CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIOVANNI PITRUZZELLA
présentées le 8 septembre 2022 ( 1 )
Affaire C‑25/21
ZA,
AZ,
BX,
CV,
DU,
ET
contre
Repsol Comercial de Productos Petrolíferos SA
[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil de Madrid (tribunal de commerce de Madrid, Espagne)]
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Mise en œuvre privée – Article 101, paragraphes 1 et 2, TFUE – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 2 – Action en nullité – Action en dommages et intérêts – Directive 2014/104/CE – Application temporelle – Valeur probante d’une décision d’une autorité nationale de concurrence dans l’action en nullité et dans l’action en dommages et intérêts – Autonomie procédurale des États membres – Principes d’effectivité et de sécurité juridique »
1. Dans le contexte de la mise en œuvre, à l’initiative de la sphère privée (« private enforcement »), des règles de la concurrence de l’Union, les questions liées aux exigences probatoires jouent un rôle fondamental. En effet, les actions civiles pour infraction au droit de la concurrence requièrent habituellement une analyse factuelle et économique complexe et sont caractérisées par une asymétrie d’information très importante. Ces facteurs peuvent compromettre la capacité des personnes engageant
de telles actions civiles d’exercer effectivement leurs droits.
2. Dans ce contexte, la question de la valeur probante des décisions de l’autorité nationale de concurrence devant les juridictions civiles nationales appelées à statuer sur des actions en dommages et intérêts engagées pour violation du droit de la concurrence a désormais été réglée par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE relative aux actions en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence ( 2 ). Toutefois, des nombreuses questions restent
en attente de réponse.
3. Ainsi, outre les questions liées à l’interprétation de ladite disposition, quid de la valeur probante de telles décisions dans le cadre d’actions en nullité fondées sur l’article 101, paragraphe 2, TFUE ? En outre, quelle est la nature de la disposition de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 qui en détermine l’applicabilité ratione temporis ? Si cette disposition n’est pas applicable, quelle est alors la valeur probante desdites décisions dans le cadre des actions en dommages et
intérêts pour violation du droit de la concurrence de l’Union?
4. Dans la présente affaire, qui concerne un renvoi préjudiciel introduit par le Juzgado de lo Mercantil de Madrid (tribunal de commerce de Madrid, Espagne), la juridiction de renvoi, la Cour aura la possibilité de fournir des clarifications à toutes ces questions.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. L’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de la concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] ( 3 ), intitulé « Charge de la preuve », dispose :
« Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles [101 et 102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. [...] »
6. Le considérant 34 de la directive 2014/104 énonce :
« L’application effective et cohérente des articles 101 et 102 [TFUE] par la Commission et les autorités nationales de concurrence nécessite une approche commune au sein de l’Union en ce qui concerne l’effet des décisions définitives constatant une infraction rendue par les autorités nationales de concurrence sur les actions ultérieures en dommages et intérêts. [...] Afin d’accroître la sécurité juridique, d’éviter toute incohérence dans l’application des articles 101 et 102 [TFUE], de renforcer
l’efficacité des actions en dommages et intérêts et les économies de procédure dans ce domaine, et de stimuler le fonctionnement du marché intérieur pour les entreprises et les consommateurs, la constatation d’une infraction à l’article 101 ou 102 [TFUE] dans une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou d’une instance de recours ne devrait pas être de nouveau contestée lors d’actions en dommages et intérêts ultérieures. Dès lors, une telle constatation devrait être
considérée comme établie de manière irréfragable dans le cadre d’actions en dommages et intérêts concernant ladite infraction intentées dans l’État membre de l’autorité de concurrence ou de l’instance de recours nationale. L’effet de la constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l’infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu’elle a été déterminée par l’autorité de concurrence ou l’'instance de recours dans l’exercice de sa
compétence. »
7. L’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/104, intitulé « Effet des décisions nationales », prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 [TFUE] ou du droit national de la concurrence.
2. Les États membres veillent à ce que, lorsqu'une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse, conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties. »
8. L’article 22 de la directive 2014/104, intitulé « Application temporelle », énonce :
« 1. Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.
2. Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »
B. Le droit espagnol
9. La directive 2014/104 a été transposée dans le droit espagnol par le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017, portant transposition de directives de l’Union européenne en matière financière, commerciale et de santé, ainsi que sur le détachement de travailleurs) ( 4 ), du 26 mai 2017, qui a modifié la Ley 15/2007 de Defensa de la Competencia
(loi 15/2007, relative à la protection de la concurrence), du 3 juillet 2007 ( 5 ).
II. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles
10. Les héritiers de KN sont les propriétaires d’une station-service construite par KN et située en Espagne. Repsol SA est la principale entreprise espagnole active dans le secteur de la fabrication de produits énergétiques issus du raffinage du pétrole brut. Entre 1987 et 2009, KN ou ses héritiers et Repsol ont conclu cinq contrats concernant l’approvisionnement de carburant en relation avec l’exploitation de la station-service.
11. Les deux premiers contrats ont été conclus respectivement en 1987 et en 1996. Il ressort de la décision de renvoi que, tout en étant qualifiés de contrats d’approvisionnement exclusif, ces contrats pouvaient en réalité être considérés comme des contrats de revente ( 6 ). Ces deux contrats prévoyaient que la rémunération de l’exploitant de la station-service était constituée par une commission que ce dernier pouvait appliquer sur le prix de vente au public des carburants, ce prix étant recommandé
par Repsol.
12. Par une décision du 11 juillet 2001 (ci-après la « décision de 2001 »), le Tribunal de Defensa de la Competencia (tribunal de la concurrence, Espagne) a constaté une violation par Repsol des règles nationales de la concurrence et a rendu la décision suivante :
« 1. Déclarer que [Repsol] a mis en œuvre une pratique interdite par l’article 1er, paragraphe 1, de la Ley de Defensa de la Competencia [loi de protection de la concurrence], en fixant les prix de vente au public des carburants à l’intention des distributeurs agissant avec elle sous un régime supposé de commission ou d’agence, en vertu des contrats cités [omissis] dans le dossier du service.
2. Ordonner à [Repsol] de cesser de fixer les prix dans le cadre des relations avec des stations-service auxquelles elle est liée par un contrat présentant des caractéristiques similaires. »
13. Cette décision a été confirmée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) ( 7 ) et, ensuite, par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) ( 8 ) en devenant, ainsi, définitive.
14. Le 22 février 2001, le 22 février 2006 et le 17 juillet 2009, KN ou ses héritiers et Repsol ont conclu trois contrats ultérieurs, qualifiés de « contrats de commission exclusive ». Ces trois contrats contenaient une obligation d’approvisionnement exclusif en faveur de Repsol de cinq, trois et cinq ans respectivement. Il ressort de la décision de renvoi que le régime économique était celui d’une « prétendue » commission, lequel dissimulait, en réalité, un contrat de revente, puisque c’était le
commissionnaire qui assumait le risque afférent au produit et devait payer le montant des produits commandés (prix de vente au public fixé par Repsol, moins la commission) suffisamment longtemps en avance pour permettre à Repsol de constater le paiement avant la livraison.
15. Il ressort de ladite décision de renvoi que, dans ces trois contrats, la faculté du commissionnaire de pratiquer des ristournes aux clients en les imputant sur sa commission était formellement reconnue. Toutefois, cette faculté aurait été, dans la pratique, purement théorique.
16. À la suite d’une enquête qui a confirmé que Repsol continuait d’enfreindre les règles de la concurrence, dès lors que la possibilité donnée aux exploitants des stations‑service de son réseau de pratiquer des ristournes en les imputant sur leur commission s’était avérée ne pas être réelle, la Comisión Nacional de la Competencia (Commission nationale de la concurrence, ci‑après la « CNC ») ( 9 ), par décision du 30 juillet 2009 (ci-après la « décision de 2009 »), a résolu de sanctionner,
notamment, Repsol pour ces infractions aux règles de la concurrence. Le dispositif de la décision de 2009 énonçait :
« PREMIÈREMENT. – Déclarer que Repsol [...] [a] violé l’article 1er de la [loi sur la protection de la concurrence] et l’article [101, paragraphe 1, TFUE], en ayant fixé indirectement le prix de vente au public pratiqué par les entrepreneurs indépendants opérant sous leur enseigne, en restreignant la concurrence entre les stations-service de leur réseau et entre les autres stations-service.
DEUXIÈMEMENT. – Déclarer que tous les contrats incluant des clauses en vertu desquelles le commettant transfère à l’autre partie au contrat des risques commerciaux ou financiers importants seront traités, aux fins de l’application du droit de la concurrence, comme des contrats de revente.
