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09/11/2023 | CJUE | N°C-559/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Global Silicones Council e.a. contre Agence européenne des produits chimiques (ECHA)., 09/11/2023, C-559/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 novembre 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH) – Inscription de l’octaméthylcyclotétrasiloxane (D4), du décaméthylcyclopentasiloxane (D5) et du dodécaméthylcyclohexasiloxane (D6) sur cette liste – Substances persistantes, bioaccumulables et toxiques – Substances très persistantes et très bioaccumulables – Bioaccumulation – Facteur de bioconcentration 

Substances organométalliques »

Dans l’affaire C‑559/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 novembre 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH) – Inscription de l’octaméthylcyclotétrasiloxane (D4), du décaméthylcyclopentasiloxane (D5) et du dodécaméthylcyclohexasiloxane (D6) sur cette liste – Substances persistantes, bioaccumulables et toxiques – Substances très persistantes et très bioaccumulables – Bioaccumulation – Facteur de bioconcentration – Substances organométalliques »

Dans l’affaire C‑559/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 septembre 2021,

Global Silicones Council, établie à Washington (États-Unis),

Dow Silicones UK Ltd, établie à Barry (Royaume-Uni),

Elkem Silicones France SAS, établie à Lyon (France),

Evonik Operations GmbH, établie à Essen (Allemagne),

Momentive Performance Materials GmbH, établie à Leverkusen (Allemagne),

Shin-Etsu Silicones Europe BV, établie à Almere (Pays-Bas),

Wacker Chemie AG, établie à Munich (Allemagne),

représentées par Mes R. Cana, E. Mullier et Z. Romata, avocats,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant :

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere, Mmes A. Hautamäki et M. Heikkilä, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par MM. J. Möller et D. Klebs, en qualité d’agents, puis par M. J. Möller, en qualité d’agent,

Commission européenne, représentée par Mme L. Haasbeek, MM. R. Lindenthal et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,

American Chemistry Council Inc. (ACC), établie à Washington, représentée initialement par Me A. Moroni, avocate, Me B. Natens, advocaat, et Me K. Nordlander, advokat, puis par Me S. De Knop, advocaat, Me A. Moroni, avocate, et Me B. Natens, advocaat, et enfin par Me S. De Knop, advocaat, et Me A. Moroni, avocate,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu-Matei (rapporteure), MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 20 avril 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi, Global Silicones Council, Dow Silicones UK Ltd, Elkem Silicones France SAS, Evonik Operations GmbH, Momentive Performance Materials GmbH, Shin-Etsu Silicones Europe BV et Wacker Chemie AG (ci-après, ensemble, les « requérantes ») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 juin 2021, Global Silicones Council e.a./ECHA (T‑519/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:404), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation totale ou
partielle de la décision de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) du 27 juin 2018, inscrivant l’octaméthylcyclotétrasiloxane (D4), le décaméthylcyclopentasiloxane (D5) et le dodécaméthylcyclohexasiloxane (D6) sur la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les
restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (UE) 2018/589 de la Commission, du
18 avril 2018 (JO 2018, L 99, p. 7) (ci-après le « règlement REACH »).

Le cadre juridique

Le règlement REACH

2 L’article 1er, paragraphe 1, du règlement REACH énonce :

« Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. »

3 L’article 13, paragraphe 3, de ce règlement dispose :

« Quand des essais sur des substances sont nécessaires pour produire des informations sur les propriétés intrinsèques desdites substances, ils sont réalisés conformément aux méthodes d’essai définies dans un règlement de la Commission [européenne], ou conformément à d’autres méthodes d’essai internationales reconnues par la Commission ou par l’[ECHA] comme étant appropriées. La Commission adopte ledit règlement, ayant pour objet de modifier les éléments non essentiels du présent règlement en le
complétant, conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 4.

Des informations sur les propriétés intrinsèques des substances peuvent être produites selon d’autres méthodes d’essai, pour autant que les conditions énoncées à l’annexe XI soient respectées. »

4 Aux termes de l’article 57, sous d) et e), dudit règlement :

« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :

[...]

d) les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

e) les substances qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ».

5 L’annexe XIII du même règlement (ci-après l’« annexe XIII »), intitulée « Critères d’identification des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques, et des substances très persistantes et très bioaccumulables », établit les critères d’identification des substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (ci-après les « substances PBT »), et des substances très persistantes et très bioaccumulables (ci-après les « substances vPvB ») ainsi que les informations à prendre en considération
aux fins de l’évaluation de la propriété P (persistante), B (bioaccumulable) et T (toxique) d’une substance.

Le règlement (UE) no 253/2011

6 Le 15 mars 2011, la Commission a adopté le règlement (UE) no 253/2011 modifiant le règlement no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l’annexe XIII (JO 2011, L 69, p. 7).

7 Les considérants 5 et 6 du règlement no 253/2011 énoncent :

« (5) L’expérience montre qu’il convient, pour une identification adéquate des substances PBT et vPvB, d’utiliser toutes les informations pertinentes de manière intégrée, dans le cadre d’une approche fondée sur la force probante, en les comparant aux critères établis à la section 1 de l’annexe XIII.

(6) La détermination par force probante prend toute son importance lorsque les critères de la section 1 de l’annexe XIII ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles. »

8 L’annexe XIII, telle que modifiée par le règlement no 253/2011, indique à son préambule :

« La présente annexe établit les critères d’identification des substances [PBT] et des substances [vPvB], ainsi que les informations à prendre en considération aux fins de l’évaluation des propriétés P, B et T d’une substance.

Une détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts est appliquée pour l’identification des substances PBT et vPvB, en comparant toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 aux critères fixés à la section 1. Cette détermination est notamment appliquée lorsque les critères de la section 1 ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles.

La détermination par force probante des données signifie que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance PBT ou vPvB sont prises en considération conjointement, telles que des résultats de surveillance et de modélisation, des essais in vitro appropriés, des données pertinentes provenant d’essais sur des animaux, des informations provenant de l’application de l’approche par catégories (regroupement, références croisées), des résultats de R(Q)SA
[(relation qualitative ou quantitative structure-activité(], des effets observés chez l’homme, par exemple des données provenant du suivi des travailleurs et de bases de données sur les accidents, des études épidémiologiques et cliniques, ainsi que des informations obtenues par des études de cas et des observations bien documentées. Il convient d’accorder à la qualité et à la cohérence des données une importance appropriée. Quelles que soient leurs conclusions respectives, les résultats
disponibles sont rassemblés et l’ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données.

Les informations utilisées aux fins de l’évaluation des propriétés PBT/vPvB se fondent sur des données obtenues dans des conditions pertinentes.

L’identification tient également compte des propriétés PBT/vPvB des constituants pertinents d’une substance et des produits de transformation et/ou de dégradation concernés.

La présente annexe s’applique à toutes les substances organiques, y compris organométalliques. »

9 Les points 1.1.2 et 1.2.2 de l’annexe XIII, tels que modifiés par le règlement no 253/2011, sont libellés comme suit :

« 1.1.2. Bioaccumulation

Une substance remplit le critère de bioaccumulation (B) lorsque le facteur de bioconcentration chez les espèces aquatiques est supérieur à 2000.

[...]

1.2.2. Bioaccumulation

Une substance est considérée comme très bioaccumulable (vB) lorsque le facteur de bioconcentration chez les espèces aquatiques est supérieur à 5000. »

10 Aux termes des points 3.2 et 3.2.2 de l’annexe XIII, tels que modifiés par le règlement no 253/2011 :

« 3.2. Informations pour l’évaluation

Les informations ci-après sont examinées pour l’évaluation des propriétés P, vP [(très persistantes)], B, vB et T, dans le cadre d’une approche fondée sur la force probante :

[...]

3.2.2. Évaluation des propriétés B ou vB :

a) résultats d’une étude sur la bioconcentration ou la bioaccumulation chez les espèces aquatiques ;

b) autres informations sur le potentiel de bioaccumulation pour autant que leur caractère approprié et leur fiabilité puissent être raisonnablement démontrés [...]

[...]

c) informations sur la capacité de biomagnification de la substance dans la chaîne alimentaire, si possible exprimée par des facteurs de bioamplification ou des facteurs d’amplification trophique. »

Le règlement (CE) no 440/2008

11 Le 30 mai 2008, la Commission a adopté, sur le fondement de l’article 13, paragraphe 3, du règlement REACH, le règlement (CE) no 440/2008 établissant des méthodes d’essai conformément au règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) (JO 2008, L 142, p. 1).

12 La section C.13 de l’annexe du règlement no 440/2008, telle que modifiée par le règlement (UE) 2017/735 de la Commission, du 14 février 2017 (JO 2017, L 112, p. 402), concerne la « [b]ioaccumulation chez le poisson : exposition via le milieu aquatique et via la voie alimentaire ».

13 Le premier alinéa de l’introduction de cette section C.13 est rédigé comme suit :

« La présente méthode d’essai est équivalente à la ligne directrice 305 (2012) de l’[Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)] pour les essais de produits chimiques. Cette révision de la méthode d’essai poursuit deux objectifs. Tout d’abord, il s’agit d’intégrer à la méthode un essai de bioaccumulation via la nourriture, à même de déterminer le potentiel de bioaccumulation des substances très faiblement solubles dans l’eau. [...] »

Les antécédents du litige

14 Les antécédents du litige sont exposés aux points 7 à 21 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« 7 [...] Global Silicones Council, est une société sans capital-actions, établie aux États-Unis, représentant des sociétés qui fabriquent et vendent des silicones dans le monde entier. Les autres requérantes [...] sont des sociétés qui fabriquent, vendent et fournissent les substances chimiques octaméthylcyclotétrasiloxane (ci-après le “D4”), le décaméthylcyclopentasiloxane (ci-après le “D5”) et le dodécaméthylcyclohexasiloxane (ci-après le “D6”) telles quelles ou contenues dans un mélange.

