ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
30 juin 2021 (*)
« Fonction publique – Personnel de la BCE – Demande de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie – Articles 6.3.11 à 6.3.13 des règles applicables au personnel de la BCE – Irrégularité de la procédure – Absence de rapport d’enquête – Responsabilité non contractuelle »
Dans l’affaire T‑554/16,
BZ, représentée par M^e S. Pappas, avocat,
partie requérante,
contre
Banque centrale européenne (BCE), représentée par M^me E. Carlini et M. F. Malfrère, en qualité d’agents, assistés de M^e B. Wägenbaur, avocat,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision de la BCE du 23 juillet 2014 qui a clos la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante et, d’autre part, à la réparation des préjudices matériel et moral que la requérante aurait prétendument subis du fait de cette décision,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de MM. H. Kanninen, président, M. Jaeger (rapporteur) et M^me N. Półtorak, juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
1 Agent depuis le 1^er septembre 1995 de l’Institut monétaire européen (IME), puis, à compter de 1998, de la Banque centrale européenne (BCE), la requérante, BZ, a été affectée en qualité d’experte à la division des infrastructures de marché de la direction générale « Paiements » de la BCE.
2 En 1998, la requérante est devenue membre du comité du personnel de la BCE et, à l’exception d’une courte période en 2006, l’est restée jusqu’au mois de juin 2008. Pour ses activités de représentation du personnel, la requérante a bénéficié de dispenses de service variant entre 20 % et 50 % de son temps de travail.
3 À partir du premier semestre 2006, la requérante a commencé à souffrir de problèmes de santé. De ce fait, elle a bénéficié d’un temps de travail adapté de mars à fin mai 2007.
4 Depuis le 18 janvier 2008, la requérante est en congé de maladie à temps complet.
Sur les première et deuxième procédures de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante
5 Le 2 octobre 2008, la requérante a introduit une demande visant à la reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie.
6 Le 10 décembre 2008, la requérante a reçu une lettre de la BCE lui expliquant les étapes de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie. En outre, la BCE a saisi l’occasion pour informer la requérante que l’expert médical choisi pour sa demande était A.
7 Le 16 février 2010, la requérante a demandé au médecin-conseil de la BCE de remplacer A, expert médical chargé de son dossier, par un autre expert, au motif que celui-ci n’était pas suffisamment neutre.
8 Par une lettre du 31 mai 2010, la BCE a décidé de faire droit à la demande de la requérante par la clôture de la première procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie et d’ouvrir une deuxième procédure en désignant un nouvel expert médical, à savoir B.
9 Le 28 juin 2011, la requérante a demandé l’annulation de la deuxième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie.
10 Par une lettre du 29 août 2011, la BCE a de nouveau décidé d’accueillir la demande de la requérante et a ouvert une troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie.
Sur la troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante
11 Le 7 mai 2012, la BCE a informé la requérante de la désignation de C, en qualité d’expert médical, dans le cadre de la troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie.
12 Le 25 mai 2012, la BCE a reçu une lettre de la requérante qui lui demandait de fournir des documents supplémentaires à C.
13 Le 18 juin 2012, C a invité la requérante à une visite médicale prévue le 17 juillet 2012.
14 Le 22 juin 2012, la BCE a fourni à C les documents supplémentaires demandés par la requérante, à l’exception de deux d’entre eux, à savoir un certificat médical qui n’était pas en sa possession et un autre document qui, pour des raisons de protection des données, ne pouvait pas être communiqué.
15 Le 12 juillet 2012, la requérante a adressé une lettre à la BCE faisant valoir plusieurs irrégularités dans la procédure, notamment l’absence d’enquête administrative.
16 Le 27 août 2012, la BCE a répondu aux allégations de la requérante quant à l’irrégularité de la procédure. Elle a également informé la requérante que l’expert médical allait lui fixer un nouveau rendez-vous et que, si celle-ci ne s’y soumettait pas, elle prononcerait la clôture de la procédure.
17 Par lettre du 28 août 2012, adressée à C et dont une copie a également été adressée à la requérante, la BCE a demandé à celui-ci d’organiser une autre visite médicale, prévue le 19 septembre 2012.
18 Le 12 septembre 2012, la requérante a réitéré un certain nombre de commentaires sur la prétendue irrégularité de la procédure, en indiquant que, dans ces conditions, elle ne se présenterait pas à la visite médicale prévue le 19 septembre 2012.
19 Le 19 septembre 2012, C a informé la BCE que la requérante ne s’était pas présentée au rendez-vous fixé à cette date. Il a demandé à la BCE de lui indiquer la conduite future à suivre.
