ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)
9 janvier 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Questions juridiques posées à une Cour suprême par son premier président – Absence de litige devant la juridiction de renvoi – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑658/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 2 septembre 2021, parvenue à la Cour le 19 octobre 2022, dans le cadre de sa saisine par sa première présidente ;
en présence de :
Prokurator Generalny,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. Z. Csehi, président de chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur) et D. Gratsias, juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le Prokurator Generalny, par M. R. Hernand,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement danois, par M. M. P. B. Jespersen, Mmes J. F. Kronborg et C. A.-S. Maertens, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement suédois, par Mmes A. Runeskjöld et H. Shev, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 6, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l’examen de questions juridiques posées par la première présidente du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) à la formation plénière de la chambre civile de cette juridiction, au sujet des effets de la constatation du caractère abusif de clauses insérées dans des contrats de prêt libellés ou indexés en devise étrangère.
Le droit polonais
La Constitution
3 L’article 144, paragraphes 2 et 3, de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne, ci-après la « Constitution ») dispose :
« 2. Pour être valables, les actes officiels du président de la République [de Pologne (ci-après le “président de la République”)] doivent être contresignés par le président du Conseil des ministres qui engage ainsi sa responsabilité devant le Sejm [(Diète, Pologne)].
3. Les dispositions du paragraphe 2 ne sont pas applicables dans les cas suivants :
[...]
17) la nomination des juges ;
[...] »
4 En vertu de l’article 179 de la Constitution, le président de la République nomme les juges, sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne) (ci-après la « KRS »), pour une durée indéterminée.
5 L’article 187 de la Constitution énonce :
« 1. La [KRS] est composée :
1) du premier président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], du ministre de la Justice, du président du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)] et d’une personne désignée par le président de la République,
2) de quinze membres élus parmi les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires,
3) de quatre membres élus par [la Diète] parmi les députés et de deux membres élus par le Sénat parmi les sénateurs.
[...] »
La loi sur la Cour suprême
6 L’article 29, paragraphes 2 et 3, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019 (Dz. U. de 2020, position 190) (ci-après la « loi sur la Cour
suprême »), énonce :
« 2. Dans le cadre des activités du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ou de ses organes, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des [juridictions], des organes constitutionnels de l’État ou des organes de contrôle et de protection du droit.
3. Le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ou un autre organe du pouvoir ne peut constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice qui découle de cette nomination. »
7 L’article 72, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême est libellé comme suit :
« Un juge du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] répond, sur le plan disciplinaire, des manquements professionnels (fautes disciplinaires), y compris en cas :
[...]
3) d’actes remettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne ;
[...] »
8 Aux termes de l’article 83, paragraphe 1, de cette loi :
« Si, dans la jurisprudence des juridictions de droit commun, des juridictions militaires ou du Sąd Najwyższy (Cour suprême), des divergences se manifestent dans l’interprétation de dispositions juridiques qui fondent leur décision, le premier président ou le président du Sąd Najwyższy (Cour suprême) peuvent, en vue d’assurer l’homogénéité de la jurisprudence, saisir le Sąd Najwyższy (Cour suprême) siégeant à sept juges ou dans une autre formation correspondante, d’une question juridique. »
9 L’article 85, paragraphe 1, de ladite loi est libellé comme suit :
« Le [Prokurator Generalny (procureur général, Pologne)] est informé de la tenue de la séance de l’assemblée plénière du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou de la séance de la chambre ou des chambres réunies. »
10 L’article 87, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur la Cour suprême dispose :
« Les décisions de l’assemblée plénière du Sąd Najwyższy (Cour suprême), des chambres réunies ou de la chambre plénière acquièrent force de principe juridique dès leur adoption. »
11 Aux termes de l’article 88 de cette loi :
« 1. Si une formation du Sąd Najwyższy (Cour suprême) entend abandonner une décision ayant acquis force de principe juridique, elle défère la question de droit soulevée à une formation constituée de l’ensemble des membres de la chambre.
2. L’abandon d’une décision ayant acquis force de principe juridique adoptée par une chambre, les chambres réunies ou l’assemblée plénière du Sąd Najwyższy (Cour suprême) nécessite l’adoption d’une nouvelle décision par résolution de la chambre concernée, des chambres réunies ou de l’assemblée plénière du Sąd Najwyższy (Cour suprême), respectivement.
