ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
14 septembre 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 16 – Régime de l’entrepôt fiscal – Conditions pour l’octroi d’une autorisation pour l’ouverture et l’exploitation d’un entrepôt fiscal par un entrepositaire agréé – Non-respect de ces conditions – Retrait définitif de l’agrément appliqué cumulativement à l’imposition d’une sanction financière – Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe ne bis in idem – Proportionnalité »
Dans l’affaire C‑820/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie), par décision du 9 décembre 2021, parvenue à la Cour le 28 décembre 2021, dans la procédure
« Vinal » AD
contre
Direktor na Agentsia « Mitnitsi »,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour « Vinal » AD, par Me N. Boshnakova-Dimova, аdvоkаt,
– pour Direktor na Agentsia « Mitnitsi », par MM. P. Gerenski et P. Tonev,
– pour le gouvernement bulgare, par Mmes M. Georgieva, T. Mitova, E. Petranova et L. Zaharieva, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. I. Herranz Elizalde, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme A. Collabolletta, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par M. M. Björkland et Mme D. Drambozova, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe d’égalité de traitement et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Vinal » AD, un entrepositaire agréé, au Direktor na Agentsia « Minitsi » (directeur de l’agence des douanes, Bulgarie) au sujet d’une décision par laquelle ce dernier a retiré la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal, au sens de la directive 2008/118, en raison d’un manquement grave au régime de l’accise, qui a également donné lieu à une sanction financière.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2008/118
3 Les considérant 10, 15 et 16 de la directive 2008/118 énonçaient :
« (10) Les modalités de perception et de remboursement des droits [d’accise] ayant une incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur, il convient qu’elles répondent à des critères non discriminatoires.
[...]
(15) Étant donné qu’il faut effectuer des contrôles dans les unités de production et de stockage afin d’assurer que la dette fiscale est perçue, il est nécessaire de conserver un système d’entrepôts, soumis à l’agrément des autorités compétentes, pour faciliter ces contrôles.
(16) Il est également nécessaire de fixer les obligations auxquelles doivent se conformer les entrepositaires agréés ainsi que les opérateurs qui n’ont pas la qualité d’entrepositaire agréé. »
4 L’article 4 de la directive 2008/118 prévoyait :
« Aux fins de la présente directive et de ses modalités d’application, on entend par :
1) “entrepositaire agréé”, une personne physique ou morale autorisée par les autorités compétentes d’un État membre, dans l’exercice de sa profession, à produire, transformer, détenir, recevoir ou expédier des produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits dans un entrepôt fiscal ;
[...]
11) “entrepôt fiscal”, un lieu où les produits soumis à accise sont produits, transformés, détenus, reçus ou expédiés sous un régime de suspension de droits par un entrepositaire agréé dans l’exercice de sa profession dans certaines conditions fixées par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel se situe l’entrepôt fiscal. »
5 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.
6 L’article 8, paragraphe 1, sous a), de ladite directive prévoyait :
« La personne redevable des droits d’accise devenus exigibles est :
a) en ce qui concerne la sortie de produits soumis à accise d’un régime de suspension de droits visée à l’article 7, paragraphe 2, point a) :
i) l’entrepositaire agréé, le destinataire enregistré ou toute autre personne procédant à la sortie des produits soumis à accise du régime de suspension de droits ou pour le compte de laquelle il est procédé à cette sortie ou, en cas de sortie irrégulière de l’entrepôt fiscal, toute autre personne ayant participé à cette sortie ;
[...] »
7 L’article 15 de la même directive était libellé comme suit :
« 1. Chaque État membre détermine sa réglementation en matière de production, de transformation et de détention des produits soumis à accise, dans le respect de la présente directive.
2. La production, la transformation et la détention de produits soumis à accise en suspension de droits d’accise se déroulent dans un entrepôt fiscal. »
8 L’article 16 de la directive 2008/118 prévoyait :
« 1. L’ouverture et l’exploitation d’un entrepôt fiscal par un entrepositaire agréé sont subordonnées à l’autorisation des autorités compétentes de l’État membre dans lequel l’entrepôt fiscal est situé.
Cette autorisation est soumise aux conditions que les autorités sont en droit de fixer afin de prévenir toute forme éventuelle de fraude ou d’abus.
