CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIOVANNI PITRUZZELLA
présentées le 8 septembre 2022 ( 1 )
Affaire C‑279/21
X
contre
Udlændingenævnet
[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]
« Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE – Turquie – Regroupement familial entre époux – Article 13 de la décision no 1/80 – Règle de “standstill” – Travailleur turc déjà titulaire d’un titre de séjour permanent dans l’État membre d’accueil – Condition de réussite à un examen de langue imposée au travailleur turc dans le cadre du traitement de la demande de regroupement familial introduite par son épouse – Nouvelle restriction – Justification – Raison impérieuse d’intérêt général tenant à la
poursuite d’une intégration réussie – Contrôle du caractère nécessaire, approprié et proportionné »
Introduction
1. À de nombreuses reprises, la Cour a prêté son assistance aux juridictions nationales afin de les aider à apprécier la conformité avec le droit de l’Union de réglementations ou législations nationales qui détaillaient les conditions auxquelles les membres de la famille de travailleurs turcs déjà présents sur le territoire de l’Union et appartenant généralement déjà au marché régulier de l’emploi devaient se soumettre pour être autorisés à rejoindre ces travailleurs. Certains États membres ont fait
le choix d’exiger que ces membres de la famille prouvent qu’ils disposent des conditions linguistiques minimales jugées nécessaires en vue de leur intégration future dans la société de l’État membre concerné ( 2 ). La situation en cause au principal présente ceci d’atypique que le Royaume de Danemark a fait le choix d’imposer une telle exigence linguistique, non pas aux membres de la famille souhaitant rejoindre le travailleur turc sur le territoire danois, mais au travailleur turc lui-même, déjà
présent sur le territoire danois et régulièrement intégré au marché du travail, avant d’autoriser le regroupement familial.
2. Y est un ressortissant turc entré le 27 septembre 1979 sur le territoire danois, où il réside depuis lors. Il possède un titre de séjour permanent au Danemark depuis 1985. X est née en Turquie et a la nationalité turque. Elle a épousé Y en Turquie le 10 juillet 2015. Le 14 août 2015, elle est entrée sur le territoire danois puis elle a introduit, le 21 octobre 2015, une demande de permis de séjour au titre du regroupement familial au Danemark en vertu de son mariage avec Y.
3. Dans le cadre de l’examen par les autorités danoises de cette demande introduite par X, Y a dû fournir un certain nombre d’informations. Il a notamment indiqué qu’il n’avait pas réussi le test « Prøve i Dansk 1 » ou un examen équivalent. Il a, en revanche, indiqué avoir suivi une formation de base en matière de bâtiment et travaux publics sous la forme de 320 cours prodigués en langue danoise. Il a également indiqué que, eu égard à son activité professionnelle et en sa qualité de travailleur
turc, il n’était pas tenu de remplir une condition linguistique. Il a précisé ne souffrir d’aucun handicap ni d’aucun autre trouble susceptible de justifier une difficulté l’empêchant de réussir ledit test. Il a rappelé qu’il travaille au Danemark depuis 1980, qu’il a quatre enfants adultes, que sa mère et ses huit frères et sœurs vivent au Danemark et qu’aucun membre de sa fratrie ne se trouve en Turquie.
4. Le 1er mars 2016, l’Udlændingestyrelsen (office des migrations, Danemark) a rejeté la demande de X de titre de séjour au titre du regroupement familial avec Y au motif que ce dernier n’avait pas démontré avoir réussi le test de langue « Prøve i Dansk 1 » ou un examen équivalent. Or, si l’article 9, paragraphe 1, point 1, sous d), de l’udlændingeloven lovbekendtgørelse nr. 1021 af 19. September 2014 (loi sur les étrangers telle que publiée par l’arrêté de codification no 1021 du 19 septembre 2014,
ci-après la « loi sur les étrangers ») prévoyait que, sur demande, un titre de séjour pouvait être délivré à tout étranger de plus de 24 ans vivant dans les liens du mariage avec une personne résidant au Danemark également âgée de plus de 24 ans et titulaire d’un titre de séjour permanent au Danemark depuis plus de trois ans, le paragraphe 12, point 5, de cette disposition précisait que, sauf motifs spéciaux tenant notamment à l’unité du foyer familial, un titre de séjour en application du
paragraphe 1, point 1, lettera d), de ladite disposition ne pouvait être délivré que si la personne résidant sur le territoire danois avait réussi le test « Prøve i Dansk 1 », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la lov om danskudddannelse til voksne udlændinge m.fl (loi relative aux cours de langue danoise dispensés aux étrangers majeurs), ou un examen de danois de niveau équivalent ou supérieur. Par ailleurs, l’office des migrations n’a pas estimé être en présence de motifs spéciaux qui lui
auraient commandé de donner une suite favorable à la demande de X en dépit du fait qu’Y n’avait pas réussi le test, le rejet de ladite demande ne lui apparaissant notamment pas contraire aux engagements internationaux du Danemark. L’office des migrations a ajouté que cette conclusion n’était pas remise en cause par la clause de « standstill » telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Dogan ( 3 ).
5. Le 25 avril 2016, les autorités danoises ont délivré à X un permis de séjour au Danemark au titre de l’exercice d’une activité salariée, permis qui a été renouvelé le 14 septembre 2017 jusqu’au 13 septembre 2021.
