ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
19 octobre 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Transports – Règlement (CE) no 1370/2007 – Services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 2 – Installations à câbles – Attribution directe d’un contrat de service public de transport par une autorité locale compétente à un opérateur interne – Transfert du risque d’exploitation – Compensation des obligations de service public »
Dans l’affaire C‑186/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 7 mars 2022, parvenue à la Cour le 9 mars 2022, dans la procédure
Sad Trasporto Locale SpA
contre
Provincia autonoma di Bolzano,
en présence de :
Strutture Trasporto Alto Adige SpA A. G.,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. Z. Csehi, M. Ilešič, I. Jarukaitis et D. Gratsias, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 mars 2023,
considérant les observations présentées :
– pour Sad Trasporto Locale SpA, par Mes G. Greco et M. A. Sandulli, avvocati,
– pour la Provincia autonoma di Bolzano, par Mes L. Fadanelli, P. Mantini, P. Pignatta, L. Plancker et A. Roilo, avvocati,
– pour Strutture Trasporto Alto Adige SpA A.G., par Me P. Mantini, avvocato,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara, P. Messina et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2016/2338 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016 (JO 2016, L 354, p. 22)
(ci-après le « règlement no 1370/2007 »), ainsi que de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Sad Trasporto Locale SpA à la Provincia autonoma di Bolzano (Province autonome de Bolzano, Italie) au sujet de l’attribution directe, à un opérateur interne, par voie de concession, du service de transport public de voyageurs sur certaines installations ferroviaires et téléphériques à Strutture Trasporto Alto Adige SpA A. G. (ci-après « STA »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 1370/2007
3 Les considérants 33 et 36 du règlement no 1370/2007 sont ainsi libellés :
« (33) Aux points 87 à 95 de [l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415),] [...], la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que la compensation de service public ne constitue pas un avantage au sens de l’article [107 TFUE], sous réserve que quatre conditions cumulatives soient réunies. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, et que les critères généraux d’applicabilité de l’article [107], paragraphe 1, [TFUE] sont
satisfaits, la compensation liée à des obligations de service public constitue une aide d’État et relève des articles [93, 106, 107 et 108 TFUE].
[...]
(36) [...] Toute compensation accordée en liaison avec la fourniture de services publics de transport de voyageurs autres que ceux visés par le présent règlement qui risque de constituer une aide d’État au sens de l’article [107], paragraphe 1, [TFUE], devrait respecter les dispositions des articles [93, 106, 107 et 108 TFUE], y compris toute interprétation pertinente par la [Cour de justice de l’Union européenne], en particulier dans [l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et
Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415)]. Lorsqu’elle examine de tels cas, la Commission [européenne] devrait, par conséquent, appliquer des principes similaires à ceux définis dans le présent règlement ou, le cas échéant, dans d’autres actes législatifs relevant du domaine des services d’intérêt économique général. »
4 L’article 1er de ce règlement, intitulé « Objet et champ d’application », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Le présent règlement a pour objet de définir comment, dans le respect des règles du droit communautaire, les autorités compétentes peuvent intervenir dans le domaine des transports publics de voyageurs pour garantir la fourniture de services d’intérêt général qui soient notamment plus nombreux, plus sûrs, de meilleure qualité ou meilleur marché que ceux que le simple jeu du marché aurait permis de fournir.
À cette fin, le présent règlement définit les conditions dans lesquelles les autorités compétentes, lorsqu’elles imposent des obligations de service public ou qu’elles en confient l’exécution à une entreprise, octroient une compensation aux opérateurs de service public en contrepartie des coûts supportés et/ou leur accordent des droits exclusifs en contrepartie de l’exécution d’obligations de service public.
2. Le présent règlement s’applique à l’exploitation nationale et internationale de services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et autres modes ferroviaires et par route, à l’exception des services qui sont essentiellement exploités pour leur intérêt historique ou leur vocation touristique. Les États membres peuvent appliquer le présent règlement au transport public de voyageurs par voie navigable et, sans préjudice du règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992
concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime) [(JO 1992, L 364, p. 7)], par voie maritime nationale.