3. Si la formation d’une chambre du Sąd Najwyższy (Cour suprême) entend abandonner une décision ayant acquis force de principe juridique adoptée par une autre chambre, la décision est prise par une résolution des deux chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême). Les chambres peuvent saisir l’assemblée plénière du Sąd Najwyższy (Cour suprême) de la question juridique. »
La loi sur la KRS
12 La KRS est régie par l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 714), telle que modifiée, notamment, par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), et par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów
powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U. de 2018, position 1443) (ci-après la « loi sur la KRS »).
13 L’article 37, paragraphe 1, de la loi sur la KRS dispose :
« Si plusieurs candidats ont postulé pour un poste de juge, [la KRS] examine et évalue conjointement toutes les candidatures déposées. Dans cette situation, [la KRS] adopte une résolution comprenant ses décisions quant à la présentation d’une proposition de nomination au poste de juge, à l’égard de tous les candidats. »
14 L’article 44, paragraphe 1 ter, de cette loi prévoyait :
« Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], ladite résolution devient définitive, pour la partie comprenant la décision de présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ainsi que pour la partie comprenant la décision de non-présentation d’une proposition de nomination au
poste de juge de cette même Cour, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours.
[...] »
15 Aux termes de l’article 3 de l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz ustawy – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de la loi relative à l’organisation du contentieux administratif), du 26 avril 2019 (Dz. U. de 2019, position 914), entrée en vigueur le 23 mai 2019, « [l]es recours contestant les résolutions [de la KRS] dans des affaires individuelles relatives à la nomination aux fonctions de
juge [au Sąd Najwyższy (Cour suprême)], introduits et non jugés avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, font l’objet de plein droit d’un non-lieu à statuer ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Le 29 janvier 2021, la première présidente du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a, en application de l’article 83, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, saisi la formation plénière de la chambre civile de cette juridiction afin qu’elle réponde à diverses questions juridiques relatives aux conséquences découlant de la constatation du caractère abusif des clauses relatives à la détermination du taux de change stipulées dans les contrats de prêt libellés dans une monnaie étrangère ou indexés sur
celle-ci.
17 La formation plénière de la chambre civile du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a procédé à l’examen de ces questions lors de sa séance du 2 septembre 2021, à laquelle ont participé 21 juges, dont 7 avaient été nommés par le président de la République le 10 octobre 2018 sur la base des deux résolutions no 330/18 et no 331/18 prises par la KRS le 28 août 2018 (ci-après les « résolutions du 28 août 2018 »).
18 Compte tenu de la participation de ces juges à ladite séance, la majorité des membres composant la formation plénière a émis des doutes sur la régularité de la composition de cette formation et sur la qualité de tribunal indépendant et impartial de ladite formation.
19 En effet, selon la formation plénière de la chambre civile du Sąd Najwyższy (Cour suprême), qui est la juridiction de renvoi, les modifications législatives qui sont intervenues dans le cadre de la réforme du système judiciaire sont de nature à suggérer que le pouvoir législatif a agi dans le dessein d’empêcher toute possibilité d’assurer un contrôle juridictionnel effectif des résolutions du 28 août 2018.
20 La juridiction de renvoi expose, à cet égard, que l’article 44, paragraphe 1 ter, de la loi sur la KRS prévoit que, dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême), si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution comprenant les décisions de la KRS quant à la présentation d’une proposition de nomination à la fonction de juge, cette résolution devient définitive pour la partie de celle-ci comportant la décision
de présentation de la proposition de nomination et pour la partie comprenant la décision de non-présentation d’une telle proposition, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours.
21 Elle indique que les résolutions du 28 août 2018, qui contenaient notamment les propositions de nomination des sept juges de la chambre civile du Sąd Najwyższy (Cour suprême) nommés le 10 octobre 2018, ont été contestées devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) qui, par décisions du 27 septembre 2018, a sursis à leur exécution.
22 Elle observe que, en dépit de ce sursis, le président de la République a procédé à la nomination des candidats proposés par la KRS et que, en outre, l’article 3 de la loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de la loi relative à l’organisation du contentieux administratif, mentionné au point 15 de la présente ordonnance, a prévu que les recours contestant les résolutions de la KRS dans des affaires individuelles relatives à la nomination aux fonctions de
juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême), introduits et non encore jugés avant la date d’entrée en vigueur de cette loi, soit le 23 mai 2019, feraient l’objet de plein droit d’un non-lieu à statuer.
23 La juridiction de renvoi précise que, à la suite de l’arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153), le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), qui n’avait pas prononcé un non-lieu à statuer sur les recours dirigés contre les résolutions du 28 août 2018, a, par arrêt du 6 mai 2021, annulé ces résolutions dans leur partie contenant la proposition de nomination des candidats aux fonctions de juge du Sąd Najwyższy
(Cour suprême).
