ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
23 novembre 2023 ( *1 )
« Pourvoi – Aide d’État – Article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE – Marché français du transport aérien – Régime d’aide notifié par la République française – Moratoire sur le paiement de taxes et de redevances aéronautiques visant à soutenir les compagnies aériennes dans le cadre de la pandémie de COVID-19 – Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État – Décision de la Commission européenne de ne pas soulever d’objections – Aide destinée à remédier aux dommages subis à la suite d’un événement
extraordinaire – Principes de proportionnalité et de non-discrimination – Libre prestation de services »
Dans l’affaire C‑210/21 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 avril 2021,
Ryanair DAC, établie à Swords (Irlande), représentée par Mes V. Blanc, F.-C. Laprévote et E. Vahida, avocats, Me I.-G. Metaxas-Maranghidis, dikigoros, Mes D. Pérez de Lamo et S. Rating, abogados,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par M. L. Flynn, Mme C. Georgieva, M. S. Noë et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
République française, représentée initialement par Mmes A.‑L. Desjonquères, MM. P. Dodeller, T. Stéhelin et Mme N. Vincent, puis par Mme A.-L. Desjonquères, M. T. Stéhelin et Mme N. Vincent, et enfin par Mme A.-L. Desjonquères et M. T. Stéhelin, en qualité d’agents,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu Matei, MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. M. Longar, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 octobre 2022,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Ryanair DAC demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 17 février 2021, Ryanair/Commission (T‑259/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:92), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2020) 2097 final de la Commission, du 31 mars 2020, relative à l’aide d’État SA.56765 (2020/N) – France – COVID-19 – Moratoire sur le paiement de taxes aéronautiques en faveur des entreprises de transport public aérien (JO 2020,
C 294, p. 8, ci-après la « décision litigieuse »).
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
2 Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.
3 Le 24 mars 2020, la République française a notifié à la Commission européenne, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une mesure d’aide sous la forme d’un moratoire sur le paiement de la taxe d’aviation civile et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion dues par les compagnies aériennes (ci-après le « régime d’aide en cause”).
4 Le régime d’aide en cause avait pour objectif que les compagnies aériennes titulaires d’une licence d’exploitation délivrée en France en application de l’article 3 du règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3) (ci-après la « licence française”), puissent conserver des liquidités suffisantes jusqu’à la levée des restrictions ou des
interdictions de déplacement liées à la pandémie de COVID-19 et au retour à une activité commerciale normale. Il prévoyait que le paiement de la taxe d’aviation civile et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion dues pour la période allant du mois de mars au mois de décembre 2020 serait reporté au 1er janvier 2021 et serait réparti sur une période de 24 mois, jusqu’au 31 décembre 2022. Le montant exact des taxes devait être déterminé en fonction du nombre de passagers transportés ou du
nombre de vols effectués depuis un aéroport français. En outre, le régime d’aide en cause devait bénéficier aux entreprises de transport aérien public titulaires d’une licence française, ce qui impliquait qu’elles aient leur « principal établissement » en France.
5 Le 31 mars 2020, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle, après avoir conclu que le régime d’aide en cause était constitutif d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle a évalué la compatibilité de celui-ci avec le marché intérieur, et plus particulièrement à la lumière de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
6 À cet égard, en premier lieu, la Commission a notamment considéré que la pandémie de COVID-19 constituait un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et qu’il existait un lien de causalité entre les dommages causés par cet événement et le préjudice compensé par le régime d’aide en cause, dans la mesure où ce dernier visait à réduire la crise de liquidités des compagnies aériennes due à cette pandémie, en apportant une réponse aux besoins de trésorerie des
entreprises de transport aérien public titulaires d’une licence française.
7 En second lieu, après avoir rappelé qu’il découlait de la jurisprudence de la Cour que seuls pouvaient être compensés les désavantages économiques causés directement par un événement extraordinaire et que la compensation ne pouvait excéder le montant de ces désavantages, premièrement, la Commission a considéré que le régime d’aide en cause était proportionné au regard du montant des dommages escomptés, dans la mesure où le montant d’aide prévisionnel apparaissait inférieur aux dommages commerciaux
attendus du fait de la crise résultant de la pandémie de COVID-19.
8 Deuxièmement, la Commission a considéré que le régime d’aide en cause était établi de manière non discriminatoire, étant donné que les bénéficiaires du régime incluaient toutes les compagnies aériennes titulaires de licences françaises. À cet égard, elle a souligné que le fait que l’aide était octroyée sous la forme d’un moratoire sur certaines taxes qui grèvent également le budget des compagnies aériennes titulaires de licences d’exploitation délivrées par d’autres États membres n’affectait pas
son caractère non discriminatoire, dans la mesure où le régime d’aide en cause visait à compenser des dommages subis par des compagnies aériennes titulaires de licences françaises. Le régime d’aide en cause resterait donc proportionné au regard de son objectif de compenser les dommages causés par la pandémie de COVID-19. En particulier, le régime d’aide en cause contribuerait à préserver la structure du secteur aérien pour les compagnies aériennes titulaires de licences françaises. En conséquence,
la Commission a estimé que les autorités françaises avaient démontré à ce stade que le régime d’aide en cause n’excéderait pas les dommages directement causés par la crise due à la pandémie de COVID-19.
9 La Commission a ainsi décidé, eu égard aux engagements pris par la République française et, notamment, celui de lui transmettre et de soumettre à son accord une méthodologie détaillée de la manière dont cet État membre entendait quantifier, a posteriori et pour chaque bénéficiaire, le montant des dommages liés à la crise causée par la pandémie de COVID-19, de ne pas soulever d’objections à l’égard du régime d’aide en cause.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2020, Ryanair a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
11 À l’appui de son recours, Ryanair a soulevé quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation des principes de non-discrimination en raison de la nationalité et de la libre prestation des services, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’examen de la proportionnalité du régime d’aide en cause au regard des dommages causés par la pandémie de COVID-19, le troisième, de ce que la Commission avait violé ses droits procéduraux en refusant d’ouvrir la procédure formelle d’examen en
dépit de l’existence de doutes sérieux qui auraient dû conduire à l’ouverture d’une telle procédure, et, le quatrième, de ce que la Commission avait violé l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.
12 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les premier, deuxième et quatrième moyens soulevés par Ryanair comme étant non fondés. S’agissant du troisième moyen, il a considéré, notamment au regard des motifs ayant conduit au rejet des deux premiers moyens du recours, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner son bien-fondé. Par conséquent, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble, sans statuer sur la recevabilité de ce recours.
Les conclusions des parties devant la Cour
13 Par son pourvoi, Ryanair demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’annuler la décision litigieuse ;
– de condamner la Commission et la République française aux dépens ou, à titre subsidiaire ;
– d’annuler l’arrêt attaqué, et
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.
