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19/10/2023 | CJUE | N°C-147/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Központi Nyomozó Főügyészség contre Terhelt5., 19/10/2023, C-147/22


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

19 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Admissibilité de poursuites pénales pour des faits de corruption d’un prévenu dans un État membre après la clôture de la procédure pénale engagée contre lui pour les mêmes faits par le parquet d’un autre État membre – Conditions devant être remplies afin de pouvoir considérer que le

prévenu a été définitivement jugé
– Condition d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire – Exigence d’u...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

19 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Admissibilité de poursuites pénales pour des faits de corruption d’un prévenu dans un État membre après la clôture de la procédure pénale engagée contre lui pour les mêmes faits par le parquet d’un autre État membre – Conditions devant être remplies afin de pouvoir considérer que le prévenu a été définitivement jugé
– Condition d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire – Exigence d’une instruction approfondie – Absence d’interrogation du prévenu »

Dans l’affaire C‑147/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 20 janvier 2022, parvenue à la Cour le 1er mars 2022, dans la procédure pénale contre

Terhelt5,

en présence de :

Központi Nyomozó Főügyészség,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl, J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Terhelt5, par Me B. Gyalog, ügyvéd,

– pour le Központi Nyomozó Főügyészség, par MM. G. Egri et P. Fürcht, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, Mmes K. Szíjjártó et M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mmes J. Schmoll et E. Samoilova, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement suisse, par M. L. Lanzrein et Mme V. Michel, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. B. Béres et M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juillet 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la « CAAS »), ainsi que de
l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée en Hongrie par le Központi Nyomozó Főügyészség (parquet général d’instruction national, Hongrie) (ci-après le « KNF ») contre Terhelt5, un ressortissant hongrois (ci-après l’« inculpé »), essentiellement pour des faits de corruption pour lesquels celui-ci avait déjà fait l’objet de poursuites pénales en Autriche, qui ont donné lieu à un classement sans suite ordonné par le Zentrale Staatsanwaltschaft zur Verfolgung von
Wirtschaftsstrafsachen und Korruption (parquet central chargé des poursuites contre la délinquance financière et la corruption, Autriche) (ci-après le « WKStA »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 54 de la CAAS, figurant au chapitre 3, intitulé « Application du principe ne bis in idem », du titre III de celle-ci, prévoit :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »

4 L’article 57, paragraphe 1, de la CAAS dispose :

« Lorsqu’une personne est accusée d’une infraction par une Partie Contractante et que les autorités compétentes de cette Partie Contractante ont des raisons de croire que l’accusation concerne les mêmes faits que ceux pour lesquels elle a déjà été définitivement jugée par une autre Partie Contractante, ces autorités demanderont, si elles l’estiment nécessaire, les renseignements pertinents aux autorités compétentes de la Partie Contractante sur le territoire de laquelle une décision a déjà été
rendue. »

Le droit hongrois

5 L’article XXVIII, paragraphe 6, de la Magyarország Alaptörvénye (Loi fondamentale de la Hongrie) dispose :

« Sous réserve des cas exceptionnels prévus par la loi relative aux voies de recours, nul ne peut être poursuivi ou condamné en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement pénal définitif en Hongrie ou – dans la mesure déterminée par un traité international ou par un instrument juridique de l’Union européenne – dans un autre État. »

6 En vertu de l’article 4, paragraphe 3, de la Büntetőeljárásról szóló 2017. évi XC. törvény (loi no XC de 2017 sur la procédure pénale), l’action publique ne peut pas être exercée ou, si elle a été engagée, doit être close si l’auteur de l’infraction a déjà fait l’objet d’un jugement définitif, sous réserve des voies de recours extraordinaires et de certaines procédures spéciales.

7 L’article 4, paragraphe 7, de cette loi prévoit que l’action publique ne peut pas être exercée ou, si elle a été engagée, doit être close si l’auteur de l’infraction a déjà fait l’objet d’un jugement définitif dans un État membre de l’Union, ou qu’une décision sur le fond de l’affaire a été adoptée dans un État membre, qui, en vertu du droit de cet État membre, fait obstacle à ce que de nouvelles poursuites pénales soient engagées pour les mêmes faits, ou à ce que la procédure soit poursuivie
d’office ou sur la base des voies de recours ordinaires.

8 L’article 254 de la Büntető Törvénykönyvről szóló 1978. évi IV. törvény (loi no IV de 1978 instituant le code pénal) prévoyait :

« (1)   Quiconque accorde ou promet un avantage indu à un employé ou à un membre d’un organe budgétaire, d’une organisation professionnelle ou d’un organisme social, ou à quelqu’un d’autre dans son intérêt, afin qu’il enfreigne son obligation, commet une infraction et est passible d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à trois ans.

