ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
30 novembre 2023 ( *1 )
« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Dispositions administratives applicables au personnel de la BEI – Rémunération – Allocations familiales – Versement au seul parent titulaire de la garde exclusive de l’enfant – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 41, paragraphe 2 – Droit d’être entendu – Exception d’illégalité des dispositions administratives – Principe d’égalité de traitement – Principe de proportionnalité – Recours
en annulation et en indemnité »
Dans l’affaire C‑173/22 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 mars 2022,
MG, représenté par Me L. Levi, avocate,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes K. Carr, G. Faedo et E.Manoukian, en qualité d’agents, assistées de Me A. Dal Ferro, avvocato,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mai 2023,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 6 juillet 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, le requérant demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, MG/BEI (T‑573/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:915), par lequel celui-ci a rejeté sa demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation de lettres de la Banque européenne d’investissement (BEI) sur la base desquelles le requérant a été privé du bénéfice des allocations
familiales et des droits financiers dérivés et, d’autre part, à obtenir réparation du préjudice moral que le requérant aurait subi.
Le cadre juridique
Le règlement no 260/68
2 L’article 3, paragraphes 3 et 4, du règlement (CEE, Euratom, CECA) no 260/68 du Conseil, du 29 février 1968, portant fixation des conditions et de la procédure d’application de l’impôt établi au profit des Communautés européennes (JO 1968, L 56, p. 8), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 1750/2002 du Conseil, du 30 septembre 2002 (JO 2002, L 264, p. 15) (ci-après le « règlement no 260/68 »), dispose :
« 3. Les prestations et allocations de caractère familial ou social énumérées ci-après sont déduites de la base imposable :
a) les allocations familiales :
– l’allocation de foyer,
– l’allocation pour enfant à charge,
– l’allocation scolaire,
– l’allocation de naissance ;
[...]
4. Sous réserve des dispositions de l’article 5, un abattement de 10 % pour frais professionnels et personnels est opéré sur le montant obtenu après application des dispositions précédentes.
Pour chaque enfant à charge de l’assujetti ainsi que pour chaque personne assimilée à un enfant à charge au sens de l’article 2 paragraphe 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, il est opéré un abattement supplémentaire équivalant au double du montant de l’allocation pour enfant à charge. »
Le règlement du personnel
3 Le règlement du personnel de la BEI, adopté le 20 avril 1960 par le conseil d’administration de la BEI, dans sa version applicable en l’espèce (ci-après le « règlement du personnel »), prévoyait, à son article 41 :
« Les différends de toute nature d’ordre individuel entre la [BEI] et les membres de son personnel sont portés devant la Cour de justice [de l’Union européenne].
Les différends, autres que ceux découlant de la mise en jeu de mesures prévues à l’article 38, font l’objet d’une procédure amiable devant la commission de conciliation de la [BEI] et ce, indépendamment de l’action introduite devant la Cour de justice [de l’Union européenne].
[...] »
Les dispositions administratives
4 Les points 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives applicables au personnel de la BEI (ci-après les « dispositions administratives ») sont ainsi libellés :
« 2.2.1. Allocation de famille
Ont droit à l’allocation de famille de 5 % du traitement mensuel de base :
a) le membre du personnel marié ;
b) le membre du personnel séparé légalement ou divorcé pour autant qu’il ait l’obligation d’assurer l’entretien de son conjoint à titre principal en vertu d’un jugement ;
c) le membre du personnel célibataire, séparé légalement, divorcé ou veuf, s’il a droit à l’allocation pour enfant à charge (voir point 2.2.3.).
Le Comité de direction fixe le montant minimum de l’allocation (voir annexe I).
Si deux conjoints sont employés à la Banque, l’allocation est versée à celui dont le traitement mensuel de base est le plus élevé. Si l’un des conjoints est employé à la Banque et l’autre dans une autre organisation internationale, le membre du personnel de la Banque perçoit l’allocation au cas où l’autre organisation ne verse pas d’allocation de même nature à son conjoint.
En cas de décès de la seule personne du chef de laquelle le droit à l’allocation est ouvert, le versement est interrompu à l’issue du sixième mois suivant la date du décès.
La présente disposition s’applique mutatis mutandis aux titulaires d’une pension versée par la Banque.
2.2.2. Enfant à charge
Lorsqu’il est effectivement entretenu par le membre du personnel, son enfant légitime, légitimé, naturel reconnu, adoptif ou l’enfant d’un autre lit, est considéré comme enfant à charge de celui-ci, si la Banque ou une autre institution de l’Union européenne ne considère pas l’enfant comme enfant à charge d’un autre membre du personnel, respectivement d’un de ses fonctionnaires ou agents, et à condition que l’enfant n’exerce pas d’activité professionnelle rémunérée.
Dans les mêmes conditions, la Banque peut également considérer comme enfant à sa charge un enfant recueilli par le membre du personnel.
