ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
26 avril 2022 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Libre circulation des personnes – Règlement (UE) 2016/399 – Code frontières Schengen – Article 25, paragraphe 4 – Réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans la limite d’une durée totale maximale de six mois – Réglementation nationale prévoyant plusieurs périodes successives de contrôles conduisant à un dépassement de cette durée – Absence de conformité d’une telle réglementation à l’article 25,
paragraphe 4, du code frontières Schengen dans le cas où les périodes successives sont fondées sur la ou les mêmes menaces – Réglementation nationale imposant de présenter un passeport ou une carte d’identité lors du contrôle à la frontière intérieure sous peine de sanction – Absence de conformité d’une telle obligation à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen lorsque le contrôle est lui-même contraire à cette disposition »
Dans les affaires jointes C‑368/20 et C‑369/20,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), par décisions du 23 juillet 2020, parvenues à la Cour le 5 août 2020, dans les procédures
NW
contre
Landespolizeidirektion Steiermark (C‑368/20),
Bezirkshauptmannschaft Leibnitz (C‑369/20),
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan (rapporteur), S. Rodin, I. Jarukaitis et J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.‑C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra et Mme L. S. Rossi, juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2021,
considérant les observations présentées :
– pour NW, par Me C. Tometten, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement autrichien, par MM. A. Posch et M. Witzmann ainsi que par Mmes J. Schmoll et M. Augustin, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement danois, initialement par Mme M. Søndahl Wolff ainsi que par MM. J. Nymann‑Lindegren et M. P. Brøchner Jespersen, Mmes Søndahl Wolff et V. Jørgensen, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, initialement par Mme E. de Moustier ainsi que par MM. D. Dubois et T. Stéhelin, puis par MM. Dubois et Stéhelin, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement suédois, par Mmes H. Shev, C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson et H. Eklinder, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Wils et J. Tomkin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 octobre 2021,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 22, 25 et 29 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016 (JO 2016, L 251, p. 1) (ci-après le « code frontières Schengen »), ainsi
que de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 45, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant NW au Landespolizeidirektion Steiermark (direction générale de la police de Styrie, Autriche) (C‑368/20) et au Bezirkshauptmannschaft Leibnitz (autorité administrative du district de Leibnitz, Autriche) (C‑369/20), au sujet de vérifications aux frontières dans le cadre desquelles l’intéressé a été invité à présenter, dans un cas, un passeport ou une carte d’identité et, dans l’autre, un passeport.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2004/38/CE
3 L’article 5 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35), intitulé « Droit
d’entrée », dispose, à son paragraphe 1 :
« Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières nationales, les États membres admettent sur leur territoire le citoyen de l’Union [européenne] muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité ainsi que les membres de sa famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui sont munis d’un passeport en cours de validité.
[...] »
Le règlement (CE) no 562/2006
4 L’article 21 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1), intitulé « Vérifications à l’intérieur du territoire », disposait :
« La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte :
a) à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières ; cela s’applique également dans les zones frontalières. [...]
[...] »
Le règlement (UE) no 1051/2013
5 Aux termes des considérants 1 et 2 du règlement (UE) no 1051/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le règlement no 562/2006 afin d’établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (JO 2013, L 295, p. 1) :
« (1) La création d’un espace garantissant la libre circulation des personnes au-delà des frontières intérieures est l’une des principales réalisations de l’Union. Dans un espace sans contrôle aux frontières intérieures, il est nécessaire d’apporter une réponse
commune aux situations ayant de graves répercussions sur
l’ordre public ou la sécurité intérieure de cet espace, de parties
de cet espace, ou de l’un ou de plusieurs des États membres, en
permettant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières
intérieures dans des circonstances exceptionnelles, mais sans porter atteinte au principe de la libre circulation des personnes.
Étant donné l’incidence que de telles mesures de dernier recours
peuvent avoir sur toutes les personnes qui ont le droit de circuler
dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, il convient
de fixer les conditions et les procédures pour la réintroduction de
telles mesures afin de garantir le caractère exceptionnel de ces
mesures et le respect du principe de proportionnalité. La portée et
la durée de toute réintroduction temporaire de telles mesures
devraient être limitées au strict minimum nécessaire pour
répondre à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité
intérieure.
(2) La libre circulation des personnes dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures est l’une des principales réalisations de l’Union. La libre circulation des personnes étant affectée par la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, toute décision visant à réintroduire un tel contrôle devrait être prise conformément à des critères arrêtés d’un commun accord et devrait être dûment notifiée à la Commission [européenne] ou recommandée par une institution de l’Union.
En tout état de cause, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures devrait rester exceptionnelle et ne devrait intervenir qu’en dernier recours, selon une portée et pour une durée strictement limitées, et reposer sur des critères objectifs spécifiques et sur une évaluation de son caractère nécessaire, lequel devrait être contrôlé au niveau de l’Union. Lorsqu’une menace grave pesant sur l’ordre public ou la sécurité intérieure requiert une action immédiate, un État membre devrait
pouvoir réintroduire un contrôle à ses frontières intérieures pour une durée n’excédant pas dix jours. Toute prolongation de cette durée doit être contrôlée au niveau de l’Union. »
Le code frontières Schengen
6 Le règlement no 562/2006 et ses modifications successives ont été codifiés et remplacés par le code frontières Schengen.
7 Aux termes du considérant 21 de ce code :
« Dans un espace de libre circulation des personnes, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures devrait rester exceptionnelle. Le contrôle aux frontières ne devrait pas être effectué ni des formalités imposées uniquement en raison du franchissement de la frontière. »
8 Les considérants 22 et 23 dudit code reproduisent, en substance, les considérants 1 et 2 du règlement no 1051/2013.
9 Selon les termes des considérants 27 et 34 du code frontières Schengen :
« (27) Conformément à la jurisprudence de la Cour [...], toute dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes doit être interprétée de manière restrictive et la notion d’ordre public suppose l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société.
[...]
(34) Étant donné que l’objectif du règlement [no 562/2006] et ses modifications successives, à savoir l’établissement de règles applicables au franchissement des frontières par les personnes, ne pouvait pas être atteint de manière suffisante par les États membres mais pouvait l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci pouvait prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. [...] »
10 L’article 1er dudit code, intitulé « Objet et principes », dispose :
« Le présent règlement prévoit l’absence de contrôle aux frontières des personnes franchissant les frontières intérieures entre les États membres de l’Union.
[...] »
11 L’article 22 du code frontières Schengen, intitulé « Franchissement des frontières intérieures », est libellé comme suit :
« Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. »
12 Aux termes de l’article 23 de ce code, intitulé « Vérifications à l’intérieur du territoire » :
« L’absence de contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte :
[...]
c) à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents ;
[...] »
13 L’article 25 dudit code, intitulé « Cadre général pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures », prévoit :
« 1. En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, cet État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle aux frontières sur tous les tronçons ou sur certains tronçons spécifiques de ses frontières intérieures pendant une période limitée d’une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours. La portée et la durée de la
réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave.
2. Le contrôle aux frontières intérieures n’est réintroduit qu’en dernier recours et conformément aux articles 27, 28 et 29. Les critères visés, respectivement, aux articles 26 et 30 sont pris en considération chaque fois qu’une décision de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures est envisagée en vertu de l’article 27, 28 ou 29, respectivement.
