ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
19 octobre 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Travail à temps partiel – Directive 97/81/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à temps partiel – Clause 4, point 1 – Principe de non-discrimination des travailleurs à temps partiel – Principe du pro rata temporis – Pilotes – Rémunération au titre du temps de service de vol supplémentaire – Seuils de déclenchement identiques pour les pilotes travaillant à temps plein et pour les pilotes travaillant à temps partiel – Différence de traitement »
Dans l’affaire C‑660/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décision du 11 novembre 2020, parvenue à la Cour le 4 décembre 2020, dans la procédure
MK
contre
Lufthansa CityLine GmbH,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 septembre 2022,
considérant les observations présentées :
– pour MK, par Me M. Mensching, Rechtsanwalt,
– pour Lufthansa CityLine GmbH, par Me C. Schalast, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller, Mme S. Heimerl et M. P.-L. Krüger, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement danois, par Mme J. F. Kronborg, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement polonais, par M. J. Lachowicz et Mme A. Siwek-Ślusarek, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement norvégien, par Mmes I. Thue et T. Hostvedt Aarthun, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. T. S. Bohr et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er décembre 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4, points 1 et 2, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MK, un pilote, à son employeur, Lufthansa CityLine GmbH (ci-après « CLH »), un transporteur aérien assurant des vols court et long courrier, au sujet du droit de MK au paiement d’une rémunération au titre du temps de service de vol supplémentaire qu’il a accompli.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 La clause 2, point 1, de l’accord-cadre, intitulé « Champ d’application », énonce :
« Le présent accord s’applique aux travailleurs à temps partiel ayant un contrat ou une relation de travail définis par la législation, les conventions collectives ou pratiques en vigueur dans chaque État membre. »
4 La clause 3 de cet accord-cadre, intitulée « Définitions », dispose :
« Aux termes du présent accord, on entend par :
1) “travailleur à temps partiel”, un salarié dont la durée normale de travail, calculée sur une base hebdomadaire ou en moyenne sur une période d’emploi pouvant aller jusqu’à un an, est inférieure à celle d’un travailleur à temps plein comparable ;
2) “travailleur à temps plein comparable”, un salarié à temps plein du même établissement ayant le même type de contrat ou de relation de travail et un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte d’autres considérations pouvant inclure l’ancienneté et les qualifications/compétences. Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à temps plein comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention
collective applicable, conformément à la législation, aux conventions collectives ou pratiques nationales. »
5 La clause 4 dudit accord-cadre, intitulée « Principe de non-discrimination », prévoit, à ses points 1 à 3 :
« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.
2. Lorsque c’est approprié, le principe du pro rata temporis s’applique.
3. Les modalités d’application de la présente clause sont définies par les États membres et/ou les partenaires sociaux, compte tenu des législations européennes et de la législation, des conventions collectives et pratiques nationales. »
Le droit allemand
Le TzBfG
6 La directive 97/81 a été transposée dans le droit allemand par le Gesetz über Teilzeitarbeit und befristete Arbeitsverträge (Teilzeit- und Befristungsgesetz) (loi sur le travail à temps partiel et le travail à durée déterminée), du 21 décembre 2000 (BGBl. 2000 I, p. 1966).
7 Conformément à l’article 2, paragraphe 1, troisième phrase, de la loi sur le travail à temps partiel et le travail à durée déterminée, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « TzBfG »), constitue un « travailleur à temps plein comparable », au sens de cette disposition, « un travailleur à temps plein de l’établissement concerné ayant le même type de relation de travail et exerçant une activité identique ou similaire » au travailleur à temps partiel de cet établissement.
8 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du TzBfG :
« Un travailleur à temps partiel ne doit pas être traité d’une manière moins favorable qu’un travailleur à temps plein comparable au seul motif qu’il travaille à temps partiel, à moins qu’il n’existe des raisons objectives justifiant un traitement différent. Le travailleur à temps partiel doit percevoir une rémunération ou une autre prestation à titre onéreux divisible dont l’étendue doit correspondre au moins à la quote-part de sa durée de travail par rapport à celle d’un travailleur à temps
plein comparable. »
9 L’article 22, paragraphe 1, du TzBfG dispose qu’il ne saurait être dérogé, au détriment du travailleur concerné, notamment, aux dispositions susmentionnées de cette loi.