6. X a introduit un recours administratif devant l’Udlændinge-, Integrations- og Boligministerium (ministère des Étrangers, de l’Intégration et du Logement, Danemark) ( 4 ) contre la partie de la décision du 1er mars 2016 relative au droit de l’Union et a notamment demandé que la compatibilité de cette décision avec l’arrêt Dogan ( 5 ) soit réexaminée. Le ministère des Étrangers, de l’Intégration et du Logement a confirmé le 6 décembre 2017 la décision de l’office des migrations, estimant que ce
dernier avait, à suffisance, procédé à une mise en balance et à une appréciation concrètes quant au fait de savoir s’il existait des motifs spéciaux qui auraient pu justifier la délivrance à X d’un titre de séjour au Danemark à des fins de regroupement familial alors qu’Y n’avait pas réussi l’examen de langue danoise. Par ordonnance du 22 novembre 2019, le recours en annulation introduit par X à l’encontre de la décision du 6 décembre 2017 a été transféré à la juridiction de renvoi qui statue en
première instance. Devant elle, l’Udlændingenævnet (commission des recours en matière d’immigration, Danemark, ci‑après la « commission des recours ») s’est substituée au ministère en tant que partie défenderesse au principal.
7. Il ressort de la décision de renvoi que la formation en langue danoise qui est sanctionnée par le test « Prøve i Dansk 1 » comporte des cours de langue et culture danoises ainsi que d’instruction civique. Elle est organisée pour des participants n’étant jamais allés à l’école ou ayant un niveau peu élevé d’instruction, et n’ayant pas appris à lire et à écrire dans leur langue maternelle. La condition de réussite à ce test, imposée au travailleur turc pour l’examen de la demande de titre de séjour
du conjoint qui souhaite le rejoindre sur le territoire danois, a été introduite par une modification de la loi sur les étrangers intervenue en 2012 ( 6 ). Elle reprend une condition qui doit être remplie par tout demandeur ressortissant d’État tiers ( 7 ) pour se voir délivrer un titre de séjour permanent au Danemark. C’est désormais une condition qui est exigée des ressortissants étrangers déjà bénéficiaires d’un titre de séjour permanent délivré sous l’empire d’une législation qui n’imposait
aucune exigence linguistique pour bénéficier d’un tel titre de séjour, comme ce fut le cas pour Y, lorsque ces ressortissants demandent à être rejoints sur le territoire danois par leur conjoint. La juridiction de renvoi indique que, au moment de l’entrée en vigueur de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ( 8 ), il n’existait pas de règle imposant au travailleur turc
déjà présent au Danemark de réussir un examen de langue danoise afin que son conjoint soit autorisé à le rejoindre.
8. En premier lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si une mesure nationale telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’obtention d’un permis de séjour au titre du regroupement familial du conjoint d’un ressortissant turc résidant légalement et travaillant dans l’État membre d’accueil à une condition de réussite à un examen de langue constitue une « nouvelle restriction » au sens de la clause de « standstill » figurant l’article 13 de la décision no 1/80 (
9 ) et, dans l’affirmative, si une telle restriction peut être justifiée par l’objectif de garantir une intégration réussie du conjoint étranger.
9. La juridiction de renvoi relève, à cet égard, qu’il existe une jurisprudence abondante de la Cour relative à l’article 13 de la décision no 1/80 ( 10 ), la Cour ayant notamment jugé que la clause de « standstill » énoncée par cette disposition fait obstacle à l’introduction par un État membre de nouvelles restrictions quant à la possibilité d’obtenir le regroupement familial sauf si une telle restriction est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, est propre à garantir la
réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 11 ). Si la Cour a déjà reconnu que l’objectif consistant à garantir une intégration réussie peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général ( 12 ), elle aurait toutefois également jugé qu’une condition imposant au conjoint demandeur d’un ressortissant turc résidant dans l’État membre concerné, qui souhaite entrer sur le territoire de cet État au titre du regroupement familial, de
prouver au préalable l’acquisition de connaissances linguistiques élémentaires de la langue officielle de cet État, allait, concrètement, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, au motif que le défaut de preuve de l’acquisition de connaissances linguistiques suffisantes entraînait automatiquement le rejet de la demande de regroupement familial, sans qu’il soit tenu compte des circonstances particulières de chaque cas ( 13 ). Or, X a soutenu devant la juridiction de
renvoi que l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers ne serait pas compatible avec l’article 13 de la décision no 1/80 puisqu’il irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’une intégration réussie dans la mesure où la réussite au test de langue constituerait le seul moyen pour l’étranger résident de démontrer sa capacité d’intégration sans qu’il soit tenu compte d’autres critères. X soutient également que, en réalité, il n’y aurait pas de possibilité
de déroger à cette exigence, l’absence de réussite à cet examen entraînant un rejet de la demande de titre de séjour à des fins de regroupement familial.
