ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
16 novembre 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Directive 2003/96/CE – Article 7, paragraphes 2 et 3 – Taux de taxation différenciés en fonction de l’usage commercial ou privé du gazole – Notion de “gazole à usage commercial utilisé comme carburant” – Gazole utilisé pour le transport régulier de passagers – Réglementation nationale prévoyant le remboursement des droits d’accise à l’exclusion du gazole consommé lors des trajets effectués aux fins de l’entretien et du
ravitaillement en carburant des véhicules de transport de passagers »
Dans l’affaire C‑391/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Pécsi Törvényszék (cour de Pécs, Hongrie), par décision du 7 juin 2022, parvenue à la Cour le 14 juin 2022, dans la procédure
Tüke Busz Közösségi Közlekedési Zrt.
contre
Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. M. Ilešič (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, MM. I. Jarukaitis et D. Gratsias, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. A. Tokár, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Tüke Busz Közösségi Közlekedési Zrt. (ci-après « Tüke Busz ») à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’Office national des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après la « direction des recours ») au sujet du refus de cette dernière d’accorder à Tüke Busz le remboursement du montant des droits d’accise sur le gazole consommé lors des trajets réalisés à des fins de réparation, d’entretien et
de ravitaillement des véhicules que celle-ci utilise aux fins de son activité de transport de passagers.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2003/96
3 Les considérants 3 à 6, 12, 19 et 20 de la directive 2003/96 énoncent :
« (3) Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.
(4) D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.
(5) La fixation à des niveaux appropriés des minima communautaires de taxation peut permettre de diminuer les écarts actuels entre les niveaux nationaux de taxation.
(6) Conformément à l’article [11 TFUE], les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques de la Communauté.
[...]
(12) Les prix des produits énergétiques sont des éléments clés des politiques communautaires de l’énergie, des transports et de l’environnement.
[...]
(19) La taxation du carburant diesel utilisé par les transporteurs routiers, notamment ceux qui exercent des activités intracommunautaires, exige la possibilité d’un traitement spécifique, y compris des mesures permettant l’introduction d’un système de redevances sur les infrastructures routières, afin de limiter les distorsions de concurrence auxquelles les opérateurs pourraient avoir à faire face.
(20) Les États membres peuvent être contraints d’établir une différence entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé. Ils peuvent mettre cette situation à profit pour réduire l’écart entre la taxation du gazole à usage privé comme carburant et celle de l’essence. »
4 Aux termes de l’article 1er de cette directive :
« Les États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive. »
5 L’article 4 de ladite directive dispose :
« 1. Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive.
2. Aux fins de la présente directive, on entend par “niveau de taxation” le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)]) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation. »
6 L’article 5 de la même directive prévoit :
« À condition qu’ils respectent les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive et soient conformes au droit communautaire, des taux de taxation différenciés peuvent être appliqués sous contrôle fiscal par les États membres dans les cas [énumérés à cet article.] »
7 L’article 7 de la directive 2003/96 est libellé comme suit :
« 1. À partir du 1er janvier 2004 et du 1er janvier 2010, les niveaux minima de taxation applicables aux carburants sont fixés conformément à l’annexe I, tableau A.
Au plus tard le 1er janvier 2012, le Conseil [de l’Union européenne], statuant à l’unanimité après consultation du Parlement européen, fixe, sur la base d’un rapport et d’une proposition de la Commission [européenne], les niveaux minima de taxation pour le gazole pour une nouvelle période commençant le 1er janvier 2013.
2. Les États membres peuvent établir une différence entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé utilisé comme carburant, à condition que les niveaux minima communautaires soient respectés et que le taux fixé pour le gazole à usage commercial utilisé comme carburant ne soit pas inférieur au niveau national de taxation en vigueur au 1er janvier 2003, nonobstant toute dérogation à cette utilisation prévue dans la présente directive.
