ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
18 janvier 2024 ( *1 )
Table des matières
Le cadre juridique
L’action commune 2008/124
Le règlement (CE) no 593/2008
Les antécédents du litige
La procédure devant le Tribunal et la Cour ainsi que l’arrêt attaqué
Les conclusions des parties devant la Cour
Sur le pourvoi
Sur la recevabilité du pourvoi
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur la première branche du quatrième moyen
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur le troisième moyen
Sur la première branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
– Appréciation de la Cour
Sur la deuxième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
– Appréciation de la Cour
Sur la troisième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
– Appréciation de la Cour
Sur les deuxième et troisième griefs de la quatrième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
– Appréciation de la Cour
Sur la cinquième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
– Appréciation de la Cour
Sur la sixième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
– Appréciation de la Cour
Sur le deuxième moyen et le premier grief de la quatrième branche du troisième moyen
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur la seconde branche du quatrième moyen
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur le cinquième moyen
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur le sixième moyen
Argumentation des parties
Appréciation de la Cour
Sur les dépens
« Pourvoi – Clause compromissoire – Personnel des missions internationales de l’Union européenne – Contrats d’engagement à durée déterminée successifs – Demande de requalification de l’ensemble des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée – Demande d’indemnisation pour licenciement abusif – Recours en indemnité – Principe de non-discrimination – Principe ne ultra petita – Obligation de motivation – Dénaturation du droit national – Dépens »
Dans l’affaire C‑46/22 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 janvier 2022,
Liam Jenkinson, demeurant à Killarney (Irlande), représenté par Me N. de Montigny, avocate,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer, J. Rurarz et A. Vitro, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée initialement par MM. D. Bianchi, G. Gattinara et B. Mongin, en qualité d’agents, puis par MM. D. Bianchi, G. Gattinara et L. Hohenecker, en qualité d’agents,
Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par M. S. Marquardt, Mme E. Orgován et M. R. Spac, en qualité d’agents,
Eulex Kosovo, représenté par Me E. Raoult, avocate, et M. N. Reilly, barrister,
parties défenderesses en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice-président de la Cour, MM. T. von Danwitz, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 mars 2023,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 mai 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, M. Liam Jenkinson demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 novembre 2021, Jenkinson/Conseil e.a. (T‑602/15 RENV, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:764), par lequel celui-ci a rejeté son recours ayant pour objet, premièrement, une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant, d’une part, à faire requalifier l’ensemble des contrats d’engagement du requérant en un contrat de travail à durée indéterminée et, d’autre part, à obtenir réparation
du préjudice contractuel qu’il aurait prétendument subi et, deuxièmement, des demandes fondées sur les articles 268 et 340 TFUE, tendant à mettre en cause la responsabilité non contractuelle du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne et du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), voire de la mission « État de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, visée à l’article 1er de l’action commune 2008/124/PESC du Conseil, du 4 février 2008, relative à la mission « État
de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo, Eulex Kosovo (JO 2008, L 42, p. 92) (ci-après « Eulex Kosovo »).
Le cadre juridique
L’action commune 2008/124
2 L’article 9, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124 dispose :
« Eulex Kosovo peut également recruter, en fonction des besoins, du personnel international et du personnel local sur une base contractuelle. »
3 L’article 10, paragraphe 3, de cette action commune prévoit :
« Les conditions d’emploi ainsi que les droits et obligations du personnel civil international et local figurent dans les contrats conclus entre le chef de la mission et les membres du personnel. »
Le règlement (CE) no 593/2008
4 L’article 3, paragraphe 5, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après le « règlement Rome I »), dispose :
« L’existence et la validité du consentement des parties quant au choix de la loi applicable sont régies par les dispositions établies aux articles 10, 11 et 13. »
5 L’article 8 de ce règlement prévoit :
« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.
2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.
3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur.
4. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s’applique. »
6 L’article 9, paragraphes 1 et 2, dudit règlement dispose :
« 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement.
2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi. »
7 L’article 10 du même règlement prévoit :
« 1. L’existence et la validité du contrat ou d’une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu du présent règlement si le contrat ou la disposition étaient valables.
2. Toutefois, pour établir qu’elle n’a pas consenti, une partie peut se référer à la loi du pays dans lequel elle a sa résidence habituelle s’il résulte des circonstances qu’il ne serait pas raisonnable de déterminer l’effet du comportement de cette partie d’après la loi prévue au paragraphe 1. »
8 L’article 11, paragraphe 1, du règlement Rome I dispose :
« Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans le même pays au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi du pays dans lequel il a été conclu. »
9 L’article 13 de ce règlement prévoit :
« Dans un contrat conclu entre personnes se trouvant dans un même pays, une personne physique qui serait capable selon la loi de ce pays ne peut invoquer son incapacité résultant de la loi d’un autre pays que si, au moment de la conclusion du contrat, le cocontractant a connu cette incapacité ou ne l’a ignorée qu’en raison d’une imprudence de sa part. »
Les antécédents du litige
10 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 5 de l’arrêt attaqué. Ils peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.
11 M. Jenkinson, ressortissant irlandais, a, tout d’abord, été employé du 20 août 1994 au 5 juin 2002, dans le cadre de divers contrats de travail à durée déterminée (CDD) successifs, au sein de la mission de surveillance de l’Union européenne en Yougoslavie (ci-après l’« EUMM »).
12 Il a ensuite été employé du 17 juin 2002 au 31 décembre 2009, dans le cadre de divers CDD successifs, au sein de la Mission de police de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine (ci-après la « MPUE »).
13 Enfin, M. Jenkinson a été employé au sein d’Eulex Kosovo du 5 avril 2010 au 14 novembre 2014, dans le cadre de onze CDD successifs (ci-après les « onze CDD ») conclus, s’agissant des neuf premiers, avec le chef d’Eulex Kosovo et, s’agissant des deux derniers, avec Eulex Kosovo elle-même.
14 Au cours du dixième CDD couvrant la période comprise entre le 15 juin et le 14 octobre 2014, M. Jenkinson a été informé, par lettre du chef d’Eulex Kosovo du 26 juin 2014, que, par suite d’une décision de restructuration d’Eulex Kosovo prise par les États membres le 24 juin 2014, le poste qu’il occupait depuis son engagement au sein de celle-ci serait supprimé après le 14 novembre 2014 et que, par conséquent, son contrat ne serait pas renouvelé au-delà de cette date.
15 Un onzième et dernier CDD a donc été conclu entre M. Jenkinson et Eulex Kosovo pour la période allant du 15 octobre au 14 novembre 2014 (ci-après le « dernier CDD »).
16 À l’exception de ce dernier CDD, tous les CDD conclus par M. Jenkinson concernant ses activités au sein d’Eulex Kosovo contenaient une clause compromissoire désignant les « tribunaux belges ».
17 Le dernier CDD contenait, à son article 21, une clause compromissoire désignant le juge de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 272 TFUE, pour tout litige relatif au contrat.
La procédure devant le Tribunal et la Cour ainsi que l’arrêt attaqué
18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 octobre 2015, M. Jenkinson a introduit un recours contre le Conseil, la Commission, le SEAE ainsi que contre Eulex Kosovo, par lequel il demandait au Tribunal :
– à titre principal, de requalifier sa relation contractuelle en « contrat de travail à durée indéterminée », de constater la violation par les parties défenderesses en première instance de leurs obligations contractuelles, notamment, de l’obligation de notification d’un préavis dans le cadre de la rupture d’un contrat à durée indéterminée (CDI), de constater que son licenciement était abusif et de condamner en conséquence lesdites parties à la réparation du préjudice subi du fait de l’usage
abusif de CDD successifs, de la violation de l’obligation de notification d’un préavis ainsi que d’un licenciement abusif (ci-après le « premier chef de conclusions ») ;
– à titre principal, de déclarer que le Conseil, la Commission et le SEAE l’ont traité de manière discriminatoire au cours de sa période d’engagement au sein des missions internationales de l’Union européenne visées aux points 11 à 13 du présent arrêt en ce qui concerne sa rémunération, ses droits à pension et d’autres avantages, de constater qu’il aurait dû être recruté en tant qu’agent temporaire de l’un d’eux et de les condamner, en conséquence, au versement d’une indemnisation en réparation
du préjudice subi de ce fait (ci-après le « deuxième chef de conclusions »), et
– à titre subsidiaire, de condamner les parties défenderesses en première instance sur le fondement de leur responsabilité extracontractuelle à l’indemniser pour le dommage résultant des violations de leurs obligations (ci-après le « troisième chef de conclusions »).
19 Par l’ordonnance du 9 novembre 2016, Jenkinson/Conseil e.a. (T‑602/15, EU:T:2016:660), le Tribunal s’est déclaré manifestement incompétent pour se prononcer sur les premier et deuxième chefs de conclusions soulevés à titre principal et a écarté le troisième chef de conclusions comme étant manifestement irrecevable. En conséquence, il a rejeté le recours dans son ensemble et a condamné M. Jenkinson aux dépens.
20 Par requête déposée le 25 janvier 2017 au greffe de la Cour, M. Jenkinson a formé un pourvoi contre cette ordonnance.
21 Par l’arrêt du 5 juillet 2018, Jenkinson/Conseil e.a. (C‑43/17 P, EU:C:2018:531), la Cour a annulé ladite ordonnance, a renvoyé l’affaire au Tribunal et a réservé les dépens.
22 Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal, respectivement le 31 octobre 2018 par la Commission et le 19 novembre 2018 par le Conseil et le SEAE, ces parties ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité par lesquelles elles faisaient valoir, notamment, que les faits, les décisions et les éventuelles irrégularités invoqués par le requérant ne leur étaient pas imputables. Ces exceptions d’irrecevabilité ont été jointes au fond par ordonnance de la première chambre du Tribunal du 29 mars 2019.
23 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les premier et deuxième chefs de conclusions devaient être rejetés comme étant non fondés et que le troisième chef de conclusions devait être rejeté comme étant manifestement irrecevable, de sorte que le recours devait être rejeté dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu de statuer sur lesdites exceptions d’irrecevabilité.
Les conclusions des parties devant la Cour
24 Par son pourvoi, M. Jenkinson demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’évoquer l’affaire ;
– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et
– de condamner les parties défenderesses en première instance aux dépens des deux instances.
25 Le Conseil demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner M. Jenkinson aux dépens afférents à la présente procédure.
26 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable, en tant qu’il est dirigé contre la Commission ;
– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé, et
– de condamner M. Jenkinson aux dépens.
27 Le SEAE demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant non fondé ;
– en cas d’évocation, de déclarer le recours de M. Jenkinson comme étant irrecevable en tant qu’il est dirigé contre le SEAE ;
– en cas de renvoi de l’affaire au Tribunal, de déclarer que le SEAE ne peut plus être partie défenderesse, et
– de condamner M. Jenkinson aux dépens.
28 Eulex Kosovo demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé et
– de condamner M. Jenkinson aux dépens.
Sur le pourvoi
29 M. Jenkinson invoque six moyens au soutien de son pourvoi, tirés, en substance, le premier, d’une interprétation erronée des demandes et des moyens présentés en première instance, le deuxième, d’une erreur de droit en ce que, s’agissant de la demande de requalification des CDD successifs en un CDI unique, le Tribunal aurait exclusivement pris en compte le dernier CDD, le troisième, de plusieurs erreurs de droit commises par le Tribunal dans le cadre du rejet du premier chef de conclusions, le
quatrième, de l’application erronée du principe de non-discrimination entre agents de l’Union et de la violation de l’article 336 TFUE, le cinquième, d’erreurs de droit commises par le Tribunal dans le cadre du rejet du troisième chef de conclusions et, le sixième, d’une répartition erronée des dépens.
30 À titre liminaire, le Conseil, la Commission et le SEAE, bien que n’ayant pas introduit de pourvoi incident, précisent néanmoins qu’ils estiment que, à la lumière de l’arrêt du 24 février 2022, Eulex Kosovo (C‑283/20, EU:C:2022:126), le recours en première instance aurait dû être déclaré irrecevable en ce qui les concerne.
31 À cet égard, dans la présente affaire, la Cour estime approprié de se prononcer, d’emblée, sur le pourvoi (voir, par analogie, arrêt du 25 février 2021, Dalli/Commission, C‑615/19 P, EU:C:2021:133, point 35 et jurisprudence citée).
Sur la recevabilité du pourvoi
Argumentation des parties
32 La Commission fait valoir, en particulier, que, au regard des points 40 et 46 de l’arrêt du 24 février 2022, Eulex Kosovo (C‑283/20, EU:C:2022:126), la seule partie défenderesse dans le présent litige devrait être Eulex Kosovo et, en conséquence, que le pourvoi est irrecevable en ce qui la concerne. Elle soutient, par ailleurs, que l’irrecevabilité du pourvoi à son égard procède également du fait qu’elle n’est pas l’employeur de M. Jenkinson et qu’elle est donc étrangère au litige.
33 M. Jenkinson conteste ces arguments.
Appréciation de la Cour
34 Aux termes de l’article 171 du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi est signifié aux autres parties à l’affaire en cause devant le Tribunal. Or, il ressort notamment du dispositif de l’arrêt attaqué que les parties à la procédure devant le Tribunal étaient, en tant que parties défenderesses, le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo. Ainsi, dès lors que la Commission était partie devant le Tribunal, M. Jenkinson a pu régulièrement diriger son pourvoi également contre elle (voir,
par analogie, arrêts du 21 janvier 2016, SACBO/Commission et INEA, C‑281/14 P, EU:C:2016:46, points 25 et 26, ainsi que du 5 juillet 2018, Jenkinson/Conseil e.a., C‑43/17 P, EU:C:2018:531, point 19).
35 Par ailleurs, le Tribunal a été saisi de demandes ayant trait à l’engagement, notamment, de M. Jenkinson au sein de l’EUMM et de la MPUE, de sorte que les arguments tirés de l’arrêt du 24 février 2022, Eulex Kosovo (C‑283/20, EU:C:2022:126), dès lors qu’ils ne concernent que l’implication et la responsabilité du Conseil, de la Commission et du SEAE dans les conséquences qu’il conviendrait éventuellement de tirer de l’engagement de M. Jenkinson au sein d’Eulex Kosovo ne sauraient, en tout état de
cause, permettre d’écarter le constat opéré au point précédent du présent arrêt.