20 Le 8 octobre 2012, C a renoncé à son mandat.
21 Le 31 janvier 2013, la BCE a informé la requérante que de nouvelles règles applicables à son personnel étaient entrées en vigueur le 1^er octobre 2012. La BCE lui a également indiqué la démarche à suivre dans le cadre de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie. En outre, la BCE a informé la requérante que, conformément à l’article 6.3.11, sous b) et c), des règles applicables à son personnel, elle prévoyait de compléter son enquête administrative et
d’envoyer son rapport d’enquête à l’expert médical désigné.
22 Le 20 février 2013, la requérante a répondu à la lettre de la BCE du 31 janvier 2013.
23 La BCE, conformément à sa lettre du 31 janvier 2013, a complété son enquête administrative. Par ailleurs, elle a compilé les documents relatifs à la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante, aux accusations de cette dernière portant sur un harcèlement moral au travail, dont un rapport d’enquête du 11 novembre 2009 relatif à la plainte déposée par celle-ci et l’arrêt [confidentiel] (1), ainsi qu’aux accusations de la requérante portant sur son
environnement de travail (ci-après la « compilation de documents »).
24 Le 16 août 2013, la BCE a informé la requérante que D avait été nommé comme nouvel expert médical. En outre, la BCE a communiqué à la requérante la compilation de documents par le biais d’une clé USB.
25 Par lettre du 28 août 2013, D a invité la requérante à une visite médicale prévue le 1^er octobre 2013.
26 Le 24 septembre 2013, la requérante a informé la BCE qu’elle avait reçu la lettre de D et que, compte tenu de la brièveté du délai accordé, elle ne pourrait pas se rendre à la visite médicale prévue le1^er octobre 2013.
27 Le 26 septembre 2013, la BCE a pris acte de l’annulation de la visite médicale prévue le 1^er octobre 2013.
28 Par lettre du 18 novembre 2013, D a invité la requérante à une autre visite médicale, prévue le 14 janvier 2014.
29 Par un courriel du 8 janvier 2014, la requérante a indiqué que la clé USB reçue le 16 août 2013 ne contenait pas de rapport d’enquête au sens de l’article 6.3.11, sous c), des règles applicables au personnel de la BCE. En outre, elle a précisé que ladite clé contenait les onze questionnaires anonymes qui avaient été exclus de la troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie par décision du président de la BCE du 25 avril 2012. Ainsi, en raison, notamment,
de l’absence de rapport d’enquête en bonne et due forme, la visite médicale prévue le 14 janvier 2014 était, selon la requérante, prématurée.
30 Le 10 janvier 2014, la BCE a répondu que la compilation de documents contenue dans ladite clé USB constituait le rapport d’enquête. La BCE a expliqué que, en effet, afin de garantir l’objectivité et la neutralité des informations rassemblées, le rapport d’enquête ne contenait pas de résumé relatif aux conditions de travail de la requérante. En outre, la BCE a indiqué que les onze questionnaires, couverts par l’anonymat, ainsi que le rapport d’enquête du 11 novembre 2009 devaient être inclus
dans la compilation de documents à la suite de l’arrêt [confidentiel]. Enfin, la BCE a recommandé à la requérante de se présenter à la visite médicale du 14 janvier 2014, afin d’éviter tout retard supplémentaire et tout coût inutile, et a assuré être disposée, en l’espèce, à conduire d’autres entretiens avant que D ne termine son rapport médical.
31 Le 13 janvier 2014, la requérante a confirmé par courriel que, en l’absence de rapport d’enquête en bonne et due forme, la visite médicale prévue le 14 janvier 2014 ne pouvait avoir lieu.
32 Le 14 janvier 2014, la BCE a informé D que la visite médicale ne pouvait pas avoir lieu.
33 Le 17 janvier 2014, la requérante a envoyé à la BCE une liste de témoins qu’elle souhaitait que cette dernière entendît dans le cadre de l’enquête administrative sur ses conditions de travail.
34 Le 23 juillet 2014, la BCE a adopté la décision de clôture de la troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante (ci-après la « décision attaquée »), conformément à l’article 6.3.12, sous b), des règles applicables à son personnel, dans la mesure où celle-ci n’avait pas été coopérative, en annulant ou en n’honorant pas toutes les visites médicales fixées aux fins de déterminer si ses problèmes de santé étaient d’origine professionnelle.
35 Le 22 septembre 2014, la requérante a introduit un recours administratif contre la décision attaquée, qui a été rejeté le 18 novembre 2014.
36 Le 15 janvier 2015, la requérante a introduit une réclamation contre la décision attaquée.
37 Le 10 mars 2015, la BCE a rejeté la réclamation de la requérante.
Procédure et conclusions des parties
38 Par requête déposée au greffe du Tribunal de la fonction publique le 20 mai 2015, la requérante a introduit le présent recours, enregistré sous le numéro F‑79/15.