3. Lorsque la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’État membre concerné persiste au-delà de la durée prévue au paragraphe 1 du présent article, ledit État membre peut prolonger le contrôle à ses frontières intérieures, en tenant compte des critères visés à l’article 26 et conformément à l’article 27, pour les mêmes raisons que celles visées au paragraphe 1 du présent article et, en tenant compte d’éventuels éléments nouveaux, pour des périodes renouvelables ne
dépassant pas trente jours.
4. La durée totale de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, y compris toute prolongation prévue au titre du paragraphe 3 du présent article, ne peut excéder six mois. Dans les circonstances exceptionnelles visées à l’article 29, cette durée totale peut être étendue à une durée maximale de deux ans conformément au paragraphe 1 dudit article. »
14 L’article 26 du même code, intitulé « Critères pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures », dispose :
« Lorsqu’un État membre décide, en dernier recours, la réintroduction temporaire du contrôle à une ou plusieurs de ses frontières intérieures ou sur des tronçons de celles-ci ou décide de prolonger ladite réintroduction, conformément à l’article 25 ou à l’article 28, paragraphe 1, il évalue la mesure dans laquelle cette réintroduction est susceptible de remédier correctement à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure et évalue la proportionnalité de la mesure par rapport à cette
menace. Lors de cette évaluation, l’État membre tient compte, en particulier, de ce qui suit :
a) l’incidence probable de toute menace pour son ordre public ou sa sécurité intérieure, y compris du fait d’incidents ou de menaces terroristes, dont celles que représente la criminalité organisée ;
b) l’incidence probable d’une telle mesure sur la libre circulation des personnes au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures. »
15 L’article 27 du code frontières Schengen, intitulé « Procédure de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25 », est libellé comme suit :
« 1. Lorsqu’un État membre prévoit de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25, il notifie son intention aux autres États membres et à la Commission au plus tard quatre semaines avant la réintroduction prévue, ou dans un délai plus court lorsque les circonstances étant à l’origine de la nécessité de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures sont connues moins de quatre semaines avant la date de réintroduction prévue. À cette fin, l’État membre
fournit les informations suivantes :
a) les motifs de la réintroduction envisagée, y compris toutes les données pertinentes détaillant les événements qui constituent une menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure ;
b) la portée de la réintroduction envisagée, en précisant le ou les tronçon(s) des frontières intérieures où le contrôle doit être réintroduit ;
c) le nom des points de passage autorisés ;
d) la date et la durée de la réintroduction prévue ;
e) le cas échéant, les mesures que les autres États membres doivent prendre.
[...]
4. À la suite de la notification par un État membre au titre du paragraphe 1, et en vue de la consultation prévue au paragraphe 5, la Commission ou tout autre État membre peut, sans préjudice de l’article 72 [TFUE], émettre un avis.
Si, sur la base des informations figurant dans la notification ou de toute information complémentaire qu’elle a reçue, la Commission a des doutes quant à la nécessité ou [à] la proportionnalité de la réintroduction prévue du contrôle aux frontières intérieures, ou si elle estime qu’une consultation sur certains aspects de la notification serait appropriée, elle émet un avis en ce sens.
5. Les informations visées au paragraphe 1, ainsi que tout avis éventuel émis par la Commission ou un État membre au titre du paragraphe 4, font l’objet d’une consultation, y compris, le cas échéant, de réunions conjointes entre l’État membre prévoyant de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, les autres États membres, en particulier ceux directement concernés par de telles mesures, et la Commission, afin d’organiser, le cas échéant, une coopération mutuelle entre les États
membres et d’examiner la proportionnalité des mesures par rapport aux événements qui sont à l’origine de la réintroduction du contrôle aux frontières ainsi qu’à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.
[...] »
16 Aux termes de l’article 28 de ce code, intitulé « Procédure spécifique dans les cas nécessitant une action immédiate » :
« 1. Lorsqu’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre exige une action immédiate, l’État membre concerné peut, exceptionnellement, immédiatement réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, pour une période limitée n’excédant pas dix jours.
[...]
3. Si la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure persiste au-delà de la durée prévue au paragraphe 1 du présent article, l’État membre peut décider de prolonger le contrôle aux frontières intérieures pour des périodes renouvelables n’excédant pas vingt jours. Ce faisant, l’État membre concerné tient compte des critères visés à l’article 26, y compris une évaluation actualisée de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure, et tient compte d’éventuels éléments
nouveaux.
[...]
4. Sans préjudice de l’article 25, paragraphe 4, la durée totale de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, sur la base de la période initiale au titre du paragraphe 1 du présent article et des prolongations éventuelles au titre du paragraphe 3 du présent article, ne dépasse pas deux mois.
[...] »
17 L’article 29 dudit code, intitulé « Procédure spécifique en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures », prévoit :
« 1. Dans des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures visés à l’article 21 du présent règlement ou résultant du non-respect, par un État membre, d’une décision du Conseil [de l’Union européenne] visée à l’article 19, paragraphe 1, du [règlement 2016/1624] et dans la mesure où ces circonstances représentent une menace grave
pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures ou sur des tronçons de cet espace, le contrôle aux frontières intérieures peut être réintroduit conformément au paragraphe 2 du présent article pour une durée n’excédant pas six mois. Cette durée peut être prolongée, trois fois au maximum, pour une nouvelle durée n’excédant pas six mois si les circonstances exceptionnelles persistent.
2. Lorsqu’aucune autre mesure, notamment celles visées à l’article 21, paragraphe 1, [du présent règlement,] ne peut effectivement atténuer la menace grave constatée, le Conseil peut, en dernier recours et à titre de mesure de protection des intérêts communs au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, recommander à un ou [à] plusieurs États membres de décider de réintroduire le contrôle à toutes leurs frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci. La
recommandation du Conseil se fonde sur une proposition de la Commission. Les États membres peuvent demander à la Commission de présenter une telle proposition de recommandation au Conseil.
Dans sa recommandation, le Conseil indique au moins les informations visées à l’article 27, paragraphe 1, points a) à e).
Le Conseil peut recommander une prolongation conformément aux conditions et à la procédure énoncées au présent article.
Avant de réintroduire le contrôle à toutes ses frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci au titre du présent paragraphe, l’État membre le notifie aux autres États membres, au Parlement européen et à la Commission.
[...]
4. Pour des raisons d’urgence dûment justifiées liées aux situations dans lesquelles les circonstances à l’origine de la nécessité de prolonger le contrôle aux frontières intérieures, conformément au paragraphe 2, ne sont connues que moins de dix jours avant la fin de la période de réintroduction précédente, la Commission peut adopter toutes les recommandations nécessaires par le biais d’actes d’exécution immédiatement applicables en conformité avec la procédure visée à l’article 38,
paragraphe 3. Dans les quatorze jours de l’adoption de ces recommandations, la Commission présente au Conseil une proposition de recommandation conformément au paragraphe 2 du présent article.
5. Le présent article est sans préjudice des mesures que les États membres peuvent adopter en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure au titre des articles 25, 27 et 28. »
18 Ainsi qu’il découle de son intitulé, l’article 30 du même code prévoit les critères applicables à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures visées à l’article 29.