[...] »
5 L’article 2 dudit règlement, intitulé « Définitions », énonce, à ses points a), e), h), i), j) et a bis) :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “transports publics de voyageurs”, les services de transport de voyageurs d’intérêt économique général offerts au public sans discrimination et en permanence ;
[...]
e) “obligation de service public”, l’exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions sans contrepartie ;
[...]
h) “attribution directe”, attribution d’un contrat de service public à un opérateur de service public donné en l’absence de toute procédure de mise en concurrence préalable ;
i) “contrat de service public”, un ou plusieurs actes juridiquement contraignants manifestant l’accord entre une autorité compétente et un opérateur de service public en vue de confier à l’opérateur de service public la gestion et l’exploitation des services publics de transport de voyageurs soumis aux obligations de service public. Selon le droit des États membres, le contrat peut également consister en une décision arrêtée par l’autorité compétente qui :
– prend la forme d’un acte individuel législatif ou réglementaire, ou
– contient les conditions dans lesquelles l’autorité compétente elle-même fournit les services ou confie la fourniture de ces services à un opérateur interne ;
j) “opérateur interne”, une entité juridiquement distincte sur laquelle l’autorité locale compétente ou, dans le cas d’un groupement d’autorités, au moins une autorité locale compétente, exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ;
[...]
a bis) “services publics de transport de voyageurs par chemin de fer”, le transport public de voyageurs par chemin de fer, hormis le transport de voyageurs par d’autres modes ferroviaires, tels que les métros ou les tramways. »
6 L’article 5 du même règlement, intitulé « Attribution des contrats de service public », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Sauf interdiction en vertu du droit national, toute autorité locale compétente, qu’il s’agisse ou non d’une autorité individuelle ou d’un groupement d’autorités fournissant des services intégrés de transport public de voyageurs, peut décider de fournir elle-même des services publics de transport de voyageurs ou d’attribuer directement des contrats de service public à une entité juridiquement distincte sur laquelle l’autorité locale compétente ou, dans le cas d’un groupement d’autorités, au moins
une autorité locale compétente exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services.
[...] »
Le règlement (UE) 2016/424
7 L’article 3 du règlement (UE) 2016/424 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, relatif aux installations à câbles et abrogeant la directive 2000/9/CE (JO 2016, L 81, p. 1), intitulé « Définitions », prévoit, à ses points 1, 7 et 9 :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
1) “installation à câbles”, un système complet implanté dans son site, comprenant le génie civil et les sous-systèmes, qui est conçu, construit, assemblé et mis en service en vue de transporter des personnes, la traction étant assurée par des câbles disposés le long du parcours effectué ;
[...]
7) “téléphérique”, une installation à câbles dans laquelle les véhicules sont suspendus à un ou à plusieurs câbles et mus par un ou plusieurs câbles ;
[...]
9) “funiculaire”, une installation à câbles dans laquelle les véhicules sont tractés par un ou plusieurs câbles le long d’une voie qui peut être installée au sol ou être supportée par des structures fixes ».