36 Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
37 Par le premier moyen, M. Jenkinson considère, en premier lieu, que c’est à tort que le Tribunal a constaté au point 48 de l’arrêt attaqué, que la demande tirée de l’illégalité de l’action commune 2008/124 n’était étayée, dans la requête en première instance, par aucune argumentation en droit ou en fait. En outre, le Tribunal aurait erronément considéré, à ce point, que ladite illégalité avait été invoquée, tout au plus, dans le cadre du deuxième chef de conclusions. Selon M. Jenkinson, cette même
illégalité aurait également été soulevée dans le cadre du premier chef de conclusions de sa requête introductive d’instance.
38 M. Jenkinson soutient que les moyens d’illégalité dirigés contre l’action commune 2008/124 auraient dû être interprétés comme des exceptions d’illégalité, au sens de l’article 277 TFUE, tirées, en particulier, de la violation de l’article 336 TFUE, et être déclarés recevables.
39 Il considère qu’il aurait dû en aller de même de ceux dirigés contre la communication C(2009) 9502 de la Commission, du 30 novembre 2009, intitulée « Réglementation relative aux conseillers spéciaux de la Commission mandatés pour la mise en œuvre des actions opérationnelles PESC, ainsi qu’au personnel contractuel international ». À cet égard, M. Jenkinson indique que, par cette communication, c’est la Commission qui fixe les conditions d’emploi en lieu et place du Conseil, conformément à
l’article 336 TFUE.
40 Dans son mémoire en réplique, M. Jenkinson ajoute, en particulier, que la violation d’une disposition du traité FUE et que l’incompétence de l’auteur d’un acte sont des moyens d’ordre public. Il en irait de même pour le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte faisant grief.
41 En deuxième lieu, selon M. Jenkinson, le Tribunal a, au point 52 de l’arrêt attaqué, limité illégalement les parties contre lesquelles étaient dirigées les demandes introduites dans le cadre du premier chef de conclusions, en omettant de mentionner le Conseil, la Commission et le SEAE.
42 En troisième lieu, à supposer que, au point 110 du même arrêt, le Tribunal ait limité l’objet du litige à la sphère du droit du travail, M. Jenkinson fait valoir qu’une telle limitation serait illicite dès lors que ledit litige relèverait également de la sphère de la sécurité sociale.
43 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet du premier moyen.
Appréciation de la Cour
44 En premier lieu, M. Jenkinson soutient, dans son mémoire en réplique, que le Tribunal aurait dû examiner d’office la légalité de l’action commune 2008/124. Cela étant, selon l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés
pendant la procédure. Or, le grief tiré de ce que le Tribunal aurait dû examiner d’office la légalité de cette action commune a été soulevé par le requérant pour la première fois dans son mémoire en réplique, sans qu’il ait démontré que ce grief reposait sur un élément de droit ou de fait révélé pendant la procédure. Par conséquent, ledit grief doit être considéré comme ayant été introduit tardivement et doit, donc, être déclaré irrecevable.
45 Quant aux arguments de M. Jenkinson contestant l’absence d’examen par le Tribunal de la légalité de l’action commune 2008/124, il convient de relever que le Tribunal a analysé, aux points 46 à 48 de l’arrêt attaqué, si le recours de première instance comportait une exception d’illégalité soulevée contre cette action commune.
46 Le Tribunal a, d’une part, relevé, aux points 44 et 48 de cet arrêt, que M. Jenkinson s’était prévalu de l’illégalité de ladite action commune, tout au plus, afin d’obtenir la réparation du préjudice non contractuel allégué dans le cadre du deuxième chef de conclusions. D’autre part, le Tribunal a considéré, au point 48 dudit arrêt, que, à supposer même que le requérant ait effectivement soulevé une exception d’illégalité contre l’action commune 2008/124, sur le fondement de l’article 277 TFUE,
il y avait lieu de constater que cette exception n’était étayée, dans la requête en première instance, par aucune argumentation en droit ou en fait et que, partant, celle-ci ne répondait pas aux conditions posées à l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal et devait, par conséquent, être déclarée irrecevable.
47 À cet égard, il y a lieu de constater que M. Jenkinson se limite à soutenir que le Tribunal a jugé, à tort, que l’exception d’illégalité soulevée contre l’action commune 2008/124 n’était étayée ni en fait ni en droit. Or, ce faisant, M. Jenkinson ne parvient pas à démontrer que le Tribunal a erronément considéré que ladite exception d’illégalité ne remplissait pas les conditions posées à l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal. Dans ces conditions, cette argumentation doit
être rejetée comme étant non fondée.
48 Quant à l’argument par lequel M. Jenkinson soutient que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a considéré, au point 48 de l’arrêt attaqué, qu’il s’était prévalu de l’illégalité de l’action commune 2008/124, tout au plus, dans le cadre du deuxième chef de conclusions, alors que cette illégalité aurait également été invoquée dans le cadre du premier chef de conclusions, il y a lieu de relever que cet argument doit, en tout état de cause, être rejeté comme étant inopérant.
49 En effet, la conclusion du Tribunal selon laquelle il n’y avait pas lieu d’examiner la légalité de l’action commune 2008/124 est fondée, à suffisance de droit, sur le constat que la requête en première instance ne remplissait pas les conditions posées à l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal.
50 Quant à l’argument de M. Jenkinson relatif à l’illégalité de la communication C(2009) 9502, il y a lieu, tout d’abord, de relever que, aux points 112 à 115 et 119 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné l’opposabilité de cette communication, contestée devant lui, et a relevé que cette dernière faisait partie intégrante des neuf CDD, mentionnés au point 13 du présent arrêt, que M. Jenkinson avait conclus avec les chefs successifs d’Eulex Kosovo. Le Tribunal en a déduit que ladite communication
était opposable à M. Jenkinson.
51 Ensuite, au point 230 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si l’application des stipulations contractuelles tirées de cette communication entraînait une violation du principe de non-discrimination. Ainsi, indépendamment du bien-fondé de cet examen, il y a lieu de constater que le Tribunal a procédé au contrôle de la légalité du critère de rattachement figurant dans ladite communication, qui renvoie au droit du pays dont la personne concernée est ressortissante, critère dont la conformité au
principe de non-discrimination avait été contestée par M. Jenkinson en première instance.
52 En outre, s’agissant de l’argument pris de ce que la Commission aurait, par l’adoption de la communication C(2009) 9502, fixé, à la place du Conseil, les conditions d’emploi de M. Jenkinson, il y a lieu de relever, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, que cette communication a été appliquée en l’espèce dès lors qu’elle faisait « partie intégrante » desdits neuf CDD. Il en découle que l’illégalité de ladite communication, tirée de l’incompétence de son auteur, ne saurait entraîner
l’annulation de l’arrêt attaqué. Partant, ledit argument doit, dès lors, être considéré comme étant inopérant.
53 En l’absence d’autre argument présenté devant la Cour et permettant de considérer que le Tribunal aurait procédé à un examen partiel de la légalité de la même communication, il y a lieu de considérer que, par ses arguments, par lesquels il soutient, en particulier, qu’il s’était prévalu de l’illégalité de la communication C(2009) 9502 pour justifier son inopposabilité et son inapplicabilité, M. Jenkinson ne parvient pas à démontrer que le Tribunal a omis de statuer sur l’illégalité et
l’opposabilité de ladite communication. En conséquence, lesdits arguments doivent être rejetés comme étant non fondés.
54 Il s’ensuit que M. Jenkinson n’a pas établi que le Tribunal a commis une erreur de droit en s’abstenant d’examiner la légalité de l’action commune 2008/124 et en examinant de la façon dont il l’a fait celle de la communication C(2009) 9502.
55 Dès lors qu’une telle erreur n’a pas été établie, il ne saurait pas davantage être reproché au Tribunal de ne pas avoir contrôlé la légalité de l’action commune 2008/124 ainsi que celle de cette communication au regard de l’article 336 TFUE.
56 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument pris de ce que le Tribunal aurait, au point 52 de l’arrêt attaqué, commis une erreur dans la détermination des parties défenderesses contre lesquelles étaient dirigées les demandes introduites dans le cadre du premier chef de conclusions, il y a lieu de rappeler que, à ce point, le Tribunal a indiqué que « [M. Jenkinson] demande au Tribunal de requalifier les CDD successifs en un CDI et de constater que les conditions dans lesquelles [Eulex Kosovo] a mis
fin à ce CDI violent le droit du travail applicable à ce type de contrat ».
57 Il convient, à cet égard, de relever que, ainsi qu’il ressort du point 34 du présent arrêt, le Tribunal a retenu que le recours dans son entier devait être considéré comme étant dirigé contre le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo.
58 Ainsi qu’il l’a annoncé au point 78 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a procédé à l’examen au fond des demandes formulées par M. Jenkinson dans le cadre du premier chef de conclusions pour conclure, au point 216 dudit arrêt, au rejet de ce chef de conclusions, sans, par conséquent, déterminer dans quelle mesure ces demandes étaient fondées à l’égard de chacune des parties défenderesses.
59 Il s’ensuit que, au point 52 de l’arrêt attaqué, en indiquant qu’Eulex Kosovo avait mis fin au prétendu CDI de M. Jenkinson, le Tribunal n’a pas entendu identifier les parties contre lesquelles le premier chef de conclusions devait être considéré comme ayant été dirigé. Par conséquent, cet argument de M. Jenkinson doit être rejeté comme étant inopérant.
60 En troisième lieu, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, il découle de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit, sous peine d’irrecevabilité, indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi
que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2023, PV/Commission, C‑640/20 P, EU:C:2023:232, point 199 et jurisprudence citée).
61 Ne répond notamment pas à ces exigences et doit être déclaré irrecevable un moyen dont l’argumentation n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité, notamment parce que les éléments essentiels sur lesquels le moyen s’appuie ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de ce pourvoi, qui est formulé de manière obscure et ambiguë à cet égard (arrêt du 23 mars 2023, PV/Commission, C‑640/20 P, EU:C:2023:232,
point 200 et jurisprudence citée).
62 Or, à supposer même que le Tribunal ait, au point 110 de l’arrêt attaqué, limité l’objet du litige à la sphère du droit du travail, il y a lieu de constater que M. Jenkinson soutient uniquement, à cet égard, que son recours visait également la sphère de la sécurité sociale, sans présenter d’argumentation spécifique permettant d’identifier quelle aurait été la conséquence d’une telle limitation dans le cadre de l’appréciation du recours effectuée par le Tribunal. Faute d’une telle argumentation
juridique spécifique, cet argument doit donc être rejeté comme étant irrecevable.
63 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen du pourvoi comme étant, en partie, irrecevable, en partie, inopérant, et, en partie, non fondé.
Sur la première branche du quatrième moyen
Argumentation des parties
64 Par la première branche du quatrième moyen, M. Jenkinson soutient que le Tribunal a omis, au point 224 de l’arrêt attaqué, d’examiner son argument ayant trait à la violation de l’article 5 TUE, de l’article 336 TFUE, auquel il s’était référé dans une note en bas de page de sa requête en première instance, et du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le
règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1, ci-après le « règlement financier »).
65 En outre, le Tribunal aurait, aux points 226 à 228 de l’arrêt attaqué, violé l’article 336 TFUE, en jugeant que le Conseil avait légalement délégué au chef d’Eulex Kosovo le pouvoir d’adopter les conditions d’emploi du personnel civil international. Cette violation de l’article 336 TFUE résulterait également de la fixation, admise par le Tribunal, des conditions d’emploi du personnel civil international dans les contrats conclus entre le chef d’Eulex Kosovo et les membres du personnel de cette
mission, alors qu’elles devraient être décidées par le Conseil. De même, le Tribunal aurait méconnu cet article en admettant que la communication C(2009) 9502 puisse être un cadre de détermination de ces conditions, alors que celles-ci devraient être adoptées conformément à la procédure prévue audit article. Selon M. Jenkinson, il appartenait au Conseil d’adopter des conditions d’emploi du personnel civil international analogues à celles figurant dans le régime applicable aux autres agents de
l’Union européenne (ci‑après le « RAA »).
66 M. Jenkinson considère que, contrairement à ce qui a été jugé aux points 229 et 237 de l’arrêt attaqué, la violation de l’article 336 TFUE est une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
67 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de la première branche du quatrième moyen.
Appréciation de la Cour
68 Il y a lieu de rappeler qu’un pourvoi ne saurait, conformément à l’article 170, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement de procédure de la Cour, modifier l’objet du litige devant le Tribunal. En outre, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un grief qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal reviendrait à l’autoriser à saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus
étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens et des arguments qui ont été débattus devant lui (arrêt du 17 décembre 2020, De Masi et Varoufakis/BCE, C‑342/19 P, EU:C:2020:1035, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
69 En l’espèce, il importe, tout d’abord, de constater que, selon le point 217 de l’arrêt attaqué, qui n’est pas contesté par M. Jenkinson, ce dernier avait, notamment, demandé au Tribunal, en substance, de constater que, en décidant, au cours de sa période d’engagement au sein de l’EUMM, de la MPUE et d’Eulex Kosovo (ci-après, ensemble, les « trois missions concernées »), de le recruter non pas en tant qu’agent temporaire sur le fondement du RAA, mais en tant que personnel civil international sur
une base contractuelle, le Conseil, la Commission et le SEAE avaient violé diverses règles de droit, en particulier certaines dispositions du « traité », et l’avaient traité de manière discriminatoire.
70 Il y a lieu, ensuite, de relever que, dans la requête en première instance, M. Jenkinson avait soutenu que les contrats tels que ceux qu’il avait conclus n’auraient pas dû constituer le mode d’engagement du personnel des trois missions concernées. En effet, le personnel de celles-ci ne serait pas supposé être engagé autrement qu’en tant que personnel de l’Union. À cet égard, il est indiqué, dans une note en bas de page de cette requête, que « [c]eci est en outre conforme à l’article [336] TFUE ».
71 Enfin, les références faites dans la requête en première instance à l’inexistence d’un cadre relatif à l’engagement du personnel de ces missions analogue au RAA ne comportaient pas de demande visant à faire constater par le Tribunal une violation de l’article 336 TFUE tenant à l’absence d’adoption, sur le fondement de cet article, d’un régime d’engagement applicable aux situations d’emploi telles que celle de M. Jenkinson.
72 Il s’ensuit que, pour autant que M. Jenkinson fait valoir, dans le cadre de son pourvoi, que l’application du droit national matériel applicable à sa relation contractuelle et de la communication C(2009) 9502 constitue une violation de l’article 336 TFUE en raison de l’absence d’un cadre juridique adopté sur le fondement de cet article, force est de constater que ce grief n’avait pas été invoqué dans le cadre de la requête en première instance. Or, dès lors que ledit grief a été introduit pour la
première fois devant la Cour, il doit être considéré comme étant irrecevable au stade du pourvoi.