8 Le 14 octobre 2014, le directeur exécutif de l’[ECHA] a demandé au comité des États membres de l’ECHA (ci-après le “MSC”) de rendre un avis relatif à la persistance et à la bioaccumulation du D4 et du D5 au regard des critères fixés par l’annexe XIII.

9 Le 17 avril 2015, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a présenté à l’ECHA un dossier fondé sur l’annexe XV du règlement [REACH] (ci-après l’“annexe XV”) proposant une restriction visant à limiter l’usage du D4 et du D5 dans les produits cosmétiques qui étaient éliminés par rinçage dans des conditions normales d’utilisation. La proposition de restriction était fondée sur les présumées propriétés [P, B, T, vP et vB] du D4 et sur les présumées propriétés vP [et] vB du D5.

10 Le 22 avril 2015, le MSC a adopté un avis selon lequel tant le D4 que le D5 remplissaient les critères visés à l’annexe XIII en ce qui concerne l’identification des [propriétés] vP et vB.

11 Le 10 mars 2016, le comité d’évaluation des risques de l’ECHA (ci-après le “CER”) a adopté un avis sur la base d’un examen de la proposition de restriction du Royaume-Uni et de l’avis du MSC. Le CER, en faisant référence à l’avis du MSC du 22 avril 2015, a indiqué qu’il n’avait pas réévalué les propriétés vP et vB du D4 et du D5, mais qu’il avait examiné la propriété T de ces substances. Le CER a conclu que le D4 remplissait les critères d’identification des substances PBT et vPvB énoncés à
l’annexe XIII et que le D5 remplissait les critères d’identification des substances vPvB, mais que ce dernier, sur la base des éléments de preuve disponibles, ne remplissait pas les critères énoncés à l’annexe XIII concernant la toxicité.

12 Une restriction concernant le D4 et le D5 a été adoptée par la Commission le 10 janvier 2018 [règlement (UE) 2018/35, modifiant l’annexe XVII du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l’octaméthylcyclotétrasiloxane (“D4”) et le décaméthylcyclopentasiloxane (“D5”) (JO 2018, L 6, p. 45)]. Par requête
parvenue au greffe du Tribunal le 2 avril 2018, la plupart des requérantes dans la présente affaire ont introduit un recours tendant à l’annulation de cette restriction. L’ECHA est intervenue au soutien de la Commission dans cette dernière affaire.

13 Le 1er mars 2017, l’autorité compétente de la République fédérale d’Allemagne a, au titre de l’article 59, paragraphe 3, du règlement [REACH], présenté des dossiers conformes à l’annexe XV, en proposant que le D4 et le D5 soient identifiés en tant que substances extrêmement préoccupantes en raison de leurs propriétés [P, B, T, vP et vB]. Le 21 décembre 2017, la Commission a, conformément à l’article 59, paragraphe 2, de ce règlement, demandé à l’ECHA d’élaborer un dossier conforme à
l’annexe XV en vue de l’identification du D6 en tant que substance extrêmement préoccupante. L’ECHA a conclu dans ce dossier que le D6 réunissait les critères [P, B, T, vP et vB].

14 Le 8 mars 2018, l’ECHA a publié les trois dossiers élaborés conformément à l’annexe XV relatifs respectivement au D4, au D5 et au D6 [...]. Le même jour, l’ECHA a invité toutes les parties intéressées à soumettre leurs observations sur ces dossiers, conformément à l’article 59, paragraphe 4, du règlement [REACH]. L’ECHA a reçu des observations dont, le 23 avril 2018, celles des requérantes.

15 Par la suite, l’autorité allemande compétente et l’ECHA ont préparé trois documents [...] qui portent la date du 12 juin 2018 et qui contiennent les réponses de ces autorités à tous les commentaires reçus par l’ECHA lors de la consultation publique.

16 Des commentaires ayant été reçus concernant l’identification des trois substances en cause, l’ECHA a, conformément à l’article 59, paragraphe 7, du règlement [REACH], transmis les dossiers au MSC. Conformément aux procédures de travail du MSC relatives à l’identification des substances extrêmement préoccupantes, le MSC a reçu un dossier élaboré conformément à l’annexe XV, un projet d’accord du MSC et un projet de document d’appui pour chacune des trois substances.

17 Lors de sa 60e réunion qui s’est tenue du 12 au 14 juin 2018, le MSC est parvenu à des accords unanimes sur l’identification du D4, du D5 et du D6 en tant que substances extrêmement préoccupantes, au motif que ces substances répondaient aux critères d’identification comme substances PBT et vPvB, conformément à l’article 57, sous d) et e), du règlement [REACH]. Les motifs de ces accords sont exposés dans les documents d’appui respectifs.

18 Les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 renvoient à plusieurs reprises, y compris dans les résumés concernant la persistance et la bioaccumulation des deux substances, à l’avis du MSC du 22 avril 2015 sur le D4 et le D5 et, concernant la toxicité du D4, à l’avis du CER du 10 mars 2016. Les données sont complétées dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 par des références à de nouvelles études publiées après ces avis. Le document d’appui relatif au D4 conclut aux propriétés [P,
B, T, vP et vB] du D4 conformément à l’annexe XIII. Celui relatif au D5 n’évalue pas de données concernant la toxicité de cette substance pour la santé humaine ou l’environnement. Ce document conclut que le D5 est une substance vPvB et que, lorsqu’il contient du D4 dans une concentration supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse), il est également PBT.

19 Le document d’appui relatif au D6 présente notamment des évaluations concernant la dégradation et la distribution de cette substance et fait référence à des données fournies dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5. Ce document n’évalue pas la toxicité du D6 pour l’environnement et la santé humaine. Il conclut que le D6 est une substance vPvB et constate qu’il répond également aux critères des substances PBT lorsqu’il contient du D4 dans une concentration supérieure ou égale à 0,1 %
(masse/masse). En outre, étant donné que le D4 et le D5 ont été identifiés en tant qu’impuretés dans le D6, il est conclu, en faisant référence à l’avis du MSC du 22 avril 2015 et à l’avis du CER du 10 mars 2016, que le D6 répond également aux critères des substances vPvB lorsqu’il contient du D4 ou du D5 dans une concentration supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse).

20 Le 27 juin 2018, conformément à l’article 59, paragraphe 8, du règlement [REACH], l’ECHA a adopté la décision ED/61/2018 relative à l’inscription du D4, du D5 et du D6 sur la liste des substances identifiées en vue de leur inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement [REACH], telle que visée à l’article 59, paragraphe 1, dudit règlement (ci-après la “liste des substances candidates”), au motif qu’ils avaient été identifiés comme étant des substances PBT et vPvB, au sens de l’article 57,
sous d) et e), du règlement [REACH] [(ci-après la “décision litigieuse”)], publiée le même jour sur le site Internet de l’ECHA.

21 Le même jour, la liste des substances candidates publiée sur le site Internet de l’ECHA, conformément à l’article 59, paragraphe 10, de ce règlement, a été mise à jour pour y inclure les entrées relatives au D4, au D5 et au D6. Les remarques relatives aux entrées respectives dans la liste des substances candidates indiquent que le D5 répond aux critères prévus à l’article 57, sous d), du règlement [REACH] en tant que substance PBT lorsqu’il contient une quantité de D4 supérieure ou égale
à 0,1 % (masse/masse). Pour le D6, il est indiqué que cette substance répond aux critères prévus l’article 57, sous d), du règlement [REACH] en tant que substance PBT lorsqu’il contient une quantité de D4 supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse). Concernant le D6, il est, en outre, indiqué que, en plus de ses propriétés intrinsèques, cette substance répond également aux critères prévus à l’article 57, sous e), du règlement [REACH] en tant que substance vPvB, lorsqu’il contient une quantité de
D4 ou de D 5 supérieure ou égale à 0,1 % (masse/masse). »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 septembre 2018, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation totale ou partielle de la décision litigieuse.

16 Par décision du 10 janvier 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de la République fédérale d’Allemagne au soutien des conclusions de l’ECHA.

17 Par ordonnance du 1er février 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de la Commission au soutien des conclusions de l’ECHA.

18 Par ordonnance du 8 avril 2019, le président de la cinquième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de l’American Chemistry Council Inc. (ACC) au soutien des conclusions des requérantes.

19 À l’appui de leur recours, les requérantes ont invoqué deux moyens.

20 Le premier moyen était tiré d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA dans le cadre de l’évaluation de la propriété B du D4, du D5 et du D6, ainsi que dans le cadre de l’évaluation de la propriété T du D5 et du D6, du dépassement du cadre de ses compétences et d’une violation de l’article 59 du règlement REACH. Ce moyen était divisé en huit branches, tirées, la première, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle aurait tenu compte des avis du MSC et du
CER sans procéder à sa propre appréciation des informations dont elle disposait et en « important » ainsi les erreurs qui entacheraient ces avis, la deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle a conclu que le D4, le D5 et le D6 remplissaient les critères pour être identifiés en tant que substances PBT et vPvB, lesquels sont énoncés à l’annexe XIII, alors que les propriétés P et B n’auraient pas été établies pour le même milieu, la troisième, d’une erreur
manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle n’aurait pas tenu compte de la nature hybride du D4, du D5 et du D6, la quatrième, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle aurait fondé ses conclusions sur la bioaccumulation du D4 et du D5 sur des éléments de preuve qui seraient incapables d’étayer de telles conclusions, la cinquième, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle a omis d’évaluer les nouveaux éléments de preuve
relatifs à la bioaccumulation (propriétés B et vB) pour le D4 et le D5 dont elle disposait postérieurement à l’adoption des avis du MSC et du CER, la sixième, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle a omis de tenir compte de toutes les informations pertinentes aux fins de l’évaluation portant sur la bioaccumulation du D6, et, les septième et huitième, d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle a omis de prendre en considération les
informations relatives à la toxicité du D5 et du D6 en tant que tels, et en ce qu’elle a identifié ces substances comme étant des substances PBT en raison de la présence dans lesdites substances du D4 en tant qu’impureté, et ce sans tenir compte des limites spécifiques relatives à la quantité de D4 définies par le MSC.