Sont considérés comme effectivement entretenus par le membre du personnel l’enfant qui vit sous son toit et l’enfant à l’entretien duquel il contribue pour un montant au moins 50 % plus élevé que le montant de l’allocation pour enfant à charge (voir annexe I). »
Les antécédents du litige
5 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 25 de l’arrêt attaqué de la manière suivante :
« 1 Le requérant, MG, est agent au sein de la [BEI] depuis le 1er février 1998.
2 Le 12 septembre 2003, le requérant s’est marié avec A, également agent à la BEI depuis 2002. Ils ont eu cinq enfants.
3 Le 22 août 2017, A a assigné le requérant en divorce devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg) en demandant l’autorisation provisoire de résidence séparée, le départ de son époux du domicile conjugal et l’obtention de la garde provisoire de leurs cinq enfants mineurs.
4 Le 14 novembre 2017, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a adopté une ordonnance de référé (ci-après l’“ordonnance de référé du 14 novembre 2017”) par laquelle il a accordé la garde provisoire des enfants à A. Par ailleurs, le juge luxembourgeois a ordonné au requérant de quitter le domicile conjugal dans un délai d’un mois à compter de la signification de ladite ordonnance de référé.
5 Le requérant a quitté le domicile conjugal au mois de décembre 2017.
6 Par ordonnance du 20 juillet 2018 (ci-après l’“ordonnance de référé du 20 juillet 2018” [...]), signifiée au requérant le 7 mars 2019, le juge des référés luxembourgeois a ordonné que le requérant verse à A une pension alimentaire d’un montant de 1500 euros par mois, correspondant à un montant de 300 euros pour chacun de leurs enfants, allocations familiales non comprises, ainsi qu’aux frais de garderie et du Centre polyvalent de l’enfance [...] pour trois enfants et à la moitié de tous les
frais extraordinaires exposés dans l’intérêt des cinq enfants du requérant et de A. En outre, le juge des référés a ordonné que la BEI verse à A les allocations pour enfant à charge et les allocations scolaires.
7 Le 9 janvier 2019, la Cour supérieure de justice de Luxembourg (Luxembourg), siégeant en Cour d’appel, a rejeté l’appel interjeté par le requérant contre l’ordonnance de référé du 14 novembre 2017 en ce qu’elle fixe la résidence des enfants mineurs à l’adresse de A, mais lui a accordé un droit de visite et d’hébergement chaque deuxième fin de semaine et pendant la moitié des vacances scolaires.
8 Le 21 mars 2019, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a prononcé le divorce entre le requérant et A.
9 Le 10 juillet 2019, la Cour supérieure de justice de Luxembourg a rendu un arrêt en appel de l’ordonnance de référé du 20 juillet 2018 par lequel elle a confirmé le droit de A de se voir verser, par le requérant, une pension alimentaire d’un montant de 300 euros par mois et par enfant. Elle a néanmoins réformé l’ordonnance de référé du 20 juillet 2018 en déchargeant le requérant du paiement de certains frais, notamment de garderie, exposés dans l’intérêt des enfants, estimant que ces dépenses
étaient prises en compte dans le cadre de la pension alimentaire.
10 Le 24 novembre 2017, le requérant a été informé par la BEI que, à la suite de l’ordonnance de référé du 14 novembre 2017, les allocations pour enfant à charge et les allocations scolaires seraient versées à A.
11 Le 28 décembre 2017, A a introduit une demande de conciliation au titre de l’article 41 du [règlement du personnel], dans sa version applicable en l’espèce, afin que ses cinq enfants soient reconnus comme étant à sa charge, conformément à l’ordonnance de référé du 14 novembre 2017, et que le droit au paiement des allocations familiales et des droits financiers dérivés prévus par ledit règlement lui soit reconnu.
12 Le 12 septembre 2018, le président de la BEI, entérinant ainsi le résultat d’une autre procédure de conciliation qu’il décidait d’étendre au cas de A, a estimé que, à partir du mois d’octobre 2018, les enfants du requérant et de A seraient considérés comme étant à la charge de A (ci-après la “décision du 12 septembre 2018”). Cela signifiait, en outre, que le droit au paiement des allocations familiales et des droits financiers dérivés était aussi reconnu à A.
13 Par lettre du 11 octobre 2018 (ci-après la “lettre du 11 octobre 2018”), la BEI a informé le requérant qu’il ne bénéficierait plus, à partir du mois d’octobre 2018, de l’allocation de famille, des allocations pour enfant à charge ainsi que des allocations scolaires (ci-après, prises ensemble, les “allocations familiales”) et des droits financiers dérivés, octroyés sur la base des dispositions administratives [...], leur bénéfice ayant en effet été accordé à A par la décision du 12 septembre
2018.
14 Par lettre du 29 octobre 2018, le requérant a signifié à la BEI qu’il s’opposait aux mesures annoncées dans la lettre du 11 octobre 2018. Il précisait également que sa lettre du 29 octobre 2018 devait être considérée comme une demande de conciliation au sens de l’article 41 du règlement du personnel [...]
15 N’ayant reçu aucune réponse de la part de la BEI, le requérant a renouvelé sa demande par courrier le 10 décembre 2018.