73 Dès lors que, dans le cadre de son recours en première instance, M. Jenkinson n’a pas avancé qu’une violation de cet article résultait de l’absence d’un cadre juridique adopté sur le fondement dudit article, il ne saurait être valablement reproché au Tribunal d’avoir omis de statuer sur ce grief. Par conséquent, le grief tiré d’une omission de statuer sur cette violation doit être écarté comme étant non fondé.
74 Il en va de même des arguments tirés de la violation de l’article 5 TUE et du règlement financier. Ceux-ci n’avaient, en effet, pas été formulés en première instance par M. Jenkinson afin de faire reconnaître la responsabilité non contractuelle des parties défenderesses en première instance et le Tribunal n’était, donc, pas tenu de se prononcer sur ces arguments.
75 La première branche du quatrième moyen doit, par conséquent, être écartée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.
Sur le troisième moyen
Sur la première branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
76 Par la première branche du troisième moyen, M. Jenkinson soutient, premièrement, que le Tribunal n’a pas examiné la question de l’inapplicabilité de la communication C(2009) 9502 en tant qu’instrument déterminant le droit matériel applicable au personnel d’Eulex Kosovo et n’a pas pris en compte son argument selon lequel les conditions d’emploi qui s’imposaient à lui n’avaient pas été déterminées conformément à l’article 336 TFUE.
77 Deuxièmement, le Tribunal n’aurait pas examiné l’argument selon lequel les institutions de l’Union auraient la qualité d’employeur au regard du règlement financier. Cette qualité et celle de partie défenderesse en première instance des institutions de l’Union ainsi que leur responsabilité auraient été largement discutées sur la base de ce règlement.
78 Troisièmement, M. Jenkinson estime que le Tribunal n’a pas tiré les conséquences du constat, au point 92 de l’arrêt attaqué, du non-respect par les institutions de l’Union de l’article 336 TFUE. Dès lors qu’un cadre d’engagement ad hoc du personnel d’Eulex Kosovo n’aurait pas été adopté sur le fondement de l’article 336 TFUE, les conditions d’emploi qui s’appliquaient à M. Jenkinson auraient été illégales. Il estime que le personnel civil international des missions internationales de l’Union
devrait, comme tout personnel de l’Union, être soumis à un droit matériel que désignerait un acte adopté conformément à cet article, ce qui permettrait de garantir l’égalité de traitement de ce personnel. M. Jenkinson fait valoir à cet égard, d’une part, que le personnel contractuel international du « Registry-Kosovo Specialist Chambers », organe créé par Eulex Kosovo, est soumis à un corps de règles de droit matériel propre à cet organe et, d’autre part, que, au point 95 de l’arrêt attaqué, le
Tribunal a, en excluant l’application du code européen de bonne conduite administrative, expressément assimilé le requérant aux autres agents de l’Union puisqu’il a exclu l’application de ce code en relevant qu’il ne s’appliquait pas aux fonctionnaires et autres agents de l’Union.
79 M. Jenkinson ajoute que le législateur de l’Union n’a pas envisagé que le règlement Rome I soit applicable à des contrats de droit public, tels que ceux en cause en l’espèce. En effet, ce règlement s’appliquerait aux litiges relatifs à des contrats de droit privé et, par la combinaison des articles 270 et 336 TFUE, ce législateur aurait prévu que le juge de l’Union soit compétent pour vérifier le respect des obligations découlant d’un engagement d’un agent de l’Union.
80 M. Jenkinson estime que, en tout état de cause, le Tribunal aurait dû soulever d’office le moyen tiré de la méconnaissance du traité FUE ou du traité UE. Selon celui-ci, il en irait de même s’agissant du règlement financier.
81 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de la première branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
82 Premièrement, ainsi que cela a été relevé aux points 50 à 55 du présent arrêt, contrairement à ce qu’avance M. Jenkinson, le Tribunal a procédé, dans l’arrêt attaqué, à l’examen de l’opposabilité et de la légalité de la communication C(2009) 9502. En outre, pour autant que M. Jenkinson soutient que, devant le Tribunal, il avait fait valoir que les conditions d’emploi telles que déterminées par l’application de ladite communication étaient illégales puisque établies en violation de
l’article 336 TFUE, force est de constater que cet argument se confond avec celui qui a été avancé dans le cadre du premier moyen du présent pourvoi et qui a été rejeté au point 52 du présent arrêt.
83 Deuxièmement, il ressort des points 79 et 216 de l’arrêt attaqué que le Tribunal, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, n’a pas examiné les exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses en première instance par lesquelles elles soutenaient notamment que les faits, les décisions et les éventuelles irrégularités invoqués par le requérant ne leur étaient pas imputables et a ainsi décidé de rejeter le recours en première instance sans préciser quelle partie
défenderesse en première instance aurait dû, le cas échéant, être tenue responsable de ces faits, décisions et prétendues irrégularités. Dès lors, le grief tiré de l’absence d’examen de l’argument présenté en première instance, selon lequel les institutions de l’Union auraient la qualité d’employeur et de partie défenderesse ne saurait, en tout état de cause, prospérer.
84 En effet, dans la mesure où cet argument est lié à l’imputabilité et à la responsabilité des irrégularités alléguées par M. Jenkinson et où le Tribunal n’a pas tranché cette question, il y a lieu de considérer que, à supposer ledit argument fondé, il ne serait pas de nature à entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
85 Troisièmement, il y a lieu de relever que les griefs visant les points 92 et 95 dudit arrêt procèdent d’une lecture erronée du même arrêt.
86 Au point 92 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, en vue de répondre à l’argumentation du SEAE et d’Eulex Kosovo, selon laquelle il convenait, en l’espèce, de faire application d’un droit autonome propre à Eulex Kosovo, que le législateur de l’Union n’avait pas adopté, en vertu, en particulier, de l’article 336 TFUE, de règles visant à encadrer les conditions d’emploi du personnel contractuel d’une mission telle qu’Eulex Kosovo. En revanche, il n’a aucunement constaté une violation de cet
article.
87 Au point 95 de cet arrêt, le Tribunal n’a pas identifié M. Jenkinson comme faisant partie des « autres agents de l’Union » qui relèvent du champ d’application du RAA. En effet, à ce point, le Tribunal a constaté que le code européen de bonne conduite administrative dont se prévaut M. Jenkinson ne s’applique qu’aux institutions, organes ou organismes de l’Union, ainsi qu’à leurs administrations et à leurs agents dans leurs relations avec le public. Il a, certes, fait référence aux dispositions de
ce code énonçant qu’il ne s’applique pas aux relations entre ces entités et leurs fonctionnaires ou autres agents de l’Union. Toutefois, dès lors que M. Jenkinson invoquait ledit code dans le cadre du litige ayant trait à sa relation d’emploi, le Tribunal a pu valablement considérer que ce même code était invoqué, non pas en raison d’une relation des parties défenderesses en première instance avec M. Jenkinson en tant que « public », au sens du code européen de bonne conduite administrative, mais
en estimant que ces parties défenderesses devaient être considérées comme étant ses employeurs.
88 En outre, pour autant que M. Jenkinson soutient que, en ayant constaté, au point 92 de l’arrêt attaqué, qu’aucune règle applicable au litige n’avait été adoptée en vertu de l’article 336 TFUE, le Tribunal aurait dû reconnaître une violation de cet article puisque, à l’instar du personnel soumis au RAA, M. Jenkinson devait se voir appliquer une règle adoptée en vertu de ce même article, il y a lieu de relever qu’il ressort des points 99 et 102 de cet arrêt que, dès lors que le Tribunal était saisi
dans le cadre d’une clause compromissoire en vertu de l’article 272 TFUE, il a estimé qu’il lui incombait, à défaut d’indication de ce droit matériel national dans ce contrat, de trancher le litige sur la base du droit matériel national applicable au contrat, qu’il lui appartenait d’identifier.
89 Il ressort d’ailleurs de l’argumentation de M. Jenkinson présentée en première instance à l’appui du premier chef de conclusions, ainsi qu’il ressort du point 84 de l’arrêt attaqué, que celui-ci estimait que ce chef de conclusions devait être tranché en application du droit belge, qui, selon lui, aurait été applicable en vertu des critères de rattachement prévus à l’article 8 du règlement Rome I.
90 En revanche, ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 68 à 72 du présent arrêt, M. Jenkinson n’a pas avancé, en première instance, de grief tiré de la violation de l’article 336 TFUE du fait de l’absence d’un cadre juridique relatif à l’engagement du personnel d’Eulex Kosovo adopté sur le fondement de cet article. Il s’ensuit que le Tribunal n’était pas tenu de contrôler la légalité de l’absence d’un tel cadre juridique.
91 En ce qui concerne l’argument de M. Jenkinson tiré de ce que le Tribunal aurait dû examiner d’office la violation des actes visés au point 80 du présent arrêt, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un moyen portant sur la légalité au fond d’un acte ne peut être examiné que s’il est invoqué par le requérant (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67, ainsi que du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P,
EU:C:2009:742, point 40, et du 14 janvier 2021, ERCEA/Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis, C‑280/19 P, EU:C:2021:23, point 53). Il s’ensuit que, dans la mesure où une telle violation n’a pas été alléguée devant le Tribunal, cet argument doit être rejeté comme étant non fondé.
92 Il ressort de tout ce qui précède que la première branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant, en partie, irrecevable, en partie, inopérante et, en partie, non fondée.
Sur la deuxième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
93 Par la deuxième branche du troisième moyen, M. Jenkinson soutient, tout d’abord, que, au point 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a erronément exclu toute application des principes de droit de l’Union et qu’il s’est, à tort, limité à examiner l’application des principes découlant du droit matériel national applicable au contrat. Le Tribunal aurait ainsi manifestement méconnu les enseignements découlant des arrêts du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2020:576), et du
16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission (C‑378/16 P, EU:C:2020:575), dont il résulterait que les institutions, organes ou organismes de l’Union restent, lorsqu’ils exécutent un contrat, soumis aux obligations qui leur incombent en vertu de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et des principes généraux du droit de l’Union.
94 L’affirmation, au point 100 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les États membres ont l’obligation de transposer les directives, lesquelles ne constitueraient que des règles minimales de protection, ne saurait suffire à justifier que le droit du travail national applicable à la relation contractuelle est suffisamment protecteur des droits découlant des principes du droit de l’Union.
95 Ensuite, l’application du droit national par le Tribunal serait contraire au principe de non-discrimination en ce qu’elle impliquerait trois inégalités de traitement, à savoir, premièrement, un traitement différent de M. Jenkinson par rapport aux agents de l’Union dont les conditions d’engagement devraient être déterminées exclusivement par le Conseil et le Parlement en vertu de l’article 336 TFUE, deuxièmement, un traitement identique des agents de l’Union, tels que M. Jenkinson, et des
travailleurs nationaux de droit privé ainsi que, troisièmement, une discrimination entre les agents internationaux de nationalités différentes exerçant leur activité pour un même employeur dans les mêmes conditions et les mêmes circonstances. À cet égard, M. Jenkinson précise que, dès lors que, selon le Tribunal, c’est le droit de la citoyenneté ou de la résidence fiscale avant l’engagement du personnel contractuel au sein de la mission de l’Union qui est applicable à ce personnel, le principe de
non-discrimination serait mis à mal, étant donné que le droit matériel applicable pourrait être celui d’un pays tiers n’ayant pas ratifié les différents instruments permettant l’application des principes généraux du droit de l’Union ou des droits fondamentaux résultant de la Charte.
96 Enfin, M. Jenkinson relève que, en l’espèce, la loi belge était la seule applicable, dès lors que la loi irlandaise relative aux licenciements abusifs ne s’appliquerait pas aux travailleurs qui exercent une activité en dehors du territoire irlandais.
97 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de la deuxième branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
98 Ainsi qu’il a été relevé au point 88 du présent arrêt, le Tribunal a, au point 99 de l’arrêt attaqué, considéré qu’il lui revenait, en l’espèce, de trancher le litige sur la base du droit matériel national applicable au contrat.
99 Au point 100 de cet arrêt, le Tribunal a, notamment, relevé que, selon la jurisprudence de la Cour, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition des directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme aux directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union ou
avec les autres principes généraux du droit de l’Union.
100 Au point 101 dudit arrêt, le Tribunal a considéré qu’il devait veiller au respect du principe général de l’interdiction de l’abus de droit résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, au titre de la mise en œuvre du droit national applicable au présent litige.
101 Au point 150 du même arrêt, après avoir constaté que la loi ayant, dans l’ordre juridique irlandais, transposé la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43), était applicable en l’espèce, le Tribunal a estimé qu’il ne ressortait ni du dossier ni des arguments des parties que cette loi n’était pas conforme à cette directive ou au principe d’interdiction de l’abus de droit.
102 Il en ressort que le Tribunal a estimé qu’il lui revenait de contrôler si ce principe avait été respecté. Ainsi, il n’a pas nié qu’il lui incombait de s’assurer du respect des principes généraux du droit de l’Union. En outre, M. Jenkinson ne démontre pas que le Tribunal a, en l’espèce, omis de procéder à l’application d’un principe général de ce droit.
103 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas méconnu les enseignements issus des arrêts du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2020:576), et du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission (C‑378/16 P, EU:C:2020:575), selon lesquels, si les parties décident, dans le contrat qui les lie, au moyen d’une clause compromissoire, d’attribuer au juge de l’Union la compétence pour connaître des litiges afférents à ce contrat, il reviendra à ce juge, indépendamment du droit
applicable désigné par ledit contrat, d’examiner d’éventuelles violations de la Charte et des principes généraux du droit de l’Union. Par conséquent, l’argument tiré d’une violation des enseignements tirés de ces arrêts doit être écarté comme étant non fondé.
104 S’agissant, ensuite, du grief tiré de la violation du principe de non-discrimination, il y a lieu de relever que, dans le cadre du premier chef de conclusions, M. Jenkinson n’avait pas soutenu que l’application du droit matériel national à la relation contractuelle en cause était de nature à entraîner une violation de ce principe. Au contraire, il avait, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 84 de l’arrêt attaqué, soutenu que le Tribunal devait, en l’espèce, juger des demandes introduites
dans le cadre du premier chef de conclusions sur la base d’un droit national, à savoir le droit belge, identifié en application du règlement Rome I.