21 Le second moyen était tiré d’une violation du principe de proportionnalité.

22 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté chacun des moyens invoqués et a, par voie de conséquence, rejeté le recours dans son ensemble.

Les conclusions des parties devant la Cour

23 Par leur pourvoi, les requérantes, soutenues par l’ACC, demandent à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur le recours en annulation, et

– de condamner l’ECHA aux dépens, y compris à ceux afférents à la procédure devant le Tribunal ainsi qu’à ceux engagés par les parties intervenantes.

24 L’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et la Commission, demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérantes aux dépens.

Sur le pourvoi

25 À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent quatre moyens, tirés :

– le premier, d’une interprétation erronée de l’annexe XIII et du règlement no 253/2011, en ce que le Tribunal a jugé que, dans le cadre de l’évaluation des propriétés B/vB d’une substance, les données relatives au facteur de bioconcentration (ci-après le « FBC ») avaient la « priorité » ou revêtaient une « force probante plus importante » que les autres données disponibles ;

– le deuxième, d’une interprétation erronée de l’annexe XIII, en ce que le Tribunal a jugé que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste en ne prenant pas en compte la nature hybride du D4, du D5 et du D6, d’une dénaturation des moyens et des éléments de preuve ainsi que d’une violation du droit d’être entendu ;

– le troisième, d’une interprétation erronée de l’annexe XIII, en ce que le Tribunal a jugé que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste en ne prenant pas en considération les données obtenues dans des conditions pertinentes, d’une dénaturation des moyens et des éléments de preuve ainsi que d’une violation du droit d’être entendu ;

– le quatrième, d’une inexactitude matérielle des constatations du Tribunal et d’une dénaturation des éléments de preuve.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

26 Les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que la « détermination par force probante », au sens du règlement REACH, signifie que, lors de l’examen de la question de savoir si une substance remplit les critères B et vB, les données sur le FBC, prévues à la section 3.2.2, sous a), de l’annexe XIII, ne sauraient être seules prises en compte, mais qu’il convient également de prendre en considération d’autres informations telles que le facteur de bioamplification (ci-après le « FBA ») ou le
facteur d’amplification trophique (ci-après le « FAT »), expressément mentionnés au point c) de la même section. Toutes les données relatives aux substances examinées devraient ainsi être évaluées conjointement au regard des critères énoncés à la section 1 de ladite annexe et aucune donnée particulière, telle que celles sur le FBC, ne prévaudrait sur les autres données pertinentes disponibles, telles que celles sur le FBA et le FAT, ainsi que cela ressortirait notamment d’une interprétation
textuelle de la section 3.2.2 de l’annexe XIII, des considérants 5 et 6 du règlement no 253/2011 ainsi que du « Guide des exigences d’information et évaluation de la sécurité chimique » de l’ECHA.

27 En premier lieu, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 71 de l’arrêt attaqué, que le législateur de l’Union européenne a choisi d’accorder une priorité aux résultats issus des études fiables portant sur le FBC dont les valeurs revêtiraient une force probante plus importante que celle des autres données disponibles, et en constatant, au point 68 de cet arrêt, que la priorité accordée aux données sur le FBC est corroborée par les
sections 1.1.2 et 1.2.2 de l’annexe XIII qui fixent les critères d’identification des propriétés B et vB d’une substance par rapport au FBC de celle-ci chez les espèces aquatiques, et, aux points 69 et 70 dudit arrêt, que la détermination par force probante ne s’applique pas si les données sur le FBC peuvent être appliquées « directement » aux critères prévus à la section 1 de cette annexe.

28 Accepter qu’une certaine catégorie des données se voie accorder une « priorité », une « force probante plus importante » (point 71 de l’arrêt attaqué) ou une certaine « importance » (point 72 de cet arrêt) par rapport à d’autres données contredirait la notion même de « force probante », telle qu’elle est définie à l’annexe XIII, laquelle exige que tous les résultats disponibles soient rassemblés « [q]uelles que soient leurs conclusions respectives », et priverait cette notion de son effet utile.

29 De l’avis des requérantes, en affirmant que les données visées à la section 3.2.2 de l’annexe XIII gagnent en importance quand les données sur le FBC ne peuvent pas être appliquées directement aux informations disponibles, le Tribunal aurait, en réalité, considéré qu’il convient de n’accorder aucune pertinence ou aucun effet particulier aux données visées aux points b) et c) de cette section, lorsque des résultats, au sens du point a) de ladite section, sont disponibles.

30 Toutefois, cette appréciation du Tribunal ne serait confortée ni par le deuxième alinéa du préambule de l’annexe XIII ni par les considérants 5 et 6 du règlement no 253/2011, qui n’indiqueraient pas que la détermination par force probante s’avère pertinente lorsque l’application directe des critères B/vB aux données sur le FBC n’est pas possible, mais qui énonceraient que cette détermination est particulièrement pertinente lorsque l’application directe des critères B/vB à toutes les informations
disponibles n’est pas possible. Une telle interprétation serait également en accord avec le troisième alinéa du préambule de cette annexe qui insiste sur la nécessité de prendre en considération toutes les informations disponibles, quelles que soient leurs conclusions respectives. Or, l’arrêt attaqué accorderait, à tort, la priorité aux données sur le FBC en raison précisément de la possibilité d’appliquer numériquement celles-ci aux critères prévus à la section 1 de ladite annexe. Toutefois, une
approche fondée sur la force probante aurait dû être utilisée en l’espèce pour évaluer les propriétés B et vB des substances concernées, indépendamment du fait que le Tribunal a considéré que les données sur le FBC pouvaient être appliquées directement/numériquement aux critères prévus à cette section.

31 Selon les requérantes, l’annexe XIII exige de prendre en considération les données sur le FBC ainsi que celles relatives au FBA et/ou au FAT, sans ordre de priorité. Lorsque des résultats provenant de ces données sont disponibles, mais qu’ils sont contradictoires, comme ce serait le cas en l’espèce, et lorsque les propriétés de la substance examinée indiquent qu’une catégorie des données ne s’avère pas pertinente, comme ce serait également le cas pour le FBC, il serait conforme à la cohérence
interne de cette annexe qu’une détermination par force probante, examinant les données autres que celles relatives au FBC et qui revêtent le même niveau d’importance, se voit accorder par principe une importance particulière.

32 Toutefois, l’arrêt attaqué sous-entendrait que les résultats se rapportant au FBC seraient suffisants en eux-mêmes pour établir une présomption de « préoccupation » concernant les propriétés B/vB, qui ne pourrait être renversée que si d’autres données « réfut[ent] » (point 73 de l’arrêt attaqué), « invalid[ent] » (point 74 de cet arrêt), « contredis[ent] » (points 83 et 130 dudit arrêt) ou « dissip[ent] » (points 129 et 155 du même arrêt) ces résultats.

33 En deuxième lieu, les requérantes allèguent que, au point 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a renversé la charge de la preuve, en jugeant que l’absence de bioamplification d’une substance dans une chaîne alimentaire ne prouve pas l’absence de bioamplification de cette substance dans d’autres chaînes alimentaires. Cela étant, le Tribunal aurait ignoré que le règlement REACH n’exige pas d’apporter la preuve de l’absence de bioamplification dans toutes les chaînes alimentaires possibles, mais
impose en revanche à l’ECHA de démontrer qu’une substance remplit les critères pour être identifiée comme étant une substance présentant la propriété B ou la propriété vB, ce que l’ECHA n’aurait pas fait en l’occurrence.

34 En troisième lieu, le Tribunal aurait également commis une erreur d’appréciation, aux points 76 et 77 de l’arrêt attaqué, en n’ayant pas exercé son contrôle sur le processus ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse, dès lors que, d’une part, il a rejeté à tort les résultats d’une étude portant sur le FBA réalisée en laboratoire dans le cadre de laquelle les poissons étaient exposés par la voie alimentaire et qui démontrait un FBA très faible, en retenant, sans fondement valable, les
explications du MSC selon lesquelles ces résultats ne pouvaient pas être comparés à ce qui se passe dans l’environnement réel où les poissons sont exposés à la fois par la voie alimentaire et par le milieu aquatique, et que, d’autre part, il n’aurait pas censuré l’approche de l’ECHA qui avait qualifié de pertinentes des données portant sur d’autres substances ayant un FBA faible et un FBC élevé sans procéder à une comparaison entre les propriétés de ces substances et celles des substances
concernées en l’espèce.

35 Selon l’ECHA, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, l’approche fondée sur la force probante au titre de l’annexe XIII n’exclut pas la possibilité de donner un poids distinct à des données différentes, de sorte que le grief portant sur l’interprétation erronée de cette annexe et du règlement no 253/2011 devrait être rejeté comme étant non fondé. S’agissant des autres erreurs prétendument commises par le Tribunal, l’ECHA fait valoir que l’argumentation des requérantes est, à titre
principal, irrecevable, celles-ci tendant à obtenir une nouvelle appréciation des faits. Cette argumentation serait, en tout état de cause, non fondée.

36 La République fédérale d’Allemagne ajoute que non seulement une « certaine priorité » doit être accordée au FBC, mais qu’il aurait pu être considéré, de plus, que le FBC était déterminant, dans la mesure où, en l’espèce, la concentration du D4, du D5 et du D6 chez les poissons était 5000 fois plus élevée que dans l’eau environnante.