16 Par lettre du 7 janvier 2019, la BEI a rejeté la demande du requérant, sans aborder la question de l’ouverture de la procédure de conciliation (ci-après la “lettre du 7 janvier 2019” [...]).
17 Par courriel du 11 janvier 2019, le requérant a introduit une demande de conciliation au titre de l’article 41 du règlement du personnel. Ladite demande visait à contester la lettre du 11 octobre 2018 et, en tant que de besoin, la lettre du 7 janvier 2019.
18 Par courriel du 14 janvier 2019, le service des ressources humaines de la BEI a accusé réception de la demande de conciliation formulée par le requérant. Par courriel du 15 janvier 2019, le président de la BEI a, lui aussi, accusé réception de ladite demande de conciliation.
19 Par courriel du 17 janvier 2019, le requérant a désigné B, chef de division à la BEI, pour être son représentant au sein de la commission de conciliation et il a demandé à la BEI de lui indiquer qui la représenterait. Il a réitéré sa demande par courrier recommandé le 4 février 2019.
20 Par lettre du 17 avril 2019, le service des ressources humaines de la BEI a informé le requérant que, en réponse à sa lettre du 11 janvier 2019, la demande de conciliation qu’il avait formulée avait été acceptée et qu’une procédure de conciliation avait, par conséquent, été ouverte. La BEI a indiqué que C avait été désignée en tant que représentante de la BEI dans le cadre de ladite procédure.
21 À partir du 24 avril 2019, B et C ont échangé une série de courriels afin de désigner le président de la commission de conciliation. Un compromis a été trouvé quant à la désignation de D, agent retraité de la BEI.
22 La commission de conciliation s’est réunie les 23 juillet et 2 août 2019 et les 5 et 9 mars 2020.
23 Par courriel du 12 février 2020, le service des ressources humaines de la BEI a proposé à la commission de conciliation que, au regard de ce qui avait été décidé dans une affaire qu’elle qualifiait de “parallèle”, certaines allocations soient versées pour moitié au requérant et pour moitié à A, à la condition que le requérant établisse la preuve des paiements effectués pour ses enfants. Le requérant a refusé cette proposition.
24 Entre le 9 mars et le 4 juin 2020, les trois membres de la commission de conciliation ont échangé une série de courriels visant à commenter et à modifier le contenu du procès-verbal de la procédure de conciliation. Par courriel du 4 juin 2020, le président de la commission de conciliation a remis au président de la BEI ledit procès-verbal, dans lequel il constatait notamment l’échec de la procédure de conciliation et l’impossibilité de s’accorder sur un rapport de clôture de ladite procédure.
25 Par lettre du 30 juillet 2020, transmise au requérant par courriel du 31 juillet 2020, le président de la BEI a informé ce dernier qu’il avait reçu les conclusions de la commission de conciliation et lui a indiqué qu’il prenait acte de l’échec de la procédure de conciliation (ci-après la “lettre du 30 juillet 2020”). Le procès‑verbal de ladite procédure était joint à cette lettre. »
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 septembre 2020, le requérant a introduit un recours fondé sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation des lettres de la BEI du 11 octobre 2018, du 7 janvier 2019 et du 30 juillet 2020 sur la base desquelles le requérant a été privé du bénéfice des allocations familiales et des droits financiers dérivés et, d’autre part, à obtenir réparation du préjudice
moral que le requérant aurait subi.
7 Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant a invoqué six moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit d’être entendu, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation et, à titre subsidiaire, d’une exception d’illégalité des dispositions administratives, le quatrième, d’une violation de l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 260/68 et d’une erreur manifeste d’appréciation, le cinquième, d’une violation de
l’article 4, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39), ainsi que d’une violation du principe de bonne administration et du devoir de
sollicitude, et, le sixième, d’une violation de l’article 41 du règlement du personnel, du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude.
8 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces moyens et, partant, les conclusions en annulation.
9 Au soutien de ses conclusions indemnitaires, le requérant a affirmé avoir subi un préjudice moral du fait des actions et des omissions de son employeur, qui résulterait, premièrement, de la réduction abrupte et très significative de sa rémunération par l’adoption d’un acte illégal, ce qui constituerait une source d’anxiété, deuxièmement, de la divulgation de ses données personnelles à des tiers sans son consentement, troisièmement, de la prise de position de la BEI en faveur de son ex‑épouse en ce
qu’elle était fondée de manière décisive sur le résultat de la procédure judiciaire devant les juges luxembourgeois et, quatrièmement, du retard injustifié pris pour mettre en place la procédure de conciliation. Le requérant a évalué ce préjudice ex æquo et bono à 10000 euros, montant qu’il s’est engagé à reverser à une œuvre caritative en cas d’octroi.
10 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les trois premières branches des conclusions indemnitaires soulevées en première instance. En revanche, il a jugé, s’agissant de la quatrième branche de ces conclusions et, au regard notamment du délai de réponse déraisonnable de plus de trois mois de la BEI à la demande du requérant concernant l’ouverture de la procédure de conciliation à la suite de la lettre du 7 janvier 2019 et de l’absence de réponse de la BEI à la première demande de conciliation
figurant dans la lettre du 29 octobre 2018, que la BEI avait maintenu le requérant dans un état d’incertitude prolongé en raison de ce retard injustifié et lui avait donc causé un préjudice moral. Partant, le Tribunal a condamné la BEI à payer au requérant des dommages et intérêts évalués ex æquo et bono à la somme de 500 euros.