TROISIÈMEMENT. – Déclarer que toute autre clause contractuelle figurant dans les contrats de fourniture de carburants de Repsol et stipulant que le prix d’acquisition du combustible est fixé par référence au prix maximal ou recommandé, que ce soit celui de la station-service elle‑même ou celui des concurrents de la région, est contraire à l’article 1er de la [loi sur la concurrence] et l’article [101, paragraphe 1, TFUE] [...]
QUATRIÈMEMENT. – Déclarer que toute autre clause contractuelle figurant dans les contrats de fourniture de carburants de Repsol [...] et stipulant que les commissions/marges à percevoir sont fixées à des niveaux similaires à ceux de la région où se trouve la station-service faisant l’objet du contrat est contraire l’article 1er de la [loi sur la concurrence] et l’article [101, paragraphe 1, TFUE] [...]
CINQUIÈMEMENT. – Ordonner à Repsol [...] de prendre, à compter de la notification de la présente décision, les mesures nécessaires à la cessation de toutes les pratiques contribuant à la fixation indirecte du prix des combustibles vendus dans les stations-service des réseaux objet d’un contrat d’affiliation conclu avec Repsol [...] et dont les gestionnaires sont des entrepreneurs indépendants aux fins de l’application des règles de la concurrence [...] »
17. La décision de 2009 a été confirmée par les juridictions espagnoles ( 10 ) et a donc acquis un caractère définitif.
18. Dans le cadre de la procédure de surveillance, la CNMC a rendu trois décisions ( 11 ) dans lesquelles elle a constaté que Repsol avait maintenu sa pratique illicite jusqu’en 2019.
19. Dans ces conditions, les héritiers de KN ont intenté devant la juridiction de renvoi une action en nullité des contrats existant entre les parties, au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, du fait de la fixation par Repsol du prix de vente au public pour les combustibles et carburants en violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ainsi qu’une demande d’indemnisation des dommages causés en conséquence de la violation de l’article 101 TFUE. À titre de preuve de la pratique illicite, les
héritiers de KN ont produit les deux décisions des autorités espagnoles de la concurrence (à savoir la décision de 2001 et la décision de 2009) ayant acquis un caractère définitif.
20. La juridiction de renvoi relève que, aux termes de l’article 2 du règlement no 1/2003, la charge de la preuve d’une violation de l’article 101 TFUE incombe à la partie qui l’allègue. Elle se réfère également au principe d’effectivité et qualifie l’action intentée par les héritiers de KN comme action en nullité des contrats existant entre les parties avec demande d’indemnisation des dommages causés (action « stand-alone »).
21. Elle observe ensuite que la jurisprudence nationale ( 12 ) n’accorde aucune force probante aux décisions d’une autorité de la concurrence dans le cadre d’une action en nullité telle que celle intentée par les héritiers de KN. Il ressortirait de cette jurisprudence que les mesures prises par les autorités espagnoles de la concurrence, y compris celles confirmées par les juridictions compétentes, ne devraient pas aboutir à l’annulation de tous les contrats d’affiliation conclus par les compagnies
pétrolières. Ces décisions ne constitueraient même pas un indice de la pratique illicite pour le juge civil. Par conséquent, afin d’obtenir la nullité des contrats en cause, un requérant devrait reproduire devant ce juge les preuves présentées dans le cadre du dossier administratif.
22. La juridiction de renvoi relève par ailleurs que, dans le cadre d’une action dite « follow-on », une partie requérante peut désormais, conformément à l’article 9 de la directive 2014/104, parvenir à satisfaire la charge de la preuve relative à une pratique illicite en démontrant simplement que les décisions définitives d’une autorité de la concurrence concernent la relation contractuelle en cause. En l’occurrence, toutefois, les héritiers de KN n’exerceraient pas seulement une action en dommages
et intérêts, mais invoqueraient également la nullité des contrats en cause en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE. Toutefois, selon la juridiction de renvoi, nier toute valeur probante à la décision de 2001 et à la décision de 2009 aurait pour conséquence le maintien de contrats interdits par l’article 101 TFUE, ainsi que l’absence de réparation du dommage causé par la pratique interdite aux personnes en cause. Cette conséquence ne serait pas envisageable dans la mesure où les contrats
entre Repsol et les héritiers de KN correspondraient aux pratiques sanctionnées et aux contrats analysés par les autorités de la concurrence dans ces décisions et, notamment, auraient été mis en place pendant la même période que ces contrats ainsi que dans le même marché géographique de ceux-ci.
23. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Si la partie requérante démontre que sa relation contractuelle d’approvisionnement exclusif et d’affiliation (sous le régime de la commission ou de vente ferme avec prix de référence – revente avec ristourne) avec [Repsol] relève du champ d’application territorial et temporel examiné par l’autorité nationale de concurrence, la relation contractuelle doit-elle être considérée comme étant affectée par la décision [de 2001] (affaire 490/00 REPSOL) ou par la décision [de 2009] (affaire 652/07
REPSOL/CEPSA/BP), les conditions posées à l’article 2 du règlement no 1/2003 relatives à la charge de la preuve étant considérées comme remplies en vertu de ces décisions ?
2) En cas de réponse affirmative à la question précédente et s’il est établi en l’espèce que la relation contractuelle est affectée par la décision [de 2001] (affaire 490/00 REPSOL) ou par la décision [de 2009] (affaire 652/07 REPSOL/CEPSA/BP), la conséquence doit-elle nécessairement être la déclaration de nullité de plein droit de l’accord, conformément à l’article 101, paragraphe 2, TFUE ? »
III. Analyse
24. Les deux questions préjudicielles soulevées par la juridiction de renvoi dans la présente affaire visent à déterminer, à la lumière du droit de l’Union, la valeur probante qu’il y a lieu d’attribuer dans l’action civile intentée devant elle à deux décisions définitives des autorités espagnoles de la concurrence qui ont constaté des infractions au droit de la concurrence, tant national que de l’Union.
25. Avant d’aborder dans le détail les questions préjudicielles, il convient, à mon avis, d’effectuer des considérations de caractère liminaire.
26. D’une part, il apparaît opportun de clarifier certains aspects concernant l’action intentée par les héritiers de KN devant la juridiction de renvoi dans le litige au principal.
27. D’autre part, la question de l’effet d’une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant sa juridiction nationale est désormais régie par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, qui a été transposée en droit espagnol par l’article 75 de la loi 15/2007 relative à la protection de la concurrence, telle que modifiée par le décret-loi royal 9/2017. Il conviendra donc, à titre liminaire, de vérifier si cette
disposition est applicable au litige au principal.
A. Observations liminaires
1. Sur l’action intentée devant la juridiction de renvoi
28. En l’espèce, dans les décisions de 2001 et de 2009, les autorités de la concurrence espagnoles ont constaté que Repsol avait violé, pour une période de plusieurs années, l’interdiction des ententes restrictives de concurrence prévue par les droits de la concurrence national et de l’Union en fixant indirectement les prix de vente au public des carburants dans le cadre des relations avec des stations-service auxquelles elle était liée. Ces autorités ont constaté des restrictions verticales de la
concurrence dans le cadre des relations contractuelles entre un producteur fournisseur de carburant, Repsol, et ses distributeurs, à savoir les stations-service.
29. Pendant la période couverte par les deux décisions susmentionnées, KN et ses héritiers, requérants devant la juridiction de renvoi, ont conclu plusieurs contrats avec Repsol pour l’approvisionnement exclusif de carburant pour la revente dans leur station-service. Dans la mesure où ils considèrent avoir été affectés par les comportements anticoncurrentiels mis en œuvre par Repsol, les héritiers de KN ont engagé une action civile devant la juridiction de renvoi.
30. Dans le cadre de cette action, les héritiers de KN demandent à ladite juridiction, en tant que conséquences distinctes de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, d’une part, de déclarer la nullité des contrats pertinents en application directe de l’article 101, paragraphe 2, TFUE et, d’autre part, de condamner Repsol aux dommages et intérêts causés par cette violation ( 13 ).
31. Dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi qualifie expressément cette action d’action « stand-alone ». Cette juridiction paraît faire découler cette qualification de la circonstance que l’action en dommages et intérêts intentée par les héritiers de KN est couplée avec une action en nullité des contrats existant sur le fondement de l’article 101, paragraphe 2, TFUE. Cette qualification, qui a fait l’objet de débat tant dans les observations présentées à la Cour que lors de l’audience,
mérite quelques clarifications.
32. En droit de la concurrence, et spécifiquement dans le cadre du « private enforcement », on distingue typiquement les actions civiles en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence en deux types : les « actions autonomes » (ou « actions stand-alone ») et les « actions de suivi » (ou « actions follow-on »).