3. Par “gazole à usage commercial utilisé comme carburant”, on entend le gazole utilisé comme carburant aux fins ci-après :
a) le transport de marchandises, pour compte d’autrui ou pour compte propre, par un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules couplés destinés exclusivement au transport de marchandises par route et ayant un poids maximum en charge autorisé égal ou supérieur à 7,5 tonnes ;
b) le transport régulier ou occasionnel de passagers par un véhicule automobile de catégorie M2 ou M3, au sens de la directive 70/156/CEE du Conseil, du 6 février 1970, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la réception des véhicules à moteur et de leurs remorques [(JO 1970, L 42, p. 1)].
4. Nonobstant les dispositions du paragraphe 2, les États membres qui introduisent un système de redevances sur l’utilisation des infrastructures routières applicable aux véhicules à moteur ou ensembles de véhicules couplés destinés exclusivement au transport de marchandises par route peuvent appliquer un taux réduit sur le gazole utilisé par ces véhicules, taux qui peut être inférieur au niveau national de taxation en vigueur au 1er janvier 2003 dès lors que la charge fiscale globale reste à
peu près équivalente, et pour autant que les niveaux minima communautaires soient respectés et que le niveau national de taxation en vigueur au 1er janvier 2003 pour le gazole utilisé comme carburant soit au moins deux fois supérieur au niveau minimum de taxation applicable au 1er janvier 2004. »
La directive 2007/46/CE
8 La directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007, établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive-cadre) (JO 2007, L 263, p. 1), a abrogé et remplacé la directive 70/156.
9 La directive 2007/46, telle que modifiée par le règlement (UE) no 678/2011 de la Commission, du 14 juillet 2011, remplaçant l’annexe II et modifiant les annexes IV, IX et XI de la directive 2007/46 (JO 2011, L 185, p. 30), comprend une annexe II, intitulée « Définitions générales, critères pour la classification des véhicules, des types de véhicules et types de carrosserie », dont la partie A, point 1, précise que la catégorie M2 de véhicules correspond aux « [v]éhicules [à moteur conçus et
construits essentiellement pour le transport de passagers et de leurs bagages] comportant, outre le siège du conducteur, plus de huit places assises et ayant une masse maximale n’excédant pas 5 tonnes[ ; les véhicules appartenant à la catégorie M2] peuvent comporter, outre les places assises, un espace pour des passagers debout ». La catégorie M3 de véhicules correspond aux « [v]éhicules [à moteur conçus et construits essentiellement pour le transport de passagers et de leurs bagages] comportant,
outre le siège du conducteur, plus de huit places assises et ayant une masse maximale excédant 5 tonnes[ ; les véhicules appartenant à la catégorie M3] peuvent comporter un espace pour des passagers debout ».
Le règlement (CE) no 1370/2007
10 L’article 2, sous a), du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1), est libellé comme suit :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “transports publics de voyageurs”, les services de transport de voyageurs d’intérêt économique général offerts au public sans discrimination et en permanence ».
Le droit hongrois
La loi de 2003 relative aux droits d’accise
11 L’article 7, point 51, de l’a jövedéki adóról és a jövedéki termékek forgalmazásának különös szabályairól szóló 2003. évi CXXVII. törvény (loi no CXXVII de 2003, relative aux droits d’accise et aux règles spécifiques de commercialisation des produits soumis à accise), telle que modifiée par l’az adó- és járuléktörvények, a számviteli törvény és a könyvvizsgálói kamarai törvény, valamint az európai közösségi jogharmonizációs kötelezettségek teljesítését célzó adó- és vámjogi tárgyú törvények
módosításáról szóló 2010. évi CXXIII. törvény (loi no CXXIII de 2010 portant modification des lois en matière d’impôts et de redevances, de la loi sur la comptabilité, de la loi sur la Chambre des comptes, ainsi que des lois en matière fiscale et douanière afin de satisfaire aux obligations d’harmonisation imposées par la Communauté européenne), dispose, aux fins de l’application de cette loi :