11 Le Tribunal a, par ailleurs, décidé que chaque partie devait supporter ses propres dépens.
Les conclusions des parties au pourvoi
12 Le requérant demande à la Cour :
– de déclarer le présent pourvoi recevable et fondé ;
– d’annuler l’arrêt attaqué, en conséquence, d’accorder au requérant le bénéfice de ses conclusions de première instance et, partant, d’annuler la décision de la BEI du 11 octobre 2018 par laquelle le requérant s’est vu priver du bénéfice des allocations familiales (en ce compris notamment les frais de garderie et du Centre polyvalent de l’enfance indûment déduits par la BEI du salaire du requérant jusqu’au mois de novembre 2019), et des droits financiers dérivés (en ce compris notamment les
abattements fiscaux et le remboursement des frais médicaux des enfants supportés par le requérant), en tant que de besoin, d’annuler la décision du 7 janvier 2019 rejetant l’intégralité des demandes du requérant ainsi que d’annuler la décision de la BEI du 30 juillet 2020 actant l’absence de conciliation et confirmant la décision du 11 octobre 2018, de réparer les préjudices matériel et moral du requérant et
– de condamner la BEI aux entiers dépens des deux instances.
13 La BEI demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner le requérant au pourvoi aux entiers dépens.
Sur le pourvoi
14 À l’appui de son pourvoi, le requérant invoque cinq moyens tirés, le premier, d’une violation du droit d’être entendu, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une dénaturation des faits, d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, le quatrième, d’une méconnaissance de l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 260/68 et, le cinquième, d’une dénaturation du dossier, d’une violation de
l’article 85 du règlement de procédure du Tribunal, d’une qualification erronée des faits et d’une violation de l’obligation de motivation.
15 Il convient d’examiner, en premier lieu, le premier moyen et, en second lieu, la seconde branche du troisième moyen du pourvoi.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
16 Par ce moyen, le requérant fait valoir que, aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a méconnu le droit d’être entendu, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
17 Il relève que, dans son recours devant le Tribunal, il a soutenu n’avoir pas été entendu par la BEI avant que la lettre du 11 octobre 2018 soit adoptée. Or, cette lettre aurait fait suite à une procédure de conciliation ouverte à la demande de son ex-épouse, sans qu’il en ait été informé et qui aurait conclu à l’application, par analogie, d’une décision adoptée par la BEI dans une autre procédure de conciliation introduite par un autre agent, dont il ignorait les éléments factuels et juridiques.
Le requérant aurait également fait valoir que le résultat de la procédure aurait été différent s’il avait été entendu, puisque, d’une part, il aurait pu expliquer précisément quelle était sa situation au regard des procédures judiciaires en cours devant le juge national et, d’autre part, la BEI aurait pu, à cet égard, proposer une répartition des allocations familiales ou de certaines d’entre elles entre le requérant et son ex-épouse.
18 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal admettrait que le requérant n’a pas été entendu dans le cadre de la procédure ayant abouti à la décision communiquée par la lettre du 11 octobre 2018. Toutefois, ce serait à tort que cette juridiction a considéré que son droit d’être entendu avait été respecté, du seul fait qu’il avait pu, dans ses lettres des 29 octobre et 10 décembre 2018, commenter le raisonnement figurant dans la décision du 11 octobre 2018, les observations du requérant ayant été prises en
compte avant la prise de position exprimée par la BEI dans sa lettre du 7 janvier 2019.
19 La BEI rétorque que c’est à bon droit que le Tribunal a considéré qu’elle avait donné au requérant la possibilité d’être entendu au sujet de la lettre du 11 octobre 2018. Elle relève, à cet égard, que l’article 41, paragraphe 2, du règlement du personnel prévoit que la procédure de conciliation qui y est prévue ne peut être engagée que de manière individuelle sur initiative de la partie concernée, à savoir l’agent de la BEI qui se considère lésé par une décision ou un comportement de
l’administration. Puisque l’ex-épouse du requérant, également agent de la BEI, aurait pris l’initiative de recourir à une telle procédure de conciliation concernant le paiement des allocations familiales et des droits financiers dérivés, elle aurait été la seule concernée par ladite procédure, sans possibilité pour la BEI de l’élargir au requérant.
20 À cet égard, la BEI aurait organisé l’exercice du droit d’être entendu du requérant de la seule manière compatible avec les droits de son ex‑épouse de se prévaloir de la procédure individuelle de conciliation prévue à l’article 41 du règlement du personnel. Ainsi, le requérant aurait été informé des résultats de la procédure de conciliation concernant individuellement son ex-épouse après la conclusion de cette procédure et dans la mesure où les suites que la BEI devait lui donner pouvaient avoir
des conséquences sur sa position, et aurait été entendu à cet égard. En tout état de cause, le requérant n’aurait pas démontré que la procédure en cause aurait, le cas échéant, pu avoir un résultat différent.