33. Bien que dans le cadre du « private enforcement » du droit de la concurrence cette distinction soit souvent utilisée dans la pratique ( 14 ), il n’existe pas en droit de l’Union de définition légale précise de ces deux types d’actions. Ainsi, la directive 2014/104 ne se réfère pas expressément à cette distinction, ni aux deux types d’actions. Les seules références à la distinction entre actions « stand-alone » et « follow-on » se trouvent dans des documents préparatoires de la Commission
relatifs à l’adoption de cette directive ( 15 ).
34. Il ressort de ces documents, ainsi que de l’utilisation de ces notions dans la pratique, que les « actions autonomes » (ou « actions stand-alone ») sont les actions civiles, notamment en dommages et intérêts ( 16 ), portées devant une juridiction sans qu’une décision préalable ait été prise par une autorité de la concurrence. Les « actions de suivi » (ou « actions follow-on ») sont, en revanche, les actions civiles qui font suite à la constatation par une autorité de la concurrence d’une
violation de droit de la concurrence.
35. Il en ressort que la dichotomie entre actions de types « follow-on » et « stand-alone » concerne une distinction entre actions civiles engagées pour obtenir devant le juge civil la reconnaissance de conséquences juridiques dans les relations entre personnes privées découlant d’une infraction aux règles de concurrence – notamment, la réparation du préjudice subi en conséquence d’une telle infraction – selon qu’il existe ou non une constatation préalable de l’infraction dans une décision d’une
autorité de la concurrence. Il ne s’agit donc pas, comme semble l’entendre la juridiction de renvoi et du moins une partie de la jurisprudence espagnole ( 17 ), d’une distinction entre, d’une part, actions en nullité et, d’autre part, actions en dommages et intérêts.
36. Or, dans la présente espèce, indépendamment du point de savoir quel effet in concreto ont les deux décisions des autorités espagnoles de la concurrence dans le cadre de l’action civile intentée devant la juridiction de renvoi, il apparaît clairement du dossier que l’action civile engagée par les héritiers de KN fait suite aux constatations effectuées par les autorités espagnoles de la concurrence dans les deux décisions de 2001 et de 2009 desquelles il découle que Repsol a violé l’interdiction
des ententes restrictives de concurrence.
37. En fait, les héritiers de KN veulent même se fonder sur lesdites constatations au soutien de leur action. D’ailleurs, les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi concernant la valeur probante de ces deux décisions dans le cadre de cette action civile confirment que cette même action a été intentée à la suite desdites décisions. Dans ces circonstances, je nourris des doutes quant à la qualification d’action « stand-alone » de l’action en dommages et intérêts en cause retenue
par la juridiction de renvoi.
38. La circonstance que l’action en dommages et intérêts soit couplée avec une action en nullité des contrats existant entre les parties en vertu de l’article 101, paragraphe 2, TFUE ne change rien à cet égard.
39. En effet, bien que ces deux actions soient sans doute connexes – en ce qu’elles se rapportent toutes les deux à la même infraction des règles de la concurrence –, il s’agit d’actions qui sont distinctes puisqu’elles visent des conséquences juridiques différentes découlant de cette infraction et se fondent sur des bases juridiques différentes. L’action en nullité vise à obtenir la déclaration de la nullité de plein droit des contrats conclus en violation des règles de concurrence en vertu de
l’article 101, paragraphe 2, TFUE. L’action en dommages et intérêts vise, en revanche, à obtenir la réparation du préjudice subi en conséquence de cette violation et se fonde sur un droit reconnu par le droit de l’Union ( 18 ), mis en œuvre à travers les règles nationales de la responsabilité civile, qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle.
40. À cet égard, il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi si les héritiers de KN fondent l’action en dommages et intérêts qu’ils ont engagée sur la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de Repsol ( 19 ). Toutefois, la qualification de l’action en dommages et intérêts, selon le droit national, de contractuelle ou d’extracontractuelle n’a aucune conséquence sur le droit d’obtenir réparation du préjudice subi en conséquence d’une violation du droit de la concurrence. En effet,
ni la jurisprudence, ayant reconnu le droit de demander réparation du préjudice pour violation des règles de la concurrence ( 20 ), ni la directive 2014/104 ( 21 ) ne subordonnent ou conditionnent l’exercice d’un tel droit à l’existence d’une forme particulière de responsabilité.
41. Ainsi, même en admettant, comme il a été fait valoir lors de l’audience par les représentants de Repsol, que, dans le cas d’espèce, l’action en dommages et intérêts était subordonnée à la déclaration de nullité – ce qui en réalité ne me semble pas ressortir à la lecture de la requête introduite devant la juridiction de renvoi par les héritiers de KN ( 22 ) –, cela n’enlèverait rien au fait que le préjudice dont la réparation est demandée découle directement de la violation du droit de la
concurrence (de l’Union) et que la demande en réparation constitue l’exercice d’un droit autonome reconnu par le droit de l’Union qui ne dépende pas d’une éventuelle déclaration de nullité des contrats en cause.
2. Sur l’applicabilité de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104
42. Comme je l’ai déjà relevé, la question de l’effet d’une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence d’un État membre aux fins d’une action en dommages et intérêts engagée devant une juridiction de cet État membre pour infraction aux dispositions du droit de la concurrence est désormais régie par l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104.
43. Dans la mesure où l’action engagée par les héritiers de KN devant la juridiction de renvoi, d’une part, a été intentée le 12 février 2018, à savoir après la transposition en droit espagnol de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 ( 23 ), et, d’autre part, inclut une telle action en dommages et intérêts, il convient, d’emblée, de vérifier si cette disposition est applicable ratione materiae et ratione temporis au cas d’espèce.
a) Sur l’applicabilité ratione materiae
44. En ce qui concerne l’applicabilité ratione materiae de la directive 2014/104 et, en particulier, de son article 9, paragraphe 1, au cas d’espèce, certaines des parties ayant présenté des observations devant la Cour ont fait valoir que cette directive ne s’appliquerait pas en l’espèce, car elle s’appliquerait exclusivement aux actions en dommages et intérêts de type « follow-on ». Tout en renvoyant aux considérations effectuées aux points 32 à 41 ci-dessus concernant tant la distinction entre
actions « stand-alone » et « follow-on » que l’analyse de l’action intentée dans la présente espèce, je relève qu’il ressort de l’article 1er de la directive 2014/104, intitulé « Objet et champ d’application », à son paragraphe 2, que cette directive fixe, notamment, la mise en œuvre des règles de la concurrence « dans le cadre d’actions en dommages et intérêts intentées devant les juridictions nationales » ( 24 ), sans qu’il y ait aucune référence à une distinction entre actions « stand-alone »
et « follow-on ». Comme je l’ai relevé, ladite directive ne mentionne même pas une telle distinction. Il s’ensuit que la directive 2014/104 s’applique à tout type d’action en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence, indépendamment de la qualification de l’action de « follow-on » ou de « stand-alone ».
45. Bien évidemment, dans la mesure où la disposition de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 régit l’effet des décisions des autorités nationales de la concurrence, cette disposition ne peut pas s’appliquer s’il n’y a pas une telle décision. Toutefois, d’une part, cela n’équivaut pas à dire que cette directive ne s’applique pas ratione materiae aux actions de type « stand-alone ». D’autre part, dans la présente affaire, il y a bien deux décisions de l’autorité nationale de
concurrence, et les questions préjudicielles visent justement à établir les effets et la valeur probante de ces décisions dans le cadre de l’action civile intentée devant la juridiction de renvoi, y inclus l’action en dommages et intérêts.
46. Il convient par ailleurs de souligner que, ainsi qu’il ressort de l’article 1er de la directive 2014/104, celle-ci s’applique exclusivement aux actions en dommages et intérêts, et ne s’applique pas en revanche aux actions civiles visant à faire déclarer la nullité des accords contraires à l’article 101, paragraphe 2, TFUE. Les actions en nullité de ce type ne sont donc pas réglementées au niveau du droit dérivé de l’Union.
b) Sur l’applicabilité ratione temporis
47. En ce qui concerne l’application ratione temporis de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, je relève que, dans un récent arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, ci-après l’ arrêt Volvo , EU:C:2022:494), la Cour a fourni des clarifications quant aux critères pour déterminer l’applicabilité ratione temporis des différentes dispositions de cette directive. Il s’agissait, par ailleurs, d’un renvoi préjudiciel provenant d’une juridiction espagnole ( 25 ).
48. Dans ce contexte, la Cour a d’abord rappelé que la directive 2014/104 contient une disposition particulière, à savoir son article 22, qui détermine expressément les conditions d’application dans le temps des dispositions substantielles et non substantielles de celle-ci ( 26 ).
