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01/12/2021 | CJUE | N°T-546/20

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium contre Commission européenne., 01/12/2021, T-546/20


 ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

1er décembre 2021 ( *1 )

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Services de spécification, de développement, de maintenance et d’assistance des plateformes informatiques pour la DG “Fiscalité et union douanière” – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire et attribution du marché à un autre soumissionnaire – Obligation de motivation – Offre anormalement basse »

Dans l’affaire T‑546/20,

Sopra Steria Benelux, établie à Ixelles (Belgique),

Unisys Belgium, établie à Machelen (Belgique),

représentées par Mes L. Masson et G. Tilman, avocats,

parties requérantes,...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

1er décembre 2021 ( *1 )

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Services de spécification, de développement, de maintenance et d’assistance des plateformes informatiques pour la DG “Fiscalité et union douanière” – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire et attribution du marché à un autre soumissionnaire – Obligation de motivation – Offre anormalement basse »

Dans l’affaire T‑546/20,

Sopra Steria Benelux, établie à Ixelles (Belgique),

Unisys Belgium, établie à Machelen (Belgique),

représentées par Mes L. Masson et G. Tilman, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes L. André et M. Ilkova, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 2 juillet 2020 portant, d’une part, rejet de l’offre commune soumise par Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium pour le lot A dans le cadre de la procédure d’appel d’offres portant la référence TAXUD/2019/OP/0006 et visant des services en vue de la spécification, du développement, de la maintenance et de l’assistance du troisième niveau des plateformes informatiques de la direction
générale « Fiscalité et union douanière » et, d’autre part, attribution du marché à l’autre consortium ayant soumissionné,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg et R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 5 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1 Le 6 décembre 2019, la Commission européenne a publié au Supplément du Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019/S 236-577462) un avis de marché public concernant un appel d’offres portant la référence TAXUD/2019/OP/0006 et visant des services en vue de la spécification, du développement, de la maintenance et de l’assistance du troisième niveau des plateformes informatiques de la direction générale « Fiscalité et union douanière » de la Commission. Ledit marché se composait de deux lots, à
savoir le lot A, « Services d’évolution pour la plateforme CCN/CSI », et le lot B, « Services d’évolution pour les plateformes SPEED2(ng), CDCO/TSOAP et SSV », et avait pour critère d’attribution le meilleur rapport qualité-prix, la qualité technique et le prix comptant, respectivement, pour 70 % et pour 30 % dans l’évaluation des offres. Pour chacun de ces deux lots, la Commission devait conclure un contrat-cadre pour une durée de 36 mois, renouvelable trois fois pour des périodes successives de
12 mois, avec le soumissionnaire offrant le meilleur rapport qualité-prix, à condition qu’il satisfasse à certains critères minimaux concernant l’éligibilité, la non-exclusion, la capacité et la conformité de l’offre.

2 Le 27 février 2020, les requérantes, Sopra Steria Benelux (ci-après « Sopra ») et Unisys Belgium, ont soumis une offre commune dans le cadre d’un consortium dirigé par Sopra. La seule autre offre déposée pour le lot A dans les délais était celle du consortium ARHS-IBM, formé par ARHS Developments SA et International Business Machines of Belgium SA.

3 Par courrier du 2 juillet 2020, la Commission a informé les requérantes du rejet de leur offre pour le lot A, au motif que celle-ci n’était pas économiquement la plus avantageuse, et de l’attribution du marché à un autre soumissionnaire (ci-après, pris ensemble, la « décision attaquée »). Elle a annexé un extrait du rapport d’évaluation de leur offre indiquant les notes qui lui avait été attribuées, accompagnées d’explications, et les a informées que les caractéristiques et les avantages relatifs
de l’offre retenue, la valeur du contrat ainsi que le nom de l’attributaire pouvaient leur être transmis sur demande écrite. Les requérantes ont adressé une telle demande le jour même.

4 Il ressort de l’extrait du rapport d’évaluation que l’offre des requérantes a reçu une note totale de 90,81 points, répartis comme suit :

Soumissionnaire Prix Score qualitatif Score financier Score total
Consortium Sopra et Unisys Belgium 21 699 281,86 EUR 70,00 20,81 90,81

5 Par courrier du 3 juillet 2020, la Commission a informé les requérantes que le contrat avait été attribué au consortium ARHS-IBM et leur a adressé un extrait du rapport d’évaluation de l’offre de celui-ci indiquant les notes qui lui avaient été attribuées, accompagnées d’explications.