39 Par décision du 21 juillet 2016, le président de la première chambre du Tribunal de la fonction publique a décidé de suspendre la procédure dans l’affaire F‑79/15 jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire [confidentiel].
40 En application de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), la présente affaire a été transférée au Tribunal dans l’état où elle se trouvait à la date du 31 août 2016. Elle a été enregistrée sous le numéro T‑554/16.
41 L’affaire [confidentiel], à la suite de son transfert au Tribunal, a été enregistrée sous le numéro [confidentiel].
42 Par l’arrêt [confidentiel], le Tribunal a annulé, d’une part, la décision de la BCE du 24 novembre 2009 qui avait clos l’enquête administrative interne ouverte à la suite de la plainte de la requérante et, d’autre part, la décision de la BCE du 24 mars 2010 rejetant le recours spécial de la requérante. Le Tribunal a également condamné la BCE à verser à la requérante la somme de 20 000 euros au titre de dommages et intérêts.
43 Le 7 août 2020, la procédure a repris dans la présente affaire.
44 Le 26 août 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, de son règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à prendre position sur les conséquences qu’elles entendaient tirer, dans la présente affaire, de l’arrêt [confidentiel].
45 La requérante et la BCE ont répondu, respectivement le 14 et le 15 septembre 2020, à la question du Tribunal.
46 Le 13 octobre 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal a demandé aux parties si elles souhaitaient la tenue d’une audience.
47 Le 4 novembre 2020, la requérante a répondu qu’elle ne souhaitait pas être entendue. En outre, elle a déposé une décision confidentielle de la BCE du 26 mai 2016 lui communiquant les conclusions non confidentielles du comité médical du 2 novembre 2015.
48 La BCE n’a pas répondu à la demande du Tribunal.
49 Le 16 novembre 2020, le Tribunal a demandé à la BCE de déposer ses observations sur la décision confidentielle du 26 mai 2016.
50 Le 30 novembre 2020, la BCE a déposé ses observations.
51 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la BCE à lui verser 30 000 euros au titre des préjudices matériels et moraux subis ;
– condamner la BCE aux dépens.
52 La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
Cadre juridique
53 Les articles 6.3.11, 6.3.12 et 6.3.13 des règles applicables au personnel de la BCE, entrées en vigueur le 1^er octobre 2012, disposent ce qui suit :
« 6.3.11
(a) Les membres du personnel qui demandent l’application de l’article 6.3 au titre d’une maladie professionnelle soumettent une déclaration à la direction générale des ressources humaines, du budget et de l’organisation dans un délai raisonnable à partir de la date de manifestation de la maladie ou du premier diagnostic […]
La déclaration précise la nature de la maladie et est accompagnée de certificats médicaux et de tous autres justificatifs utiles […]
(b) La direction générale des ressources humaines, du budget et de l’organisation enquête sur la nature de la maladie, sur son imputabilité à l’accomplissement des obligations professionnelles à la BCE du membre du personnel ainsi que sur les circonstances dans lesquelles elle s’est déclarée, en tenant dûment compte des notices d’aide au diagnostic des maladies professionnelles […]
(c) Les médecins désignés par le directeur général ou directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation, conformément à [l’article 6.3.12, sous a)], à la lumière du rapport d’enquête, exposent leurs conclusions comme le prévoit le même article.
6.3.12
(a) À l’initiative d’un membre du personnel ou de ses ayants droit et conformément à la procédure décrite à l’article 6.3.13, le directeur général ou directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation adopte une décision :
[…]
(ii) pour reconnaître une maladie comme maladie professionnelle,
[…]
Ces décisions sont prises compte tenu de l’avis médical d’un ou de plusieurs médecins désignés par le directeur général ou le directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation […]
(b) L’absence d’un membre du personnel à une visite médicale demandée par les médecins désignés par le directeur général ou directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation, ou par le comité médical constitué conformément à l’article 6.6, entraîne la clôture du dossier, sauf si le directeur général ou le directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation considère que l’absence se justifie par un cas de force majeure ou par tout
autre motif légitime […]
6.3.13
(a) Avant de prendre une décision conformément à l’article 6.3.12, [sous] a), le directeur général ou directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation rédige un projet de décision qu’il notifie au membre du personnel ou à ses ayants droit, en y joignant les informations non confidentielles figurant dans le rapport des médecins désignés par le directeur général ou directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation. Le membre du personnel
ou ses ayants droit peuvent demander à ce que l’intégralité du rapport médical soit soumise à un médecin de leur choix.