« gazole à usage commercial : gazole relevant de l’article 52, paragraphe 1, sous d), qui est utilisé aux fins ci-après :
a) le transport de marchandises, pour compte d’autrui ou pour compte propre, par un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules couplés (tracteur routier) destinés exclusivement au transport de marchandises par route et ayant un poids maximum en charge autorisé égal ou supérieur à 7,5 tonnes, ou
b) le transport régulier ou occasionnel de passagers par un véhicule automobile de catégorie M2 ou M3, au sens d’a közúti járművek műszaki megvizsgálásáról szóló miniszteri rendelet (décret ministériel relatif au contrôle technique des véhicules routiers). »
La loi de 2016 relative aux droits d’accise
12 L’article 3, paragraphe 2, point 21, de l’a jövedéki adóról szóló 2016. évi LXVIII. törvény (loi no LXVIII de 2016 relative aux droits d’accise, ci‑après la « loi de 2016 relative aux droits d’accise ») prévoit, s’agissant de la taxation des produits énergétiques dans le cadre de l’application de cette loi :
« gazole à usage commercial : le gazole qui est utilisé aux fins ci-après :
a) le transport de marchandises, pour compte d’autrui ou pour compte propre, par un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules couplés (tracteur routier) destinés exclusivement au transport de marchandises par route et ayant un poids maximum en charge autorisé égal ou supérieur à 7,5 tonnes, ou
b) le transport régulier ou occasionnel de passagers par un véhicule automobile de catégorie M2 ou M3, au sens du décret ministériel relatif au contrôle technique des véhicules routiers. »
13 Aux termes de l’article 113, paragraphes 3 et 5, de ladite loi :
« 3. Toute personne exploitant pour le transport local et interurbain des autobus et des autocars de la catégorie M2 et de la catégorie M3, telles que définies dans le décret ministériel relatif au contrôle technique des véhicules routiers, a droit au remboursement de la taxe sur le gaz naturel utilisé pour cette activité.
[...]
5. Le détenteur ou, dans le cas d’un véhicule loué, le preneur du véhicule visé à l’article 3, paragraphe 2, point 21, a droit à un remboursement sur le gazole à usage commercial :
a) acheté au moyen d’une carte de carburant à la station-service, ou
b) acheté dans un établissement hongrois à l’aide d’un dispositif de mesure électronique à partir d’un réservoir de carburant spécifiquement conçu pour le stockage de carburant et équipé d’un dispositif de remplissage automatique de carburant
d’un montant de 3,5 [forints hongrois (HUF)] par litre si le taux de taxation visé à l’article 110, paragraphe 1, point c), ca), s’applique et de 13,5 [HUF] par litre en cas d’application du taux de taxation visé à l’article 110, paragraphe 1, point c), cb). »
14 Conformément à l’article 149, paragraphe 1, de la loi de 2016 relative aux droits d’accise, celle-ci est entrée en vigueur le 1er novembre 2016. Toutefois, en vertu du paragraphe 3 de cet article, les articles 3 et 113 de cette loi sont entrés en vigueur le 1er juillet 2017.
La loi relative aux services de transport de voyageurs
15 L’article 2, point 29, de l’a személyszállítási szolgáltatásokról szóló 2012. évi XLI. törvény (loi no XLI de 2012 relative aux services de transport de voyageurs) définit les transports publics de voyageurs comme étant des services de transport de voyageurs au sens de l’article 2, sous a), du règlement no 1370/2007 effectués sur le fondement d’un contrat de service public.
16 L’article 2, point 30, de cette loi définit les services de transport de voyageurs comme étant des transports de voyageurs effectués au moyen d’un véhicule tel que déterminé dans ladite loi, sur le fondement d’un contrat et contre paiement, ainsi que les services accessoires qui s’y rattachent.
Le litige au principal et la question préjudicielle
17 Tüke Busz est une entreprise établie en Hongrie qui exerce une activité de transport de passagers par autobus sur le fondement d’un contrat de service public.
18 Au cours de l’année 2017, cette société a sollicité le remboursement des droits d’accise sur le gazole qu’elle avait utilisé dans le cadre de cette activité.