(2)   L’infraction sera punie d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à cinq ans si l’avantage indu est accordé ou promis à un employé ou à un membre d’un organe budgétaire, d’une organisation professionnelle ou d’un organisme social habilité à prendre des mesures de manière autonome. »

Le droit autrichien

9 L’article 190 de la Strafprozessordnung (code de procédure pénale, ci-après la « StPO »), intitulé « Clôture de la procédure d’instruction », est ainsi libellé :

« Le parquet doit mettre fin aux poursuites pénales et clôturer la procédure d’instruction lorsque :

1.   l’infraction à la base de la procédure d’instruction n’est pas passible d’une sanction judiciaire ou il serait illégal, pour des motifs juridiques, de continuer les poursuites contre l’inculpé, ou

2   il n’existe aucun motif réel de continuer les poursuites contre l’inculpé. »

10 Aux termes de l’article 193 de la StPO, intitulé « Poursuite de la procédure » :

« (1)   Une fois la procédure clôturée, aucune autre instruction ne peut être menée contre l’inculpé ; le cas échéant, le parquet ordonne sa libération. Toutefois, si la décision relative à la poursuite de la procédure requiert certains actes d’instruction ou d’administration des preuves, le parquet peut, ponctuellement, en ordonner la réalisation ou les mener à bien.

(2)   Le parquet peut ordonner la poursuite d’une instruction clôturée en vertu des articles 190 ou 191 aussi longtemps que les poursuites pénales relatives à l’infraction ne sont pas prescrites et si :

1. l’inculpé n’a pas été interrogé pour cette infraction [...] et aucune contrainte ne lui a été imposée à cet égard, ou

2. de nouveaux faits ou éléments de preuve surviennent ou apparaissent qui, seuls ou en combinaison avec d’autres résultats de la procédure, semblent propres à justifier la condamnation de l’inculpé [...]

[...] »

11 Conformément à l’article 195 de la StPO, une personne victime d’une infraction peut, sous certaines conditions, demander la poursuite d’une procédure d’enquête qui a été clôturée, aussi longtemps que cette infraction n’est pas prescrite. Si le parquet estime que la demande de la victime est justifiée, il doit poursuivre la procédure indépendamment des exigences prévues à l’article 193, paragraphe 2, point 1 ou point 2 de la StPO.

12 L’article 307 du Strafgesetzbuch (code pénal, ci-après le « StGB »), intitulé « Corruption », dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son paragraphe 1 :

« Quiconque

[...]

6. [...] offre, promet ou procure à un agent public étranger, pour lui‑même ou pour un tiers, un avantage pour accomplir ou ne pas accomplir, en violation de ses devoirs, des actes dans l’exercice de ses fonctions aux fins d’obtenir ou de conserver un marché ou tout autre avantage indu dans des transactions internationales, encourt une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Le 22 août 2012, le WKStA a engagé, en Autriche, une procédure pénale contre deux personnes de nationalité autrichienne, pour suspicion de blanchiment de capitaux, de détournement de fonds et de corruption, au sens de l’article 307, paragraphe 1, point 6, du StGB, ainsi que contre l’inculpé, pour suspicion de corruption, au sens de cette disposition.

14 Les enquêtes portaient sur des faits qui se sont produits entre l’année 2005 et l’année 2010 et qui concernaient des soupçons de versements de pots-de-vin à des agents publics à travers plusieurs sociétés établies dans différents États membres visant à influencer la décision devant être prise dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public ayant pour objet la fourniture de nouvelles rames pour deux lignes de métro à Budapest (Hongrie). Il s’agissait, notamment, de transferts de
sommes d’un montant total de plusieurs millions d’euros, versées en rémunération de services de conseil dont il était soupçonné qu’ils n’avaient jamais été effectivement fournis.

15 L’inculpé, qui aurait eu connaissance du caractère fictif des contrats de conseil et de leur véritable objet, était soupçonné d’avoir cherché à corrompre, dans le but d’obtenir ce marché public, la ou les personnes capables d’influencer les décideurs de celui-ci. Plus précisément, il aurait procédé, entre le 5 avril 2007 et le 8 février 2010, à plusieurs versements provenant d’une société pour un total de plus de sept millions d’euros, à des agents publics auteurs de l’infraction de corruption
passive et restés inconnus.

16 Ces soupçons à l’encontre de l’inculpé reposaient sur des informations fournies par le Serious Fraud Office (Service des fraudes graves, Royaume-Uni) (ci-après le « SFO ») dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire relative à une enquête visant un groupe d’entreprises britanniques, sur l’analyse de données bancaires d’une société autrichienne dont la production a été ordonnée par le WKStA ainsi que sur l’audition des suspects autrichiens mentionnés au point 13 du présent arrêt, qui ont été
entendus en tant que témoins.

17 L’inculpé n’a pas été entendu en tant que suspect dans le cadre de l’enquête menée par le WKStA, dès lors que la mesure d’instruction prise par ce parquet le 26 mai 2014 et visant à le localiser s’est avérée infructueuse.

18 Par ordonnance du 3 novembre 2014, le WKStA a mis fin à la procédure d’instruction en la classant sans suite, estimant, en se référant aux résultats des enquêtes menées jusque-là par les autorités autrichiennes, britanniques et hongroises, qu’il n’existait pas de motif réel au maintien des poursuites pénales, au sens de l’article 190, point 2, de la StPO. Ce parquet a considéré que, étant donné qu’il n’y avait aucune preuve étayant que l’un des suspects mentionnés au point 13 du présent arrêt et
l’inculpé avaient effectivement commis des actes de corruption visés à l’article 307, paragraphe 1, point 6, du StGB, ces actes n’avaient pas été établis avec la certitude suffisante pour donner lieu à une condamnation pénale, de sorte qu’un classement sans suite s’imposait.