Appréciation de la Cour
21 Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, le droit à une bonne administration comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre.
22 Ainsi qu’il résulte de son libellé même, cette disposition est d’application générale. Il s’ensuit que le droit d’être entendu doit être respecté dans toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief, même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67 et jurisprudence citée).
23 Selon une jurisprudence constante de la Cour, rappelée par le Tribunal au point 70 de l’arrêt attaqué, le droit d’être entendu poursuit un double objectif. D’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer une protection effective de l’intéressé. Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a
notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 69 et jurisprudence citée).
24 Ainsi, le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses droits et ses intérêts légitimes (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67, et du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 89 ainsi que jurisprudence citée).
25 C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de vérifier si le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, que le droit d’être entendu n’impliquait pas l’obligation pour la BEI d’entendre le requérant avant l’adoption de la lettre du 11 octobre 2018.
26 En premier lieu, s’agissant du point de savoir si la lettre du 11 octobre 2018 constitue une « mesure individuelle qui [...] affecterait défavorablement » les droits et les intérêts légitimes du requérant, au sens de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, le Tribunal a relevé, au point 73 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait déjà du point 35 de cet arrêt que, par cette lettre, la BEI avait informé le requérant qu’il ne percevrait plus, au regard de l’issue de la procédure de conciliation
engagée par son ex-épouse, le paiement des allocations familiales. À ce point 35, le Tribunal a ainsi souligné que, le requérant ayant été privé de la possibilité d’obtenir lesdites allocations familiales et les droits financiers dérivés en question, la lettre du 11 octobre 2018 avait directement affecté sa situation individuelle.
27 Or, en se référant à cette constatation au point 73 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de l’examen du moyen du requérant tiré d’une violation du droit d’être entendu, le Tribunal a implicitement, mais nécessairement, considéré, sans que cela soit contesté dans le cadre du présent pourvoi, que la lettre du 11 octobre 2018 constitue effectivement une mesure individuelle susceptible d’affecter « défavorablement » les droits et les intérêts légitimes du requérant, au sens de l’article 41,
paragraphe 2, de la Charte, de sorte que ce dernier devait, conformément à cette disposition, être entendu avant l’adoption de cette mesure.
28 En deuxième lieu, il est constant que le requérant n’a pas été entendu par la BEI avant l’adoption de la lettre du 11 octobre 2018. En effet, ainsi qu’il ressort des points 12 et 13 de l’arrêt attaqué, cette lettre a été notifiée au requérant à la suite de la décision prise par la BEI, le 12 septembre 2018, d’accorder le bénéfice des allocations familiales à son ex-épouse, dans le cadre d’une procédure de conciliation, initiée par cette dernière sur le fondement de l’article 41 du règlement du
personnel, à laquelle le requérant n’a pas participé, ainsi que cela ressort du point 73 de l’arrêt attaqué.
29 Certes, d’une part, ainsi que le Tribunal l’a relevé, en substance, au point 74 de l’arrêt attaqué, le requérant s’est adressé à la BEI après la réception de la lettre du 11 octobre 2018, pour contester la décision qui lui avait été notifiée. Il a ainsi, en particulier, fait valoir, dans un courrier du 29 octobre 2018, que la lettre du 11 octobre 2018 avait été adoptée en méconnaissance de ses droits procéduraux, que le contenu de cette lettre était incompréhensible et que celle-ci méconnaissait
les arrangements financiers au sein de la famille, notamment le fait qu’il assumait une partie substantielle des dépenses de celle-ci.
30 D’autre part, la BEI a effectivement répondu, par sa lettre du 7 janvier 2019, à certaines objections formulées par le requérant, ainsi que le Tribunal l’a également souligné au point 74 de l’arrêt attaqué.
31 Force est toutefois de constater que cette réponse aux objections écrites du requérant, adressée au conseil de ce dernier plusieurs semaines après l’adoption de la lettre du 11 octobre 2018, ne saurait pallier l’absence d’audition du requérant avant l’adoption de cette décision. En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 50 de ses conclusions, cette lettre n’est pas un acte préparatoire matérialisé par une décision ultérieure. Elle constitue la décision initiale, que la lettre
du 7 janvier 2019 confirme. Par conséquent, la décision par laquelle le requérant s’est vu priver du bénéfice des allocations familiales est la lettre du 11 octobre 2018.
32 Dans ce contexte, il convient de rappeler que le droit d’être entendu implique que l’intéressé ait été mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet du projet de décision, dans le cadre d’un échange oral et/ou écrit initié par cette autorité et dont la preuve incombe à celle-ci. En particulier, l’intéressé doit avoir été expressément informé d’un projet de décision et invité à faire valoir ses observations. Alors seulement, conscient des conséquences de la décision
envisagée, il aura été mis en mesure d’influencer le processus décisionnel en cause (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2007, Marcuccio/Commission, C‑59/06 P, EU:C:2007:756, points 47 et 58).