14 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la requérante aux dépens.
15 La République française demande à la Cour de rejeter le pourvoi.
Sur le pourvoi
16 Au soutien de son pourvoi, Ryanair soulève cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit en ce que le Tribunal a rejeté à tort le moyen du recours en première instance tiré d’une violation du principe de non-discrimination. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits dans l’examen du moyen de ce recours tiré de la violation de la libre circulation des services. Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation
manifeste des faits dans l’application de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et du principe de proportionnalité en ce qui concerne le montant des dommages subis par les bénéficiaires du régime d’aide en cause. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits en ce que le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE. Le cinquième moyen est tiré d’une
erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits qu’a commises le Tribunal en décidant de ne pas examiner, quant au fond, le troisième moyen du recours en première instance, pris d’une violation des droits procéduraux de la requérante.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
17 Par son premier moyen, qui comprend quatre branches et vise les points 28 à 51 de l’arrêt attaqué, Ryanair soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit en considérant que le régime d’aide en cause ne violait pas le principe de non-discrimination en raison de la nationalité.
18 Par la première branche de son premier moyen, Ryanair fait valoir que le Tribunal n’a pas dûment appliqué le principe de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité, qui serait un principe essentiel de l’ordre juridique de l’Union européenne. Bien que le Tribunal ait reconnu, aux points 31 et 32 de l’arrêt attaqué, que la différence de traitement instituée par le régime d’aide en cause pouvait être assimilée à une discrimination au regard de l’un des critères d’éligibilité, à
savoir la détention d’une licence française, il aurait à tort considéré qu’une telle discrimination ne devait être appréciée qu’à l’aune de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, au motif que cette disposition constituait une disposition particulière au sens de l’article 18 TFUE. En effet, la limitation du bénéfice du régime d’aide en cause aux entreprises de transport aérien titulaires d’une licence française équivaudrait à une discrimination directe fondée sur la nationalité étant donné
que, pour obtenir une telle licence, une compagnie aérienne doit nécessairement avoir son principal établissement en France.
19 En outre, la requérante fait valoir que le Tribunal aurait dû examiner si une telle discrimination était justifiée pour des motifs d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique au sens de l’article 52 TFUE ou, en tout état de cause, si elle était fondée sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées.
20 Par la deuxième branche de ce moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, aux points 33 et 34 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce qui concerne la détermination de l’objectif du régime d’aide en cause. En particulier, ce serait à tort qu’il a considéré que l’objectif de ce régime visait à remédier au dommage résultant de la pandémie de COVID‑19 pour les « compagnies aériennes touchées de plein fouet » ou à atténuer le dommage subi par
les compagnies aériennes opérant sur le territoire concerné et que cet objectif était conforme à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, alors qu’il ressortirait de la décision litigieuse que ledit objectif était de permettre aux compagnies aériennes « détenant une licence française » de conserver des liquidités suffisantes.
21 Par la troisième branche de son premier moyen, Ryanair soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit et d’une dénaturation des faits en ce que le Tribunal a considéré, aux points 36 à 41 de l’arrêt attaqué, que le régime d’aide en cause, dont ne bénéficient que les compagnies aériennes titulaires d’une licence française, était approprié pour atteindre son objectif.
22 Ryanair soutient, à titre principal, que la décision litigieuse ne contiendrait aucune motivation de nature à justifier le recours à un critère d’éligibilité lié à la détention d’une licence française et que le Tribunal, en se fondant à cet égard sur des motifs non prévus par la décision litigieuse, aurait, aux points 37 à 39 de l’arrêt attaqué, procédé à une substitution de motifs, alors qu’il n’en avait pas la compétence.
23 À titre subsidiaire, Ryanair fait valoir que les trois motifs avancés par le Tribunal à cet effet sont entachés d’erreurs de droit ou dénaturent les faits.
24 À cet égard, le Tribunal aurait interprété de manière erronée le règlement no 1008/2008, en estimant, aux points 37 à 39 de l’arrêt attaqué, premièrement, qu’un État membre qui a octroyé une licence d’exploitation à une compagnie aérienne peut contrôler l’utilisation de l’aide qu’il a accordée à cette compagnie, deuxièmement, que cet État membre peut s’assurer que ladite compagnie s’acquitte des taxes dont le paiement a été différé, de manière à réduire ses pertes de recettes fiscales à moyen
terme, et, troisièmement, que les compagnies aériennes titulaires d’une licence d’exploitation ont un lien plus étroit avec l’économie de l’État membre qui a octroyé cette licence. En effet, il n’existerait aucune différence, en termes de contrôles financiers, de risque de défaillance dans le paiement des taxes et de liens avec l’économie de l’État membre ayant accordé l’aide, entre les compagnies aériennes qui détiennent une licence d’exploitation délivrée par cet État membre et celles qui
détiennent une licence d’exploitation délivrée par un autre État membre. Le Tribunal aurait ainsi introduit dans le règlement no 1008/2008 des compétences en matière d’octroi et de suivi des aides qui n’y figurent pas et aurait tiré des conclusions juridiques erronées des dispositions de ce règlement relatives aux conditions financières fixées pour l’octroi d’une licence d’exploitation.
25 Par la quatrième branche de ce moyen, Ryanair soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce qu’il a considéré, aux points 43 à 48 de l’arrêt attaqué, que le régime d’aide en cause était proportionné.
26 Premièrement, le Tribunal, pour apprécier la proportionnalité du critère d’éligibilité lié à la détention d’une licence française, se serait fondé, au point 43 de l’arrêt attaqué, sur un motif, tiré de ce que les compagnies aériennes titulaires d’une licence française étaient les plus durement touchées par les mesures de restriction de transport et de confinement adoptées par les autorités françaises, qui ne figurerait pas dans la décision litigieuse. Ce motif ne saurait constituer un élément de
référence approprié pour apprécier la proportionnalité du régime d’aide en cause si, comme le Tribunal le prétendrait, l’événement extraordinaire présenté comme étant la cause de dommages subis comprend tant la pandémie de COVID‑19 que les mesures de restriction de transport adoptées par les autorités françaises.
27 Deuxièmement, le Tribunal aurait, au point 43 de l’arrêt attaqué, justifié ce critère d’éligibilité, tant arbitraire que discriminatoire, en se fondant sur l’argument discutable selon lequel les États membres ne disposent pas de ressources illimitées. Or, selon Ryanair, des régimes d’aides peuvent être mis en place pour des montants plafonnés et sur la base de critères non discriminatoires, de manière à préserver les ressources budgétaires tout en respectant les articles 18 et 56 TFUE et en
remplissant l’objectif affiché de l’aide.