Le droit autrichien
La loi relative aux passeports
19 Le Bundesgesetz betreffend das Passwesen für österreichische Staatsbürger (Passgesetz 1992) [loi fédérale concernant la délivrance de passeports aux ressortissants autrichiens (loi de 1992 sur les passeports)] (BGBl. 839/1992), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci-après la « loi relative aux passeports »), prévoit, à son article 2, paragraphe 1 :
« Sauf disposition contraire d’une convention internationale ou coutume internationale contraire, les ressortissants autrichiens [...] doivent être munis d’un document de voyage en cours de validité (passeport ou document équivalent) pour entrer sur le territoire de la République d’Autriche et en sortir. [...] »
20 L’article 24, paragraphe 1, de cette loi dispose :
« Toute personne qui
1) entre irrégulièrement sur le territoire national ou en sort irrégulièrement (article 2),
[...]
commet, à moins que l’acte ne constitue une infraction pénale, une infraction administrative passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 2180 euros ou d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à six semaines. En cas de récidive, amende et peine privative de liberté sont infligées cumulativement s’il existe des circonstances aggravantes. »
La loi relative au contrôle aux frontières
21 Le Bundesgesetz über die Durchführung von Personenkontrollen aus Anlaß des Grenzübertritts (Grenzkontrollgesetz – GrekoG) [loi fédérale concernant la réalisation de contrôles sur les personnes à l’occasion du franchissement de la frontière (loi relative au contrôle aux frontières)] (BGBl. 435/1996), dans sa version applicable aux litiges au principal (ci‑après la « loi relative au contrôle aux frontières »), prévoit, à son article 10, intitulé « Franchissement de la frontière » :
« 1. Sauf disposition contraire d’une convention internationale ou coutume internationale contraire, la frontière extérieure ne peut être franchie qu’aux points de passage frontaliers.
2. La frontière intérieure peut être franchie en tout lieu. Lorsqu’il apparaît que le maintien de la tranquillité, de l’ordre et de la sécurité publics le requiert, le ministre fédéral de l’Intérieur est néanmoins habilité, dans les limites des conventions internationales, à prendre un arrêté disposant que, pendant une période donnée, certaines portions de la frontière intérieure ne pourront être franchies qu’à des points de passage frontaliers.
[...] »
22 L’article 11 de cette loi, intitulé « Obligation de se soumettre au contrôle aux frontières », dispose :
« 1. Le franchissement de la frontière à des points de passage frontaliers [...] emport[e] pour l’intéressé l’obligation de se soumettre au contrôle (obligation de se soumettre au contrôle aux frontières).
2. Le franchissement de la frontière intérieure n’emporte, à l’exception des cas visés à l’article 10, paragraphes 2 et 3, pas obligation de se soumettre au contrôle aux frontières.
[...] »
23 L’article 12 de ladite loi, intitulé « Mise en œuvre du contrôle aux frontières », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le contrôle aux frontières incombe à l’autorité administrative. Lorsque sa mise en œuvre implique l’exercice d’un pouvoir direct d’injonction et de contrainte par cette autorité, il est réservé aux organes des forces de l’ordre et à la direction générale de la police (article 12b). [...] »
24 L’article 12a de la même loi, intitulé « Pouvoirs des organes des forces de l’ordre », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les organes des forces de l’ordre sont habilités à procéder au contrôle aux frontières d’une personne s’il existe des raisons de penser que cette personne est tenue de se soumettre à un tel contrôle [...] »
L’arrêté no 114/2019 relatif au contrôle aux frontières
25 La Verordnung des Bundesministers für Inneres über die vorübergehende Wiedereinführung von Grenzkontrollen an den Binnengrenzen (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur, concernant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures), du 9 mai 2019 (BGBl. II, 114/2019) (ci‑après l’« arrêté no 114/2019 relatif au contrôle aux frontières ») est libellé comme suit :
« Sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, [de la loi relative au contrôle aux frontières], nous ordonnons :
Article 1er. Afin de préserver la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics, les frontières intérieures avec la République de Slovénie et la Hongrie ne peuvent, entre le 13 mai 2019, 0 heure, et le 13 novembre 2019, 24 heures, être franchies par voie terrestre qu’à des points de passage frontaliers.
Article 2. Le présent arrêté cessera d’être en vigueur le 13 novembre 2019 à minuit. »
Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
26 Ainsi qu’il ressort des éléments dont dispose la Cour, la République d’Autriche a réintroduit un contrôle à ses frontières avec la Hongrie et la République de Slovénie depuis le 16 septembre 2015. Les deux premiers mois, ce contrôle était fondé sur l’article 25 du règlement no 562/2006 (devenu article 28 du code frontières Schengen). À partir du 16 novembre suivant, la République d’Autriche s’est fondée sur les articles 23 et 24 du règlement no 562/2006 (devenus articles 25 et 27 du code
frontières Schengen). À partir du 16 mai 2016, cet État membre s’est fondé sur quatre recommandations successives du Conseil adoptées sur le fondement de l’article 29 du code frontières Schengen pour effectuer ledit contrôle pendant 18 mois supplémentaires. La quatrième de ces recommandations est arrivée à échéance le 10 novembre 2017.
27 Le 12 octobre 2017, la République d’Autriche a notifié aux autres États membres ainsi qu’à plusieurs institutions de l’Union, dont la Commission, une réintroduction du contrôle à ses frontières avec la Hongrie et la République de Slovénie pour six mois, pendant la période allant du 11 novembre 2017 au 11 mai 2018. Ce contrôle a ensuite de nouveau été réintroduit pour plusieurs périodes successives de six mois, pendant la période allant du 11 mai au 11 novembre 2018, puis pendant les périodes
allant du 12 novembre 2018 au 12 mai 2019 et du 13 mai au 13 novembre 2019. Des notifications ultérieures ont été effectuées par cet État membre pour réintroduire ledit contrôle jusqu’au mois de novembre 2021.
L’affaire C‑368/20
28 Le 16 novembre 2019, le requérant au principal, NW, a fait l’objet d’une vérification aux frontières sur le fondement de l’article 12a, paragraphe 1, de la loi relative au contrôle aux frontières, alors qu’il s’apprêtait à entrer en voiture sur le territoire autrichien en provenance de Slovénie au point de passage transfrontalier de Spielfeld (Autriche).
29 L’agent de contrôle aux frontières a invité NW à s’identifier au moyen d’un passeport ou d’une carte d’identité. NW a demandé à cet agent de contrôle si cette opération consistait en une vérification aux frontières ou en un contrôle d’identité. Après avoir été informé qu’il s’agissait d’une vérification aux frontières, NW a demandé à connaître le numéro de matricule de service dudit agent de contrôle. NW a alors été invité à déplacer son véhicule sur le bord de la route et un autre agent de
contrôle aux frontières s’est joint à ladite opération. Les organes de contrôle aux frontières ont mis fin à la même opération et ont communiqué leurs numéros de matricule de service à NW.
30 Le 19 décembre 2019, NW a introduit un recours devant la juridiction de renvoi, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), pour contester l’exercice d’un pouvoir direct d’injonction et de contrainte par les autorités autrichiennes de contrôle. Il soutient que le fait de procéder à une vérification aux frontières sur le fondement de l’article 12a, paragraphe 1, de la loi relative au contrôle aux frontières constitue un acte adopté dans l’exercice
d’un tel pouvoir.
31 La juridiction de renvoi se demande si l’arrêté no 114/2019 relatif au contrôle aux frontières ainsi que l’article 24, paragraphe 1, de la loi relative aux passeports, laquelle est appliquée par cet arrêté, sont compatibles avec le droit de l’Union et, en particulier, avec les dispositions du code frontières Schengen, eu égard, notamment, au droit de libre circulation des citoyens de l’Union, inscrit à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte et précisé
par les dispositions de la directive 2004/38.