33 Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 28 et 31 du présent arrêt, la BEI n’a pas mis le requérant en mesure de présenter, en temps utile, ses observations et, partant, d’influencer le processus décisionnel en cause.
34 Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal, au point 74 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en jugeant que le droit d’être entendu du requérant n’avait pas été méconnu en l’espèce, au motif que le requérant avait pu commenter le raisonnement exposé par la BEI dans la lettre du 11 octobre 2018 et présenter ses observations sur les motifs qui y figuraient, alors même que ces observations n’ont pu être formulées par le requérant qu’après l’adoption de cette décision et,
partant, que ce dernier n’a pas été mis en mesure d’influencer le processus décisionnel en cause.
35 En troisième lieu, il convient de rappeler que, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 17 janvier 2023, Espagne/Commission, C‑632/20 P, EU:C:2023:28, point 48 et jurisprudence citée).
36 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure aurait pu aboutir à un résultat différent (arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 105 ainsi que jurisprudence citée).
37 Or, pour que la violation du droit d’un intéressé d’être entendu puisse aboutir à l’annulation d’une décision individuelle de l’autorité administrative susceptible de lui être défavorable, il convient de vérifier si cette autorité disposait d’une marge d’appréciation dans la prise de décision en cause. En effet, un fonctionnaire n’a aucun intérêt légitime à demander l’annulation, pour vice de forme, et en particulier pour non‑respect du droit d’être entendu avant toute décision faisant grief,
d’une décision dans le cas où l’administration ne dispose d’aucune marge d’appréciation et est tenue d’agir comme elle l’a fait. En pareille hypothèse de compétence liée de l’administration, l’annulation de la décision attaquée ne pourrait, une fois ce vice rectifié, que donner lieu à l’intervention d’une décision identique, quant au fond, à la décision annulée (voir, par analogie, arrêt du 6 juillet 1983, Geist/Commission, 117/81, EU:C:1983:191, point 7).
38 À cet égard, afin de démontrer que la BEI a méconnu le droit d’être entendu du requérant, ce dernier soutient, en substance, que s’il avait été entendu avant l’adoption de la lettre du 11 octobre 2018, il aurait pu exposer sa situation personnelle au regard des procédures judiciaires en cours devant le juge national, et notamment le fait qu’il contribue à l’entretien de ses enfants pour un montant au moins 50 % plus élevé que celui de l’allocation pour enfant à charge, de sorte que la BEI aurait
pu proposer une répartition entre le requérant et son ex-épouse des allocations familiales ou de certaines d’entre elles.
39 Pour sa part, la BEI a fait valoir, en substance, notamment lors de l’audience, que la procédure n’aurait pas pu aboutir à un résultat différent puisque le point 2.2.2 des dispositions administratives prévoit que, pour être considéré comme étant un enfant à charge d’un membre du personnel, il convient que cet enfant soit effectivement entretenu par ce dernier, un tel entretien effectif nécessitant de démontrer, d’une part, que l’enfant vit sous son toit et, d’autre part, qu’il contribue à
l’entretien de cet enfant pour un montant au moins 50 % plus élevé que le montant de l’allocation pour enfant à charge. Or, ainsi que la BEI l’aurait indiqué dans la lettre du 7 janvier 2019, la première de ces conditions n’aurait pas été respectée, la garde des enfants ayant été confiée par le juge national à l’ex-épouse du requérant.
40 À cet égard, il y a lieu de relever que l’affirmation de la BEI, selon laquelle une répartition différente des allocations familiales entre le requérant et son ex-épouse n’aurait pas été possible eu égard au libellé des points 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives, est contredite par la constatation factuelle figurant au point 23 de l’arrêt attaqué, non contestée par la BEI dans le cadre de la présente procédure, selon laquelle le service des ressources humaines de la BEI a proposé à la
commission de conciliation, par courriel du 12 février 2020 et au regard de ce qui avait été décidé dans une affaire qualifiée de « parallèle », que certaines allocations soient versées pour moitié au requérant et pour moitié à son ex-épouse, à la condition que le requérant établisse la preuve des paiements effectués pour ses enfants.
41 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, à l’instar de Mme l’avocate générale, au point 66 de ses conclusions, que la BEI aurait pu retenir une interprétation différente de ses propres dispositions administratives. La BEI disposait donc d’une marge d’appréciation, au sens de la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, de sorte que la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent si le requérant avait été mis en mesure de présenter ses observations avant
l’adoption de la lettre du 11 octobre 2018.
42 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient d’accueillir le premier moyen.
Sur la seconde branche du troisième moyen
Argumentation des parties
43 Par la seconde branche de son troisième moyen, le requérant allègue que c’est à tort que le Tribunal, aux points 100, 101, 107 et 108 de l’arrêt attaqué, a rejeté l’exception d’illégalité des dispositions administratives relatives aux allocations familiales. À cet égard, le requérant affirme que ces dispositions méconnaissent les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en ce que les parents, qui entretiennent tous les deux leurs enfants, ne bénéficient pas des mêmes droits
financiers dérivés alors que ces droits sont déterminés selon l’entretien effectif des enfants. Ainsi, le fait pour un parent d’avoir la garde d’un enfant ne le distinguerait pas, quant au bénéfice des allocations familiales, de l’autre parent qui n’aurait pas la garde de cet enfant. Dans ce contexte, le requérant aurait démontré à suffisance de droit qu’il supportait des charges importantes pour l’entretien de ses enfants, quand bien même ces derniers vivaient sous le toit de son ex‑épouse la
majeure partie du temps.