10. En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, énoncé à l’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80 ( 14 ), s’oppose à une mesure nationale telle que celle en cause au principal, en ce qu’elle n’est pas appliquée aux ressortissants danois, ni aux ressortissants des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE). Elle relève, à cet égard, que, conformément à son
libellé, cette disposition concerne la rémunération et les autres conditions de travail et a des doutes quant au fait de savoir si la mesure nationale en cause au principal peut être considérée comme relevant du champ d’application matériel de cette disposition. Si X soutient que la législation en cause au principal relève des « autres conditions de travail » au sens de cette disposition, la commission des recours conteste que tel soit le cas et, en toute hypothèse, soutient que la différence de
traitement que l’application de l’exigence linguistique implique ne serait pas contraire au principe de non-discrimination que l’article 10 de la décision no 1/80 met en œuvre.
11. En troisième lieu, dans l’hypothèse où la Cour devait considérer que l’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80 n’est pas applicable au cas d’espèce, la juridiction de renvoi se demande si le principe général de non-discrimination énoncé à l’article 9 de l’accord d’association peut s’appliquer ( 15 ) et, dans l’affirmative, si cette disposition s’oppose à une mesure nationale telle que celle en cause au principal. X soutient que la législation en cause au principal constituerait une
discrimination directe à l’encontre des ressortissants turcs, fondée sur la nationalité, par rapport au traitement réservé aux ressortissants danois et des autres pays nordiques ainsi qu’aux citoyens de l’Union qui ne devraient pas satisfaire à une condition similaire pour bénéficier du regroupement familial. Au contraire, la commission des recours avance que la situation de X serait exclusivement régie par la décision no 1/80, et non par l’accord d’association lui-même puisqu’elle ne tirerait
pas de droits de cet accord et que, en tout état de cause, il n’y aurait pas de discrimination. Quoi qu’il en soit, les ressortissants danois, les ressortissants des autres pays nordiques et les citoyens de l’Union ne se trouveraient pas dans une situation comparable à celle des travailleurs turcs.
12. En quatrième et dernier lieu, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 9 de l’accord d’association a un effet direct et peut donc être invoqué directement par les particuliers devant les juridictions nationales. X soutient que la règle de non-discrimination énoncée à cet article 9 pourrait être invoquée directement et s’appliquerait de façon autonome. La commission des recours avance que ledit article 9 serait une règle générale précisée et concrétisée à l’article 10 de la décision
no 1/80 et que sa généralité ainsi que la nature et l’objet de l’accord d’association s’opposeraient à ce qu’un effet direct soit reconnu à ce même article 9.
13. C’est dans ces conditions que l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) a décidé de surseoir à statuer et, par décision parvenue au greffe de la Cour le 28 avril 2021, de saisir cette dernière des questions préjudicielles suivantes :
« 1) La clause de standstill figurant à l’article 13 de la décision no 1/80 s’oppose-t-elle à l’introduction et à l’application d’une disposition nationale qui subordonne le regroupement des conjoints, sauf présence de circonstances exceptionnelles dans le cas d’espèce, à la réussite d’un examen de langue sanctionnant la connaissance de la langue officielle de l’État membre d’accueil par le conjoint/concubin qui, en sa qualité de travailleur turc dans l’État membre concerné, relève de l’accord
d’association et de la décision no 1/80 dans une situation telle que celle du litige au principal, dans laquelle le travailleur turc a acquis un droit de séjour permanent dans cet État membre en vertu de la législation antérieure, laquelle n’exigeait pas, en tant que condition d’acquisition, la réussite à un examen sanctionnant la connaissance de la langue dudit État ?
2) La règle spécifique de non-discrimination énoncée à l’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80 est-elle applicable à une disposition nationale qui subordonne le regroupement des conjoints, sauf présence de circonstances exceptionnelles dans le cas d’espèce, à la réussite d’un examen de langue sanctionnant la connaissance de la langue officielle de l’État membre d’accueil par le conjoint/concubin qui, en sa qualité de travailleur turc dans l’État membre concerné, relève de l’accord
d’association et de la décision no 1/80 dans une situation telle que celle du litige au principal, dans laquelle le travailleur turc a acquis un droit de séjour permanent dans cet État membre en vertu de la législation antérieure, laquelle n’exigeait pas, en tant que condition d’acquisition, la réussite à un examen sanctionnant la connaissance de la langue dudit État ?
3) En cas de réponse négative à la deuxième question, la règle générale de non-discrimination énoncée à l’article 9 de l’accord d’association s’oppose-t-elle à une disposition nationale telle que la disposition susmentionnée dans une situation telle que celle du litige au principal, dans laquelle le travailleur turc a acquis un droit de séjour permanent dans l’État membre concerné en vertu de la législation antérieure, laquelle n’exigeait pas, en tant que condition d’acquisition, la réussite à
un examen de langue sanctionnant la connaissance de la langue officielle de l’État membre d’accueil, alors qu’une telle condition n’est pas appliquée aux ressortissants de l’État membre nordique en question (en l’occurrence, le Danemark) et des autres pays nordiques ainsi qu’à d’autres personnes qui ont la nationalité d’un État membre de l’Union (et, partant, n’est pas appliquée aux ressortissants des États membres de l’Union ou de l’EEE) ?
4) En cas de réponse affirmative à la troisième question, la règle générale de non-discrimination énoncée à l’article 9 de l’accord d’association peut-elle être invoquée directement devant les juridictions nationales ? »
14. Des observations écrites ont été déposées par X, le gouvernement danois ainsi que la Commission européenne qui ont également été entendus lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 18 mai 2022.