105 Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 217 de l’arrêt attaqué, M. Jenkinson s’est, en revanche, prévalu, dans le cadre du deuxième chef de conclusions, d’un traitement discriminatoire qui aurait découlé du fait d’avoir été recruté en tant que personnel civil international sur une base contractuelle. Ce grief a été examiné aux points 230 à 232 de cet arrêt, lesquels ne sont pas visés par la deuxième branche du troisième moyen.
106 Partant, si la Cour devait se prononcer sur le grief mentionné au point 104 du présent arrêt, elle serait amenée à statuer sur un moyen qui n’a pas été invoqué en première instance. Dans ces conditions, ce grief doit être considéré comme étant un grief nouveau et, comme tel, irrecevable, conformément à la jurisprudence citée au point 68 du présent arrêt.
107 Enfin, quant à l’argument tiré de l’inapplicabilité, en l’espèce, du droit irlandais, il y a lieu de rappeler que, s’agissant d’une interprétation du droit national effectuée par le Tribunal, la Cour n’est compétente, dans le cadre du pourvoi, que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit, laquelle doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir, en ce sens, arrêts du
5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 53 ; du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 20 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 janvier 2021, ERCEA/Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis, C‑280/19 P, EU:C:2021:23, point 67).
108 En l’occurrence, M. Jenkinson soutient que la loi irlandaise relative aux licenciements abusifs ne s’applique pas aux travailleurs qui exercent leur activité en dehors du territoire irlandais, sans, toutefois, alléguer que le Tribunal aurait commis une erreur procédant d’une dénaturation de cette loi. Cet argument est, par conséquent, irrecevable.
109 Il s’ensuit que la deuxième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.
Sur la troisième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
110 Par la troisième branche du troisième moyen, M. Jenkinson reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans le cadre de la détermination de la loi applicable à la relation contractuelle en cause.
111 À titre liminaire, il fait valoir, premièrement, que, en décidant d’exclure l’application de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement Rome I, le Tribunal n’a pas tenu compte, au point 106 de l’arrêt attaqué, du fait qu’Eulex Kosovo avait également un établissement situé dans la ville de Bruxelles (Belgique).
112 Deuxièmement, au point 111 de cet arrêt, le Tribunal aurait décidé, sans motivation particulière et de manière erronée, de débuter son analyse par les neuf premiers CDD mentionnés au point 13 du présent arrêt, conclus entre M. Jenkinson et les chefs successifs d’Eulex Kosovo.
113 Il indique, troisièmement, que les parties n’auraient jamais envisagé de soumettre au droit irlandais leur relation contractuelle, ce qui serait attesté par Eulex Kosovo elle-même. Celle-ci aurait invoqué, en première instance, l’application d’un « droit sui generis ».
114 S’agissant, en premier lieu, de la détermination du droit applicable aux deux derniers CDD en cause, M. Jenkinson reproche, premièrement, au Tribunal, de ne pas avoir, au point 126 de l’arrêt attaqué, tiré des conséquences du fait que ces contrats ne mentionnaient pas les conditions d’emploi ainsi que les droits et les obligations du personnel civil international, en violation de l’action commune 2008/124, et ne renvoyaient pas à la communication C(2009) 9502, laquelle imposait l’adaptation
desdits contrats à la loi nationale applicable au contrat, ainsi que d’avoir, de manière manifestement erronée, constaté le caractère éclairé du consentement des parties. M. Jenkinson fait valoir que le Tribunal n’a pas pris en compte la volonté des parties de supprimer, dans les deux derniers contrats relatifs aux activités de M. Jenkinson au sein d’Eulex Kosovo, la référence à la communication C(2009) 9502 afin de modifier la loi applicable à la relation contractuelle.
115 M. Jenkinson considère, deuxièmement, que le Tribunal a violé son obligation de motivation, étant donné qu’il n’a pas justifié l’exclusion de la loi belge en tant que loi applicable aux CDD en vertu de l’article 8, paragraphes 3 et 4, du règlement Rome I.
116 Troisièmement, il soutient, tout d’abord, que la conclusion du Tribunal, figurant aux points 130 et suivants de l’arrêt attaqué, tenant à l’existence de liens plus étroits avec le droit irlandais, serait erronée, puisque le Tribunal aurait, tout d’abord, dans son appréciation, pris en compte la qualité d’employeur d’Eulex Kosovo, sans égard à l’éventuelle qualité de co-employeur des institutions de l’Union.
117 Ensuite, le Tribunal aurait pris en compte uniquement les liens des CDD en cause avec l’Irlande, sans analyser ni l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce pour déterminer des liens plus étroits avec un autre État membre ni le cadre juridique relatif à l’engagement du personnel civil international des missions. Il n’aurait pas davantage tenu compte du pays d’où provenait l’intégralité des instructions adressées aux chefs de mission et aux missions elles-mêmes ainsi que du fait
qu’Eulex Kosovo avait un établissement dans les locaux du SEAE situés dans la ville de Bruxelles. Le Tribunal aurait également omis de tenir compte du fait que le Conseil et le Parlement, qui sont établis dans la ville de Bruxelles, sont, en principe, compétents pour établir le cadre juridique d’engagement du personnel civil international des missions ainsi que du fait que la Commission, qui a également son siège à Bruxelles, impose des instructions sur le fondement de la
communication C(2009) 9502.
118 Enfin, les motifs justifiant, selon le Tribunal, l’application du droit irlandais en vertu de l’article 8, paragraphes 3 et 4, du règlement Rome I seraient manifestement erronés. D’une part, le Tribunal aurait confondu les notions de continuité d’emploi et de continuité de loi applicable. D’autre part, les stipulations des CDD relatives à la loi applicable au régime de sécurité sociale et de pension seraient contraires aux principes de droit de l’Union et aux directives en matières fiscale ou
sociale. En effet, un régime fiscal national ne pourrait s’imposer à un employé que s’il est présent physiquement et effectivement plus de 183 jours par an sur le territoire de l’État membre concerné. En outre, il serait interdit à un employeur de mettre à la charge de l’employé la création et la constitution d’un régime de sécurité sociale et de pension.
119 En deuxième lieu, s’agissant de la détermination du droit applicable aux neuf premiers CDD conclus entre M. Jenkinson et les chefs successifs d’Eulex Kosovo, mentionnés au point 13 du présent arrêt, le requérant critique, tout d’abord, le point 113 de l’arrêt attaqué par lequel le Tribunal a considéré que la communication C(2009) 9502 était opposable à M. Jenkinson sur la seule base du fait qu’il en avait eu connaissance avant la signature du premier contrat conclu avec le chef d’Eulex Kosovo.
L’intégration, dans les stipulations contractuelles, de cette communication par la commune volonté des parties, et ce malgré son abrogation, démontrerait que, en l’absence d’insertion expresse du contenu d’une communication abrogée dans des CDD, le mécanisme de détermination de la loi applicable au contrat ne saurait reposer sur celle-ci. Le Tribunal aurait méconnu, en procédant ainsi, la jurisprudence relative à l’opposabilité des mentions contractuelles aux parties faibles à un contrat ainsi
que le droit de l’Union relatif à la validité des conditions générales unilatéralement établies par une entreprise. M. Jenkinson se réfère, à cet égard, à l’arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. (C‑168/16 et C‑169/16, EU:C:2017:688).
120 Ensuite, l’analyse concrète de ladite communication aurait été menée, aux points 116 à 119 de l’arrêt attaqué, sans prendre en considération l’existence d’un éventuel vice du consentement, alors que l’existence d’un tel vice aurait dû être appréciée conformément à la loi applicable au contrat, ainsi qu’il est prévu aux articles 10, 11 et 12 du règlement Rome I.
121 M. Jenkinson critique, enfin, le point 119 de l’arrêt attaqué, en faisant valoir que les parties n’ont jamais eu l’intention d’appliquer le droit irlandais à l’intégralité de la relation contractuelle. La résidence fiscale avant son engagement initial ou la citoyenneté n’auraient présenté un intérêt que pour la détermination des droits individuels découlant du remboursement des frais de voyage.
122 En troisième lieu, invoquant une omission de statuer, M. Jenkinson fait valoir qu’il ne pouvait pas renoncer, par un engagement contractuel, au respect des dispositions plus favorables ou d’ordre public prévues par la loi qui se serait appliquée à défaut de choix, conformément à l’article 8, paragraphe 1, du règlement Rome I. Il indique, à cet égard, que, à défaut de cadre analogue au RAA, cette loi serait la loi belge. Cette loi aurait dû être prise en compte afin de vérifier si les parties
n’avaient pas renoncé au respect de dispositions plus favorables et d’ordre public. De même, le Tribunal aurait dû appliquer les dispositions de la loi du for incluant des principes identifiés comme « loi de police », au sens de l’article 9 de ce règlement. En excluant l’application des principes du droit de l’Union, notamment les principes de prévisibilité et de sécurité juridique, le Tribunal aurait violé la portée dudit règlement.
– Appréciation de la Cour
123 S’agissant des arguments avancés à titre liminaire par M. Jenkinson, il y a lieu de relever que, au point 106 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est borné à exposer les règles de droit international privé qu’il a estimées pertinentes afin de déterminer la loi applicable en l’espèce. Parmi ces règles, il a mentionné celle prévue à l’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome I, selon laquelle, en particulier, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’établissement où a eu lieu
l’embauche du travailleur. Dans ces conditions, il ne saurait être valablement reproché au Tribunal de ne pas avoir, à ce point, pris en compte un élément factuel tenant à l’existence d’un établissement d’Eulex Kosovo situé dans la ville de Bruxelles.
124 En outre, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence constante de la Cour, il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la
dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47).
125 Or, en soutenant, dans son pourvoi, que les parties en cause n’avaient jamais envisagé de soumettre leur relation contractuelle au droit irlandais, M. Jenkinson demande à la Cour de procéder à une appréciation d’éléments d’ordre factuel, à savoir de se prononcer sur l’intention des parties s’agissant du droit applicable en l’espèce, ce qui échappe, sous réserve du cas de la dénaturation, à sa compétence lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi. En outre, M. Jenkinson ne prétend pas que l’appréciation
de l’intention des parties opérée par le Tribunal repose sur une dénaturation des éléments de fait produits devant lui qui ressort de façon manifeste des pièces du dossier. Cette argumentation doit, par conséquent, être rejetée comme étant irrecevable.
126 S’agissant, en premier lieu, de la détermination du droit applicable aux deux derniers CDD en cause, il importe, premièrement, de relever qu’il ressort, en particulier, du point 128 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré qu’il convenait, à défaut d’un choix entre les parties quant au droit applicable en l’espèce, de déterminer ce droit sur le fondement des critères définis à l’article 8, paragraphes 2 à 4, du règlement Rome I.
127 Or, dans la mesure où M. Jenkinson soutient que, au point 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait dû tirer des conséquences de son constat selon lequel ces deux derniers CDD conclus entre lui et Eulex Kosovo ne faisaient pas mention des exigences prévues par l’action commune 2008/124 et la communication C(2009) 9502, et indique que le Tribunal se serait erronément prononcé sur la volonté ainsi que sur le consentement des parties à ces contrats, il suffit de relever que cette argumentation
procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, tout comme le point 125 de cet arrêt, ledit point 126 ne comporte qu’une constatation factuelle du Tribunal qui précède l’appréciation que celui-ci entame au point 127 dudit arrêt. Le Tribunal ne s’est donc nullement prononcé, au même point 126, sur les conséquences à tirer de ses constatations factuelles.
128 En outre, au point 127 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a pris en considération la circonstance que, contrairement aux contrats précédents relatifs aux activités de M. Jenkinson au sein d’Eulex Kosovo, les deux derniers CDD conclus entre ces parties ne faisaient plus référence à la communication C(2009) 9502. Toutefois, le Tribunal n’a pas inféré de cette absence de référence expresse à cette communication le fait que les parties ont exclu l’application de la loi nationale qui aurait été désignée
si cette référence avait été maintenue, à savoir la loi irlandaise.
129 Force est ainsi de constater que l’appréciation du Tribunal exposée au point 127 de l’arrêt attaqué porte sur des éléments factuels, dont le contrôle échappe, sous réserve du cas de la dénaturation, à la compétence de la Cour lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi. En l’occurrence, aucune dénaturation n’a été alléguée ni, a fortiori, démontrée. Partant, l’argumentation de M. Jenkinson doit être considérée comme étant irrecevable en application de la jurisprudence mentionnée au point 124 du présent
arrêt.
130 S’agissant, deuxièmement, du grief tiré d’une méconnaissance de l’obligation de motivation, il convient, tout d’abord, de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 29 avril 2021, Achemos Grupė et Achema/Commission, C‑847/19 P, EU:C:2021:343 point 62).
131 Partant, selon la jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal satisfait à cette obligation lorsque la motivation d’un arrêt ou d’une ordonnance fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel. L’obligation de motivation qui s’impose au Tribunal n’oblige cependant pas celui-ci à fournir un exposé qui suivrait, de manière
exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige et cette motivation peut dès lors être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 29 septembre 2022, HIM/Commission, C‑500/21 P, EU:C:2022:741, point 58 et jurisprudence citée).
132 Or, il y a lieu de relever que le Tribunal a, au point 129 de l’arrêt attaqué, estimé que, en application de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement Rome I, le droit kosovar était, en principe, applicable aux deux derniers CDD conclus entre M. Jenkinson et Eulex Kosovo. Il a cependant relevé que ce droit excluait lui-même son applicabilité aux relations d’emploi auprès de missions internationales et, au point 130 de cet arrêt, il a considéré que, en tout état de cause, ces deux derniers
CDD conclus entre M. Jenkinson et Eulex Kosovo présentaient des liens plus étroits avec le droit irlandais, en expliquant les raisons de cette considération aux points 131 à 138 dudit arrêt.
133 Il ressort de ces points du même arrêt que le Tribunal, en ayant relevé qu’un droit autre que le droit belge était applicable en l’espèce, a exclu, ainsi qu’il l’a explicité au point 139 de cet arrêt, l’application du droit belge en l’espèce. Il s’ensuit que le grief tiré d’une méconnaissance de l’obligation de motivation doit être rejeté comme étant non fondé.
