commerce de tabacs manufacturés ainsi que d’articles pour fumeurs, et Habanos SA, la société publique cubaine exportatrice de cigares, ont conclu un contrat, dénommé « Exclusive Distribution Agreement » (accord de distribution exclusive, ci‑après l’« EDA »), en vertu duquel 5th Avenue a obtenu le droit exclusif, en qualité de seul et unique distributeur, d’importer, de vendre et de distribuer en
Allemagne et en Autriche les cigares produits par ladite société publique. En contrepartie de l’octroi de ce droit de distribution exclusive en Autriche, 5th Avenue s’était engagée à verser à Habanos, pendant une période de quatre années, un montant annuel, qualifié de « compensation », s’élevant à 25 % du chiffre d’affaires annuel résultant des ventes de cigares dans cet État membre.
9 Il ressort de la décision de renvoi que 5th Avenue commandait les cigares sur la base d’une liste de prix et qu’elle utilisait, pour l’importation de ces produits, un entrepôt douanier autorisé, situé au lieu de son siège, en Allemagne. Au moment de l’entreposage de ces marchandises, 5th Avenue déclarait aux autorités douanières le prix d’achat effectivement payé ainsi que le fret et l’assurance, sans toutefois inclure la compensation due en vertu de l’EDA pour la partie des marchandises vendues
en Autriche. En effet, à ce moment, elle n’avait pas encore établi dans quelle proportion lesdites marchandises seraient vendues en Autriche ou en Allemagne. Lors de leur sortie dudit entrepôt, les cigares étaient mis en libre pratique au titre de la procédure simplifiée d’apurement du régime, au moyen de leur inscription dans les écritures comptables, sans être présentés à nouveau aux autorités douanières.
10 À l’issue d’une inspection douanière, le contrôleur a conclu que le paiement de la compensation prévue par l’EDA constituait un élément distinct du prix d’achat des marchandises importées qui, en application de l’article 29, paragraphe 3, sous a), du code des douanes, devait être pris en considération pour la détermination de la valeur en douane de ces marchandises.
11 Le bureau de douane, suivant la position du contrôleur, a émis plusieurs avis portant fixation des droits et taxes à l’importation, au nombre desquels figure un avis du 28 août 2015, seul en cause dans l’affaire au principal. Conformément à cet avis, ledit bureau a procédé au recouvrement a posteriori de droits à l’importation pour des marchandises que 5th Avenue avait placées sous le régime de l’entrepôt douanier au cours de la période comprise entre le 21 février et le 12 décembre 2013.
12 Le 23 septembre 2015, 5th Avenue a formé opposition contre ledit avis.
13 Par une décision du 22 novembre 2017, le bureau de douane a rejeté, pour l’essentiel, cette opposition comme étant non fondée.
14 Le 6 décembre 2017, 5th Avenue a saisi le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Bade-Wurtemberg, Allemagne) d’un recours contre cette décision, au motif que les paiements effectués au titre de la compensation pour l’octroi des droits exclusifs de distribution ne sont ni une condition de vente ni en relation avec la marchandise à évaluer, au sens de l’article 32, paragraphe 5, sous b), du code des douanes et de l’article 157, paragraphe 2, du règlement d’application. D’une
part, le paiement de cette compensation ne serait pas d’une importance telle que le vendeur aurait refusé de vendre en l’absence de paiement de celle-ci. En effet, ladite compensation devait être payée uniquement en contrepartie du droit de distribution exclusive en Autriche et uniquement pour la période correspondant aux quatre premières années. D’autre part, le droit de distribution exclusive irait au-delà du droit de disposer des marchandises en vue de leur revente et n’influencerait pas la
valeur des marchandises lors de l’importation. En effet, la vente des marchandises ne serait pas juridiquement exclue en l’absence de l’octroi d’un droit de distribution exclusive.