Analyse
15. D’emblée, il faut souligner que, par les questions préjudicielles qu’elle adresse à la Cour, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si la législation nationale selon laquelle une demande de regroupement familial introduite par le conjoint d’un travailleur turc ne sera accueillie que si ce travailleur est en mesure de prouver qu’il a réussi un examen de langue danoise est compatible avec la décision no 1/80 (plus précisément, l’article 10, paragraphe 1, et l’article 13) et/ou avec l’accord
d’association (en l’occurrence, l’article 9 de ce dernier). Toutefois, le constat qu’une seule de ces trois dispositions visées s’oppose à la réglementation en cause au principal suffit à la juridiction de renvoi pour trancher le litige pendant devant elle. Or, il résulte de mon analyse que la situation décrite par la juridiction de renvoi et précisée par les débats devant la Cour m’apparaît clairement contraire à l’article 13 de la décision no 1/80. Dans ces conditions, c’est à cette seule
disposition, et donc à la seule première question préjudicielle, que les conclusions qui vont suivre seront consacrées.
16. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13 de la décision no 1/80 doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal, qui subordonne le regroupement familial, avec un travailleur turc résidant légalement au Danemark, de son conjoint ressortissant d’État tiers à la condition que ledit travailleur réussisse un examen attestant d’un certain niveau de connaissance du danois constitue une
« nouvelle restriction » et, dans l’affirmative, si une telle mesure peut être justifiée.
Sur l’existence d’une nouvelle restriction
17. Pour rappel, la clause de « standstill » énoncée à l’article 13 de la décision no 1/80 prohibe de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure interne qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice, par un ressortissant turc, de la libre circulation des travailleurs sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables au moment de l’entrée en vigueur de la décision no 1/80 dans l’État membre concerné ( 16 ). La Cour a
itérativement jugé qu’une réglementation nationale durcissant les conditions du regroupement familial des travailleurs turcs résidant légalement dans l’État membre concerné, par rapport à celles applicables lors de l’entrée en vigueur, dans cet État membre, de la décision no 1/80, constitue une « nouvelle restriction », au sens de cette disposition, à l’exercice par ces travailleurs turcs de la libre circulation dans ledit État membre ( 17 ).
18. Il ressort de la décision de renvoi que l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers qui, dans le cadre d’une demande de titre de séjour à des fins de regroupement familial avec un époux travailleur turc, impose au conjoint ressortissant d’État tiers de fournir la preuve de la réussite dudit travailleur à un examen sanctionnant des connaissances de base en danois a durci, en matière de regroupement familial, les conditions de première admission sur le territoire danois des
conjoints des ressortissants turcs résidant légalement au Danemark par rapport à celles applicables lors de l’entrée en vigueur dans cet État membre de la décision no 1/80 ( 18 ).
19. En effet, selon une jurisprudence bien établie, le regroupement familial constitue un moyen indispensable pour permettre la vie en famille des travailleurs turcs qui appartiennent au marché de l’emploi des États membres, et contribue tant à améliorer la qualité de leur séjour qu’à leur intégration dans ces États ( 19 ). La décision d’un ressortissant turc de s’établir dans un État membre pour y exercer une activité économique de manière stable peut être influencée négativement lorsque la
législation de cet État membre rend difficile ou impossible le regroupement familial, de sorte que ledit ressortissant peut, le cas échéant, se voir obligé de choisir entre son activité dans l’État membre concerné et sa vie de famille en Turquie. Dans ces conditions, une réglementation qui rend le regroupement familial plus difficile en durcissant les conditions de la première admission, sur le territoire de l’État membre concerné, des conjoints des ressortissants turcs par rapport à celles
applicables lors de l’entrée en vigueur de la décision no 1/80 constitue une « nouvelle restriction » au sens de l’article 13 de cette décision ( 20 ).
20. Tel est ainsi l’effet de l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers, qui, en imposant au travailleur turc lui-même une condition qui n’était pas exigée jusque-là et dont la satisfaction est nécessaire en vue de l’octroi d’un titre de séjour à son conjoint pour des motifs tenant au regroupement familial, constitue donc bien une « nouvelle restriction » au sens de l’article 13 de la décision no 1/80, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le gouvernement danois.