(b) Dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le projet de décision leur a été communiqué, le membre du personnel ou ses ayants droit peuvent demander l’avis du comité médical constitué conformément à l’article 6.6. Cette demande comporte le nom du médecin représentant le membre du personnel ou ses ayants droit, ainsi que le rapport de ce médecin exposant les points contestés du rapport établi par les médecins désignés par le directeur général ou directeur général adjoint des
ressources humaines, du budget et de l’organisation […] »
En droit
Sur les conclusions en annulation
54 À l’appui de ses conclusions visant à l’annulation de la décision attaquée, la requérante soulève, en substance, quatre moyens, tirés de la violation, le premier, de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie, le deuxième, du principe de protection de la confiance légitime, le troisième, du devoir de sollicitude et, le quatrième, des droits de la défense.
55 Il convient d’examiner d’abord le premier moyen, tiré de la violation de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie.
56 À titre liminaire, la requérante rappelle que la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie est régie par les articles 6.3.11 à 6.3.15 des règles applicables au personnel de la BCE.
57 La requérante observe que les articles 6.3.11 à 6.3.15 des règles applicables au personnel de la BCE répartissent clairement les tâches entre l’administration et l’expert médical. Selon elle, l’administration est tenue d’établir les faits pertinents alors que l’expert médical, au vu du rapport d’enquête, doit déterminer si les constatations médicales auxquelles il procède durant l’examen médical ont pour origine les faits pertinents tels qu’ils sont décrits dans ledit rapport.
58 En premier lieu, la requérante fait valoir que la BCE n’a pas établi les faits pertinents, dans la mesure où cette dernière s’est contentée de réunir un ensemble de documents qu’elle a placé sur un support électronique, à charge pour l’expert médical de déterminer quels étaient les faits pertinents. Cela serait incompatible avec l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables au personnel de la BCE, qui impliquerait que l’administration adoptât une position qui, tout en devant être neutre
et objective, ne pût résulter d’une simple compilation de documents sans rapport de synthèse.
59 La requérante ajoute que le procédé de la BCE est, en tout état de cause, contraire à la jurisprudence selon laquelle l’objet d’une enquête administrative dans le cadre d’une procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie est de recueillir, de façon objective, tous les éléments permettant d’établir l’origine professionnelle de l’affection ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s’est produite, étant donné que, dans un cas où les conditions de travail du
fonctionnaire concerné sont au centre des préoccupations concernant l’origine professionnelle de l’affection dont il souffre, l’enquête administrative doit comporter une analyse objective circonstanciée tant des conditions de travail de l’intéressé que de son affection en tant que telle.
60 Par conséquent, la requérante observe que deux obligations s’imposent à l’administration, la première étant de recenser tous les éléments susceptibles d’établir l’origine professionnelle de la maladie et la seconde étant d’établir une analyse objective tant des conditions de travail du fonctionnaire que de son affection. Selon la requérante, la BCE n’a pas satisfait à la première obligation. L’exemple le plus manifeste en serait le fait que, le 17 janvier 2014, à savoir après la date prévue
pour son examen médical, la BCE n’aurait pas procédé aux auditions des témoins qu’elle avait indiqués, dont, notamment, son ancien conseiller social. Concernant la seconde obligation, la requérante fait valoir que, malgré ses remarques faites depuis le début de la première procédure en 2008, la BCE n’a pas établi de rapport d’enquête, en violation de la jurisprudence selon laquelle, à défaut d’un tel rapport, le médecin désigné par l’institution concernée n’est pas en mesure d’émettre valablement
ses conclusions.
61 La requérante en conclut que la procédure prévue à l’article 6.3.11 des règles applicables au personnel de la BCE n’a pas été respectée, en ce que le rapport nécessairement préalable à l’examen médical n’a pas été achevé. Partant, la requérante considère que la convocation à la visite médicale du 14 janvier 2014 était prématurée et irrégulière et, donc, que la décision attaquée est entachée d’illégalité.
62 En second lieu, dans ses observations sur les conséquences à tirer, dans la présente affaire, de l’arrêt [confidentiel], la requérante ajoute que, en utilisant le rapport d’enquête du 11 novembre 2009, qui était lacunaire et manifestement erroné, la BCE n’a pas mené une enquête administrative objective, ce qui entraînerait l’irrégularité de la procédure ainsi que de la décision attaquée.
63 À titre liminaire, la BCE fait valoir que le présent recours est prématuré, dans la mesure où la requérante ne s’est jamais présentée aux différents examens médicaux requis. Cette attitude l’aurait empêchée de rendre une décision sur la demande de la requérante introduite en 2008. En effet, selon la BCE, c’est contre une décision de clôture de la procédure engagée par la requérante que cette dernière aurait dû, le cas échéant, introduire un recours. En outre, la BCE considère que le présent
recours revêt un caractère frustratoire.