134 Troisièmement, quant à l’argumentation de M. Jenkinson tirée de l’absence d’examen par le Tribunal de la qualité éventuelle de co-employeur des institutions de l’Union et de l’absence de prise en compte par celui-ci des éléments établissant un lien des CDD en cause avec la Belgique, pour autant qu’il faut la comprendre comme visant l’application par le Tribunal de l’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome I, il y a lieu de relever que, à supposer même que le Tribunal ait considéré ces
institutions comme étant, avec Eulex Kosovo, des co-employeurs de M. Jenkinson, cette considération ne permettrait pas, à elle seule, de réfuter la conclusion du Tribunal selon laquelle l’établissement qui devait être pris en compte aux fins de l’application de cette disposition était celui qui, selon le Tribunal, était situé au Kosovo.
135 En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’utilisation du terme « embauché » à l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement vise la seule conclusion du contrat de travail et non pas les modalités de l’occupation effective du travailleur (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C‑384/10, EU:C:2011:842, point 46).
136 En outre, la Cour a considéré que, dès lors que le critère du lieu d’établissement de l’entreprise qui emploie le travailleur est étranger aux conditions dans lesquelles le travail est accompli, la circonstance que cette entreprise soit établie dans un lieu ou dans un autre est sans incidence sur la détermination de ce lieu d’établissement (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C‑384/10, EU:C:2011:842, point 48).
137 Il en résulte que le lieu dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur ne se confond pas nécessairement avec celui du siège de l’employeur du travailleur.
138 Certes, ce n’est que dans l’hypothèse dans laquelle des éléments portant sur la procédure d’embauche permettraient de constater que l’entreprise qui a conclu le contrat de travail a en réalité agi au nom et pour le compte d’une autre entreprise que la juridiction appelée à appliquer l’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome I pourrait considérer que le critère de rattachement contenu dans cette disposition renvoie à la loi du pays où l’établissement de cette dernière entreprise est situé
(voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2011, Voogsgeerd, C‑384/10, EU:C:2011:842, point 49).
139 Cependant, M. Jenkinson ne se prévaut pas d’éléments objectifs permettant de soutenir que le Tribunal aurait dû tenir compte, aux fins de l’application de cette disposition, non pas de l’établissement situé au Kosovo avec lequel M. Jenkinson avait conclu les deux derniers CDD en cause mais du siège des institutions de l’Union.
140 Il s’ensuit que l’argumentation de M. Jenkinson ayant trait à la nécessité d’établir préalablement à l’application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome I la qualité de co-employeur de ces institutions doit être considérée comme étant non fondée.
141 Il en va de même des autres éléments mis en avant par M. Jenkinson aux fins de contester l’application par le Tribunal de l’article 8, paragraphe 3, de ce règlement.
142 S’agissant, tout d’abord, de l’argument de M. Jenkinson selon lequel le Tribunal aurait dû prendre en compte le pays d’où provenait l’intégralité des instructions adressées aux chefs de mission et aux missions elles-mêmes aux fins de l’application de cette disposition, force est de constater que cet élément ne se rattache pas à des circonstances ayant trait à la conclusion du contrat de travail et permettant ainsi de réfuter la détermination du lieu d’embauche de M. Jenkinson, telle qu’elle a
été établie par le Tribunal.
143 Ensuite, le seul fait qu’Eulex Kosovo avait un établissement dans les locaux du SEAE situés dans la ville de Bruxelles, à le supposer établi, ne permet pas de démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’établissement pertinent aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome I était celui situé à Pristina (Kosovo). En effet, l’indication selon laquelle un établissement d’Eulex Kosovo se trouvait dans les locaux du SEAE situés à Bruxelles
ne suffit pas à démontrer que le Tribunal a erronément apprécié l’établissement qui devait être considéré comme ayant embauché M. Jenkinson.
144 De même, s’agissant, enfin, de l’argument pris de l’absence de prise en compte, par le Tribunal, du cadre juridique afférent à l’engagement de M. Jenkinson et du lieu d’établissement, à Bruxelles, du Conseil et du Parlement, il y a lieu de relever que ces éléments, qui se fondent sur la prémisse, non établie, que ces institutions seraient les seules compétentes pour déterminer le cadre juridique afférent à l’engagement de M. Jenkinson, ne sauraient démontrer que le lieu d’établissement desdites
institutions était pertinent aux fins de la détermination du lieu d’embauche de celui-ci, au sens de l’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome I.
145 En ce qui concerne, d’autre part, les griefs du requérant relatifs à l’application par le Tribunal de l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I, il y a lieu de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’application de cette disposition implique que le juge doit faire une appréciation globale de l’ensemble des éléments qui caractérisent la relation de travail et apprécier celui ou ceux qui, selon lui, sont les plus significatifs (voir, par analogie, arrêt du 12 septembre
2013, Schlecker, C‑64/12, EU:C:2013:551, point 40).
146 Parmi les éléments significatifs de rattachement, la Cour a déjà jugé qu’il convenait de prendre notamment en compte le pays où le salarié s’acquitte des impôts et des taxes afférents aux revenus de son activité ainsi que celui dans lequel il est affilié à la sécurité sociale et aux divers régimes de retraite, d’assurance maladie et d’invalidité. Par ailleurs, le juge doit également tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, telles que, notamment, les paramètres liés à la
fixation du salaire ou des autres conditions de travail (voir, par analogie, arrêt du 12 septembre 2013, Schlecker, C‑64/12, EU:C:2013:551, point 41).
147 S’agissant, tout d’abord, de l’argument de M. Jenkinson selon lequel le Tribunal a confondu les notions de continuité d’emploi et de continuité de la loi applicable, il ressort, d’une part, des points 131 et 136 de l’arrêt attaqué qu’il y avait lieu de prendre en compte l’existence d’une relation de travail continue établie depuis le premier des onze CDD mentionnés au point 13 du présent arrêt aux fins de déterminer la loi applicable aux deux derniers CDD concernés et, d’autre part, du point 137
de cet arrêt, que la même loi que celle applicable aux neuf CDD concernés devait s’appliquer à ces deux derniers CDD.
148 Or, cet argument de M. Jenkinson n’est pas de nature à démontrer que la prise en compte de la loi qui était applicable à des contrats ayant précédé ceux examinés par le Tribunal est susceptible de constituer une analyse erronée des circonstances caractérisant la relation de travail établie par ces derniers contrats et, partant, une application erronée de l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I. En effet, il y a lieu de relever que l’existence de liens entre des contrats tels que ceux
visés par le Tribunal aux points 131 à 137 de l’arrêt attaqué peut être retenue, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 145 du présent arrêt, comme constituant une circonstance significative pouvant être prise en compte afin de désigner un « autre pays », au sens de cette disposition. Ledit argument doit donc être considéré comme étant non fondé.
149 S’agissant, en outre, de l’argumentation de M. Jenkinson selon laquelle le Tribunal n’aurait pas dû prendre en compte le critère mentionné dans les deux derniers CDD conclus entre celui-ci et Eulex Kosovo pour déterminer la loi applicable aux régimes de sécurité sociale et de pension ainsi qu’au régime fiscal, puisque ce critère serait contraire aux principes de droit de l’Union et aux directives en matières fiscale ou sociale, il y a lieu de constater que, au point 138 de l’arrêt attaqué, le
Tribunal n’a pas vérifié si la loi irlandaise était celle qui régissait valablement ces régimes, mais a uniquement relevé que ces deux derniers CDD renvoyaient, pour déterminer la loi régissant lesdits régimes, à la loi du « pays de résidence (fiscale) permanente » avant la prise de fonction de M. Jenkinson au sein d’Eulex Kosovo.
150 Or, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 146 du présent arrêt, les arguments de M. Jenkinson ne sauraient prospérer dès lors que, selon celle-ci, le Tribunal est habilité à prendre en compte la circonstance examinée aux points 131 à 137 de l’arrêt attaqué indépendamment de l’applicabilité de cette loi aux mêmes régimes.
151 Il s’ensuit que M. Jenkinson ne saurait soutenir que le Tribunal a, en méconnaissance de l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I, pris en compte les éléments mentionnés aux points 131 à 138 de l’arrêt attaqué.
152 En outre, les autres éléments mis en avant par M. Jenkinson au soutien du grief pris de ce que le Tribunal a procédé à une appréciation partielle des éléments caractérisant la relation de travail de celui-ci au sein d’Eulex Kosovo doivent être écartés comme étant non fondés dès lors que, par ceux-ci, M. Jenkinson ne parvient pas à établir que cette appréciation est erronée.
153 En effet, si ces éléments ayant trait, premièrement, à la qualité alléguée de co-employeur des institutions de l’Union ayant leur siège à Bruxelles, deuxièmement, au cadre juridique relatif à l’engagement du personnel civil international des missions internationales de l’Union, troisièmement, au lieu d’où provenait l’intégralité des instructions adressées au chef d’Eulex Kosovo et, quatrièmement, à cette mission ainsi qu’à l’existence d’un établissement d’Eulex Kosovo dans les locaux du SEAE
situés à Bruxelles concourent à désigner un autre pays que l’Irlande au regard de l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I, M. Jenkinson ne parvient pas pour autant à établir que lesdits éléments étaient significatifs, en ce qui concerne les deux derniers CDD conclus entre celui-ci et Eulex Kosovo, au point qu’ils établissent que le Tribunal a opéré une appréciation erronée de l’existence des liens entre ces CDD et l’Irlande en se fondant sur les éléments mentionnés aux points 131 à 138 de
l’arrêt attaqué.
154 Le prétendu cadre juridique relatif à l’engagement du personnel civil international des missions internationales de l’Union défini par les institutions de l’Union ayant leur siège à Bruxelles, le lieu d’où provenait l’intégralité des instructions adressées au chef d’Eulex Kosovo et à cette mission ainsi que l’existence d’un établissement d’Eulex Kosovo dans les locaux du SEAE situés à Bruxelles constituent, certes, des circonstances de l’affaire qui doivent être prises en compte dans
l’appréciation globale visée au point 145 du présent arrêt. Toutefois, à la différence de celles analysées par le Tribunal, ces circonstances ont trait davantage au contexte général dans lequel les deux derniers CDD conclus entre Eulex Kosovo et M. Jenkinson s’insèrent qu’aux caractéristiques plus directement liées à ces CDD. Par conséquent, l’argument fondé sur lesdits éléments ne permet pas de démontrer que le Tribunal a procédé à une appréciation erronée des liens plus étroits visés à
l’article 8, paragraphe 4, du règlement Rome I.
155 De même, s’agissant de l’argument tiré de la nécessité d’examiner si les institutions de l’Union pouvaient être considérées, avec Eulex Kosovo, comme étant des co-employeurs de M. Jenkinson, il y a lieu de considérer que, à supposer même que cet argument soit fondé, il ne serait pas susceptible de démontrer que l’établissement de ces institutions à Bruxelles constitue une circonstance déterminante dans l’identification du pays qui entretient, au sens de l’article 8, paragraphe 4, de ce
règlement, des liens plus étroits avec ces deux derniers CDD.
156 Il ressort de ce qui précède que M. Jenkinson n’établit pas que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a appliqué l’article 8 du règlement Rome I afin de déterminer la loi régissant les deux derniers CDD conclus entre M. Jenkinson et Eulex Kosovo.
157 En deuxième lieu, s’agissant de la détermination du droit applicable aux neuf premiers CDD conclus entre M. Jenkinson et le chef d’Eulex Kosovo, mentionnés au point 13 du présent arrêt, il y a lieu de constater que les arguments tirés d’une prétendue méconnaissance de la jurisprudence relative à l’opposabilité des mentions contractuelles aux parties faibles à un contrat et du droit de l’Union relatif à la validité des conditions générales unilatéralement établies par une entreprise ainsi que les
arguments en lien avec les articles 10, 11 et 12 du règlement Rome I ne répondent pas aux exigences rappelées aux points 60 et 61 du présent arrêt, dès lors que M. Jenkinson n’étaye pas de façon suffisamment précise les éléments de droit qui soutiennent ces arguments, et doivent, partant, être considérés comme étant irrecevables.
158 En soutenant, en outre, que le Tribunal a erronément interprété l’intention des parties en lien avec leur pays d’origine, force est de constater que M. Jenkinson demande à la Cour de procéder à une appréciation factuelle qui, conformément à la jurisprudence citée au point 124 du présent arrêt, échappe, sous réserve du cas de la dénaturation, à sa compétence lorsqu’elle est saisie dans le cadre d’un pourvoi.
159 Il y a lieu de relever, en troisième lieu, que l’application de l’article 8 du règlement Rome I implique, dans un premier temps, que la juridiction saisie du litige identifie la loi qui aurait été applicable en l’absence de choix et détermine, selon celle-ci, les règles auxquelles il ne peut être dérogé par accord et, dans un second temps, que cette juridiction compare le niveau de protection dont bénéficie le travailleur en vertu de ces règles avec celui qui est prévu par la loi choisie par les
parties. Si le niveau prévu par lesdites règles assure une meilleure protection, il y a lieu d’appliquer ces mêmes règles (arrêt du 15 juillet 2021, SC Gruber Logistics, C‑152/20 et C‑218/20, EU:C:2021:600, point 27).
160 Toutefois, en l’occurrence, M. Jenkinson se réfère, de façon générale, au droit belge, mais n’identifie aucune règle précise qui aurait dû être prise en considération par le Tribunal dans le cadre de l’application dudit article, de sorte qu’il ne démontre pas que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne lui accordant pas le bénéfice de l’application de cette prétendue règle plus favorable.
161 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en ayant ni contrôlé ni appliqué une règle plus favorable en vertu du droit qui aurait été applicable en l’espèce en l’absence de choix. Il en va de même en ce qui concerne l’argumentation tirée de l’application du droit de l’Union en vertu de l’article 9 du règlement Rome I.
162 Il ressort de ce qui précède que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans la détermination du droit applicable aux neufs premiers CDD mentionnés au point 13 du présent arrêt et aux deux derniers CDD, de sorte que les arguments résumés au point 112 du présent arrêt portant sur l’ordre choisi par le Tribunal, dans l’examen de ces CDD, pour déterminer le droit applicable à la relation contractuelle en cause ne sauraient, en tout état de cause, prospérer.
163 Eu égard à ce qui précède, la troisième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.
Sur les deuxième et troisième griefs de la quatrième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
164 Par le deuxième grief de la quatrième branche du troisième moyen, M. Jenkinson reproche au Tribunal d’avoir dénaturé le droit irlandais dans le cadre de l’interprétation et de l’application de l’article 9 de la Protection of Employees (Fixed – Term Work) Act 2003 [loi de 2003 relative à la protection des salariés (travail à durée déterminée), ci-après la « loi de 2003 »)].