15 Le bureau de douane soutient que la compensation en cause au principal, qu’elle soit considérée comme un élément distinct du prix d’achat ou comme une redevance ou un droit de licence, doit être ajoutée à la valeur en douane, dès lors qu’elle constitue une condition de la vente et qu’elle est en relation avec les marchandises importées. En effet, en vertu de l’article 32, paragraphe 1, sous c), du code des douanes, le paiement d’une redevance ou d’un droit de licence serait considéré comme une
condition de la vente si le vendeur ou une personne qui lui est liée requiert de l’acheteur qu’il effectue ce paiement. Lorsque, comme en l’occurrence, le vendeur des marchandises et le titulaire des droits voisins auquel l’acheteur de ces marchandises verse des redevances pour l’octroi de ces droits sont une seule et même personne, il conviendrait de considérer que la livraison des marchandises soumises à licence dépend non seulement du paiement du prix d’achat, mais également de celui de la
redevance, à l’instar de ce que prévoirait désormais l’article 136, paragraphe 4, sous a), du règlement d’exécution (UE) 2015/2447 de la Commission, du 24 novembre 2015, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement no 952/2013 (JO 2015, L 343, p. 558). 5th Avenue n’aurait d’ailleurs pas fourni d’éléments prouvant que Habanos livrerait les marchandises même en l’absence de versement de ces redevances. Par ailleurs, les redevances et droits de licence seraient
également en relation avec les marchandises importées. En effet, ils seraient calculés sur la base du chiffre d’affaires généré par la vente de ces marchandises. En outre, la demande de protection territoriale n’aurait pas émané de l’acheteur.
16 Selon la juridiction de renvoi, la compensation en cause au principal, prévue par l’EDA, ne constitue pas un élément distinct du prix d’achat, au sens de l’article 29, paragraphe 3, sous a), du code des douanes, mais relève des redevances et droits de licence, au sens de l’article 32, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, sous b), dudit code, lus en combinaison avec l’article 157, paragraphe 1, troisième tiret, et paragraphe 2, du règlement d’application. En effet, cette compensation serait
versée pour l’usage de droits se rapportant à l’utilisation ou à la revente de la marchandise importée. Conformément à l’arrêt du 9 mars 2017, GE Healthcare (C‑173/15, EU:C:2017:195), ces redevances et droits de licence devraient, dès lors, être ajoutés au prix d’achat lorsque trois conditions cumulatives sont remplies, à savoir qu’ils n’ont pas été inclus dans le prix effectivement payé ou à payer, qu’ils sont en relation avec la marchandise à évaluer et que l’acheteur est tenu de les acquitter
en tant que condition de la vente de la marchandise à évaluer.
17 Selon cette juridiction, la première et la troisième de ces conditions sont remplies en l’occurrence. D’une part, il ressortirait des stipulations de l’EDA, et il serait, au demeurant, constant entre les parties que les redevances et droits de licence versés en contrepartie du droit de distribution exclusive des marchandises concernées en Autriche n’étaient pas inclus dans le prix d’achat des marchandises à évaluer. D’autre part, le paiement de la compensation en cause au principal constituerait
également une condition de la vente. En effet, lorsque le vendeur des marchandises importées est également le donneur de licence, il devrait être présumé que celui‑ci exige également de l’acheteur, qui est aussi le preneur de licence, le paiement, en sus du prix, des redevances et droits de licence. Il conviendrait donc de considérer que Habanos n’aurait pas livré les marchandises destinées à la distribution en Autriche sans le versement de cette compensation ou, en tout état de cause, qu’elle ne
les aurait pas fournies aux mêmes conditions contractuelles que celles convenues. Serait dénué de pertinence à cet égard la circonstance que cette obligation aurait cessé après l’écoulement d’une période de quatre années, une telle circonstance ne démontrant pas que l’acheteur aurait obtenu un droit de distribution exclusive pendant cette période en l’absence du paiement de ladite compensation. Serait également sans importance le fait que la compensation en cause au principal aurait été convenue
dans un contrat-cadre, tel que l’EDA, dès lors que celui-ci prévoit le principe du paiement de cette compensation lors de tout achat individuel ultérieur.