2. L’entrepositaire agréé est tenu :
a) de fournir, le cas échéant, une garantie afin de couvrir les risques inhérents à la production, à la transformation et à la détention des produits soumis à accise ;
b) de se conformer aux obligations prescrites par l’État membre sur le territoire duquel l’entrepôt fiscal est situé ;
c) de tenir, pour chaque entrepôt fiscal, une comptabilité des stocks et des mouvements de produits soumis à accise ;
d) d’introduire dans son entrepôt fiscal et d’inscrire dans sa comptabilité, dès la fin du mouvement, tous les produits soumis à accise circulant sous un régime de suspension de droits, sauf lorsque l’article 17, paragraphe 2, s’applique ;
e) de se prêter à tout contrôle et à toute vérification de ses stocks.
[...] »
9 L’article 15, paragraphe 1, de la directive (UE) 2020/262 du Conseil, du 19 décembre 2019, établissant le régime général d’accise (JO 2020, L 58, p. 4), qui a abrogé la directive 2008/118 avec effet au 13 février 2023, prévoit des dispositions identiques à celles de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118.
La recommandation 2000/789/CE
10 L’article 2, paragraphe 1, de la recommandation 2000/789/CE de la Commission, du 29 novembre 2000, fixant des orientations relatives à l’agrément des entrepositaires, conformément à la directive 92/12/CEE du Conseil en ce qui concerne les produits soumis à accise (JO 2000, L 314, p. 29), indique :
« Bien que les États membres soient invités à appliquer des critères stricts pour l’octroi des agréments aux personnes visées à l’article 1er, il conviendrait d’établir un équilibre entre la facilitation des échanges et l’efficacité des contrôles. »
11 L’article 7 de cette recommandation précise :
« 1. L’agrément ne devrait en principe être annulé ou retiré que pour des motifs graves et après examen minutieux, par les autorités compétentes des États membres, de la situation de l’entrepositaire.
2. L’annulation ou le retrait de l’agrément peut, par exemple, avoir lieu dans les cas suivants :
– non-respect des obligations inhérentes à l’agrément,
– provisions insuffisantes pour la garantie demandée,
– non-respect répété des dispositions en vigueur,
– participation à des actes criminels,
– évasion ou fraude fiscale. »
Le droit bulgare
12 L’article 3, paragraphe 1, point 1, du zakon za aktsizite i danachnite skladove (loi sur les accises et les entrepôts fiscaux), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZADS »), prévoit que les entrepositaires agréés et les personnes enregistrées au titre de cette loi sont des personnes assujetties, au sens de celle-ci.
13 L’article 4, point 18, du ZADS est libellé comme suit :
« Est “grave” l’infraction faisant l’objet d’une décision de sanction administrative définitive infligeant une sanction financière supérieure à 15000 [leva bulgares (BGN) (environ 7600 euros)]. »
14 L’article 47, paragraphe 1, du ZADS dispose :
« L’entrepositaire agréé peut être une personne qui :
[...]
5. n’a pas commis d’infraction grave ou répétée au sens de la présente loi, à l’exception des cas dans lesquels la procédure administrative a pris fin par la conclusion d’une convention. »
15 L’article 53, paragraphes 1 à 4, du ZADS prévoit :
« (1) La licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal cesse de produire ses effets :
[...]
3. en cas de retrait de la licence ;
[...]
(2) La licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal est retirée lorsque :
1. l’entrepositaire agréé ne remplit plus les conditions visées à l’article 47 ; [...]
[...]
(3) La licence prend fin par une décision du directeur de l’agence des douanes, exécutoire par provision à partir de la date de sa délivrance, à moins que le tribunal n’en décide autrement.
(4) La décision au titre du paragraphe 3 peut faire l’objet d’un recours selon les modalités prévues par l’Administrativnoprotsesualen kodeks [(code de procédure administrative)]. »
16 Aux termes de l’article 107h, paragraphe 1, du ZADS :
« Avant l’adoption de la décision de sanction administrative et au plus tard 30 jours à compter de la présentation de l’acte de constat d’infraction au sens de la présente loi, l’autorité dotée du pouvoir de sanction administrative et le contrevenant peuvent conclure une convention mettant fin à la procédure de sanction administrative, sauf si l’acte reproché constitue une infraction pénale. »
17 L’article 112, paragraphe 1, du ZADS dispose :
« Une personne qui, tout en étant redevable, ne prélève pas les droits d’accise, est passible d’une sanction pécuniaire égale au double du montant des droits d’accise non prélevés, sans pouvoir être inférieure à 500 BGN. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Vinal est une société établie en Bulgarie, titulaire d’une licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal lui permettant de produire, d’entreposer, de recevoir et d’expédier des produits alcooliques soumis à accise.