64 Ensuite, en premier lieu, la BCE observe que la jurisprudence citée par la requérante porte sur des dispositions applicables aux fonctionnaires de l’Union européenne qui ne sont pas applicables aux agents de la BCE.
65 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables au personnel de la BCE, celle-ci soutient que le terme « enquête » ne signifie nullement qu’il lui incomberait de procéder à des investigations de nature médicale, puisque cet examen est de la seule compétence du médecin. Toute autre interprétation empièterait sur le rôle et les compétences du médecin appelé à donner un avis en toute indépendance. Dans ce contexte, la BCE rappelle que c’est précisément ce
que la requérante lui avait reproché lors des première et deuxième procédures de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie. Il en découle, pour la BCE, que sa mission est de rassembler toutes les informations factuelles portant sur la sphère de travail de l’agent concerné, qui sont autant d’éléments internes que le médecin, par définition, ne peut connaître et dont il a besoin pour pouvoir se prononcer, dans le cadre de son rapport médical, sur l’éventuel lien entre la sphère
professionnelle et la maladie de cet agent.
66 En troisième lieu, la BCE soutient que l’article 6.3.11, sous c), des règles applicables à son personnel utilise le terme « rapport » non pas au sens technique, mais en tant que terme générique, afin de désigner l’ensemble des éléments factuels rassemblés par l’administration en exécution de son obligation prévue à l’article 6.3.11, sous b), desdites règles, dans lequel il n’est pas question de rapport. À cet égard, la BCE ajoute que la jurisprudence citée par la requérante précise que
l’administration doit recueillir, de façon objective, tous les éléments permettant d’établir l’origine professionnelle de la maladie ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s’est produite. Ainsi, la BCE est d’avis que, en réunissant tous les documents mentionnant les causes qui, selon la requérante, étaient à l’origine de sa maladie sur une clé USB, elle a rempli son obligation au sens de l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables à son personnel.
67 En quatrième lieu, en ce qui concerne l’audition des témoins indiqués par la requérante, la BCE observe qu’elle était, en principe, ouverte à cette idée. Cependant, selon la BCE, la requérante ayant introduit sa demande d’audition de témoins le 17 janvier 2014 alors qu’elle avait annulé son rendez-vous médical fixé le 14 janvier 2014, cette annulation a rendu ladite demande caduque. Par ailleurs, la BCE estime qu’il y avait lieu de prendre en compte les témoignages recueillis dans le cadre
des onze questionnaires utilisés aux fins de l’enquête administrative engagée à la suite de la plainte de la requérante pour un prétendu harcèlement moral et que, donc, il n’y avait pas lieu de procéder à l’audition de nouveaux témoins sur des faits remontant à une dizaine d’années. En outre, en ce qui concerne plus particulièrement l’audition de l’ancien conseiller social de la BCE, celle-ci avance avoir tenu compte du point 223 de l’arrêt [confidentiel], dans lequel le Tribunal de la fonction
publique de l’Union européenne avait constaté que la requérante s’était limitée à indiquer que cette personne avait été un témoin privilégié des faits, sans mentionner avec précision ce sur quoi elle pouvait apporter des éléments déterminants et en quoi ils le seraient.
68 À titre liminaire, premièrement, l’argument de la BCE tiré du caractère prématuré du recours ne peut pas prospérer, dans la mesure où il se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle les seules décisions qui pourraient faire l’objet d’un recours seraient les décisions de clôture d’une procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie au cours de laquelle le membre du personnel concerné a été examiné par l’expert médical nommé par la BCE. Or, même dans l’hypothèse où,
comme cela est prévu à l’article 6.3.12, sous b), des règles applicables au personnel de la BCE, cette dernière décide de clore une procédure en raison de l’absence du membre du personnel concerné à la visite médicale organisée, celui-ci doit pouvoir contester la légalité de la décision qui affecte directement ses intérêts, dans la mesure où elle produit les mêmes effets qu’une décision de rejet à la suite d’une visite médicale honorée.
69 Deuxièmement, il en va de même pour l’argument de la BCE selon lequel la jurisprudence citée par la requérante n’a pas vocation à être directement appliquée à son personnel, dans la mesure où elle concerne les fonctionnaires de l’Union.
70 En effet, s’il est vrai que la BCE bénéficie d’une autonomie fonctionnelle dans le cadre de laquelle a été établi un régime distinct par rapport à celui prévu par le statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), néanmoins, lorsqu’elle établit une réglementation pour ses agents qui, en substance, reproduit celle prévue pour les fonctionnaires, et même si les dispositions du statut ne sont pas directement applicables auxdits agents, les enseignements découlant de la
jurisprudence relative aux dispositions statutaires demeurent pleinement pertinents pour le personnel de la BCE, du moins lorsqu’ils portent sur une règle de droit ou un principe applicable à l’ensemble des institutions et organes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Veit/BCE, T‑474/18, non publié, sous pourvoi, EU:T:2020:140, point 59).