6 Il ressort de cet extrait du rapport d’évaluation que l’offre de l’attributaire a reçu une note totale de 98,53 points, répartis comme suit :

Soumissionnaire Prix Score qualitatif Score financier Score total
Consortium ARHS-IBM 15 054 925,60 EUR 68,53 30,00 98,53

7 Par courrier du 10 juillet 2020, les requérantes ont contesté le résultat de la procédure d’appel d’offres et, s’agissant du prix indiqué dans l’offre retenue, elles ont émis des doutes sur le fait qu’un prix bien inférieur à celui qu’elles avaient proposé, qu’elles qualifiaient de raisonnable et conforme aux conditions du marché, pût être viable sans risque de « dumping social ». Ainsi, elles ont invité le pouvoir adjudicateur, notamment, à confirmer qu’il avait vérifié que l’offre de
l’attributaire ne présentait aucun risque en ce sens.

8 Par courrier du 20 juillet 2020, la Commission a répondu, notamment, qu’une analyse détaillée sur le plan financier de l’offre retenue avait révélé qu’elle était en conformité avec les conditions du marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants exécuteraient les services demandés.

Procédure et conclusions des parties

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 septembre 2020, les requérantes ont introduit le présent recours.

10 Le 4 décembre 2020, la Commission a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.

11 Le 21 décembre 2020, le Tribunal a décidé, au titre de l’article 83, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, qu’un second échange de mémoires n’était pas nécessaire.

12 Le 15 janvier 2021, la phase écrite de la procédure a été close.

13 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 février 2021, les requérantes ont demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

14 Le 15 juin 2021, les requérantes ont présenté une nouvelle offre de preuve, conformément à l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.

15 Le 2 juillet 2021, la Commission a pris position sur cette offre.

16 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 octobre 2021.

17 Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

18 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner les requérantes aux dépens.

En droit

19 À l’appui du recours, les requérantes invoquent deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du point 23 de l’annexe I du règlement (UE, Euratom) no 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision
no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »), et d’une erreur manifeste d’appréciation. Le second moyen est tiré d’un défaut de motivation.

20 Par le second moyen, qu’il convient d’examiner d’abord, les requérantes font valoir, en substance, que le pouvoir adjudicateur n’a pas tenu compte de l’écart significatif entre le prix de leur offre et celui de l’offre de l’attributaire, qui aurait dû être considéré comme un indice de nature à éveiller un soupçon quant au caractère anormalement bas de l’offre de ce dernier, et qu’il n’a pas fourni une motivation suffisante en ce qui concerne les raisons l’ayant amené à considérer que l’offre
retenue n’était pas anormalement basse.

21 Plus particulièrement, la décision attaquée, complétée par les extraits du rapport d’évaluation, serait entachée d’un défaut de motivation en ce qui concerne la question de savoir si l’offre retenue pour le lot A du marché en cause présentait un caractère excessivement bas.

22 Selon les requérantes, la lettre de la Commission du 2 juillet 2020 ne contenait aucune justification quant aux choix effectués par le pouvoir adjudicateur. La lettre de la Commission du 3 juillet 2020 ne comportait, selon elles, pas davantage d’explications ni de motivation des choix effectués dans le cadre de l’attribution du marché. S’agissant, enfin, de la lettre du 20 juillet 2020, faisant suite à leur demande explicite, les requérantes font valoir que la Commission s’est bornée à y indiquer
qu’une évaluation approfondie sur le plan financier de l’offre retenue avait révélé qu’elle était conforme aux conditions du marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants fourniraient leurs services. Or, une telle affirmation attesterait que la Commission ait eu des doutes prima facie quant à la normalité du prix de l’offre soumise par le consortium ARHS‑IBM, ce qui serait en contradiction avec le caractère laconique de la motivation de la décision portant acceptation
de celle-ci.

23 Les requérantes reprochent ainsi à la Commission de ne pas avoir expliqué le raisonnement l’ayant conduite à considérer le prix de l’offre retenue comme normal et de ne pas avoir, premièrement, exposé le raisonnement au terme duquel elle avait conclu que, par ses caractéristiques, principalement financières, cette offre respectait notamment la législation des pays dans lesquels les services devaient être exécutés en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité
sociale et de respect des normes de sécurité et de santé au travail, et, deuxièmement, indiqué si elle avait vérifié que le prix proposé intégrait tous les coûts induits par les aspects techniques de l’offre retenue.