21. Or, une telle restriction est prohibée sauf si elle relève des limitations visées à l’article 14 de la décision no 1/80 ( 21 ) ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 22 ). Puisqu’il ne ressort pas du dossier que la législation en cause au principal relève des limitations visées à l’article 14 de la décision no 1/80, il convient de
déterminer, en premier lieu, si cette nouvelle restriction est susceptible d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général
22. Le gouvernement danois soutient que l’objectif prétendument poursuivi par l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers est celui de garantir une intégration réussie. La ratio legis de l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers a, par ailleurs, été précisée par la juridiction de renvoi qui a cité le projet de loi no L 180 du 26 avril 2012 (qui a donné lieu à l’adoption de la loi sur les étrangers dans sa version applicable au litige au principal), et en
particulier la section 3.8 dudit projet dans lequel le gouvernement rappelait que, « pour pouvoir faire venir un conjoint étranger au Danemark, les étrangers résidents doivent être bien intégrés et avoir un lien avec la société danoise. L’intégration d’un conjoint étranger dans la société danoise est facilitée si le résident peut soutenir son conjoint et l’aider à s’installer, à apprendre le danois et à accéder au marché du travail » ( 23 ). Dès lors, le regroupement familial des conjoints
devrait être subordonné à la condition que les étrangers résidents soient titulaires d’un titre de séjour permanent dont l’octroi est dorénavant conditionné par la réussite d’un test de langue, l’étranger résident devant pouvoir contribuer à l’intégration de son conjoint dans la société danoise. Les étrangers résidents qui ont obtenu un tel titre de séjour avant l’introduction de cette condition, toujours selon les termes du gouvernement danois dans le projet de loi en question, n’auront pas
prouvé actuellement qu’ils sont bien intégrés. C’est pourquoi le gouvernement danois a proposé d’imposer aux résidents étrangers qui sollicitent le regroupement familial avec leur conjoint ressortissant d’État tiers et qui sont déjà titulaires d’un titre de séjour permanent un certain nombre des nouvelles conditions d’octroi d’un tel titre, parmi lesquelles la réussite à un examen de langue danoise.
23. Ainsi, les autorités danoises ont soutenu devant la juridiction de renvoi que l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers était justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la garantie d’une intégration réussie. Le gouvernement danois a encore précisé devant la Cour que l’exigence de réussite à un examen de langue danoise repose sur l’idée que, si le résident connaît la langue danoise, il pourra mieux accompagner son conjoint dans le processus d’intégration
dans la société danoise.
24. La Cour a déjà admis que, lorsqu’une mesure a pour objectif annoncé de garantir une intégration réussie des ressortissants de pays tiers dans l’État d’accueil, un tel objectif peut, en principe, constituer une raison impérieuse d’intérêt général aux fins de l’article 13 de la décision no 1/80 ( 24 ).
25. Je note cependant que les arguments avancés par le législateur danois puis par le gouvernement danois devant la Cour ne sont pas dénués de toute ambiguïté quant au groupe précisément visé par l’objectif d’intégration réussie. La condition de réussite à un examen de langue est imposée au travailleur turc dont on semble vouloir tester le degré d’intégration ou sa « capacité d’intégration » pour reprendre l’expression employée par X ( 25 ), avant de déterminer s’il sera en mesure d’accompagner son
conjoint sur le chemin de l’intégration. Une telle ambiguïté apparaît problématique à plusieurs égards. D’abord, comme je l’ai rappelé, la Cour a jugé que le regroupement familial contribue précisément à améliorer la qualité du séjour et de l’intégration du travailleur turc dans l’État membre d’accueil ( 26 ). Ensuite, comme la Commission l’a rappelé, je ne crois pas possible d’exiger d’un travailleur turc dont la situation est consolidée au regard de l’article 6 de la décision no 1/80 qu’il
prouve l’intensité de son intégration.
26. Dans ces conditions, l’article 9, paragraphe 12, point 5 de la loi sur les étrangers n’est réputé poursuivre un objectif légitime que dans la mesure où la raison impérieuse d’intérêt général invoquée n’a d’autre finalité que celle de s’assurer de la réussite de l’intégration des conjoints des ressortissants de pays tiers demandant à bénéficier du regroupement familial avec ces derniers.
27. Sous cette réserve, il reste donc à vérifier que l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
Sur le caractère approprié de la nouvelle restriction
28. Comme je l’ai indiqué plus haut, le législateur danois part de la prémisse que si le travailleur turc est « bien » intégré dans la société danoise, l’intégration du conjoint qui souhaite l’y rejoindre sera facilitée. Les travaux préparatoires font mention d’études qui attesteraient de ce lien. Je peux admettre qu’un travailleur qui entend accueillir dans son foyer son conjoint et qui est présent depuis une certaine période au Danemark, maîtrise le danois, est impliqué dans la vie locale et a des
amis danois pourra effectivement influer de manière positive sur le processus d’acculturation de son conjoint ( 27 ).
29. Toutefois, une première difficulté surgit dans l’analyse de l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers au regard de l’exigence du caractère approprié dès lors qu’il faut constater que cette disposition établit un lien exclusif entre l’intégration, d’une part, et le niveau de connaissance de la langue danoise, d’autre part. Or, l’intégration d’un individu dans une société d’accueil est un processus complexe et multifactoriel, qui ne peut se résumer à la seule possession de
quelques connaissances linguistiques de base, qui plus est lorsque cela n’est pas exigé de l’individu lui-même mais de son conjoint.
30. Une deuxième difficulté surgit maintenant, encore plus sérieuse à mon sens. Si je peux bien admettre que l’intégration du conjoint puisse être éventuellement facilitée dès lors que le travailleur turc déjà présent sur le territoire danois possède des connaissances de base en langue, en culture et en civilisation danoises, en revanche, je m’inscris clairement en faux contre l’idée selon laquelle l’intégration du conjoint serait empêchée ou vouée à l’échec si tel ne devait pas être le cas. En
d’autres termes, il n’est pas possible d’établir un pronostic d’incapacité à s’intégrer à propos du conjoint en raison du seul fait que le travailleur turc ne présenterait pas lui-même de preuve de réussite à l’examen requis.