71 En l’espèce, la réglementation applicable au personnel de la BCE est similaire à celle applicable aux fonctionnaires de l’Union.
72 En effet, l’article 16, paragraphe 1, de la réglementation commune relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes, adoptée le 13 décembre 2005 par les institutions de l’Union en application de l’article 73 du statut (ci-après la « réglementation commune »), prévoit que l’assuré doit introduire une demande spécifiant la nature de l’affection, qui doit être accompagnée des certificats médicaux ou de toute autre
pièce. L’article 16, paragraphe 2, de la réglementation commune prévoit que l’administration procède à une enquête et que, au vu du rapport établi à la suite de ladite enquête, le ou les médecins désignés émettent les conclusions prévues à l’article 18 de ladite réglementation. L’article 17 de la réglementation commune précise que l’absence de l’assuré à la convocation du médecin désigné par l’institution entraîne la clôture du dossier, sauf cas de force majeure ou tout autre motif légitime, sous
réserve de l’application de l’article 21 de ladite réglementation. L’article 18 de la réglementation commune prévoit que, sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés, la décision est adoptée par l’administration.
73 À la lecture des règles adoptées par la BCE en matière de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie, il apparaît qu’elles correspondent, en substance, à celles prévues par la réglementation commune. Ainsi, s’il est vrai que la jurisprudence a reconnu l’autonomie fonctionnelle de la BCE dans la détermination des règles applicables à son personnel, il n’en demeure pas moins que, la règle de droit étant la même en substance, la jurisprudence relative aux dispositions statutaires
est pertinente pour l’interprétation de ces règles.
74 Ensuite, en premier lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel, en substance, la convocation à la visite médicale était prématurée en raison du fait que la compilation de documents n’est pas un rapport d’enquête, d’une part, la BCE estime, en substance, dans le cadre de l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables à son personnel, que sa mission est de rassembler toutes les informations factuelles portant sur la sphère de travail de l’agent concerné, qui sont
autant d’éléments internes que le médecin, par définition, ne peut connaître d’avance et dont il a besoin pour pouvoir se prononcer, dans le cadre de son rapport médical, sur l’éventuel lien entre la sphère professionnelle de cet agent et sa maladie. D’autre part, dans le cadre de l’article 6.3.11, sous c), des règles applicables au personnel de la BCE, le terme « rapport » ne serait pas utilisé dans son sens technique, mais en tant que terme générique désignant l’ensemble des éléments factuels
rassemblés par l’administration en exécution de son obligation prévue à l’article 6.3.11, sous b), desdites règles, dans lequel il ne serait pas question du moindre rapport. La BCE ajoute que même la jurisprudence citée par la requérante se limite à préciser que l’administration doit recueillir, de façon objective, tous les éléments permettant d’établir l’origine professionnelle de la maladie ainsi que les circonstances dans lesquelles elle s’est produite. Ainsi, la BCE affirme que, la compilation
de documents réunissant tous les documents disponibles mentionnant les causes qui, selon la requérante, étaient à l’origine de sa maladie, elle a rempli son obligation au sens de l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables à son personnel.
75 Or, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, en l’absence d’une enquête complète et à défaut de rapport d’ensemble de l’enquête menée, le médecin désigné par l’institution n’est pas en mesure d’émettre valablement ses conclusions prévues à l’article 18 de la réglementation commune (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2004, Vainker/Parlement, T‑48/01, EU:T:2004:61, point 133).
76 La jurisprudence précise que, si le médecin peut être désigné par l’institution avant que le rapport d’enquête administrative ne soit établi, la convocation de l’assuré par ce médecin ne peut avoir lieu, sans risque que des convocations soient reportées en raison de leur caractère prématuré ou que des examens inutiles et coûteux aient déjà été réalisés, tant que le médecin n’a pas la certitude que tous les actes effectués dans le cadre de l’enquête ont abouti et que le rapport lui-même est
achevé (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Füller-Tomlinson/Parlement, T‑390/10 P, EU:T:2012:652, points 106 et 107). Cela implique que la conclusion de l’enquête administrative et l’établissement d’un rapport d’enquête par l’administration constituent des préalables à la convocation du membre du personnel concerné à une visite par l’expert médical.
77 En l’espèce, premièrement, les règles applicables au personnel de la BCE ne contiennent pas de définition du rapport d’enquête prévu à l’article 6.3.11, sous c), desdites règles.