32 En particulier, cette juridiction fait observer que la vérification aux frontières en cause au principal constitue, en principe, une vérification interdite en vertu de l’article 22 du code frontières Schengen. Ce dernier prévoirait, toutefois, deux exceptions à ce principe. D’une part, selon l’article 25, paragraphe 1, de ce code, il serait possible de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, mais uniquement en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. D’autre
part, le contrôle aux frontières intérieures pourrait également être réintroduit en application de l’article 29, paragraphe 1, dudit code, mais à la condition qu’il existe des manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures, mettant en péril le fonctionnement de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures et l’ordre public ou la sécurité intérieure.
33 La juridiction de renvoi relève que la manière de procéder choisie par la République d’Autriche, consistant à adopter successivement différents arrêtés ministériels prévoyant la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, a conduit à ce que cette réintroduction perdure au‑delà de la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen. Cette juridiction se demande, dès lors, si cette manière de procéder est conforme au droit de l’Union et, en
particulier, aux articles 25 et 29 de ce code.
34 Notamment, la juridiction de renvoi estime que, si, dans un premier temps, la République d’Autriche s’est fondée, pour justifier la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, sur l’article 29 du code frontières Schengen, dans la mesure où, après le 11 novembre 2017, la Commission n’avait pas soumis au Conseil de nouvelles propositions de prolonger le contrôle aux frontières intérieures sur le fondement de cet article, cet État membre ne pouvait se fonder, dans un second temps, à
compter de cette date, que sur l’article 25, paragraphe 1, de ce code pour justifier la prolongation de cette réintroduction.
35 Par conséquent, la juridiction de renvoi se demande si, dans la mesure où le libellé même de l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen exclut un dépassement de la durée maximale autorisée de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, l’État membre demeure libre d’adopter successivement et sans interruption des arrêtés ministériels prévoyant la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures dont l’effet cumulé dépasse cette durée maximale.
36 La juridiction de renvoi relève que les notifications par lesquelles le ministre fédéral de l’Intérieur a informé la Commission de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures n’auraient pas été fondées sur l’article 72 TFUE, ce dernier n’étant mentionné dans aucune des notifications concernées. En tout état de cause, elle doute qu’il soit possible d’invoquer l’article 72 TFUE, dès lors que les dispositions dérogatoires dudit code constitueraient, elles‑mêmes, des exceptions en
matière de contrôle aux frontières intérieures qui visent l’ordre public et la sécurité intérieure et seraient, par conséquent, à qualifier de loi spéciale à l’égard de l’article 72 TFUE. La limitation dans le temps de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures imposée par le même code serait privée d’effet utile si, après l’expiration d’un délai explicitement fixé par le droit dérivé, un État membre pouvait se fonder de façon répétée sur l’article 72 TFUE.
37 Dans ces circonstances, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le droit de l’Union fait-il obstacle à des dispositions du droit interne qui, par une succession de textes réglementaires nationaux, conduisent à un cumul de périodes de prolongation et permettent ainsi une réintroduction du contrôle aux frontières pour une durée qui excède la limite de deux ans fixée aux articles 25 et 29 [du code frontières Schengen], et sans que le Conseil [...] ait pris de décision d’exécution en ce sens au titre de l’article 29 [de ce code] ?
En cas de réponse négative à la première question :
2) Le droit de libre circulation des citoyens de l’Union, inscrit à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la [Charte], doit-il être interprété, notamment à la lumière du principe d’absence de vérifications sur les personnes aux frontières intérieures énoncé à l’article 22 [dudit code], en ce sens qu’il comprend le droit de ne pas faire l’objet d’une vérification sur la personne aux frontières intérieures, sous réserve des conditions et exceptions prévues par
les traités et notamment le [même code] ? »
L’affaire C‑369/20
38 Le 29 août 2019, NW avait déjà souhaité entrer sur le territoire autrichien au point de passage transfrontalier de Spielfeld.
39 Dans le cadre de contrôles effectués de manière aléatoire par l’agent de contrôle concerné, NW a été invité à présenter son passeport. NW a alors demandé s’il s’agissait d’une vérification aux frontières ou d’un contrôle d’identité. Cet agent de contrôle ayant répondu qu’il s’agissait d’une vérification aux frontières, NW a refusé de présenter son passeport et s’est identifié au moyen de son permis de conduire, considérant que le contrôle aux frontières était, à cette date, contraire au droit de
l’Union. Bien que ledit agent de contrôle ait invité à plusieurs reprises NW à lui présenter son passeport et informé l’intéressé que, par son refus, il contrevenait à la loi relative aux passeports, celui‑ci n’a pas présenté de passeport. Par conséquent, le même agent de contrôle a mis fin à l’opération concernée et a informé NW qu’une plainte serait déposée à son égard.
40 Les faits reprochés à NW ont été portés à la connaissance des autorités autrichiennes par des agents de police de la direction générale de la police de Styrie, le 6 septembre 2019.
41 Par un avis du 9 septembre 2019, NW a été déclaré coupable d’une contravention à l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux passeports. Dans la réclamation qu’il a formée le 23 septembre suivant contre cet avis, NW a fait valoir, d’une part, que la vérification aux frontières ainsi effectuée était illégale, le titre III du code frontières Schengen ne fournissant aucune base juridique à l’opération concernée, et, d’autre part, que cette vérification et l’avis du 9 septembre 2019 portaient
atteinte au droit de libre circulation que les dispositions combinées de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 22 de ce code lui reconnaissaient.
42 Par décision administrative à caractère pénal du 7 novembre 2019, NW a été déclaré coupable, d’avoir franchi la frontière autrichienne lors de son entrée sur le territoire autrichien sans être muni d’un document de voyage en cours de validité. De ce fait, il a été considéré que NW avait contrevenu à l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux passeports et il a été condamné au paiement d’une amende d’un montant de 36 euros en application de l’article 24, paragraphe 1, de cette loi.
43 NW a introduit un recours contre cette décision auprès de la juridiction de renvoi, qui s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la vérification dont NW a fait l’objet ainsi que de la sanction qui lui a été imposée en conséquence.
44 En particulier, outre les considérations exposées aux points 31 à 35 du présent arrêt, d’une part, la juridiction de renvoi se demande si, au regard de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 45, paragraphe 1, de la Charte, les citoyens de l’Union ont le droit de ne pas faire l’objet d’une vérification aux frontières intérieures dans le cas où une telle vérification ne satisfait pas aux conditions et/ou ne relève pas des exceptions prévues par les traités et, notamment, par le code
frontières Schengen.
45 D’autre part, la juridiction de renvoi fait observer que, conformément à la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 21 septembre 1999, Wijsenbeek (C‑378/97, EU:C:1999:439, points 43 et 44), les États membres conservent le droit d’imposer à une personne l’obligation de présenter lors d’un contrôle d’identité une carte d’identité ou un passeport en cours de validité et de sanctionner la violation de cette obligation. Les dispositions du droit national, telles que l’article 24 de la loi
relative aux passeports, doivent toutefois être interprétées d’une manière conforme au droit de l’Union. Notamment, en vertu de la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 10 avril 2003, Steffensen (C‑276/01, EU:C:2003:228, points 66 à 71), il conviendrait de veiller à la compatibilité de l’application concrète d’une disposition nationale avec les droits fondamentaux.
46 Ainsi, dans l’arrêt du 13 décembre 2018, Touring Tours und Travel et Sociedad de Transportes (C‑412/17 et C‑474/17, EU:C:2018:1005), la Cour aurait jugé que, si une sanction vise à assurer le respect d’une obligation de se soumettre à un contrôle qui n’est elle-même pas conforme au droit de l’Union, cette sanction est elle aussi contraire à ce droit.