49. En particulier, d’une part, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 de celle-ci afin de se conformer aux dispositions substantielles de cette directive ne s’appliquent pas rétroactivement ( 27 ).
50. D’autre part, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104, les États membres devaient veiller à ce qu’aucune disposition nationale adoptée afin de se conformer aux dispositions non substantielles de cette directive ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale avait été saisie avant le 26 décembre 2014 ( 28 ).
51. Il s’ensuit que, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient d’établir, en premier lieu, si cette disposition constitue une disposition substantielle ou non ( 29 ).
52. La Cour a en outre jugé que, une fois le caractère substantiel ou non de la disposition concernée déterminé, il convient de vérifier, en second lieu, si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles la directive 2014/104 a été transposée de manière tardive, la situation en cause, pour autant qu’elle ne puisse être qualifiée de nouvelle, a été acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive ou si elle a continué à produire ses effets
après l’expiration de ce délai ( 30 ).
53. En effet, en ce qui concerne les directives, il ressort de la jurisprudence que ce ne sont, en règle générale, que, d’une part, les situations juridiques acquises postérieurement à l’expiration du délai de transposition d’une directive ou, d’autre part, des situations juridiques nées sous l’empire de la règle ancienne qui continuent à produire leurs effets postérieurement à l’entrée en vigueur des actes nationaux pris pour la transposition d’une directive après l’expiration du délai de
transposition de celle-ci qui peuvent être rattachées au champ d’application ratione temporis de cette directive ( 31 ).
1) Sur la nature de disposition substantielle ou procédurale de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104
54. Bien que la directive 2014/104, à son article 22, détermine des conditions d’application ratione temporis différentes pour ses dispositions selon qu’il s’agit de dispositions procédurales ou substantielles, elle ne définit pas lesquelles de ses dispositions doivent être considérées comme substantielles ou procédurales.
55. En général, on peut considérer que les règles substantielles déterminent l’existence et l’étendue de la responsabilité des personnes impliquées dans l’infraction au droit de la concurrence, tandis que les règles procédurales déterminent le déroulement d’une procédure ( 32 ).
56. Cependant, en l’absence d’indications dans la directive 2014/104, dans sa jurisprudence, la Cour a procédé à une analyse précise du contenu et de la finalité de chaque disposition de cette directive dont l’applicabilité ratione temporis était mise en cause pour en déterminer le caractère substantiel ou procédural.
57. En ce qui concerne l’article9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient de rappeler qu’il ressort du libellé de cette disposition que les États membres veillent à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre des
articles 101 ou 102 TFUE ou du droit national de la concurrence.
58. Ainsi qu’il ressort du considérant 34 de la directive 2014/104, ladite disposition vise à assurer la sécurité juridique, à éviter toute incohérence dans l’application des articles 101 et 102 TFUE, à renforcer l’efficacité des actions en dommages et intérêts et les économies de procédure dans ce domaine, et à stimuler le fonctionnement du marché intérieur pour les entreprises et les consommateurs.
59. Afin d’atteindre ces objectifs, cette même disposition confère, en substance, aux décisions devenues définitives des autorités nationales de la concurrence, ou par une instance de recours constatant une infraction au droit de la concurrence, la valeur de preuve irréfragable de cette constatation aux fins d’une action en dommages et intérêts. Dans cette perspective, il peut être considéré que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 régit la valeur probante d’un moyen de preuve
qualifié, à savoir la décision de l’autorité nationale de concurrence. Au cas où il y a une coïncidence ( 33 ) entre la violation constatée dans la décision de l’autorité nationale et celle qui a prétendument causé le préjudice dont la réparation est demandée dans l’action civile, cette décision vaudra preuve irréfragable de l’infraction dans le cadre de cette action.
60. Toutefois, bien qu’il ressorte du point précédent des présentes conclusions que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 régit l’appréciation d’un moyen de preuve (qualifié), à savoir la décision de l’autorité nationale de concurrence, cette disposition ne saurait, à mon avis, être considérée comme ayant une finalité purement probatoire ( 34 ).
61. En effet, l’existence d’une infraction aux règles de la concurrence qui a prétendument causé le préjudice dont la réparation est demandée dans l’action en dommages et intérêts fait partie des éléments indispensables dont la personne lésée doit disposer afin d’introduire un recours en dommages et intérêts ( 35 ).
62. Dès lors que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 prévoit que, au cas où l’infraction au droit de la concurrence est constatée par une décision définitive d’une autorité de la concurrence, elle doit être considérée établie de manière irréfragable, de sorte qu’il n’est pas nécessaire pour la personne lésée qui engage l’action de démontrer l’existence d’un telle infraction, il y a, à mon avis, lieu de considérer que cette disposition porte sur un des éléments constitutifs de la
responsabilité civile pour infractions aux dispositions du droit de la concurrence ( 36 ).
63. Cette disposition établit, en substance, une présomption irréfragable ( 37 ) d’existence d’un de ces éléments, à savoir l’infraction, aux fins de l’action en dommages et intérêts, lorsque la même infraction a été constatée par une décision définitive de l’autorité nationale de concurrence de l’État membre de la juridiction devant laquelle l’action est engagée ou par une instance de recours de ce même État membre. Or dans la mesure où il s’agit d’une présomption irréfragable d’un élément
constitutif de la responsabilité civile, cette présomption affecte directement la situation juridique de l’entreprise contre laquelle l’action en dommages et intérêts est engagée ( 38 ).
64. Dans ces conditions, je considère que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 constitue une règle étroitement liée à la naissance, à l’engagement et à l’étendue de la responsabilité civile des entreprises qui ont enfreint les règles de la concurrence et que, ainsi, elle peut être qualifiée de règle de fond ( 39 ). Il s’ensuit qu’elle revêt une nature substantielle, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive.
2) Sur la question de savoir si la situation en cause au principal a été acquise avant le délai de transposition de la directive 2014/104
65. Ainsi qu’il ressort du point 52 des présentes conclusions, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il convient également, de vérifier si, en l’occurrence, la situation en cause au principal a été acquise avant l’expiration du délai de transposition de cette directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai ( 40 ).
66. Or, en l’espèce, la situation juridique en cause au principal pour laquelle il convient de vérifier si elle a été acquise avant cette date, doit, à mon avis, être considérée par référence à la concrétisation des éléments constitutifs du droit des héritiers de KN à la réparation du préjudice causé par l’infraction commise par Repsol aux règles de la concurrence ( 41 ).
67. En l’occurrence, les héritiers de KN demandent la réparation du préjudice qu’ils ont subi en raison des restrictions à la concurrence contenues dans les cinq contrats mentionnés aux points 11 et 14 des présentes conclusions, qu’ils ont conclus avec Repsol.
68. À cet égard, d’une part, il ressort de la décision de renvoi que le dernier contrat conclu par les héritiers de KN sur lequel ceux-ci fondent la responsabilité de Repsol a été signé le 17 juillet 2009, pour une durée de cinq ans. Il apparaît ainsi que ce contrat a pris fin au plus tard en 2014, c’est-à-dire avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016 ( 42 ). Il s’ensuit que, à cette date, les clauses des contrats contenant les
restrictions verticales qui ont donné lieu au comportement infractionnel ne produisaient plus d’effet et que, ainsi, du moins en ce qui concerne spécifiquement les héritiers de KN ( 43 ), l’infraction avait pris fin avant ladite date d’expiration de ce délai de transposition ( 44 ).
69. D’autre part, il découle expressément de l’acte introductif de l’action engagée par les héritiers de KN devant la juridiction de renvoi que ceux-ci demandent la réparation du préjudice qu’ils auraient subi dans la période comprise entre le 14 janvier 1993 et le 17 avril 2013, date du dernier approvisionnement de la part de Repsol aux héritiers de KN ( 45 ). Force est donc de constater que ceux-ci demandent l’indemnisation du préjudice qu’ils auraient subi pendant une période qui s’est écoulée
avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104.
70. Dans ces circonstances, il convient, à mon avis, de considérer que, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, la situation juridique en cause au principal devait être considérée comme acquise.
71. Dans ces conditions, eu égard à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, il y a lieu de conclure que l’article 9, paragraphe 1, de cette directive ne saurait être applicable ratione temporis à un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions nationales transposant tardivement ladite directive dans le droit national, d’une part, porte sur une infraction découlant de restrictions à la concurrence contenues dans des contrats dont les
effets ont cessé avant la date d’expiration du délai de transposition de la même directive et, d’autre part, concerne une demande de réparation d’un préjudice qui a été causé pendant une période qui s’est écoulée avant cette date.
72. Il ressort de tout ce qui précède que, à mon avis, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 n’est pas applicable dans l’affaire au principal.
B. Sur les questions préjudicielles
73. C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’analyser les deux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi dans la présente affaire.
74. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la valeur probante qu’elle doit attribuer, dans l’action civile entamée devant elle, aux décisions des autorités espagnoles de la concurrence de 2001 et de 2009. Cette juridiction veut savoir plus spécifiquement si les conditions, prévues à l’article 2 du règlement no 1/2003, relatives à la charge de la preuve, doivent être considérées comme remplies si, en vertu de ces deux décisions, la partie
requérante a démontré que sa relation contractuelle d’approvisionnement exclusif et d’affiliation relève du champ d’application territorial et temporel examiné par l’autorité nationale de concurrence.
75. Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la question de savoir si, au cas où les conditions prévues par l’article 2 du règlement no 1/2003 relatives à la charge de la preuve doivent être considérées comme remplies en vertu desdites deux décisions, cela a comme conséquence nécessairement la déclaration de nullité de plein droit des contrats en cause, conformément à l’article 101, paragraphe 2, TFUE.
76. Les deux questions préjudicielles étant connexes, il y a lieu à mon avis d’y répondre conjointement.
77. À cet égard, il convient, d’emblée, de rappeler que, aux termes de l’article 2 du règlement no 1/2003, la charge de la preuve d’une violation de l’article101, paragraphe 1, TFUE revient à la partie qui l’allègue.
78. Il revient donc aux héritiers de KN dans l’affaire au principal de prouver, aux fins tant de l’action en nullité que de l’action en dommages et intérêts qu’ils ont engagées, que Repsol a commis une violation de l’interdiction des ententes restrictives de la concurrence. À cette fin, ils ont produit devant la juridiction de renvoi les décisions de 2001 et de 2009.
79. Comme il a été relevé ci-dessus ( 46 ), les deux actions (celle en nullité et celle en dommages et intérêts) engagées par les héritiers de KN sont connexes, mais juridiquement distinctes. L’harmonisation réalisée par la directive 2014/104 en matière d’actions en dommages et intérêts ne se trouvant pas encore à s’appliquer ratione temporis dans l’affaire au principal ( 47 ), il n’y a pour aucune des deux actions de réglementation spécifique de droit dérivé sur la question de la valeur probante
des décisions des autorités nationales de la concurrence. Dans ces conditions, il convient d’effectuer l’analyse pour les deux actions en partant des dispositions de droit primaire et des principes généraux de droit de l’Union, tels qu’interprétés dans la jurisprudence de la Cour.
1. Principes jurisprudentiels pertinents
80. À cet égard, il y a lieu, d’emblée, de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder ( 48 ).
81. En effet, toute personne est en droit de se prévaloir en justice de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, partant, de faire valoir la nullité d’une entente ou d’une pratique interdite par cette disposition, prévue à l’article 101, paragraphe 2, TFUE, ainsi que de demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ce préjudice et cette entente ou cette pratique ( 49 ).
82. À cet égard, la Cour a reconnu que la pleine efficacité de l’article 101 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ( 50 ). Il en va de même si toute partie à un contrat interdit par cette disposition ne pouvait faire valoir la nullité de ce contrat, dans la
mesure où, sans déclaration judiciaire de la nullité, il subsisterait une incertitude juridique quant aux effets de ce contrat qui pourrait être réputé produire des effets, alors qu’il est nul de plein droit, car contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
83. Ainsi, les juridictions nationales sont compétentes pour appliquer l’article 101 TFUE, notamment dans des litiges de droit privé, cette compétence dérivant de l’effet direct de cet article ( 51 ).
84. En effet, ainsi qu’il découle d’une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales, chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit de l’Union, d’assurer non seulement le plein effet de ces normes, mais également de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers. C’est à ces juridictions qu’est confié le soin d’assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l’effet direct des dispositions du droit de l’Union ( 52
).
85. En l’absence de réglementation de l’Union – en ce qui concerne l’action en nullité et, applicable ratione temporis, en ce qui concerne l’action en dommages et intérêts –, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités d’exercice du droit de faire valoir la nullité ou de demander réparation du préjudice résultant d’une entente ou d’une pratique interdite par l’article 101 TFUE, y compris celles relatives à la valeur probante des décisions de l’autorité de
la concurrence devant le juge civil, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés ( 53 ).
86. Ainsi, les règles applicables aux recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et elles ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 54 ).
87. À cet égard, et spécifiquement dans le domaine du droit de la concurrence, ces règles ne doivent pas porter atteinte à l’application effective des règles de l’Union en matière de concurrence et spécifiquement de l’article 101 TFUE ( 55 ).
88. En outre, il convient encore de préciser qu’il ressort de la jurisprudence que l’exercice de la compétence, conférée aux juridictions nationales pour appliquer l’article 101 TFUE dans des litiges de droit privé mentionnée au point 83 ci‑dessus, peut être limité, notamment, par le principe de sécurité juridique, en particulier par la nécessité d’éviter que ces juridictions et les entités chargées de la mise en œuvre administrative des règles de la concurrence de l’Union rendent des décisions
contradictoires ( 56 ).
2. Application dans la présente espèce : l’autonomie procédurale et les limites découlant des principes d’effectivité et de sécurité juridique
89. Il ressort des principes jurisprudentiels mentionnés aux points précédents des présentes conclusions, que, en l’absence de réglementation de l’Union régissant la matière, il revient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de régir la valeur probante des décisions de l’autorité de la concurrence dans les litiges de droit privé dans lesquels une personne se prévaut en justice de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE pour faire valoir la nullité d’une entente ou
d’une pratique interdite par cette disposition, au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, et pour demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ce préjudice et cette entente ou cette pratique.
90. Il ressort, toutefois, desdits principes jurisprudentiels, que l’autonomie procédurale des États membres à cet égard est limitée, d’une part, par les principes d’équivalence et d’effectivité, et, d’autre part, par le principe de sécurité juridique.
91. En ce qui concerne, en premier lieu, le principe d’effectivité, auquel s’est référée la juridiction de renvoi dans sa décision de renvoi ( 57 ), je partage l’avis selon lequel l’exercice du droit à réparation pour violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE deviendrait excessivement difficile si on ne reconnaissait pas aux travaux préalables d’une autorité de la concurrence le moindre effet dans l’action civile en dommages et intérêts ( 58 ). Il s’ensuit que, compte tenu de la complexité
particulière de nombreuses infractions au droit de la concurrence et des difficultés pratiques rencontrées par les personnes lésées pour établir ces infractions, le principe d’effectivité impose de reconnaître à la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve dans l’action en dommages et intérêts de l’existence de l’infraction ( 59 ).
92. Il en va, selon moi, de même en ce qui concerne les actions visant à faire valoir la nullité d’une entente ou d’une pratique interdite par cette disposition, prévue à l’article 101, paragraphe 2, TFUE. Dans la mesure où la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction est pertinente pour déterminer une telle nullité, le principe d’effectivité impose de reconnaître à une telle constatation au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve indicative dans
l’action en nullité afin de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1.
93. Une approche selon laquelle le juge civil ne saurait ignorer les constatations des autorités nationales de la concurrence au regard des infractions du droit de la concurrence de l’Union est, d’ailleurs, conforme à la nécessaire complémentarité fonctionnelle entre le « public enforcement » et le « private enforcement » de ce droit. En effet, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire ( 60 ), comme il a été reconnu par la Cour, la mise en œuvre du droit de la concurrence, qu’elle soit privée ou
publique, constitue un instrument indispensable pour renforcer l’efficacité de la politique de répression des pratiques anticoncurrentielles. De ce point de vue, la première ne poursuit pas uniquement un objectif de réparation tendant à satisfaire des intérêts privés, mais elle a également une fonction dissuasive qui contribue à la poursuite des objectifs d’intérêt général sous-jacents à la protection de la concurrence. Ainsi, plus on élimine ou on réduit des obstacles pratiques – tels que
l’exigence de preuve de l’infraction alors que la même infraction ou une infraction coïncidant du moins en partie a déjà été constatée par l’autorité de la concurrence – à l’exercice d’actions en dommages et intérêts par des personnes lésées par les infractions aux règles de la concurrence, plus cette fonction dissuasive en ressort renforcée.
94. Certes, le principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE ne peuvent pas être interprétés jusqu’à imposer aux États membres de reconnaître une présomption irréfragable telle que celle qui est désormais prévue, en ce qui concerne les actions en dommages et intérêts, à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 ( 61 ). Néanmoins, à mon avis, dans le cadre de la marge d’appréciation dont dispose un juge civil en application de ses propres règles
procédurales nationales – relevant de l’autonomie procédurale des États membres – relatives à l’appréciation des moyens de preuves, la valeur que ce juge, en vertu du principe d’effectivité, est tenu à attribuer à la constatation d’une infraction contenue dans une décision définitive de l’autorité nationale de concurrence doit varier selon le niveau de coïncidence entre l’infraction constatée dans cette décision et l’infraction alléguée qui fonde l’action civile engagée devant lui.