Le droit italien
8 Le decreto legislativo n. 50 – Codice dei contratti pubblici (décret législatif no 50 portant code des marchés publics), du 18 avril 2016 (GURI no 91 du 19 avril 2016 – supplément ordinaire no 10), dans sa version applicable au litige au principal, énonce, à son article 192, paragraphe 2 :
« Aux fins de l’attribution interne d’un contrat ayant pour objet des services disponibles sur le marché dans un contexte de concurrence, les pouvoirs adjudicateurs procèdent préalablement à une évaluation de l’opportunité économique de l’offre des entités internes, eu égard à l’objet et à la valeur de la prestation, et rendent compte dans la motivation de la décision d’attribution des raisons pour lesquelles il n’est pas recouru au marché, ainsi que des avantages pour la collectivité du mode de
gestion retenu, y compris par une référence aux objectifs d’universalité et de socialité, d’efficience, d’économie et de qualité du service, ainsi que d’emploi optimal des ressources publiques. »
9 L’article 34, paragraphe 20, du decreto‑legge n. 179/2012 – Ulteriori misure urgenti per la crescita del Paese (décret‑loi no 179, portant d’autres mesures urgentes pour la croissance du pays), du 18 octobre 2012 (GURI no 245 du 19 octobre 2012 – supplément ordinaire no 194), converti en loi, avec modifications, par la legge n. 221 (loi no 221), du 17 décembre 2012 (GURI no 294, du 18 décembre 2012 – supplément ordinaire no 208), dispose :
« Pour les services publics locaux d’intérêt économique, afin d’assurer le respect du droit de l’Union européenne, l’égalité entre les opérateurs et l’économie de la gestion comme afin de garantir une information appropriée aux entités concernées, le contrat de service est attribué sur la base d’un rapport établi à cette fin et publié sur le site Internet de l’entité qui procède à l’attribution concernée ; ce rapport expose les motifs d’une telle attribution et en quoi les conditions prévues par
le droit de l’Union pour la forme d’attribution choisie sont satisfaites, et définit le contenu précis des obligations de service public et de service universel en indiquant les compensations économiques le cas échéant. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Par les décisions du 30 décembre 1991 et du 15 juin 2001, dont les effets ont été prorogés à plusieurs reprises et, en dernier lieu, jusqu’au 19 mars 2021, la défenderesse au principal, la Province autonome de Bolzano, a confié à la requérante au principal, Sad Trasporto Locale SpA, la gestion des services de transport public local de ladite province, comprenant des installations fixes de funiculaire, de téléphérique et de tramway.
11 Par la décision no 243, du 16 mars 2021, la défenderesse au principal a procédé à l’attribution en interne, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 1370/2007, des services de transport public susmentionnés à STA, une société dont elle est l’unique actionnaire et qui en est donc juridiquement distincte, mais qui exerce principalement ses activités avec elle et qui opère exclusivement sur le territoire de la Province autonome de Bolzano, pour la période allant du 19 mai 2021 au
30 avril 2030.
12 Le transport par funiculaire et par tramway représente la majorité des services de transport dont la gestion a été ainsi attribuée, le transport par téléphérique constituant 47 % du service global directement attribué à STA.
13 Par cette décision no 243, la défenderesse au principal a approuvé un contrat de service public qui prévoit le versement à STA d’une redevance contractuelle à la charge de la défenderesse au principal, ainsi que le plan économique et financier concernant sa relation avec STA, dont il résulte que les revenus tarifaires sont attribués à la défenderesse au principal, tandis que les revenus éventuels provenant d’autres activités commerciales, accessoires à la prestation du service concernée, sont
attribués à STA.
14 Par la décision no 244, adoptée le même jour que ladite décision no 243, la défenderesse au principal a imposé à la requérante au principal de continuer à fournir des services de transport jusqu’à ce que STA en soit chargée.
15 La requérante au principal a demandé, par la voie d’un recours devant le Tribunale Regionale di Giustizia Amministrativa del Trentino Alto Adige, Sezione autonoma di Bolzano (tribunal administratif régional du Trentin Haut-Adige, section autonome de Bolzano, Italie), l’annulation des décisions nos 243 et 244 ainsi que des actes connexes, y compris le rapport relatif à l’attribution interne, le contrat de service concerné ainsi que le plan économique et financier correspondant.
16 À cet égard, la requérante au principal a fait valoir que ces décisions étaient illégales, en ce que l’article 5, paragraphes 2 à 6, du règlement no 1370/2007 ne s’appliquait pas aux contrats de service public en cause au principal, cette disposition ne concernant que les contrats de concession relatifs au transport public de voyageurs par chemin de fer ou par d’autres modes ferroviaires et par route. Or, le litige au principal aurait pour objet un contrat de service qui, d’une part, ne revêt pas
la forme d’une concession et, d’autre part, porte sur un service de transport par téléphérique. Par conséquent, ce litige devrait être tranché conformément au code des marchés publics, en particulier l’article 192, paragraphe 2, de celui-ci, qui subordonne une attribution interne à l’existence de conditions spécifiques, notamment une motivation renforcée concernant l’impossibilité de lancer un appel d’offres et la démonstration des avantages, pour la collectivité, d’une telle attribution,
lesquelles ne seraient pas satisfaites en l’occurrence.
