CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIOVANNI PITRUZZELLA
présentées le 20 octobre 2022 ( 1 )
Affaire C‑329/21
DIGI Communications NV
contre
Nemzeti Média- és Hírközlési Hatóság Hivatala
en présence de :
Magyar Telekom Nyrt.
[demande de décision préjudicielle formée par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie)]
« Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroniques – Directives 2002/20/CE et 2002/21/CE – Procédure d’enchères pour l’attribution de droits d’utilisation de fréquences – Exclusion de la procédure d’une société holding non enregistrée en tant que fournisseur de services de communications électroniques dans l’État membre concerné – Droit de recours contre la décision d’attribution »
1. Dans la demande de décision préjudicielle faisant l’objet des présentes conclusions, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) pose à la Cour une série de questions portant sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE ( 2 ) (ci-après la « directive-cadre »), de l’article 7 de la directive 2002/20/CE ( 3 ) (ci-après la « directive-autorisation ») et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la
« Charte »).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un recours introduit par DIGI Communications NV (ci-après « DIGI ») contre la décision par laquelle la Nemzeti Média- és Hírközlési Hatóság Hivatala (ci-après la « NMHH »), l’autorité réglementaire hongroise des télécommunications, a attribué les droits d’utilisation des fréquences liés au soutien au déploiement de la 5G et à d’autres services de communication sans fil et à haut débit (ci-après la « décision d’attribution »).
I. Le cadre juridique
A. La directive-cadre
3. La version de la directive-cadre applicable aux faits au principal est celle qui a été modifiée en dernier lieu par la directive 2009/140/CE ( 4 ). La directive‑cadre a été abrogée et remplacée par la directive (UE) 2018/1972 ( 5 ) à compter du 20 décembre 2020.
4. L’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive-cadre, dans sa version applicable aux faits au principal, dispose :
« Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. Cet organisme, qui peut être un tribunal, dispose des compétences appropriées pour être à même d’exercer ses fonctions
efficacement. Les États membres veillent à ce que le fond de l’affaire soit dûment pris en considération et à ce qu’il existe un mécanisme de recours efficace. »
5. L’article 8 de la directive-cadre, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, intitulé « Objectifs généraux et principes réglementaires », énonce, à son paragraphe 2, sous a), b) et d), et à son paragraphe 5, sous c) :
« 2. Les autorités réglementaires nationales promeuvent la concurrence dans la fourniture des réseaux de communications électroniques, des services de communications électroniques et des ressources et services associés, notamment :
a) en veillant à ce que les utilisateurs, y compris les personnes handicapées, les personnes âgées et les personnes ayant des besoins sociaux spécifiques, retirent un bénéfice maximal en termes de choix, de prix et de qualité ;
b) en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques, y compris pour la transmission de contenu ;
[...]
d) en encourageant l’utilisation et la gestion efficaces des radiofréquences et des ressources de numérotation.
[...]
5. Afin de poursuivre les objectifs visés aux paragraphes 2, 3 et 4, les autorités réglementaires nationales appliquent des principes réglementaires objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés, dont les suivants :
[...]
c) préserver la concurrence au profit des consommateurs et promouvoir, s’il y a lieu, une concurrence fondée sur les infrastructures ;
[...] »
B. La directive-autorisation
6. La version de la directive-autorisation applicable aux faits au principal est celle qui a été modifiée par la directive 2009/140. La directive-autorisation a également été abrogée et remplacée par la directive 2018/1972 à compter du 20 décembre 2020.
7. Aux termes de son article 1er, la directive-autorisation vise à « mettre en place un marché intérieur des réseaux et des services de communications électroniques en harmonisant et en simplifiant les règles et les conditions d’autorisation, afin de faciliter leur fourniture dans l’ensemble de la Communauté ».
8. Dans sa version applicable aux faits au principal, l’article 2, paragraphe 2, de la directive-autorisation définit la notion d’« autorisation générale » comme « un cadre juridique mis en place par l’État membre, qui garantit le droit de fournir des réseaux ou des services de communications électroniques et qui fixe les obligations propres au secteur pouvant s’appliquer à tous les types de réseaux et de services de communications électroniques, ou à certains d’entre eux, conformément à [cette]
directive ».
9. L’article 3 de la directive-autorisation, intitulé « Autorisation générale applicable aux réseaux et aux services de communications électroniques », dispose :
« 1. Les États membres garantissent la liberté de fournir des réseaux et des services de communications électroniques, sous réserve des conditions fixées dans la présente directive. À cette fin, les États membres n’empêchent pas une entreprise de fournir des réseaux ou des services de communications électroniques, sauf pour les raisons visées à l’article 46, paragraphe 1, du traité.
2. La fourniture de réseaux de communications électroniques ou la fourniture de services de communications électroniques ne peut faire l’objet, sans préjudice des obligations spécifiques visées à l’article 6, paragraphe 2, ou des droits d’utilisation visés à l’article 5, que d’une autorisation générale. L’entreprise concernée peut être invitée à soumettre une notification, mais ne peut être tenue d’obtenir une décision expresse ou tout autre acte administratif de l’autorité réglementaire
nationale avant d’exercer les droits découlant de l’autorisation. Après notification, s’il y a lieu, une entreprise peut commencer son activité, sous réserve, le cas échéant, des dispositions applicables aux droits d’utilisation visées aux articles 5, 6 et 7.
[...]
3. La notification visée au paragraphe 2 se limite à une déclaration établie par une personne physique ou morale à l’attention de l’autorité réglementaire nationale, l’informant de son intention de commencer à fournir des réseaux ou des services de communications électroniques, ainsi qu’à la communication des informations minimales nécessaires pour permettre à l’autorité réglementaire nationale de tenir un registre ou une liste des fournisseurs de réseaux et de services de communications
électroniques. Ces informations doivent se limiter au strict nécessaire pour identifier le fournisseur, comme le numéro d’enregistrement de la société et ses points de contact, son adresse, une brève description du réseau ou du service ainsi que la date prévue du lancement de l’activité. »
10. L’article 7, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphes 3 et 5, de la directive-autorisation, dans sa version applicable aux faits au principal, prévoient :
« 1. Lorsqu’un État membre examine s’il convient de limiter le nombre de droits d’utilisation des radiofréquences à octroyer, ou de proroger des droits existants selon des modalités autres que celles prévues par lesdits droits, il doit notamment :
a) prendre dûment en considération la nécessité d’apporter un maximum d’avantages aux utilisateurs et de stimuler la concurrence ;
[...]
3. Lorsque l’octroi des droits d’utilisation de radiofréquences doit être limité, les États membres accordent ces droits sur la base de critères de sélection objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés. Ces critères de sélection doivent dûment prendre en considération la réalisation des objectifs de l’article 8 de la [directive-cadre] ainsi que les exigences de l’article 9 de cette directive.
[...]
5. Le présent article ne porte pas atteinte à la possibilité de transférer des droits d’utilisation des radiofréquences, comme prévu à l’article 9 ter de la [directive‑cadre]. »
II. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
11. Le 18 juillet 2019, la NMHH a lancé une procédure d’enchères pour les droits d’utilisation de fréquences liés au soutien au déploiement du réseau 5G et à d’autres services sans fil et à haut débit (ci-après la « procédure d’enchères »), et a publié le dossier de consultation détaillant les modalités y afférentes (ci-après le « dossier de consultation »).
12. DIGI, société constituée aux Pays-Bas qui n’est pas enregistrée en Hongrie en tant que fournisseur de services de communications électroniques, s’est portée candidate à la procédure d’enchères, mais sa candidature a été considérée comme étant dépourvue de validité formelle par la NMHH. Cette dernière a considéré que DIGI avait exercé de manière abusive son droit de participer à la procédure d’enchères, qu’elle avait fait preuve d’un comportement visant à contourner la procédure et qu’elle avait
essayé de l’induire en erreur. En effet, la NMHH a estimé que DIGI s’était portée candidate à la place de la filiale hongroise DIGI Távközlési és Szolgáltató Korlátolt Felelősségű Társaság (ci-après « DIGI Kft. ») – société enregistrée en Hongrie et qui fournit des services de communications électroniques dans ce pays – laquelle, si elle avait présenté une candidature, aurait été exclue de la procédure, car elle relevait du chef d’exclusion prévu à l’article 61, sous n), du dossier de
consultation ( 6 ). Par une décision définitive, la NMHH a donc refusé d’enregistrer la candidature de DIGI à la procédure d’enchères et a conclu que cette dernière avait perdu son statut de partie à cette procédure.