95. Ainsi, lorsqu’il existe une coïncidence entre l’infraction constatée par l’autorité nationale de concurrence à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et celle alléguée sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale qui concerne la nature de l’infraction, ainsi que saportée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale ( 62 ), j’estime que le principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE imposent au juge civil
d’attribuer à cette constatation non pas seulement une valeur d’indice ou de commencement de preuve, mais au moins une valeur de preuve prima facie de l’existence de cette infraction ( 63 ). En effet, dans un pareil cas, il y aurait coïncidence complète entre l’infraction constatée et celle invoquée aux fin de l’action civile qui, à la lumière des principes susmentionnés, ne justifierait pas, à mon avis, l’attribution de simple valeur d’indice ou commencement de preuve à la constatation de
l’autorité nationale de concurrence.
96. À cet égard, la référence à la « nature de l’infraction » implique qu’il doit s’agir de la même infraction, fondée sur la même qualification des faits contenue dans la décision de l’autorité de la concurrence. La référence à la « portée matérielle » de l’infraction implique que la coïncidence doit concerner les comportements explicitement mentionnés dans la décision de l’autorité de la concurrence ( 64 ). La référence à la « portée personnelle » de l’infraction implique que, seulement pour les
entreprises au regard desquelles la violation des règles de la concurrence est établie dans la décision définitive, celle-ci constitue une preuve prima facie de l’infraction ( 65 ). La référence à la « portée temporelle » de l’infraction implique que les constatations contenues dans la décision définitive ne constituent une preuve prima facie pour le juge civil que pour la durée de l’infraction telle que constatée dans cette décision définitive. De même, la référence à la « portée territoriale »
de l’infraction implique que le caractère de preuve prima facie pour le juge civil de ladite décision ne couvre que le territoire sur lequel l’infraction a été constatée dans la même décision.
97. En revanche, lorsque la coïncidence entre l’infraction constatée par l’autorité nationale de concurrence à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et celle sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale n’est pas totale mais seulement partielle, car par exemple la constatation de l’autorité nationale de concurrence concerne des pratiques anticoncurrentielles qui, tout en étant analogues et mises en œuvre par la même entreprise, ne coïncident pas exactement avec celles
constatées dans la décision de l’autorité de la concurrence, le juge national ne saura ignorer complètement la décision, mais devra, en vertu du principe d’effectivité et de l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE, lui attribuer valeur d’indice ou de commencement de preuve.
98. Un exemple d’une pareille situation peut être le cas, inspiré par le cas d’espèce, dans lequel un distributeur engage une action civile pour violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en faisant valoir que certaines clauses de ses contrats contiennent des restrictions verticales analogues à celles spécifiquement qualifiées d’infractionnelles dans la décision de l’autorité nationale de concurrence. Dans un cas pareil, la portée matérielle de l’infraction constatée dans la décision et celle de
l’infraction invoquée aux fins de l’action civile ne coïncident pas, mais tous les autres éléments (à savoir la nature de l’infraction et la portée personnelle, temporelle et territoriale) coïncident. Or, dans un tel cas, le juge civil ne saurait ignorer la décision de l’autorité nationale de concurrence constatant la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais devra lui attribuer la valeur d’indice ou de commencement de preuve de l’existence de l’infraction, dans le sens expliqué au
point 106 des présentes conclusions.
99. En ce qui concerne, en second lieu, le principe de sécurité juridique, il convient, d’emblée, de rappeler que, aux termes de l’article 5 du règlement no 1/2003, les autorités de la concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE dans des cas individuels. Or, ce règlement prévoit exclusivement pour les décisions de la Commission l’effet contraignant dans les procédures devant les juridictions nationales, notamment à son article 16, et cet effet ne peut
pas être étendu aux décisions des autorités nationales de la concurrence, à moins que le législateur de l’Union n’en dispose expressément ( 66 ).
100. Cela, toutefois, n’enlève rien au fait que, comme il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 88 ci-dessus, le principe de sécurité juridique impose aux juridiction nationales d’éviter, pour autant que possible, de rendre des décisions contradictoires avec les décisions des entités chargées de la mise en œuvre administrative des règles de la concurrence de l’Union, à savoir, outre la Commission, les autorités nationales de la concurrence.
101. Il s’ensuit que, également, le principe de sécurité juridique impose aux juridictions nationales de reconnaître à la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction à l’article 101, TFUE au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve dans les actions civiles engagées devant elles pour violation du droit de la concurrence de l’Union et la valeur de preuve prima facie lorsqu’il existe une coïncidence entre l’infraction constatée par l’autorité nationale
de concurrence et celle sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale en ce qui concerne la nature de l’infraction, ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale.
102. Cela dit, j’estime opportun d’effectuer quatre considérations supplémentaires.
103. En premier lieu, il ressort de tout ce qui précède que, en dépit de l’autonomie procédurale des États membres, les juges civils ne sauraient ignorer une décision de l’autorité de la concurrence constatant une violation du droit de la concurrence de l’Union. Il s’ensuit qu’une réglementation nationale ( 67 ) ou une jurisprudence, telle que celle mentionnée par la juridiction de renvoi, qui nierait toute valeur, même indiciaire, à une telle décision de l’autorité nationale de concurrence est
contraire au droit de l’Union et spécifiquement à l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE ainsi qu’aux exigences découlant des principes d’effectivité et de sécurité juridique.
104. En deuxième lieu, je tiens à clarifier que les considérations effectuées aux points 89 à 101 ci-dessus s’appliquent exclusivement aux actions civiles qui se fondent sur une constatation par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction aux règles de la concurrence de l’Union. Ces principes ne s’appliquent donc pas aux actions civiles concernant exclusivement la violation du droit national de la concurrence. En effet, les exigences liées au principe d’effectivité et l’exigence de garantir
la pleine efficacité concernent exclusivement le droit de l’Union et en particulier, dans le cas d’espèce, l’article 101 TFUE. Elles ne s’étendent pas nécessairement au droit national. Bien évidemment, la situation est différente dans le cas d’une action en dommages et intérêts à laquelle est applicable l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104 ( 68 ).
105. En troisième lieu, j’estime opportun, afin de guider le juge de renvoi, de fournir quelques clarifications complémentaires sur ce qu’il convient d’entendre par valeur d’« indice ou de commencement de preuve » et valeur de « preuve prima facie ». D’emblée, il est clair que ces notions doivent être interprétées par le juge national dans le cadre de ses règles procédurales d’appréciation de moyens de preuve, qui, comme il a déjà été mentionné, relèvent de l’autonomie procédurale des États membres.
106. Néanmoins, un « indice » ou un « commencement de preuve » indique, à mon avis, un élément qui joue en faveur de la constatation par le juge civil de l’existence d’une infraction, mais qui doit être apprécié et étayé à la lumière d’autres éléments de preuve, afin de pouvoir considérer comme confirmée l’existence de l’infraction.
107. En revanche, la preuve prima facie ( 69 ) correspond, en général, à un élément de preuve capable de démontrer la vraisemblance du fait allégué sur la base de maximes d’expérience qui font apparaître probable l’existence de ce fait. Dans cette perspective, la décision nationale constatant l’infraction porte le juge, dans le cadre de sa marge d’appréciation des moyens de preuve selon son droit national, à présumer l’existence de l’infraction en se fondant sur la maxime d’expérience selon laquelle
les infractions constatées dans les décisions des autorités de la concurrence ont généralement eu lieu. Toutefois, il reste la possibilité pour la partie contre laquelle l’action est engagée de produire des éléments de preuve qui amènent le juge à être convaincu du contraire ( 70 ).
108. En quatrième lieu, en ce qui concerne les litiges au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, sur la base de toutes les considérations qui précèdent et de son droit national, la valeur probante des décisions de 2001 et 2009 dans le cadre de l’action civile pendant devant elle. Afin de la guider dans cette appréciation, la Cour peut toutefois lui fournir tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles ( 71 ).
109. À cet égard, en ce qui concerne la décision de 2001, il semblerait qu’elle concerne exclusivement la constatation d’une violation du droit national de la concurrence, sans qu’il y ait eu une application parallèle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Si cela est le cas, ce qui revient au juge de renvoi de confirmer, alors la valeur probante de cette décision dans l’action civile pendante devant la juridiction de renvoi serait réglée exclusivement par le droit national, ainsi qu’il ressort du
point 104 ci-dessus.