47 La juridiction de renvoi relève que, en l’occurrence, l’obligation générale d’être muni d’un document de voyage en cours de validité est énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de la loi relative aux passeports. L’obligation spéciale édictée à l’article 24, paragraphe 1, de cette loi signifierait que l’intéressé doit non seulement être muni d’un passeport, mais aussi le présenter dans le cadre d’une vérification aux frontières contraire au droit de l’Union. Or, la juridiction de renvoi doute de la
compatibilité d’une telle obligation avec l’article 21, paragraphe 1, TFUE et l’article 45, paragraphe 1, de la Charte.
48 Dans ces circonstances, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le droit de l’Union fait-il obstacle à des dispositions du droit interne qui, par une succession de textes réglementaires nationaux, conduisent à un cumul de périodes de prolongation et permettent ainsi une réintroduction du contrôle aux frontières pour une durée qui excède la limite de deux ans fixée aux articles 25 et 29 [du code frontières Schengen], et sans que le Conseil [...] ait pris de décision d’exécution en ce sens au titre de l’article 29 [de ce code] ?
2) Le droit de libre circulation des citoyens de l’Union, inscrit à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la [Charte], doit‑il être interprété, notamment à la lumière du principe d’absence de vérifications sur les personnes aux frontières intérieures énoncé à l’article 22 [dudit code], en ce sens qu’il comprend le droit de ne pas faire l’objet d’une vérification sur la personne aux frontières intérieures, sous réserve des conditions et exceptions prévues par
les traités et notamment le [même code] ?
3) En cas de réponse [affirmative] à la deuxième question :
L’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 45, paragraphe 1, de la [Charte] doivent-ils être interprétés, à la lumière de l’effet utile du droit de libre circulation, en ce sens qu’ils font obstacle à l’application d’une disposition du droit national obligeant une personne, sous peine de sanction administrative, à présenter un passeport ou une carte d’identité lors de son entrée sur le territoire national par une frontière intérieure, alors même que la vérification aux frontières
intérieures concrètement opérée est contraire au droit de l’Union ? »
La procédure devant la Cour
49 Par décision du président de la Cour du 10 septembre 2020, les affaires C‑368/20 et C‑369/20 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question posée dans l’affaire C‑368/20 et la première question posée dans l’affaire C‑369/20
50 Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle‑ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 26 octobre 2021, PL Holdings, C‑109/20, EU:C:2021:875, point 34 et jurisprudence
citée).
51 Selon les éléments dont dispose la Cour, tels qu’exposés aux points 26 et 27 du présent arrêt, la République d’Autriche a réintroduit en 2015 un contrôle à ses frontières avec la Hongrie et la République de Slovénie. Ce contrôle a été réintroduit à plusieurs reprises. La dernière réintroduction mentionnée par la juridiction de renvoi est celle ayant couru jusqu’au mois de novembre 2021. Ainsi qu’il découle de ces éléments, afin de justifier la réintroduction dudit contrôle, la République
d’Autriche s’est fondée, selon la date concernée, sur différentes dispositions figurant aux articles 25 à 29 du code frontières Schengen. Il est constant que la dernière des quatre recommandations du Conseil adoptées au titre de l’article 29, paragraphe 2, de ce code, sur lesquelles cet État membre s’est fondé afin de justifier la réintroduction du même contrôle, est arrivée à échéance le 10 novembre 2017. Après cette date, la réintroduction du contrôle a apparemment été opérée sur le fondement
des articles 25 et 27 dudit code jusqu’au mois de novembre 2021.
52 Ainsi, les deux mesures de contrôle dont NW a fait l’objet et dont la légalité est contestée dans le cadre des litiges au principal, effectuées les 29 août et 16 novembre 2019, se fondaient non pas sur les recommandations du Conseil adoptées au titre de l’article 29 du code frontières Schengen, mais sur les articles 25 et 27 de ce code. Or, aux dates auxquelles ces mesures de contrôle sont intervenues, la réintroduction, par la République d’Autriche, du contrôle à sa frontière avec la République
de Slovénie au titre de ces articles 25 et 27 avait déjà dépassé la durée totale maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, de ce code pour la réintroduction du contrôle fondée sur lesdits articles 25 et 27.
53 Dans ces conditions, il convient de considérer que, par la première question posée dans l’affaire C‑368/20 et la première question posée dans l’affaire C‑369/20, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures fondée sur les articles 25 et 27 de ce code, lorsque cette réintroduction, qui résulte de l’application successive
des périodes prévues à l’article 25 dudit code, dépasse la durée totale maximale de six mois fixée à cet article 25, paragraphe 4.
54 À titre liminaire, il y a lieu de relever que l’article 25 du code frontières Schengen, lequel figure, avec les articles 26 à 35 de celui-ci, au chapitre II du titre III de ce code, relatif à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’Union, prévoit le cadre général régissant une telle réintroduction en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre et fixe notamment des périodes maximales dans le cadre desquelles un tel contrôle
peut être réintroduit. En particulier, conformément à l’article 25, paragraphe 1, de ce code, un État membre peut exceptionnellement réintroduire ce contrôle pendant une période limitée d’une durée maximale de trente jours ou pour la période prévisible de cette menace si elle est supérieure à trente jours. Dans tous les cas, la durée de la réintroduction temporaire dudit contrôle ne doit pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à ladite menace. Selon l’article 25, paragraphe 3,
dudit code, lorsque la même menace persiste, l’État membre peut prolonger le même contrôle pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours. Enfin, si, au titre de l’article 25, paragraphe 4, du même code, la durée totale de la réintroduction d’un tel contrôle – y compris toute prolongation prévue au titre de cet article 25, paragraphe 3 – ne saurait excéder six mois, cette dernière disposition précise que cette durée totale peut être étendue à deux ans dans les circonstances
exceptionnelles visées à l’article 29 du code frontières Schengen.
55 NW et la Commission soutiennent que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures au titre des articles 25 et 27 de ce code pour une période dépassant la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, dudit code entraîne nécessairement l’incompatibilité de ces contrôles avec le droit de l’Union. Selon ces parties, seule une menace grave, nouvelle par nature, pourrait justifier une nouvelle application de cet article 25 avec, par conséquent, une nouvelle application
des périodes prévues à cette disposition pour les contrôles aux frontières intérieures. Si les gouvernements français et suédois soutiennent qu’une nouvelle menace grave à l’ordre public ou à la sécurité intérieure peut entraîner une nouvelle application de ces périodes, le gouvernement français est également d’avis, tout comme les gouvernements autrichien et danois, qu’une nouvelle évaluation de la menace antérieure devrait aussi permettre une nouvelle application des dispositions pertinentes.
Enfin, le gouvernement allemand fait valoir que les États membres devraient pouvoir déroger auxdites périodes en recourant directement à l’article 72 TFUE.
56 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 12 mai 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notice rouge d’Interpol), C‑505/19, EU:C:2021:376, point 77 et jurisprudence citée].
57 S’agissant, tout d’abord, du libellé de l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen, il y a lieu d’observer que les termes « ne peut excéder six mois » tendent à exclure toute possibilité de dépasser cette durée.