19 Le WKStA a réexaminé à plusieurs reprises cette décision de classement sans suite, mais a, à chaque fois, dû constater que les conditions d’une poursuite de la procédure, établies aux articles 193 et 195 de la StPO, n’étaient pas réunies dès lors, notamment, que les faits de corruption reprochés à l’inculpé étaient prescrits en Autriche depuis l’année 2015 au plus tard.

20 Les 10 avril et 29 août 2019, le KNF a déposé, auprès de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), la juridiction de renvoi, un réquisitoire sur le fondement duquel des poursuites pénales ont été engagées en Hongrie contre l’inculpé pour des faits de corruption, au sens de l’article 254, paragraphes 1 et 2, de la loi no IV de 1978 instituant le code pénal, mentionnée au point 8 du présent arrêt.

21 Estimant que les faits de corruption reprochés à l’inculpé étaient les mêmes que ceux ayant déjà fait l’objet d’enquêtes conduites en Autriche par le WKStA avant leur classement sans suite par ce parquet, la juridiction de renvoi a, par ordonnance du 8 décembre 2020, mis fin à ces poursuites en application du principe ne bis in idem tel que consacré à l’article 4, paragraphes 3 et 7, de la loi no XC de 2017 sur la procédure pénale, mentionnée au point 6 du présent arrêt.

22 Cette ordonnance a été annulée par une ordonnance de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest, Hongrie), du 15 juin 2021, qui a renvoyé l’affaire à la juridiction de renvoi.

23 Selon la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest), l’ordonnance du WKStA du 3 novembre 2014 mettant fin à l’instruction, mentionnée au point 18 du présent arrêt, ne peut pas être considérée comme étant une décision définitive, au sens de l’article 50 de la Charte et de l’article 54 de la CAAS, dès lors que les documents disponibles ne permettent pas d’établir clairement que cette ordonnance soit fondée sur une appréciation suffisamment approfondie et complète des éléments de
preuve. En particulier, rien ne démontrerait que le WKStA ait recueilli des éléments de preuve en dehors de l’audition des deux suspects autrichiens mentionnés au point 13 du présent arrêt et qu’il ait entendu l’une quelconque des quelque 90 personnes citées par le KNF dans son réquisitoire, en vue de leur audition ou de leur déposition. En outre, l’inculpé n’aurait pas été entendu en tant que suspect.

24 C’est dans ces conditions que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Est-il contraire au principe “non bis in idem” consacré à l’article 50 de la [Charte] et à l’article 54 de la [CAAS] d’exercer des poursuites pénales consistant, par rapport à une procédure pénale qui s’est déjà déroulée dans un État membre de l’Union et qui a été définitivement clôturée par une décision du ministère public mettant fin à l’instruction, à engager, dans un autre État membre, une procédure pénale [contre la] même personne et pour les mêmes faits ?

2) Le fait que des poursuites pénales soient à nouveau engagées dans un autre État membre [contre] la même personne et pour les mêmes faits, lorsque, malgré la décision du ministère public d’un État membre mettant fin à une procédure pénale (instruction), il est possible de poursuivre la procédure d’instruction jusqu’à ce que les faits soient prescrits, mais que le ministère public n’a vu aucune raison de poursuivre la procédure d’office est-il conforme au principe “non bis in idem” consacré à
l’article 50 de la Charte et à l’article 54 de la [CAAS] et ce principe fait-il définitivement obstacle à ce qu’une telle procédure soit ainsi à nouveau engagée ?

3) Le fait que l’instruction est clôturée également à l’[égard] d’un prévenu qui, certes, n’a pas été interrogé en tant que suspect de faits pénaux dont sont suspectées d’autres personnes, mais [contre lequel], en tant que prévenu, des actes d’instruction ont été [menés] et que la clôture de l’instruction est fondée sur les données d’instruction dont il a été pris connaissance à la suite d’une demande d’entraide judiciaire, sur des données fournies en relation avec des comptes bancaires et sur
l’audition des autres suspects, est-il conforme au principe “non bis in idem” consacré à l’article 50 de la Charte et à l’article 54 de la [CAAS] et une telle instruction doit-elle être considérée comme une instruction suffisamment détaillée et approfondie ? »

Sur les questions préjudicielles

25 Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe ne bis in idem consacré à l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit être interprété en ce sens que doit être qualifiée de décision définitive, au sens de ces articles, une décision d’acquittement d’un prévenu prise, dans un premier État membre, à la suite d’une instruction portant essentiellement sur des faits de corruption, lorsque ce
prévenu fait l’objet, pour les mêmes faits, de nouvelles poursuites pénales dans un second État membre et que :