165 Il soutient, à titre liminaire, que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 151 du même arrêt, en ne considérant pas que seul le Conseil a compétence pour fixer les conditions d’engagement du personnel des missions. Ce point serait aussi contraire à la communication C(2009) 9502, qui imposerait des types de contrats spécifiques pour chaque fonction. Il relève également que l’article 9 de la loi de 2003 se réfère à la notion d’« employeurs associés ».
166 En ce qui concerne, en premier lieu, l’analyse de l’objectif invoqué par Eulex Kosovo pour justifier la succession de CDD, M. Jenkinson estime que le Tribunal aurait dû, aux points 152, 154 et 155 de l’arrêt attaqué, appliquer non pas la jurisprudence de la Cour, mais la jurisprudence des juridictions irlandaises. Le Tribunal aurait ainsi limité, de manière illicite, la protection conférée aux travailleurs par le droit irlandais. En particulier, selon M. Jenkinson, aux points 157 à 175 de cet
arrêt, le Tribunal a, erronément et sans motivation, limité l’analyse des raisons objectives justifiant le recours à des CDD successifs à celle de la dimension temporaire d’Eulex Kosovo, alors que les juridictions irlandaises feraient référence, pour justifier la succession de CDD, à diverses raisons objectives, à savoir une restructuration significative à laquelle l’employeur doit faire face, un besoin d’une expertise temporaire dans un domaine particulier, une nécessité d’engager des
travailleurs pour un projet à court terme clairement identifié et temporaire ainsi qu’une absence de personnel liée, par exemple, au congé maladie d’un travailleur. L’analyse du Tribunal serait donc manifestement contraire à la jurisprudence des juridictions irlandaises invoquée par M. Jenkinson devant celui-ci.
167 En particulier, s’agissant, premièrement, de la prise en compte par le Tribunal de la durée des mandats d’Eulex Kosovo, M. Jenkinson avance que le Tribunal aurait dû tenir compte de la nature du travail qu’il accomplissait au sein d’Eulex Kosovo, lequel répondait à des besoins permanents et durables de l’employeur, plutôt que de se référer, aux points 157 à 160 de l’arrêt attaqué, à l’activité d’Eulex Kosovo ou de prendre en compte, aux points 177 à 180 de cet arrêt, des aspects sans pertinence
tels que la priorité d’engagement du personnel détaché. En procédant ainsi, le Tribunal aurait dénaturé la notion de « besoins permanents et durables de l’employeur ». M. Jenkinson se réfère, à cet égard, à un extrait d’une décision d’un « adjudication officer » (agent d’arbitrage).
168 S’agissant, deuxièmement, de l’appréciation du Tribunal, figurant aux points 161 et 162 de l’arrêt attaqué, concernant les périodes couvertes par les montants de référence financière, qui figurent dans les versions successives de l’article 16 de l’action commune 2008/124, M. Jenkinson considère que la prise en compte du caractère limité dans le temps de ces périodes, afin de considérer que la conclusion de CDD successifs était justifiée, est contraire à la jurisprudence des juridictions
irlandaises. En particulier, M. Jenkinson fait référence à des extraits de jugements de ces juridictions qui démontreraient, de manière manifeste, que le fait de devoir disposer d’un budget pour payer un travailleur dans le cadre d’une activité déterminée ne suffit pas pour justifier la conclusion de CDD. Par ailleurs, si les institutions de l’Union avaient été considérées, avec Eulex Kosovo, comme étant des co-employeurs de M. Jenkinson, les arguments tirés du financement d’Eulex Kosovo
n’auraient pas pu être retenus par le Tribunal.
169 Troisièmement, M. Jenkinson soutient que l’appréciation du Tribunal, exposée aux points 163 à 169 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la compétence et le champ d’action d’Eulex Kosovo étaient sujets à des adaptations en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain et des relations entre l’Union et les autorités kosovares, ne prend pas en considération les procédures opérationnelles normalisées (PON), qui prévoiraient des règles de redéploiement du personnel soit au sein d’Eulex Kosovo,
soit au sein d’une autre mission internationale de l’Union.
170 Quatrièmement, M. Jenkinson fait valoir que le critère tenant à la durée des mandats des chefs successifs d’Eulex Kosovo, visé aux points 170 à 175 de l’arrêt attaqué, doit être écarté, dès lors qu’il permettrait à l’employeur de ne conclure que des contrats à durée limitée. Le Tribunal n’aurait pas établi, à cet égard, qu’il était possible d’avoir recours, dans ce contexte, à un tel critère. Il aurait ainsi privé le travailleur d’un contrôle effectif de la légalité d’une telle utilisation, au
regard notamment de l’article 9 de la loi de 2003. En outre, le point 175 de cet arrêt serait manifestement en contradiction avec le constat de l’absence de personnalité juridique d’Eulex Kosovo et de l’absence de pouvoir des chefs de cette mission.
171 S’agissant, cinquièmement, des considérations du Tribunal relatives au dernier CDD, le Tribunal ne pouvait, selon M. Jenkinson, valablement constater, aux points 185 et 187 de l’arrêt attaqué, que les motifs de son appréciation étaient les mêmes que ceux relatifs aux CDD précédents, alors qu’Eulex Kosovo avait précisé que le dernier CDD avait pour objet de coordonner les fins des CDD conclus avec plusieurs employés d’Eulex Kosovo.
172 En second lieu, le Tribunal aurait omis d’analyser le caractère adéquat, au regard du droit irlandais, du recours à des CDD successifs. Ainsi, le Tribunal aurait justifié la légitimité de la succession de CDD par la facilité de rompre ce type de contrats sans conséquence financière, alors qu’aucune des parties défenderesses en première instance n’aurait prouvé l’existence de telles conséquences dans le cas où serait conclu un CDI. En outre, le Tribunal aurait erronément rejeté, aux points 181
et 184 de l’arrêt attaqué, la proposition d’une autre mesure avancée par M. Jenkinson, sans analyser si une possibilité moins attentatoire à la stabilité et aux droits du travailleur existait, au sens de la jurisprudence des juridictions irlandaises. Ce faisant, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve qui pèserait sur l’employeur.
173 Au point 187 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé que le recours au dernier CDD était nécessaire et approprié, et ce en dénaturant le droit irlandais, puisqu’il ne se serait pas déterminé sur la base d’un examen concret de la situation en cause et au regard d’autres moyens moins désavantageux et précaires de satisfaire aux intérêts des deux parties.
174 À titre subsidiaire, M. Jenkinson fait valoir une violation du principe de non-discrimination et du principe de l’unicité du droit. Il invoque la nécessité d’examiner le caractère permanent et durable des besoins de l’employeur au regard du droit irlandais, qui se référerait à l’arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, points 58 à 75). L’examen de ce caractère devrait être calqué sur celui retenu par le législateur de l’Union dans le cadre de l’adoption du RAA en
application de l’article 336 TFUE. En conséquence, M. Jenkinson critique l’arrêt attaqué en ce qu’il aurait donné une interprétation sensiblement plus large de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70, que celle retenue par les institutions de l’Union dans le cadre du RAA, en limitant à deux le nombre de renouvellements des CDD. Au soutien de cette argumentation, M. Jenkinson se réfère également aux arrêts du
11 juillet 1985, Maag/Commission (43/84, EU:C:1985:328), et du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223).
175 Par le troisième grief de la quatrième branche du troisième moyen, M. Jenkinson soutient que le Tribunal a omis de prendre en compte l’absence de personnalité juridique d’Eulex Kosovo ainsi que les considérations soulevées par ses soins concernant les délégations de pouvoir, y compris en matière budgétaire.
176 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet des deuxième et troisième griefs de la quatrième branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
177 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les arguments avancés par M. Jenkinson contre le point 151 de l’arrêt attaqué se confondent avec ceux avancés dans le cadre du premier moyen du présent pourvoi, lequel a été rejeté aux points 45 à 55 du présent arrêt, puisque, par ces arguments, M. Jenkinson vise, en réalité, à contester la légalité de l’article 9, paragraphe 3, et de l’article 10, paragraphe 3, de l’action commune 2008/124 en ce que ces dispositions prévoient qu’Eulex Kosovo peut
également recruter, en fonction des besoins, du personnel civil international sur une base contractuelle et que les conditions d’emploi ainsi que les droits et les obligations de ce personnel figurent dans les contrats conclus entre le chef d’Eulex Kosovo ou par Eulex Kosovo elle-même et les membres du personnel.
178 En outre, M. Jenkinson ne démontre pas que la communication C(2009) 9502 s’appliquait aux chefs successifs d’Eulex Kosovo et à cette mission aux fins de déterminer le type de contrat qui lui a été proposé. Ces arguments sont, donc, non fondés.
179 En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument tiré d’une dénaturation de la jurisprudence des juridictions irlandaises relative aux raisons justifiant la conclusion de CDD successifs, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 107 du présent arrêt, que, en ce qui concerne le contrôle de l’interprétation du droit national retenue par le Tribunal, la Cour n’est compétente, dans le cadre d’un pourvoi, que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit, laquelle doit apparaître
de façon manifeste des pièces du dossier. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.
180 À cet égard, il y a lieu de considérer que le Tribunal a pris en compte, aux points 156 à 187 de l’arrêt attaqué, plusieurs paramètres pour considérer, par une appréciation globale, que M. Jenkinson avait exécuté, dans un cadre juridique et un contexte professionnel spécifique se caractérisant par leur dimension temporaire, les tâches qui lui étaient confiées au sein d’Eulex Kosovo, qui était, par ailleurs, destinée, à terme, à disparaître.
181 Dans ce contexte, il importe, d’emblée, de relever que, pour autant qu’il faille comprendre l’argument de M. Jenkinson comme invoquant une erreur commise par le Tribunal, au point 153 de l’arrêt attaqué, tirée d’une omission d’analyser si, en l’espèce, il était possible de considérer que M. Jenkinson avait conclu des CDD avec des « employeurs associés », il y a lieu de relever que celui-ci n’avance aucun élément permettant de considérer que l’absence d’analyse de cette éventualité méconnaîtrait
le contenu et la portée du droit irlandais, de sorte que cet argument doit être considéré comme étant non fondé.
182 S’agissant de la prise en compte, par le Tribunal, de la dimension temporaire d’Eulex Kosovo afin de considérer que la conclusion de CDD successifs était justifiée par des raisons objectives, il ne ressort pas des extraits des jugements auxquels M. Jenkinson fait référence, y compris ceux se référant à l’existence de raisons objectives pouvant justifier, en droit irlandais, la succession de CDD, qu’une telle dimension ne pouvait pas être prise en considération par le Tribunal pour justifier la
conclusion de CDD successifs.
183 En particulier, il importe de relever, premièrement, que l’extrait de la décision de l’agent d’arbitrage, que M. Jenkinson fait valoir afin de prouver que le Tribunal a dénaturé la jurisprudence des juridictions irlandaises, indique que des motifs liés à l’existence d’un projet spécifique limité dans le temps et sujet à un financement spécifique plutôt qu’au financement général d’une entité permanente constituent des raisons objectives pour la conclusion de CDD successifs.
184 En l’occurrence, le Tribunal a considéré, aux points 157 à 160 de l’arrêt attaqué, qu’Eulex Kosovo avait été mise en place pour une durée déterminée, laquelle a été prorogée. Ainsi, il ne résulte pas de l’extrait de ladite décision invoquée par M. Jenkinson que le Tribunal a, aux points 157 à 160 de l’arrêt attaqué, compris de façon manifestement erronée le droit irlandais et a ainsi dénaturé le contenu ou la portée de ce droit.
185 Deuxièmement, il y a lieu de considérer que, au vu de ce qui a été relevé au point 180 du présent arrêt, il en va de même des arguments relatifs aux points 161 et 162 de l’arrêt attaqué, mentionnés au point 168 du présent arrêt.
186 En effet, les extraits des jugements invoqués par M. Jenkinson indiquent que le fait de devoir disposer d’un budget pour rémunérer un travailleur dans le cadre d’une activité déterminée ne suffit pas pour justifier la conclusion de CDD successifs. Toutefois, ces extraits ne permettent pas de considérer que la prise en compte du caractère circonscrit et limité dans le temps des financements d’Eulex Kosovo serait un élément qui n’a pas de pertinence dans le cadre d’un examen global des
circonstances ayant amené un employeur à proposer à son employé la conclusion de CDD successifs.
187 Il s’ensuit que M. Jenkinson ne parvient pas à démontrer que le Tribunal, en ce qu’il a pris en compte, dans le cadre de l’appréciation globale rappelée au point 180 du présent arrêt, le caractère limité dans le temps du budget alloué à Eulex Kosovo, aurait manifestement méconnu le contenu ou la portée de ces jugements.
188 Troisièmement, M. Jenkinson n’avance aucun élément permettant d’établir que, selon le droit irlandais, ni l’évolution des compétences d’Eulex Kosovo ni les variations de son champ d’action ne sauraient être prises en compte. L’argument avancé par le requérant pour contester cette prise en compte par le Tribunal vise, en réalité, à ce que la Cour procède à une nouvelle appréciation de certains éléments du dossier, à savoir ceux ayant trait aux règles issues du PON. Or, la Cour n’est pas, dans le
cadre du pourvoi, compétente à cet égard. Il s’ensuit que cet argument doit être rejeté comme étant irrecevable.
189 Quatrièmement, l’argument tiré de ce que le dernier CDD avait pour objet de coordonner le terme des CDD conclus avec plusieurs employés d’Eulex Kosovo procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, au point 187 de cet arrêt, le Tribunal a souligné que le terme du dernier CDD coïncidait avec la date de la suppression du poste que M. Jenkinson occupait jusqu’alors, et ce dans le cadre de la restructuration d’Eulex Kosovo décidée par le Conseil. Ainsi, le Tribunal a pris en
considération les spécificités du contexte dans lequel ledit dernier CDD s’inscrivait, sans se fonder uniquement, comme le considère erronément M. Jenkinson, sur les raisons qui ont conduit à la conclusion des CDD ayant précédé le dernier CDD. Partant, cet argument doit être rejeté comme étant non fondé.
190 S’agissant, cinquièmement, des motifs du Tribunal ayant trait à la durée des mandats des chefs successifs d’Eulex Kosovo, il y a lieu de relever que, aux points 170 à 175 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tenu compte, aux fins de l’analyse de l’existence de raisons objectives justifiant la conclusion de CDD successifs, de la circonstance que la durée des mandats des chefs successifs d’Eulex Kosovo était limitée dans le temps et fixée « pour des périodes variables et erratiques » et a considéré
que cette circonstance illustrait la dimension temporaire d’Eulex Kosovo.