28 Troisièmement, le Tribunal aurait omis, dans l’arrêt attaqué, d’évaluer l’effet concurrentiel de l’aide aux fins d’apprécier la proportionnalité de cette aide. Or, une telle évaluation serait essentielle pour déterminer, selon les propres termes du Tribunal, si le régime d’aide ne va pas « au-delà de ce qui est nécessaire » pour atteindre son objectif déclaré.
29 Quatrièmement, le Tribunal aurait refusé à tort, au point 46 de l’arrêt attaqué, d’examiner un autre scénario d’aide au motif que la Commission ne pouvait pas être chargée d’« examiner toute mesure alternative envisageable ». Le Tribunal se serait, à cet égard, erronément appuyé sur son arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission (T‑135/17, EU:T:2019:287), dont il ressortirait seulement que la Commission n’avait pas le devoir d’examiner toutes les mesures alternatives dans sa motivation.
30 En outre, le motif énoncé par le Tribunal au point 47 de l’arrêt attaqué, selon lequel la mesure alternative hypothétique, consistant à étendre le régime d’aide en cause à des compagnies non établies en France, n’aurait pas permis d’atteindre l’objectif du régime d’aide en cause, se fonderait, par un renvoi aux points 37 à 41 de cet arrêt, sur l’hypothèse juridique erronée selon laquelle, en vertu du règlement no 1008/2008, les compagnies aériennes titulaires d’une licence d’exploitation délivrée
par un autre État membre peuvent plus facilement interrompre leurs liaisons à destination et en provenance de la France.
31 La Commission et la République française soutiennent que le premier moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
32 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un
avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C‑208/16 P, EU:C:2018:506, point 79 et jurisprudence citée).
33 C’est donc à l’égard de mesures présentant de telles caractéristiques et déployant de tels effets, en ce qu’elles sont susceptibles de fausser le jeu de la concurrence et de porter atteinte aux échanges entre les États membres, que l’article 107, paragraphe 1, TFUE énonce le principe d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur.
34 En particulier, l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE suppose que la Commission établisse que l’avantage économique, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises. Il lui incombe, pour ce faire, de démontrer, en particulier, que la mesure concernée introduit des différenciations entre les entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation
comparable. Il faut donc que l’avantage soit octroyé de façon sélective et qu’il soit susceptible de placer certaines entreprises dans une situation plus favorable que d’autres (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 103 et jurisprudence citée).
35 L’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE prévoit toutefois certaines dérogations au principe d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, évoqué au point 33 du présent arrêt, telles que celle énoncée à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, concernant les aides « destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires ». Sont, ainsi, compatibles ou susceptibles d’être déclarées compatibles avec le marché intérieur des
aides d’État octroyées aux fins et dans les conditions prévues par ces dispositions dérogatoires, nonobstant le fait qu’elles présentent les caractéristiques et déploient les effets énoncés au point 32 du présent arrêt.
36 Il s’ensuit que, sauf à priver lesdites dispositions dérogatoires de tout effet utile, des aides d’État qui sont octroyées en conformité avec ces exigences, c’est-à-dire aux fins d’un objectif qui y est reconnu et dans les limites de ce qui est nécessaire et proportionné à la réalisation de cet objectif, ne sauraient être jugées incompatibles avec le marché intérieur au regard des seules caractéristiques ou des seuls effets visés au point 32 du présent arrêt, ou des effets qui sont inhérents à
toute aide d’État, à savoir, notamment, pour des raisons liées à ce que l’aide est sélective ou à ce qu’elle fausserait la concurrence (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 107 et jurisprudence citée).
37 Une aide ne peut donc pas être considérée comme incompatible avec le marché intérieur pour des raisons qui sont uniquement liées à ce que l’aide est sélective ou à ce qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 108).
38 Cela étant, s’agissant de la première branche de son premier moyen par laquelle Ryanair invoque une erreur de droit tirée de ce que le Tribunal n’a pas appliqué, au point 32 de l’arrêt attaqué, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité consacré à l’article 18 TFUE, mais a examiné la mesure en cause au regard de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit
jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité FUE. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêts du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 96, ainsi que du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 109).
39 Toutefois, en ce qui concerne spécifiquement l’article 18 TFUE, il est de jurisprudence constante que cet article n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (arrêts du 18 juillet 2017, Erzberger, C‑566/15, EU:C:2017:562, point 25, et du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 110).
40 Dès lors que, ainsi que cela a été rappelé au point 35 du présent arrêt, l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE, prévoit des dérogations au principe, énoncé au paragraphe 1 de cet article, d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, et admet ainsi, en particulier, des différences de traitement entre entreprises, sous réserve de remplir les exigences prévues par ces dérogations, ces dernières doivent être considérées comme des « dispositions particulières » prévues par les
traités, au sens de l’article 18, premier alinéa, TFUE (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 111).
41 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, au point 32 de l’arrêt attaqué, que l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE constituait une telle disposition particulière et qu’il convenait seulement d’examiner si la différence de traitement induite par la mesure en cause était permise au titre de cette disposition.
42 Il en découle que les différences de traitement qu’entraîne cette mesure en cause n’ont pas davantage à être justifiées au regard des motifs énoncés à l’article 52 TFUE, contrairement à ce que soutient Ryanair.
43 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.
44 Par la deuxième branche de ce moyen du pourvoi, Ryanair soutient, en substance, que le Tribunal a, aux points 33 et 34 de l’arrêt attaqué, mal identifié l’objectif du régime d’aide en cause, tel qu’il ressort de la décision litigieuse, et qu’il a, à tort, considéré, notamment, que cet objectif consistait à atténuer le dommage subi par les compagnies aériennes opérant sur le territoire concerné.
45 À cet égard, le Tribunal a, au point 33 de l’arrêt attaqué, relevé, en substance, que l’objectif du régime d’aide en cause consistait, conformément à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, de façon générale, à remédier, dans le secteur du transport aérien, au dommage résultant d’un événement extraordinaire, à savoir de la pandémie de COVID‑19, et, de façon plus spécifique, à alléger, par l’octroi d’un moratoire, les charges des compagnies aériennes durement touchées par les mesures de
restriction de transport et de confinement adoptées par la République française afin de faire face à cette pandémie.
46 Cette description de l’objectif poursuivi par ce régime est conforme à celle qui est exposée dans la décision litigieuse, notamment à ses considérants 2 et 3, figurant dans la partie 2.1, intitulée « Objectif de la mesure », cités dans l’arrêt attaqué. En revanche, contrairement à ce que Ryanair soutient, il ne ressort pas de cette décision que la détention d’une licence française constituait un objectif en soi du régime d’aide en cause, mais qu’une telle détention constituait plutôt, ainsi que
le Tribunal l’a, en substance, considéré au point 33 de l’arrêt attaqué, un critère d’éligibilité de ce régime.