17 Au cours de la procédure, la requérante au principal a soulevé, en rappelant le considérant 33 du règlement no 1370/2007, la question de la compatibilité de la compensation allouée dans le cadre du contrat de service public en cause au principal avec les dispositions du traité FUE relatives aux aides d’État, alléguant, notamment, que le niveau de la compensation accordée à STA n’avait pas été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement
équipée en moyens de transport, aurait encourus pour exécuter les obligations de service qui lui incombaient.
18 Le Tribunale Regionale di Giustizia Amministrativa del Trentino Alto Adige, Sezione autonoma di Bolzano (tribunal administratif régional du Trentin Haut-Adige, section autonome de Bolzano) ayant rejeté le recours de la requérante au principal, cette dernière a saisi le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), la juridiction de renvoi, d’un recours en réformation. Cette juridiction éprouve des doutes en ce qui concerne l’interprétation des dispositions du règlement no 1370/2007 et du
traité FUE relatives aux aides d’État.
19 En particulier, la juridiction de renvoi s’interroge, d’une part, sur la question de savoir si le transport par téléphérique relève du champ d’application de ce règlement, tel que défini à l’article 1er, paragraphe 2, de celui-ci, et, si, d’autre part, aux fins d’apprécier si la compensation prévue par le contrat de service public de transport de voyageurs en cause au principal constitue une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soumise à l’obligation de notification
préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la méthodologie ayant permis de calculer cette compensation était conforme à la quatrième condition posée par la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415).
20 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 1er, paragraphe 2, du [règlement no 1370/2007] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de ce règlement à l’exercice de services publics nationaux et internationaux de transport multimodal de voyageurs dans le cadre desquels, d’une part, le service public de transport revêt un caractère unitaire aux fins de l’attribution du contrat et est assuré par tramway, par funiculaire et par téléphérique et, d’autre part, le transport ferroviaire représente plus de
50 % du service total et unitaire attribué à l’opérateur ?
2) En cas de réponse négative à la première question : [l]’article 5, paragraphes 1 et 2, du [règlement no 1370/2007] doit-il être interprété en ce sens qu’il exige, même en cas d’attribution directe à un opérateur interne d’un contrat de service public comprenant le transport de voyageurs par tramway, un examen de la forme juridique que revêt l’acte d’attribution, ce qui aurait pour effet d’exclure du champ d’application de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement les actes qui ne revêtent pas
la forme de contrats de concession de services ?
3) En cas de réponse positive à la deuxième question, il est également demandé : [l]’article 5, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, de la directive 2014/23/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1),] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a lieu d’exclure le transfert à l’attributaire du risque d’exploitation lié à la gestion des services lorsque le contrat objet de l’attribution : a) est basé sur le coût
brut, les recettes revenant au pouvoir adjudicateur ; b) prévoit en faveur de l’opérateur, en tant que bénéfice d’exploitation, uniquement une contrepartie versée par le pouvoir [adjudicateur], proportionnelle au volume du service fourni (ce qui exclut, ainsi, le risque relatif à la demande) ; c) continue de faire peser sur le pouvoir adjudicateur le risque d’exploitation relatif à la demande (s’agissant de la réduction des contreparties en raison d’une réduction des volumes de services
au-delà des limites prédéfinies), le risque réglementaire (dû à des changements législatifs ou réglementaires, ainsi qu’au retard dans la délivrance des autorisations et/ou certifications par les entités compétentes), le risque financier (pour l’absence de paiement ou le retard de paiement des contreparties, ainsi que pour l’absence d’ajustement des contreparties), ainsi que le risque de force majeure (découlant d’un changement imprévisible des conditions dans lesquelles le service est
fourni) ; et d) transfère à l’attributaire le risque d’exploitation de l’offre (dû aux variations des coûts des facteurs non maîtrisables par l’opérateur – énergie, matières premières, matériaux), le risque de relations industrielles (découlant des variations du coût du personnel dans le cadre de négociations collectives), le risque de gestion (découlant d’une dynamique négative des coûts d’exploitation au vu d’estimations erronées), ainsi que le risque socio-environnemental (découlant