19 Cette société a fait l’objet d’un contrôle fiscal en 2017.
20 Le 22 décembre 2017, l’administration douanière bulgare a émis un avis de redressement fiscal d’un montant de 4261,89 BGN (environ 2180 euros), pour la période allant du 1er janvier 2012 au 3 mai 2017. Cette décision n’a pas été contestée et est devenue définitive le 5 janvier 2018.
21 En outre, pour la période allant du 3 au 10 mai 2017, l’administration douanière bulgare a également adopté un acte de constat d’infraction administrative, commise par ladite société, pour non-respect de l’obligation de prélever les droits d’accise exigibles.
22 Le 24 janvier 2018, l’administration douanière bulgare a, pour ce motif, infligé à Vinal une sanction pécuniaire égale au double du montant des droits d’accise non prélevés, en application de l’article 112, paragraphe 1, du ZADS, soit un montant de 248978 BGN (environ 128000 euros).
23 Cette sanction a été confirmée par un jugement du 16 janvier 2020, devenu définitif.
24 Le 11 février 2020, le directeur de l’agence des douanes a retiré, en raison de ce jugement définitif, la licence d’exploitation de l’entrepôt fiscal qui avait été accordée à Vinal.
25 Cette société a saisi l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie) d’une demande d’annulation de cette décision.
26 Cette juridiction s’interroge sur la conformité de la législation nationale applicable au droit de l’Union, et en particulier à la directive 2008/118.
27 Dans ce contexte, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :
« 1) Comment convient-il d’interpréter l’article 16, paragraphe 1, de la [directive 2008/118] en ce qu’il prévoit que l’autorisation d’ouverture et d’exploitation d’un entrepôt fiscal est soumise aux conditions que les autorités sont en droit de fixer afin de prévenir toute forme éventuelle de fraude ou d’abus ? Quelle doit être la teneur de ces conditions en vue de réaliser les objectifs de prévention de fraude et d’abus ?
2) Comment convient-il d’interpréter l’interdiction de discrimination, au sens du [considérant 10] de la [directive 2008/118] ?
3) Comment convient-il d’interpréter les dispositions indiquées et doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles permettent une réglementation nationale telle que celle qui est prévue aux dispositions combinées de l’article 53, paragraphe 1, point 3, de l’article 47, paragraphe 1, point 5, du ZADS, dans la mesure où celles-ci prévoient un retrait de licence inconditionnel, pour l’avenir, sans délai et illimité dans le temps, simultanément à une sanction déjà infligée pour le même fait ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et troisième questions
28 Par ses première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit le retrait d’une licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal en cas d’infraction au régime de l’accise considérée comme grave par la réglementation nationale, cumulativement à une sanction financière déjà infligée pour les mêmes
faits.
29 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2008/118, chaque État membre détermine sa réglementation en matière de production, de transformation et de détention des produits soumis à accise, dans le respect de celle-ci, le paragraphe 2 de cet article 15 indiquant, en outre, que la production, la transformation et la détention de produits soumis à accise en suspension de droits d’accise se déroulent dans un entrepôt fiscal.
30 En ce qui concerne le régime d’autorisation d’un tel entrepôt, l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118 précise, d’une part, à son premier alinéa, que l’ouverture et l’exploitation d’un entrepôt fiscal par un entrepositaire agréé sont subordonnées à l’autorisation des autorités compétentes de l’État membre dans lequel l’entrepôt fiscal est situé et, d’autre part, à son second alinéa, que cette autorisation est soumise « aux conditions que les autorités sont en droit de fixer afin de
prévenir toute forme éventuelle de fraude ou d’abus ».
31 En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, dans le champ d’application de la directive 2008/118, d’une manière générale, la prévention de la fraude et des abus constitue un objectif commun tant du droit de l’Union que des droits des États membres. En effet, d’une part, ces derniers ont un intérêt légitime à prendre les mesures appropriées pour protéger leurs intérêts financiers et, d’autre part, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif
poursuivi par cette directive, comme les considérants 15 et 16 ainsi que l’article 16 de celle-ci le confirment (voir, en ce sens, arrêts du 13 janvier 2022, MONO, C‑326/20, EU:C:2022:7, points 28 et 32 ainsi que jurisprudence citée, et du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 25).
32 En l’occurrence, il ressort du dossier dont la Cour dispose que tant la sanction financière infligée à Vinal que le retrait de sa licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal ont été adoptés en raison d’une infraction au régime de l’accise commise par celle-ci et considérée comme grave par la réglementation nationale. Or, l’interdiction de commettre une telle infraction correspond par nature à l’une des conditions que les autorités sont en droit de fixer afin de prévenir toute forme éventuelle de
fraude ou d’abus au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118.