– la décision d’acquittement a été prise par le ministère public du premier État membre sans imposition d’une peine et sans intervention d’une juridiction et a été motivée par la constatation de l’absence de tout élément probant de nature à démontrer que le prévenu a effectivement commis l’infraction qui lui est reprochée ;

– selon le droit national applicable dans le premier État membre, en dépit du caractère définitif d’une telle décision d’acquittement, le ministère public dispose de la faculté de poursuivre la procédure dans des conditions strictement définies, telle la survenance de nouveaux faits ou éléments de preuve significatifs, pour autant que, en tout état de cause, l’infraction n’est pas prescrite, et

– lors de l’instruction, le ministère public du premier État membre a recueilli des données sans toutefois interroger le prévenu, qui est citoyen d’un autre État membre, en tant que suspect dès lors que la mesure d’instruction revêtant le caractère d’une contrainte coercitive et visant à le localiser s’est finalement avérée infructueuse.

26 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem ») (arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod, C‑412/21, EU:C:2023:234, point 51 et jurisprudence citée).

27 S’agissant de la seconde de ces conditions, la juridiction de renvoi se fonde expressément sur la prémisse que, en l’occurrence, celle-ci est remplie.

28 Quant à la première condition, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une personne puisse être considérée comme étant « définitivement jugée », au sens de l’article 54 de la CAAS, d’une part, l’action publique doit avoir été « définitivement éteinte » à la suite de l’adoption de la décision pénale en cause, telle que, en l’occurrence, une décision d’acquittement et, d’autre part, cette décision doit avoir été rendue à la suite d’une « appréciation portée
sur le fond de l’affaire » (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, points 34 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

29 En l’occurrence, en premier lieu, concernant l’exigence selon laquelle l’action publique doit être définitivement éteinte, il y a lieu de rappeler, eu égard aux circonstances visées par les deux premiers tirets mentionnés au point 25 du présent arrêt, que, selon la jurisprudence de la Cour, d’une part, l’article 54 de la CAAS est également applicable à des décisions émanant d’une autorité appelée à participer à l’administration de la justice pénale dans l’ordre juridique national concerné, telle
un parquet, mettant définitivement fin aux poursuites pénales dans un État membre, sans l’imposition d’une peine et bien que de telles décisions soient adoptées sans l’intervention d’une juridiction et ne prennent pas la forme d’un jugement. D’autre part, l’appréciation de cette exigence doit être opérée sur la base du droit de l’État contractant ayant rendu la décision pénale en cause et doit assurer que la décision en cause donne lieu, dans cet État, à la protection que confère le principe ne
bis in idem (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Turanský, C‑491/07, EU:C:2008:768, points 35 et 36, ainsi que du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, points 35 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

30 Dans ce contexte, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le fait que, selon le droit national applicable, la procédure pénale clôturée par une décision d’acquittement peut être rouverte en cas de « faits nouveaux ou nouvellement révélés », telles de nouvelles charges, ne saurait remettre en cause le caractère définitif de cette décision dès lors que celle-ci n’éteindrait pas définitivement l’action publique, pour autant que cette possibilité de réouverture, si elle ne constitue
pas un « recours extraordinaire », implique néanmoins l’engagement exceptionnel, et ce sur la base d’éléments de preuve différents, d’une procédure distincte, plutôt que la simple continuation de la procédure déjà clôturée (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, points 37 à 40).

31 En l’occurrence, eu égard à cette jurisprudence, le fait que le droit autrichien prévoit, d’une part, à l’article 193, paragraphe 2, point 2, de la StPO, la poursuite d’une procédure clôturée à la suite de l’adoption d’une décision d’acquittement dans des conditions strictes, c’est-à-dire lorsque « de nouveaux faits ou éléments de preuve surviennent ou apparaissent qui, seuls ou en combinaison avec d’autres résultats de la procédure, semblent propres à justifier la condamnation de l’inculpé », ne
saurait remettre en cause le caractère définitif de cette décision.

32 Il en va de même, d’autre part, de l’autre possibilité de poursuite de la procédure prévue par le droit autrichien, également strictement encadrée, à savoir lorsque, conformément à l’article 193, paragraphe 2, point 1, de la StPO, « le prévenu n’a pas été interrogé pour [l’]infraction [...] et aucune contrainte ne lui a été imposée à cet égard ».

33 En effet, cette possibilité, si elle ne constitue pas un « recours extraordinaire », implique, eu égard à la double condition à laquelle elle est assujettie, l’engagement exceptionnel d’une procédure distincte, plutôt que la simple continuation de la procédure déjà clôturée, visant à réexaminer la décision d’acquittement au regard des déclarations du prévenu au cas où, ultérieurement, celui-ci pourrait être interrogé. Par ailleurs, il convient de relever que, dans l’affaire au principal, cette
possibilité n’était pas ouverte au ministère public après l’adoption de la décision d’acquittement, dès lors qu’il est constant que, même si le prévenu n’a pas été interrogé, une « contrainte » a néanmoins été exercée à son égard sous la forme d’une mesure d’instruction visant à le localiser, laquelle s’est avérée infructueuse.