47 Dans la mesure où, par cette deuxième branche, Ryanair fait encore grief au Tribunal de s’être livré à une dénaturation des éléments de fait qui lui étaient soumis, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où
l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 103 et jurisprudence citée).
48 Il s’ensuit que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 104 et jurisprudence citée).
49 Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par
ailleurs, il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 105 et jurisprudence citée).
50 En l’espèce, il y a lieu de constater que, à l’appui de ladite branche, Ryanair ne précise pas les éléments de preuve que le Tribunal aurait dénaturés en déterminant l’objectif du régime d’aide en cause et, a fortiori, ne démontre pas en quoi ces éléments auraient été dénaturés.
51 Dans ces conditions, il convient d’écarter la deuxième branche du premier moyen comme étant non fondée.
52 Par la troisième branche de ce moyen, Ryanair soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en jugeant, aux points 36 à 41 de l’arrêt attaqué, que le régime d’aide en cause, en ce qu’il ne bénéficiait qu’aux compagnies aériennes détentrices d’une licence française, était apte à atteindre son objectif.
53 À cet égard, Ryanair fait valoir, à titre principal, en substance, que, en affirmant, notamment, au point 37 de l’arrêt attaqué, que le critère de la détention d’une licence délivrée par l’État membre octroyant l’aide permettait de contrôler la façon dont celle-ci est utilisée par les bénéficiaires, le Tribunal a avancé une justification qui ne figurait pas dans la décision litigieuse, de telle sorte qu’il a substitué ses propres motifs à ceux retenus par la Commission à l’appui de cette
décision.
54 Il ressort, certes, de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, la Cour et le Tribunal ne peuvent, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission, C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 70 ainsi que jurisprudence citée). Toutefois, il y a lieu de constater que, aux considérants 45 et 46 de la décision
litigieuse, la Commission énonce le fait que les compagnies aériennes titulaires d’une licence française ont leur principal établissement en France et y sont soumises à un suivi régulier de leur situation financière. Ainsi, au point 37 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est borné à expliciter la motivation de la décision litigieuse et, plus particulièrement, à tirer certaines indications des éléments qui y figurent, sans procéder pour autant à une substitution des motifs de cette décision.
55 À titre subsidiaire, Ryanair conteste les affirmations du Tribunal, figurant aux points 37 à 39 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles, premièrement, un État membre qui a octroyé une licence à une compagnie aérienne pouvait contrôler l’utilisation de l’aide qu’il a accordée à cette compagnie, deuxièmement, cet État membre pouvait s’assurer que ladite compagnie s’acquittait des taxes dont le paiement a été différé, de manière à réduire ses pertes de recettes fiscales à moyen terme, les moins élevées
possible, et, troisièmement, les compagnies aériennes titulaires d’une licence avaient un lien plus étroit avec l’économie de l’État membre qui a octroyé cette licence. C’est en se fondant sur ces affirmations que le Tribunal a considéré, au point 40 de cet arrêt, que, en limitant le bénéfice du régime d’aide en cause aux seules compagnies aériennes détentrices d’une licence française et disposant, dès lors, de leur principal établissement en France, la République française avait légitimement
cherché, en substance, à s’assurer de l’existence d’un lien pérenne entre elle et les compagnies aériennes bénéficiaires du moratoire et, au point 41 dudit arrêt, que le critère d’éligibilité tenant à la détention d’une telle licence était donc approprié pour atteindre l’objectif de remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.
56 À cet égard, premièrement, le Tribunal ne s’est appuyé sur le règlement no 1008/2008, aux points 37 à 39 de l’arrêt attaqué, qu’aux fins d’établir la spécificité et la stabilité du lien qui unit les compagnies aériennes détenant une licence d’exploitation avec l’État membre ayant octroyé cette licence, compte tenu des dispositions dudit règlement qui régit leurs relations et, notamment, les contrôles financiers qu’exercent les autorités de cet État membre sur ces compagnies aériennes. Or, est, en
tant que tel, sans incidence sur l’appréciation de ce lien, aux fins de déterminer si les critères d’éligibilité sont aptes à atteindre l’objectif poursuivi par le régime d’aide en cause, le fait que ces contrôles ne portent pas spécifiquement sur les aides octroyées aux compagnies aériennes titulaires d’une licence française ou qu’un contrôle de l’utilisation des aides puisse également être effectué auprès des compagnies aériennes ne détenant pas une licence française, ainsi que le soutient
Ryanair.
57 Si, deuxièmement, Ryanair allègue une dénaturation des faits en ce qui concerne les considérations mentionnées au point 55 du présent arrêt, il suffit de constater qu’elle n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que le Tribunal a commis une telle dénaturation, conformément à la jurisprudence rappelée au point 49 du présent arrêt.
58 Eu égard à ce qui précède, il convient d’écarter la troisième branche du premier moyen comme étant non fondée.
59 Par la quatrième branche de ce moyen, Ryanair reproche au Tribunal, en substance, une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce qu’il a considéré, aux points 43 à 48 de l’arrêt attaqué, que le régime d’aide en cause était proportionné.
60 Les deux premiers griefs de cette branche sont dirigés contre le point 43 de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a jugé que, « en retenant le critère de la licence française, l’État membre concerné, compte tenu [...] de ce que les États membres n’ont pas de ressources illimitées, a réservé le bénéfice du régime d’aide en cause aux compagnies aériennes les plus durement touchées par les mesures de restriction de transport et de confinement adoptées par ce même État et prenant, par définition,
effet sur son territoire ».
61 À cet égard, il y a lieu de relever que, à ce même point 43, le Tribunal s’est référé, aux fins d’apprécier la proportionnalité du régime d’aide en cause, à des données produites par la Commission relatives aux vols effectués en France, depuis la France ou à destination de la France, respectivement, par les compagnies aériennes détenant une licence française et par celles ne détenant pas une telle licence. Le Tribunal a déduit de ces données, au point 44 de l’arrêt attaqué, que ces premières
compagnies aériennes, seules éligibles au régime d’aide en cause, étaient proportionnellement bien plus durement touchées que ne l’était la requérante, qui ne réalisait, au vu desdites données, que 8,3 % de son activité en France, à destination de la France et depuis la France, contre 100 % pour certaines des compagnies éligibles.
62 Il ne ressort pas de l’argumentation avancée par la requérante dans le cadre des deux premiers griefs que le raisonnement susvisé serait erroné en droit ou reposerait sur une appréciation manifestement erronée qui constituerait une dénaturation des éléments de preuve.