44 Pour sa part, la BEI soutient que le Tribunal n’a pas méconnu le principe de non-discrimination ou d’égalité du traitement, étant donné que les dispositions administratives permettraient aux membres du personnel de démontrer qu’ils contribuent à l’entretien des enfants et, par la suite, d’obtenir des allocations familiales. En outre, ces allocations seraient versées au bénéfice des enfants et non des membres du personnel. En tout état de cause, la position du parent qui a la garde des enfants
serait différente de celle du parent qui ne l’a pas, de sorte qu’un traitement différencié des deux parents serait pleinement justifié.
Appréciation de la Cour
45 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement, tel que consacré à l’article 20 de la Charte, constitue un principe général du droit de l’Union, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et
raisonnable, à savoir lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation concernée, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné [arrêts du 16 décembre 2008, Huber, C‑524/06, EU:C:2008:724, point 75, et du 4 mai 2023, Glavna direktsia Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto (Travail de nuit), C‑529/21 à C‑536/21 et C‑732/21 à C‑738/21, EU:C:2023:374, point 52 ainsi que jurisprudence citée].
46 Selon une jurisprudence constante, la violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet des dispositions en cause et du but poursuivi par celles-ci, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à
cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêts du 26 septembre 2013, IBV & Cie, C‑195/12, EU:C:2013:598, points 51 et 52, ainsi que du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C‑38/16, EU:C:2017:454, point 25 et jurisprudence citée).
47 En l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 102 de l’arrêt attaqué, l’allocation pour enfant à charge répond à un objectif social justifié par les frais découlant d’une nécessité actuelle et certaine, liée à l’existence de l’enfant et à son entretien effectif. À cet égard, bien qu’intégrées dans la rémunération, les allocations telles que l’allocation pour enfant à charge ou encore l’allocation scolaire, voire également les indemnités forfaitaires destinées aux enfants pour les voyages
entre le lieu d’affectation et le centre d’intérêts, sont non pas destinées à l’entretien du fonctionnaire, mais à celui exclusif de l’enfant (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 1988, Christianos/Cour de justice, 33/87, EU:C:1988:300, point 15).
48 Il s’ensuit, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 87 de ses conclusions, que, eu égard à cet objectif, le critère pertinent pour décider si, au regard du versement des allocations pour enfants à charge, le parent qui a la garde exclusive de l’enfant se trouve dans une situation comparable à celle du parent qui n’en a pas la garde est celui de leur contribution financière respective à l’entretien de cet enfant.
49 Il en découle que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 107 de l’arrêt attaqué, des parents qui contribuent, tous deux, effectivement à l’entretien de leur enfant se trouvent dans une situation comparable au regard du versement des allocations pour enfants à charge, et que le versement, par principe, à seulement l’un d’entre eux de ces allocations constitue une différence de traitement, qui doit être objectivement justifiée.
50 À cet égard, il y a lieu de considérer que la circonstance que l’un des parents a effectivement la garde exclusive de l’enfant, ce dernier vivant alors sous le toit de ce parent, implique, en principe, que ledit parent sera amené à contribuer de manière effective à l’entretien de cet enfant.
51 Toutefois, une telle circonstance n’exclut nullement que l’autre parent, même s’il n’a pas la garde exclusive de l’enfant, contribue également de manière effective à l’entretien de celui-ci, notamment, eu égard au droit de cet enfant, consacré à l’article 24, paragraphe 3, de la Charte, d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.
52 Il importe également, dans ce contexte, que soit respecté le principe de proportionnalité qui, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 106 de l’arrêt attaqué, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les
inconvénients causés ne doivent pas être démesurés eu égard aux buts visés.
53 En l’espèce, les points 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives, interprétées en ce sens qu’elles imposent le versement par la BEI des allocations familiales au seul parent qui s’est vu confier la garde exclusive de l’enfant, indépendamment des contributions effectives des parents à l’entretien de celui-ci, va au-delà de ce qui nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi par la réglementation en cause, dans la mesure où celle-ci ne permet pas de tenir compte, dans l’intérêt
supérieur de l’enfant et eu égard à son droit, rappelé au point 51 du présent arrêt, d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, de la situation de fait existante relative à la contribution effective de chaque parent à l’entretien de l’enfant, à savoir la prise en charge effective de tout ou partie des besoins essentiels de l’enfant, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture, l’habillement, l’éducation, les soins et les frais
médicaux.
54 À cet égard, si l’existence d’une décision de justice rendue par une juridiction nationale, fixant le montant des contributions aux frais d’entretien de l’enfant auxquelles un agent divorcé est tenu, constitue un élément devant être pris en considération par l’institution, cet élément ne saurait dispenser cette dernière d’exercer elle-même son pouvoir d’appréciation afin de déterminer si cet agent contribue effectivement à l’entretien de l’enfant.