34 Le caractère strictement encadré et exceptionnel de ces possibilités de poursuite d’une procédure déjà clôturée est encore renforcé par le fait que, conformément à l’article 193, paragraphe 2, de la StPO, une réouverture de la procédure n’est, en tout état de cause, pas possible si, entretemps, l’infraction est frappée de prescription. Tel était le cas en l’occurrence, dès lors qu’il est constant que, au moins depuis l’année 2015, la prescription de l’infraction est intervenue, soit quelques mois
seulement après l’adoption de la décision d’acquittement, au mois de novembre 2014.

35 En outre, le seul fait, auquel se réfère la juridiction de renvoi dans sa deuxième question, que, en vertu du droit national applicable, des possibilités de poursuite d’une procédure déjà clôturée existent pour autant que l’infraction n’est pas encore prescrite, mais que, en l’occurrence, le ministère public n’a pas fait usage de celles-ci avant l’intervention de cette prescription n’est pas de nature à remettre en cause le caractère définitif d’une décision de clôture de la procédure dès lors
que l’action publique n’est pas définitivement éteinte.

36 En effet, étant donné que ces possibilités exceptionnelles de poursuite d’une procédure déjà clôturée, telles qu’elles sont strictement encadrées par l’article 193, paragraphe 2, de la StPO, ne sont pas susceptibles d’affecter le caractère définitif d’une décision de clôture de la procédure prise sur le fondement de l’article 190 de la StPO, la décision prise par le ministère public de ne pas faire usage de l’une ou de l’autre de ces possibilités au motif que les conditions pour ce faire
n’étaient pas remplies ne saurait pas non plus remettre en question le caractère définitif de ladite décision.

37 Par ailleurs, dans ses observations écrites, le gouvernement autrichien, en référence à la jurisprudence de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) et à la doctrine autrichienne, a fait valoir que, en droit autrichien, la décision du ministère public de classer la procédure conformément à l’article 190 de la StPO « ne pouvant être remise en cause par la voie d’un recours ordinaire, elle produit dès son adoption les effets attachés à une décision ayant un caractère définitif, tant du point
de vue matériel que procédural ». Parmi ses effets, ce gouvernement mentionne l’effet dit de « blocage » (« Sperrwirkung ») résultant d’une telle décision, en conformité avec le principe ne bis in idem, à l’égard de l’ensemble des autorités des autres États membres, pour autant que cette décision ait été prise à la suite d’un examen préalable sur le fond ainsi que d’une appréciation du bien-fondé de l’infraction que le prévenu est soupçonné d’avoir commise.

38 Il en découle que les circonstances visées par les deux premiers tirets mentionnés au point 25 du présent arrêt ne sont pas de nature à mettre en doute que, en l’occurrence, il est satisfait à l’exigence, rappelée au point 28 du présent arrêt, que l’action publique ait été « définitivement éteinte ».

39 S’agissant, en second lieu, de l’exigence, également rappelée au point 28 du présent arrêt, que la décision de clôture de la procédure pénale en cause ait été rendue à la suite d’une « appréciation portée sur le fond de l’affaire », il y a lieu de souligner, premièrement, que la circonstance, mentionnée au premier tiret du point 25 du présent arrêt, que la décision de clôture de la procédure a été prise au motif de l’absence de tout élément probant de nature à démontrer que le prévenu a
effectivement commis l’infraction qui lui est reprochée n’implique pas de considérer que cette seconde condition n’est pas remplie. Au contraire, la Cour a déjà jugé qu’un acquittement pour insuffisance de preuves est fondé sur une appréciation sur le fond de l’affaire (arrêt du 28 septembre 2006, Van Straaten, C‑150/05, EU:C:2006:614, point 60).

40 Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que l’appréciation du caractère définitif du jugement, au sens de l’article 54 de la CAAS, doit être effectuée au regard non seulement de l’objectif de cet article visant essentiellement à garantir que quiconque a été condamné et a purgé sa peine ou, le cas échéant, a été définitivement acquitté dans un État membre peut se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre de nouvelles poursuites, pour les mêmes faits, dans un autre État
membre, mais également de la nécessité de promouvoir la prévention de la criminalité et de lutter contre ce phénomène, au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice conformément à l’article 3, paragraphe 2, TUE [voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 47, et du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 78 ainsi que jurisprudence citée].

41 Troisièmement, il importe de rappeler que tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852,
point 92 ainsi que jurisprudence citée].

42 S’agissant, en particulier, de l’article 54 de la CAAS, la Cour a jugé que cet article implique nécessairement qu’il existe une confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale et que chacun de ceux-ci accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États membres, quand bien même la mise en œuvre de son propre droit national conduirait à une solution différente. Cette confiance mutuelle nécessite que les autorités compétentes concernées du
second État membre acceptent une décision définitive qui a été rendue sur le territoire du premier État membre telle qu’elle a été communiquée à ces autorités [arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 93 ainsi que jurisprudence citée].