78 Deuxièmement, aux termes de l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables à son personnel, la BCE « enquête sur la nature de la maladie, sur son imputabilité à l’accomplissement des obligations professionnelles […] du membre du personnel [concerné] ainsi que sur les circonstances dans lesquelles elle s’est déclarée, en tenant dûment compte des notices d’aide au diagnostic des maladies professionnelles ». Ainsi, il doit être déduit de l’interprétation combinée des dispositions de
l’article 6.3.11, sous b) et c), des règles applicables au personnel de la BCE que les résultats de l’enquête administrative doivent être exposés dans un document qui permette au médecin expert de porter ses appréciations médicales. À cet égard, un document qui répond à cette finalité doit contenir une présentation et une analyse objective constituant une synthèse de l’objet de l’enquête administrative.
79 Dès lors, en se limitant à établir une compilation de documents versée sur une clé USB, la BCE n’a pas fait de rapport d’enquête au sens de l’article 6.3.11, sous c), des règles applicables à son personnel. En effet, s’il est vrai que l’administration ne doit ni dans l’enquête administrative ni dans le rapport d’enquête empiéter sur les compétences médicales de l’expert, il n’en reste pas moins qu’elle est tenue de fournir au médecin un cadre lui permettant de porter ses appréciations
médicales. En l’espèce, même si la compilation de documents est organisée en trois catégories, la seule liste des documents qui la composent, reproduite à l’annexe B.22 du mémoire en défense, s’étend sur plus de cinq pages. Ainsi, en l’absence de tout rapport de synthèse, la tâche conférée à l’expert médical ne peut pas être correctement exercée.
80 Dans la mesure où, selon la jurisprudence mentionnée au point 76 ci-dessus, la convocation à la visite médicale ne peut avoir lieu que quand l’enquête administrative est terminée et le rapport finalisé, il convient de faire droit à l’argument de la requérante selon lequel, en l’absence de rapport d’enquête au sens de l’article 6.3.11, sous c), des règles applicables au personnel de la BCE, la convocation à la visite médicale était prématurée.
81 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de la BCE tirés du refus de la requérante de se rendre à des visites médicales, de l’absence totale de coopération de cette dernière et du fait que, si la jurisprudence citée par la requérante devait être appliquée en l’espèce, elle confirmerait que la BCE a rempli son obligation, au sens de l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables à son personnel, dans la mesure où elle a compilé tous les documents disponibles mentionnant
les causes qui, selon la requérante, étaient à l’origine de sa maladie.
82 À titre liminaire, il convient de préciser qu’il ressort du dossier que, le 31 janvier 2013, la BCE a informé la requérante que les règles applicables à son personnel étaient entrées en vigueur le 1^er octobre 2012 et qu’elles seraient appliquées aux demandes de reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie pendantes au moment de leur entrée en vigueur.
83 Ensuite, en ce qui concerne l’argument tiré d’une totale absence de coopération de la requérante lors des différentes procédures de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie, il convient de constater que, s’agissant des éléments de la troisième procédure postérieurs au 1^er octobre 2012, régis par les règles applicables au personnel de la BCE, il ressort du dossier que la requérante a réagi au cours des différentes phases et qu’elle n’a pas fait preuve d’une totale absence de
coopération. En outre et en tout état cause, même à supposer que la requérante ait eu un comportement non coopératif, cela ne pourrait pas avoir d’incidence sur le fait que la BCE n’a pas établi de rapport d’enquête, tel que prévu par les règles applicables à son personnel. Cela implique que l’argument tiré du refus de la requérante d’honorer les convocations du médecin expert doit être également rejeté.
84 Enfin, en ce qui concerne l’argument tiré du fait que, si la jurisprudence citée par la requérante devait être appliquée en l’espèce, elle confirmerait que la BCE a rempli son obligation, au sens de l’article 6.3.11, sous b), des règles applicables à son personnel, il suffit de constater que la jurisprudence en question concerne l’objet d’une enquête administrative et, notamment, les obligations qui s’imposent à l’administration dans sa conduite, à savoir recueillir tous les éléments
nécessaires pour que l’expert médical puisse déterminer si la maladie a une origine professionnelle, mais n’exclut aucunement que l’administration soit tenue de rédiger un rapport en conclusion de l’enquête (voir, en ce sens, arrêt du 13 janvier 2010, A et G/Commission, F‑124/05 et F‑96/06, EU:F:2010:2, point 263).
85 En second lieu, en ce qui concerne l’argument tiré de l’usage du rapport d’enquête du 11 novembre 2009, soulevé par la requérante dans ses observations sur les conséquences à tirer dans la présente affaire de l’arrêt [confidentiel], il y a lieu de constater ce qui suit.