37 S’agissant particulièrement du point 71 de l’arrêt attaqué, la Commission ajoute que, dans la mesure où les requérantes contestent les appréciations du Tribunal portant sur la force probante du FBC, leur argumentation tend en réalité à ce qu’une nouvelle appréciation des faits soit effectuée et doit donc être rejetée comme étant irrecevable. En revanche, dans la mesure où l’argumentation des requérantes porte sur l’erreur d’interprétation qu’aurait commise le Tribunal en accordant une priorité
aux résultats issus d’études fiables portant sur le FBC, celle-ci serait inopérante. En effet, quand bien même le Tribunal aurait commis une erreur de droit en accordant une priorité de principe à ces résultats, quod non, son appréciation ne saurait être remise en cause dès lors que, en l’occurrence, le MSC a considéré, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que les valeurs du FBC revêtaient une force probante plus importante que celle d’autres données auxquelles les requérantes font
référence.

Appréciation de la Cour

38 Dans le cadre du premier moyen, les requérantes, soutenues par l’ACC, font en substance valoir que les points 68 à 72, 74, 76 et 77 de l’arrêt attaqué sont entachés de plusieurs erreurs de droit tirées, premièrement, d’une interprétation erronée de l’annexe XIII en ce qui concerne la priorité accordée aux données sur le FBC, deuxièmement, d’un renversement de la charge de la preuve et, troisièmement, d’une méconnaissance par le Tribunal des limites de son contrôle.

39 S’agissant, en premier lieu, de la priorité accordée par le Tribunal, aux points 68 à 72 de l’arrêt attaqué, aux résultats issus des études fiables portant sur le FBC d’une substance chez les espèces aquatiques, il résulte de l’économie de l’annexe XIII, telle que modifiée par le règlement no 253/2011, que la détermination par force probante des données suppose que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance PBT ou vPvB soient prises en
considération conjointement, quelles que soient leurs conclusions respectives, une importance appropriée devant être accordée à la qualité et à la cohérence des données.

40 Aux termes du deuxième alinéa du préambule de cette annexe, aux fins de l’identification des substances PBT et vPvB, dans le cadre de la détermination par force probante, il est procédé à la comparaison de toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 de ladite annexe, à savoir notamment les données pertinentes et disponibles sur le FBC, le FBA et le FAT, aux critères fixés à la section 1 de celle-ci.

41 Selon la section 1 de l’annexe XIII portant sur les critères d’identification des substances PBT et vPvB, la bioaccumulation est définie par rapport au FBC chez les espèces aquatiques. Ainsi, une substance est « bioaccumulable » (B), lorsque le FBC de cette substance est supérieur à 2000 et « très bioaccumulable » (vB) lorsque le FBC de celle-ci est supérieur à 5000.

42 Il ressort du deuxième alinéa du préambule de cette annexe que la détermination par force probante est notamment appliquée lorsque les critères de la section 1 de celle-ci, dont notamment le FBC, ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles. Cela résulte également du considérant 6 du règlement no 253/2011, aux termes duquel la détermination par force probante prend toute son importance lorsque les critères de cette section 1 ne peuvent être appliqués directement aux
informations disponibles.

43 Ainsi qu’il a également été relevé par Mme l’avocate générale aux points 44 à 50 de ses conclusions, il ressort de la lecture de ce préambule et de ce considérant 6 que la détermination par force probante doit d’abord clarifier, en tenant compte de toutes les informations disponibles énumérées à la section 3.2 de l’annexe XIII, la question de savoir si les études disponibles ont déterminé de manière pertinente et fiable le FBC. Si tel est le cas, les données pertinentes et fiables relatives au
FBC bénéficient d’une position privilégiée dans l’économie de l’annexe XIII dans la mesure où la bioaccumulation se rapporte directement à ces données. Cette interprétation ne saurait être remise en cause par l’intégration opérée par le règlement no 2017/735, ayant modifié le règlement no 440/2008, de la méthode d’essai par la voie alimentaire, c’est-à-dire par bioamplification ou par magnification trophique, laquelle est adaptée aux substances très faiblement solubles dans l’eau, en tant que
méthode utilisée pour déterminer la bioaccumulation chez le poisson à l’instar de l’exposition par le milieu aquatique.

44 Par conséquent, le Tribunal a pu conclure, sans commettre d’erreur de droit, aux points 71 et 72 de l’arrêt attaqué, que le législateur de l’Union a accordé une priorité aux résultats issus des études fiables portant sur le FBC d’une substance chez les espèces aquatiques. Ainsi que le Tribunal l’a affirmé, à juste titre, aux points 68 à 71 de cet arrêt, cette priorité est sans préjudice de l’application de la détermination par force probante. C’est dans ce contexte que le Tribunal a constaté que
le MSC n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les données sur le FBC revêtaient une force probante plus importante que celle d’autres données auxquelles les requérantes ont fait référence, à savoir celles relatives au FAT et au FBA. Par conséquent, l’argumentation des requérantes selon laquelle il ressortirait de l’arrêt attaqué qu’aucune pertinence ou aucun effet particulier ne devrait être accordé aux données visées à la section 3.2.2, sous b) et c), de
l’annexe XIII lorsque des résultats portant sur la bioconcentration sont disponibles, témoigne d’une lecture erronée de cet arrêt et doit, partant, être écartée comme étant dénuée de fondement.

45 Par ailleurs, dans la mesure où le premier moyen, en ce qu’il est tiré d’une interprétation erronée de l’annexe XIII, concerne l’appréciation du Tribunal portant sur la manière concrète avec laquelle la détermination par force probante a été appliquée en l’espèce ainsi que sur la valeur probante reconnue aux données relatives au FBC lors de la pondération de différents éléments de preuve, ce moyen doit être écarté, en l’absence de toute allégation de dénaturation, comme étant irrecevable.

46 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le prétendu renversement de la charge de la preuve opéré par le Tribunal au point 74 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il aurait implicitement considéré que les requérantes devaient apporter la preuve de l’absence de bioamplification dans toutes les chaînes alimentaires, il convient d’observer que le Tribunal a retenu à ce point que les « données résultant des études de terrain indiquant qu’il n’existait pas d’amplification trophique dans certains réseaux
alimentaires [avaient] été prises en considération » par le MSC qui a estimé que « ces données n’invalidaient [toutefois] pas les autres éléments de preuve étayant la conclusion sur la bioaccumulation ». C’est dans ce contexte que le Tribunal a indiqué, d’une part, que l’absence de bioaccumulation par voie de bioamplification n’excluait pas la possibilité de bioaccumulation par voie de bioconcentration et, d’autre part, que l’absence de bioamplification d’une substance dans une chaîne alimentaire
ne prouvait pas l’absence de bioamplification de cette substance dans d’autres chaînes alimentaires.

47 Un reversement de la charge de la preuve aurait impliqué que, en l’absence de preuve concernant la bioaccumulation d’une substance, les requérantes soient tenues de démontrer l’absence de bioaccumulation, ce qui n’a pas été le cas en l’occurrence. En revanche, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 91 de ses conclusions, la partie qui invoque une analyse insuffisante des éléments pertinents par l’organisme de l’Union concerné ou des erreurs manifestes d’appréciation commises par
celui-ci doit fournir des éléments susceptibles de fonder la plausibilité d’une telle insuffisance ou de telles erreurs, à charge pour cet organisme, le cas échéant, d’écarter cette plausibilité, sans que cela constitue un renversement de la charge de la preuve.

48 En ce qui concerne, en troisième lieu, le contrôle prétendument insuffisant exercé par le Tribunal aux points 76 et 77 de l’arrêt attaqué sur certaines constatations du MSC et de l’ECHA, il y a lieu de rappeler d’emblée, ainsi qu’il a été relevé par le Tribunal aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué, que, dans un cadre technique complexe à caractère évolutif tel que celui de la présente affaire, les autorités compétentes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du juge
de l’Union devant se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60, et du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 46).

49 Or, il ne ressort pas de l’argumentation des requérantes que le Tribunal aurait méconnu les limites de son contrôle. En revanche, les requérantes semblent remettre en cause, sans invoquer la moindre dénaturation, l’appréciation, par le Tribunal, des résultats de l’essai par la voie alimentaire qu’elles avaient mentionnés et du renvoi opéré par le MSC à d’autres substances afin d’illustrer qu’il n’était pas inhabituel qu’une substance possédant un FBA inférieur à 1 résultant d’un essai par la voie
alimentaire puisse posséder un FBC remplissant le critère d’identification des propriétés B ou vB.

50 Ce faisant, les requérantes cherchent, en réalité, à obtenir un réexamen par la Cour des éléments de preuve produits devant le Tribunal. Or, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. Il s’ensuit que, dans le cadre d’un pourvoi,
la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits (arrêt du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 84).

51 Le premier moyen doit dès lors être rejeté comme étant en partie non fondé et en partie irrecevable.

Sur le deuxième moyen

Argumentation des parties

52 Les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que l’annexe XIII s’applique aux substances organiques, y compris aux substances organométalliques, et non pas aux substances inorganiques. Une substance serait organique si elle ne contient que du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène et éventuellement de l’azote. Le D4, le D5 et le D6 auraient des propriétés uniques en raison de leur nature hybride qui se traduiraient par des propriétés différentes de solubilité et de répartition entre les
milieux qui influencent leur distribution et leur devenir dans l’environnement. Les requérantes précisent que le D4, le D5 et le D6 se biodiluent, que leur concentration diminue avec l’augmentation du niveau trophique, et qu’ils se métabolisent lorsqu’ils sont absorbés par des organismes par voie alimentaire, c’est-à-dire qu’ils ne s’accumulent pas dans la chaîne alimentaire.

53 Il s’ensuit, selon les requérantes, que les données sur le FBC ne sont pas directement pertinentes afin d’évaluer les propriétés B et vB de ces substances, les études sur la bioconcentration étant réalisées dans des conditions artificielles dans lesquelles non seulement les substances sont empêchées de se répartir dans l’air ou dans les sédiments, mais également la concentration des substances dans l’eau est maintenue constante. Les résultats de ces études ne refléteraient donc pas le
comportement des substances dans l’environnement dans des « conditions pertinentes », au sens du quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII. En revanche, le FBA et le FAT constitueraient des paramètres pertinents.