24 La Commission n’aurait donc pas motivé correctement son appréciation des conséquences potentielles d’une offre anormalement basse, explicitement évoquées par les requérantes dans leur lettre du 10 juillet 2020, à savoir un risque de dumping social et un risque pour la continuité de la fourniture des services.

25 La Commission conteste les arguments des requérantes.

26 Selon elle, les règles spécifiques concernant l’obligation de motivation en présence d’offres anormalement basses ne s’appliquent que s’il existe des doutes quant à la normalité du prix d’une offre, ce qui n’aurait pas été le cas en l’occurrence, de sorte que seule l’obligation générale de motivation serait applicable.

27 En l’espèce, la Commission soutient avoir fourni aux requérantes, par son courrier du 3 juillet 2020, les informations demandées. Le rapport d’évaluation ne comporterait aucune mention liée au caractère anormalement bas de l’offre retenue, dès lors qu’aucun indice en ce sens n’aurait été relevé dans le cadre de l’examen de celle-ci.

28 La Commission rappelle que, par lettre du 20 juillet 2020, elle a répondu aux questions des requérantes ayant trait, notamment, au risque de dumping social, en précisant que chaque offre avait fait l’objet d’une analyse très détaillée et qu’il était apparu prima facie que les offres étaient en accord avec les conditions du marché des pays à partir desquels elles allaient être exécutées.

29 À cet égard, la Commission fait valoir que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, le fait qu’elle ait précisé qu’une « analyse approfondie » avait été réalisée n’indiquait en rien qu’elle ait eu des doutes prima facie sur la normalité du prix proposé par le consortium ARHS‑IBM. Chaque offre ferait, en effet, l’objet d’une évaluation approfondie et le pouvoir adjudicateur serait tenu de vérifier prima facie les indices qui pourraient laisser apparaître qu’une offre n’est pas
compatible avec les conditions du marché. Ce serait dans cette perspective que la motivation figurant dans la lettre du 20 juillet 2020 doit être lue.

30 La Commission considère donc qu’elle a respecté son obligation générale de motivation, les obligations spécifiques invoquées par les requérantes n’étant applicables que dans le cas où il existerait un doute relatif à la normalité du prix d’une offre, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

31 À titre liminaire, il convient de relever que, par le présent moyen, tiré d’un défaut de motivation, les requérantes visent essentiellement l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée concernant l’éventuel caractère anormalement bas de l’offre retenue, ainsi qu’il ressort aussi bien de la requête que de leur plaidoirie.

32 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de prendre la décision de passer un marché sur appel d’offres. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite, dès lors, à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’à la vérification de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de
détournement de pouvoir (voir arrêt du 2 février 2017, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑74/15, non publié, EU:T:2017:55, point 35 et jurisprudence citée).

33 Selon une jurisprudence bien établie, lorsque la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union européenne dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l’obligation pour l’institution compétente de motiver de façon suffisante ses décisions. C’est seulement ainsi que le juge de l’Union est en mesure de vérifier si les éléments de fait et de droit
dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14 ; du 10 septembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑465/04, non publié, EU:T:2008:324, point 54, et du 2 février 2017, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑74/15, non publié, EU:T:2017:55, point 36).

34 Aux termes de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’administration a l’obligation de motiver ses décisions. Cette obligation de motivation implique que, conformément à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, l’auteur d’un acte doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement qui sous-tend ledit acte, de manière, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire
valoir leurs droits et, d’autre part, à permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle (arrêts du 25 février 2003, Strabag Benelux/Conseil, T‑183/00, EU:T:2003:36, point 55 ; du 24 avril 2013, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑32/08, non publié, EU:T:2013:213, point 37, et du 16 mai 2019, Transtec/Commission, T‑228/18, EU:T:2019:336, point 91).

35 Ainsi, l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ne constitue pas seulement, de façon générale, l’expression de la transparence de l’action de l’administration, mais doit également permettre au particulier de décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction. Il existe donc un rapport étroit entre, d’une part, l’obligation de motivation et, d’autre part, le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective ainsi que le droit
à un recours effectif garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. En d’autres termes, l’obligation de motivation contribue à garantir une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 10 octobre 2012, Sviluppo Globale/Commission, T‑183/10, non publié, EU:T:2012:534, point 40, et du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 73 et jurisprudence citée).