Les conventions collectives applicables
10 Les conventions collectives applicables à la relation de travail concernée (ci-après les « conventions collectives applicables ») sont les suivantes :
– L’accord collectif général no 4
11 L’accord collectif général no 4 concernant les collaborateurs faisant partie du personnel de cockpit de CLH prévoit, à ses articles 6 à 8 :
« Article 6 Temps de travail
(1) On entend par “temps de travail” le temps pendant lequel les collaborateurs fournissent un service sous les instructions de CLH. Le temps de travail comprend :
a) le temps de service de vol (article 8),
b) les tâches administratives,
c) le temps consacré à l’installation de nouveaux collègues, les formations et les reconversions,
d) les facturations des ventes à bord,
e) les examens médicaux et vaccinations relevant de la médecine aéronautique,
f) les permanences (= standby), pour autant qu’elles ne fassent pas partie du temps de service de vol,
g) le suivi de passagers (notamment d’enfants ou de personnes malades),
h) les missions et déplacements professionnels, pour autant qu’ils ne fassent pas partie du temps de service de vol,
i) les opérations effectuées à compter de la fin de l’embarquement et les périodes au sol lors d’escales,
j) les activités nécessaires, au sens de l’article 37 du Betriebsverfassungsgesetz (loi sur l’organisation des entreprises), du 15 janvier 1972 (BGBl. 1972 I, p. 13) (pour autant que cet article s’applique au personnel de cockpit de CLH) dans la mesure requise.
[...]
a) Le temps de travail quotidien (pauses non comprises) qui peut être requis d’un collaborateur ne peut dépasser 14 heures sur les vols court courrier, sauf accord du collaborateur concerné. Les services de permanence sont décomptés à cet égard pour moitié, pour autant qu’ils ne doivent pas être accomplis dans un aéroport ; les temps de transport effectués après la fin du service de vol pour rejoindre le domicile officiel ne doivent pas être pris en compte.
b) Lorsqu’un collaborateur est employé pendant plus de deux jours consécutifs au service au sol, le temps de travail de base est fixé sur la base de 38,5 heures de travail par semaine. L’éventuel travail supplémentaire est compensé par du temps libre supplémentaire jusqu’à la fin du mois suivant.
(3) Les collaborateurs sont employés sur la base de tableaux de service. Ceux-ci portent en règle générale sur des périodes de quatre semaines et doivent être publiés suffisamment à l’avance. [...]
(4) Lors de l’établissement du planning et de l’affectation des collaborateurs, il convient de respecter les dispositions des conventions collectives applicables et d’assurer, dans la limite des possibilités raisonnables au niveau de l’entreprise, une charge de travail uniforme pour tous les collaborateurs sur leur lieu d’affectation respectif, tant entre les collaborateurs au regard de leur catégorie d’emploi respective (personnel navigant et personnel au sol) qu’en considération du programme
de CLH et des circonstances propres à chaque cas particulier, au-delà d’une période de douze mois.
[...]
Article 7 Temps de vol
(1) Le temps de vol, au sens du présent accord collectif général, vise l’ensemble de la période comprise entre le moment où un avion commence à se déplacer par ses propres moyens ou par des moyens extérieurs en vue de décoller jusqu’au moment où il s’immobilise à la fin du vol (temps bloc à bloc).
(2) La somme des temps de vol (= temps bloc à bloc) de chaque collaborateur ne doit pas dépasser 1000 heures par année civile.
Article 8 Temps de service de vol
(1) Le temps de service de vol donnant lieu à rémunération comprend :
a) les périodes de tâches préparatoires à compter de l’entrée requise en service de vol jusqu’au début du temps bloc à bloc, tel que défini dans le manuel opérationnel (MO) ou, à titre provisoire, sur instruction individuelle,
b) le temps bloc à bloc,
c) les périodes de tâches de clôture après la fin du temps bloc à bloc, tel que défini dans le MO ou, à titre provisoire, sur instruction individuelle, d’une durée toutefois d’au moins 15 minutes, sur les vols long courrier d’au moins 30 minutes,
d) le temps passé sur instruction dans le simulateur de vol, y compris les périodes visées aux points a) et c), et
e) toutes les autres périodes entre les tâches préparatoires visées au point a) et les tâches de clôture visées au point c),
f) les périodes d’opérations au sein d’une chaîne d’intervention sont prises en compte à hauteur de 50 %. En sont exclues les périodes comprises entre la fin de l’opération concernée et le début du service ou entre la fin du service et le début de cette opération. À cet égard, une journée chômée unique ne constitue pas une interruption de la chaîne d’intervention.
(2) [...]
(3)
a) Le temps ininterrompu de service de vol accompli par les collaborateurs entre deux périodes de repos est de dix heures. Sur une période de sept jours consécutifs, il est autorisé de procéder à quatre prolongations successives du temps de service de vol visé à la première phrase pour une durée respective de deux heures au maximum ou à deux prolongations successives pour une durée respective de quatre heures au maximum. En aucun cas, la somme des prolongations au cours d’une période de sept
jours consécutifs ne doit dépasser huit heures.
b) Les périodes de sept jours commencent respectivement à 00 h 00 UTC le premier jour et se terminent à 24 h 00 UTC le dernier jour.
(4) [...]