31. Il m’apparaît aussi extrêmement problématique, dans la perspective d’une justification de la nouvelle restriction examinée, que le gouvernement danois ait concédé, en réponse à une question de la Cour, que même s’il était avéré que l’épouse de Y était bilingue et maîtrisait parfaitement le danois, sa demande de regroupement familial serait malgré tout rejetée car Y n’aurait toujours pas démontré avoir réussi le test « Prøve i Dansk 1 ». Une telle assertion contredit frontalement la prémisse sur
laquelle repose l’article 9, paragraphe 12, point 5 de la loi sur les étrangers et selon laquelle un lien indissociable existe entre la capacité de s’exprimer dans la langue de l’État d’accueil et la réussite de l’intégration, puisqu’un conjoint présentant, selon une telle logique, toutes les chances de pouvoir s’intégrer facilement dans la société de l’État membre d’accueil en raison de ses propres connaissances linguistiques se verrait malgré tout refuser un titre de séjour à des fins de
regroupement familial. Cette déclaration amène ensuite nécessairement, et comme je le pressentais, à remettre en cause la nature véritable de l’objectif poursuivi par la mesure en cause.
32. Ainsi, puisqu’il ressort du dossier que la réussite de ce test est une condition nécessaire à l’octroi d’un titre de séjour au conjoint du travailleur turc déjà présent dans l’État d’accueil et régulièrement intégré à son marché du travail sans aucune prise en compte des capacités intégratives propres audit conjoint, alors même que l’objectif prétendument poursuivi est celui de l’intégration réussie dudit conjoint, la mesure nationale en cause au principal, en ce qu’elle ne permet pas
d’apprécier les perspectives d’intégration réelles du demandeur d’un permis de séjour au titre du regroupement familial, n’apparaît pas propre à garantir l’intégration réussie de ces ressortissants d’États tiers au Danemark ( 28 ).
Sur le caractère proportionné
33. Si la Cour devait juger que la nouvelle restriction que constitue l’article 9, paragraphe 12, point 5 de la loi sur les étrangers est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi, elle devra encore s’assurer que cette disposition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
34. À cet égard, premièrement, je note que l’exigence de réussite au test « Prøve i Dansk 1 » est imposée à tous les travailleurs turcs en dehors de toute appréciation des autres circonstances qui témoigneraient de leur intégration réelle dans la société danoise. Ainsi, comme dans le cas de Y, une vie de travail, mais aussi de contributions diverses à la société danoise, n’apparaît pas suffisante pour l’exempter de cette condition de réussite au moment où son épouse demande à le rejoindre sur le
territoire danois. L’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers semble donc consacrer une présomption irréfragable selon laquelle le travailleur turc qui ne peut démontrer qu’il a réussi l’examen de langue ne serait pas intégré. Or, s’agissant d’un travailleur turc présent sur le territoire danois depuis 1979 – soit depuis 36 ans au moment où son épouse a demandé à le rejoindre –, d’autres éléments de preuve de sa capacité à soutenir son épouse dans son processus
d’intégration devraient être pris en compte, comme, par exemple, les formations en langue danoise qu’il a suivies ( 29 ). L’absence de tout rapport de proportion devient assez évidente dès lors qu’il n’y a pas de mise en balance ou de compensation possibles entre, d’une part, l’absence de preuve de réussite au test « Prøve i Dansk 1 » et, d’autre part, l’imprégnation sociale et culturelle qui doit naturellement découler de 36 ans d’une vie de travail dans un pays d’accueil ou, à tout le moins,
les autres facteurs susceptibles de montrer que le conjoint pourra, s’il en a besoin, être accompagné dans le processus d’intégration par le travailleur turc déjà présent dans l’État membre d’accueil.
35. La raison pour laquelle la preuve de la réussite au test « Prøve i Dansk 1 » est une condition à ce point nécessaire de l’autorisation du regroupement familial avec le conjoint échappe également à la compréhension dès lors qu’il ressort de la réglementation nationale qu’une fois le séjour du conjoint autorisé pour des fins de regroupement familial, il devra se soumettre lui-même, dans un délai de six mois après son arrivée au Danemark, à un test devant évaluer les compétences acquises dans le
cadre du programme de cours obligatoires qu’il doit suivre, dont l’objectif semble également être de garantir au conjoint une intégration réussie, une fois entré sur le territoire danois.
36. À cet égard, sans prétendre me substituer au législateur national mais recherchant, au contraire, à comprendre la réglementation mise en œuvre, je ne peux m’empêcher de constater une certaine incohérence qui consiste à nier à X un permis de séjour à des fins de regroupement familial avec son époux au motif que celui-ci n’a pas établi qu’il a réussi le test « Prøve i Dansk 1 » censé démontrer qu’il a des connaissances de base en langue danoise et sur la société danoise qui seront utiles en vue de
l’intégration de son épouse dans cette société et, dans le même temps, à lui octroyer, en 2016, un permis de séjour pour exercer une activité salariée qui sera renouvelé jusqu’en 2021 ( 30 ).