63 En particulier, d’une part, il ne saurait être fait grief au Tribunal d’avoir substitué sa motivation à celle de la décision litigieuse, au sens de la jurisprudence rappelée au point 54 du présent arrêt, dès lors qu’il ressort, notamment, des considérants 2 et 3 de cette décision, que l’objectif du régime d’aide en cause consistait à fournir une compensation aux compagnies aériennes durement touchées par les mesures de restriction de transport prises en raison de la pandémie de COVID-19. Le
Tribunal s’est borné, aux fins d’apprécier si le critère d’éligibilité tenant à la détention d’une licence française permettait d’assurer la proportionnalité de ce régime, à constater, en se référant aux éléments de preuve produits devant lui, que les compagnies détentrices de cette licence étaient effectivement les plus touchées par ces mesures.
64 D’autre part, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir justifié ce critère d’éligibilité, au point 43 de l’arrêt attaqué, par le fait que « les États membres n’ont pas des ressources illimitées », cet énoncé s’inscrivant seulement dans l’explication du contexte dans lequel ledit critère d’éligibilité a été adopté.
65 Il s’ensuit qu’il convient d’écarter les deux premiers griefs de la quatrième branche comme étant non fondés.
66 En ce que, par le troisième grief de la quatrième branche du premier moyen, Ryanair fait grief au Tribunal de ne pas avoir examiné, dans le cadre de la proportionnalité du régime d’aide en cause, les effets concurrentiels de cette aide, il convient de constater que la requérante n’a pas soulevé, en première instance, un grief tiré de ce qu’il y avait lieu d’examiner, aux fins de la proportionnalité, les effets concurrentiels de l’aide ou, plus particulièrement, de procéder à une mise en balance
de ces effets.
67 Or, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. Ainsi, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi est limitée à l’appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un grief qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal, dès lors que
cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission, C‑50/19 P, EU:C:2021:792, points 37 et 38).
68 Partant, le troisième grief de la quatrième branche, tiré de la nécessité d’examiner les effets concurrentiels de l’aide, doit être écarté comme étant irrecevable, car ce grief a été soulevé pour la première fois dans le cadre du présent pourvoi.
69 S’agissant du quatrième grief de cette branche du premier moyen de la requérante, dirigé contre le point 46 de l’arrêt attaqué, il convient de constater que ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal a considéré, à ce point 46, que la Commission n’avait pas à se prononcer sur toutes les mesures alternatives au régime d’aide en cause. En effet, le Tribunal a jugé, au point 47 de son arrêt, en tout état de cause, que les mesures alternatives proposées par la requérante en première instance
n’auraient pas permis d’atteindre aussi précisément et sans risque de surcompensation l’objectif poursuivi par le régime d’aide en cause. Il s’est fondé, à cet effet, sur les points 37 à 41 dudit arrêt, lesquels, ainsi qu’il ressort des points 55 à 57 du présent arrêt, ne sont pas entachés d’erreurs de droit.
70 Ce grief doit, dès lors, être écarté comme étant inopérant.
71 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la quatrième branche du premier moyen et, par voie de conséquence, ce moyen dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
72 Par son deuxième moyen, Ryanair soutient que le Tribunal, aux points 55 à 57 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en rejetant la quatrième branche du premier moyen de son recours en première instance, par laquelle elle invoquait une violation du principe de la libre prestation des services.
73 Par la première branche de ce moyen, Ryanair fait valoir que, contrairement à ce qui est indiqué au point 56 de l’arrêt attaqué, elle avait invoqué, devant le Tribunal, une violation du règlement no 1008/2008, en soutenant que le principe de la libre prestation des services dans le secteur du transport aérien avait été méconnu. En écartant ses arguments au motif erroné que « la requérante n’allègue aucune violation de ce règlement », le Tribunal aurait manifestement dénaturé ses écritures et
n’aurait pas motivé son jugement à suffisance de droit.
74 Par la deuxième branche de ce moyen, Ryanair soutient que le Tribunal a jugé, au point 57 de l’arrêt attaqué, de manière contradictoire et erronée qu’elle n’établissait pas en quoi son exclusion du régime d’aide en cause était de nature à la dissuader de fournir des prestations de services depuis et à destination de la France. Le fait que des compagnies aériennes soient exclues d’un avantage réservé à ce qu’elle nomme les « compagnies aériennes françaises » suffirait en effet à démontrer que la
libre prestation des services est découragée, sans qu’aucune autre démonstration ne soit requise. En tout état de cause, Ryanair aurait produit des éléments de preuve abondants démontrant qu’une mesure telle que le régime d’aide en cause, qui subordonne l’octroi par un État membre d’un avantage à la détention d’une licence délivrée par cet État membre, désavantage, en pratique, les seuls transporteurs aériens ayant leur siège social dans un autre État membre.
75 Le Tribunal aurait donc dénaturé les preuves en omettant d’examiner les éléments importants fournis par la requérante quant à l’effet restrictif du régime d’aide en cause sur la libre prestation des services.
76 Par la troisième branche du deuxième moyen, Ryanair soutient que, dans le cadre de son recours en première instance, elle a démontré à suffisance de droit, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 57 de l’arrêt attaqué, que les effets restrictifs du régime d’aide en cause sur la libre prestation des services n’étaient pas justifiés.
77 Premièrement, le Tribunal n’aurait pas correctement examiné cette restriction au regard des critères pertinents de l’adéquation et de la proportionnalité, qui ne seraient pas ceux de l’article 107 TFUE.
78 Deuxièmement, selon Ryanair, le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant, notamment au point 46 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner, dans le cadre de l’appréciation du caractère approprié et proportionné de la restriction à la libre prestation des services, s’il n’y avait pas des mesures alternatives potentiellement moins restrictives.
79 Or, à cet égard, Ryanair aurait fourni de multiples éléments démontrant que le régime d’aide en cause présentait des effets restrictifs sur la libre prestation des services qui seraient inutiles, inappropriés et disproportionnés au regard de l’objectif de ce régime, à savoir celui de remédier aux dommages causés par la survenance de la pandémie de COVID‑19. Elle aurait, de plus, mentionné, dans ce contexte, un critère alternatif d’éligibilité de l’aide, fondé sur les parts de marché, qui aurait
été moins préjudiciable à la libre prestation des services. Elle aurait, d’ailleurs, expressément mentionné ce critère dans des correspondances adressées, avant l’adoption de la décision litigieuse, au secrétaire d’État français chargé des transports et à la commissaire européenne chargée de la concurrence, qu’elle a annexées à la requête en première instance.