(5) Les temps de service de vol ne doivent pas dépasser 210 heures, au cours d’une période de 30 jours consécutifs, et 1800 heures, au cours d’une année civile. »
– L’accord collectif no 6
12 L’accord collectif no 6 en matière de rémunérations concernant les collaborateurs faisant partie du personnel de cockpit de CLH, prévoit, à son article 4 :
« Rémunération au titre des heures de service de vol supplémentaires
(1) À partir de la 106ème heure mensuelle de service de vol [conformément à l’article 8, paragraphe 1, de l’accord collectif général concernant le personnel de cockpit no 1 (ci-après le “MTV cockpit no 1”)], une rémunération est versée au titre des heures de service de vol supplémentaires à hauteur de 1/100 du salaire mensuel total individuel (conformément à l’article 3) par heure de service de vol.
(2) À partir de la 121ème heure mensuelle de service de vol (conformément à l’article 8, paragraphe 1, du MTV cockpit no 1), une rémunération est versée au titre des heures de service de vol supplémentaires à hauteur de 1/85 du salaire mensuel total individuel (conformément à l’article 3) par heure de service de vol.
(3) À partir de la 136ème heure mensuelle de service de vol (conformément à l’article 8, paragraphe 1, du MTV cockpit no 1), une rémunération est versée au titre des heures de service de vol supplémentaires à hauteur de 1/73 du salaire mensuel total individuel (conformément à l’article 3) par heure de service de vol.
(4) [...]
(5) Le calcul du droit à rémunération au titre des heures de service de vol supplémentaires, visé aux paragraphes 1 à 3, prend en compte au bénéfice du collaborateur, pour chaque mois, au titre de chaque journée calendaire complète qui n’est pas travaillée en raison de congés ou de la formation requise par CLH, 3,5 heures de service de vol supplémentaires, sans dépasser toutefois 98 heures de service de vol par mois. »
– Le document d’orientation « Jump »
13 Un autre accord collectif, conclu entre les partenaires sociaux le 29 novembre 2014 et intitulé « Document d’orientation “Jump” » (« Eckpunktepapier “Jump”»), dispose, à son paragraphe III, point 6 :
« Rémunération au titre des heures de service de vol supplémentaires
Pour la rémunération des heures de service de vol supplémentaires dans le domaine des vols intercontinentaux sur des appareils de type Airbus A 340 dans le cadre du projet “Jump”, les seuils de déclenchement sont fixés de la manière suivante :
Premier niveau : 93 heures
Deuxième niveau : 106 heures
Troisième niveau : 120 heures
L’allocation visée à l’article 4, paragraphe 5, de l’accord collectif no 6 s’élève, pour chaque journée calendaire complète, à 3,1 heures de service de vol, sans dépasser toutefois 87 heures de service de vol par mois. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 Le requérant au principal est, depuis l’année 2001, employé par CLH en tant que pilote et premier copilote. Depuis l’année 2010, il travaille à temps partiel à raison de 90 % du temps de travail d’un pilote travaillant à temps plein sur la base d’un accord d’entreprise conclu entre CLH et le comité d’entreprise de celle-ci. Sa rémunération de base, y compris les primes de poste, est réduite de 10 % et le requérant au principal se voit octroyer 37 jours de congé supplémentaires par an. Toutefois,
le nombre de ses heures de service de vol pendant ses jours de travail n’est pas réduit.
15 Conformément aux conventions collectives applicables, le temps de service de vol est un élément constitutif du temps de travail qui est rémunéré par la rémunération de base. Un travailleur perçoit une rémunération au titre des heures de service de vol supplémentaires, en plus de cette rémunération de base (ci-après la « rémunération supplémentaire »), lorsqu’il a accompli en un mois un certain nombre d’heures de service de vol et a dépassé les seuils fixés pour le « déclenchement » de la
rémunération supplémentaire. À cette fin, ces conventions collectives prévoient « trois taux horaires majorés successifs », qui sont supérieurs à celui calculé à partir de la rémunération de base.
16 Plus particulièrement, ces trois taux horaires sont applicables pour le calcul de la rémunération, s’agissant des vols court courrier, lorsque le travailleur concerné a fourni, respectivement, 106, 121 et 136 heures de service de vol par mois (ci-après les « seuils de déclenchement »). S’agissant des vols long courrier, des seuils de déclenchement réduits de, respectivement, 93, 106 et 120 heures de service de vol par mois s’appliquent.
17 Les conventions collectives applicables ne prévoient toutefois pas de réduction de ces seuils de déclenchement pour les travailleurs à temps partiel en fonction de leur quotité de temps de travail à temps partiel, lesdits seuils de déclenchement étant donc identiques pour les pilotes travaillant à temps plein et pour ceux travaillant à temps partiel.