36 Il s’ensuit que la question de savoir si l’obligation de motivation a été respectée doit, en principe, être appréciée en fonction des éléments d’information dont les requérantes disposaient, au plus tard, au moment de l’introduction du recours. Ainsi, la motivation ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge et seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier la prise en compte par celui-ci d’éléments fournis en cours d’instance (voir arrêt du 4 juillet
2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 74 et jurisprudence citée).

37 Par ailleurs, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte
satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte et de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 116 et jurisprudence citée, et du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 75 et jurisprudence citée).

38 Les règles régissant les marchés publics de l’Union figurant dans le règlement financier et dans l’annexe I de celui-ci précisent l’obligation de motivation du pouvoir adjudicateur. Plus particulièrement, l’article 170 du règlement financier et l’article 31 de l’annexe I dudit règlement prévoient à l’égard des soumissionnaires évincés une motivation en deux temps.

39 D’abord, le pouvoir adjudicateur informe tous les soumissionnaires évincés du rejet de leur offre et des motifs de ce rejet. Ensuite, en vertu de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier et du point 31.2 de l’annexe I dudit règlement, si un soumissionnaire évincé qui ne se trouve pas dans une situation d’exclusion et satisfait aux critères de sélection en fait la demande par écrit, le pouvoir adjudicateur communique, le plus tôt possible et en tout état de cause dans un délai de quinze
jours à compter de la réception de cette demande, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, le prix payé ou la valeur du marché ainsi que le nom de l’attributaire.

40 Cette divulgation des motifs en deux temps est conforme à la finalité de l’obligation de motivation, qui, ainsi qu’il a été précisé aux points 34 et 35 ci-dessus, consiste à permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15,
EU:T:2017:462, point 79 et jurisprudence citée).

41 Dès lors que l’obligation de motivation d’un acte dépend, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 ci-dessus, du contexte factuel et juridique dans lequel il a été adopté, il convient également de tenir compte en l’espèce du cadre réglementaire régissant les offres anormalement basses.

42 Dans ce contexte, le point 23.1 de l’annexe I du règlement financier prévoit que, « si, pour un marché donné, le prix ou les coûts proposés dans l’offre apparaissent anormalement bas, le pouvoir adjudicateur demande, par écrit, les précisions qu’il juge opportunes sur la composition du prix ou des coûts et donne au soumissionnaire concerné la possibilité de présenter ses observations ».

43 Conformément au point 23.2 de l’annexe I du règlement financier, le pouvoir adjudicateur « ne rejette l’offre que si les éléments de preuve fournis n’expliquent pas de manière satisfaisante le prix ou les coûts bas proposés ». En outre, il « rejette l’offre s’il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu’elle contrevient aux obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail ».

44 La notion d’« offre anormalement basse » n’est pas définie par les dispositions du règlement financier. Il a cependant été jugé que le caractère anormalement bas d’une offre doit être apprécié par rapport à sa composition et par rapport à la prestation en cause (voir arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 83 et jurisprudence citée).

45 L’obligation, pour un pouvoir adjudicateur, de vérifier le sérieux d’une offre résulte de l’existence préalable de doutes quant à sa fiabilité, le point 23.1 de l’annexe I du règlement financier ayant pour objet principal de permettre à un soumissionnaire de ne pas être écarté d’une procédure d’appel d’offres sans avoir eu la possibilité de justifier la teneur de son offre qui apparaîtrait anormalement basse. Ce n’est donc que lorsque de tels doutes existent que le comité d’évaluation est tenu de
demander des précisions opportunes sur la composition de l’offre, avant, le cas échéant, de la rejeter au titre du point 23.2 de ladite annexe. En revanche, dans l’hypothèse où une offre n’apparaîtrait pas anormalement basse aux termes dudit point 23.1, celui-ci ne s’appliquerait pas [voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 6 juillet 2005, TQ3 Travel Solutions Belgium/Commission, T‑148/04, EU:T:2005:274, points 49 et 50 ; du 5 novembre 2014, Computer Resources International
(Luxembourg)/Commission, T‑422/11, EU:T:2014:927, point 57, et du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 85].

46 Il ressort de la jurisprudence que de tels doutes peuvent notamment exister s’il apparaît incertain, d’une part, qu’une offre respecte la législation du pays dans lequel les services devraient être exécutés en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité sociale, de respect des normes de sécurité et de santé au travail ainsi que de vente à perte, et, d’autre part, que le prix proposé intègre tous les coûts induits par les aspects techniques de l’offre (voir arrêt du
4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 86 et jurisprudence citée).