18 En revanche, ladite juridiction doute que la deuxième condition soit remplie. À cet égard, une distinction devrait, selon elle, être effectuée entre le droit de distribution, en vertu duquel le distributeur dispose du droit de revendre pour la première fois les marchandises importées sur un territoire donné, et l’exclusivité territoriale, en vertu de laquelle ce distributeur obtient le droit de distribution exclusive des marchandises concernées sur ce territoire, en jouissant d’une protection
territoriale. Si ces deux éléments étaient, en vertu de l’EDA, indistinctement couverts par la compensation en cause au principal, seul le droit de distribution aurait une relation claire avec les marchandises importées, dès lors que le droit de revendre ou de distribuer ces marchandises relèverait du pouvoir d’en disposer et y serait donc incorporé. En revanche, le droit de distribution exclusive constituerait un droit additionnel, allant au-delà du transfert du pouvoir de disposer des
marchandises. Il en résulterait que la redevance ou le droit de licence réclamé pour l’octroi d’un droit de distribution exclusive serait versé non plus en contrepartie de la marchandise importée, mais afin que le vendeur ne fournisse pas d’autres personnes sur le territoire visé par l’accord.
19 Dans le cas où l’octroi de l’exclusivité territoriale ne serait pas considéré comme lié aux marchandises importées, la juridiction de renvoi se demande, par ailleurs, si l’intégralité de cette compensation doit être ajoutée au prix d’achat de ces marchandises aux fins de la détermination de leur valeur en douane ou si seule la partie correspondant à la valeur de ladite compensation présentant un rapport avec les marchandises doit y être intégrée. Au point 52 de l’arrêt du 9 mars 2017,
GE Healthcare (C‑173/15, EU:C:2017:195), la Cour aurait jugé, en ce qui concerne l’article 158, paragraphe 3, du règlement d’application, que, même si les redevances ou les droits de licence sont afférents, pour partie, aux marchandises importées et, pour partie, à des prestations de services postérieures à l’importation, l’ajustement prévu à l’article 32, paragraphe 1, sous c), du code des douanes pourra être appliqué sur la base de données objectives et quantifiables permettant d’évaluer le
montant des redevances ou des droits de licence liés à ces marchandises. Il conviendrait donc de déterminer si ces principes sont transposables dans l’affaire au principal. Si tel est le cas, la question se poserait de savoir sur la base de quels critères cette répartition doit être effectuée en ce qui concerne la compensation en cause au principal, en l’absence de toutes données objectives et quantifiables, au sens de ces dispositions.
20 Dans ces conditions, le Finanzgericht Baden-Württemberg (tribunal des finances du Bade-Wurtemberg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les paiements que l’acheteur d’une marchandise effectue annuellement pendant quatre ans, en sus du prix d’achat et en fonction de son chiffre d’affaires, en contrepartie du droit de distribuer la marchandise :
– sur un territoire déterminé,
– pour la toute première fois,
– en exclusivité, et
– de manière durable
constituent-ils des redevances et des droits de licence, au sens de l’article 32, paragraphe 1, sous c), du [code des douanes], qui sont ajoutés au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées en application de l’article 32, paragraphe 5, sous b), du code des douanes, lu en combinaison avec l’article 157, paragraphe 2, du règlement [d’application] ?
2) Ces redevances ne doivent-elles être ajoutées, le cas échéant, que proportionnellement au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées et, si tel est le cas, selon quels critères et dans quelle mesure ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 32, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, sous b), du code des douanes, lu en combinaison avec l’article 157, paragraphe 2, du règlement d’application, doit être interprété en ce sens qu’un paiement, effectué pendant une période limitée, par l’acheteur de marchandises importées au vendeur de celles-ci, en contrepartie de l’octroi, par ce dernier, d’un droit de distribution exclusive de ces marchandises sur un
territoire donné, et calculé sur le chiffre d’affaires réalisé sur ce territoire, doit être intégré à la valeur en douane desdites marchandises.
22 Il convient de rappeler que le droit de l’Union relatif à l’évaluation en douane vise à établir un système équitable, uniforme et neutre, qui exclut l’utilisation de valeurs en douane arbitraires ou fictives. La valeur en douane doit donc refléter la valeur économique réelle d’une marchandise importée et, dès lors, tenir compte de l’ensemble des éléments de cette marchandise qui présentent une valeur économique (voir, notamment, arrêts du 16 novembre 2006, Compaq Computer International
Corporation, C‑306/04, EU:C:2006:716, point 30 ; du 20 décembre 2017, Hamamatsu Photonics Deutschland, C‑529/16, EU:C:2017:984, point 24, et du 20 juin 2019, Oribalt Rīga, C‑1/18, EU:C:2019:519, point 22).