33 Il importe, en outre, de relever qu’il ne résulte ni du libellé, ni de l’objectif de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118, ni même des autres dispositions de cette directive qu’un tel système de sanctions ne serait pas conforme à celle-ci.
34 Toutefois, il est également de jurisprudence constante que, si, en l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées, il sont tenus d’exercer leurs compétences dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux parmi lesquels figurent, notamment, le
principe ne bis in idem qui a été consacré à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 13 janvier 2022, MONO, C‑326/20, EU:C:2022:7, point 34 et jurisprudence citée, ainsi que du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 36).
35 Il importe, à cet égard, de rappeler que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de sa question. Il appartient à cet égard à la Cour
d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 19).
Sur le principe ne bis in idem
36 Quant à l’application de l’article 50 de la Charte à l’affaire au principal, il importe de rappeler que le champ d’application de celle-ci, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à son article 51, paragraphe 1, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre
juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais non en dehors de celles-ci [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78 et jurisprudence citée].
37 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les deux mesures en cause au principal sanctionnent la violation de règles nationales faisant partie du régime de l’accise qui assurent la transposition de la directive 2008/118.
38 Partant, lorsqu’un État membre adopte de telles mesures, il met en œuvre cette directive et, dès lors, le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Il doit, par conséquent, respecter les dispositions de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 26).
39 Or, selon les termes de l’article 50 de la Charte, « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union [européenne] par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».
40 Le principe ne bis in idem rappelé à cette disposition interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale pour les mêmes faits et contre une même personne (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 24 et jurisprudence citée).
41 Il convient de rappeler que l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem ») (arrêts du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 28, et du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 51).
42 S’agissant de la condition « idem », celle-ci requiert que les faits matériels soient identiques, et non seulement similaires. L’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’évènements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, points 36 et 37).
43 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les mesures en cause au principal ont été adoptées à l’égard d’une même personne morale, à savoir Vinal, et pour les mêmes faits.
44 S’agissant de la condition « bis », il convient de rappeler que, pour qu’une décision judiciaire puisse être regardée comme ayant définitivement statué sur les faits soumis à une seconde procédure, il est nécessaire non seulement que cette décision soit devenue définitive, mais également qu’elle ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 29).
45 En l’occurrence, il semble ressortir des indications fournies par la juridiction de renvoi que tel est bien le cas, la décision de retrait de la licence d’exploitation de l’entrepôt fiscal ayant été adoptée une fois que la décision infligeant la sanction financière, rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire, avait acquis un caractère définitif.
46 Dans ce contexte, aux fins d’établir l’applicabilité de l’article 50 de la Charte, il convient de déterminer si les mesures en cause au principal, à savoir la sanction financière, imposée en application de l’article 112, paragraphe 1, du ZADS, et le retrait de la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal, imposé en application de l’article 53, paragraphe 2, point 1, du ZADS, lu en combinaison avec l’article 47 de celui-ci, peuvent être qualifiées de « sanctions présentant une nature pénale »,
au sens de la Charte.
47 Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la nature pénale de sanctions aux fins de l’application du principe ne bis in idem dépend de trois critères. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (arrêts du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 27, et du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 38).
48 En l’occurrence, s’agissant du premier critère, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que les mesures en cause au principal sont considérées comme des sanctions administratives en droit bulgare.
49 Toutefois, l’application de l’article 50 de la Charte s’étend, indépendamment de la qualification de poursuites et de sanctions pénales en droit interne, à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant un caractère pénal sur le fondement des deux autres critères visés au point 47 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 29, et du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 41).
50 S’agissant du deuxième critère, relatif à la nature même de l’infraction, il implique de vérifier si la mesure en cause poursuit une finalité répressive, sans que la seule circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive soit de nature à lui ôter sa qualification de sanction pénale. En effet, il est dans la nature même des sanctions pénales qu’elles tendent tant à la répression qu’à la prévention de comportements illicites. En revanche, une mesure qui se limite à réparer le
préjudice causé par l’infraction concernée ne présente pas une nature pénale [arrêts du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C‑439/19, EU:C:2021:504, point 89 ; du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 30, et du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 42].
51 En l’occurrence, la sanction financière et la décision de retrait de la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal paraissent poursuivre toutes deux des objectifs tant de dissuasion que de répression des infractions au régime de l’accise et n’ont pas vocation à réparer le préjudice causé par celles-ci.