18 S’agissant du requérant au principal, pour pouvoir déterminer la rémunération supplémentaire, CLH calcule un seuil de déclenchement individuel prenant en compte le travail à temps partiel de l’intéressé. Pour les heures de service de vol que le requérant au principal fournit au-delà de ce seuil de déclenchement individuel, il perçoit une rémunération horaire calculée à partir de la rémunération de base. C’est uniquement lorsque le temps de service de vol accompli par le requérant au principal
dépasse les seuils de déclenchement applicables aux travailleurs à temps plein que celui-ci perçoit la rémunération supplémentaire.
19 Le requérant au principal considère qu’il a droit à la rémunération supplémentaire dès lors qu’il dépasserait les seuils de déclenchement si ceux-ci étaient réduits en fonction de sa quotité de travail à temps partiel et réclame à CLH la différence entre la rémunération déjà versée et la rémunération majorée sur la base des seuils réduits de déclenchement, au titre du temps de service de vol supplémentaire qu’il a accompli. Plus particulièrement, il demande le paiement de cette différence de
rémunération pour les mois de décembre 2014 à novembre 2018. À cet égard, il fait valoir qu’il est traité de manière moins favorable qu’un travailleur à temps plein, qu’il n’est pas tenu compte du principe du pro rata temporis et qu’aucune raison objective ne justifie cette différence de traitement. En outre, en prévoyant la rémunération supplémentaire, les partenaires sociaux n’auraient, selon lui, pas eu pour objectif de compenser une charge de travail particulière mais seulement de protéger le
temps libre des travailleurs.
20 CLH conteste devoir effectuer le paiement demandé par le requérant au principal, en considérant qu’il existe une raison objective justifiant la différence de traitement entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein. La rémunération supplémentaire visant à compenser une charge de travail particulière, elle ne serait due que lorsque les seuils de déclenchement sont dépassés.
21 En première instance, l’Arbeitsgericht München (tribunal du travail de Munich, Allemagne) a fait droit à la demande du requérant au principal. Le Landesarbeitsgericht München (tribunal supérieur du travail de Munich, Allemagne), statuant en appel, a cependant rejeté cette demande. Dans son recours en Revision autorisé par cette dernière juridiction, le requérant au principal a maintenu ladite demande.
22 La juridiction de renvoi émet des doutes sur la question de savoir si le refus de réduire les seuils de déclenchement proportionnellement à la durée du temps de travail du requérant au principal est conforme aux dispositions de l’accord-cadre.
23 Cette juridiction précise, à cet égard, que, en principe, deux approches différentes peuvent être distinguées dans la jurisprudence de la Cour. D’une part, selon une première approche, la Cour aurait constaté, dans l’arrêt du 15 décembre 1994, Helmig e.a. (C‑399/92, C‑409/92, C‑425/92, C‑34/93, C‑50/93 et C‑78/93, EU:C:1994:415, points 26 et suivants), qu’il y aurait différence de traitement chaque fois que, à nombre d’heures égal effectuées en raison de l’existence d’un rapport de travail
salarié, la rémunération globale payée aux travailleurs à temps plein serait plus élevée que celle versée aux travailleurs à temps partiel. Selon ladite juridiction, appliquée à la situation dans l’affaire au principal, cette comparaison des rémunérations globales aboutirait à la constatation qu’il n’y a pas de traitement « moins favorable » des travailleurs à temps partiel, à savoir les pilotes à temps partiel et les pilotes à temps plein percevant la même rémunération pour les temps de service
de vol dépassant les seuils de déclenchement individuels du travailleur à temps partiel.
24 D’autre part, selon une seconde approche, dans l’arrêt du 27 mai 2004, Elsner-Lakeberg (C‑285/02, EU:C:2004:320), la Cour aurait exigé, en tant que méthode de vérification du respect du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs de sexe masculin et travailleurs de sexe féminin, que chaque élément de la rémunération soit examiné séparément au regard de ce principe et qu’il ne soit pas uniquement procédé à une appréciation globale. La Cour aurait constaté, dans cet arrêt, un
traitement « moins favorable » des travailleurs à temps partiel, car, pour ces derniers, le nombre d’heures supplémentaires qui donnait droit à une rémunération supplémentaire n’était pas réduit de manière proportionnelle à la durée de leur temps de travail.
25 La juridiction de renvoi précise que, si la seconde approche était adoptée dans l’affaire au principal, cela conduirait à la constatation d’une différence de traitement qui résulterait du fait que les pilotes travaillant à temps partiel ne bénéficient de la rémunération supplémentaire que lorsqu’ils ont accompli, sans majoration de rémunération, les heures de service de vol comprises entre le premier niveau de leur seuil de déclenchement individuel, lequel est réduit en fonction de leur quotité
de travail à temps partiel, et les seuils de déclenchement fixes.