23 En particulier, en vertu de l’article 29 du code des douanes, la valeur en douane des marchandises importées est constituée par leur valeur transactionnelle, à savoir le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du territoire douanier de l’Union, sous réserve, toutefois, des ajustements devant être, le cas échéant, effectués conformément, notamment, à l’article 32 de ce code (voir, notamment, arrêts du 16 juin 2016, EURO
2004. Hungary, C‑291/15, EU:C:2016:455, point 24 ; du 9 mars 2017, GE Healthcare, C‑173/15, EU:C:2017:195, point 31, et du 20 décembre 2017, Hamamatsu Photonics Deutschland, C‑529/16, EU:C:2017:984, point 25).
24 Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, la valeur en douane doit être déterminée, en priorité, selon la méthode dite « de la valeur transactionnelle » des marchandises importées (arrêts du 16 juin 2016, EURO 2004. Hungary, C‑291/15, EU:C:2016:455, point 30, et du 20 décembre 2017, Hamamatsu Photonics Deutschland, C‑529/16, EU:C:2017:984, point 26). Cette méthode de détermination de la valeur en douane est ainsi supposée être la plus adaptée et la plus fréquemment utilisée (arrêts du 12 décembre 2013,
Christodoulou e.a., C‑116/12, EU:C:2013:825, point 44, ainsi que du 16 juin 2016, EURO 2004. Hungary, C‑291/15, EU:C:2016:455, point 30).
25 Le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises forme donc, en règle générale, la base de calcul de la valeur en douane, même si ce prix est une donnée qui doit éventuellement faire l’objet d’ajustements, lorsque cette opération est nécessaire pour éviter de déterminer une valeur en douane arbitraire ou fictive (voir, notamment, arrêts du 16 juin 2016, EURO 2004. Hungary, C‑291/15, EU:C:2016:455, point 25 ; du 20 décembre 2017, Hamamatsu Photonics Deutschland, C‑529/16, EU:C:2017:984,
point 27, et du 20 juin 2019, Oribalt Rīga, C‑1/18, EU:C:2019:519, point 23).
26 En effet, conformément à l’objectif poursuivi par les règles du code des douanes relatives à la détermination de la valeur en douane, rappelé au point 22 du présent arrêt, la valeur transactionnelle doit refléter la valeur économique réelle d’une marchandise importée (arrêts du 12 décembre 2013, Christodoulou e.a., C‑116/12, EU:C:2013:825, point 40 ; du 16 juin 2016, EURO 2004. Hungary, C‑291/15, EU:C:2016:455, point 26, ainsi que du 20 décembre 2017, Hamamatsu Photonics Deutschland, C‑529/16,
EU:C:2017:984, point 28).
27 À ce titre, les éléments à ajouter au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées, afin de déterminer leur valeur en douane, sont énoncés à l’article 32 du code des douanes. Ainsi, selon le paragraphe 1, sous c), de cette disposition, sont ajoutés à ce prix les redevances et les droits de licence qui sont relatifs aux marchandises à évaluer que l’acheteur est tenu d’acquitter en tant que condition de la vente des marchandises à évaluer, dans la mesure où ces redevances et
droits de licence n’ont pas été inclus dans le prix effectivement payé ou à payer.
28 L’article 157, paragraphe 2, du règlement d’application précise, à cet égard, que les redevances ou les droits de licence doivent être ajoutés au prix effectivement payé ou à payer lorsque le paiement, d’une part, est en relation avec la marchandise à évaluer et, d’autre part, constitue une condition de vente de cette marchandise.
29 Toutefois, ainsi que la Commission européenne l’a fait observer à juste titre dans ses observations écrites, il y a lieu de constater que les notions de « redevances » et de « droits de licence », figurant à ces dispositions, concernent uniquement des paiements effectués par un acheteur à un vendeur au titre de l’usage de droits de propriété intellectuelle.