110. En revanche, la décision de 2009 contient l’application en parallèle du droit national de la concurrence et de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
111. Dans ces conditions, il revient à la juridiction de renvoi de vérifier s’il existe une coïncidence entre l’infraction constatée et celle sur laquelle se fondent les actions civiles (en nullité et en dommages et intérêts) engagées devant elle en ce qui concerne la nature de l’infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale, telles que comprises en vertu des considérations exposées au point 96 ci-dessus.
112. Dans ce cas, la juridiction de renvoi devrait attribuer la valeur de preuve prima facie aux fins de l’action civile à la constatation de l’infraction contenue dans la décision de 2009. Au cas où il existe, en revanche, une coïncidence seulement partielle, cette décision aura valeur de preuve indiciaire de l’existence de l’infraction aux fins des deux actions de nullité et en dommages et intérêts.
113. Plus spécifiquement, en ce qui concerne la portée temporelle et la portée territoriale, il semblerait ressortir des questions préjudicielles qu’elles ont été établies par les héritiers de KN. En effet, il apparaît du dossier que les contrats conclus entre les héritiers de KN et Repsol se situent temporellement et territorialement dans le champ d’application de la constatation de l’infraction contenue dans la décision de 2009.
114. Il semblerait également que la portée personnelle des deux infractions coïncide, dans la mesure où tant l’infraction constatée que l’infraction invoquée dans l’action civile ont été commises par Repsol.
115. Il reste ainsi à vérifier s’il y a coïncidence entre l’infraction constatée et celle invoquée dans l’action civile en ce qui concerne la nature et la portée matérielle de l’infraction.
116. À cet égard je relève, toutefois, que, à la lecture du dispositif de la décision de 2009 repris au point 16 des présentes conclusions, il apparaît que la constatation de l’infraction contenue dans cette décision a une portée matérielle très large. En effet, elle concerne tous les entrepreneurs indépendants opérant sous l’enseigne de Repsol et tous les contrats incluant les clauses donnant lieu à l’infraction, et toutes les clauses y décrites. Il revient, en fin de compte, à la juridiction de
renvoi de vérifier si les clauses des contrats conclus par KN ou ses héritiers avec Repsol relevant du champ d’application temporel de la décision de 2009 peuvent être considérées comme relevant du champ d’application matériel de la constatation contenue dans cette décision, de sorte qu’il puisse être considéré qu’il existe une coïncidence complète entre l’infraction constatée et celle invoquée aux fin de l’action civile.
IV. Conclusion
117. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Juzgado de lo Mercantil de Madrid (tribunal de commerce de Madrid, Espagne) :
1) L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne
n’est pas applicable ratione temporis
à un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions nationales transposant tardivement cette directive dans le droit national, d’une part, porte sur une infraction découlant de restrictions à la concurrence contenues dans des contrats dont les effets ont cessé avant la date d’expiration du délai de transposition de ladite directive et, d’autre part, concerne une demande de réparation d’un préjudice qui a été causé pendant une période qui
s’est écoulée avant cette date.
2) En l’absence de réglementation de l’Union régissant la matière ou applicable ratione temporis, il revient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de régir la valeur probante des décisions de l’autorité nationale de concurrence dans les litiges de droit privé dans lesquels une personne se prévaut en justice de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE pour faire valoir la nullité d’une entente ou d’une pratique interdite par cette disposition, au titre de
l’article 101, paragraphe 2, TFUE, et/ou pour demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ce préjudice et cette entente ou cette pratique, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés.
Le principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE, ainsi que le principe de sécurité juridique, imposent de reconnaître à la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve aux fins de l’action civile.
Lorsque, entre l’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE constatée de manière définitive par l’autorité nationale de concurrence et celle alléguée sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale, il existe une coïncidence en ce qui concerne la nature de l’infraction ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale, ce qu’il revient au juge national de déterminer, le principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine
efficacité de l’article 101 TFUE, ainsi que le principe de sécurité juridique, imposent de reconnaître à cette constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence au moins la valeur de preuve prima facie de l’existence de l’infraction aux fins de l’action civile.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L. 349, p. 1).
( 3 ) JO 2003, L. 1, p. 1
( 4 ) BOE no 126, du 27 mai 2017, p. 42820.
( 5 ) BOE no 159, du 4 juillet 2007, p. 28848.
( 6 ) Il ressort, en effet, de ladite décision que le carburant délivré par Repsol devenait la propriété de KN dès qu’il était transvasé dans la cuve de la station-service.
( 7 ) Arrêt du 11 juillet 2007, recours n. 866/01.
( 8 ) Arrêt du 17 novembre 2010, recours n. 6188/2007.
( 9 ) Devenue désormais la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (Commission nationale des marchés et de la concurrence, ci‑après la « CNMC »).
( 10 ) En dernier instance, elle a été confirmée par les arrêts du Tribunal Supremo (Cour suprême) du 22 mai et du 2 juin 2015.
( 11 ) Décisions du 20 décembre 2013, du 27 juillet 2017 et du 12 juin 2020 (dossier VS/652/07 REPSOL/CEPSA/BP).
( 12 ) Voir jurisprudence espagnole mentionnée à la section b) de la décision de renvoi.
( 13 ) Voir p. 6 et 69 de la demande de jugement déclaratif introduite par les héritiers de KN devant la juridiction de renvoi le 12 février 2018.
( 14 ) Voir, entre autres, à titre d’exemples, conclusions de l’avocate générale Medina dans l’affaire Daimler (Ententes – Bennes à ordures ménagères) (C‑588/20, EU:C:2022:130, points 1 et 6) ou conclusions de l’avocat général Rantos dans l’affaire Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2021:884, points 18, 45, 46 et 49).
( 15 ) Voir, par exemple, document de travail des services de la Commission, résumé de l’analyse d’impact, actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de l’UE sur les ententes et les abus de position dominante accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne du
11 juin 2013 [SWD(2013) 204 final, point 10] ou Commission Staff Working Paper accompanying the White Paper on Damages actions for breach of the EC antitrust rules du 2 avril 2008 [SEC(2008)404, voir, entre autres, note 3 et point 21].
( 16 ) En l’absence d’une définition normative des deux types d’actions, il n’est pas exclu qu’on puisse utiliser la distinction entre actions « stand-alone » et « follow-on » également pour les actions en nullité, selon qu’elles fassent ou non suite à une constatation de la part d’une autorité de la concurrence d’une violation des règles de la concurrence. Typiquement, toutefois, la distinction est utilisée en ce qui concerne les actions en dommages et intérêts.
( 17 ) Il ressort en effet des citations de la jurisprudence contenue dans les observations du gouvernement espagnol que, du moins dans certains arrêts des juges espagnols, on distingue entre « actions en nullité » (actions « stand-alone ») et actions de responsabilité pour violation des règles de l’Union de la concurrence (actions « follow-on »).
( 18 ) Voir arrêts du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 61), ainsi que arrêt du 5 juin 2014, Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 22 et jurisprudence citée).
( 19 ) La circonstance que l’action en dommages et intérêts soit couplée avec l’action en nullité semblerait plaider à faveur de la responsabilité contractuelle. Cela ressort, d’ailleurs, de la circonstance que, s’agissant d’une violation du droit de la concurrence qui a eu lieu dans le cadre de relations de type vertical, il existe une relation contractuelle entre l’entreprise ayant enfreint les règles de la concurrence et la partie prétendument lésée. Il revient toutefois au droit national de
déterminer la nature de la responsabilité civile.
( 20 ) Voir jurisprudence mentionnée à la note en bas de page 18 des présentes conclusions.
( 21 ) Voir, en particulier, définitions de « action en dommages et intérêts » et de « demande de dommages et intérêts » aux termes de l’article 2, points 4) et 5), de la directive 2014/104.
( 22 ) Voir point 30 et note en bas de page 13 des présentes conclusions.
( 23 ) Voir point 8 des présentes conclusions.
( 24 ) Sur le champ d’application matériel de la directive 2014/104, voir également, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, points 55 à 58).
( 25 ) Sur l’applicabilité ratione temporis de la directive 2014/104, voir également conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire PACCAR e.a. (C‑163/21, EU:C:2022:286, points 52 à 58), et dans l’affaire RegioJet (C‑57/21, EU:C:2022:363, points 27 à 36).
( 26 ) Voir arrêt Volvo, point 35, et arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, ci-après l’ arrêt Cogeco , EU:C:2019:263, point 25).
( 27 ) Voir arrêt Volvo, point 36, et arrêt Cogeco, point 26.
( 28 ) Voir arrêt Volvo, point 37, et arrêt Cogeco, point 27.