52 Cela étant, il convient de souligner que la décision de retirer la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal, telle qu’elle est prévue à l’article 53, paragraphe 2, du ZADS, relève spécifiquement du régime de circulation des produits soumis à accise et placés sous un régime suspensif, instauré par la directive 2008/118, dans lequel les entrepositaires agréés jouent un rôle central (voir, par analogie, arrêt du 2 juin 2016, Kapnoviomichania Karelia, C‑81/15, EU:C:2016:398, point 31). En effet,
il ressort de la décision de renvoi qu’une telle décision n’a vocation à s’appliquer qu’aux opérateurs économiques qui sont titulaires d’une autorisation d’agir en tant qu’entrepositaire agréé de produits soumis à accise, au sens de cette directive, en les privant des bénéfices découlant d’une telle autorisation (voir, par analogie, arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 32).
53 Dès lors, une décision de retirer la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal vise non pas le public en général, mais une catégorie particulière de destinataires qui, parce qu’ils exercent une activité spécifiquement réglementée par le droit de l’Union, sont tenus de satisfaire aux conditions requises pour bénéficier d’une autorisation délivrée par les États membres et leur conférant des prérogatives déterminées. Il revient donc à la juridiction de renvoi d’examiner si une telle décision
consiste à priver Vinal de l’exercice de ces prérogatives au motif que l’autorité administrative compétente a estimé que les conditions d’attribution de cette autorisation ne sont plus satisfaites, ce qui militerait en faveur de la constatation que cette même décision ne poursuit pas une finalité répressive (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 33).
54 En revanche, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que la sanction financière infligée à Vinal n’aurait vocation à s’appliquer qu’aux opérateurs économiques titulaires d’une autorisation d’agir en tant qu’entrepositaire agréé de produits soumis à accise, de sorte que les considérations qui précèdent, figurant aux points 52 et 53 du présent arrêt, ne lui seraient pas transposables.
55 S’agissant du troisième critère, relatif au degré de sévérité de la sanction encourue, il importe de constater que ce degré de sévérité doit être apprécié en fonction de la peine maximale prévue aux dispositions pertinentes (arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 46).
56 En l’occurrence, en ce qui concerne, d’une part, la sanction financière, le fait que son montant ne peut être inférieur à 500 BGN (environ 250 euros), qu’il correspond systématiquement au double du montant non prélevé et que la réglementation nationale en cause au principal ne prévoit aucune limite maximale à ce montant, de sorte que, en l’occurrence, a été infligée une sanction d’un montant équivalant à environ 128000 euros, témoigne du caractère sévère de cette sanction (voir, par analogie,
arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 48), qui pourrait suffire pour qu’elle puisse être qualifiée de sanction à caractère pénal.
57 À cet égard, il importe de rappeler qu’une amende de 30 % du montant de la taxe sur la valeur ajoutée due, s’ajoutant au paiement de cette taxe, a pu être considérée comme présentant un degré de sévérité élevé susceptible de conforter l’analyse selon laquelle une telle sanction est de nature pénale au sens de l’article 50 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 33).
58 D’autre part, si le retrait de la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal a certes pour seul effet de priver l’entrepositaire agréé concerné des prérogatives attachées au régime de l’entrepôt fiscal et n’empêche pas cet entrepositaire de continuer à exercer des activités économiques ne requérant pas une telle licence (voir en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 37), les conséquences d’un tel retrait demeurent sévères pour ce dernier dès lors, notamment,
que les effets de cette mesure ne sont pas limités dans le temps (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 47).
59 Il résulte de ce qui précède que les deux mesures en cause au principal sont susceptibles de constituer des sanctions à caractère pénal, ce qu’il incombe néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier sur le fondement des indications qui précèdent.
60 Si tel est le cas, leur cumul engendre, dès lors, une limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte.
61 Ainsi, si, au terme de son examen des conditions précédemment rappelées, la juridiction de renvoi estime que le cumul des deux mesures en cause au principal est constitutif d’une limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte, il lui appartient de déterminer si cette limitation pourrait néanmoins être considérée comme justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 40, et du
23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, points 58 et 59).
62 Conformément à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés. Selon la deuxième phrase de cette disposition, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées auxdits droits et auxdites libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs
d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
63 En l’occurrence, en ce qui concerne, premièrement, les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de la Charte, il convient de relever, d’une part, que l’exigence selon laquelle la possibilité de cumul des sanctions doit être prévue par la loi paraît satisfaite dès lors que le ZADS prévoit explicitement, en cas, notamment, d’infraction considérée comme grave au régime de l’accise, l’application cumulée des deux mesures en cause au principal.