26 Un travailleur à temps partiel percevrait donc la rémunération supplémentaire non pas dès la première heure de dépassement du premier niveau de seuil de déclenchement individuel, mais uniquement lorsque le seuil applicable aux travailleurs à temps plein est dépassé. Cela vaudrait, par analogie, pour les deuxième et troisième niveaux de seuils de déclenchement. Étant donné que, pour les travailleurs à temps partiel, le seuil à partir duquel naît un droit ne serait pas réduit en fonction de la
durée de leur temps de travail individuel, des conséquences défavorables se produiraient pour ces travailleurs en ce qui concerne le rapport entre la prestation fournie et la contrepartie de cette dernière, entraînant ainsi une différence de traitement entre lesdits travailleurs et les travailleurs à temps plein.
27 La juridiction de renvoi précise que, depuis le prononcé de son arrêt du 19 décembre 2018, 10 AZR 231/18, elle s’est conformée à cette seconde approche.
28 Toutefois, d’autres juridictions et une partie de la doctrine nationale auraient exprimé des réserves quant à ladite seconde approche. Par conséquent, la juridiction de renvoi est d’avis qu’elle ne peut plus considérer qu’il n’existe aucun doute raisonnable sur cette question.
29 C’est dans ces conditions que le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une disposition légale nationale traite-t-elle des travailleurs à temps partiel d’une manière moins favorable que des travailleurs à temps plein comparables, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre [...], lorsqu’elle permet de subordonner une rémunération supplémentaire pour les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein de manière uniforme au dépassement du même nombre d’heures de travail et autorise donc à se fonder sur la rémunération globale et non sur
l’élément constitutif de la rémunération correspondant à la rémunération supplémentaire ?
2) Pour autant que la première question appelle une réponse affirmative :
Une disposition légale nationale qui permet de subordonner un droit à une rémunération supplémentaire au dépassement de manière uniforme du même nombre d’heures de travail pour les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein est-elle conforme à la clause 4, point 1, et au principe du pro rata temporis énoncé [à] la clause 4, point 2, de l’[accord-cadre], lorsque la rémunération supplémentaire vise à compenser une charge de travail particulière ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’une réglementation nationale qui subordonne le paiement d’une rémunération supplémentaire, de manière uniforme pour les travailleurs à temps partiel et pour les travailleurs à temps plein comparables, au dépassement du même nombre d’heures de travail d’une activité donnée, telle que le service de vol d’un pilote, doit être considérée comme un
traitement « moins favorable » des travailleurs à temps partiel, au sens de cette disposition.
31 Il convient de déterminer, en premier lieu, si le litige au principal relève du champ d’application de l’accord-cadre.
32 À cet égard, il ressort du libellé même de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre, aux termes duquel cet accord-cadre s’applique « aux travailleurs à temps partiel ayant un contrat ou une relation de travail définis par la législation, les conventions collectives ou pratiques en vigueur dans chaque État membre », que le champ d’application de celui-ci est conçu de manière large (arrêt du 7 juillet 2022, Zone de secours Hainaut-Centre, C‑377/21, EU:C:2022:530, point 37).
33 En outre, la clause 3, point 1, dudit accord-cadre définit le travailleur à temps partiel comme étant « un salarié dont la durée normale de travail, calculée sur une base hebdomadaire ou en moyenne sur une période d’emploi pouvant aller jusqu’à un an, est inférieure à celle d’un travailleur à temps plein comparable ».
34 En l’occurrence, le requérant au principal dispose d’un contrat de travail conclu avec CLH auquel s’appliquent les conventions collectives visées au point 10 du présent arrêt. Même si la durée de travail hebdomadaire de ce dernier n’est pas fixe en raison de la nature particulière de sa profession, il est également constant qu’il travaille, en application de ce contrat de travail, moins d’heures par an qu’un pilote à temps plein, dès lors que, moyennant une réduction de salaire de 10 %, 37 jours
de congé annuel supplémentaires lui sont accordés pour donner effet à la réduction de son temps de travail. Le requérant au principal doit donc être considéré comme un « travailleur à temps partiel », au sens de la clause 3, point 1, de l’accord-cadre.
35 Il y a donc lieu de constater que le litige au principal relève du champ d’application dudit accord-cadre.
36 En second lieu, aux fins de l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre, il y a lieu de rappeler que ce dernier vise, d’une part, à promouvoir le travail à temps partiel et, d’autre part, à éliminer les discriminations entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein [arrêt du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 41 ainsi que jurisprudence citée].
37 L’interdiction de discrimination énoncée à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre n’est que l’expression spécifique du principe général d’égalité qui relève des principes fondamentaux du droit de l’Union (arrêt du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 42 ainsi que jurisprudence citée).
38 Eu égard à ces objectifs, cette clause doit être comprise comme l’expression d’un principe de droit social de l’Union qui ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêt du 7 juillet 2022, Zone de secours Hainaut-Centre, C‑377/21, EU:C:2022:530, point 43 et jurisprudence citée).
39 Conformément à l’objectif d’élimination des discriminations entre travailleurs à temps partiel et travailleurs à temps plein, ladite clause s’oppose, en ce qui concerne les conditions d’emploi, à ce que les travailleurs à temps partiel soient traités d’une manière « moins favorable » que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives (arrêt du 5 mai 2022, Universiteit
Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 43 ainsi que jurisprudence citée).