30 En effet, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 157, paragraphe 1, du règlement d’application, ces notions visent des paiements pour l’usage de droits se rapportant à la fabrication des marchandises, tels que, notamment, « les brevets, les dessins, les modèles et les savoir-faire de fabrication », à la vente pour l’exportation des marchandises, comme, notamment, « les marques de commerce ou de fabrique et les modèles déposés », ainsi qu’à l’utilisation ou à la revente de ces
marchandises, tels que, notamment « les droits d’auteur et les procédés de fabrication intrinsèquement attachés auxdites marchandises » (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, GE Healthcare, C‑173/15, EU:C:2017:195, point 33).
31 Or, en l’occurrence, il ressort des éléments dont dispose la Cour que les paiements en cause au principal sont effectués, en vertu des dispositions contractuelles liant les parties au principal, en contrepartie de l’octroi non pas de droits de propriété intellectuelle, mais d’un droit de distribution exclusive. En particulier, rien dans la décision de renvoi ne suggère que ces paiements seraient dus en raison de la concession par le vendeur d’une éventuelle licence portant sur des droits de
propriété intellectuelle dont il serait le titulaire.
32 Il s’ensuit que l’article 32, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, sous b), du code des douanes ainsi que l’article 157, paragraphe 2, du règlement d’application ne sont pas applicables dans l’affaire au principal.
33 Cela étant, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de
l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (arrêt du 12 mars 2020, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle, C‑769/18, EU:C:2020:203, point 39).
34 En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa première question à l’interprétation de l’article 32, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 5, sous b), du code des douanes ainsi que de l’article 157, paragraphe 2, du règlement d’application, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait
fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 12 mars 2020, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle, C‑769/18, EU:C:2020:203, point 40).
35 En l’occurrence, dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 23 à 25 du présent arrêt, les ajustements prévus à l’article 32 du code des douanes ne doivent être apportés à la valeur transactionnelle des marchandises importées, au sens de l’article 29 du code des douanes, que lorsque de tels ajustements sont nécessaires pour que cette valeur reflète la valeur économique réelle de ces marchandises, il y a lieu d’examiner si, ainsi que la Commission le fait valoir, un paiement tel que celui en
cause au principal fait déjà partie de la valeur en douane desdites marchandises, en tant qu’élément du prix effectivement payé ou à payer, en application de cet article 29, en particulier de son paragraphe 1 et de son paragraphe 3, sous a).
36 Partant, il convient de considérer que la première question posée par la juridiction de renvoi vise à savoir si l’article 29, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), du code des douanes doit être interprété en ce sens qu’un paiement, effectué pendant une période limitée, par l’acheteur de marchandises importées au vendeur de celles-ci, en contrepartie de l’octroi, par ce dernier, d’un droit de distribution exclusive de ces marchandises sur un territoire donné, et calculé sur le chiffre d’affaires
réalisé sur ce territoire, doit être intégré à la valeur en douane desdites marchandises.
37 À cet égard, il convient de relever que le « prix effectivement payé ou à payer », au sens du paragraphe 1 de l’article 29 du code des douanes, correspond, conformément au paragraphe 3, sous a), de cet article, au paiement total effectué ou à effectuer par l’acheteur au vendeur pour les marchandises importées et comprend tous les paiements effectués entre ceux-ci comme « condition de la vente » de ces marchandises.
38 Il en ressort qu’un paiement effectué par l’acheteur au vendeur doit être inclus dans la valeur transactionnelle des marchandises concernées, dès lors que ce paiement fait partie des « conditions de la vente » de cette marchandise, au sens de l’article 29, paragraphe 3, sous a), du code des douanes.
39 Cette conclusion est, au demeurant, corroborée par l’article 32, paragraphe 5, sous b), de ce code, qui prévoit, à l’inverse, s’agissant précisément des paiements effectués par l’acheteur en contrepartie du droit de distribuer ou de revendre des marchandises importées, que ces paiements ne sont pas ajoutés au prix effectivement payé ou à payer lorsqu’ils ne sont pas une telle condition de la vente de ces marchandises.
40 Si aucune disposition du code des douanes ou du règlement d’exécution ne contient de définition de la notion de « condition de la vente », au sens de l’article 29, paragraphe 3, sous a), de ce code, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en vue de préserver la priorité de la méthode de la valeur transactionnelle, les notions figurant à cet article 29 doivent être interprétées de manière large (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Christodoulou e.a., C‑116/12, EU:C:2013:825,
point 45).