13. La requérante a contesté cette décision en justice, mais son recours a été rejeté en première instance par la juridiction de renvoi et, en deuxième instance, par la Kúria (Cour suprême, Hongrie).
14. Au cours de la procédure juridictionnelle engagée par DIGI, la NMHH a adopté la décision d’attribution, par laquelle les droits d’utilisation de fréquences faisant l’objet de la procédure d’enchères ont été octroyés aux trois principaux fournisseurs de services de communications électroniques, à l’exclusion de DIGI Kft., présents sur le marché hongrois.
15. Par un recours en annulation contre la décision d’attribution, la requérante a introduit une procédure administrative contentieuse devant la juridiction de renvoi.
16. Étant donné que DIGI ne figure pas parmi les destinataires de la décision d’attribution en raison de son exclusion de la procédure d’enchères, la juridiction de renvoi estime qu’elle doit examiner, à titre préalable, la question de la qualité pour agir de cette société et, en particulier, celle de savoir si elle peut être considérée comme une « entreprise affectée » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, à laquelle doit être reconnu un droit de recours en vertu de cette
disposition.
17. En l’absence de définition de cette notion dans la directive-cadre, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), en se fondant sur les arrêts du 21 février 2008, Tele2 Telecommunication ( 7 ), du 24 avril 2008 ( 8 ), Arcor, et du 22 janvier 2015, T-Mobile Austria ( 9 ), a estimé que la Cour avait examiné trois conditions afin de déterminer si une entreprise dispose d’un droit de recours au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, à savoir : i) que l’entreprise en
question est une entreprise qui fournit des réseaux ou des services de communications électroniques concurrente de l’entreprise ou des entreprises destinataires de la décision de l’autorité réglementaire nationale (ci-après l’« ARN ») ; ii) que l’ARN a adopté la décision en cause dans le cadre d’une procédure ayant pour objet la protection de la concurrence, et iii) que cette décision affecte ou est susceptible d’affecter la position de la première entreprise sur le marché.
18. Chacune des questions préjudicielles posées vise, en substance, à obtenir de la Cour des précisions en vue de l’application de ces conditions aux circonstances de l’affaire au principal.
19. C’est dans ce contexte que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) 1. Peut-on considérer qu’est un concurrent des entreprises destinataires d’une décision de l’[ARN], au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la [directive-cadre], une entreprise enregistrée et opérant dans un autre État membre qui ne fournit pas elle‑même un service de communications électroniques sur le marché concerné par la décision, lorsqu’une entreprise qu’elle contrôle directement est présente sur ce marché en tant que fournisseur de services et est un concurrent des entreprises
destinataires de la décision en question ?
2. Est-il nécessaire, pour répondre à la question 1.1, d’examiner si la société mère qui souhaite introduire un recours forme une unité économique avec l’entreprise qu’elle contrôle et qui est présente sur le marché concerné en tant que concurrent ?
2) 1. La [procédure d’enchères] menée par l’[ARN] au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la [directive-cadre] et de l’article 7 de la [directive‑autorisation] est-elle une procédure qui vise à sauvegarder la concurrence ? La décision de l’[ARN] qui constate le résultat de cette procédure d’enchères peut-elle en outre être considérée comme visant, en ce sens, à sauvegarder la concurrence ?
2. Si la Cour répond par l’affirmative à la question 2.1, l’objectif de sauvegarde de la concurrence de la décision est-il remis en cause par le fait que l’[ARN], par une décision ferme contenue dans une décision distincte, a refusé d’enregistrer la candidature de l’entreprise qui introduit un recours, de sorte que cette entreprise n’a pas pu participer à la procédure d’enchères et n’est donc pas destinataire de la décision qui constate le résultat de cette procédure ?
3) 1. Convient-il d’interpréter l’article 4, paragraphe 1, de la [directive‑cadre] – compte tenu de l’article 47 de la [Charte] – en ce sens que celui-ci octroie un droit de recours contre la décision d’une [ARN] uniquement à une entreprise :
a) dont la position sur le marché est directement et effectivement affectée par la décision ; ou
b) qui a sur le marché une position sur laquelle la décision peut, de manière avérée ou très probable, avoir une incidence ; ou
c) dont la position sur le marché peut être affectée soit directement, soit indirectement par la décision ?
2. Le fait que l’entreprise a présenté une candidature dans le cadre de la procédure d’enchères – autrement dit, le fait qu’elle a eu la volonté d’y participer, mais a échoué faute de satisfaire aux conditions – permet-il en soi de considérer que celle-ci est affectée de la manière définie à la question 3.1, ou bien la juridiction peut-elle en outre légitimement l’inviter à fournir des preuves attestant la réalité de cette condition ?
4) Sur le fondement des réponses apportées aux questions 1 à 3, convient-il d’interpréter l’article 4, paragraphe 1, de la [directive-cadre], conjointement à l’article 47 de la [Charte], en ce sens qu’est une entreprise offrant des services de communications électroniques concernée par la décision de l’[ARN] constatant le résultat de la [procédure d’enchères] et qui, de ce fait, dispose d’un droit de recours, l’entreprise
– qui n’exerce pas d’activité économique en tant que prestataire de services sur le marché concerné, mais contrôle directement une entreprise qui offre des services de communications électroniques sur le marché concerné ; et
– dont l’enregistrement de la candidature dans le cadre de la procédure d’enchères a été refusé par une décision ferme et définitive de l’[ARN], intervenue avant l’adoption par cette même [ARN] de la décision constatant le résultat de la procédure d’enchères litigieuse, l’évinçant ainsi de la suite de la procédure d’enchères ? »
20. Des observations écrites ont été déposées au titre de l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne par les parties au principal et par la Commission européenne. Ces parties intéressées ont été entendues par la Cour dans leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 1er juin 2022.
III. Analyse
A. Observations liminaires
21. En formulant ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi part du principe que, pour pouvoir être considérée comme « affectée » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, et bénéficier par conséquent d’un droit de recours contre la décision d’une ARN, une entreprise doit nécessairement être une concurrente directe et effective de l’entreprise ou des entreprises destinataires de cette décision.
22. C’est pourquoi la première question préjudicielle vise à obtenir des clarifications sur l’éventuelle qualité de « concurrent » des entreprises adjudicataires d’une procédure de sélection pour l’attribution de droits d’utilisation de fréquences d’une entreprise qui, comme DIGI, ne fournit pas de services de communications électroniques si ce n’est indirectement, par l’intermédiaire des sociétés du groupe dont elle constitue la holding.
23. À l’instar de la Commission, j’estime que la prémisse sur laquelle se fonde la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) repose sur une interprétation erronée des arrêts Tele2, Arcor et T‑Mobile.
24. Il est certes vrai que, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Tele2, Arcor et T‑Mobile, les entreprises dont le droit de recours était contesté étaient en concurrence avec la ou les entreprises destinataires de la décision de l’ARN sur le marché de l’État membre concerné par cette décision ( 10 ). Toutefois, aucun passage de ces arrêts ne permet, à mon avis, de déduire l’intention de la Cour de limiter la portée subjective de cette disposition au cercle des concurrents, effectifs ou même
seulement potentiels, des destinataires de la décision de l’ARN en cause.