40 En outre, la Cour a jugé que ladite disposition vise à faire application du principe de non-discrimination aux travailleurs à temps partiel en vue d’empêcher qu’une relation d’emploi de cette nature soit utilisée par un employeur pour priver ces travailleurs de droits qui sont reconnus aux travailleurs à temps plein (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2020, Baldonedo Martín, C‑177/18, EU:C:2020:26, point 35 et jurisprudence citée).
41 S’agissant de la question de savoir si, en l’occurrence, la rémunération supplémentaire relève de la notion de « conditions d’emploi » visée à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, la Cour a jugé que ces conditions englobent les conditions relatives aux rémunérations [arrêts du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C-236/20, EU:C:2022:263, point 36, ainsi que du 7 juillet 2022, Zone de secours Hainaut-Centre, C‑377/21, EU:C:2022:530, point 52 et
jurisprudence citée].
42 Dans le cadre de la détermination tant des éléments constitutifs de la rémunération que du niveau de ces éléments, les instances nationales compétentes sont tenues d’appliquer aux travailleurs à temps partiel le principe de non-discrimination tel qu’il est consacré à la clause 4 de l’accord-cadre, tout en tenant compte, lorsque cela est approprié, du principe du pro rata temporis (arrêt du 7 juillet 2022, Zone de secours Hainaut-Centre, C‑377/21, EU:C:2022:530, point 53).
43 Dès lors, il y a lieu de considérer que la rémunération supplémentaire relève de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4 de l’accord-cadre.
44 Quant à la comparabilité des situations des pilotes à temps plein et à temps partiel de CLH, tel que le requérant au principal, selon une jurisprudence constante, pour apprécier si des travailleurs exercent un travail identique ou similaire, au sens de l’accord-cadre, il y a lieu, conformément à la clause 3, point 2, et à la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, de rechercher si, compte tenu d’un ensemble de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de
travail, ces travailleurs peuvent être considérés comme se trouvant dans une situation comparable [voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2022, Presidenza del Consiglio dei Ministri e.a. (Chercheurs universitaires), C‑40/20 et C‑173/20, EU:C:2022:985, point 101 ainsi que jurisprudence citée].
45 S’il est établi que, lorsqu’ils sont employés, les travailleurs à temps partiel exercent les mêmes fonctions que les travailleurs employés par le même employeur à temps plein ou occupent le même poste que ceux-ci, il y a lieu, en principe, de considérer les situations de ces deux catégories de travailleurs comme étant comparables [voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2022, Presidenza del Consiglio dei Ministri e.a. (Chercheurs universitaires), C‑40/20 et C‑173/20, EU:C:2022:985, point 102
ainsi que jurisprudence citée].
46 En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les pilotes à temps plein et à temps partiel de CHL effectuent le même travail et, notamment, le même service de vol, de sorte que la situation du requérant au principal, en tant que pilote à temps partiel, est comparable à celle des pilotes travaillant à temps plein, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du TzBfG, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, troisième phrase, de cette loi, sous réserve d’une dernière
vérification qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer.
47 Enfin, s’agissant de la question de savoir s’il existe une différence de traitement entre un pilote travaillant à temps partiel, comme le requérant au principal, et les pilotes travaillant à temps plein, il ressort de l’examen des éléments de la rémunération des travailleurs concernés, tels qu’exposés dans la demande de décision préjudicielle, qu’un pilote à temps partiel perçoit la rémunération supplémentaire non pas pour la première heure dépassant le premier niveau de son seuil de
déclenchement individuel, mais uniquement lorsque le premier niveau de seuil de déclenchement applicable aux pilotes à temps plein est dépassé. Cela vaut par analogie pour les deuxième et troisième niveaux de seuils de déclenchement. Ainsi, le pilote à temps partiel doit accomplir le même nombre d’heures de service de vol qu’un pilote à temps plein pour bénéficier de cette rémunération sans que ce seuil soit réduit en fonction de la durée de son temps de travail individuel. Dans ces conditions,
les pilotes à temps partiel n’atteignent pas, ou n’atteignent qu’avec une probabilité nettement plus faible que les pilotes à temps plein, les seuils de déclenchement requis pour bénéficier de la rémunération supplémentaire.
48 En effet, si la rémunération par heure de vol pour les deux catégories de pilotes apparaît être égale jusqu’à ces seuils de déclenchement, il convient cependant de relever que lesdits seuils de déclenchement identiques représentent, pour les pilotes à temps partiel, un service d’heures de vol plus long que pour les pilotes à temps plein par rapport à leur temps de travail total et, partant, une charge plus grande que pour les pilotes à temps plein (voir, par analogie, arrêt du 27 mai 2004,
Elsner-Lakeberg, C‑285/02, EU:C:2004:320, point 17). Une telle situation engendre donc des conséquences défavorables pour les pilotes à temps partiel en ce qui concerne le rapport entre la prestation fournie et la contrepartie de cette dernière.