19 Ayant constaté que Tüke Busz avait fait valoir son droit à remboursement des droits d’accise afférents non seulement au gazole consommé pour l’exercice de ladite activité de transport proprement dite, mais également à celui consommé lors de trajets liés à l’entretien et au ravitaillement en carburant des véhicules concernés, la direction des recours a adopté une décision constatant l’illégalité du remboursement des droits d’accise afférents au gazole utilisé pour ces trajets et augmenté en
conséquence lesdits droits sur les produits énergétiques combustibles dus par Tüke Busz au titre des mois de janvier à décembre 2017.
20 Devant la Pécsi Törvényszék (cour de Pécs, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, la direction des recours fait valoir que seules les prestations se rattachant à une obligation principale peuvent être qualifiées de services accessoires. En ce qui concerne le transport de voyageurs, tel serait le cas des prestations de services à titre onéreux fournies par le transporteur aux voyageurs comme, notamment, le transport de bagages, de vélos ou d’animaux.
21 En revanche, les voyageurs n’étant pas les destinataires des prestations de services de réparation ou d’entretien des véhicules concernés, celles‑ci ne sauraient relever de la notion de « service accessoire ».
22 La direction des recours en déduit que les droits d’accise afférents au gazole consommé lors de trajets effectués en vue de la réparation ou de l’entretien de véhicules destinés au transport de voyageurs ne peuvent faire l’objet d’un remboursement, dès lors qu’il ne s’agit pas de services accessoires se rattachant au service de transport de voyageurs.
23 Tüke Busz fait valoir, notamment, que, en ce qui concerne les autobus fonctionnant au gaz naturel, l’article 113, paragraphe 3, de la loi de 2016 relative aux droits d’accise permet le remboursement de tels droits afférents au gaz utilisé pour l’« activité », et non pas seulement pour le transport des passagers au sens strict, de sorte qu’il serait injustifié qu’une règle différente régisse le remboursement des droits d’accise sur le gazole.
24 C’est dans ces conditions que la Pécsi Törvényszék (cour de Pécs) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« La décision que [la direction des recours] a rendue dans la présente affaire, de même que la pratique de cette autorité, en vertu desquelles “le transport régulier de voyageurs n’inclut pas le kilométrage nécessaire à l’entretien des moyens de transport utilisés à cet effet, ainsi qu’au ravitaillement en carburant”, sont-elles compatibles avec les dispositions de la directive [2003/96] ? »
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
25 Sans exciper formellement de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle, la Commission fait valoir que certains éléments du contexte factuel et juridique du litige au principal, tel qu’il a été décrit par la juridiction de renvoi, manquent de précision. En particulier, la décision de renvoi omettrait d’indiquer la base juridique sur laquelle se fonde Tüke Busz pour invoquer le droit au remboursement des droits d’accise sur le gazole consommé par les autobus qu’elle exploite, ainsi
que le taux de remboursement des droits d’accise demandé par cette société.
26 Force est également de constater que la juridiction de renvoi n’expose pas les raisons l’ayant conduite à s’interroger sur l’interprétation de la directive 2003/96 ni le lien qu’elle établit entre cette directive et les dispositions de la loi no XLI de 2012 relative aux services de transport de voyageurs.
27 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs, C‑743/18, EU:C:2020:767, point 40 et jurisprudence
citée).
28 Selon une jurisprudence également constante, laquelle est désormais reflétée à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit en outre indiquer les
raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs, C‑743/18, EU:C:2020:767, point 41 et jurisprudence citée).
29 Toutefois, en vertu de l’esprit de coopération qui préside aux rapports entre les juridictions nationales et la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, l’absence de certaines constatations préalables par la juridiction de renvoi ne conduit pas nécessairement à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle si, malgré ces défaillances, la Cour, eu égard aux éléments qui ressortent du dossier, estime qu’elle est en mesure de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi
(arrêt du 1er octobre 2020, Elme Messer Metalurgs, C‑743/18, EU:C:2020:767, point 42 et jurisprudence citée).
30 Or, en l’occurrence, s’il eût assurément été utile que la juridiction de renvoi explicite davantage les cadres factuel et juridique dans lesquels s’insère la question préjudicielle ainsi que les raisons l’ayant conduite à s’interroger sur l’interprétation de la directive 2003/96, il n’en demeure pas moins que, au regard de la nature et de la portée de la disposition du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée, ce manque de précision ne fait pas obstacle à une compréhension suffisante
du contexte dans lequel s’inscrit cette question.