24 Elle considère qu’il en découle que le président de la République a agi illégalement en nommant des juges en dépit du recours introduit devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) contre les résolutions du 28 août 2018 et alors qu’était pendante l’instance ayant abouti à l’annulation de ces résolutions, laquelle prive ces nominations de leur fondement juridique, puisque l’article 179 de la Constitution prévoit que les juges sont nommés par le président de la République
sur proposition de la KRS.
25 Dans ces conditions, elle s’interroge, par sa première question, sur le point de savoir si une formation du Sąd Najwyższy (Cour suprême) peut être qualifiée de tribunal indépendant et impartial alors que certains membres composant cette formation ont été nommés sans que l’annonce par le président de la République des postes vacants de juges ait été contresignée par le président du Conseil des ministres, que la procédure préalable à la nomination de ces membres a été menée sans respecter les
principes de transparence et d’intégrité et que la nomination desdits membres par le président de la République est intervenue en dépit du recours introduit contre les résolutions du 28 août 2018 devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) et de la décision de sursis à exécution puis de la décision d’annulation prises par cette dernière juridiction, mentionnées respectivement aux points 21 et 23 de la présente ordonnance.
26 S’agissant de la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi fait état de l’introduction, par la loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois, mentionnée au point 6 de la présente ordonnance, dans la loi sur la Cour suprême, d’un nouvel article 29, paragraphes 2 et 3, interdisant au Sąd Najwyższy (Cour suprême), sous peine de sanction disciplinaire, toute appréciation de la légalité de la
nomination des juges ou de leur pouvoir d’exercer des missions en matière d’administration de la justice. Or, elle nourrit des doutes quant à la compatibilité d’une telle interdiction avec le droit de l’Union ainsi que sur le point de savoir si le respect dû à l’identité constitutionnelle des États membres pourrait la justifier.
27 Les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à poser la troisième question préjudicielle tiennent au fait que, en se fondant sur les enseignements découlant de l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a, le 23 janvier 2020, adopté en formation réunissant la chambre civile, la chambre pénale ainsi que la chambre du travail et de la sécurité sociale
de cette juridiction une résolution, ayant acquis force de principe juridique, constatant notamment l’irrégularité de la composition d’une juridiction comprenant des juges nommés sur proposition de la KRS instituée selon les modalités déterminées par la loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois, mentionnée au point 12 de la présente ordonnance. Or, cette résolution aurait été déclarée inconstitutionnelle dans un arrêt du 20 avril
2020 rendu par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) qui, dans une ordonnance du 21 avril suivant, aurait jugé, en outre, que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) était incompétent pour procéder, par voie de résolution, à une réécriture du droit de nature à modifier le cadre normatif de l’organisation de la justice et pour contrôler l’exercice par le président de la République de la compétence qui lui est dévolue par l’article 179 de la Constitution.
28 Selon la juridiction de renvoi, la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) prive les parties à une instance juridictionnelle de la possibilité de contester la régularité de la composition d’une juridiction, constitue une ingérence dans l’exercice de l’activité juridictionnelle et ne peut lier cette dernière juridiction puisqu’elle émane d’une juridiction elle-même irrégulièrement composée.
29 C’est dans ces conditions que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 2, l’article 6, paragraphes 1 et 3, et l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, lus conjointement avec l’article 47 de la [Charte] et l’article 267 TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens que ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi et assurant une protection juridictionnelle effective des justiciables dans les domaines couverts par le droit de l’Union, une juridiction de dernière instance d’un État membre [le Sąd
Najwyższy (Cour suprême)] dans la formation collégiale duquel siègent des personnes nommées juges en violation des règles fondamentales du droit de l’État membre régissant la nomination des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), en raison :
a) de l’annonce par le président de la République des postes vacants de juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême) sans le contreseing préalable du président du Conseil des ministres,
b) de l’exécution de la procédure préalable à la nomination sans respecter les principes de transparence et d’intégrité, par un organe national [, la KRS,] qui, compte tenu des circonstances entourant la constitution de sa section judiciaire et eu égard à son mode de fonctionnement, ne répond pas aux exigences d’un organe constitutionnel qui est le gardien de l’indépendance des juridictions et des juges,
c) de la remise par le [président de la République] des actes de nomination à la fonction de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême), en dépit d’un recours précédemment introduit auprès de la juridiction nationale compétente [à savoir, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] contre la résolution de la KRS proposant cette nomination aux fonctions de juge, en dépit du sursis à l’exécution de cette résolution prononcé conformément au droit national par le Naczelny Sąd
Administracyjny (Cour suprême administrative), et alors que la procédure de recours – à l’issue de laquelle le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a valablement annulé la résolution contestée de la KRS en raison de son illégalité, la supprimant définitivement de l’ordre juridique, privant ainsi l’acte de nomination à la fonction de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) du fondement requis par l’article 179 de la [Constitution], à savoir une proposition de nomination
de la KRS – était encore pendante ?