49 Les travailleurs à temps partiel satisfaisant ainsi bien plus rarement les conditions du droit à la rémunération supplémentaire, il y a lieu de considérer qu’un pilote à temps partiel, tel que le requérant au principal, fait l’objet d’une différence de traitement par rapport aux pilotes à temps plein comparables, prohibée par la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, à moins qu’elle ne soit justifiée par une « raison objective », au sens de cette clause.
50 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’une réglementation nationale qui subordonne le paiement d’une rémunération supplémentaire, de manière uniforme pour les travailleurs à temps partiel et pour les travailleurs à temps plein comparables, au dépassement du même nombre d’heures de travail d’une activité donnée, telle que le service de vol d’un pilote, constitue un traitement
« moins favorable » des travailleurs à temps partiel, au sens de cette disposition.
Sur la seconde question
51 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4, points 1 et 2, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne le paiement d’une rémunération supplémentaire, de manière uniforme pour les travailleurs à temps partiel et pour les travailleurs à temps plein comparables, au dépassement du même nombre d’heures de travail d’une activité donnée, telle que le service de vol d’un pilote, en vue de
compenser une charge de travail particulière à cette activité.
52 Conformément à l’objectif d’élimination des discriminations entre travailleurs à temps partiel et travailleurs à temps plein, la clause 4, point 1, de l’accord-cadre s’oppose, en ce qui concerne les conditions d’emploi, à ce que les travailleurs à temps partiel soient traités d’une manière « moins favorable » que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.
53 La rémunération des travailleurs à temps partiel doit être équivalente à celle des travailleurs à temps plein, sous réserve de l’application du principe du pro rata temporis énoncé à la clause 4, point 2, de l’accord-clause (arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 64).
54 En l’occurrence, il résulte des considérations figurant aux points 47 à 49 du présent arrêt que les conventions collectives applicables, qui subordonnent le paiement de la rémunération supplémentaire à des seuils de déclenchement identiques pour les pilotes à temps partiel et à temps plein et qui ne font pas application de ce principe, constituent une différence de traitement interdite en vertu de cette clause, points 1 et 2, à moins qu’elle ne soit justifiée par une « raison objective ».
55 Dans le cadre de l’article 267 TFUE, la Cour n’a pas compétence pour apprécier les faits et appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée. Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de procéder aux qualifications juridiques nécessaires pour la solution du litige au principal. En revanche, il incombe à la Cour de lui fournir toutes les indications nécessaires en vue de la guider dans cette appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn,
C‑519/20, EU:C:2022:178, point 47 et jurisprudence citée).
56 Dans cette perspective, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer, en tenant compte de tous les éléments pertinents, si la différence de traitement en cause au principal peut être considérée comme justifiée par une « raison objective ». Dans le cadre de cette appréciation, cette juridiction sera tenue de prendre en compte les considérations suivantes.
57 À cet égard, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « raisons objectives », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, doit être comprise comme ne permettant pas de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein par le fait que cette différence est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle qu’une loi ou une convention collective [arrêt du 1er mars 2012,
O’Brien, C‑393/10, EU:C:2012:110, point 64 ainsi que jurisprudence citée].
58 Au contraire, cette notion requiert que la différence de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi concernée, dans le contexte particulier dans lequel celle-ci s’insère, et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de pouvoir s’assurer que cette différence répond à un besoin véritable, qu’elle est de nature à atteindre l’objectif poursuivi et qu’elle est nécessaire à cet effet. Ces éléments peuvent
résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à temps partiel ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre [voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2012, O’Brien, C‑393/10, EU:C:2012:110, point 64, ainsi que jurisprudence citée, et ordonnance du 15 octobre 2019, AEAT (Calcul de l’ancienneté pour les travailleurs à temps partiel
de type vertical cyclique), C‑439/18 et C‑472/18, EU:C:2019:858, point 47].
59 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dipose la Cour que, pour justifier la différence de traitement en cause au principal, CLH et le gouvernement allemand invoquent l’objectif de compenser une charge de travail particulière au service de vol pesant sur la santé des pilotes ainsi que, de manière étroitement liée à cet objectif, celle de dissuader les compagnies aériennes de mobiliser ces derniers de manière excessive.
60 Or, premièrement, il convient de relever que, selon la juridiction de renvoi, les dispositions des conventions collectives applicables ne font pas mention d’une quelconque raison objective permettant de justifier la différence de traitement en cause au principal et que c’est sur la base de leur économie générale que cette juridiction estime que l’objectif poursuivi par les partenaires sociaux pourrait être celui invoqué par CLH et le gouvernement allemand, ce qu’il appartiendra à ladite
juridiction de vérifier.