54 Dans ce contexte, les requérantes avancent, en premier lieu, que le Tribunal n’a pas répondu aux arguments qu’elles avaient présentés en première instance portant sur les conséquences qui découlent de la nature hybride des substances concernées aux fins de l’application des critères prévus à l’annexe XIII. En revanche, le Tribunal se serait limité à juger, aux points 140, 141 et 150 de l’arrêt attaqué, qu’une substance possédant une structure hybride organique/inorganique ne serait pas exclue du
champ d’application de cette annexe.

55 En deuxième lieu, au point 151 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait, d’une part, renversé la charge de la preuve en jugeant que les requérantes n’ont avancé aucun élément de preuve susceptible de démontrer que l’ECHA aurait omis de prendre en compte les propriétés spécifiques d’une substance et, d’autre part, ignoré les preuves qu’elles avaient fournies afin d’établir cette omission. De l’avis des requérantes, l’ECHA n’a pas démontré qu’elle avait pris en considération la nature hybride des
substances concernées lors de leur évaluation au titre de cette annexe et le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que cette omission ne constituait pas une erreur manifeste d’appréciation.

56 Au point 156 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait de nouveau renversé la charge de la preuve en jugeant que les requérantes n’avaient pas démontré que l’ECHA avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la prise en compte par celle-ci de l’exposition par voie alimentaire à travers la chaîne alimentaire. Or, les requérantes prétendent avoir présenté des observations détaillées démontrant que l’ECHA n’avait pas tenu compte des propriétés spécifiques du D4, du D5 et du D6
découlant de leur nature hybride, justifiant l’utilisation des données sur le FBA afin d’évaluer leurs propriétés B et vB, de sorte qu’il incombait à l’ECHA de démontrer qu’elle avait effectivement pris en considération ces propriétés spécifiques lors de l’adoption de la décision litigieuse.

57 En troisième lieu, les requérantes contestent les appréciations du Tribunal exposées aux points 117, 126, 152, 153 et 155 de l’arrêt attaqué en ce qu’elles reposeraient, en substance, sur une dénaturation des faits.

58 Ainsi, premièrement, s’agissant des points 117 et 152 de l’arrêt attaqué, le Tribunal y aurait affirmé à tort que, selon les requérantes, le D4, le D5 et le D6 ne se trouvaient ni dans l’eau ni dans l’environnement. Or, les requérantes contestent avoir avancé des affirmations aussi absolues à cet égard et renvoient, à titre illustratif, au mémoire en réplique ainsi qu’à leur réponse aux questions posées par le Tribunal afin d’établir qu’elles ont allégué et démontré que les propriétés hybrides du
D4, du D5 et du D6 influencent leur comportement et leur devenir dans l’environnement à un niveau tel qu’une conclusion différente de celle du Tribunal, quant à leurs propriétés B/vB, devrait s’imposer.

59 Deuxièmement, en ce qui concerne la métabolisation du D4, du D5 et du D6, le Tribunal aurait, au point 126 de l’arrêt attaqué, tout d’abord, retenu à tort l’absence de preuves suffisamment concrètes et tangibles concernant l’affirmation des requérantes selon laquelle le D4, le D5 et le D6 sont métabolisés par les organismes. Toutefois, les requérantes affirment avoir présenté, dans la requête en première instance, des preuves scientifiques en ce sens, comme notamment les études « Domoradzki et
al. (2017) » et « Gobas et al. (2015) » portant sur la métabolisation chez le poisson.

60 Au point 153 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait, ensuite, jugé à tort que les affirmations des requérantes sur la métabolisation des substances dans les espèces benthiques, pélagiques et terrestres n’étaient pas étayées. Selon les requérantes, si le Tribunal a certes tenu compte, au point 128 de cet arrêt, de l’étude « Selck et al. (2018) » qu’elles ont invoquée, il a cependant ignoré la conclusion principale de cette étude selon laquelle les substances en cause se métabolisent même dans les
organismes vivant dans les sédiments à des niveaux tels qu’aucune bioaccumulation ne peut se produire.

61 Au point 155 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait, enfin, procédé à des constatations erronées. Ainsi, les requérantes affirment n’avoir pas allégué que les substances en cause sont intégralement métabolisées et considèrent que la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu, au point 127 de cet arrêt, selon laquelle, « [m]ême si une telle métabolisation se produisait, elle ne serait pas suffisamment forte pour exclure toute bioaccumulation par bioconcentration » est dépourvue de fondement. De
même, l’affirmation du Tribunal énoncée au même point 155, selon laquelle la conclusion de l’ECHA sur la propriété vB du D4, du D5 et du D6 serait corroborée par les données portant sur la bioamplification issues d’études alimentaires, serait infirmée par l’étude « Gobas (2018) ».

62 L’ECHA, soutenue par la Commission, avance que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant non fondé.

63 Dans leur mémoire en réplique, les requérantes ajoutent, concernant la violation du droit d’être entendu, que le simple fait que leurs arguments ont été déformés et n’ont pas été abordés par le Tribunal est constitutif d’une telle violation.

Appréciation de la Cour

64 Le deuxième moyen porte sur l’appréciation, par le Tribunal, des conséquences qui découlent des propriétés intrinsèques du D4, du D5 et du D6 résultant de leur nature hybride au regard des critères d’évaluation prévues à l’annexe XIII.

65 En premier lieu, les requérantes critiquent les points 140, 141 et 150 de l’arrêt attaqué, dans le cadre desquels le Tribunal aurait dénaturé leur argumentation. Les requérantes affirment avoir soutenu non pas que le D4, le D5 et le D6 devraient être exclus du champ d’application du règlement REACH en raison de leur nature hybride, mais que les propriétés intrinsèques de ces substances seraient de nature à influencer l’application des critères prévus à l’annexe XIII aux fins de leur
identification en tant que substances PBT ou vPvB.

66 À cet égard, il convient d’observer, ainsi qu’il a également été relevé par Mme l’avocate générale aux points 77 à 81 de ses conclusions, que, s’il ressort de la requête en première instance que les requérantes ont critiqué « la manière dont il convient d’appliquer les critères énoncés à l’annexe XIII du règlement REACH », la constatation du Tribunal portant sur l’application de cette annexe aux substances concernées ne préjudicie pas aux intérêts de celles-ci.

67 En effet, dans l’économie de cet arrêt, cette constatation constitue une étape préalable à l’analyse des propriétés intrinsèques du D4, du D5 et du D6 découlant de leur nature hybride, et de leur influence sur l’évaluation des propriétés P, B, T, vP ou vB de ces substances. Or, ainsi que l’ECHA le fait valoir sans être contredite par les requérantes, le Tribunal ne s’est pas limité à constater que le D4, le D5 et le D6 relèvent du champ d’application du règlement REACH, mais il a également
analysé les objections des requérantes fondées sur l’influence de la nature hybride desdites substances au regard de l’application de l’annexe XIII. La critique des points 140, 141 et 150 de l’arrêt attaqué doit dès lors être écartée comme étant inopérante.

68 S’agissant, en deuxième lieu, du grief pris d’un renversement de la charge de la preuve opéré par le Tribunal, en ce qu’il a affirmé, aux points 151 et 156 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’avaient pas avancé des éléments de preuve susceptibles de démontrer que l’ECHA avait omis de prendre en considération les informations sur la nature hybride des D4, D5 et D6 et qu’elle avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’exposition par voie alimentaire à travers la
chaîne alimentaire, il doit être rejeté comme étant non fondé. En effet, ainsi qu’il a été mentionné au point 47 du présent arrêt, le Tribunal n’a fait que constater, à juste titre, qu’il incombe aux requérantes de présenter devant lui des éléments susceptibles de fonder la plausibilité des insuffisances ou des erreurs manifestes qu’elles invoquent.

69 En ce qui concerne, en troisième lieu, les conséquences qui découlent des propriétés spécifiques du D4, du D5 et du D6, il y a lieu d’observer, comme le fait également valoir l’ECHA et ainsi qu’il ressort du point 151 de l’arrêt attaqué, que le Tribunal n’a pas jugé que de telles propriétés ne puissent pas être qualifiées d’informations pertinentes, au sens de la section 3.2 de l’annexe XIII, susceptibles d’être retenues dans le cadre de la détermination par force probante. En revanche, il a
conclu que, en l’occurrence, les éléments avancés par les requérantes n’étaient pas susceptibles de démontrer que l’ECHA avait omis de prendre en considération ces propriétés et qu’une telle omission avait eu une incidence sur l’identification des D4, D5 et D6 en tant que substances PBT ou vPvB.

70 Les requérantes contestent cette conclusion du Tribunal en affirmant que les constatations qui figurent aux points 117, 126, 152, 153 et 155 de l’arrêt attaqué reposent sur une dénaturation de leur argumentation et des éléments de preuve présentés à l’appui de celle-ci.

71 S’agissant, d’abord, de la dénaturation de leur argumentation, les requérantes soutiennent, d’une part, qu’elles n’avaient pas présenté des affirmations aussi absolues selon lesquelles « le D4, le D5 et le D6 ne se trouvent pas dans l’eau » et, d’autre part, qu’elles n’avaient pas affirmé que ces substances étaient intégralement métabolisées dans certains organismes.

72 Premièrement, il convient de relever que les requérantes ne contestent pas que leurs écritures pouvaient être lues par le Tribunal en ce sens que les D4, D5 et D6 ne se trouvaient pas dans l’eau. Or, une dénaturation devrait apparaître de manière manifeste de l’arrêt attaqué, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. Par ailleurs, au point 118 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également évoqué l’hypothèse dans laquelle les substances en cause ne passeraient pas « des sédiments à l’eau au-delà du
niveau de la solubilité » et a observé que même une faible hydrosolubilité ne signifie pas « qu’il n’y a pas de bioconcentration dans les espèces aquatiques ».