43 Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que ladite confiance mutuelle ne saurait prospérer que si le second État contractant est en mesure de s’assurer, sur la base des pièces communiquées par le premier État contractant, que la décision concernée prise par les autorités compétentes de ce premier État constitue bien une décision définitive contenant une appréciation sur le fond de l’affaire [arrêt du 12 mai 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notice rouge d’Interpol), C‑505/19,
EU:C:2021:376, point 81 et jurisprudence citée].

44 Quatrièmement, la Cour a jugé qu’une décision du ministère public mettant fin aux poursuites pénales et clôturant la procédure d’instruction ne saurait être considérée comme ayant été rendue à la suite d’une appréciation sur le fond de l’affaire et, partant, ne saurait être qualifiée de « décision définitive », au sens de l’article 54 de la CAAS, lorsqu’il ressort de la motivation même de cette décision qu’une instruction approfondie fait défaut, sans quoi la confiance mutuelle des États membres
entre eux pourrait être mise en cause et que, à cet égard, le défaut d’audition de la victime et celui d’un éventuel témoin constituent un indice qu’une instruction approfondie n’a pas été menée dans l’affaire au principal (arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 53).

45 Au regard de cette jurisprudence, se pose la question de savoir si, dans l’affaire en cause au principal, la décision de clôture de la procédure pénale par le WKStA a été adoptée à l’issue d’une « instruction approfondie », au sens de l’arrêt du 29 juin 2016, Kossowski (C‑486/14, EU:C:2016:483), de sorte que cette décision peut être considérée comme ayant été rendue à la suite d’une appréciation portée sur le fond comme l’exige l’article 54 de la CAAS, compte tenu des circonstances dont fait état
la juridiction de renvoi dans sa troisième question et reprises au troisième tiret mentionné au point 25 du présent arrêt, à savoir que, lors de l’instruction, le ministère public a recueilli des données dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire ainsi qu’à la suite de l’accès à des comptes bancaires et de l’audition de deux autres suspects, mais n’a pas interrogé le prévenu, dès lors que la mesure d’instruction revêtant le caractère d’une contrainte coercitive et visant à le localiser
s’est finalement avérée infructueuse.

46 Ainsi qu’il ressort du point 48 de l’arrêt du 29 juin 2016, Kossowski (C‑486/14, EU:C:2016:483), dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le ministère public n’avait pas poursuivi l’action publique « au seul motif que l’inculpé avait refusé de faire une déposition et que la victime et un témoin par ouï-dire résidaient en Allemagne, si bien qu’ils n’avaient pas pu être entendus au cours de la procédure d’instruction [en Pologne] et que les indications de la victime n’avaient ainsi pas pu être
vérifiées, sans qu’aucune instruction plus approfondie ait été menée aux fins de rassembler et d’examiner des éléments de preuve ». La Cour en a déduit que la décision mettant fin aux poursuites pénales sur la base d’une telle instruction ne constituait pas une décision ayant été précédée d’une appréciation portée sur le fond.

47 En revanche, en l’occurrence, il est constant, d’une part, que, au cours d’une instruction qui a duré plus de deux ans, le WKStA a eu accès à des comptes bancaires dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire émanant des autorités britanniques, à savoir le SFO, ainsi qu’à d’autres comptes bancaires et a procédé à l’audition de deux autres suspects de nationalité autrichienne mentionnés au point 13 du présent arrêt.

48 Par ailleurs, dans ses observations écrites, le gouvernement autrichien relève que les flux de trésorerie identifiés à la suite de l’accès auxdits comptes bancaires ont été analysés par le Bundesamt für Korruptionsprävention und Korruptionsbekämpfung (Office fédéral autrichien pour la prévention et la lutte contre la corruption, Autriche). Après une réunion de coordination de l’Agence européenne pour le renforcement de la coopération judiciaire (Eurojust) au mois de mai 2014, le SFO aurait
informé le WKStA qu’il n’y avait aucun élément de preuve nouveau conduisant à l’identification d’un agent public en particulier en Hongrie, l’accès à des comptes, tant en Slovaquie qu’à Chypre, n’ayant fourni aucune indication à ce sujet. En outre, il se serait avéré douteux que la transmission des informations relatives à des comptes demandées par le SFO au Liechtenstein puisse apporter davantage d’éclaircissements. Le 3 novembre 2014, Eurojust aurait informé le WKStA que les enquêtes menées par
les autorités judiciaires hongroises n’avaient pas non plus pu conforter les soupçons d’infraction.

49 D’autre part, s’il est vrai que, en l’occurrence, le prévenu n’a pas été interrogé, il est constant que c’est au motif que, comme le souligne la juridiction de renvoi dans sa troisième question, celui-ci avait néanmoins fait l’objet d’une mesure d’instruction de nature coercitive visant à le localiser, bien que celle-ci se soit, finalement, avérée infructueuse.