86 Dans l’arrêt [confidentiel], le Tribunal a constaté que le rapport d’enquête du 11 novembre 2009 contenait des lacunes et des erreurs manifestes d’appréciation. En raison de ce constat et même si, comme le soutient la BCE, l’affaire [confidentiel] diffère de la présente affaire, il y a lieu de considérer que le fait que celle-ci ait inséré ledit rapport dans la compilation de documents soumise au médecin expert affecte nécessairement la régularité de la troisième procédure de reconnaissance
de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante.
87 Partant, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens avancés par la requérante au soutien de ses conclusions en annulation.
Sur les conclusions indemnitaires
88 En ce qui concerne le préjudice matériel qu’elle affirme avoir subi, la requérante soutient que la BCE a eu une attitude négligente, constitutive d’une violation du devoir de sollicitude et d’une faute de service.
89 Selon la requérante, l’attitude de la BCE a entraîné pour elle des coûts financiers importants, dans la mesure où elle a dû avoir recours à plusieurs avocats. La requérante chiffre le préjudice matériel subi à un montant de 20 000 euros. À cet égard, elle précise que, même si les dépens ne sont, en principe, récupérables que dans le cadre de la procédure juridictionnelle proprement dite et non dans le cadre de la procédure précontentieuse, les coûts en question ne relèvent pas de la
procédure précontentieuse, mais bien de l’irrégularité de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie. Dès lors, la requérante affirme qu’il existe un lien entre le préjudice matériel qu’elle a subi et l’attitude négligente de l’administration.
90 En ce qui concerne le préjudice moral qu’elle affirme avoir subi, la requérante soutient qu’il a été causé par la décision de la BCE de clore la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie au bout de six années et en dépit des vices dont elle était entachée. À cet égard, la requérante affirme que, en l’espèce, la seule annulation de la décision attaquée ne constituerait pas, en soi, une réparation adéquate et suffisante de ce préjudice moral. En effet, selon la
requérante, dans l’hypothèse de l’annulation de la décision attaquée, la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie, qui dure, en substance, depuis 2008, devrait reprendre depuis le début en raison de l’absence de rapport d’enquête.
91 En outre, la requérante fait valoir que l’ensemble de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie a entraîné chez elle un état d’incertitude qui a empiré lorsque la BCE a clos son dossier de manière inattendue. Cet état est à l’origine, selon la requérante, au regard de son état de santé, d’un préjudice moral qu’elle chiffre à un montant de 10 000 euros.
92 La BCE conteste les arguments de la requérante.
93 En ce qui concerne le préjudice matériel prétendument subi par la requérante, il convient de rappeler qu’une demande visant à la réparation des dommages causés par une institution doit contenir des éléments qui permettent d’identifier, notamment, le préjudice que le requérant prétend avoir subi et, plus précisément, le caractère et l’étendue de ce préjudice (ordonnance du 5 février 2007, Sinara Handel/Conseil et Commission, T‑91/05, EU:T:2007:31, point 109). Dans ce contexte, il suffit de
constater que la requérante se borne à évaluer son préjudice matériel à un montant de 20 000 euros, sans apporter aucun élément de preuve au soutien de cette évaluation. Partant, la demande de la requérante doit être rejetée.
94 En ce qui concerne le préjudice moral prétendument subi par la requérante, il convient de relever que, selon la jurisprudence, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et non susceptible d’être intégralement réparé par cette
annulation (arrêt du 31 mai 2018, Korwin-Mikke/Parlement, T‑352/17, EU:T:2018:319, point 78).
95 En l’espèce, s’agissant de l’argument de la requérante relatif à la durée de la troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie, il y a lieu de constater que la période soumise au contrôle du Tribunal est celle comprise entre l’entrée en vigueur des règles applicables au personnel de la BCE et l’adoption de la décision attaquée. À cet égard, cette période, comprise entre le 1^er octobre 2012 et le 23 juillet 2014, ne peut pas, en soi, représenter une durée
excessive de nature à engendrer un préjudice moral quelconque.
96 S’agissant de l’argument de la requérante tiré, en substance, du caractère inattendu de l’adoption de la décision de clôture de la troisième procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie, le Tribunal considère que l’annulation de la décision attaquée est suffisante pour réparer le préjudice moral subi, conformément à la jurisprudence citée au point 94 ci-dessus.
97 Partant, les conclusions indemnitaires de la requérante doivent être rejetées.
Sur les dépens
98 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
99 La BCE ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) La décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 23 juillet 2014 qui a clos la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de BZ est annulée.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La BCE est condamnée aux dépens.
Kanninen Jaeger Półtorak
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2021.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
* Langue de procédure : le français.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1 Données confidentielles occultées.