( 29 ) Voir arrêt Volvo, point 38. Au point 39 de cet arrêt, la Cour a précisé que, le point de savoir quelles sont, parmi les dispositions de la directive 2014/104, celles qui sont substantielles et celles qui ne le sont pas doit, en l’absence, à l’article 22 de cette directive, de renvoi au droit national, être apprécié au regard du droit de l’Union et non pas au regard du droit national applicable.
( 30 ) Voir arrêt Volvo, point 42.
( 31 ) Voir arrêt Volvo, points 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée.
( 32 ) Voir, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire RegioJet (C‑57/21, EU:C:2022:363, point 29).
( 33 ) À cet égard, il ressort du considérant 34 de la directive 2014/104, d’une part, que la constatation d’une infraction à l’article 101 ou 102 TFUE contenue dans une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence doit être considérée comme établie de manière irréfragable dans le cadre d’actions en dommages et intérêts concernant cette infraction intentées dans l’État membre de l’autorité de la concurrence. D’autre part, il ressort que l’effet de la constatation ne doit toutefois
porter que sur la nature de ladite infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu’elle a été déterminée par l’autorité de concurrence. Il s’ensuit de la lecture de ce considérant, d’une part, que, pour pouvoir être considérée comme établie de manière irréfragable dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, une constatation d’une infraction aux règles de la concurrence contenue dans
une décision définitive de l’autorité de la concurrence doit concerner la même infraction qui a prétendument causé le préjudice subi par la partie lésée qui a intenté l’action. Il doit ainsi y avoir une coïncidence entre les deux infractions. D’autre part, il ressort de ce considérant que cette coïncidence doit concerner la nature de l’infraction ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale (à cet égard, voir également point 96 des présentes conclusions).
( 34 ) Voir, à cet égard également, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 61).
( 35 ) Voir arrêt Volvo, point 60.
( 36 ) Voir, en ce sens, en ce qui concerne d’autres éléments constitutifs de la responsabilité (à savoir le lien de causalité et le préjudice), arrêt Volvo, point 94.
( 37 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 95).
( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt Volvo, point 95.
( 39 ) Voir, en ce sens, arrêt Volvo points 95 et 96 ainsi que conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 62).
( 40 ) Voir arrêt Volvo, point 49. Il ressort également du point 8 des présentes conclusions que la directive 2014/104 n’a pas été transposée dans le droit espagnol dans le délai de transposition.
( 41 ) Voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 2010, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑266/09, EU:C:2010:779, points 34 et 35).
( 42 ) Voir article 21, paragraphe 1, de la directive 2014/104.
( 43 ) En effet, il ressort de la décision de renvoi que, ainsi qu’il a été relevé au point 18 des présentes conclusions, dans plusieurs décisions rendues dans le cadre de la procédure de surveillance, la CNMC a établi que Repsol a maintenu sa pratique illicite au-delà de la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104. Toutefois, dans la mesure où, en l’espèce, l’infraction commise par Repsol a trait à certaines restrictions verticales contenues dans des contrats avec des
distributeurs spécifiques de carburant, les pratiques illicites constatées dans ces décisions rendues dans le cadre de la procédure de surveillance et ayant eu lieu après la date d’expiration des effets du dernier contrat conclu par les héritiers de KN avec Repsol ne peuvent pas concerner ceux-ci.
( 44 ) Voir, en ce sens, arrêt Volvo, point 103.
( 45 ) Voir p 6 de la demande de jugement déclaratif introduite par les héritiers de KN devant la juridiction de renvoi.
( 46 ) Voir points 30 et 39 des présentes conclusions.
( 47 ) Voir points 47 à 72 des présentes conclusions.
( 48 ) Arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands (C‑819/19, EU:C:2021:904, point 48 et jurisprudence citée).
( 49 ) Arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands (C‑819/19, EU:C:2021:904, point 49 et jurisprudence citée).
( 50 ) Voir, entre autres, arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 25 et jurisprudence citée).
( 51 ) Arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands (C‑819/19, EU:C:2021:904, point 51 et jurisprudence citée).
( 52 ) Arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands (C‑819/19, EU:C:2021:904 point 52 et jurisprudence citée).
( 53 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 27 et jurisprudence citée), ainsi que, par analogie, arrêt Cogeco, point 42.
( 54 ) Voir arrêt du 5 juin 2014, Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 25), et, par analogie, arrêt Cogeco, point 43.
( 55 ) Voir arrêt du 5 juin 2014, Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 26).
( 56 ) Arrêt du 11 novembre 2021, Stichting Cartel Compensation et Equilib Netherlands (C‑819/19, EU:C:2021:904, point 55). À cet égard, voir également considérant 34 de la directive 2014/104.
( 57 ) Ni la juridiction de renvoi dans son renvoi préjudiciel, ni les observations des parties devant la Cour ne se sont référées à un possible problème avec le principe d’équivalence.
( 58 ) Voir, en ce sens et par analogie, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 93).
( 59 ) Voir, en ce sens et par analogie, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 93). Voir, par analogie également avec les décisions de la Commission aux termes de l’article 9 du règlement no 1/2003, arrêt du 23 novembre 2017, Gasorba e.a. (C‑547/16, EU:C:2017:891, point 29).
( 60 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:293, point 67 et jurisprudence citée).
( 61 ) L’avocate générale Kokott, aux points 95 et 96 de ses conclusions relatives à l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32), donne une explication détaillée des raisons pour lesquelles cela est le cas.
( 62 ) La référence à ces critères reflète évidemment le considérant 34 de la directive 2014/104 qui, comme déjà dit, n’est pas applicable au cas d’espèce. Néanmoins, la Cour est libre de s’inspirer de cette directive pour concrétiser la portée du droit sur la base d’une interprétation fondée sur les principes généraux.
( 63 ) La notion de « preuve prima facie », dont la portée est clarifiée au point 107 ci-dessus, est utilisée explicitement à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104. À cet égard, je relève que, alors que la grande majorité des versions linguistiques de cette disposition utilisent le terme « preuve prima facie » (voir les versions anglaise, française, allemande, italienne, portugaise, bulgare, tchèque, danoise, estonienne, croate, lituanienne, hongroise, maltaise, néerlandaise, roumaine,
slovaque, slovène et suédoise), la version espagnole de cette disposition utilise le terme « principio de prueba » qui, d’un point de vue littérale, correspond au terme «commencement de preuve » . Il semblerait, toutefois, s’agir d’une imprécision dans le texte de la version espagnole de cette disposition qui ne correspond pas aux autres versions linguistiques. En tout état de cause, ainsi qu’il ressort plus dans le détail, des points 105 à 107 des présentes conclusions, dans le contexte de la
directive 2014/104, la notion de « preuve prima facie » doit être distinguée de celle d’« indice ou de commencement de preuve » et se réfère à un moyen de preuve ayant une valeur probatoire supérieure au simple « commencement de preuve ».
( 64 ) Si d’autres comportements anticoncurrentiels sont invoqués dans le cadre de l’action en dommages et intérêts, même au cas où ils sont liés aux comportements constatés et qualifiés d’infraction dans la décision définitive de l’autorité de la concurrence, ils devront être prouvés devant le juge civil, qui sera libre de les apprécier sans limitation quelconque.
( 65 ) Il n’est donc pas possible d’étendre l’effet de preuve prima facie de cette décision à des entreprises autres que celles indiquées dans ladite décision. Si la partie lésée veut faire valoir la responsabilité d’autres entreprises, il lui incombe de prouver que ces entreprises ont commis l’infraction et le juge national reste libre d’apprécier les différents éléments de preuve produits à cet égard.
( 66 ) Comme il l’a fait à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, qui comme mentionné n’est pas applicable ratione temporis. Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 96).
( 67 ) Voir, par exemple, considérations sur la législation portugaise analysée aux points 92 et suiv. des conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32).
( 68 ) Voir dernière phrase de cet article et dernière phrase du considérant 34 de la directive 2014/104.
( 69 ) Ainsi que je l’ai relevé à la note 63 ci-dessus, la notion de « preuve prima facie » est utilisée explicitement à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104. Elle semble avoir été reprise de la notion en droit allemand de « Anscheinbeweis ». Néanmoins, en l’absence de référence au droit des États membres, il s’agit d’une notion de droit de l’Union qu’en tant que telle il revient à la Cour d’interpréter.
( 70 ) Il ne s’agit donc pas d’une présomption réfragable proprement dite, mais plutôt d’un moyen de preuve qui agit sur le pouvoir d’appréciation du juge qui l’amène, dans l’exercice de ce pouvoir, à présumer le fait allégué, à savoir, dans ce contexte, l’existence de l’infraction.
( 71 ) À cet égard, voir arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. (C‑377/20, EU:C:2022:379, point 87 et jurisprudence citée).