31 En effet, selon les indications de la juridiction de renvoi, Tüke Busz a fait valoir devant cette juridiction, en substance, que l’article 113, paragraphe 3, de la loi de 2016 relative aux droits d’accise doit être interprété en ce sens qu’il prévoit le remboursement de tels droits afférents au gazole utilisé pour des trajets liés à la réparation, à l’entretien ou au ravitaillement en carburant des véhicules affectés à ce type de transport. Ainsi, l’issue du litige au principal dépend, notamment,
de la question de savoir si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/96 s’oppose à une disposition du droit d’un État membre ou à une pratique de ses autorités fiscales qui prévoient un tel remboursement. Tel serait le cas si le gazole ainsi utilisé ne pouvait relever de la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant », au sens du paragraphe 3 de cet article 7. À cet égard, nonobstant les imprécisions susmentionnées, les indications fournies par la juridiction de renvoi,
relatives au cadre factuel et réglementaire, permettent d’apprécier la portée de cette question et de fournir à ladite juridiction une réponse utile pour résoudre le litige au principal.
32 Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur le fond
33 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que le gazole consommé lors des trajets effectués aux fins de réparation, d’entretien ou de ravitaillement en carburant des véhicules affectés au transport de passagers relève de la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant », au sens de cette disposition.
34 À titre liminaire, il convient de rappeler que, pour déterminer la portée d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation.
35 S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96, il y a lieu d’observer qu’il ressort des termes « utilisé comme carburant aux fins [...] [du] transport régulier ou occasionnel de passagers par un véhicule automobile de catégorie M2 ou M3 », lus en combinaison avec la partie A, point 1, de l’annexe II de la directive 2007/46, telle que modifiée par le règlement no 678/2011, laquelle a remplacé la directive 70/156, que, pour relever de cette
disposition, le gazole doit non seulement être utilisé par un véhicule qui a été conçu et construit pour le transport de passagers, mais qu’il doit en outre l’être aux fins du transport de passagers.
36 Au sens de ladite disposition, la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant » répond donc à un double critère reposant à la fois sur la catégorie dont relève le véhicule automobile concerné et sur les fins auxquelles le gazole est utilisé (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Autoservizi Giordano, C‑513/18, EU:C:2020:59, point 20).
37 Il s’ensuit que relève de cette notion le gazole consommé par un véhicule automobile de catégorie M2 ou M3 lors de trajets servant directement à la prestation d’un service de transport de passagers (voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla, C‑151/16, EU:C:2017:537, point 29). Tel est le cas, notamment, du trajet effectué entre le dépôt d’autobus et le premier quai d’embarquement des passagers ainsi que le trajet du retour au dépôt après le débarquement des
passagers.
38 En revanche, les trajets effectués exclusivement à des fins de réparation, d’entretien ou de ravitaillement en carburant des véhicules concernés, en tant qu’ils sont, en principe, réalisés « à vide » et qu’ils ne sont pas non plus destinés à embarquer des passagers, ne sauraient être qualifiés de « transport de passagers » dès lors qu’ils ne servent pas directement à la prestation d’un service de transport de passagers (voir, par analogie, arrêt du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla,
C‑151/16, EU:C:2017:537, points 30, 35 et 36).
39 Cette interprétation est, en deuxième lieu, confortée par le contexte dans lequel s’insère l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96.
40 À cet égard, il convient de relever que le paragraphe 1 de cet article 7 prévoit que les carburants sont soumis à des niveaux minima de taxation. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 3 et de l’article 4 de cette directive, celle-ci vise non pas à harmoniser de façon exhaustive les taux d’accises sur les produits énergétiques et l’électricité, mais se borne à fixer des niveaux minima de taxation.