191 À cet égard, force est de constater que, à supposer que ces motifs de l’arrêt attaqué soient erronés, une telle erreur ne serait pas susceptible d’entraîner l’annulation de cet arrêt. En effet, lesdits motifs ne constituent que l’un des éléments pris en compte par le Tribunal dans son appréciation globale, rappelée au point 180 du présent arrêt, qui l’ont amené à considérer que la conclusion de CDD successifs s’inscrivait dans un contexte caractérisé par une dimension temporaire d’Eulex Kosovo.
192 Or, au vu de l’appréciation globale fondée sur l’analyse des paramètres examinés, en particulier, aux points 156 à 169 de l’arrêt attaqué et aux points 185 à 187 de celui-ci, le Tribunal pouvait valablement conclure qu’il existait des raisons objectives pour justifier la conclusion des CDD examinés. Par conséquent, les arguments visant ces points doivent être considérés comme étant inopérants. Il en va de même des arguments visant les points 177 à 180 de l’arrêt attaqué, rappelés au point 167 du
présent arrêt.
193 En deuxième lieu, il ressort des extraits des jugements invoqués par M. Jenkinson pour étayer son argument relatif à l’absence de contrôle, par le Tribunal, du caractère adéquat de la mesure de recrutement envisagée que, pour prouver l’existence de raisons objectives justifiant cette mesure, un défendeur doit démontrer l’existence d’un objectif légitime auquel ladite mesure se rapporte et établir que celle-ci est appropriée et nécessaire afin d’atteindre cet objectif. Il ressort également de ces
extraits, que, afin de déterminer si une raison peut être considérée comme objective, le juge doit se demander si la mesure en cause constitue le traitement le moins défavorable au travailleur tout en permettant à l’employeur d’atteindre ledit objectif.
194 À cet égard, au point 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que l’article 7 de la loi de 2003 exige, en substance, que, pour être objective, la raison invoquée doit être fondée sur des considérations externes à l’employé et le traitement moins favorable que le CDD implique pour ce dernier doit viser à atteindre un objectif légitime de l’employeur, et ce de manière appropriée et nécessaire.
195 Dans la suite de son raisonnement, le Tribunal a, notamment, estimé, aux points 181 à 184 de cet arrêt, que la nature même d’Eulex Kosovo influençait inévitablement les conditions d’emploi de son personnel ainsi que les perspectives d’emploi de celui-ci. À cet égard, il a exclu que puisse être suivie la proposition avancée par M. Jenkinson, selon laquelle un CDI contenant une clause résolutoire en cas de fin de mandat d’Eulex Kosovo aurait pu être conclu, et a considéré, en substance, que le
recours à un dixième CDD constituait le moyen nécessaire et approprié pour garantir à Eulex Kosovo les ressources nécessaires pour exécuter son mandat qui était caractérisé par des financements circonscrits et limités dans le temps.
196 En outre, au point 187 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que le contexte spécifique lié, en particulier, à la restructuration d’Eulex Kosovo, permettait de considérer que la conclusion du dernier CDD était un moyen nécessaire et approprié de satisfaire aux besoins pour lesquels la relation contractuelle avait été nouée.
197 Or, il ressort de ce qui précède que, dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal a, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 154 de ses conclusions, estimé que le recrutement de M. Jenkinson sur la base de CDD successifs était la seule manière de répondre aux besoins d’Eulex Kosovo, lesquels étaient limités dans le temps et dépendaient de facteurs extérieurs à cette mission.
198 Ce faisant, il n’apparaît pas de façon manifeste que le Tribunal a méconnu le contenu et la portée de l’obligation alléguée par M. Jenkinson, selon laquelle le juge doit vérifier si la mesure contestée constitue le traitement le moins défavorable au travailleur tout en permettant à l’employeur d’atteindre son objectif. Il s’ensuit que la dénaturation du droit irlandais alléguée par M. Jenkinson n’a pas été prouvée par celui-ci.
199 Il y a lieu d’ajouter, s’agissant de l’argument avancé par M. Jenkinson selon lequel le Tribunal, en se référant uniquement à la jurisprudence de la Cour, aurait méconnu la jurisprudence des juridictions irlandaises, que, ainsi qu’il ressort de ce qui précède, le Tribunal n’a pas dénaturé cette jurisprudence lors de l’application du droit irlandais en l’espèce. Ainsi, dès lors qu’aucun autre élément spécifique n’a été avancé par M. Jenkinson dans son pourvoi, il y a lieu de considérer que ledit
argument ne saurait prospérer.
200 S’agissant du grief soulevé à titre subsidiaire par M. Jenkinson, pris d’une violation du principe de non-discrimination et du principe de l’unicité du droit, il y a lieu, tout d’abord, de relever que l’interprétation de la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70, retenue dans l’arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443), est également reflétée dans l’arrêt du
26 janvier 2012, Kücük (C‑586/10, EU:C:2012:39), auquel le Tribunal s’est référé notamment au point 154 de l’arrêt attaqué.
201 En outre, les références aux arrêts du 11 juillet 1985, Maag/Commission (43/84, EU:C:1985:328), et du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223), ne sont pas de nature à prouver que le Tribunal a commis une quelconque erreur de droit. En effet, la pertinence de ces arrêts pour analyser l’arrêt attaqué n’a pas été expliquée par M. Jenkinson dans son pourvoi et ne ressort pas d’emblée de leur contenu.
202 Pour autant que M. Jenkinson avance qu’il revenait au Tribunal de calquer son interprétation des besoins pouvant répondre aux exigences fixées par la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70 sur celle retenue par le législateur de l’Union dans le cadre de l’adoption du RAA en application de l’article 336 TFUE, il y a lieu de relever que cette argumentation ne répond pas aux exigences
rappelées aux points 60 et 61 du présent arrêt.
203 Enfin, M. Jenkinson n’indique pas avec précision les règles établies par le législateur de l’Union qui auraient dû être prises en compte par le Tribunal.
204 En particulier, s’agissant de l’évocation d’une limite de deux renouvellements de CDD applicable aux agents de l’Union, M. Jenkinson ne démontre pas que cette règle serait applicable au cas d’espèce.
205 Il s’ensuit que, en l’absence d’autre argument permettant d’étayer le grief soulevé par M. Jenkinson à titre subsidiaire, ce grief doit être considéré comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
206 En troisième lieu, le grief mentionné au point 175 du présent arrêt ne visant aucune partie précise de l’arrêt attaqué et ne développant pas d’argumentation juridique permettant à la Cour d’effectuer son contrôle, en ce que, notamment, il n’expose pas les conséquences qui découleraient de l’octroi à Eulex Kosovo de la personnalité juridique, il doit être déclaré irrecevable en tant qu’il ne répond pas aux exigences exposées aux points 60 et 61 du présent arrêt.
207 Il résulte de tout ce qui précède que les deuxième et troisième griefs de la quatrième branche du troisième moyen doivent être rejetés comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondés.
Sur la cinquième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
208 Par la cinquième branche du troisième moyen, M. Jenkinson reproche au Tribunal d’avoir, au point 197 de l’arrêt attaqué, erronément interprété ses arguments. En outre, le Tribunal aurait méconnu l’interdiction de statuer ultra petita lorsqu’il a exclu l’octroi d’une indemnité juste et équitable à M. Jenkinson en raison de la violation de l’article 8 de la loi de 2003.
209 Tandis qu’il ressortirait de ce point 197 que M. Jenkinson avait expressément indiqué que sa demande de réparation de préjudices contractuels, liée à la rupture illégale de sa relation contractuelle, reposait sur la requalification de cette dernière en application de l’article 9 de la loi de 2003, M. Jenkinson estime avoir expressément indiqué, dans ses observations déposées en réponse à une mesure d’organisation de la procédure devant le Tribunal, que, « [t]outefois, en tant que tel,
[l’article] 8 de [cette] loi [...] ne constitue pas la base juridique exclusive fondant l’indemnisation en lien avec la rupture illégale de sa relation d’emploi qui se fonde principalement sur le non-respect de la législation applicable aux conditions de licenciement d’un contrat qu’il estime devoir être requalifié en [CDI], en application de [l’article] 9 [de ladite loi] ».
210 En outre, M. Jenkinson soutient avoir indiqué, en commentant un jugement irlandais, que la sanction de la violation de l’article 8 de la même loi devait être une compensation juste et équitable.
211 M. Jenkinson reproche, par ailleurs, au Tribunal de ne pas avoir tiré les conséquences indemnitaires qui découlaient de l’invocation de cet article, alors qu’il aurait dû, notamment, en faisant usage de sa compétence de pleine juridiction, procéder de cette façon, à l’instar de ce qu’une juridiction irlandaise aurait fait. Faute d’avoir ainsi statué, il aurait violé le principe selon lequel le juge ne saurait statuer ultra petita et aurait appliqué de façon erronée les articles 76 et 84 du
règlement de procédure du Tribunal.
212 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de la cinquième branche du troisième moyen.
– Appréciation de la Cour
213 Lorsque le Tribunal est saisi en tant que juge du contrat sur le fondement de l’article 272 TFUE, il doit statuer uniquement dans le cadre juridique et factuel tel que déterminé par les parties au litige (arrêt du 17 septembre 2020, Alfamicro/Commission, C‑623/19 P, EU:C:2020:734, point 41).
214 Il y a lieu de relever, à cet égard, qu’il ressort de la requête en première instance que M. Jenkinson avait, dans le cadre du premier chef de conclusions, avancé des prétentions indemnitaires au titre de l’indemnité compensatoire de préavis liée à la rupture de sa relation contractuelle, qu’il estimait devoir être requalifiée en CDI, en tant que conséquence de l’illégalité de cette rupture et de l’absence du transfert des documents sociaux à la fin de ce contrat.
215 Or, aucun élément de la requête en première instance ne laisse supposer que M. Jenkinson a demandé une indemnité pour violation de son droit d’être informé par écrit des raisons justifiant la conclusion d’un CDD plutôt que la conclusion d’un CDI.
216 Certes, en réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal le 1er décembre 2020, M. Jenkinson a indiqué, ainsi qu’il le rappelle dans le cadre de la cinquième branche du troisième moyen du pourvoi, que l’article 8 de la loi de 2003 ne constitue pas, en tant que tel, la base juridique exclusive dont il entend se prévaloir à l’appui de sa demande d’indemnisation en lien avec la rupture de sa relation contractuelle, cette demande étant fondée principalement sur le
non-respect de la législation relative aux conditions de licenciement applicables à cette relation, qu’il estime devoir être requalifiée en CDI en application de l’article 9 de cette loi.
217 Toutefois, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 87 de l’arrêt attaqué, M. Jenkinson a, dans le cadre de sa réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal le 6 septembre 2019, soutenu que la violation des dispositions de l’article 8 de la loi de 2003 entraînait ipso facto la requalification en CDI des CDD successifs en cause.
218 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas, au point 197 de l’arrêt attaqué, manifestement altéré l’objet et la substance des demandes de M. Jenkinson en indiquant que celui-ci, en invoquant une violation de l’article 8 de la loi de 2003, considérait que cette violation devait entraîner une requalification des CDD successifs en cause en CDI et que la demande visant à réparer des prétendus préjudices, liée à la rupture de sa relation contractuelle, reposait sur la requalification de celle-ci.
219 Ainsi, dès lors qu’une demande indemnitaire fondée sur la violation du droit d’être informé par écrit, au plus tard à la date du renouvellement du CDD, des raisons justifiant la conclusion d’un nouveau CDD plutôt que celle d’un CDI n’a pas été introduite en première instance, force est de constater que le Tribunal n’aurait pas pu, sauf à statuer ultra petita, octroyer une indemnité sur le fondement de l’article 8 de la loi de 2003, fût-ce en exerçant une compétence de pleine juridiction.
220 Il s’ensuit que le Tribunal, en s’abstenant de se prononcer sur une demande qui, contrairement à ce que prétend M. Jenkinson, n’avait pas été introduite par celui-ci, n’a pas méconnu les limites du principe selon lequel le juge ne peut statuer ultra petita.
221 La cinquième branche du troisième moyen doit donc être rejetée comme étant non fondée.
Sur la sixième branche du troisième moyen
– Argumentation des parties
222 Par la sixième branche du troisième moyen, M. Jenkinson reproche au Tribunal d’avoir omis de statuer sur la demande de réparation du préjudice contractuel exposée, en particulier, aux points 180 à 186 de la requête en première instance.
223 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de cette sixième branche.
– Appréciation de la Cour
224 Il y a lieu de rappeler que M. Jenkinson avait présenté la demande de réparation du préjudice contractuel, exposée aux points 180 à 186 de sa requête en première instance, dans le cadre du premier chef de conclusions.
225 À cet égard, le Tribunal a constaté, aux points 52 et 54 de l’arrêt attaqué, que toutes les demandes indemnitaires introduites par M. Jenkinson dans le cadre du premier chef de conclusions, étaient fondées sur la requalification de sa relation contractuelle en un CDI ou étaient subséquentes à cette requalification.
226 Or, après avoir rejeté la demande de requalification de ladite relation contractuelle en un CDI, le Tribunal a, au point 215 de cet arrêt, rejeté en conséquence la demande de réparation des préjudices contractuels allégués par M. Jenkinson dans le cadre du premier chef de conclusions.
227 Ainsi, dès lors que c’est dans le cadre de ce chef de conclusions que M. Jenkinson avait demandé le versement d’une indemnité ex equo et bono de 50000 euros et que cette demande doit être comprise comme étant subséquente à la demande de requalification de sa relation contractuelle en un CDI, ce qui n’est pas utilement contesté dans le cadre du pourvoi, il y a lieu de considérer que, au point 215 dudit arrêt, le Tribunal a statué sur cette demande indemnitaire en la rejetant conjointement avec
les autres prétentions indemnitaires avancées dans le cadre dudit chef de conclusions.
228 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas omis de statuer sur la demande de réparation du préjudice contractuel exposée, en particulier, aux points 180 à 186 de sa requête en première instance.