50 Comme l’a également fait valoir, en substance, le gouvernement suisse, le seul fait que le prévenu n’ait pas été entendu au cours de l’instruction ne constitue, en tant que tel, une indication de l’absence d’une instruction approfondie que dans la mesure où le droit national applicable oblige le ministère public à auditionner le prévenu préalablement à l’adoption d’une décision clôturant l’instruction. Or, il convient de rappeler que l’article 193, paragraphe 2, point 1, de la StPO prévoit
expressément la possibilité de la poursuite de la procédure pénale après l’adoption d’une décision d’acquittement lorsque le prévenu n’a pas été interrogé pour l’infraction dont il est soupçonné et pourvu qu’aucune contrainte ne lui a été imposée à cet égard. Dès lors, il apparaît que, conformément au droit national applicable, dans certaines circonstances, une telle décision peut être adoptée sans que le prévenu soit interrogé.

51 Si, dans une telle hypothèse, l’absence d’audition du prévenu en tant que suspect ne saurait, à elle seule, justifier de conclure à l’absence d’une instruction approfondie, il n’en demeure pas moins, comme l’a également relevé, en substance, M. l’avocat général au point 76 de ses conclusions, que cette circonstance peut néanmoins être prise en compte parmi d’éventuels autres indices pertinents révélant une telle absence. À cette fin, il doit être établi que, dans les circonstances de l’espèce, il
incombait raisonnablement au parquet du premier État membre de prendre une mesure d’instruction assurant une interrogation effective dudit prévenu qui, manifestement, aurait pu apporter de nouveaux éléments de fait ou de preuve susceptibles de mettre en doute, dans une mesure significative, le bien-fondé d’une décision d’acquittement. Cela étant, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 77 de ses conclusions, un parquet ne saurait être empêché de tirer des conséquences du fait
qu’un prévenu s’est volontairement soustrait à la possibilité d’être entendu, par exemple, en se rendant indisponible pour les autorités de police.

52 De manière générale, ce n’est que dans des hypothèses plutôt exceptionnelles que le second État membre peut conclure à l’absence d’une instruction approfondie dans le premier État membre, à savoir lorsque, au regard du droit national applicable du premier État membre, tel est manifestement le cas compte tenu, en tout premier lieu, des motifs figurant dans cette décision ainsi que des informations éventuellement communiquées avant l’adoption de celle-ci par le premier État membre en réponse, le
cas échéant, à une demande qui lui a été adressée par le second État membre.

53 En effet, la constatation par le second État membre de l’absence d’une instruction approfondie doit constituer l’exception plutôt que la règle, étant entendu que, comme l’a souligné, en substance, M. l’avocat général aux points 32 et 39 à 42 de ses conclusions, une telle constatation s’impose en tout état de cause lorsqu’il ressort des termes de la décision pénale concernée que celle-ci n’a été précédée d’aucune réelle instruction ou appréciation de la responsabilité pénale du prévenu ou encore
que, au regard du droit national applicable, cette décision a essentiellement été prise pour des raisons devant être considérées comme étant de nature purement procédurale ou pour des raisons d’opportunité, d’économie ou de politique judiciaire.

54 Une telle conception est en phase avec l’objectif spécifique poursuivi par l’article 54 de la CAAS, consistant à garantir qu’une personne qui a été définitivement acquittée dans un État membre peut se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre des poursuites, pour les mêmes faits, dans un autre État membre, comme il est mentionné au point 40 du présent arrêt, ainsi qu’avec les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles entre les États membres qui sous-tendent le
principe ne bis in idem consacré à cette disposition ainsi qu’à l’article 50 de la Charte, comme il ressort des points 41 et 42 du présent arrêt.

55 Cet objectif et ces principes s’opposent en revanche à ce que le parquet du second État membre, lorsqu’il envisage d’engager des poursuites contre une personne ayant déjà été poursuivie et ayant fait l’objet, à la suite d’une instruction, d’une décision d’acquittement définitive pour les mêmes faits dans un premier État membre, se livre à un examen détaillé de cette instruction afin de déterminer, de manière unilatérale, si celle-ci est suffisamment approfondie au regard du droit du premier État
membre.

56 Par ailleurs, lorsque le parquet du second État membre éprouve des doutes sérieux et concrets quant au caractère approfondi ou suffisamment détaillé de l’instruction menée par le parquet du premier État membre au regard des faits et des éléments de preuve qui étaient à la disposition de ce parquet lors de l’instruction ou dont celui-ci aurait pu effectivement disposer en prenant les mesures d’instruction qui s’imposaient raisonnablement au vu des circonstances de l’espèce, ledit parquet devra
approcher le parquet du premier État membre afin de solliciter son assistance, en particulier sur le droit national applicable et les motifs ayant fondés la décision d’acquittement prise à la suite de cette instruction, en ayant recours, par exemple, au mécanisme de coopération prévu à cette fin à l’article 57 de la CAAS.

57 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans les rapports entre les États membres, il convient de tenir compte du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui fait obligation aux États membres, de façon générale et donc, notamment, dans le cadre de l’application du principe ne bis in idem tel que consacré à l’article 54 de la CAAS, de se respecter et de s’assister mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

58 Cela étant, si les éléments factuels rappelés aux points 47 à 50 du présent arrêt, pour autant qu’ils sont avérés, tendent à confirmer que l’instruction menée dans le premier État membre n’est pas manifestement dépourvue de caractère approfondi, il n’en demeure pas moins que, comme l’a également relevé, en substance, M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, il revient en définitive à la juridiction de renvoi devant décider en l’occurrence de l’applicabilité du principe ne bis in idem
d’apprécier le caractère approfondi de l’enquête au regard de l’ensemble des éléments pertinents à cet égard.