41 L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/96 dispose ainsi que la faculté accordée aux États membres de prévoir des niveaux de taxation différents selon l’usage, commercial ou privé, du gazole utilisé comme carburant est soumise au respect des niveaux minima de taxation établis par cette directive. En outre, cette disposition empêche les États membres de fixer le taux de taxation du gazole à usage commercial à un niveau inférieur au taux national qui était en vigueur au 1er janvier 2003.
Ces éléments indiquent que l’entrée en vigueur de ladite directive ne devait pas entraîner une diminution du niveau de taxation du gazole à usage commercial.
42 Dans ces conditions, la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant » ne saurait faire l’objet d’une interprétation extensive.
43 Cette constatation est corroborée par l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2003/96 qui, par dérogation aux dispositions du paragraphe 2 de cet article 7, permet aux États membres, dans certaines circonstances, d’appliquer au gazole utilisé par les véhicules à moteur ou les ensembles de véhicules couplés destinés exclusivement au transport de marchandises par route un taux réduit qui peut être inférieur au niveau national de taxation en vigueur au 1er janvier 2003. En effet, une
interprétation large de la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant » aurait pour effet d’étendre d’autant la portée de cette dérogation, ce qui irait à l’encontre du principe selon lequel une disposition dérogatoire, telle que l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2003/96, doit faire l’objet d’une interprétation stricte.
44 En troisième lieu, l’interprétation littérale de l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96, dégagée aux points 37 et 38 du présent arrêt, est confirmée par les objectifs poursuivis par cette directive. En particulier, il ressort des considérants 6, 12 et 20 de celle-ci qu’elle vise notamment à mettre en œuvre des exigences de protection de l’environnement, en particulier en encourageant la réduction de l’écart entre la taxation du gazole à usage privé comme carburant et celle de
l’essence. À la lumière des considérants 3 à 5 et 19 de ladite directive, celle-ci vise également à permettre un rapprochement des niveaux nationaux de taxation du gazole afin, notamment, d’éviter les distorsions de concurrence et, ainsi, de promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Autoservizi Giordano, C‑513/18, EU:C:2020:59, points 30 et 32 ainsi que jurisprudence citée).
45 Or, une interprétation restrictive de la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant » permet de contribuer à la fois à la réalisation de l’objectif de politique environnementale poursuivi, dès lors qu’elle limite les possibilités de bénéficier d’un taux réduit et incite ainsi à la diminution de la consommation totale de carburant, ainsi qu’à celle de l’objectif de promotion du bon fonctionnement du marché intérieur, en assurant un plus grand rapprochement des niveaux de
taxation du gazole.
46 Enfin, en quatrième lieu, l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96 est confortée par les travaux préparatoires de cette directive, desquels transparaît la volonté du législateur de l’Union d’encadrer strictement la possibilité de prévoir des taux de taxation différenciés pour un même produit.
47 Tandis que l’article 5, paragraphe 1, de la proposition de directive du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques (JO 1997, C 139, p. 14), aux termes duquel « [l]es États membres peuvent appliquer des taux de taxation différenciés selon l’utilisation ou la qualité d’un produit, à condition que ces taux respectent les niveaux minimaux de taxation prévus par la présente directive et soient conformes au droit communautaire », conférait aux États membres une
marge d’appréciation relativement large pour déterminer les taux de taxation des produits énergétiques, cette marge a été considérablement réduite au cours de la procédure législative. En effet, l’article 5 de la directive 2003/96 n’autorise les États membres à prévoir, dans le respect des niveaux minima de taxation prévus par cette directive ainsi que dans le respect du droit de l’Union, des taux de taxation différenciés que dans les cas limitativement énumérés à cet article.
48 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que le gazole consommé lors des trajets effectués à des fins de réparation, d’entretien ou de ravitaillement en carburant des véhicules affectés au transport de passagers ne relève pas de la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant », au sens de cette disposition.
Sur les dépens
49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 7, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, doit être interprété en ce sens que le gazole consommé lors des trajets effectués à des fins de réparation, d’entretien ou de ravitaillement en carburant des véhicules affectés au transport de passagers ne relève pas de la notion de « gazole à usage commercial utilisé comme carburant », au sens de cette
disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.