64 D’autre part, il résulte également de la jurisprudence qu’une telle possibilité de cumuler les poursuites et les sanctions ne respecte le contenu essentiel de l’article 50 de la Charte qu’à la condition que la réglementation nationale ne permette pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoie uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes (voir, en
ce sens, arrêts du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 43, et du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 63).
65 En l’occurrence, une telle condition paraît remplie dès lors que les deux mesures en cause au principal n’ont pas le même champ d’application, le retrait d’une licence d’exploitation ne visant que certaines des infractions ayant fait l’objet d’une sanction financière, et que chacune d’elles poursuit des objectifs propres.
66 En ce qui concerne, deuxièmement, les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Charte, dont celle tenant à la nécessité qu’un système de sanctions réponde à un objectif d’intérêt général, il ressort du dossier dont dispose la Cour que le système en cause au principal répond effectivement à un tel objectif en ce qu’il vise à garantir non seulement le bon fonctionnement du régime particulier de suspension des droits d’accise qui repose sur un degré élevé de confiance
entre l’administration et les opérateurs, mais aussi, plus généralement, à lutter notamment contre la fraude fiscale, qui correspond d’ailleurs à un objectif poursuivi par la directive 2008/118 (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2017, Commission/Portugal, C‑126/15, EU:C:2017:504, point 59).
67 Or, eu égard à l’importance que le droit de l’Union accorde à cet objectif d’intérêt général, un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale peut se justifier lorsque ces poursuites et sanctions visent, en vue de la réalisation d’un tel objectif, des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné (voir, par analogie, arrêts du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 44 ; du 20 mars 2018, Garlsson Real
Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 46 ; du 20 mars 2018, Di Puma et Zecca, C‑596/16 et C‑597/16, EU:C:2018:192, point 42, ainsi que du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C‑151/20, EU:C:2022:203, point 52).
68 Tel est a priori le cas de la réglementation nationale en cause au principal. En effet, il paraît légitime qu’un État membre veuille, d’une part, dissuader et réprimer le non-prélèvement des droits d’accise en prévoyant que soit infligée une sanction financière suffisamment élevée et, d’autre part, dissuader et réprimer des manquements graves aux règles gouvernant ce régime par l’adoption d’une sanction complémentaire, comme pourrait l’être le retrait de la licence d’exploitation de
l’entrepositaire agréé ayant commis ces manquements (voir, par analogie, arrêt du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 45). Ainsi qu’il résulte notamment des observations transmises par le gouvernement bulgare, cette seconde mesure traduit la perte de confiance de l’administration douanière dans le respect des règles attachées au fonctionnement d’un entrepôt fiscal, au sens de la directive 2008/118, et sa volonté d’éviter le risque de récidive.
69 S’agissant, enfin, du respect du principe de proportionnalité, il importe de rappeler que celui-ci exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par la réglementation nationale ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par
celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 48 ; du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 66, et du 4 mai 2023, MV – 98, C‑97/21, EU:C:2023:371, point 56).
70 Concernant, d’une part, le caractère approprié d’un tel cumul, il importe de relever que, afin qu’une sanction assure un effet réellement dissuasif, les contrevenants doivent être effectivement privés des avantages économiques découlant des infractions au régime de l’accise et les sanctions doivent permettre de produire des effets proportionnés à la gravité des infractions, de manière à décourager efficacement toute personne de commettre des infractions de même nature (voir, par analogie, arrêt
du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 44).
71 Or, tel paraît être le cas d’un système tel que celui en cause au principal, qui prive l’intéressé du double du montant des droits d’accise non prélevés ainsi que du bénéfice du régime de suspension de tels droits attaché à l’entrepôt fiscal.
72 En outre, un tel système permet d’affaiblir, voire d’éliminer, les considérations économiques susceptibles d’amener les entrepositaires agréés à ne pas respecter le régime de l’accise (voir, par analogie, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 45).
73 Ainsi, ce même système paraît de nature, d’une part, à neutraliser l’avantage financier obtenu grâce à l’infraction et, d’autre part, à inciter les entrepositaires agréés à respecter le régime de l’accise (voir, par analogie, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 46), mais également à limiter les risques de récidive qui peuvent être considérés comme plus importants en cas d’infractions graves.
74 Une réglementation nationale telle que celle en cause au principal semble donc appropriée pour atteindre l’objectif légitime poursuivi de lutte contre la fraude et les abus éventuels (voir, par analogie, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 47).