d’événements accidentels en cours d’exécution sur des actifs nécessaires à la fourniture du service) ;
4) Enfin, il est demandé : [l’article] 107, paragraphe 1, TFUE et [l’article] 108, paragraphe 3, TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs par une autorité locale compétente à un opérateur interne, il y a lieu de considérer comme aide d’État soumise à la procédure d’examen préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la compensation des obligations de service public calculée sur la
base des coûts d’exploitation qui, bien que liés aux besoins prévisibles du service, sont, d’une part, calculés en tenant compte des coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant, attributaire d’une concession de services prorogée pendant plus de dix ans, et, d’autre part, rapportés à des coûts ou à des contreparties également relatifs à l’attribution précédente ou, en tout état de cause, relatifs à des paramètres standard du marché, valant pour l’ensemble des opérateurs du
secteur ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1370/2007 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de ce règlement à un contrat mixte de services publics de transport multimodal de voyageurs comprenant le transport par tramway, par funiculaire et par téléphérique, même dans un contexte où le transport ferroviaire représente la majorité des services de transport dont la gestion a été attribuée.
22 D’emblée, il importe de rappeler, d’une part, que, selon une jurisprudence constante, une interprétation d’une disposition du droit de l’Union ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition. Ainsi, dès lors que le sens d’une disposition du droit de l’Union ressort sans ambiguïté du libellé même de celle-ci, la Cour ne saurait se départir de ce libellé (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C‑339/20 et C‑397/20,
EU:C:2022:703, point 71 ainsi que jurisprudence citée).
23 D’autre part, l’article 9 du règlement no 1370/2007 exonère les compensations versées conformément à ce règlement de l’obligation de notification préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Dès lors, en tant que tempérament à la règle générale que constitue l’obligation de notification, les dispositions dudit règlement et les conditions prévues par celui-ci doivent être entendues de manière stricte (voir, en ce sens, arrêts du 21 juillet 2016, Dilly’s Wellnesshotel, C‑493/14,
EU:C:2016:577, point 37, et du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 60).
24 Le libellé de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1370/2007, qui définit le champ d’application de celui-ci, dispose que ce règlement s’applique à l’exploitation nationale et internationale de services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et autres modes ferroviaires et par route, à l’exception des services qui sont essentiellement exploités pour leur intérêt historique ou leur vocation touristique. Il y est également précisé que les États membres peuvent appliquer ce
règlement au transport public de voyageurs par voie navigable.
25 Or, premièrement, il importe de constater que le règlement no 1370/2007 ne définit pas les termes « transport de voyageurs par chemin de fer et autres modes ferroviaires ». Toutefois, eu égard à leur sens habituel dans le langage courant, le choix du législateur d’employer ces termes implique qu’il a entendu viser des modes de transports caractérisés par le déplacement de véhicules sur une voie formée par un seul rail ou plusieurs rails parallèles.
26 En conséquence, lesdits termes ne s’appliquent pas à un mode de transport tel que le téléphérique. En effet, le téléphérique est défini à l’article 3, point 7, du règlement 2016/424 comme étant une installation à câbles dans laquelle les véhicules sont suspendus à un ou à plusieurs câbles et mus par un ou plusieurs câbles.
27 Deuxièmement, pour ce même motif, ce mode de transport ne relève pas davantage du transport par route ou par voie navigable, également visés à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1370/2007.
28 Troisièmement, le règlement no 1370/2007 ne contient aucune disposition visant à appliquer ce dernier à des contrats mixtes incluant d’autres modes de transport que ceux visés à l’article 1er, paragraphe 2, de celui-ci, y compris dans un contexte où le transport ferroviaire représente plus de 50 % du contrat concerné.
29 Quatrièmement, il convient de relever que l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1370/2007 prévoit la possibilité, pour les États membres, d’appliquer ce règlement au transport public de voyageurs par voie navigable. Ainsi, la possibilité d’extension du champ d’application dudit règlement étant expressément prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de celui-ci sans que cette disposition mentionne le transport par téléphérique, ce moyen de transport doit être considéré comme ne pouvant faire
l’objet d’une telle possibilité.