41 Ainsi, la Cour a déjà jugé, s’agissant de la notion de « condition de la vente » figurant à l’article 32, paragraphe 1, sous c), du code des douanes, qu’un paiement constitue une telle « condition de la vente » des marchandises à évaluer lorsque, dans le cadre des relations contractuelles établies entre le vendeur, ou la personne qui est liée à celui-ci, et l’acheteur, ce paiement revêt une importance telle pour le vendeur que, à défaut dudit paiement, ce dernier ne procéderait pas à la vente
(arrêt du 9 mars 2017, GE Healthcare, C‑173/15, EU:C:2017:195, point 60).
42 Dès lors que l’article 32 de ce code vise à préciser la valeur transactionnelle d’une marchandise importée, au sens de l’article 29 dudit code, et poursuit ainsi le même objectif que celui visé à cet article 29, il y a lieu de considérer que cette interprétation de la notion de « condition de la vente » s’applique également dans le contexte de ce dernier article. En effet, compte tenu des exigences d’unité et de cohérence de l’ordre juridique de l’Union, les notions utilisées par les actes
adoptés dans un même domaine doivent avoir la même signification, à moins que le législateur de l’Union n’ait exprimé une volonté différente (voir, notamment, arrêt du 15 septembre 2016, Landkreis Potsdam-Mittelmark, C‑400/15, EU:C:2016:687, point 37 et jurisprudence citée).
43 Il en résulte qu’un paiement, tel que celui en cause au principal, doit être considéré comme une « condition de la vente » des marchandises importées, au sens de l’article 29, paragraphe 3, sous a), du code des douanes, lorsque ce paiement a été exigé par le vendeur comme condition pour la distribution exclusive de ces marchandises sur le territoire concerné.
44 Or, il ressort des éléments dont dispose la Cour que, selon l’appréciation effectuée par la juridiction de renvoi, tel est précisément le cas, cette juridiction étant d’ores et déjà parvenue à la conclusion, dans la décision de renvoi, que le vendeur des marchandises, dès lors qu’il est également le bénéficiaire du paiement en cause, n’aurait pas, en l’absence de ce paiement, fourni ces marchandises en vue de leur distribution exclusive sur le territoire autrichien, de telle sorte que ce paiement
doit être considéré comme faisant partie des conditions de la vente desdites marchandises.
45 À cet égard, est dénuée de pertinence, ainsi que la juridiction de renvoi l’a d’ailleurs constaté, la circonstance que ce paiement soit imposé dans le contrat‑cadre de distribution exclusive plutôt que dans chaque contrat individuel de vente ultérieur des marchandises concernées, dès lors que les conditions fixées dans ce contrat-cadre déterminent les conditions auxquelles chaque vente individuelle doit être effectuée (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 1986, Van Houten International, 65/85,
EU:C:1986:53, point 13, ainsi que du 23 février 2006, Dollond & Aitchison, C‑491/04, EU:C:2006:144, point 26).
46 De même, il est indifférent que, comme l’a également indiqué cette juridiction, ledit paiement ne doive être effectué que pendant une période limitée, en l’occurrence pendant quatre années, le litige au principal portant précisément sur la détermination de la valeur en douane des marchandises concernées au cours de cette période initiale, pendant laquelle le vendeur a effectivement exigé un tel paiement pour la distribution exclusive de ses marchandises.
47 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 29, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), du code des douanes doit être interprété en ce sens qu’un paiement, effectué pendant une période limitée, par l’acheteur de marchandises importées au vendeur de celles-ci, en contrepartie de l’octroi, par ce dernier, d’un droit de distribution exclusive de ces marchandises sur un territoire donné, et calculé sur le chiffre d’affaires
réalisé sur ce territoire, doit être intégré à la valeur en douane desdites marchandises.
Sur la seconde question
48 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 29, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens qu’un paiement, effectué pendant une période limitée, par l’acheteur de marchandises importées au vendeur de celles-ci, en contrepartie de l’octroi, par ce dernier, d’un droit de distribution exclusive de ces marchandises sur un territoire donné, et calculé sur le chiffre d’affaires réalisé sur ce
territoire, doit être intégré à la valeur en douane desdites marchandises.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.