73 Deuxièmement, il y a lieu de constater que les requérantes n’étayent pas l’allégation de dénaturation de leur argumentation en ce qui concerne la métabolisation des D4, D5 et D6 dans certains organismes. Par ailleurs, le point 155 de l’arrêt attaqué, contesté par les requérantes, s’inscrit dans le cadre du raisonnement du Tribunal exposé aux points 153 à 155 de cet arrêt. Ainsi, après avoir correctement exposé la thèse des requérantes au point 153 dudit arrêt, le Tribunal a constaté, d’une part,
que le métabolisme des substances en cause dans les poissons et dans les organismes vivant dans des sédiments a été examinée dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen et, d’autre part, que l’argumentation sur le métabolisme de ces substances dans d’autres organismes n’était pas étayée. C’est uniquement à titre subsidiaire que le Tribunal a examiné, au point 155 du même arrêt, l’hypothèse dans laquelle « les substances en cause [sont] intégralement métabolisées dans certains
organismes » pour conclure que « cela ne remettrait pas en cause la conclusion de l’ECHA concernant [la propriété] vB du D4, du D5 et du D6 basée sur les valeurs du FBC élevées et étayée par de multiples sources de données sur la bioamplification tirées d’études alimentaires ».

74 S’agissant, ensuite, de la dénaturation des éléments de preuve, en ce que le Tribunal aurait omis de prendre en considération des études que les requérantes avaient présentées portant notamment sur la métabolisation des D4, D5 et D6 chez les poissons, il convient d’observer que ce grief repose sur une lecture sélective de l’arrêt attaqué, dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 170 à 172 de cet arrêt, les études « Domoradzki et al. (2017) » et « Gobas et al. (2015) », auxquelles les
requérantes font référence dans la requête en pourvoi, avaient été traitées dans les documents d’appui relatifs au D4 et au D5 et pris en compte dans le processus décisionnel.

75 Il ressort de ce qui précède que les griefs des requérantes pris d’une dénaturation des arguments et des éléments de preuve visent en réalité à obtenir de la Cour une interprétation de ceux-ci autre que celle avancée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et doivent donc être écartés comme étant irrecevables.

76 S’agissant, en quatrième lieu, de la violation du droit d’être entendu, il convient de rappeler que ce droit implique que l’intéressé soit mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments sur lesquels l’autorité compétente entend fonder sa décision. Toutefois, les critiques des requérantes visent le rejet, par le Tribunal, des griefs formulés contre la décision litigieuse. Par ailleurs, le respect du droit d’être entendu dans le cadre d’une procédure
juridictionnelle implique non pas que le juge doive incorporer intégralement dans sa décision l’ensemble des allégations avancées par chacune des parties, mais que, après avoir écouté les allégations des parties et avoir examiné les éléments de preuve, il doive se prononcer sur les conclusions du recours et motiver sa décision (arrêt du 11 janvier 2007, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C‑404/04 P, EU:C:2007:6, point 125).

77 Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant en partie inopérant, en partie non-fondé et en partie irrecevable.

Sur le troisième moyen

Argumentation des parties

78 Par le troisième moyen, les requérantes, soutenues par l’ACC, contestent, en particulier, les points 88 à 90 et 116 à 119 de l’arrêt attaqué et soutiennent que le Tribunal a commis une erreur en appliquant une distinction trop formaliste entre l’évaluation des risques et l’évaluation des dangers.

79 Elles font ainsi valoir qu’il résulte du quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII que les informations utilisées aux fins de l’évaluation des propriétés PBT/vPvB d’une substance « se fondent sur des données obtenues dans des conditions pertinentes ». Elles citent également le point 114 de la décision de la chambre de recours de l’ECHA du 7 décembre 2016 (affaire A-013-2014), aux termes duquel si les « conditions pertinentes » ne correspondent pas nécessairement aux « conditions de la vie
réelle », le quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII exige néanmoins que l’ECHA tienne compte des propriétés intrinsèques de la substance en cause afin de permettre une estimation correcte de son comportement dans l’environnement.

80 Toutefois, au point 88 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait rejeté à tort leurs arguments relatifs au devenir et au comportement des substances dans l’environnement au motif qu’ils seraient dépourvus de pertinence, en ce qu’ils se rapporteraient à l’évaluation des risques plutôt qu’à l’évaluation des dangers. Or, cette distinction entre l’évaluation des risques et l’évaluation des dangers ne pourrait conduire à rejeter les considérations relatives aux conditions environnementales réellement
applicables, c’est-à-dire aux « conditions pertinentes », au sens du quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII, au motif qu’il s’agirait d’une appréciation sur l’exposition à ces substances que l’ECHA ne serait pas tenue d’examiner dans le cadre d’une évaluation du danger. Selon les requérantes, évaluer si une substance remplit les critères P, B, T, vP ou vB dans des « conditions pertinentes » implique nécessairement d’examiner le comportement de cette substance dans l’environnement, en
tenant compte de ses propriétés intrinsèques.

81 Le Tribunal aurait, dès lors, interprété de manière erronée le quatrième alinéa de l’annexe XIII et aurait, en rejetant ces arguments, violé le droit d’être entendu des requérantes.

82 L’ECHA soutient que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé. Elle fait valoir à cet égard que l’interprétation, telle qu’avancée par les requérantes, du quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII ne serait étayée ni par la décision de la chambre de recours de l’ECHA du 7 décembre 2016 (affaire A-013-2014) ni par la ligne directrice 305 de l’OCDE qui prévoit la méthode d’essai normalisée pour la mesure de la bioconcentration d’une substance.

83 Selon la Commission, le troisième moyen constituerait un moyen nouveau, dans la mesure où, en première instance, les requérantes auraient soutenu que les « conditions pertinentes » exigent que chaque propriété (P, B et T) soit évaluée dans le même milieu environnemental. L’invocation de ce moyen au stade du pourvoi serait dès lors irrecevable. En tout état de cause, la Commission estime que ledit moyen est dénué de fondement, en ce qu’il reposerait sur une compréhension erronée de
l’identification des dangers d’un produit chimique.

Appréciation de la Cour

84 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, par le troisième moyen, les requérantes critiquent la distinction opérée par le Tribunal entre l’évaluation des risques et l’évaluation des dangers ainsi que les conséquences qui en découlent quant à l’identification d’une substance comme étant extrêmement préoccupante, au sens des articles 57 et 59 du règlement REACH. Ce moyen ne saurait dès lors être considéré comme étant nouveau au stade du pourvoi.

85 Plus particulièrement, les requérantes contestent les points 88 à 90 et 116 à 119 de l’arrêt attaqué qui portent, en substance, sur la notion de « conditions pertinentes », au sens du quatrième alinéa du préambule de l’annexe XIII, lequel énonce que « [l]es informations utilisées aux fins de l’évaluation des propriétés PBT/vPvB se fondent sur des données obtenues dans des conditions pertinentes ».

86 À cet égard, il y a lieu de relever que la Cour a déjà retenu à plusieurs reprises, dans le contexte du règlement REACH, la distinction entre l’évaluation des dangers et l’évaluation des risques. Elle a ainsi jugé que les critères énoncés à l’annexe XIII sont fondés sur l’évaluation des dangers présentés par les substances PBT et vPvB, lesquelles sont visées à l’article 57, sous d) et e), de ce règlement, et n’exigent pas qu’il soit procédé, à l’égard des substances concernées, à une évaluation
des risques analogue à celle requise, dans le cadre de la procédure d’évaluation, à la section 6 de l’annexe I dudit règlement ou, dans le cadre de la procédure d’autorisation, à l’article 64, paragraphe 4, du même règlement ou, s’agissant de la procédure de restriction, à l’article 70 du règlement REACH (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P, EU:C:2017:207, points 24 et 25).

87 Il s’ensuit que le Tribunal a jugé, à juste titre, au point 89 de l’arrêt attaqué, en se fondant sur la distinction entre l’évaluation des risques et l’évaluation des dangers, que la manière dont une substance se comporte dans l’environnement relève plutôt de l’évaluation des risques. Dans le contexte de l’annexe XIII, la notion de « conditions pertinentes » se rapporte dès lors non pas à la manière dont la substance concernée se comporte dans l’environnement, mais à la question de savoir si les
méthodes d’essai sont aptes à identifier les propriétés intrinsèques dangereuses de celle-ci.

88 Par conséquent, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 68 de ses conclusions, l’arrêt attaqué n’est pas entaché d’erreur de droit au motif que le Tribunal a écarté l’acception de la notion de « conditions pertinentes » selon laquelle les méthodes d’essai relatives à l’appréciation de la bioaccumulation doivent correspondre à la présence effective des substances concernées dans l’environnement.

89 En ce qui concerne la dénaturation des moyens et des éléments de preuve dont se prévalent également les requérantes à l’appui du troisième moyen, il convient d’observer qu’elles se bornent à l’invoquer formellement, sans l’étayer par des éléments permettant d’identifier quel moyen ou élément de preuve le Tribunal aurait dénaturé.

90 S’agissant de la prétendue violation du droit d’être entendu, l’argumentation des requérantes ne saurait prospérer pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 76 du présent arrêt.

91 Le troisième moyen doit dès lors être rejeté comme étant non fondé.

Sur le quatrième moyen

92 Le quatrième moyen est divisé en trois branches portant, la première, sur la prise en considération par le Tribunal des informations portant sur la toxicité du D5 et du D6 sur la base de la présence du D4, en tant qu’impureté, la deuxième, sur les éléments de preuve portant sur la bioaccumulation du D4 et du D5 postérieurs aux avis du MSC et du CER et, la troisième, sur la prise en considération de toutes les informations pertinentes dans le cadre de l’évaluation de la bioaccumulation du D6.