59 Dans le cadre de cette appréciation globale, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 51 du présent arrêt, la juridiction de renvoi peut, sous certaines conditions, prendre en compte, parmi d’éventuels autres indices pertinents révélant l’absence de caractère approfondi de l’enquête conduite dans le premier État membre, le fait que le prévenu n’a pas été interrogé en tant que suspect.

60 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que le principe ne bis in idem consacré à l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit être interprété en ce sens que doit être qualifiée de décision définitive, au sens de ces articles, une décision d’acquittement d’un prévenu prise, dans un premier État membre, à la suite d’une instruction portant essentiellement sur des faits de corruption, lorsque ce prévenu fait l’objet, pour les mêmes faits,
de nouvelles poursuites pénales dans un second État membre et que :

– la décision d’acquittement a été prise par le ministère public du premier État membre sans imposition d’une peine et sans intervention d’une juridiction et a été motivée par la constatation de l’absence de tout élément probant de nature à démontrer que le prévenu a effectivement commis l’infraction qui lui est reprochée ;

– selon le droit national applicable dans le premier État membre, en dépit du caractère définitif d’une telle décision d’acquittement, le ministère public dispose de la faculté de poursuivre la procédure dans des conditions strictement définies, telle la survenance de nouveaux faits ou éléments de preuve significatifs, et pour autant que, en tout état de cause, l’infraction n’est pas prescrite, et

– lors de l’instruction, le ministère public du premier État membre a recueilli des données sans toutefois interroger le prévenu, qui est citoyen d’un autre État membre, dès lors que la mesure d’instruction revêtant le caractère d’une contrainte coercitive et visant à le localiser s’est finalement avérée infructueuse,

étant entendu que l’absence d’interrogation du prévenu par le parquet du premier État membre peut être prise en compte par le parquet du second État membre parmi d’éventuels autres indices pertinents révélant l’absence d’une instruction approfondie dans le premier État membre, pourvu, toutefois, qu’il soit établi que, dans les circonstances de l’espèce, il incombait raisonnablement au parquet du premier État membre de prendre une mesure d’instruction assurant une interrogation effective dudit
prévenu qui, manifestement, aurait pu apporter de nouveaux éléments de fait ou de preuve susceptibles de mettre en doute, dans une mesure significative, le bien-fondé d’une décision d’acquittement.

Sur les dépens

61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  Le principe ne bis in idem consacré à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995, lu à la lumière de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

  doit être interprété en ce sens que :

  doit être qualifiée de décision définitive, au sens de ces articles, une décision d’acquittement d’un prévenu prise, dans un premier État membre, à la suite d’une instruction portant essentiellement sur des faits de corruption, lorsque ce prévenu fait l’objet, pour les mêmes faits, de nouvelles poursuites pénales dans un second État membre et que :

– la décision d’acquittement a été prise par le ministère public sans imposition d’une peine et sans intervention d’une juridiction et a été motivée par la constatation de l’absence de tout élément probant de nature à démontrer que le prévenu a effectivement commis l’infraction qui lui est reprochée ;

  – selon le droit national applicable, en dépit du caractère définitif d’une telle décision d’acquittement, le ministère public dispose de la faculté de poursuivre la procédure dans des conditions strictement définies, telle la survenance de nouveaux faits ou éléments de preuve significatifs, et pour autant que, en tout état de cause, l’infraction n’est pas prescrite, et

– lors de l’instruction, le ministère public du premier État membre a recueilli des données sans toutefois interroger le prévenu, qui est citoyen d’un autre État membre dès lors que la mesure d’instruction revêtant le caractère d’une contrainte coercitive et visant à le localiser s’est finalement avérée infructueuse,

  étant entendu que l’absence d’interrogation du prévenu par le parquet du premier État membre peut être prise en compte par le parquet du second État membre parmi d’éventuels autres indices pertinents révélant l’absence d’une instruction approfondie dans le premier État membre, pourvu, toutefois, qu’il soit établi que, dans les circonstances de l’espèce, il incombait raisonnablement au parquet du premier État membre de prendre une mesure d’instruction assurant une interrogation effective dudit
prévenu qui, manifestement, aurait pu apporter de nouveaux éléments de fait ou de preuve susceptibles de mettre en doute, dans une mesure significative, le bien-fondé d’une décision d’acquittement.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-147/22
Date de la décision : 19/10/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Admissibilité de poursuites pénales pour des faits de corruption d’un prévenu dans un État membre après la clôture de la procédure pénale engagée contre lui pour les mêmes faits par le parquet d’un autre État membre – Conditions devant être remplies afin de pouvoir considérer que le prévenu a été définitivement jugé – Condition d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire – Exigence d’une instruction approfondie – Absence d’interrogation du prévenu.


Parties
Demandeurs : Központi Nyomozó Főügyészség
Défendeurs : Terhelt5.

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:790

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