2) L’article 2, l’article 6, paragraphes 1 et 3, et l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, lus conjointement avec l’article 47 de la [Charte] et l’article 267 TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une législation nationale telle que l’article 29, paragraphes 2 et 3, l’article 26, paragraphe 3, et l’article 72, paragraphes 1, 2 et 3, de [la loi sur la Cour suprême], dans la mesure où cette législation interdit, sous peine d’une sanction
disciplinaire de révocation, la constatation ou l’appréciation par le Sąd Najwyższy (Cour suprême) de la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir découlant de cette nomination d’exercer des fonctions juridictionnelles ainsi que l’appréciation au fond des demandes de récusation d’un juge fondées sur ces motifs, étant donné que le respect par l’Union de l’identité constitutionnelle des États membres justifierait cette interdiction ?
3) L’article 2 et l’article 4, paragraphes 2 et 3, lus en combinaison avec l’article 19 TUE et l’article 267 TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un arrêt d’une juridiction constitutionnelle d’un État membre [, à savoir le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle),] déclarant inconstitutionnelle une décision d’une juridiction nationale de dernière instance [, à savoir le Sąd Najwyższy (Cour suprême),] ne peut constituer un obstacle à l’appréciation de l’indépendance et de
l’autonomie de cette juridiction ni à l’examen de la question de savoir s’il s’agissait d’un tribunal établi par la loi au sens du droit de l’Union, considérant, en outre, que la décision du Sąd Najwyższy (Cour suprême) visait à mettre en œuvre un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, [que] les dispositions de la [Constitution] et les lois applicables (lois nationales) ne confèrent pas à la juridiction constitutionnelle [à savoir, le Trybunał Konstytucyjny (Cour
constitutionnelle)] la compétence de contrôler les décisions judiciaires, y compris les résolutions résolvant les divergences dans l’interprétation des dispositions légales adoptées en vertu de l’article 83 de la [loi sur la Cour suprême] et, en outre, que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) n’était pas, en raison de la manière dont il est désormais constitué, un tribunal établi par la loi au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la [convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950] ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
30 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut, à tout moment, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
31 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
32 À cette fin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est cependant non pas la formulation d’opinions
consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
33 Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
34 La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence
citée).
35 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’aucun litige n’est pendant devant la formation plénière de la chambre civile du Sąd Najwyższy (Cour suprême). En effet, ainsi qu’il résulte des dispositions nationales citées par la juridiction de renvoi et, notamment, de l’article 83, paragraphe 1, et de l’article 87, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, lorsqu’elle est saisie de questions juridiques par le premier président, sur le fondement du premier de ces deux articles, afin de
mettre fin à des divergences d’interprétation entre les juridictions du fond, cette formation se prononce par une décision générale qui acquiert force de principe juridique, sans être appelée à trancher un quelconque litige opposant des parties.
36 Par lettre du 25 octobre 2022, la juridiction de renvoi a d’ailleurs précisé que, dans le cadre de cette procédure, il n’était pas possible d’identifier des « parties au litige » et que la qualité de « partie » n’était reconnue ni au premier président ni au procureur général.
37 Certes, par lettre du 19 mai 2023, la juridiction de renvoi a indiqué que, en vertu de la loi sur la Cour suprême, le procureur général avait été informé de la date de la séance de la formation plénière de la chambre civile du Sąd Najwyższy (Cour suprême), mentionnée au point 17 de la présente ordonnance, et y avait assisté.
38 Toutefois, il n’en reste pas moins que la procédure au principal vise non pas à trancher un litige entre des parties qui s’opposent, mais à obtenir une décision générale ayant force de principe juridique.
39 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle formée dans le cadre de cette procédure ne répond pas à un besoin inhérent à la solution effective d’un litige réel qui opposerait des parties.
40 Il en résulte que cette demande est manifestement irrecevable.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations devant la Cour ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :
La demande de décision préjudicielle introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 2 septembre 2021, est manifestement irrecevable.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.