55 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les points 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives, dans la mesure où leur interprétation ne permettrait en aucune circonstance de considérer qu’un parent qui ne s’est pas vu confier la garde exclusive d’un enfant contribue effectivement à l’entretien de ce dernier, méconnaissent les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.
56 Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en considérant, aux points 107 et 108 de l’arrêt attaqué, que les dispositions administratives ne méconnaissaient pas ces principes.
57 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a également lieu d’accueillir la seconde branche du troisième moyen.
Sur le deuxième moyen, sur la première branche du troisième moyen ainsi que sur les quatrième et cinquième moyens
58 Le premier moyen ainsi que la seconde branche du troisième moyen étant accueillis et justifiant l’annulation de l’arrêt attaqué, il n’y a pas lieu d’examiner les autres moyens et branches de moyens présentés au soutien du pourvoi, ceux-ci ne pouvant aboutir à une annulation plus étendue de l’arrêt attaqué.
Sur le recours devant le Tribunal
59 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
60 En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur le recours tendant à l’annulation des lettres de la BEI du 11 octobre 2018 et, en tant que de besoin, des lettres du 7 janvier 2019 et du 30 juillet 2020, introduit par le requérant devant le Tribunal ainsi que sur les conclusions indemnitaires présentées en première instance.
Sur les conclusions en annulation
61 Il résulte des points 21 à 57 du présent arrêt que le premier moyen ainsi que la seconde branche du troisième moyen du recours en première instance sont fondés et qu’il y a lieu d’annuler les lettres du 11 octobre 2018, du 7 janvier 2019 et du 30 juillet 2020, en raison d’une violation du droit d’être entendu ainsi que de l’illégalité des points 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives, dans la mesure où leur interprétation ne permettrait en aucune circonstance de considérer qu’un parent
qui ne s’est pas vu confier la garde exclusive d’un enfant contribue effectivement à l’entretien de ce dernier.
Sur les conclusions indemnitaires
62 Au soutien de ses conclusions indemnitaires soulevées en première instance, telles que rappelées au point 9 du présent arrêt, le requérant a fait valoir qu’il a subi un préjudice moral du fait, premièrement, de la réduction abrupte et très significative de sa rémunération, qui serait source d’anxiété, deuxièmement, de la divulgation de ses données personnelles à des tiers sans son consentement, troisièmement, de la prise de position de membres du management de la BEI en faveur de son ex-épouse
dans le cadre d’une procédure judiciaire devant les juges luxembourgeois et, quatrièmement, du retard injustifié pris pour mettre en place la procédure de conciliation, qui ne saurait être réparé que par une compensation évaluée à titre provisoire ex æquo et bono à 10000 euros, qu’il s’engage, comme il l’avait fait devant le premier juge, à reverser à une œuvre caritative en cas d’octroi.
63 En ce qui concerne les trois premières branches de ces conclusions indemnitaires, le Tribunal a, ainsi que cela a été mentionné au point 10 du présent arrêt, rejeté celles-ci mais a considéré, en ce qui concerne la quatrième branche d’entre elles, que le préjudice moral du requérant était caractérisé s’agissant du retard injustifié pris par la BEI pour mettre en place la procédure de conciliation et a condamné cette institution à payer au requérant des dommages et intérêts évalués ex æquo et bono
à la somme de 500 euros.
64 À cet égard, d’une part, s’agissant du prétendu préjudice moral du fait de la réduction abrupte et très significative de sa rémunération, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, point 80), à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un
préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation. Or, le requérant ne fournit nullement une telle démonstration.
65 D’autre part, en ce qui concerne le prétendu préjudice moral du fait de la divulgation des données personnelles du requérant à des tiers sans son consentement ou encore de la prise de position de membres du management de la BEI en faveur de son ex-épouse dans le cadre d’une procédure judiciaire devant les juges luxembourgeois, le requérant reste en défaut d’établir l’existence d’un préjudice réel et certain, lié aux violations alléguées, au sens de la jurisprudence citée au point 148 de l’arrêt
attaqué, de sorte que les conditions d’engagement de la responsabilité de la BEI, rappelées au point 145 de cet arrêt, ne sont pas réunies.
66 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions indemnitaires du requérant.
Sur les dépens
67 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
68 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
69 Le requérant ayant conclu à la condamnation de la BEI aux dépens, et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens relatifs tant à la procédure de première instance dans l’affaire T‑573/20 qu’à celle de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, MG/BEI (T‑573/20, EU:T:2021:915), est annulé.
2) Les décisions de la Banque européenne d’investissement (BEI), communiquées au requérant par les lettres du 11 octobre 2018, du 7 janvier 2019 et du 30 juillet 2020 sont annulées.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) La Banque européenne d’investissement (BEI) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par MG, afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.
Arabadjiev
von Danwitz
Xuereb
Kumin
Ziemele
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 2023.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de chambre
A. Arabadjiev
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le français.