58 En ce qui concerne, ensuite, le contexte dans lequel l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen s’inscrit et s’agissant, premièrement, des autres dispositions de cet article, il convient d’observer, d’une part, que l’article 25 de ce code fixe avec clarté et précision les durées maximales tant pour la réintroduction initiale du contrôle aux frontières intérieures que pour toute prolongation de ce contrôle, y compris la durée totale maximale applicable à un tel contrôle.
59 En effet, il découle du considérant 1 du règlement no 1051/2013, qui a introduit, dans le règlement no 562/2006, la règle relative à la durée maximale de six mois reprise, par la suite, à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen, que le législateur de l’Union a voulu fixer les conditions et les procédures pour la réintroduction temporaire de contrôles aux frontières intérieures afin de garantir le caractère exceptionnel de ces mesures et le respect du principe de proportionnalité.
Ce considérant 1 est repris au considérant 22 du code frontières Schengen.
60 D’autre part, il y a lieu d’observer que, conformément à l’article 25, paragraphe 3, du code frontières Schengen, lorsque la menace grave initiale persiste au‑delà de la durée de trente jours prévue au paragraphe 1 de cet article, l’État membre concerné peut prolonger ce contrôle pour les mêmes raisons que celles ayant justifié la réintroduction initiale, en tenant compte d’éventuels éléments nouveaux, pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours.
61 Il s’ensuit que, en raison de la référence expresse faite au paragraphe 3 de l’article 25 du code frontières Schengen par le paragraphe 4 de cet article, les prolongations successives des contrôles décidées sur le fondement de ce paragraphe 3 ne peuvent excéder une durée totale de six mois. De même, la durée maximale initiale des contrôles aux frontières intérieures, lorsqu’elle est déterminée par rapport à la durée prévisible de la menace grave en vertu du paragraphe 1 dudit article, peut certes
excéder trente jours sans pouvoir cependant, elle non plus, excéder six mois, faute de quoi l’utilisation de l’adjectif « totale » au paragraphe 4 du même article ainsi que la référence qui y est faite au paragraphe 3 seraient privées de sens.
62 Il convient de préciser à cet égard que, si les « éventuels éléments nouveaux » visés à l’article 25, paragraphe 3, du code frontières Schengen peuvent être invoqués par un État membre pour justifier la prolongation, pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours, des contrôles aux frontières intérieures, ces éléments doivent néanmoins être directement en lien avec la menace ayant justifié initialement la réintroduction des contrôles, la prolongation des contrôles devant en effet
être effectuée, en vertu du libellé même de cette disposition, « pour les mêmes raisons que celles visées au paragraphe 1 » de l’article 25 du code frontières Schengen.
63 Deuxièmement, il y a lieu de constater que l’article 25 du code frontières Schengen, en ce qu’il prévoit la possibilité de réintroduire un contrôle aux frontières intérieures de l’Union, constitue, au regard de l’économie générale de ce code, une exception au principe prévu à l’article 22 dudit code, en vertu duquel les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications y soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. En effet, selon
l’article 1er du même code, l’objet même de celui‑ci est de prévoir l’absence de contrôle des personnes franchissant les frontières intérieures entre les États membres de l’Union.
64 Or, ainsi que la Cour l’a jugé et qu’il est rappelé au considérant 27 du code frontières Schengen, les exceptions et les dérogations à la libre circulation des personnes sont d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 1986, Kempf, 139/85, EU:C:1986:223, point 13, et du 10 juillet 2008, Jipa, C‑33/07, EU:C:2008:396, point 23 ainsi que jurisprudence citée).
65 C’est dans cette optique que les considérants 21 à 23 du code frontières Schengen énoncent que, dans un espace de libre circulation des personnes, sans frontières intérieures, qui constitue l’une des principales réalisations de l’Union en vertu de l’article 3, paragraphe 2, TUE, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures devrait rester exceptionnelle et ne devrait intervenir qu’en dernier recours.
66 Le fait que les dispositions de l’article 25 du code frontières Schengen doivent ainsi faire l’objet d’une interprétation stricte milite en défaveur d’une interprétation de l’article 25, paragraphe 4, de ce code selon laquelle la persistance de la menace initialement identifiée, même appréciée au regard d’éléments nouveaux, ou d’une réévaluation de la nécessité et de la proportionnalité du contrôle mis en place pour répondre à celle‑ci, au regard de l’article 25, paragraphe 1, in fine, du code
frontières Schengen, suffirait à justifier la réintroduction de ce contrôle au‑delà de la période d’une durée maximale de six mois prévue à cette disposition. En effet, une telle interprétation reviendrait à permettre, en pratique, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures en raison d’une même menace pour une durée illimitée, portant ainsi atteinte au principe même de l’absence de contrôle aux frontières intérieures, tel que consacré à l’article 3, paragraphe 2, TUE et rappelé à
l’article 67, paragraphe 2, TFUE.
67 Troisièmement, s’agissant des autres dispositions figurant au chapitre II du titre III du code frontières Schengen, d’une part, il convient d’observer que le type d’évaluation qui doit être effectuée et la procédure qui doit être suivie, aux fins de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25 de ce code, sont encadrés de manière détaillée aux articles 26 à 28 de celui‑ci.
68 Il ressort des articles 26 et 27 du code frontières Schengen, notamment, que tant la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25 de ce code que toute prolongation de ce contrôle doivent, d’un côté, être nécessaires et proportionnées par rapport à la menace constatée et, de l’autre côté, respecter les critères et les règles de procédure détaillés, expressément prévus par ledit code, ce qui tend à suggérer que, si une simple réévaluation au regard de ces critères
de nécessité et de proportionnalité suffisait aux fins de justifier la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, au titre de cet article 25, au‑delà d’une période de six mois, le législateur de l’Union l’aurait prévu expressément.
69 Cette lecture du code frontières Schengen est également confortée par le considérant 23 de ce code, lequel énonce, en raison du fait que la libre circulation des personnes est affectée par la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, que toute décision visant à réintroduire un tel contrôle devrait être prise conformément à des critères objectifs spécifiques arrêtés d’un commun accord. En effet, la prolongation du contrôle aux frontières intérieures réintroduit au titre de
l’article 25 dudit code au‑delà de la durée maximale expressément prévue à l’article 25, paragraphe 4, de celui‑ci est difficilement conciliable avec la fixation d’un commun accord de critères clairs et objectifs encadrant une telle réintroduction.
70 D’autre part, interpréter l’article 25 du code frontières Schengen en ce sens que, dans le cas d’une menace au sens du paragraphe 1 de cet article, un État membre pourrait dépasser la durée totale de six mois prévue au paragraphe 4 dudit article pour le contrôle aux frontières intérieures priverait de sens la distinction opérée par le législateur de l’Union entre les contrôles aux frontières intérieures réintroduits au titre du même article et ceux réintroduits dans les circonstances
exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures visées à l’article 29 de ce code, une durée maximale plus longue, de deux ans, étant expressément prévue pour ces derniers contrôles. En effet, selon une telle interprétation, un contrôle aux frontières intérieures réintroduit au titre de l’article 25 dudit code pourrait être prolongé pour une période illimitée pouvant, dès lors, excéder deux ans, alors même que les circonstances et les
critères spécifiques prévus aux articles 29 et 30 du même code ne seraient pas, respectivement, caractérisées ou remplis. Par ailleurs, l’article 25, paragraphe 4, dernière phrase, du code frontières Schengen s’oppose à une telle interprétation dans la mesure où il prévoit que c’est au titre de l’article 29 de ce code que la durée maximale de la réintroduction d’un contrôle aux frontières intérieures peut être portée à deux ans, et non pas au titre de l’article 25 dudit code.