Sur première branche

– Argumentation des parties

93 Les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir que l’ECHA a identifié le D5 et le D6 comme étant des substances PBT, au motif que le D5 et le D6 contiennent du D4 en tant qu’impureté et que le D4 présenterait les propriétés P, B et T. Au regard des données disponibles portant sur ces substances, l’ECHA n’aurait cependant pas tenu compte du fait que ni le D5 ni le D6 ne présenterait, en tant que tel, la propriété T.

94 Les requérantes ne contestent pas que le D4 est présent en tant qu’impureté dans le D5 et le D6. Toutefois, elles affirment que lorsqu’ils sont directement testés, ni le D5 ni le D6 ne présentent de toxicité pour l’environnement. Si le cinquième alinéa du préambule de l’annexe XIII prévoit que les informations relatives aux impuretés/constituants doivent être prises en compte, l’identification d’une substance devrait être fondée sur les informations relatives à la substance même ainsi que,
« également », sur les constituants pertinents de cette substance.

95 En premier lieu, le Tribunal aurait commis une erreur, au point 256 de l’arrêt attaqué, en concluant que « le mot “également” n’indique pas que l’ECHA aurait dû évaluer la toxicité du D5 et du D6 en tant que telle ».

96 En deuxième lieu, au point 270 de cet arrêt, le Tribunal aurait jugé que les explications fournies par l’ECHA relatives à la toxicité du D5 et du D6 étaient « plausibles » tandis que, au point 271 dudit arrêt, il aurait affirmé que l’argument des requérantes, pris de ce que le D4, dans la mesure où il est libéré dans l’environnement en tant qu’impureté du D5 ou du D6, n’atteint jamais le niveau de toxicité en raison de sa faible solubilité dans l’eau et de son coefficient de partage octanol-eau
élevé, « ne saurait convaincre ». Selon les requérantes, le Tribunal n’aurait pas étayé cette affirmation et aurait ainsi privé celles-ci de leur droit d’être entendu.

97 En troisième lieu, au point 272 du même arrêt, le Tribunal aurait dénaturé les arguments des requérantes en constatant que le D4 n’est pas rejeté dans l’environnement. En réalité, dans la requête en première instance, ainsi que dans leur mémoire en réplique devant le Tribunal, les requérantes auraient indiqué que, dans la mesure où le D4 est rejeté sous la forme d’impuretés provenant du D5 ou du D6, les rejets du D4 n’atteindraient pas des niveaux toxiques en raison de ses propriétés
intrinsèques.

98 Ainsi, selon les requérantes, le Tribunal aurait porté une appréciation sur la toxicité du D5 et du D6 sans fournir le moindre fondement à cette appréciation en vue de l’étayer, en violation des limites de son pouvoir de contrôle.

99 L’ECHA soutient que le quatrième moyen est irrecevable en ce que, par leur argumentation, les requérantes tendent en réalité à obtenir de la Cour une nouvelle évaluation des éléments de preuve et des faits déjà examinés par le Tribunal.

100 Selon l’ECHA, la première branche de ce moyen devrait être rejetée comme étant inopérante, dans la mesure où la toxicité du D5 et du D6 n’aurait aucune incidence sur l’évaluation des propriétés vP et vB de ces substances et n’infirmerait pas la conclusion selon laquelle le D5 et le D6 sont classés en tant que substances extrêmement préoccupantes au regard de leurs propriétés vP et vB.

101 En tout état de cause, l’argumentation des requérantes présentée dans le cadre de cette branche serait également non fondée.

102 Selon la Commission, il ressort du cinquième alinéa du préambule de l’annexe XIII que l’identification d’une substance PBT ou vPvB peut également être fondée sur la présence des propriétés P, B, T, vP ou vB dans n’importe lequel de ses constituants, y compris dans ses impuretés ou dans les produits de transformation ou de dégradation de cette substance.

– Appréciation de la Cour

103 En premier lieu, les requérantes contestent l’interprétation, par le Tribunal, du cinquième alinéa du préambule de l’annexe XIII aux termes duquel l’identification d’une substance PBT ou vPvB tient également compte des propriétés P, B, T, vP ou vB des constituants pertinents d’une substance et des produits de transformation et/ou de dégradation de celle-ci.

104 À cet égard, il y a lieu de relever que, au point 256 de l’arrêt attaqué, contesté par les requérantes, le Tribunal a jugé que l’adverbe « également » n’indique pas que l’ECHA aurait dû évaluer la toxicité du D5 et du D6 en tant que telle alors qu’elle savait que les données n’étaient pas complètes à cet égard ou que la toxicité de ces deux substances résultait déjà d’autres données disponibles, notamment celles relatives au D4 présent en tant qu’impureté dans le D5 et le D6. Or, les requérantes
n’établissent pas que cette affirmation est erronée. En outre, le point 256 de l’arrêt attaqué est conforme à l’objectif poursuivi par le règlement REACH, tel qu’il ressort de son article 1er et tel qu’il a été rappelé par le Tribunal au point 257 de cet arrêt, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement.

105 En deuxième lieu, les requérantes allèguent que le Tribunal n’a pas étayé ses appréciations portant sur la valeur probante des explications fournies par l’ECHA et par elles-mêmes et s’est limité à les qualifier, aux points 270 et 271 dudit arrêt, respectivement, comme étant « plausibles » et, en substance, comme n’étant pas convaincantes. Si les requérantes invoquent formellement une dénaturation des éléments de preuve, il ressort de leur argumentation qu’elles invoquent en réalité une violation
par le Tribunal de son obligation de motivation. Or, les points 270 et 271 de l’arrêt attaqué doivent être lus dans le contexte des points 267 à 271 de cet arrêt qui exposent les raisons pour lesquelles l’ECHA n’a pas tenu compte des données relatives à la toxicité résultant des essais réalisés avec le D5 et le D6, pris en tant que tels. De surcroît, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 76 du présent arrêt, les constatations du Tribunal exposées aux points 270 et 271 de l’arrêt
attaqué ne révèlent aucune violation du droit d’être entendu.

106 En troisième lieu, en ce qui concerne la critique des requérantes portant sur le point 272 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater que le Tribunal n’a pas ignoré ou dénaturé les preuves fournies par les requérantes, mais les a qualifiées de preuves non substantielles. Les requérantes contestent ce point en affirmant qu’elles avaient soutenu non pas que le D4 n’était pas rejeté dans l’environnement, mais que les rejets de cette substance n’atteindraient pas les niveaux établissant sa
toxicité en raison de ses propriétés intrinsèques. Or, il y a lieu d’observer que cet argument des requérantes a été examiné et rejeté par le Tribunal au point 271 de cet arrêt, le point 272 de celui-ci étant exposé à titre surabondant, ce qui est attesté par l’emploi de la locution « en outre ». Le grief dirigé contre le point 272 de l’arrêt attaqué doit donc être rejeté comme étant inopérant.

107 La première branche du quatrième moyen doit dès lors être rejetée comme étant en partie non fondée et en partie inopérante.

Sur la deuxième branche

– Argumentation des parties

108 Selon les requérantes, soutenues par l’ACC, l’ECHA n’aurait pas examiné les nouvelles informations relatives au D4 et au D5 qui sont devenues disponibles certes après l’adoption de l’avis du MSC, mais avant l’adoption de la décision litigieuse. Toutefois, le Tribunal aurait, en premier lieu, conclu à tort, aux points 170, 171, 175 et 177 de l’arrêt attaqué, que les études étaient « traitées » par l’ECHA et examinées avec un « œil critique » sans motiver le raisonnement l’ayant conduit à cette
affirmation.

109 En deuxième lieu, aux points 178 et 180 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation, d’une part, en estimant que les requérantes n’avaient mentionné aucun exemple concret de donnée pour laquelle il leur avait été impossible de savoir comment elle avait été appréciée et, d’autre part, en retenant que les requérantes avaient fourni plusieurs exemples qui démontreraient, selon elles, que l’ECHA n’avait pas examiné soigneusement de nouvelles informations.

110 En troisième lieu, en ce qui concerne les corrections de croissance appliquées aux valeurs du FBC, le Tribunal aurait retenu à tort, au point 200 de l’arrêt attaqué, que l’étude « Gobas et coll. (2015) » a été utilisée afin de déterminer si une correction de croissance a été effectuée. Or, selon les requérantes, cette étude n’indiquerait pas qu’une correction de croissance a été appliquée aux valeurs du FBA. En revanche, l’étude « Gobas (2018) » aurait mis en évidence des problèmes liés à la
correction de croissance appliquée par l’ECHA.

111 En quatrième lieu, au point 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur dans l’appréciation des faits et des arguments avancés par les requérantes. Selon les requérantes, l’ECHA ne serait pas tenue d’évaluer pour chaque étude si les échantillons ont éventuellement été contaminés. Cependant, lorsqu’un problème de contamination est identifié, comme cela a été le cas en l’espèce, elle devrait, dans le cadre de la détermination par force probante, en tenir compte.

112 L’ECHA affirme que, par la deuxième branche du quatrième moyen, les requérantes cherchent en réalité à obtenir une nouvelle appréciation des faits de l’espèce et que, partant, leur argumentation doit être rejetée comme étant irrecevable. Cette argumentation serait également dénuée de fondement.

– Appréciation de la Cour

113 Par le premier grief présenté à l’appui de la deuxième branche du quatrième moyen, les requérantes reprochent, pour l’essentiel, au Tribunal d’avoir considéré, sans explications suffisantes, que l’ECHA avait dûment tenu compte d’études nouvelles portant sur la bioaccumulation du D4 et du D5, postérieures aux avis du MSC et du CER.

114 Ce grief est ainsi tiré, en substance, de la violation par le Tribunal de son obligation de motivation. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour le Tribunal de motiver ses décisions, en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait de manière exhaustive et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au
litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission, C‑647/19 P, EU:C:2021:666, point 36 et jurisprudence citée).