47 Il ressort de ce qui précède que l’appréciation, par le pouvoir adjudicateur, de l’existence d’offres anormalement basses est effectuée en deux temps.

48 Dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur apprécie si le prix ou les coûts proposés dans l’offre « apparaissent » anormalement bas. L’usage du verbe « apparaître » au point 23.1 de l’annexe I du règlement financier implique que le pouvoir adjudicateur procède à une appréciation prima facie du caractère anormalement bas d’une offre, et non qu’il procède d’office à une analyse détaillée de la composition de chaque offre afin d’établir qu’elle ne constitue pas une offre anormalement basse.
Ainsi, lors de cette première phase, le pouvoir adjudicateur doit uniquement déterminer si les offres soumises contiennent un indice de nature à éveiller le soupçon qu’elles pourraient être anormalement basses. Tel est notamment le cas lorsque le prix proposé dans une offre est considérablement inférieur à celui des autres offres ou au prix habituel du marché. Si les offres soumises ne contiennent pas un tel indice et n’apparaissent donc pas anormalement basses, le pouvoir adjudicateur peut
poursuivre leur évaluation et la procédure d’attribution du marché (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 88).

49 Dans un second temps, s’il existe des indices de nature à éveiller le soupçon qu’une offre pourrait être anormalement basse, le pouvoir adjudicateur doit en revanche procéder à la vérification de la composition de cette offre afin de s’assurer que celle-ci n’est pas anormalement basse. Lorsqu’il procède à une telle vérification, il a l’obligation de donner au soumissionnaire en cause la possibilité d’exposer les raisons pour lesquelles il estime que son offre n’est pas anormalement basse. Il doit
ensuite apprécier les explications fournies et déterminer si l’offre en question présente un caractère anormalement bas, auquel cas il est dans l’obligation de la rejeter (arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 89).

50 Le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’obligation de motivation qui incombe au pouvoir adjudicateur à l’égard du soumissionnaire évincé lorsque, lors de la phase d’évaluation des offres, il a eu un doute quant au caractère anormalement bas d’une offre soumise et qu’il a considéré, après avoir entendu le soumissionnaire en cause et procédé à une analyse plus approfondie, que cette offre n’était pas anormalement basse. En particulier, il a jugé que, pour fournir une motivation
suffisante du fait que, après analyse approfondie, l’offre retenue n’était pas anormalement basse, le pouvoir adjudicateur devait exposer le raisonnement au terme duquel, d’une part, il avait conclu que, par ses caractéristiques, principalement financières, cette offre respectait notamment la législation du pays dans lequel les services devraient être exécutés en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité sociale et de respect des normes de sécurité et de santé au
travail, et, d’autre part, il avait vérifié que le prix proposé intégrait tous les coûts induits par les aspects techniques de ladite offre (voir arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 91 et jurisprudence citée).

51 S’agissant de la portée de l’obligation de motivation qui incombe au pouvoir adjudicateur lorsqu’il considère que l’offre retenue n’apparaît pas anormalement basse, il ressort des règles régissant les offres anormalement basses rappelées aux points 42 à 45 ci-dessus, et plus particulièrement de la circonstance selon laquelle le pouvoir adjudicateur ne procède d’abord qu’à une appréciation prima facie du caractère anormalement bas d’une offre, que son obligation de motivation a une portée
restreinte. En effet, contraindre le pouvoir adjudicateur à exposer de manière détaillée les raisons pour lesquelles une offre ne lui semble pas anormalement basse reviendrait à ne pas tenir compte de la distinction entre les deux phases de l’analyse prévue au point 23 de l’annexe I du règlement financier (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 92).

52 En particulier, lorsqu’un pouvoir adjudicateur retient une offre, il n’est pas tenu d’indiquer explicitement, en réponse à toute demande de motivation qui lui est présentée en application de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier, les raisons pour lesquelles l’offre qu’il a retenue ne lui est pas apparue anormalement basse. En effet, si ladite offre est retenue par le pouvoir adjudicateur, il s’ensuit, implicitement mais nécessairement, qu’il a considéré qu’il n’existait pas
d’indices révélant qu’elle était anormalement basse. De tels motifs, en revanche, doivent être portés à la connaissance du soumissionnaire évincé qui en fait la demande expresse (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T‑392/15, EU:T:2017:462, point 93).