30 Or, pour les raison exposées au point 23 du présent arrêt, l’article 1er, paragraphe 2, du même règlement, déterminant son champ d’application, doit faire l’objet d’une interprétation stricte.
31 Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1370/2007 doit être interprété en ce sens que ce règlement ne s’applique pas à un contrat mixte de services publics de transport multimodal de voyageurs comprenant le transport par tramway, par funiculaire et par téléphérique, même dans un contexte où le transport ferroviaire représente la majorité des services de transport dont la gestion a été attribuée.
Sur les deuxième et troisième questions
32 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.
Sur la quatrième question
33 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une « aide d’État », au sens de cette disposition, la compensation d’obligations de service public versée à un opérateur interne dans le cadre d’une attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs par une autorité locale compétente qui a été calculée sur la base des coûts d’exploitation qui sont, d’une part,
calculés en tenant compte des coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant et, d’autre part, rapportés à des coûts ou à des contreparties également relatifs à l’attribution précédente ou, en tout état de cause, relatifs à des paramètres standard du marché, valant pour l’ensemble des opérateurs du secteur concerné.
34 Cette question est posée, ainsi qu’il ressort des explications de la juridiction de renvoi, dans un contexte où le système de compensation devant être versée au nouvel opérateur aurait été déterminé notamment sur la base de paramètres de référence sectoriels uniformes et d’une comparaison avec les coûts ressortant d’un plan économique et financier relatif à un appel d’offres simulé, lui-même basé sur les comptes de résultat de l’opérateur sortant se rapportant à certaines années précédentes.
35 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 36 du règlement no 1370/2007, dès lors qu’est accordée une compensation se rapportant à la fourniture d’un service public de transport de voyageurs ne relevant pas de ce règlement, il y a lieu d’examiner si cette compensation constitue une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, auquel cas ladite compensation est soumise à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
36 Or, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que sont considérées comme étant des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme conférant un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas pu obtenir dans les conditions normales du marché, c’est-à-dire en l’absence d’intervention de l’État (voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2022,
Sātiņi-S, C‑238/20, EU:C:2022:57, point 41 et jurisprudence citée).
37 Cependant, selon l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), une compensation de service public échappe à la qualification d’aide d’État dès lors que quatre conditions sont satisfaites de manière cumulative. Premièrement, l’entreprise bénéficiaire d’une compensation représentant la contrepartie de prestations effectuées pour exécuter des obligations de service public doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service
public et ces obligations doivent être clairement définies. Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée cette compensation doivent être préalablement établis de manière objective et transparente. Troisièmement, ladite compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de
ces obligations. En conséquence, quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public, la même compensation doit être déterminée sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des
recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution desdites obligations (voir, en ce sens, arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, points 89, 90, 92 et 93).
38 Plus particulièrement, par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le calcul d’une compensation octroyée dans le cadre d’un contrat de service public de transport de voyageurs satisfait la quatrième condition rappelée au point précédent du présent arrêt lorsque ce calcul est effectué en tenant compte des coûts et des contreparties de l’opérateur sortant ainsi que de paramètres standard du marché, valant pour l’ensemble des opérateurs du secteur concerné. En effet, la
juridiction de renvoi doute que ces critères constituent une base adéquate pour calculer les coûts d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.
39 À cet égard, s’agissant, premièrement, des « paramètres standard de marché », il convient de relever que l’une des approches susceptibles d’être employées aux fins d’apprécier si cette quatrième condition est satisfaite peut consister à calculer la compensation à octroyer à une entreprise attributaire d’un contrat de service public en fonction d’une moyenne des coûts encourus par des entreprises fournissant depuis plusieurs années sur un marché ouvert à la concurrence un service comparable à tous
égards au service public en cause au principal, des recettes relatives à l’exécution des obligations de service public que lesdites entreprises reçoivent et, le cas échéant, des bénéfices générés en raison de ce service par celles-ci. En effet, il peut être présumé qu’un tel calcul permet d’aboutir à la détermination des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus à cet
effet, en tenant compte des recettes qui y sont relatives et d’un bénéfice raisonnable que celle-ci pouvait attendre de l’exercice d’une telle activité.