37. Deuxièmement, il est vrai que la pratique administrative telle que décrite par la juridiction de renvoi puis par le gouvernement danois ne fait pas apparaître une pratique de refus systématique des demandes de permis de séjour au titre du regroupement familial ( 31 ) dès lors que l’époux ne satisfait pas à la condition de réussite à l’examen de langue. Pour autant, cela ne rend pas ladite pratique nécessairement proportionnée. Encore faut-il que de véritables possibilités de déroger à cette
exigence existent. Il ressort du dossier que ces hypothèses sont très limitées et ne permettent jamais de tenir compte suffisamment des circonstances particulières entourant chaque demande de regroupement familial et tenant à la personne du demandeur lui-même. J’ai ainsi déjà démontré que, même dans le cas d’un conjoint qui maîtriserait parfaitement la langue de l’État d’accueil, sa demande de permis de séjour au titre du regroupement familial serait rejetée si le travailleur turc déjà présent
dans cet État n’était pas en capacité de démontrer qu’il a réussi le test de langue. Cela illustre, selon moi, le fait qu’il n’y a pas de véritables dérogations prévues ou, à tout le moins, qu’il n’y a pas de prise en compte suffisante des circonstances particulières de chaque cas d’espèce ( 32 ).
38. Contrairement à ce que soutient le gouvernement danois, je n’estime pas être en présence d’une législation du type de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Udlændingenævnet ( 33 ). En effet, dans cet arrêt, la Cour se prononçait sur une nouvelle restriction consistant dans l’abaissement de l’âge limite pour qu’un enfant d’un travailleur turc résidant légalement sur le territoire de l’État membre d’accueil puisse introduire une demande de regroupement familial. La Cour a jugé
qu’une telle mesure était proportionnée, car le droit danois prévoyait des exceptions à l’application de la disposition en cause dans le litige au principal, notamment dans le cas où l’intérêt supérieur de l’enfant l’exigeait, auquel cas les autorités danoises étaient tenues de procéder à une appréciation individuelle de la situation de l’enfant et, dans chaque cas d’espèce, de prendre en considération cet intérêt ( 34 ). La présente affaire se distingue de celle-ci en raison du fait qu’il ne
semble pas qu’une appréciation individuelle sera menée, en ce qui concerne les capacités linguistiques ou les perspectives d’intégration, à propos du demandeur lui-même pour déterminer si une dérogation à cette exigence qui doit être satisfaite par le travailleur doit être accordée.
39. Au contraire, il ressort de l’analyse du dossier ( 35 ) qu’il ne sera dérogé à cette exigence de réussite au test « Prøve i Dansk 1 » qu’au regard de « motifs spéciaux » tenant notamment aux engagements internationaux du Danemark et uniquement s’il n’est pas possible d’inviter le travailleur turc à poursuivre sa vie familiale dans le pays d’origine sans qu’une telle invitation constitue une violation de ces engagements ( 36 ).
40. Dans ces conditions, la nouvelle restriction que constitue l’article 9, paragraphe 12, point 5 de la loi sur les étrangers apparaît aller au-delà de ce qui est nécessaire afin d’atteindre l’objectif poursuivi qui est, je le rappelle, une intégration réussie du conjoint demandant à rejoindre dans l’État membre d’accueil le travailleur turc.
Conclusion intermédiaire
41. Au terme de l’analyse et pour l’ensemble des raisons évoquées, une mesure nationale telle que l’article 9, paragraphe 12, point 5 de la loi sur les étrangers, qui subordonne le regroupement familial entre un travailleur turc, régulièrement intégré au marché de l’emploi et résidant légalement dans l’État membre concerné, et son conjoint à la condition que ledit travailleur ait passé avec succès un test de langue afin de s’assurer que l’intégration de ce conjoint, une fois entré sur le territoire
de l’État membre en question, soit réussie, constitue une « nouvelle restriction » au sens de l’article 13 de la décision no 1/80. Une telle restriction n’apparaît pas justifiée.
Conclusion
42. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark) :
Une mesure nationale qui subordonne le regroupement familial entre un travailleur turc, régulièrement intégré au marché de l’emploi et résidant légalement dans l’État membre concerné, et son conjoint à la condition que ledit travailleur ait passé avec succès un test de langue afin de s’assurer que l’intégration de ce conjoint, une fois entré sur le territoire de l’État membre en question, soit réussie, constitue une « nouvelle restriction » au sens de l’article 13 de la décision no 1/80 du
conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie.
Une telle restriction n’est pas justifiée.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Sur ce thème, voir arrêt du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066).
( 3 ) Arrêt du 10 juillet 2014 (C‑138/13, EU:C:2014:2066).
( 4 ) Devenu, depuis lors, l’Udlændinge-og Integrationsministeriet (ministère des Étrangers et de l’Intégration, Danemark).
( 5 ) Arrêt du 10 juillet 2014 (C‑138/13, EU:C:2014:2066).
( 6 ) Loi no 572 du 18 juin 2012 portant modification de la loi sur les étrangers. Il ressort de la décision de renvoi que la législation préalablement en vigueur à compter de 2011 exigeait que l’étranger résident au Danemark satisfasse à la condition de réussite à un examen de langue danoise d’un niveau un peu plus élevé, soit l’examen « Prøve i Dansk 2 ».