25. Dans les arrêts Tele2, Arcor et T‑Mobile, la Cour a, en effet, jugé que l’obligation qui incombe aux États membres de conférer une protection juridictionnelle effective, consacrée à l’article 47 de la Charte, dont l’article 4 de la directive-cadre constitue une émanation, « doit s’appliquer également aux utilisateurs et aux entreprises qui peuvent tirer des droits de l’ordre juridique de l’Union, notamment des directives sur les télécommunications, et qui sont atteints dans ces droits par une
décision d’une ARN » ( 11 ).
26. Selon les arrêts Tele2, Arcor et T‑Mobile, deux conditions sont donc nécessaires pour qu’une entreprise puisse être considérée comme « affectée », au sens de l’article 4 de la directive-cadre, par la décision d’une ARN dont elle n’est pas destinataire.
27. S’agissant de la première condition, relative à la détention de droits tirés de l’ordre juridique de l’Union, la Cour a concrètement considéré que celle-ci était remplie dans le cas d’entreprises concurrentes d’une entreprise puissante sur le marché pertinent en tant que bénéficiaires potentiels des droits correspondant aux obligations réglementaires spécifiques imposées par l’ARN à cette entreprise en vertu de l’article 16 de la directive-cadre ( 12 ), ou bien dans le cas d’un bénéficiaire au
sens de l’article 2, sous b), du règlement (CE) no 2887/2000 ( 13 ) ayant conclu avec l’opérateur notifié au sens dudit article 2, sous a), un contrat relatif à l’accès aux boucles locales ( 14 ), ou, enfin, dans le cas d’une entreprise dans le cadre d’une procédure d’autorisation de modification de la structure de l’actionnariat d’entreprises concurrentes, laquelle entraîne une modification de la répartition des radiofréquences entre les entreprises actives sur le marché.
28. S’agissant de la deuxième condition, les droits dont une entreprise au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre jouit en vertu de l’ordre juridique de l’Union peuvent être potentiellement affectés par la décision d’une ARN en raison, d’une part, de son contenu et, d’autre part, de l’activité exercée ou envisagée par cette entreprise ( 15 ). Dans le cas d’entreprises concurrentes du ou des destinataires de la décision de l’ARN, la Cour a précisé, dans l’arrêt T-Mobile, que cette
disposition visait ces entreprises « pour autant que la décision en cause est susceptible d’avoir une incidence sur leur position sur le marché » ( 16 ).
29. Certes, au point 39 de l’arrêt T-Mobile, auquel se réfère notamment la juridiction de renvoi dans le libellé de ses questions préjudicielles, la Cour a également affirmé, de manière plus générale, qu’une entreprise « peut être considérée comme étant affectée, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, par une décision d’une ARN adoptée dans le cadre d’une procédure prévue par les directives sur les communications électroniques lorsqu’une telle entreprise, qui fournit des
réseaux ou des services de communications électroniques, est un concurrent de l’entreprise ou des entreprises destinataires de la décision de l’ARN, que l’ARN se prononce dans le cadre d’une procédure qui vise à sauvegarder la concurrence et que la décision en cause est susceptible d’avoir une incidence sur la position de cette première entreprise sur le marché ».
30. Toutefois, il ressort, à mon avis, de la référence explicite, aux points 39 et 40 de l’arrêt T-Mobile, à la situation spécifique de la requérante au principal ayant donné lieu à la décision de la Cour, que l’intention de cette dernière n’était pas de circonscrire le champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre aux seules entreprises concurrentes et, en tout état de cause, pas aux seuls « concurrents effectifs » du ou des destinataires de la décision de l’ARN sur le
marché national concerné par cette décision.
31. Cela étant, le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre limite la portée de l’obligation qu’il impose aux États membres de mettre en place des mécanismes de recours efficaces contre les décisions d’une ARN, non seulement pour les utilisateurs, mais pour toute entreprise qui « fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques ». Il s’ensuit qu’une entreprise qui ne peut pas être considérée comme un « utilisateur », au sens de l’article 2, sous h), de la
directive-cadre ( 17 ), ou qui ne fournit pas de réseaux au sens de l’article 2, sous m), de cette directive, doit, pour pouvoir se prévaloir du droit de recours reconnu à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, démontrer qu’elle est un fournisseur de services de communications électroniques.
32. S’il est vrai que ni la directive-cadre ni la directive-autorisation ne contiennent de définition de la notion de « fournisseur de services de communications électroniques » ( 18 ), pour circonscrire le cercle des entreprises pouvant être considérées comme incluses dans cette définition, il convient de se référer au système de la directive-autorisation.
33. Cette directive a défini un cadre juridique garantissant la liberté de fournir des réseaux et des services de communications électroniques, destiné à permettre à tous les fournisseurs de bénéficier, d’une part, de conditions et procédures objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées ( 19 ) et, d’autre part, d’un système d’autorisation qui soit le « moins onéreux possible », visant à « assurer la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques afin de
stimuler le développement de nouveaux services de communications électroniques ainsi que de réseaux et services paneuropéens de communications et de permettre aux fournisseurs de services et aux consommateurs de bénéficier des économies d’échelle réalisées sur le marché unique » ( 20 ). Ce cadre normatif a mis en place un régime d’« autorisation générale » ( 21 ) qui s’étend à tous les réseaux et à tous les services de communications électroniques sans exiger de décision expresse ou d’acte
administratif de la part de l’ARN.
34. Ainsi, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, première phrase, de la directive-autorisation, dans sa version applicable aux faits au principal, « [l]a fourniture de réseaux de communications électroniques ou la fourniture de services de communications électroniques ne peut faire l’objet [...] que d’une autorisation générale ». Conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, l’autorisation générale de fourniture de réseaux ou de services de communications électroniques ne peut
être soumise qu’aux conditions énumérées à l’annexe de la directive elle-même. Ces conditions doivent être non discriminatoires, proportionnées et transparentes.
35. En outre, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive-autorisation, « [l]’entreprise concernée peut être invitée à soumettre une notification, mais ne peut être tenue d’obtenir une décision expresse ou tout autre acte administratif de l’[ARN] avant d’exercer les droits découlant de l’autorisation ».
36. Or, une entreprise qui satisfait aux conditions auxquelles est soumise, dans l’État membre concerné, l’autorisation générale visée à l’article 3, paragraphe 2, première phrase, de la directive-autorisation peut, à mon avis, être considérée comme une « entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, sans que cela requière une reconnaissance formelle de cette qualité par les autorités
administratives de cet État membre et, en particulier, sans qu’il soit nécessaire que cette entreprise ait procédé à la notification visée à l’article 3, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive-autorisation, lorsqu’elle est requise par cet État membre. En effet, cette notification est nécessaire aux seules fins de commencer l’activité de fourniture de réseaux ou de services de communications électroniques dans l’État membre en cause et ne saurait, en particulier, être exigée pour
participer à des procédures d’attribution de fréquences telles que celle en cause au principal ( 22 ).
37. Il s’ensuit que peut également se prévaloir du droit de recours prévu à l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre une entreprise qui n’est pas encore directement ou indirectement présente sur le marché de l’État membre concerné par la décision de l’ARN et/ou enregistrée comme fournisseur de services de communications électroniques dans cet État membre, en particulier une entreprise active dans ce secteur, mais dans un autre État membre.
38. Toutefois, dans la mesure où le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre fait référence à l’exercice d’une activité de fourniture de services de communications électroniques, j’estime que, sans exclure du champ d’application de cette disposition des entreprises qui ne sont pas encore concrètement actives dans ces secteurs, une telle formulation exige que l’entreprise en question doive, pour pouvoir se prévaloir de la qualité d’entreprise « affectée » au sens de cette
disposition, démontrer une réelle intention et une possibilité qui ne soit pas purement hypothétique, mais effective, en matière d’infrastructure et de technologie, d’intégrer le marché de la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques.
39. C’est à la lumière des réflexions qui précèdent que j’examinerai les questions préjudicielles posées par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale).
40. Contrairement à ce que soutient la NMHH, ces questions sont, à mon avis, recevables. Les arguments soulevés par la NMHH à l’appui de leur irrecevabilité relèvent en effet d’un examen au fond de ces questions.