40 Toutefois, pour qu’une telle approche soit pertinente, il convient de s’assurer, tout d’abord, que le nombre d’entreprises opérant sur le marché ainsi prises en compte soit suffisamment significatif, de telle sorte que, la situation particulière d’une entreprise donnée ne devant faire l’objet d’une pondération disproportionnée, une telle moyenne puisse être considérée comme étant statistiquement robuste et, partant, représentative du standard prévu par la quatrième condition énoncée dans l’arrêt
du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415).
41 Ensuite, seules des entreprises en mesure d’exécuter immédiatement les obligations de service public concernées et, partant, susceptibles d’être considérées comme étant adéquatement dotées des moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, peuvent être prises en compte aux fins d’un tel calcul.
42 Enfin, si le service offert par ces entreprises doit être comparable au service public concerné, dans le contexte d’une attribution d’un service public de transport multimodal de voyageurs, une telle exigence n’exclut pas que, dans un premier temps, le coût encouru par une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée des moyens nécessaires pour chacun des éléments de ce service de transport multimodal soit calculé séparément et que, dans un second temps, ces coûts soient additionnés pour
autant que, le cas échéant, les éventuels effets de synergie clairement identifiables, découlant de la gestion intégrée de ces éléments, soient dûment pris en compte.
43 Il appartiendra, dès lors, à la juridiction de renvoi de déterminer, à la lumière de ces éléments, si les paramètres standard de marché mis en œuvre en l’occurrence correspondent à cette méthodologie.
44 S’agissant, deuxièmement, du point de savoir si les coûts du service fourni par l’opérateur sortant peuvent être pris en compte, il convient de relever que le critère de l’« entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires » n’exclut pas, en soi, un calcul fondé sur les coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant ou relatifs à l’attribution précédente, pour autant, cependant, que l’opérateur sortant puisse être considéré, au regard des méthodes d’analyse
comptable et financière habituellement utilisées à cet effet, comme étant une entreprise moyenne et bien gérée.
45 Dès lors, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que ne constitue pas une « aide d’État », au sens de cette disposition, la compensation d’obligations de service public versée à un opérateur interne dans le cadre d’une attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs par une autorité locale compétente qui a été calculée sur la base des coûts d’exploitation qui sont, d’une part, déterminés en
tenant compte des coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant et, d’autre part, rapportés à des coûts ou à des contreparties également relatifs à l’attribution précédente ou, en tout état de cause, relatifs à des paramètres standard du marché, valant pour l’ensemble des opérateurs du secteur concerné, pour autant que le recours à de tels éléments aboutit à la détermination de coûts qui reflètent ceux qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires
afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil, tel que modifié par le règlement (UE) 2016/2338 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016,
doit être interprété en ce sens que :
ce règlement ne s’applique pas à un contrat mixte de services publics de transport multimodal de voyageurs comprenant le transport par tramway, par funiculaire et par téléphérique, même dans un contexte où le transport ferroviaire représente la majorité des services de transport dont la gestion a été attribuée.
2) L’article 107, paragraphe 1, TFUE
doit être interprété en ce sens que :
ne constitue pas une « aide d’État », au sens de cette disposition, la compensation d’obligations de service public versée à un opérateur interne dans le cadre d’une attribution directe d’un contrat de service public de transport de voyageurs par une autorité locale compétente qui a été calculée sur la base des coûts d’exploitation qui sont, d’une part, déterminés en tenant compte des coûts antérieurs du service fourni par l’opérateur sortant et, d’autre part, rapportés à des coûts ou à des
contreparties également relatifs à l’attribution précédente ou, en tout état de cause, relatifs à des paramètres standard du marché, valant pour l’ensemble des opérateurs du secteur concerné, pour autant que le recours à de tels éléments aboutit à la détermination de coûts qui reflètent ceux qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.