115 Au regard de cette jurisprudence, il convient de constater que les points 170, 171, 175 et 177 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a constaté en substance que différentes études scientifiques étaient examinées d’une manière critique lors du processus décisionnel, ne sont entachés d’aucun défaut de motivation, ces points devant être lus dans le contexte de l’arrêt attaqué. Or, ainsi que l’a également relevé Mme l’avocate générale aux points 97 et 98 de ses conclusions, le Tribunal a
examiné, notamment aux points 185 à 188 de l’arrêt attaqué, les modalités par lesquelles l’ECHA et le MSC ont pris en compte certaines de ces études.

116 En ce qui concerne le deuxième grief présenté à l’appui de cette branche du quatrième moyen, tiré, en substance, d’une prétendue contradiction entre les points 178 et 180 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de considérer que ce grief repose sur une lecture erronée de ces points. En effet, au point 178 de cet arrêt, après avoir exposé la thèse des requérantes selon laquelle la simple citation d’études n’est pas suffisante afin de démontrer que l’ECHA a tenu compte d’informations nouvelles, le
Tribunal a constaté que les requérantes n’avaient mentionné aucune donnée pour laquelle il leur était impossible de savoir comment elle avait été appréciée. En revanche, le point 180 du même arrêt répond à un autre argument, tiré des prétendues erreurs manifestes d’appréciation commises par l’ECHA dans le cadre de l’appréciation de certaines études. C’est à cet égard que le Tribunal a constaté que les requérantes avaient fourni des exemples qui étaient destinés à démontrer que l’ECHA n’avait pas
soigneusement examiné les nouvelles informations à sa disposition, lesquels ont été écartés par le Tribunal dans les points suivant ledit point 180.

117 En ce qui concerne le troisième grief pris de la dénaturation dont serait entaché le point 200 de l’arrêt attaqué, il ressort des pièces de procédure que la question de la correction de croissance appliquée aux valeurs du FBC du D4 et du D5 n’a pas été abordée par les requérantes dans le cadre de la cinquième branche du premier moyen invoqué en première instance. C’est uniquement dans la réplique déposée devant le Tribunal, en particulier dans la partie relative à la bioaccumulation du D6, ainsi
qu’il est indiqué au point 201 de l’arrêt attaqué, que les requérantes ont reproché à l’ECHA d’avoir appliqué un FBC corrigé en fonction de la croissance dans le cadre de l’évaluation du D4, du D5 et du D6.

118 Par conséquent, au point 200 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté, à juste titre, comme étant tardif l’argument des requérantes relatif à une prétendue correction de croissance des valeurs du FBC, bien que cet argument ait été invoqué dans la réplique et non pas seulement lors de l’audience. En effet, ainsi qu’il ressort du paragraphe 2 de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux est permise dans la réplique uniquement si la condition prévue au
paragraphe 1 de cet article est remplie, à savoir si ces moyens se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés au cours d’instance, ce que les requérantes n’ont pas invoqué en l’espèce.

119 S’agissant du quatrième grief, tiré d’une erreur dans l’appréciation des faits et des arguments des requérantes relatifs à la contamination potentielle des échantillons examinée au point 208 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater, en l’absence de toute allégation de dénaturation, que ce grief est irrecevable, le Tribunal étant, comme il a été rappelé au point 50 du présent arrêt, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de
preuve.

120 Il s’ensuit que la deuxième branche du quatrième moyen doit être écartée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.

Sur la troisième branche

– Argumentation des parties

121 Les requérantes, soutenues par l’ACC, font valoir, en premier lieu, que, aux points 96 et 225 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est écarté à tort de sa jurisprudence, en jugeant que la section 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE)
no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1), n’est pas pertinente aux fins de l’identification des substances PBT et vPvB. Or, dans l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106), le Tribunal aurait admis l’applicabilité de certaines dispositions du règlement no 1272/2008 à la procédure d’identification d’une substance comme étant extrêmement préoccupante.

122 En deuxième lieu, au point 226 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation en ce qui concerne l’articulation entre les données relatives au FAT et au FBA ainsi qu’en ce qui concerne l’importance plus élevée accordée aux valeurs du FBC. Les requérantes réitèrent ainsi, en substance, s’agissant plus particulièrement du D6, leur thèse soutenue dans le cadre du premier moyen tiré de l’erreur d’interprétation de l’annexe XIII en ce que le Tribunal aurait accordé une
priorité aux données sur le FBC.

123 En troisième lieu, aux points 231, 234 et 237 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait rejeté à tort, comme étant irrecevables, au motif qu’elles auraient été soulevées uniquement lors de l’audience, les objections que les requérantes avaient formulées en ce qui concerne les corrections de la croissance appliquées dans le cadre de l’étude « CERI (2010) ». En réalité, ces objections auraient été soulevées dans le mémoire en réplique. Les requérantes allèguent également une dénaturation de leur
argumentation au point 234 de l’arrêt attaqué en ce sens qu’elles auraient contesté non pas la validité de la méthodologie exposée dans la ligne directrice 305 de l’OCDE en ce qui concerne la correction de croissance appliquée par l’ECHA, mais l’application faite par l’ECHA des options prévues dans cette ligne directrice afin de normaliser la croissance.

124 En quatrième lieu, au point 241 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait retenu à tort que les requérantes avaient affirmé que l’ECHA devait procéder à une analyse statistique des différentes études portant sur les données sur le FBC à titre de pratique générale. Les requérantes affirment avoir soutenu que l’ECHA devait, dans le cadre de la détermination par force probante, prendre ces informations en considération lorsqu’elles sont disponibles, ce qui aurait été le cas en l’espèce, et leur
accorder l’importance qu’elles requièrent.

125 L’ECHA, soutenue par la Commission, conclut au rejet de la troisième branche du quatrième moyen. S’agissant en particulier de l’application du règlement no 1272/2008, la Commission estime que, en tout état de cause, l’argumentation des requérantes est inopérante dans la mesure où la détermination par force probante aurait été effectuée par l’ECHA en conformité avec l’annexe XIII.

– Appréciation de la Cour

126 En ce qui concerne, en premier lieu, les points 96 et 225 de l’arrêt attaqué, dans le cadre desquels le Tribunal a rejeté l’application par analogie de la section 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, qui comporte une explication de la détermination par force probante analogue à celle figurant aux deuxième et troisième alinéas du préambule de l’annexe XIII, il y a lieu de constater que les requérantes ne démontrent pas en quoi une lecture conjointe du règlement REACH et du règlement
no 1272/2008 aurait pu conduire à une autre conclusion que celle de la décision litigieuse, ainsi qu’il a été également relevé par Mme l’avocate générale aux points 71 et 72 de ses conclusions. Ce grief doit dès lors être rejeté comme étant inopérant.

127 S’agissant, en deuxième lieu, de la priorité accordée aux données sur le FBC par rapport aux données relatives au FBA et au FAT lors de l’identification du D6 en tant que substance bioaccumulable, il convient de considérer que le Tribunal n’a pas commis d’erreur d’interprétation en constatant, au point 226 de l’arrêt attaqué, « l’importance accordée aux valeurs de FBC plus élevées ». Par conséquent, le grief des requérantes à cet égard doit être rejeté comme étant non fondé. Pour ce qui est des
autres aspects portant sur l’articulation entre les données relatives au FAT et au FBA, il y a lieu d’observer que les requérantes se bornent à soutenir une interprétation différente de cette articulation que celle retenue par le Tribunal sans établir l’existence d’une dénaturation.

128 En ce qui concerne le grief portant sur la correction de croissance appliquée dans le cadre de l’étude « CERI (2010) », s’il est vrai que ce grief a été, en substance, soulevé dans la réplique devant le Tribunal et pas uniquement lors de l’audience, il n’en reste pas moins que son rejet comme étant irrecevable pour cause de tardiveté, au point 231 de l’arrêt attaqué, n’est pas entaché d’erreur de droit, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 117 et 118 du présent arrêt.

129 S’agissant des autres griefs invoqués par les requérantes portant sur les points 234, 237 et 241 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater que, par leur argumentation, les requérantes se bornent à contester la pondération des preuves dans le cadre de la détermination par force probante de la bioaccumulation du D6 sans démontrer l’existence des dénaturations alléguées. Elles tendent ainsi en réalité à obtenir un simple réexamen des éléments de preuve présentés devant le Tribunal, ce qui, pour
les raisons exposées au point 50 du présent arrêt, échappe à la compétence de la Cour.

130 La troisième branche du quatrième moyen doit, dès lors, être rejetée comme étant, en partie, non fondée, en partie, inopérante et, en partie, irrecevable.

131 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

132 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

133 L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour dispose que, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens.

134 Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

135 L’ECHA ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

136 La République fédérale d’Allemagne et la Commission, parties intervenantes en première instance, supporteront leurs propres dépens.

137 L’ACC, partie intervenante en première instance, ayant participé à la phase écrite de la procédure devant la Cour, supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) Global Silicones Council, Dow Silicones UK Ltd, Elkem Silicones France SAS, Evonik Operations GmbH, Momentive Performance Materials GmbH, Shin-Etsu Silicones Europe BV et Wacker Chemie AG sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

  3) La République fédérale d’Allemagne, la Commission européenne et l’American Chemistry Council Inc. (ACC) supportent leurs propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-559/21
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH) – Inscription de l’octaméthylcyclotétrasiloxane (D4), du décaméthylcyclopentasiloxane (D5) et du dodécaméthylcyclohexasiloxane (D6) sur cette liste – Substances persistantes, bioaccumulables et toxiques – Substances très persistantes et très bioaccumulables – Bioaccumulation – Facteur de bioconcentration – Substances organométalliques.

Recherche et développement technologique

REACH


Parties
Demandeurs : Global Silicones Council e.a.
Défendeurs : Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Spineanu-Matei

Origine de la décision
Date de l'import : 11/11/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:842

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