80 La Commission et la République française soutiennent que le deuxième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
81 Par les deuxième et troisième branches du deuxième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble et en premier lieu, Ryanair fait valoir, en substance, que le Tribunal a entaché l’arrêt attaqué d’erreurs de droit, au point 57 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il a examiné le fait que le régime d’aide en cause ne bénéficiait qu’à ce qu’elle nomme les « compagnies aériennes françaises », à savoir aux compagnies aériennes détentrices d’une licence française, uniquement au regard des critères de
l’article 107 TFUE, au lieu de vérifier si cette mesure était justifiée au regard des motifs visés dans les dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation des services. Or, Ryanair aurait soumis au Tribunal des éléments de fait et de droit démontrant une violation de ces dispositions.
82 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur.
83 Toutefois, d’une part, les effets restrictifs qu’une mesure d’aide déploierait sur la libre prestation des services ne constituent pas pour autant une restriction interdite par le traité, dans la mesure où il peut s’agir d’un effet inhérent à la nature même d’une aide d’État, tel que son caractère sélectif (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 132).
84 D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque les modalités d’une aide sont à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide dans son ensemble avec le marché intérieur doit nécessairement être apprécié au moyen de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, EU:C:1977:51, point 14 ; du
31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a., C‑284/21 P, EU:C:2023:58, point 97, ainsi que du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 133).
85 Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des points 45 et 46 du présent arrêt, si la détention d’une licence française constituait en soi non pas l’objectif du régime d’aide en cause, mais un critère d’éligibilité de ce régime, ce critère était en tant que tel indissolublement lié à l’objet dudit régime, qui consistait, de façon générale, à remédier, dans le secteur du transport aérien, au dommage résultant d’un événement extraordinaire, à savoir de la pandémie de COVID-19, et, de façon plus
spécifique, à alléger, par l’octroi d’un moratoire, les charges des compagnies aériennes durement touchées par les mesures de restriction de transport et de confinement adoptées par la République française afin de faire face à cette pandémie. Il s’ensuit que l’effet résultant de ce critère d’éligibilité du régime d’aide en cause sur le marché intérieur ne peut pas faire l’objet d’un examen séparé de celui de la compatibilité de cette mesure d’aide dans son ensemble avec le marché intérieur au
moyen de la procédure prévue à l’article 108 TFUE.
86 Il résulte des motifs qui précèdent et de la jurisprudence rappelée aux points 36 et 37 du présent arrêt que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 57 de l’arrêt attaqué, en substance, que, pour établir que la mesure en cause constituait, en raison du fait qu’elle ne bénéficiait qu’aux compagnies aériennes détentrices d’une licence d’exploitation délivrée par la France, et non pas, notamment, à Ryanair, une entrave à la libre prestation des services, celle-ci
aurait dû démontrer, en l’espèce, que cette mesure produisait des effets restrictifs qui allaient au-delà de ceux qui sont inhérents à une aide d’État octroyée conformément aux exigences prévues à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C‑320/21 P, EU:C:2023:712, point 135).
87 Or, l’argumentation avancée par Ryanair à l’appui des deuxième et troisième branches du deuxième moyen vise, dans son ensemble, à critiquer le régime d’aide en cause en ce que seules les compagnies aériennes détentrices d’une licence française étaient éligibles à ce régime et les effets restrictifs de ce critère d’éligibilité sur la libre prestation des services, alors même que de tels effets sont inhérents au caractère sélectif dudit régime.
88 En outre, quant aux éléments de preuve qu’elle aurait présentés devant le Tribunal, il y a lieu de constater que Ryanair n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que celui-ci a dénaturé ces éléments de preuve.
89 Il s’ensuit qu’il convient d’écarter les deuxième et troisième branches du deuxième moyen comme étant non fondées.
90 Enfin, la première branche de ce moyen doit être écartée comme étant inopérante, en ce qu’elle vise à contester le point 56 de l’arrêt attaqué, dont les motifs revêtent un caractère surabondant par rapport à ceux exposés au point 57 de cet arrêt. Eu égard à ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté dans son intégralité.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
91 Par son troisième moyen, Ryanair soutient que le Tribunal s’est contredit et a commis une erreur de droit en contrôlant, aux points 59 à 74 de l’arrêt attaqué, la proportionnalité du montant du régime d’aide en cause par rapport aux dommages subis du fait de l’événement extraordinaire.
92 Par la première branche de ce moyen, Ryanair soutient que, pour considérer, au point 68 de l’arrêt attaqué, que le montant des dommages subis par les bénéficiaires de l’aide du fait de l’événement extraordinaire était supérieur au montant nominal du régime d’aide en cause, le Tribunal a retenu l’intégralité des dommages causés par la survenance de la pandémie de COVID-19. Le Tribunal se serait ainsi contredit dans la mesure où, pour apprécier la proportionnalité du critère d’éligibilité lié à la
détention d’une licence française, il ne s’était fondé que sur les seuls dommages résultant des mesures de restriction des transports adoptées par les autorités françaises.
93 Par la seconde branche du troisième moyen, la requérante fait grief au Tribunal d’avoir, au point 73 de l’arrêt attaqué, à tort considéré, en s’appuyant sur l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity (C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990), que l’avantage concurrentiel conféré aux bénéficiaires de l’aide du fait de l’exclusion des compagnies aériennes ne disposant pas d’une licence française n’était pas à prendre en compte aux fins de comparer le montant
de l’aide accordée et le montant des dommages subis, en application de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Cet arrêt ne serait pas pertinent, dès lors qu’il concerne le calcul du montant d’une aide aux fins de sa récupération. En faisant l’amalgame entre ce calcul et l’examen de la proportionnalité d’une aide accordée sur le fondement de cette disposition et en omettant de tenir compte de la nature essentiellement économique de cet examen de proportionnalité, le Tribunal aurait donc
commis une erreur de droit.
94 La Commission et la République française estiment que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé. Selon la République française, ce moyen est, de plus, en partie irrecevable, dans la mesure où il vise à remettre en cause une appréciation des faits que le Tribunal a effectuée.
Appréciation de la Cour
95 Dans la mesure où, par la première branche du troisième moyen, Ryanair conteste le constat du Tribunal, au point 68 de l’arrêt attaqué, selon lequel le montant des dommages subis par les bénéficiaires de l’aide du fait de l’événement extraordinaire était, selon toute probabilité, supérieur au montant nominal du régime d’aide en cause, il convient d’écarter cette branche comme étant irrecevable, conformément à la jurisprudence rappelée au point 49 du présent arrêt, dès lors que, sans alléguer une
éventuelle dénaturation des faits, la requérante vise ainsi à remettre en cause une appréciation souveraine des faits que le Tribunal a effectuée à ce point.