53 En effet, exiger d’un pouvoir adjudicateur qu’il justifie, à la demande du soumissionnaire évincé, de la circonstance selon laquelle l’offre retenue n’est pas anormalement basse permet de respecter les dispositions de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier et du point 31.2 de l’annexe I de ce même règlement, puisqu’une telle motivation informe le soumissionnaire évincé d’un aspect important des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue (voir, en ce sens et par
analogie, arrêts du 15 octobre 2013, European Dynamics Belgium e.a./EMA, T‑638/11, non publié, EU:T:2013:530, point 66, et du 2 février 2017, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑74/15, non publié, EU:T:2017:55, point 51).

54 Par ailleurs, selon la jurisprudence, il n’est pas suffisant pour le pouvoir adjudicateur de se borner à formuler la simple constatation selon laquelle l’offre retenue dans le cadre de la procédure d’attribution n’est pas anormalement basse, ni à relever qu’il a été estimé que ladite offre n’était pas anormalement basse (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2017, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑74/15, non publié, EU:T:2017:55, point 47 et jurisprudence citée).

55 En l’espèce, il convient de relever que, par ses lettres des 2 et 3 juillet 2020 (voir points 3 et 5 ci-dessus), la Commission s’est limitée, dans un premier temps, conformément à l’article 170 du règlement financier et au point 31 de l’annexe I de ce même règlement, à informer les requérantes que leur offre avait été rejetée, en annexant un extrait du rapport du comité d’évaluation concernant leur offre, et, dans un second temps, à la suite d’une demande écrite des requérantes, à leur
communiquer le nom de l’attributaire ainsi qu’un autre extrait dudit rapport d’où devaient ressortir les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue. Il ressort de ce dernier extrait que les détails de l’offre retenue communiqués aux requérantes, outre son prix, son score financier et son rapport qualité/prix tel qu’exprimé par son score final, ne concernaient que des aspects techniques de cette offre. En particulier, à ce stade, les détails communiqués ne portaient aucunement
sur l’examen du prix de l’offre retenue au regard de l’éventuel caractère anormalement bas de celui-ci.

56 Par lettre du 10 juillet 2020 (voir point 7 ci-dessus), les requérantes ont demandé à la Commission de confirmer, notamment, qu’elle avait vérifié que, au regard de son prix, l’offre retenue ne comportait pas un risque de « dumping social » et ont fait valoir le prix réaliste et compétitif de leur propre offre compte tenu des conditions du marché, leur expérience de cocontractantes de la Commission et les risques quant à l’exécution du contrat qu’impliquerait une offre dont le prix était
considérablement inférieur à celui de leur propre offre.

57 Il est vrai que les requérantes n’ont pas invoqué explicitement la notion d’« offre anormalement basse ». Il n’en reste pas moins que, ainsi qu’elles l’ont fait valoir dans la requête, sans avoir été contredites sur ce point par la Commission dans le mémoire en défense ni en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, elles ont clairement évoqué les conséquences potentielles inhérentes à la présentation d’une offre anormalement basse, à savoir un risque de dumping social, dans la
mesure où une telle offre pourrait ne pas respecter la législation des pays dans lesquels les services devraient être exécutés en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité sociale ainsi que de sécurité et de santé au travail, et un risque pour la continuité de la fourniture des services.

58 À cet égard, force est de relever que la Commission s’est bornée à répondre, dans sa lettre du 20 juillet 2020, qu’une analyse détaillée sur le plan financier de l’offre de l’attributaire avait révélé que celle-ci était en conformité avec les conditions du marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants exécuteraient les prestations de service demandées.

59 Or, il résulte de la lettre de la Commission du 2 juillet 2020 que l’offre commune soumise pour le lot A par le consortium formé par les requérantes n’a pas été retenue, car elle n’avait pas été considérée comme étant l’offre économiquement la plus avantageuse. Il ressort des deux extraits du rapport du comité d’évaluation que la Commission a transmis aux requérantes (voir points 4 et 6 ci-dessus) qu’il y avait moins de 7,72 points d’écart entre le score total obtenu par leur offre et celui
obtenu par l’offre retenue. Il en ressort également que cet écart dépendait entièrement de la différence significative, à savoir 6644356,26 euros, existant entre le prix proposé par les requérantes et celui proposé par l’attributaire, ce qui a déterminé une différence de 9,19 points dans le score financier en défaveur de l’offre des requérantes, alors que, pour le score qualitatif, leur offre avait obtenu 1,47 points de plus que l’offre retenue.