B. Sur la première question préjudicielle
41. Par la première partie de la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si une personne morale, constituée dans un État membre autre que celui visé par la décision par laquelle une ARN a procédé à l’attribution de radiofréquences à l’issue d’une procédure d’enchères, peut être considérée comme un « concurrent » des entreprises destinataires de cette décision et peut donc se prévaloir du droit de recours contre cette décision conformément à
l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, lorsque ladite personne morale, bien qu’elle ne soit pas enregistrée en tant que fournisseur de services de communications électroniques dans l’État membre concerné, n’exerce pas une telle activité et ne dispose pas en son nom propre d’infrastructures à cette fin, est néanmoins la holding d’un groupe qui fournit de tels services sur le territoire de l’Union et qui opère, dans l’État membre concerné par la décision de l’ARN en cause, par
l’intermédiaire d’une filiale enregistrée dans cet État membre en tant que fournisseur desdits services. Par la seconde partie de la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance s’il est nécessaire, pour répondre à la première partie de cette question, d’examiner si la personne morale en cause forme avec la filiale présente sur le marché national concerné par la décision de l’ARN une « unité économique » au sens du droit des ententes de l’Union.
42. Il ressort des considérations exposées aux points 23 à 30 des présentes conclusions que la première question préjudicielle, en limitant le champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre aux seuls concurrents effectifs du ou des destinataires de la décision de l’ARN, est fondée sur une prémisse erronée et doit, pour cette raison, être reformulée.
43. Si l’on considère cette question dans son ensemble, elle doit, à mon avis, être comprise en ce sens que la juridiction de renvoi demande si une personne morale se trouvant dans une situation telle que celle décrite au point 41 des présentes conclusions peut être considérée comme une entreprise qui « fournit [...] des services de communications électroniques » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre et si, pour répondre à cette question, le fait qu’il existe entre cette
personne morale et la filiale opérant sur le marché national concerné une « unité économique » au sens du droit des ententes de l’Union est pertinent.
44. DIGI et la Commission proposent de répondre à cette question par l’affirmative alors que la NMHH suggère une réponse négative.
45. Il convient d’écarter d’emblée la thèse défendue par la NMHH dans ses observations écrites, selon laquelle seules les entreprises destinataires d’une décision telle que celle en cause au principal peuvent attaquer cette décision. À cet égard, il suffit de rappeler que, dans l’arrêt Tele2, la Cour a affirmé, bien que dans un contexte différent, qu’« une interprétation stricte de l’article 4, paragraphe 1, de la [directive-cadre], selon laquelle cette disposition ne conférerait pas un droit de
recours à des personnes autres que les destinataires des décisions des [ARN], serait difficilement compatible avec les objectifs généraux et les principes réglementaires découlant, pour ces [ARN], de l’article 8 de ladite directive, particulièrement avec l’objectif de promotion de la concurrence » ( 23 ). Aucune raison, tenant notamment à la nature de la décision en cause au principal ou aux circonstances factuelles qui caractérisent cette procédure, ne justifie de s’écarter de cette
interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre. Eu égard à la formulation utilisée par la Cour, cette interprétation revêt, par ailleurs, une portée clairement générale.
46. Cela étant, il ressort du point 36 des présentes conclusions que la qualité d’« entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, peut être reconnue à une entreprise qui satisfait aux conditions auxquelles est soumise, dans l’État membre concerné, l’autorisation générale visée à l’article 3, paragraphe 2, première phrase, de la directive-autorisation, même si cette entreprise n’est pas encore
présente sur le marché de cet État membre et n’y est pas encore enregistrée en vertu dudit article 3, paragraphe 2, deuxième phrase. Il découle également du point 38 des présentes conclusions qu’il n’est même pas nécessaire que cette entreprise fournisse effectivement des services de communications électroniques, à condition toutefois de démontrer une réelle intention et une possibilité qui ne soit pas purement hypothétique, mais effective, en matière d’infrastructure et de technologie,
d’intégrer ce marché, que ce soit dans l’État membre concerné ou dans un autre État membre.
47. Il convient, à mon avis, de procéder à une analyse distincte lorsque, comme dans l’affaire au principal, la personne morale qui invoque le droit de recours au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, bien que n’étant pas directement présente sur le marché de la fourniture de services de communications électroniques, est à la tête d’un groupe de sociétés fournissant de tels services. En effet, je n’exclus pas que la qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de
communications électroniques » au sens de cette disposition doive également être reconnue à une telle personne morale. Il est entendu que cette dernière devra, en tout état de cause, démontrer qu’elle est « affectée », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, par la décision en cause, c’est-à-dire, comme le précise la jurisprudence, qu’elle a été atteinte par cette décision dans les droits qu’elle tire de l’ordre juridique de l’Union et, en particulier, des directives en
matière de services de communications électroniques.
48. Deux précisions s’imposent en ce qui concerne la situation envisagée au point précédent.
49. Premièrement, la reconnaissance de la qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, dans le chef d’une société à la tête d’un groupe actif dans la fourniture de ces services, se justifie uniquement en raison de sa présence indirecte sur le marché et ne dépend ni de l’existence d’une éventuelle relation de concurrence avec les destinataires de la décision de l’ARN en cause, ni du fait que cette
société forme avec la filiale présente sur le marché concerné par cette décision une « unité économique » au sens du droit des ententes de l’Union.
50. À ce dernier égard, j’estime qu’une telle circonstance est en tout état de cause dénuée de pertinence, quelle que soit l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre à laquelle la Cour parviendra.
51. La notion d’« unité économique », qui est étroitement liée à la notion fonctionnelle d’« entreprise » au sens des règles en matière d’ententes de l’Union, a été développée dans le but notamment d’identifier à quelle entité imputer une violation de ces règles, et est essentiellement utilisée, dans ce contexte, pour permettre, sous certaines conditions, d’imputer à la société mère le comportement anticoncurrentiel de la filiale, en contournant l’obstacle constitué par la personnalité juridique
distincte de ces entités.
52. Ces notions sont propres au droit des ententes, dans le cadre duquel elles remplissent une fonction à la fois répressive et dissuasive des comportements anticoncurrentiels. Leur « exportation » vers d’autres secteurs du droit de l’Union, même s’agissant de domaines où sont en cause des objectifs de protection de la concurrence, ne me paraît donc pas opportune.
53. Deuxièmement, contrairement à ce que semble affirmer la juridiction de renvoi, le fait d’admettre que la qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, puisse également être reconnue à des entreprises qui ne sont pas directement présentes sur le marché de ces services et, en particulier, à la société holding d’un groupe fournissant lesdits services, n’a pas pour conséquence, dans des
circonstances telles que celles de l’affaire au principal, de permettre « un contournement des règles de la procédure de mise en concurrence ». En effet, la reconnaissance éventuelle, dans le chef d’une telle entité, du droit de recours contre la décision par laquelle l’ARN a procédé à l’attribution de droits d’utilisation de fréquences à l’issue d’une telle procédure n’exclut pas la possibilité d’opposer à celle-ci, lorsqu’elle a présenté une candidature en son nom propre, les motifs
d’exclusion qui s’appliqueraient à la société faisant partie du groupe qui est active sur le marché concerné par la procédure de mise en concurrence, s’il s’avérait que cette candidature a été présentée dans le seul but de contourner les conditions d’admission à la procédure.
54. En d’autres termes, si le droit de recours contre la décision d’une ARN, prévu à l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, ne découle pas nécessairement du statut de partie à la procédure administrative qui a conduit à l’adoption de cette décision, il n’implique pas non plus automatiquement un droit de participer à cette procédure.
55. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu, selon moi, de répondre à la première question préjudicielle, telle que reformulée, que l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit être interprété en ce sens que ne s’opposent pas à la reconnaissance de la qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de cette disposition, à une entreprise satisfaisant aux conditions auxquelles est soumise l’autorisation générale
visée à l’article 3, paragraphe 2, première phrase, de la directive‑autorisation dans l’État membre dont relève l’ARN ayant adopté la décision en question, d’une part, le fait que cette entreprise ne soit pas encore présente sur le marché de cet État membre et qu’elle n’y soit pas enregistrée en vertu dudit article 3, paragraphe 2, deuxième phrase, et, d’autre part, le fait que celle-ci ne fournisse pas effectivement de services de communications électroniques, à condition toutefois de démontrer
une réelle intention et une possibilité qui ne soit pas purement hypothétique, mais effective, en matière d’infrastructure et de technologie, d’intégrer, dans l’État membre concerné, le marché de ces services. La qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, peut également être reconnue à une personne morale qui, bien que n’exerçant pas directement une activité de fourniture de services de
communications électroniques, constitue la holding d’un groupe fournissant de tels services.
C. Sur la deuxième question préjudicielle
56. Par la première partie de la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande en substance si une procédure d’enchères, menée par une ARN conformément à l’article 7 de la directive-autorisation, ainsi que la décision constatant le résultat de cette procédure d’enchères visent à sauvegarder la concurrence. Il ressort de la décision de renvoi que, en formulant cette question, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) s’est fondée en particulier sur le point 39 de l’arrêt
T-Mobile, rappelé au point 29 des présentes conclusions, en partant de la prémisse selon laquelle, pour qu’une entreprise concurrente du ou des destinataires de la décision de l’ARN concernée puisse être considérée comme étant affectée au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, cette décision doit avoir été adoptée dans le cadre d’une procédure visant à sauvegarder la concurrence.
57. Il ne fait pas de doute, comme l’a d’ailleurs relevé la juridiction de renvoi elle-même, qu’une procédure d’enchères telle que celle en cause au principal, ouverte conformément à l’article 7 de la directive-autorisation dans un contexte où il est nécessaire de limiter le nombre des droits d’utilisation des radiofréquences à octroyer, poursuit, entre autres objectifs primordiaux, la protection de la concurrence.
58. Cela découle non seulement de l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive-autorisation, qui exige expressément que l’État membre concerné prenne dûment en considération la nécessité de stimuler la concurrence, mais également de cet article 7, paragraphe 3.
59. En vertu de cette disposition, les critères de sélection objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés, sur la base desquels les droits d’utilisation de radiofréquences doivent être octroyés, « doivent dûment prendre en considération la réalisation des objectifs de l’article 8 de la [directive-cadre] ». Or, parmi ces objectifs, cet article 8, paragraphe 2, inclut la promotion de la concurrence dans la fourniture des réseaux de communications électroniques, des services de
communications électroniques et des ressources et services associés. Le point b) de ce paragraphe précise que la poursuite de cet objectif s’effectue notamment « en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques ».
60. Je rappelle en outre qu’en ce qui concerne l’article 8 de la directive-cadre, la Cour a précisé que cette disposition assignait aux États membres l’obligation de s’assurer que les ARN prennent toutes les mesures raisonnables visant à promouvoir la concurrence dans la fourniture des services de communications électroniques, en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques et en supprimant les derniers obstacles à la fourniture
desdits services au niveau de l’Union ( 24 ).
61. Plus généralement, la Cour a jugé que le nouveau cadre réglementaire commun aux services de communications électroniques, aux réseaux de communications électroniques ainsi qu’aux ressources et aux services associés, dont la directive-cadre et la directive-autorisation font partie, « est, notamment, fondé sur un objectif de concurrence effective et non faussée et vise à son développement, dans le respect en particulier des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité » ( 25 ).
62. Il s’ensuit que l’objectif de protection de la concurrence énoncé à l’article 8 de la directive-cadre non seulement préside à la définition des critères d’admission à une procédure ouverte au titre de l’article 7 de la directive-autorisation, mais transparaît également dans la décision d’attribution de réseaux et de services de communications électroniques dont la disponibilité est limitée.
63. Par la seconde partie de la deuxième question préjudicielle, formulée en cas de réponse affirmative à la première partie de cette question, la juridiction de renvoi demande si l’objectif de sauvegarde de la concurrence de la décision mettant fin à une procédure d’attribution visée à l’article 7 de la directive‑autorisation est remis en cause par le fait que l’ARN, par une décision distincte devenue définitive, a refusé d’enregistrer la candidature de l’entreprise qui introduit un recours
juridictionnel contre cette décision.
64. Il ressort de la décision de renvoi que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) entend en substance interroger la Cour sur les conséquences de l’exclusion définitive d’une entreprise d’une procédure d’attribution de droits d’utilisation de radiofréquences sur la qualité de cette entreprise pour agir contre la décision adoptée à l’issue de cette procédure. En particulier, cette juridiction se demande si le fait que cette exclusion ait privé l’entreprise concernée de la possibilité de
compter parmi les destinataires de cette décision remet en cause, « du point de vue de cette entreprise », l’objectif de sauvegarde de la concurrence poursuivi par la décision, dans la mesure où celle-ci ne serait pas susceptible de modifier directement sa position sur le marché en ce qui concerne les droits d’utilisation de radiofréquences en question.
65. Il me semble clair que la circonstance évoquée par la juridiction de renvoi n’est pas susceptible, en soi, de remettre en cause l’objectif de protection de la concurrence auquel doit tendre l’attribution des droits d’utilisation de radiofréquences.
66. Certes, l’exclusion d’une entreprise de la procédure de sélection ayant abouti à la décision d’attribution peut, dans un cas concret, affecter la réalisation effective de cet objectif, en particulier si elle intervient en application de critères ne remplissant pas les conditions prévues à l’article 7 de la directive-autorisation.
67. Dans ce cas, il est possible que cette décision ne soit pas pleinement conforme, voire contrevienne audit objectif de protection d’une concurrence effective et non faussée. Toutefois, cela ne change rien au fait que ce dernier demeure l’une des principales finalités que la directive-cadre et la directive‑autorisation assignent à une telle décision.
68. En réalité, par la seconde partie de la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite plutôt interroger la Cour sur la question de savoir si l’exclusion définitive d’une entreprise ayant présenté sa candidature à la procédure de sélection est susceptible d’influer sur la qualité et/ou l’intérêt de cette entreprise à agir contre la décision finale d’attribution, et dans quelle mesure cette incidence dépend du fait que cette décision et son éventuelle annulation ne sont pas
susceptibles de modifier la position de cette entreprise sur le marché telle qu’elle est déterminée au moment de son exclusion.
69. Cette question est posée, sous un angle différent, dans la seconde partie de la quatrième question préjudicielle et sera donc analysée dans ce cadre.
70. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu, selon moi, de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens qu’une procédure d’enchères organisée par une ARN conformément à l’article 7 de la directive‑autorisation ainsi que la décision de cette autorité constatant le résultat de cette procédure poursuivent un objectif de protection d’une concurrence effective et non faussée.
D. Sur la troisième question préjudicielle
71. Par la première partie de la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour des précisions sur la condition relative à l’incidence que la décision de l’ARN doit avoir sur la situation de l’entreprise fournisseur de réseaux ou de services de communications électroniques pour que cette entreprise puisse être considérée comme « affectée » par cette décision au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre. En particulier, la Fővárosi
Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) demande si cette entreprise est tenue de démontrer que sa position sur le marché est « directement affectée » par la décision de l’ARN ou s’il suffit, à cette fin, qu’une telle incidence soit « très probable », voire seulement indirecte.
72. À cet égard, il est vrai, comme l’a relevé la juridiction de renvoi, que, dans l’arrêt Tele2, la Cour a interprété l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre en ce sens que les entreprises concurrentes d’une entreprise (précédemment) puissante sur le marché pertinent disposent d’un droit de recours contre la décision prise par une ARN dans le cadre d’une procédure d’analyse de marché visée à l’article 16 de la même directive dès lors qu’elles « sont défavorablement affecté[e]s dans leurs
droits par celle-ci » ( 26 ), laissant entendre qu’une affectation directe de la position de ces entreprises sur le marché est nécessaire.