96 En tout état de cause, eu égard au lien étroit entre la survenance de la pandémie de COVID-19 et les mesures restrictives adoptées par les autorités françaises dans ce contexte, tel que le Tribunal l’a constaté au point 26 de l’arrêt attaqué, aucune contradiction ne ressort de ce point 68 entre l’appréciation à laquelle s’est livré le Tribunal pour apprécier la proportionnalité du montant de l’aide et son appréciation de la proportionnalité du critère d’éligibilité lié à la détention d’une
licence française.
97 Par la seconde branche de ce moyen, Ryanair fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant considéré, au point 73 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue, aux fins de l’appréciation de la compatibilité du régime d’aide en cause avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, et notamment de la proportionnalité de celle-ci, de prendre en compte l’avantage concurrentiel résultant pour les bénéficiaires du fait de
l’exclusion des compagnies aériennes ne disposant pas d’une licence française.
98 À cet égard, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient Ryanair, l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity (C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990), auquel le Tribunal s’est référé au point 73 de l’arrêt attaqué, bien qu’il concerne la détermination du montant d’une aide illégale aux fins de sa récupération, est pertinent en l’espèce, dans la mesure où il peut être déduit du point 92 de cet arrêt que l’avantage qu’une aide procure à son
bénéficiaire ne comprend pas l’éventuel bénéfice économique que ce bénéficiaire réaliserait par l’exploitation de cet avantage.
99 Ainsi, dans le cas du régime d’aide en cause, à savoir une aide sous la forme d’un moratoire pour le paiement de certaines taxes en faveur des bénéficiaires éligibles, avec un paiement différé sans intérêt, le montant de l’aide octroyée, qu’il convient, pour la Commission, de prendre en compte aux fins de déterminer l’existence d’une éventuelle surcompensation des dommages subis par les bénéficiaires en raison de l’événement extraordinaire en cause, correspond, en principe, eu égard à la
communication de la Commission relative à la révision de la méthode de calcul des taux de référence et d’actualisation (JO 2008, C 14, p. 6) et ainsi que la Commission l’a considéré dans la décision litigieuse, au montant des intérêts que les bénéficiaires de la mesure auraient dû payer sur le marché pour obtenir des liquidités équivalentes. En revanche, aux fins de cette détermination, la Commission ne doit pas tenir compte des éventuels avantages que les bénéficiaires de ce régime auraient
indirectement retirés de cette aide, tel que l’avantage concurrentiel allégué par Ryanair.
100 Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, au point 73 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue de prendre en compte l’avantage concurrentiel dont Ryanair alléguait l’existence.
101 Eu égard à ce qui précède, il convient d’écarter la seconde branche du troisième moyen comme étant non fondée et, par voie de conséquence, ce moyen dans son intégralité.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
102 Par son quatrième moyen, Ryanair fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce qu’il a jugé à tort, aux points 79 à 85 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.
103 Selon la requérante, le Tribunal aurait admis que le contexte dans lequel a été adoptée la décision litigieuse, marqué par la survenance de la pandémie de COVID-19 et les difficultés que cette situation a pu susciter pour la rédaction des décisions de la Commission, pourrait justifier que certains éléments cruciaux fassent défaut dans la motivation de la décision litigieuse, alors même que ces éléments lui auraient été nécessaires afin qu’elle comprenne le raisonnement qui sous-tendait les
conclusions de la Commission. L’interprétation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, à laquelle se serait livré le Tribunal, serait contraire à la jurisprudence de la Cour et priverait l’obligation de motivation de tout effet utile.
104 La Commission et la République française soutiennent que le quatrième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
105 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des
circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être
appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 198 ainsi que jurisprudence citée).
106 Lorsqu’il s’agit, plus particulièrement, comme en l’espèce, d’une décision, prise en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure d’aide, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’une telle décision, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché
intérieur et que même une motivation succincte de cette décision doit être considérée comme suffisante au regard de l’exigence de motivation que prévoit l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, pour autant qu’elle fasse apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles la Commission a estimé ne pas être en présence de telles difficultés, la question du bien-fondé de cette motivation étant étrangère à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021,
Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 199 ainsi que jurisprudence citée).
107 C’est à l’aune de ces exigences qu’il convient d’examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.
108 À cet égard, d’une part, dans la mesure où Ryanair fait grief au Tribunal, en substance, d’avoir assoupli les exigences relatives à l’obligation de motivation au regard du contexte de la pandémie de COVID-19 dans lequel la décision litigieuse avait été adoptée, il y a lieu de constater que, en se référant, aux points 79 et 80 de l’arrêt attaqué, au contexte dans lequel la décision litigieuse avait été adoptée, à savoir celui d’une pandémie et de l’extrême urgence dans laquelle la Commission
avait examiné les mesures que lui avaient notifiées les États membres et adopté les décisions se rapportant à ces mesures, dont cette décision, le Tribunal a, à juste titre, ainsi que l’exige la jurisprudence mentionnée aux points 105 et 106 du présent arrêt, pris en considération des éléments pertinents pour déterminer si, par l’adoption de ladite décision, la Commission s’était conformée à son obligation de motivation.
109 D’autre part, en ce que Ryanair fait état d’éléments spécifiques sur lesquels la Commission, en méconnaissance de l’obligation de motivation lui incombant, ne se serait pas prononcée ou qu’elle n’aurait pas appréciés dans la décision litigieuse, tels que la conformité du régime d’aide en cause au principe de l’égalité de traitement et à la libre prestation des services, ses effets concurrentiels aux fins de l’application du critère de proportionnalité ainsi que le calcul du montant de l’aide, il
ressort des points 81 à 83 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que ces éléments soit n’étaient pas pertinents aux fins de cette décision, soit qu’il était à suffisance de droit fait référence à ceux-ci dans ladite décision pour que le raisonnement de la Commission soit compris à cet égard.
110 Or, il n’apparaît pas que, par ces appréciations, le Tribunal aurait méconnu les exigences de motivation d’une décision de la Commission, prise en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de ne pas soulever d’objections, telles qu’elles découlent de la jurisprudence rappelée aux points 105 et 106 du présent arrêt, cette motivation permettant, en l’espèce, à Ryanair de connaître les justifications de cette décision et au juge de l’Union d’exercer son contrôle à son égard, ainsi qu’il
ressort d’ailleurs de l’arrêt attaqué.
111 En outre, dans la mesure où l’argumentation avancée dans le cadre du quatrième moyen vise en réalité à démontrer que la décision litigieuse a été adoptée sur le fondement d’une appréciation insuffisante ou juridiquement erronée de la Commission, cette argumentation, ayant trait au bien-fondé de cette décision plutôt qu’à l’exigence de motivation en tant que formalité substantielle, doit être écartée au regard de la jurisprudence rappelée au point 106 du présent arrêt.