71 Cela dit, la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures au titre de l’article 29 du code frontières Schengen pour une durée maximale de deux ans n’empêche pas l’État membre concerné de réintroduire, en cas de survenance d’une nouvelle menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, directement après la fin de ces deux ans, des contrôles au titre de l’article 25 de ce code pour une durée maximale de six mois, pour autant que les conditions prévues à cette dernière
disposition soient satisfaites. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 29, paragraphe 5, du code frontières Schengen, l’article 29 de ce code est sans préjudice des mesures que les États membres peuvent adopter en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure au titre des articles 25, 27 et 28.
72 Enfin, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen ainsi que par ce code lui‑même, il y a lieu de rappeler que ledit code s’insère dans le cadre plus général d’un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée, conformément à l’article 3, paragraphe 2, TUE et à l’article 67, paragraphe 2, TFUE, la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière, notamment, de contrôle aux
frontières extérieures [voir, par analogie, arrêt du 5 février 2020, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Enrôlement des marins dans le port de Rotterdam), C‑341/18, EU:C:2020:76, point 55 et jurisprudence citée]. Un tel cadre vise à respecter un juste équilibre entre, d’un côté, la libre circulation des personnes et, de l’autre, la nécessité d’assurer l’ordre public et la sécurité intérieure du territoire sur lequel celles‑ci circulent.
73 En effet, tout d’abord, l’article 26 du code frontières Schengen oblige l’État membre souhaitant réintroduire un contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25 de ce code à tenir compte, dans le cadre de son évaluation de la proportionnalité de ce contrôle par rapport à la menace constatée, en particulier, d’une part, de l’incidence probable de toute menace pour son ordre public ou sa sécurité intérieure et, d’autre part, de l’incidence probable d’un tel contrôle sur la libre
circulation des personnes au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures.
74 Ensuite, le considérant 22 du code frontières Schengen souligne que la création d’un espace garantissant la libre circulation des personnes sans contrôles aux frontières intérieures est l’une des principales réalisations de l’Union et que, dans cet espace, il est nécessaire d’apporter une réponse commune aux situations ayant de graves répercussions sur l’ordre public ou la sécurité intérieure, en permettant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances
exceptionnelles, mais sans porter atteinte au principe de la libre circulation des personnes. Ce considérant 22 précise également que la fixation des conditions et des procédures pour la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures vise à garantir le caractère exceptionnel de ce contrôle et le respect du principe de proportionnalité, assurant ainsi que la durée de toute réintroduction temporaire d’un tel contrôle est limitée au strict minimum nécessaire pour répondre à une menace grave
pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.
75 Enfin, il découle du considérant 2 du règlement no 1051/2013 que la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures devrait, notamment, intervenir pour une durée strictement limitée et reposer sur des critères objectifs spécifiques. Ces mêmes considérations figurent désormais au considérant 23 du code frontières Schengen.
76 L’objectif poursuivi par la règle relative à la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen s’inscrit ainsi dans le prolongement de cet objectif général qui consiste à concilier le principe de libre circulation avec l’intérêt des États membres à assurer la sécurité de leurs territoires.
77 S’il est, par conséquent, vrai qu’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures n’est pas nécessairement limitée dans le temps, il apparaît que le législateur de l’Union a estimé qu’une période de six mois était suffisante pour que l’État membre concerné adopte, le cas échéant en coopération avec d’autres États membres, des mesures permettant de faire face à une telle menace tout en préservant, après cette
période de six mois, le principe de libre circulation.
78 Eu égard aux considérations exposées aux points 57 à 77 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que la période d’une durée totale maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen pour la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures est impérative, de telle sorte que son dépassement entraîne nécessairement l’incompatibilité avec ce code de tout contrôle aux frontières intérieures réintroduit au titre des articles 25 et 27 de celui‑ci après
l’écoulement de cette période.
79 Il ressort également de ces considérations qu’une telle période peut être appliquée de nouveau uniquement dans le cas où l’État membre concerné est en mesure de démontrer l’existence d’une nouvelle menace grave affectant son ordre public ou sa sécurité intérieure. Dans ce cas, de nouvelles périodes d’une durée spécifique prévues à l’article 25 du code frontières Schengen peuvent être considérées comme commençant à courir, sous réserve du respect, par cet État membre, de l’ensemble des critères et
des règles de procédure prévus aux articles 26 à 28 de ce code.
80 S’agissant des conditions dans lesquelles il est possible de considérer qu’une menace donnée est nouvelle par rapport à une menace ayant précédemment justifié la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, sur le fondement de l’article 25 du code frontières Schengen, il convient d’observer que, lorsque l’État membre concerné notifie aux autres États membres et à la Commission son intention de réintroduire le contrôle à des frontières intérieures de l’Union, l’article 27, paragraphe 1,
de ce code fait référence, notamment, aux « circonstances [...] à l’origine de la nécessité de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures » et aux « événements qui constituent une menace grave » pour l’ordre public ou la sécurité intérieure de l’État membre concerné. De même, l’article 27, paragraphe 5, dudit code fait référence aux « événements qui sont à l’origine de la réintroduction du contrôle aux frontières ».
81 Dès lors, c’est toujours par rapport à ces circonstances et événements que doit être appréciée la question de savoir si, à l’issue de la période maximale de six mois visée à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen, la menace à laquelle est confronté l’État membre demeure la même ou bien s’il s’agit d’une nouvelle menace permettant à cet État membre de poursuivre, directement après la fin de cette période de six mois, les contrôles aux frontières intérieures de manière à ainsi
faire face à cette nouvelle menace. Dans ces conditions, il doit être constaté que, ainsi que la Commission le soutient en substance, l’apparition d’une nouvelle menace, qui est distincte de celle initialement identifiée, est susceptible de justifier, sous réserve du respect des autres conditions applicables, une nouvelle application des périodes prévues à l’article 25 de ce code pour la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures.
82 En l’occurrence et ainsi que la Commission le soutient, il semble, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier, que, depuis le 10 novembre 2017, date d’échéance de la dernière des quatre recommandations du Conseil adoptées sur le fondement de l’article 29 du code frontières Schengen, la République d’Autriche n’a pas démontré l’existence d’une nouvelle menace, au titre de l’article 25 de ce code, qui aurait justifié de faire de nouveau courir les périodes prévues à cet
article 25 et qui aurait ainsi permis de considérer que les deux mesures de contrôle dont NW a fait l’objet, respectivement les 29 août 2019 et 16 novembre suivant, ont été effectuées dans la limite de la durée totale maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, dudit code.
83 Ces considérations ne sont pas remises en cause par l’argumentation invoquée par le gouvernement allemand selon laquelle, lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient, les États membres peuvent se prévaloir de l’article 72 TFUE afin de déroger aux dispositions du code frontières Schengen fixant des durées totales maximales pour la réintroduction du contrôle temporaire aux frontières intérieures.
84 Selon une jurisprudence constante de la Cour, bien qu’il appartienne aux seuls États membres de définir leurs intérêts essentiels de sécurité et d’arrêter les mesures propres à assurer leur sécurité intérieure et extérieure, le seul fait qu’une mesure nationale, telle qu’une décision relative au contrôle aux frontières intérieures, a été prise aux fins de la protection de la sécurité nationale ne saurait entraîner l’inapplicabilité du droit de l’Union et dispenser les États membres du respect
nécessaire de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Ministrstvo za obrambo, C‑742/19, EU:C:2021:597, point 40 et jurisprudence citée). Il doit en aller de même des mesures nationales adoptées aux fins du maintien de l’ordre public d’un État membre.