75 En ce qui concerne, d’autre part, le caractère strictement nécessaire d’un tel cumul de poursuites et de sanctions, il convient d’apprécier, plus particulièrement, s’il existe des règles claires et précises permettant aux justiciables de prévoir quels actes et quelles omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites ainsi que de sanctions, et assurant une coordination entre les différentes autorités, si ces deux procédures ont été menées d’une manière suffisamment coordonnée
et rapprochée dans le temps et si la sanction, le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique, a été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 51,
et du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 67).
76 Il convient encore de préciser que l’exigence selon laquelle l’autorité doit tenir compte de la première sanction à l’occasion de l’évaluation de la seconde sanction s’applique, sans exception, à l’ensemble des sanctions imposées cumulativement et, partant, tant au cumul de sanctions de même nature qu’au cumul de sanctions de natures différentes, tel que celui de sanctions financières et de sanctions limitant le droit d’exercer certaines activités professionnelles (voir, en ce sens, arrêt du
5 mai 2022, BV, C‑570/20, EU:C:2022:348, point 50).
77 En l’occurrence, il semble ressortir du dossier dont dispose la Cour que la réglementation nationale en cause au principal prévoit, de manière claire et précise, dans quelles circonstances une infraction au régime d’accise peut faire l’objet d’un cumul entre une sanction financière et un retrait de la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier. Par ailleurs, il ne semble pas ressortir de ce dossier que ces deux mesures ont été
adoptées par des autorités différentes dont il importerait d’assurer la coordination.
78 Cela étant, il ressort également du dossier dont dispose la Cour que l’administration douanière est légalement tenue de retirer la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal lorsque, comme en l’occurrence, l’entrepositaire agréé a fait l’objet d’une décision définitive le condamnant à une sanction financière d’un montant supérieur à 15000 BGN (environ 7600 euros), un tel montant étant lui-même fixé de manière automatique au double du montant d’accise non prélevé, ainsi qu’il a été rappelé au
point 56 du présent arrêt.
79 Il s’ensuit que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, une réglementation telle que celle en cause au principal ne paraît pas permettre que soit prise en compte la sévérité de la première sanction lors de l’évaluation de la seconde, ni qu’une autorité évalue si le cumul de ces deux sanctions est limité, dans chaque cas d’espèce, au strict nécessaire.
80 Il découle des considérations qui précèdent que, si la sanction financière et la décision de retirer la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal doivent être considérées comme des sanctions de nature pénale, l’article 50 de la Charte est susceptible de s’opposer à ce que la décision retirant à Vinal la licence d’exploitation de son entrepôt fiscal, dont la légalité est contestée devant la juridiction de renvoi, soit appliquée, ce qu’il appartient à cette dernière de vérifier.
Sur le principe de proportionnalité
81 À supposer même que la sanction financière ou la décision de retrait de la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal ne constitue pas une sanction pénale, aux fins de l’application de l’article 50 de la Charte, et que, partant, cet article ne puisse, en aucun cas, s’opposer au cumul de ces deux mesures, cette décision de retrait, qui fait l’objet du litige pendant devant la juridiction de renvoi, devrait encore respecter le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de
l’Union.
82 Ce principe impose aux États membres d’avoir recours à des moyens qui, tout en permettant d’atteindre efficacement l’objectif poursuivi par le droit interne, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire et portent le moins atteinte aux autres objectifs et aux principes posés par la législation de l’Union en cause. La jurisprudence de la Cour précise, à cet égard, que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les
inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, EU:C:1990:391, point 13, ainsi que du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 71).
83 Afin d’apprécier, plus particulièrement, si une sanction est conforme au principe de proportionnalité, il convient notamment de tenir compte de la nature et de la gravité de l’infraction que cette sanction vise à réprimer (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2013, Rodopi-M 91, C‑259/12, EU:C:2013:414, point 38).
84 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que le retrait de la licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal est prononcé par l’administration douanière lorsque l’entrepositaire agréé n’a pas respecté les conditions prévues par la réglementation nationale pour obtenir la licence d’exploitation et que tel est le cas, notamment, lorsque, comme en l’occurrence, cet entrepositaire a commis une infraction qualifiée de « grave » en droit national et ayant fait l’objet d’une sanction financière
définitive.
85 Or, une infraction au régime de l’accise est qualifiée de « grave », en application de l’article 4, point 18, du ZADS, lorsque le manquement au régime de l’accise a donné lieu à une amende d’un montant supérieur à 15000 BGN (environ 7600 euros).