( 7 ) En effet, cette condition ne s’applique ni aux ressortissants de l’Union ni aux ressortissants des États membres de l’Espace Économique Européen.
( 8 ) Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membre de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, le 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685).
( 9 ) L’article 13 de la décision no 1/80 énonce que « [l]es États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi ».
( 10 ) Arrêts du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, points 38 et 39) ; du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, points 51, 52, 66 et 67) ; du 29 mars 2017, Tekdemir (C‑652/15, EU:C:2017:239, point 53) ; du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, point 72), et du 10 juillet 2019, A (C‑89/18, EU:C:2019:580, points 31 à 34 et 45 à 47).
( 11 ) Arrêt du 10 juillet 2019, A, C‑89/18, EU:C:2019:580.
( 12 ) Arrêts du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, points 55 et 56), ainsi que du 10 juillet 2019, A (C‑89/18, EU:C:2019:580, point 38).
( 13 ) Arrêt du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 38).
( 14 ) L’article 10, paragraphe 1, de la décision no 1/80 prévoit que « [l]es États membres de la Communauté accordent aux travailleurs turcs appartenant à leur marché régulier de l’emploi un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux travailleurs communautaires en ce qui concerne la rémunération et les autres conditions de travail ».
( 15 ) Cet article énonce que « [l]es Parties contractantes reconnaissent que dans le domaine d’application de l’accord, et sans préjudice des dispositions particulières qui pourraient être établies en application de l’article 8, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite en conformité du principe énoncé dans l’article 7 du traité instituant la Communauté ».
( 16 ) Voir, parmi une jurisprudence abondante, arrêts du 17 septembre 2009, Sahin (C‑242/06, EU:C:2009:554, point 63 et jurisprudence citée) ; du 7 novembre 2013, Demir (C‑225/12, EU:C:2013:725, point 33) ; du 29 mars 2017, Tekdemir (C‑652/15, EU:C:2017:239, point 25) ; du 10 juillet 2019, A (C‑89/18, EU:C:2019:580, point 23), ainsi que du 2 septembre 2021, Udlændingenævnet (C‑379/20, EU:C:2021:660, point 19).
( 17 ) Voir arrêts du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, points 39 à 42 et jurisprudence citée) et du 2 septembre 2021, Udlændingenævnet (C‑379/20, EU:C:2021:660, point 20).
( 18 ) Voir, par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, Udlændingenævnet (C‑379/20, EU:C:2021:660, point 21).
( 19 ) Arrêt du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 34 et jurisprudence citée).
( 20 ) Voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, points 35 et 36). À propos de la décision no 1/80, voir arrêt du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, points 39, 40, 44 et 50).
( 21 ) L’article 14, paragraphe 1, de la décision no 1/80 dispose que « [l]es dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques ».
( 22 ) Voir arrêts du 7 novembre 2013, Demir (C‑225/12, EU:C:2013:725, point 40) ; du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, point 51) ; du 29 mars 2017, Tekdemir (C‑652/15, EU:C:2017:239, point 33) ; du 7 août 2018, Yön (C‑123/17, EU:C:2018:632, point 72) ; du 10 juillet 2019, A (C‑89/18, EU:C:2019:580, point 31), et du 2 septembre 2021, Udlændingenævnet (C‑379/20, EU:C:2021:660, point 23).
( 23 ) Mise en italique par mes soins.
( 24 ) Arrêts du 12 avril 2016, Genc (C‑561/14, EU:C:2016:247, points 55 et 56) ; du 10 juillet 2019, A (C‑89/18, EU:C:2019:580, point 34), ainsi que du 2 septembre 2021, Udlændingenævnet (C‑379/20, EU:C:2021:660, points 26 et 27).
( 25 ) Voir point 9 des présentes conclusions.
( 26 ) Voir point 19 des présentes conclusions.
( 27 ) Il faut cependant constater que ce que je peux admettre ici repose déjà sur une conception considérablement enrichie du processus d’intégration par rapport à celle qui semble avoir été retenue par le législateur danois.
( 28 ) Voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2019, A (C‑89/18, EU:C:2019:580, point 45).
( 29 ) Voir point 3 des présentes conclusions.
( 30 ) Les conditions linguistiques auxquelles est éventuellement soumis ce permis ne ressortent pas du dossier.
( 31 ) Sur le caractère disproportionné d’une telle pratique, voir arrêt du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 38).
( 32 ) Voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2014, Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:2066, point 38).
( 33 ) Arrêt du 2 septembre 2021 (C‑379/20, EU:C:2021:660).
( 34 ) Voir arrêt du 2 septembre 2021, Udlændingenævnet (C‑379/20, EU:C:2021:660, points 31 à 33).
( 35 ) Voir exposé des motifs relatif à l’article 9, paragraphe 12, point 5 et section 2.5.3 du projet de loi cités aux points 14 et 15 de la demande de décision préjudicielle.
( 36 ) La demande de décision préjudicielle mentionne également le cas dans lequel le travailleur turc serait, par exemple, atteint d’un handicap qui l’empêcherait de réussir l’examen de langue, également susceptible de constituer un motif spécial, au sens de l’article 9, paragraphe 12, point 5, de la loi sur les étrangers, toujours en raison de son lien avec une obligation internationale du Danemark.