61 Deuxièmement, si ces parties ont mis en avant les contraintes inhérentes à l’activité de vol, constituant néanmoins l’activité essentielle d’un pilote, elles ont confirmé lors de l’audience que les seuils de déclenchement des heures de service de vol prévus par les conventions collectives applicables ne reposaient pas sur des valeurs déterminées de manière objective ou des connaissances scientifiques ni encore sur des données expérimentales générales, par exemple relatives aux effets de
l’accumulation du nombre mensuel d’heures de vol. Il ne semble donc pas exister de critères objectifs et transparents permettant de s’assurer que la différence de traitement en cause au principal et l’application de seuils uniformes pour les pilotes travaillant à temps partiel ainsi que pour les pilotes travaillant à temps plein comparables répondraient à un besoin véritable conformément à la jurisprudence citée au point 58 du présent arrêt, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de
renvoi de vérifier.
62 Troisièmement, en vertu de cette jurisprudence, outre qu’une telle différence de traitement doit répondre à un besoin véritable, elle doit être de nature à permettre d’atteindre l’objectif poursuivi et être nécessaire à cet effet. En outre, cet objectif doit être poursuivi de manière cohérente et systématique, en conformité avec les exigences de la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 12 janvier 2010, Petersen, C‑341/08, EU:C:2010:4, point 53 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 janvier
2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 32).
63 Or, s’agissant de la question de savoir si la différence de traitement constatée est de nature à permettre d’atteindre l’objectif poursuivi et si elle est nécessaire à cet effet, au sens de ladite jurisprudence, des doutes existent, ainsi que l’observe la juridiction de renvoi, quant au caractère approprié et cohérent de la fixation de seuils de déclenchement uniformes pour les pilotes, afin de bénéficier de la rémunération supplémentaire, au regard de l’objectif de protection de la santé de ces
derniers contre une charge de travail excessive. En effet, la fixation de seuils de déclenchement uniformes revient à méconnaître, par principe, les répercussions individuelles pouvant découler de la charge de travail et des contraintes particulières liées au vol. Elle revient également à ne pas prendre en compte les raisons qui sont à la base même de l’institution du travail à temps partiel, telles que d’éventuelles charges autres que professionnelles du pilote concerné.
64 Par ailleurs, il n’est pas exclu que, dans ce contexte, un système de récupération d’heures de travail, de jours de repos, voire la fixation de seuils d’heures de service de vol par semaine plutôt que par mois, puisse constituer une mesure plus appropriée et cohérente que celle en cause au principal en vue d’atteindre ledit objectif.
65 En outre, la fixation de seuils de déclenchement uniformes pour obtenir la rémunération supplémentaire plutôt que l’introduction de seuils de déclenchement individualisés en fonction du contrat de travail pose un problème de cohérence au regard de l’objectif visant à dissuader les compagnies aériennes de faire travailler les pilotes de manière excessive, s’agissant des pilotes à temps partiel. En effet, ces compagnies supportent cette rémunération supplémentaire seulement au-delà du seuil de
déclenchement correspondant au temps de travail des pilotes à temps plein.
66 Enfin, pour autant que des considérations économiques seraient à l’origine de l’adoption de ladite réglementation nationale comme du refus d’appliquer le principe du pro rata temporis dans la situation de l’affaire au principal, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que la gestion rigoureuse du personnel relève de considérations d’ordre budgétaire qui ne sauraient justifier une discrimination (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2010, Zentralbetriebsrat der Landeskrankenhäuser
Tirols, C‑486/08, EU:C:2010:215, point 46 et jurisprudence citée).
67 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que la clause 4, points 1 et 2, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne le paiement d’une rémunération supplémentaire, de manière uniforme pour les travailleurs à temps partiel et pour les travailleurs à temps plein comparables, au dépassement du même nombre d’heures de travail d’une activité donnée, telle que le service de vol d’un pilote, en vue
de compenser une charge de travail particulière à cette activité.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997, qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES,
doit être interprétée en ce sens que :
une réglementation nationale qui subordonne le paiement d’une rémunération supplémentaire, de manière uniforme pour les travailleurs à temps partiel et pour les travailleurs à temps plein comparables, au dépassement du même nombre d’heures de travail d’une activité donnée, telle que le service de vol d’un pilote, constitue un traitement « moins favorable » des travailleurs à temps partiel, au sens de cette disposition.
2) La clause 4, points 1 et 2, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997, qui figure à l’annexe de la directive 97/81,
doit être interprété en ce sens que :
elle s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne le paiement d’une rémunération supplémentaire, de manière uniforme pour les travailleurs à temps partiel et pour les travailleurs à temps plein comparables, au dépassement du même nombre d’heures de travail d’une activité donnée, telle que le service de vol d’un pilote, en vue de compenser une charge de travail particulière à cette activité.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.