86 Dès lors que, en application de l’article 112, paragraphe 1, du ZADS, la sanction pécuniaire en cause au principal est toujours fixée au double du montant des droits d’accise non prélevés, il semble en résulter qu’un manquement au régime de l’accise est considéré comme « grave » en droit national, ce qui entraîne automatiquement le retrait de la licence d’exploitation, dès que ce manquement, ayant donné lieu à la sanction financière, concerne un montant d’accise non prélevé supérieur à 7500 BGN
(environ 3800 euros), ce qui caractérise une fraude d’une certaine gravité.
87 Cela étant, il importe également de prendre en compte les éventuelles répercussions d’une mesure de retrait, telle que celle en cause au principal, sur le droit légitime de l’entrepositaire agréé à exercer une activité économique (voir, par analogie, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, point 48).
88 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été souligné au point 58 du présent arrêt, les conséquences du retrait de la licence d’exploitation sur les activités économiques de l’entrepositaire agréé apparaissent sévères dès lors qu’un tel retrait n’est pas limité dans le temps.
89 En outre et surtout, il ressort du dossier dont la Cour dispose que la réglementation nationale en cause au principal ne permet pas à l’intéressé d’obtenir ultérieurement une nouvelle licence d’exploitation.
90 Le gouvernement bulgare fait valoir à cet égard que cette interdiction serait justifiée par la nécessité d’éviter le risque de récidive. Toutefois, s’il ne paraît pas injustifié qu’un entrepositaire agréé ayant participé, par exemple, à une fraude à grande échelle soit privé définitivement du bénéfice du régime de suspension des droits attaché à un entrepôt fiscal, tel n’est pas nécessairement le cas pour des infractions moins graves.
91 Il en résulte que, même si la privation du bénéfice du régime de suspension des droits attaché à un entrepôt fiscal semble être une mesure proportionnée par rapport à la gravité d’une infraction, telle que celle visée à l’article 53, paragraphe 2, point 1, du ZADS, il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de déterminer si une exclusion définitive du bénéfice d’un tel régime constitue également une mesure proportionnée eu égard à la gravité de cette infraction.
92 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et troisième questions examinées ensemble que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118, lu en combinaison avec le principe de proportionnalité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit le retrait d’une licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal en cas d’infraction au régime de l’accise considérée comme grave par la réglementation
nationale, cumulativement à une sanction financière déjà infligée pour les mêmes faits, pour autant que ce retrait, eu égard notamment à son caractère définitif, ne constitue pas une mesure disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction.
93 En outre, dans le cas où ces deux sanctions présenteraient un caractère pénal, l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une telle réglementation nationale à condition que :
– la possibilité de cumuler ces deux sanctions soit prévue par la loi ;
– la réglementation nationale ne permette pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoie uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes ;
– ces poursuites et ces sanctions visent des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné, et
– il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et quelles omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, que les deux procédures aient été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et que la sanction, le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique, ait été prise en compte lors de l’évaluation de la
seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul soient limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises.
Sur la deuxième question
94 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter le principe de non-discrimination, au sens du considérant 10 de la directive 2008/118.
95 À cet égard, il importe de rappeler que, aux termes de ce considérant, les modalités de perception et de remboursement des droits ayant une incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur, il convient qu’elles répondent à des critères non discriminatoires.
96 Cependant, il ne ressort aucunement de la décision de renvoi ni du dossier dont la Cour dispose que le litige au principal porte sur les modalités de perception et de remboursement des droits d’accise.
97 Il ne ressort pas non plus de cette décision ni de ce dossier que l’administration douanière bulgare aurait traité Vinal différemment des autres opérateurs se trouvant dans une situation comparable.
98 Dès lors, il importe de rappeler que la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020,
C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].
99 Par conséquent, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences posées à l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour en ce qui concerne sa deuxième question, qui doit être rejetée comme étant irrecevable.
Sur les dépens
100 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
L’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, lu en combinaison avec le principe de proportionnalité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit le retrait d’une licence d’exploitation d’un entrepôt fiscal en cas d’infraction au régime de l’accise considérée comme grave par la réglementation nationale, cumulativement à une
sanction financière déjà infligée pour les mêmes faits, pour autant que ce retrait, eu égard notamment à son caractère définitif, ne constitue pas une mesure disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction.
Dans le cas où ces deux sanctions présenteraient un caractère pénal, l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une telle réglementation nationale à condition que :
– la possibilité de cumuler ces deux sanctions soit prévue par la loi ;
– la réglementation nationale ne permette pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoie uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes ;
– ces poursuites et ces sanctions visent des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné, et
– il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et quelles omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, que les deux procédures aient été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et que la sanction, le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique, ait été prise en compte lors de l’évaluation de la
seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul soient limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.