112 Il ressort de ce qui précède que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, au point 84 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.
113 Enfin, il convient de constater que Ryanair n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve, au sens de la jurisprudence rappelée au point 49 du présent arrêt, en examinant le quatrième moyen du recours en première instance.
114 Partant, le quatrième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le cinquième moyen
Argumentation des parties
115 Par son cinquième moyen, Ryanair fait valoir que, en considérant, aux points 86 et 87 de l’arrêt attaqué, que le troisième moyen de son recours en première instance, relatif au refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, se trouvait privé de sa finalité affichée du fait du rejet des deux premiers moyens de ce recours et était dépourvu de contenu autonome par rapport à ces deux moyens, le Tribunal a commis une erreur de droit et une
dénaturation manifeste des faits.
116 En effet, contrairement à ce que le Tribunal a considéré, ce troisième moyen aurait présenté un contenu autonome, par rapport aux deux premiers moyens du recours en première instance. Le contrôle juridictionnel portant sur l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen différerait de celui portant sur l’erreur de droit ou l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission lors de l’examen au fond de la mesure d’aide.
L’existence de difficultés sérieuses pourrait ainsi être constatée alors même que, contrairement à ce que la requérante avait soutenu par ses deux premiers moyens en première instance, l’examen par la Commission du régime d’aide en cause ne serait entaché ni d’une erreur manifeste d’appréciation ni d’une erreur de droit.
117 De même, le troisième moyen du recours en première instance n’aurait pas été privé de sa finalité affichée, dès lors que la démonstration de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission serait totalement différente de la démonstration de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen. En outre, Ryanair aurait soulevé des arguments autonomes à cet effet, démontrant, notamment, que la Commission ne
disposait pas de données de marché relatives à la structure du secteur de l’aviation en ce qui concerne, notamment, des compagnies aériennes détenant une licence délivrée par un État membre autre que la France, qui revêtaient une importance cruciale pour examiner la compatibilité du régime d’aide en cause au regard de son objectif allégué. Devant le Tribunal, Ryanair aurait identifié des lacunes précises dans l’information de la Commission et aurait mis en évidence des difficultés sérieuses
conférant à son moyen un contenu autonome par rapport aux deux premiers moyens du recours.
118 La Commission et la République française soutiennent que le cinquième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant dénué de fondement.
Appréciation de la Cour
119 Lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une aide d’État, il met en cause essentiellement le fait que cette décision a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, violant, ce faisant, ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, le requérant peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des
informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. L’utilisation de tels arguments ne saurait pour autant avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité. Au contraire, l’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être apportée pour démontrer que la
Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9) (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 59 ainsi que jurisprudence citée).
120 Ainsi, il appartient à l’auteur d’une demande d’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections de démontrer que des doutes sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur existaient, de telle sorte que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen. Une telle preuve doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de cette décision que dans son contenu, à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021,
Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
121 En particulier, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de ce que cette institution a été confrontée à de sérieuses difficultés pour apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur, ce qui aurait dû la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663,
point 41 ainsi que jurisprudence citée).
122 À cet égard, s’agissant, tout d’abord, du grief tiré de ce que le Tribunal a jugé, au point 87 de l’arrêt attaqué, que le troisième moyen du recours en première instance était dépourvu de contenu autonome, il convient de relever qu’il est exact, ainsi que l’a fait valoir Ryanair dans son pourvoi, que, si l’existence de difficultés sérieuses, au sens de la jurisprudence de la Cour visée au point 121 du présent arrêt, avait été démontrée, la décision litigieuse aurait été susceptible d’être
annulée pour ce seul motif, quand bien même il n’aurait pas été établi, par ailleurs, que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir, par analogie, arrêt du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 66).
123 En outre, l’existence de pareilles difficultés peut être recherchée, notamment, dans ces appréciations et peut, en principe, être établie par des moyens ou des arguments avancés par un requérant aux fins de contester le bien-fondé de la décision de ne pas soulever d’objections, même si l’examen de ces moyens ou de ces arguments n’aboutit pas à la conclusion que les appréciations portées sur le fond par la Commission sont erronées en fait ou en droit (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2009,
Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, points 63 et 66 ainsi que jurisprudence citée).
124 En l’espèce, il y a lieu de constater que le troisième moyen du recours en première instance de Ryanair était tiré, en substance, du caractère incomplet et insuffisant de l’examen effectué par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire et de l’appréciation différente de la compatibilité du régime d’aide en cause à laquelle la Commission serait parvenue si elle avait décidé d’ouvrir une procédure formelle d’examen. Or, il ressort également de ce recours que, à l’appui de ce moyen,
la requérante a, pour l’essentiel, soit repris de manière condensée des arguments développés dans le cadre des premier et deuxième moyens dudit recours, relatifs au bien-fondé de la décision litigieuse, soit directement renvoyé à de tels arguments.
125 Dans ces conditions, le Tribunal a pu, à bon droit, considérer, au point 87 de l’arrêt attaqué, que le troisième moyen du recours en première instance était « dépourvu de contenu autonome » par rapport aux deux premiers moyens de celui-ci en ce sens que, ayant examiné au fond ces derniers moyens, y compris les arguments tirés du caractère incomplet et insuffisant de l’examen mené par la Commission, il n’était pas tenu d’apprécier le bien-fondé du troisième moyen de ce recours de manière séparée,
d’autant que, ainsi que le Tribunal l’a, également à bon droit, relevé à ce point 87, Ryanair n’avait, par ce dernier moyen, pas mis en évidence d’éléments spécifiques susceptibles de démontrer l’existence d’éventuelles « difficultés sérieuses » rencontrées par la Commission pour apprécier la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur.
126 Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 87 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le bien-fondé du troisième moyen du recours en première instance. Il n’est pas nécessaire, à cet égard, d’examiner, par ailleurs, si c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 86 de l’arrêt attaqué, que ce moyen présentait un caractère subsidiaire et qu’il se trouvait privé de sa finalité affichée.
127 Enfin, il y a lieu de constater que Ryanair n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve, au sens de la jurisprudence rappelée au point 49 du présent arrêt, dans le cadre de son examen du troisième moyen du recours en première instance.
128 Il ressort de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
129 Aucun des moyens invoqués par la requérante n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
130 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
131 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter les dépens afférents au présent pourvoi.
132 Conformément à l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure, une partie intervenante en première instance qui participe à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour peut être condamnée aux dépens. La Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens. Par conséquent, la République française, partie intervenante en première instance et ayant participé à la procédure devant la Cour, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Ryanair DAC supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) La République française supporte ses propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.