73. Toutefois, au point 39 de l’arrêt Tele2, la Cour a jugé qu’il y a lieu de considérer comme « affectés » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre « les utilisateurs et les entreprises concurrents d’une entreprise (précédemment) puissante sur le marché concerné lorsque les droits de ceux-ci sont potentiellement affectés par une telle décision ».
74. En outre, dans l’arrêt T-Mobile, la Cour a précisé que cette disposition vise tant le destinataire de la décision de l’ARN en cause que les autres entreprises qui fournissent des réseaux ou des services de communications électroniques et qui peuvent être des concurrents de ce destinataire, pour autant que la décision en cause est « susceptible d’avoir une incidence » sur leur position sur le marché ( 27 ), expression qui pourrait inclure également une incidence seulement indirecte.
75. De même, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler dans les présentes conclusions, dans l’arrêt Arcor, en se référant au point 39 de l’arrêt Tele2, la Cour a précisé qu’un bénéficiaire, n’étant pas destinataire d’une décision de l’ARN, acquiert la qualité de « partie touchée », au sens de l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387, remplacé par l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, lorsque ses droits sont « potentiellement affectés » par une telle décision en raison,
d’une part, de son contenu et, d’autre part, de l’activité exercée ou envisagée par cette partie ( 28 ).
76. À la lumière de la jurisprudence citée aux points précédents des présentes conclusions, il convient selon moi, d’une part, d’exclure que, pour se prévaloir du droit de recours au titre de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, l’entreprise en question doive démontrer que la décision de l’ARN qu’elle entend attaquer affecte de manière certaine, directe et effective sa position sur le marché. En particulier, il convient à mon avis d’écarter la thèse défendue par la NMHH, selon laquelle,
dans le cadre d’une procédure d’enchères telle que celle en cause au principal, le droit d’introduire un recours contre la décision prise par l’ARN à l’issue de cette procédure appartient uniquement à l’entreprise ou aux entreprises ayant présenté une candidature valide en vue de participer à cette procédure, dans la mesure où seules ces entreprises seraient en mesure de démontrer un préjudice direct et effectif résultant de cette décision. Par ailleurs, dans la mesure où lesdites entreprises
seraient, en tout état de cause, destinataires de la décision de l’ARN constatant le résultat de la procédure de sélection, cette thèse me semble contredite par l’affirmation de la Cour selon laquelle une interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, selon laquelle cette disposition ne conférerait pas un droit de recours à des personnes autres que les destinataires des décisions des ARN, serait incompatible avec les objectifs généraux et les principes réglementaires
découlant, pour ces autorités, de l’article 8 de ladite directive, particulièrement avec l’objectif de promotion de la concurrence ( 29 ).
77. D’autre part, il ressort notamment de la référence au contenu de la décision de l’ARN en cause et à l’activité exercée ou envisagée par l’entreprise en question qu’il ne suffit pas pour cette dernière d’invoquer une quelconque incidence indirecte de cette décision sur sa position sur le marché. Seule une atteinte aux droits que cette entreprise tire de l’ordre juridique de l’Union, notamment des directives en matière de services de communications électroniques, qui découle directement du contenu
de ladite décision et qui, sans être certaine et effective, est néanmoins susceptible de se réaliser de manière raisonnablement probable, peut, à mon avis, faire naître, dans le chef de cette entreprise, le droit de recours visé à l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.
78. Par la seconde partie de la troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’incidence évoquée dans la première partie de cette question est à elle seule démontrée par le fait que l’entreprise concernée a présenté une offre dans la procédure d’enchères, mais qu’elle a été exclue de cette procédure au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions requises.
79. À cet égard, je considère qu’une entreprise qui relève de la notion d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, qui a présenté une offre pour participer à une procédure de sélection aux fins de l’attribution de droits d’utilisation de fréquences, doit être considérée comme « affectée » au sens de cette disposition par la décision constatant le résultat de la procédure de sélection même si elle a été
exclue de cette procédure au motif qu’elle ne satisfaisait pas à la condition d’admission tirée de l’absence de condamnation pour violation des règles de concurrence pendant un certain laps de temps avant l’ouverture de la procédure d’enchères.
80. La question de savoir si et de quelle manière la circonstance qu’une telle exclusion a été déclarée par décision de l’ARN, devenue définitive à la suite du rejet du recours juridictionnel formé par l’entreprise concernée, influe sur le droit de recours de cette dernière contre la décision constatant le résultat de la procédure de sélection sera abordée lors de l’examen de la quatrième question préjudicielle.
81. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la troisième question préjudicielle que l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit être interprété en ce sens que, pour bénéficier du droit de recours contre la décision d’une ARN au sens de cette disposition, une entreprise qui fournit des réseaux ou des services de communications électroniques doit démontrer que le contenu de cette décision est susceptible de porter directement atteinte aux
droits qu’elle tire de l’ordre juridique de l’Union, notamment des directives en matière de services de communications électroniques. Si une telle atteinte ne doit pas être nécessairement certaine et effective, elle doit toutefois être susceptible de se réaliser de manière raisonnablement probable. Une entreprise relevant de la notion d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, qui a présenté une
offre pour participer à une procédure de sélection aux fins de l’attribution de droits d’utilisation de fréquences, doit être considérée comme « affectée » au sens de cette disposition par la décision constatant le résultat de la procédure de sélection. Cette entreprise ne perd pas cette qualité d’entreprise « affectée » du seul fait qu’elle a été exclue de ladite procédure au motif qu’elle ne remplissait pas la condition d’admission tirée de l’absence de condamnation pour violation des règles
de concurrence pendant un certain laps de temps avant l’ouverture de la procédure d’enchères.
E. Sur la quatrième question préjudicielle
82. Par la quatrième question préjudicielle, qui est elle-même subdivisée en deux sous-questions, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si est une « entreprise affectée » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre, et qui dispose d’un droit de recours contre la décision d’une ARN constatant le résultat d’une procédure de sélection en vue de l’attribution de droits d’utilisation de radiofréquences, une entreprise qui, d’une part, n’exerce pas une activité de
prestation de services de communications électroniques dans l’État membre concerné autrement que par l’intermédiaire d’une filiale (première sous‑question), et qui, d’autre part, a été exclue de la procédure de sélection par une décision définitive de l’ARN, intervenue avant l’adoption de ladite décision (seconde sous-question).
83. En ce qui concerne la première sous-question, je me contenterai de renvoyer aux considérations exposées aux points 23 à 30 et 45 à 55 des présentes conclusions.
84. S’agissant de la seconde sous-question, conformément aux conclusions auxquelles je suis déjà parvenu dans le cadre de l’examen de la troisième question préjudicielle, je considère que l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’une entité qui participe à une procédure d’enchères organisée par une ARN conformément à l’article 7 de la directive-autorisation en vue de l’attribution de droits d’utilisation de
fréquences dispose d’un droit de recours contre les décisions de l’ARN adoptées dans le cadre de cette procédure, qu’il s’agisse de décisions dont cette entité est destinataire, comme dans le cas d’une décision d’exclusion de la procédure, ou, lorsque les conditions prévues par l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre sont remplies, de décisions dont elle n’est pas directement destinataire.
85. Je précise par ailleurs que, à mon avis, s’agissant, comme dans l’affaire au principal, du recours d’une entreprise exclue d’une telle procédure contre la décision finale d’attribution, la qualité pour agir de cette entreprise, lorsqu’il est établi qu’elle remplit les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, est indépendante du caractère définitif ou non de la décision d’exclusion ( 30 ).
86. En l’espèce, il me semble que l’examen de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) relève de la question de savoir si DIGI attaque la décision d’attribution afin de remettre en cause son exclusion de la procédure d’enchères, en contestant l’application à son égard d’un critère d’exclusion illégal, ou bien si elle remet en cause la légalité de l’attribution des fréquences intervenue sur la base d’un dossier de consultation contenant des critères qui ne sont pas objectifs, transparents,
proportionnés et non discriminatoires, lesquels ont en fait empêché sa filiale de participer à la procédure. Dans ce dernier cas, elle aurait qualité pour agir en tant qu’entreprise mère et non en tant que participante évincée.