85 S’agissant plus spécifiquement de l’article 72 TFUE, il est vrai que cette disposition prévoit que le titre V du traité FUE ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
86 Toutefois, ainsi que la Cour l’a jugé, le traité FUE ne prévoit des dérogations expresses applicables en cas de situations susceptibles de mettre en cause l’ordre public ou la sécurité publique qu’à ses articles 36, 45, 52, 65, 72, 346 et 347, qui concernent des hypothèses exceptionnelles bien délimitées. La dérogation prévue à l’article 72 TFUE doit, comme il est de jurisprudence constante, faire l’objet d’une interprétation stricte. Il s’ensuit que cet article 72 ne saurait être interprété de
manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du droit de l’Union par la seule invocation des responsabilités qui leur incombent pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale), C‑808/18, EU:C:2020:1029, points 214 et 215 ainsi que jurisprudence citée].
87 S’agissant du code frontières Schengen, il ressort des considérations exposées aux points 72 à 77 du présent arrêt que le choix de retenir la durée totale maximale de six mois figurant à l’article 25, paragraphe 4, de ce code, laquelle peut être étendue à une durée maximale de deux ans dans les circonstances exceptionnelles visées à l’article 29 dudit code, fait partie de l’encadrement complet, mis en place par le législateur de l’Union, dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées par
les dispositions combinées de l’article 3, paragraphes 2 et 6, TUE et de l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE ainsi que de l’article 4, paragraphe 2, sous j), et de l’article 77, paragraphe 2, sous b) et e), TFUE, des modalités d’exercice par les États membres des responsabilités leur incombant aux fins du maintien de l’ordre public et de la sauvegarde de la sécurité intérieure.
88 Or, cet encadrement vise ainsi précisément à assurer un juste équilibre, envisagé à l’article 3, paragraphe 2, TUE, entre, d’une part, l’objectif de l’Union consistant à établir un espace sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, et, d’autre part, des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène.
89 Par conséquent, eu égard à l’importance fondamentale que revêt la libre circulation des personnes parmi les objectifs de l’Union visés à l’article 3 TUE et aux considérations exposées aux points 58 à 77 du présent arrêt relatives à la manière détaillée dont le législateur de l’Union a encadré la possibilité pour les États membres d’interférer avec cette liberté par la réintroduction temporaire de contrôles aux frontières intérieures, laquelle témoigne d’une volonté de mettre en balance les divers
intérêts en cause, il convient de considérer que, en prévoyant la règle relative à la durée totale maximale de six mois figurant à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen, le législateur de l’Union a dûment tenu compte de l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres en matière d’ordre public et de sécurité intérieure.
90 Il s’ensuit que l’article 72 TFUE ne permet pas à un État membre de réintroduire, afin de faire face à une menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure, des contrôles temporaires aux frontières intérieures fondés sur les articles 25 et 27 du code frontières Schengen pendant une période qui dépasse la durée totale maximale de six mois, expressément prévue à l’article 25, paragraphe 4, de celui‑ci.
91 Par ailleurs, il convient d’observer que, conformément à l’article 27, paragraphe 4, du code frontières Schengen, si, sur la base des informations figurant dans la notification qu’elle a reçue d’un État membre souhaitant réintroduire un contrôle aux frontières intérieures, la Commission a des doutes en ce qui concerne la nécessité ou la proportionnalité de la réintroduction prévue, elle est tenue d’émettre un avis en ce sens. Or, dans les présentes affaires, ainsi que la Commission l’a
expressément admis elle‑même lors de l’audience, cette institution n’a pas émis un tel avis, à la suite des notifications qu’elle a reçues de la part de la République d’Autriche concernant les contrôles aux frontières intérieures réintroduits par cet État membre depuis le 10 novembre 2017, alors même que ladite institution considère que, à partir de cette date, ces contrôles étaient incompatibles avec les dispositions du code frontières Schengen et, par conséquent, avec le droit de l’Union.
92 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il est essentiel, afin d’assurer le bon fonctionnement des règles instaurées par le code frontières Schengen, que, lorsqu’un État membre souhaite réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, tant la Commission que les États membres exercent les compétences que leur attribue ce code, notamment en ce qui concerne les échanges d’informations et d’avis, les consultations et, le cas échéant, la coopération mutuelle spécifiquement prévues à l’article 27
dudit code.
93 Cela étant, le fait que, dans un cas spécifique, à la suite d’une notification effectuée par un État membre au titre de l’article 27, paragraphe 1, du code frontières Schengen, la Commission n’émet pas d’avis indiquant qu’elle considère le contrôle notifié comme étant incompatible avec ce code n’a pas, en soi, d’incidence sur l’interprétation par la Cour des dispositions dudit code.
94 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée dans l’affaire C‑368/20 et à la première question posée dans l’affaire C‑369/20 que l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réintroduction temporaire par un État membre du contrôle aux frontières intérieures fondée sur les articles 25 et 27 de ce code lorsque la durée de celle‑ci dépasse la durée totale maximale de
six mois, fixée à cet article 25, paragraphe 4, et qu’il n’existe pas de nouvelle menace qui justifierait de faire une nouvelle application des périodes prévues audit article 25.
Sur la seconde question posée dans l’affaire C‑368/20 et la deuxième question posée dans l’affaire C‑369/20
95 Eu égard à la réponse apportée aux premières questions posées dans les présentes affaires, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question posée dans l’affaire C-368/20 ni à la deuxième question posée dans l’affaire C-369/20.
Sur la troisième question posée dans l’affaire C‑369/20
96 Par la troisième question posée dans l’affaire C‑369/20, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen s’oppose à une réglementation nationale par laquelle un État membre oblige, sous peine de sanction, une personne à présenter un passeport ou une carte d’identité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure, lorsque la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures dans le cadre duquel
cette obligation est imposée est contraire à cette disposition.
97 À cet égard, il suffit de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé, un dispositif de sanction n’est pas compatible avec les dispositions du code frontières Schengen lorsqu’il est imposé pour assurer le respect d’une obligation de se soumettre au contrôle qui n’est elle‑même pas conforme à ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Touring Tours und Travel et Sociedad de Transportes, C‑412/17 et C‑474/17, EU:C:2018:1005, point 72).
98 Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question posée dans l’affaire C‑369/20 que l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale par laquelle un État membre oblige, sous peine de sanction, une personne à présenter un passeport ou une carte d’identité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure, lorsque la réintroduction du contrôle aux frontières
intérieures dans le cadre duquel cette obligation est imposée est contraire à cette disposition.
Sur les dépens
99 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 25, paragraphe 4, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), tel que modifié par le règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réintroduction temporaire par un État membre du contrôle aux frontières intérieures fondée sur les
articles 25 et 27 de ce code lorsque la durée de celle‑ci dépasse la durée totale maximale de six mois, fixée à cet article 25, paragraphe 4, et qu’il n’existe pas de nouvelle menace qui justifierait de faire une nouvelle application des périodes prévues audit article 25.
2) L’article 25, paragraphe 4, du règlement 2016/399, tel que modifié par le règlement 2016/1624, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale par laquelle un État membre oblige, sous peine de sanction, une personne à présenter un passeport ou une carte d’identité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure, lorsque la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures dans le cadre duquel cette obligation est imposée est
contraire à cette disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.