60 Dans ces circonstances, compte tenu du fait que le consortium formé par les requérantes et l’attributaire étaient les seuls à avoir soumis une offre pour le lot A et qu’il n’y avait dès lors qu’un seul terme de comparaison, à savoir le prix de l’offre des requérantes, permettant d’établir s’il existait un indice que le prix de l’offre retenue pouvait être considéré comme étant anormalement bas, la Commission ne pouvait pas se borner à relever que l’offre retenue était en conformité avec les
conditions du marché des pays à partir desquels les services en cause allaient être fournis par les contractants et leurs sous-traitants. En effet, étant donné que le critère du prix a été déterminant dans le classement des offres et que le prix de l’offre retenue était le seul avantage relatif ayant caractérisé celle-ci, la Commission aurait dû, afin de répondre adéquatement à la demande des requérantes, fournir à tout le moins les informations ayant trait au pourcentage correspondant à la part
du marché qui serait exécutée en sous-traitance ainsi qu’aux pays à partir desquels les services en cause seraient exécutés, ainsi qu’elle l’a fait dans le mémoire en défense et lors de l’audience, ce qui aurait permis aux requérantes de mieux comprendre les raisons de l’écart existant entre les prix des deux offres. De telles informations leur auraient également permis de disposer de suffisamment d’éléments pour connaître les raisons pour lesquelles la Commission avait considéré que l’offre
retenue n’apparaissait pas anormalement basse et, dès lors, de contester éventuellement le bien-fondé de cette appréciation.

61 S’étant contentée, dans sa lettre du 20 juillet 2020, de justifier par une simple affirmation que le prix de l’offre retenue ne présentait pas un caractère anormalement bas, la Commission n’a pas respecté l’obligation de motivation qui lui incombait dans les circonstances de l’espèce.

62 Cette conclusion ne saurait être remise en cause, premièrement, par l’argument de la Commission selon lequel il y aurait des règles spécifiques concernant l’étendue de la motivation relative à l’existence éventuelle d’offres anormalement basses, qui s’appliqueraient exclusivement en cas de doute quant à la normalité du prix de l’offre retenue, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

63 Cet argument procède d’une lecture erronée du point 49 de l’arrêt du 10 septembre 2019, Trasys International et Axianseu – Digital Solutions/AESA (T‑741/17, EU:T:2019:572), auquel la Commission se réfère, dans lequel il est précisé que, en présence d’un indice de nature à éveiller un soupçon quant à l’existence d’offres anormalement basses, le pouvoir adjudicateur est tenu de porter à la connaissance du soumissionnaire évincé qui en fait la demande expresse les motifs permettant de comprendre
pourquoi l’offre qu’il a retenue ne lui est pas apparue anormalement basse.

64 Ce point de l’arrêt du 10 septembre 2019, Trasys International et Axianseu – Digital Solutions/AESA (T‑741/17, EU:T:2019:572), constitue une application, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, de l’enseignement dégagé par le Tribunal au point 93 de l’arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer (T‑392/15, EU:T:2017:462), auquel il fait explicitement référence, enseignement qui précise que les motifs ayant mené le pouvoir
adjudicateur à ne pas considérer une offre comme apparaissant anormalement basse doivent être portés à la connaissance du soumissionnaire évincé qui en fait la demande expresse (voir également, en ce sens, arrêt du 2 février 2017, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑74/15, non publié, EU:T:2017:55, point 49).

65 Ainsi, force est de constater que, contrairement à ce que prétend la Commission, la précision prétendument apportée par le Tribunal, notamment, au point 49 de l’arrêt du 10 septembre 2019, Trasys International et Axianseu – Digital Solutions/AESA (T‑741/17, EU:T:2019:572), doit être lue dans le contexte spécifique de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, où l’existence de doutes sur les prix proposés par plusieurs soumissionnaires était établie (voir, notamment, le point 47 dudit arrêt), et ne
saurait remettre en cause le principe selon lequel les motifs ayant mené le pouvoir adjudicateur à ne pas considérer l’offre retenue comme apparaissant anormalement basse, qui font partie de l’appréciation des caractéristiques et des avantages relatifs de celle-ci, doivent être portés à la connaissance du soumissionnaire évincé qui en fait la demande expresse (voir points 52 et 53 ci-dessus).