87. S’agissant de l’intérêt de DIGI à agir contre la décision d’attribution, d’une part, je relève qu’il ne semble pas exclu, sous réserve de confirmation par la juridiction de renvoi, qu’à l’issue des recours extraordinaires introduits par DIGI devant l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle, Hongrie), la légalité de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision d’exclusion de cette entreprise de la procédure d’enchères ou le caractère équitable de la procédure judiciaire
qui en a résulté soient remis en cause. D’autre part, j’observe qu’il n’est pas exclu, sous réserve toujours de confirmation par la juridiction de renvoi, que l’examen au fond du recours de DIGI puisse conduire à invalider la décision d’attribution et la procédure d’enchères dans son ensemble, ce qui impliquerait de réitérer cette procédure, à laquelle DIGI Kft. pourrait cette fois participer en raison de l’expiration du délai prévu aux fins de l’application du chef d’exclusion visé à
l’article 61, sous n), du dossier de consultation.
88. La NMHH estime que l’invocation par DIGI d’un droit de recours fondé sur l’article 4 de la directive-cadre contre la décision constatant le résultat de la procédure d’enchères a un caractère abusif en ce qu’elle vise à contourner les limites liées à la chose jugée acquise à l’issue du recours formé contre la décision de l’exclure de la procédure d’enchères.
89. À cet égard, je relève que, s’il n’est pas exclu a priori que la participation à une procédure ouverte par une ARN sur le fondement des dispositions du droit de l’Union et l’invocation consécutive d’un droit de recours contre les décisions prises dans ce contexte par ladite autorité puissent, lorsque les conditions prévues par la jurisprudence de la Cour sont réunies ( 31 ), donner lieu à un abus de droit, en l’occurrence, il ne me semble pas que ce soit le cas dans une telle hypothèse.
90. En effet, d’une part, on ne saurait considérer que DIGI a agi de manière abusive du seul fait qu’elle a présenté une candidature à la procédure d’enchères en son nom propre, et non par l’intermédiaire de DIGI Kft. Il en irait de même si son intention réelle était de transmettre à cette dernière les droits éventuellement acquis à l’issue de cette procédure, à tout le moins dans la mesure où DIGI partait du principe que la disposition du dossier de consultation déterminant l’exclusion de fait de
sa filiale de la procédure d’enchères était illégale. D’autre part, contrairement à ce que soutient la NMHH, en se fondant sur l’article 4 de la directive-cadre pour justifier son droit de recours, DIGI cherche à faire reconnaître son droit de participer à la procédure d’enchères – droit dont elle estime avoir été privée en violation des règles du droit de l’Union – et non à se prévaloir frauduleusement ou abusivement de ces normes en vue d’obtenir un avantage indu ( 32 ). S’il s’avère que les
dispositions de la loi hongroise en matière de chose jugée s’opposent à l’examen des moyens soulevés par DIGI dans le cadre d’un tel recours, ce dernier pourra, pour cette seule raison, être déclaré totalement ou partiellement irrecevable, mais l’introduction de ce recours ne peut être considérée comme une pratique abusive au seul motif qu’il peut être frappé d’une telle forclusion.
91. Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, et dans quelle mesure, l’exception de chose jugée s’applique au recours dont elle est saisie.
92. DIGI fait valoir que, en se prononçant dans le cadre du recours introduit par cette dernière contre l’arrêt de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale) qui a confirmé la décision de la NMHH de l’exclure de la procédure d’enchères, la Kúria (Cour suprême) aurait méconnu, en violation de l’article 267 TFUE tel qu’interprété par la Cour ( 33 ), l’obligation qui lui incombe en tant que juridiction statuant en dernier ressort de saisir la Cour à titre préjudiciel comme DIGI le lui
demandait. Elle estime que, dans ces conditions, conformément à la solution retenue par la Cour dans l’arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini ( 34 ), il convient en l’espèce de laisser inappliquées les règles nationales en matière d’autorité de la chose jugée afin d’assurer le plein effet des normes du droit de l’Union.
93. À cet égard, il suffit de rappeler qu’en vertu d’une jurisprudence constante, compte tenu de l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettrait de remédier à une situation nationale incompatible
avec ce droit ( 35 ). Il s’ensuit que, s’il résulte de l’arrêt Lucchini que la décision d’une juridiction nationale passée en force de chose jugée ne peut être invoquée pour faire obstacle à l’exercice de la compétence exclusive d’une institution de l’Union, il n’existe pas, en dehors d’un tel cas, une telle obligation d’inapplication.
94. Toutefois, il résulte également d’une jurisprudence constante que, si les règles de procédure internes applicables comportent la possibilité, sous certaines conditions, pour le juge national de revenir sur une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée pour rendre la situation compatible avec le droit national, cette possibilité doit, conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, prévaloir, si ces conditions sont réunies, afin que soit restaurée la conformité de la situation
en cause au droit de l’Union ( 36 ). Il appartient, dans ce cas également, à la juridiction nationale d’apprécier si cette possibilité existe dans le litige dont elle est saisie et si les conditions auxquelles elle est subordonnée sont satisfaites ( 37 ).
95. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient, à mon avis, de répondre à la quatrième question préjudicielle que l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit être interprété en ce sens qu’une entité qui participe à une procédure d’enchères organisée par une ARN conformément à l’article 7 de la directive-autorisation en vue de l’attribution de droits d’utilisation de fréquences dispose d’un droit de recours contre les décisions de l’ARN adoptées dans le cadre de cette procédure,
qu’il s’agisse de décisions dont cette entité est destinataire ou, lorsque les conditions, prévues par ledit article 4, paragraphe 1, sont remplies, de décisions dont elle n’est pas directement destinataire. La qualité pour agir d’une entreprise exclue d’une telle procédure contre la décision finale d’attribution des fréquences ne dépend pas du caractère définitif ou non de la décision d’exclusion, s’il apparaît que cette entreprise remplit les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, de
la directive-cadre.
IV. Conclusion
96. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) :
1) L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »),
doit être interprété en ce sens que :
– ne s’opposent pas à la reconnaissance de la qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de cette disposition, à une entreprise satisfaisant aux conditions auxquelles est soumise l’autorisation générale visée à l’article 3, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive
« autorisation ») dans l’État membre dont relève l’autorité réglementaire nationale (ARN) ayant adopté la décision en question, d’une part, le fait que cette entreprise ne soit pas encore présente sur le marché de cet État membre et qu’elle n’y soit pas enregistrée en vertu dudit article 3, paragraphe 2, deuxième phrase, et, d’autre part, le fait que celle-ci ne fournisse pas effectivement de services de communications électroniques, à condition toutefois de démontrer une réelle intention
et une possibilité qui ne soit pas purement hypothétique, mais effective, en matière d’infrastructure et de technologie, d’intégrer, dans l’État membre concerné, le marché de ces services. Cette qualité d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques » peut également être reconnue à une personne morale qui, bien que n’exerçant pas directement une activité de fourniture de services de communications électroniques, constitue la holding d’un groupe fournissant de
tels services ;
– pour bénéficier du droit de recours contre la décision d’une ARN au sens de cette disposition, une entreprise qui fournit des réseaux ou des services de communications électroniques doit démontrer que le contenu de cette décision est susceptible de porter directement atteinte aux droits qu’elle tire de l’ordre juridique de l’Union, notamment des directives en matière de services de communications électroniques. Si une telle atteinte ne doit pas être nécessairement certaine et effective,
elle doit toutefois être susceptible de se réaliser de manière raisonnablement probable. Une entreprise relevant de la notion d’« entreprise qui fournit [...] des services de communications électroniques », au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21, qui a présenté une offre pour participer à une procédure de sélection aux fins de l’attribution de droits d’utilisation de fréquences, doit être considérée comme « affectée » au sens de cette disposition par la décision
constatant le résultat de la procédure de sélection. Cette entreprise ne perd pas cette qualité d’entreprise « affectée » du seul fait qu’elle a été exclue de cette procédure au motif qu’elle ne remplissait pas la condition d’admission tirée de l’absence de condamnation pour violation des règles de concurrence pendant un certain laps de temps avant l’ouverture de la procédure d’enchères ;
– une entité qui s’est portée candidate à une procédure d’enchères organisée par une ARN conformément à l’article 7 de la directive 2002/20 en vue de l’attribution de droits d’utilisation de radiofréquences dispose d’un droit de recours contre les décisions de l’ARN adoptées dans le cadre de cette procédure, qu’il s’agisse de décisions dont cette entité est destinataire, comme dans le cas d’une décision d’exclusion de la procédure, ou, lorsque les conditions prévues par l’article 4,
paragraphe 1, de la directive 2002/21 sont remplies, de décisions dont elle n’est pas directement destinataire. La qualité pour agir d’une entreprise exclue d’une telle procédure contre la décision finale d’attribution des fréquences ne dépend pas du caractère définitif ou non de la décision d’exclusion, lorsqu’il est établi que cette entreprise remplit les conditions prévues à cet article 4, paragraphe 1.
2) Une procédure d’enchères organisée par une ARN conformément à l’article 7 de la directive 2002/20 ainsi que la décision de cette autorité constatant le résultat de cette procédure poursuivent un objectif de protection d’une concurrence effective et non faussée.
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( 1 ) Langue originale : l’italien.
( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33).
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive « autorisation ») (JO 2002, L 108, p. 21).
( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques (JO 2009, L 337, p. 37).
( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen (refonte) (JO 2018, L 321, p. 36).
( 6 ) Aux termes de l’article 61, sous n), du dossier de consultation, étaient exclues de la procédure d’enchères les entités destinataires, dans les 24 mois précédant l’ouverture de la procédure, d’une décision administrative définitive constatant la violation de l’interdiction des accords restrictifs de concurrence, d’abus de position dominante ou des règles en matière de concentration.
( 7 ) C‑426/05, ci-après l’« arrêt Tele2 , EU:C:2008:103.
( 8 ) C‑55/06, ci-après l’« arrêt Arcor , EU:C:2008:244.
( 9 ) C‑282/13, ci-après l’« arrêt T‑Mobile , EU:C:2015:24.
( 10 ) Il s’agissait, respectivement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tele2, d’une décision adoptée par une ARN dans le cadre d’une procédure d’analyse de marché prévue à l’article 16 de la directive-cadre, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Arcor [sur l’interprétation de l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative à l’établissement du marché intérieur des services de télécommunication par la mise en œuvre de la fourniture d’un
réseau ouvert de télécommunication (JO 1990, L 192, p. 1), telle que modifiée par la directive 97/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997], de la décision de l’ARN approuvant les tarifs pratiqués par l’opérateur de réseau téléphonique fixe pour l’accès dégroupé à sa boucle locale, et, enfin, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt T‑Mobile, d’une décision modifiant l’attribution de fréquences.
( 11 ) Voir, en ce sens, arrêt Tele2 (point 32), arrêt Arcor (points 175 et 176), ainsi que arrêt T‑Mobile (point 34). Voir également arrêt du 13 octobre 2016, Polkomtel (C‑231/15, EU:C:2016:769, points 20 et 24).
( 12 ) Voir arrêt Tele2 (point 36).
( 13 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale (JO 2000, L 336, p. 4). L’article 2, sous b), de ce règlement définit comme « “bénéficiaire”, une tierce partie dûment autorisée, conformément à la directive 97/13/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications (JO 1997,
L 117, p. 15)], ou habilitée à fournir des services de télécommunications en vertu de la législation nationale, et qui remplit les conditions nécessaires pour bénéficier d’un accès dégroupé à la boucle locale ».
( 14 ) Voir arrêt Arcor (point 177).
( 15 ) Voir, en ce sens, concernant l’application de l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387 aux bénéficiaires au sens de l’article 2, sous b), du règlement no 2887/2000, arrêt Arcor (point 176).
( 16 ) Arrêt T-Mobile (point 37).
( 17 ) Aux termes de la définition figurant dans cette disposition, on entend par « utilisateur »« une personne physique ou morale qui utilise ou demande un service de communications électroniques accessible au public ».
( 18 ) Dans l’arrêt du 30 avril 2014, UPC DTH (C‑475/12, EU:C:2014:285, points 55 et 57), la Cour a évité de donner une définition générale de la notion de « fournisseur de “services de communications électroniques” » au sens de la directive-cadre, préférant en cela suivre une approche casuistique.
( 19 ) Voir considérants 3 et 4 de la directive-autorisation.
( 20 ) Voir considérant 7 de la directive-autorisation.
( 21 ) Conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la directive-autorisation, on entend par « autorisation générale »« un cadre juridique mis en place par l’État membre, qui garantit le droit de fournir des réseaux ou des services de communications électroniques et qui fixe les obligations propres au secteur pouvant s’appliquer à tous les types de réseaux et de services de communications électroniques, ou à certains d’entre eux [...] ».
( 22 ) En l’espèce, la NMHH a précisé à l’audience que la notification n’était pas une condition requise pour participer à la procédure d’enchères.
( 23 ) Voir arrêt Tele2 (point 38).
( 24 ) Voir arrêt du 26 juillet 2017, Persidera (C‑112/16, EU:C:2017:597, point 37 et jurisprudence citée).
( 25 ) Voir arrêt du 26 juillet 2017, Persidera (C‑112/16, EU:C:2017:597, point 42).
( 26 ) Voir arrêt Tele2 (point 48).
( 27 ) Voir arrêt T-Mobile (point 37).
( 28 ) Voir arrêt Arcor (point 176).
( 29 ) Voir arrêt Tele2 (point 38).
( 30 ) En l’absence de données réglementaires en ce sens, je ne considère pas que soit applicable aux procédures ouvertes conformément à l’article 7 de la directive‑autorisation un régime similaire à celui prévu à l’article 2 bis, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics
de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), tel qu’interprété par la Cour. Voir arrêts du 5 septembre 2019, Lombardi (C‑333/18, EU:C:2019:675, point 31), et du 21 décembre 2021, Randstad Italia (C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 75).
( 31 ) Voir arrêt du 8 juin 2017, Vinyls Italia (C‑54/16, EU:C:2017:433, points 52 et 53 ainsi que jurisprudence citée).
( 32 ) Voir arrêts du 28 juillet 2016, Kratzer (C‑423/15, EU:C:2016:604, points 37 à 42), et du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing (C‑294/20, EU:C:2021:723, point 65).
( 33 ) DIGI renvoie, à cet égard, à l’arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑561/19, EU:C:2021:799).
( 34 ) C‑119/05, ci-après l’« arrêt Lucchini , EU:C:2007:434, points 59 à 63.
( 35 ) Voir arrêt du 16 juillet 2020, UR (Assujettissement des avocats à la TVA) (C‑424/19, EU:C:2020:581, points 22 et 23 ainsi que jurisprudence citée).
( 36 ) Voir arrêt du 16 juillet 2020, UR (Assujettissement des avocats à la TVA) (C‑424/19, EU:C:2020:581, point 26 et jurisprudence citée). En outre, étant donné que la violation des droits tirés du droit de l’Union par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort ne peut normalement plus faire l’objet d’un redressement, la Cour a précisé que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’oppose pas à la reconnaissance du principe de la responsabilité d’un État membre du
fait d’une telle décision. Voir arrêt du 29 juillet 2019, Hochtief Solutions Magyarországi Fióktelepe (C‑620/17, EU:C:2019:630, point 39 et jurisprudence citée).
( 37 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 18 décembre 2019, Hochtief (C‑362/18, non publiée, EU:C:2019:1100, point 64 et jurisprudence citée).