66 Or, au vu des considérations développées aux points 56 et 57 ci-dessus, il est établi que les requérantes ont fait une demande en ce sens.

67 Deuxièmement, la Commission avance, en substance, que le règlement financier ne prévoit aucune obligation pour le pouvoir adjudicateur d’indiquer au soumissionnaire évincé qui en fait la demande les raisons pour lesquelles il n’a pas considéré l’offre retenue comme étant anormalement basse, d’autant plus que, selon le point 23.1 de l’annexe I dudit règlement, il n’est procédé à une analyse à cet égard que dans le cas où une offre apparaît anormalement basse.

68 Toutefois, il ne saurait être admis qu’un pouvoir adjudicateur, en se contentant d’invoquer cette disposition, se soustrait à l’obligation, prévue à l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier, de communiquer au soumissionnaire évincé qui en fait la demande par écrit les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue, dont font incontestablement partie les motifs pour lesquels cette offre n’est pas apparue anormalement basse. La Commission ne pouvait donc pas se limiter à constater
qu’elle n’avait pas considéré que l’offre retenue apparaissait anormalement basse, sans préciser aux requérantes, qui en avaient fait la demande expresse, les motifs l’ayant amenée à cette conclusion, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 53 ci-dessus.

69 La Commission a certes apporté en cours d’instance certaines explications selon lesquelles, en substance, une grande partie des prestations prévues par l’offre retenue seraient sous-traitées, la majorité d’entre elles en Grèce et en Roumanie, de sorte que les différences salariales liées aux lieux d’exécution des prestations expliqueraient la différence de prix, substantielle, entre les offres soumises. Toutefois, indépendamment de toute considération quant à leur bien-fondé, ces explications ne
sauraient être prises en compte. En effet, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 36 ci-dessus qu’il ne peut être tenu compte que des informations reçues par les requérantes avant l’introduction du présent recours, la motivation ne pouvant pas, en principe, être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge.

70 Or, au vu de la motivation fournie par la Commission dans sa lettre du 20 juillet 2020 ainsi que des informations figurant dans ses précédentes lettres et dans les extraits du rapport du comité d’évaluation qui y ont été annexés, il ne saurait être considéré que les requérantes aient pu avoir connaissance de toutes les informations relatives à la composition de l’offre du consortium ARHS-IBM ayant permis à la Commission de considérer que cette offre n’apparaissait pas anormalement basse.

71 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’accueillir le présent moyen, tiré, en substance, de l’insuffisance de motivation en ce qui concerne les raisons ayant amené le pouvoir adjudicateur à considérer que l’offre de l’attributaire n’apparaissait pas anormalement basse, et d’annuler, par conséquent, la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier moyen du recours, concernant la légalité interne de celle-ci, selon lequel, en substance, le pouvoir
adjudicateur aurait considéré à tort que ladite offre n’était pas anormalement basse (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 10 octobre 2012, Sviluppo Globale/Commission, T‑183/10, non publié, EU:T:2012:534, point 46, et du 10 septembre 2019, Trasys International et Axianseu – Digital Solutions/AESA, T‑741/17, EU:T:2019:572, point 88 et jurisprudence citée), ni de se prononcer sur l’offre de preuve des requérantes et sur la recevabilité de celle-ci, contestée par la Commission.

Sur les dépens

72 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des requérantes, conformément aux conclusions de ces dernières.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

  1) La décision de la Commission européenne du 2 juillet 2020 portant, d’une part, rejet de l’offre commune soumise par Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium dans le cadre de la procédure d’appel d’offres portant la référence TAXUD/2019/OP/0006 et visant des services en vue de la spécification, du développement, de la maintenance et de l’assistance du troisième niveau des plateformes informatiques de la direction générale « Fiscalité et union douanière » et, d’autre part, attribution du marché à
l’autre consortium ayant soumissionné est annulée en ce qui concerne le lot A.

  2) La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er décembre 2021.
 
Le greffier

E. Coulon

Le président

S. Papasavvas

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : T-546/20
Date de la décision : 01/12/2021
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Services de spécification, de développement, de maintenance et d’assistance des plateformes informatiques pour la DG “Fiscalité et union douanière” – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire et attribution du marché à un autre soumissionnaire – Obligation de motivation – Offre anormalement basse.

Libre prestation des services

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mastroianni

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2021:846

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