229 Par conséquent, la sixième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
Sur le deuxième moyen et le premier grief de la quatrième branche du troisième moyen
Argumentation des parties
230 Par le deuxième moyen, M. Jenkinson conteste, en premier lieu, le point 82 de l’arrêt attaqué par lequel le Tribunal a décidé, sans motiver ce choix, de tenir compte uniquement, aux fins de statuer sur la demande de requalification de la relation contractuelle de M. Jenkinson en un CDI, des onze CDD, à l’exclusion des CDD conclus précédemment, aux fins de son emploi auprès de l’EUMM et de la MPUE. M. Jenkinson considère que le dernier CDD devait être considéré comme faisant partie d’une plus
longue relation contractuelle nouée avec les parties défenderesses en première instance incluant également ces CDD.
231 M. Jenkinson fait valoir en substance que, au regard du droit national applicable en l’espèce, doit être pris en compte l’ensemble des CDD conclus aux fins de son emploi auprès des trois missions concernées. Par ailleurs, au point 232 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait relevé une continuité d’emploi de M. Jenkinson au sein de ces trois missions concernées. Il aurait dès lors été indispensable, pour déterminer si les CDD en cause se sont succédé de façon abusive, d’examiner ces CDD dans un
ordre chronologique, ce que le Tribunal aurait omis d’effectuer.
232 En outre, l’absence d’examen, d’une part, de la relation contractuelle nouée entre M. Jenkinson et les parties défenderesses autres qu’Eulex Kosovo et, d’autre part, de l’application de la notion d’« emploi continu auprès d’un ou de plusieurs employeurs », au sens du droit irlandais, reviendrait à nier la portée du point 77 de l’arrêt attaqué, qui tirerait certaines conséquences de l’absence de personnalité juridique octroyée aux trois missions concernées, y compris à Eulex Kosovo avant qu’elle
ne lui soit octroyée.
233 En second lieu, M. Jenkinson considère que, au regard du droit irlandais, le Tribunal aurait dû vérifier, dans un premier temps, si la relation contractuelle au sein des trois missions concernées pouvait être regardée comme étant continue et nouée avec des « employeurs associés », puis établir, dans un second temps, les conséquences qu’une telle relation impliquait. En l’absence d’une telle analyse en deux temps, le Tribunal n’aurait pas exclu que les CDD conclus aux fins de son emploi au sein
de l’EUMM et de la MPUE pouvaient être considérés comme constituant une relation contractuelle continue et unique nouée avec l’Union.
234 Par le premier grief de la quatrième branche du troisième moyen, M. Jenkinson invoque une erreur commise par le Tribunal, au point 153 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il n’aurait pas pris en considération, lors de l’examen de ses demandes présentées dans le cadre du premier chef de conclusions, l’intégralité des CDD relatifs aux activités qu’il avait effectuées au sein des trois missions concernées. Le Tribunal aurait erronément omis d’analyser, avant d’exclure l’examen de l’intégralité de ces CDD,
si, en l’espèce, il était possible de considérer que M. Jenkinson avait conclu des CDD avec des « employeurs associés », alors que cette condition serait essentielle en droit irlandais.
235 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet du deuxième moyen et du premier grief de la quatrième branche du troisième moyen.
Appréciation de la Cour
236 En premier lieu, s’agissant du deuxième moyen, il ressort du point 82 de l’arrêt attaqué que, dans la mesure où le dernier CDD, qui seul comportait une clause compromissoire désignant le juge de l’Union, faisait partie des onze CDD, le Tribunal a décidé d’examiner la demande de M. Jenkinson visant la requalification des onze CDD en un CDI unique. Il a précisé que, dans l’hypothèse où cette demande serait rejetée, il ne serait pas compétent pour examiner la demande visant la requalification en un
CDI des CDD successifs, relatifs à l’emploi de M. Jenkinson au sein de l’EUMM et de la MPUE, puisque ces CDD ne contenaient pas de clause compromissoire désignant le juge de l’Union.
237 Ces considérations du Tribunal, qui prennent place dans le cadre d’un raisonnement plus large, visaient à définir le cadre dans lequel devait être effectuée l’appréciation de ladite demande de requalification.
238 Or, d’une part, contrairement à ce que prétend M. Jenkinson, cette motivation permet à celui-ci et à la Cour de comprendre les raisons ayant conduit le Tribunal à prendre en compte, aux fins de cette appréciation, non pas les CDD relatifs à l’emploi de M. Jenkinson au sein de l’EUMM et de la MPUE mais uniquement les onze CDD.
239 D’autre part, quant au bien-fondé de cette approche du Tribunal, il ressort de ladite motivation que le Tribunal a estimé que, par le premier chef de conclusions, M. Jenkinson demandait que des conséquences soient tirées de la rupture du dernier CDD en tant que ce contrat devait être considéré comme faisant partie d’une relation contractuelle ayant débuté par l’engagement de M. Jenkinson au sein de l’EUMM et, donc, que les prétentions de M. Jenkinson introduites dans le cadre du premier chef de
conclusions dépendaient de la question de savoir si le dernier CDD faisait partie d’une succession de CDD devant, dans leur ensemble, être regardés comme formant un seul CDI.
240 En effet, au point 52 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, s’agissant de l’objet des demandes formulées dans le cadre du premier chef de conclusions, que M. Jenkinson demandait au Tribunal de requalifier les CDD successifs, qu’il avait conclus afin d’entrer dans une relation contractuelle avec les trois missions concernées, en un seul CDI, et de constater que les conditions dans lesquelles il avait été mis fin à ce CDI violaient le droit du travail applicable à ce type de contrat.
241 Au point 66 dudit arrêt, le Tribunal a considéré que, s’agissant de ces demandes avancées dans le cadre du premier chef de conclusions, il devait les examiner en tenant également compte des contrats de travail qui ont précédé le dernier CDD.
242 Au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, cependant, indiqué que sa compétence juridictionnelle découlait de la clause compromissoire désignant le juge de l’Union, qui figurait exclusivement dans le dernier CDD.
243 En outre, dans la mesure où la demande formulée dans le cadre du premier chef de conclusion, relative à la rupture de sa relation contractuelle intervenue au terme de ce dernier CDD, reposait sur la prémisse que ledit dernier CDD faisait partie d’une succession de CDD, le Tribunal devait nécessairement se prononcer également sur le CDD ayant précédé le dernier CDD.
244 Dans ces conditions, étant donné qu’il lui appartenait de se prononcer en tenant compte de la rupture de la relation contractuelle intervenue au terme du dernier CDD, que M. Jenkinson estime être une partie d’un seul CDI, il n’apparaît pas que le Tribunal ait commis une erreur de droit en ayant débuté son analyse avec l’examen des prétendus liens entre les onze CDD plutôt que d’examiner d’emblée l’ensemble des CDD conclus par M. Jenkinson, y compris ceux relatifs à son emploi auprès de l’EUMM et
de la MPUE.
245 Dès lors que le Tribunal a conclu, au point 188 de l’arrêt attaqué, qu’il existait des raisons objectives permettant de justifier la conclusion de chacun des onze CDD et que, partant, la demande de requalification de ces onze CDD en un CDI unique devait être rejetée, il ne saurait être valablement reproché au Tribunal de ne pas avoir, aux fins de statuer sur le premier chef de conclusions, élargi son examen aux CDD relatifs à l’emploi de celui-ci au sein de l’EUMM et de la MPUE.
246 En effet, étant donné que le Tribunal a considéré, sans que cela soit valablement contesté, que le dernier contrat conclu entre M. Jenkinson et Eulex Kosovo avait pu être légalement conclu à durée déterminée, il pouvait en déduire que ce contrat ne se plaçait pas au sein d’une relation contractuelle à durée indéterminée. Or, dès lors que cette appréciation suffisait à exclure que la fin de ce dernier contrat ait pu constituer une rupture d’un CDI, l’appréciation qui pouvait être portée sur les
CDD relatifs aux activités de M. Jenkinson au sein de l’EUMM et de la MPUE n’aurait pas pu, en tout état de cause, modifier cette constatation.
247 Il ressort de ce qui précède que M. Jenkinson ne parvient pas à démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 82 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte ces CDD, afin de statuer sur les demandes introduites dans le cadre du premier chef de conclusions.
248 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de M. Jenkinson selon lequel, au point 232 de cet arrêt, le Tribunal aurait relevé une continuité d’emploi au sein des trois missions concernées. En effet, à ce point, le Tribunal n’a pas procédé à une telle constatation. Partant, cet argument, qui procède d’une lecture erronée dudit point, doit être rejeté comme étant non fondé.
249 S’agissant de l’argument de M. Jenkinson mentionné au point 232 du présent arrêt, il suffit de constater que celui-ci se borne à affirmer que l’absence d’examen, d’une part, de la relation contractuelle nouée entre lui-même et les parties défenderesses autres qu’Eulex Kosovo ainsi que, d’autre part, de la notion d’« emploi continu auprès d’un ou de plusieurs employeurs » reviendrait à nier la portée du point 77 de l’arrêt attaqué, sans développer aucune argumentation au soutien de cette
affirmation. Il s’ensuit que cet argument ne répond pas aux exigences visées aux points 60 et 61 du présent arrêt et, partant, doit être rejeté comme étant irrecevable.
250 En second lieu, s’agissant, d’une part, de l’argument ayant trait à l’absence d’examen, par le Tribunal, de la question de savoir si la relation contractuelle au sein des trois missions concernées devait être regardée comme étant continue et nouée avec des « employeurs associés » et, d’autre part, du premier grief de la quatrième branche du troisième moyen, il y a lieu de relever qu’il ressort du point 247 du présent arrêt, que le Tribunal a, à bon droit, considéré qu’il ne lui appartenait pas
de se prononcer sur la qualification de relation contractuelle continue et unique de l’ensemble des CDD successifs relatifs à l’activité de M. Jenkinson au sein de l’EUMM et de la MPUE, de sorte qu’il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir examiné cette question et de ne pas avoir tenu compte de ces CDD dans le cadre de l’examen du premier chef de conclusions, y compris au point 153 de l’arrêt attaqué.
251 En outre, le Tribunal ne pouvait apprécier, avant même d’identifier le droit national applicable, si les parties défenderesses en première instance devaient être regardées comme étant des « employeurs associés », puisque cette notion est issue du droit matériel national.
252 Par conséquent, le deuxième moyen et le premier grief de la quatrième branche du troisième moyen doivent être écartés comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondés.
Sur la seconde branche du quatrième moyen
Argumentation des parties
253 Par la seconde branche du quatrième moyen, M. Jenkinson reproche, en premier lieu, au Tribunal de ne pas avoir examiné, au point 230 de l’arrêt attaqué, si le personnel d’Eulex Kosovo était soumis aux mêmes droits et aux mêmes obligations, non pas au regard des modalités de détermination de la loi applicable, mais en ce qui concerne les règles du droit matériel national applicable. Consacrer l’applicabilité de droits nationaux différents créerait des inégalités manifestes, notamment en ce qui
concerne l’application des principes de droit de l’Union et de la Charte. En procédant ainsi, le Tribunal n’aurait pas examiné l’objectif poursuivi par cette inégalité de traitement et n’aurait pas contrôlé le respect du principe de proportionnalité conformément à l’article 52 de la Charte.
254 En deuxième lieu, en acceptant d’appliquer un droit national à la résolution d’un conflit né d’un contrat de droit public conclu entre un agent et l’Union, le Tribunal aurait imposé à l’Union moins d’obligations qu’elle ne s’en impose à elle-même s’agissant des agents soumis au RAA. Il y aurait donc une contradiction entre, d’une part, le point 95 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, les points 231 et 232 de cet arrêt.
255 En troisième lieu, M. Jenkinson considère que l’arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289), et le jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique) du 30 juin 2014, qu’il avait invoqués devant le Tribunal et qui ont été examinés aux points 233 à 236 de l’arrêt attaqué, étaient pertinents, notamment en tant qu’ils illustreraient les limites du mandat budgétaire octroyé à Eulex Kosovo. Par ailleurs, le Tribunal aurait erronément écarté toute
analogie de la présente affaire avec celle ayant donné lieu à l’arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289), puisque, selon M. Jenkinson, ce dernier aurait dû être engagé aux mêmes conditions qu’un agent temporaire, cette prétention étant la même que celle formulée par les requérants dans cette dernière affaire.
256 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de la seconde branche du quatrième moyen.
Appréciation de la Cour
257 En premier lieu, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, point 65, ainsi que du 15 septembre 2022, Brown/Commission et Conseil, C‑675/20 P,
EU:C:2022:686, point 66).
258 Au point 230 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, s’agissant de la prétendue violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, qu’il n’existait pas de discrimination entre les membres du personnel contractuel d’Eulex Kosovo, en raison de l’application de droits nationaux différents auxquels les stipulations contractuelles tirées de la communication C(2009) 9502 renvoyaient, dès lors que ces membres du personnel sont traités selon les mêmes modalités, qui sont
énoncées de manière identique dans les contrats les concernant.
259 Il y a lieu de relever que, en statuant ainsi, le Tribunal a commis une erreur de droit.
260 Il ressort, en effet, de ce point 230 que le Tribunal a estimé, sans indiquer s’il considérait que les membres du personnel contractuel d’Eulex Kosovo se trouvaient dans une situation comparable ou différente, que, eu égard au caractère identique des stipulations de l’ensemble des contrats de ces membres du personnel, qui renvoyaient à cette communication pour identifier la loi applicable au contrat, lesdits membres devaient être considérés comme étant traités de manière identique.
261 Le Tribunal a ainsi estimé qu’il était suffisant, afin de respecter le principe de non-discrimination, que soient prévues les mêmes modalités de détermination du droit applicable auxdits membres du personnel.
262 Or, à supposer que les membres du personnel contractuel d’Eulex Kosovo se trouvaient dans une situation comparable, il y a lieu de relever que l’application de divers droits nationaux risque, en pratique, d’entraîner un traitement différent des personnes concernées quant aux droits qui leur sont reconnus et aux obligations qui leur sont imposées dans une situation donnée. Dès lors, le Tribunal ne pouvait, sans vider le principe de non-discrimination de tout effet concret et sans commettre ainsi
une erreur de droit, se borner à constater que les stipulations contractuelles permettant d’identifier les règles matérielles applicables étaient les mêmes pour tous les membres du personnel contractuel d’Eulex Kosovo.
263 Cela étant, l’erreur de droit constatée au point 259 du présent arrêt n’est pas de nature à emporter l’annulation de l’arrêt attaqué.
264 En effet, conformément à une jurisprudence constante, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 6 mai 2021, Bayer CropScience et Bayer/Commission, C‑499/18 P, EU:C:2021:367, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
265 À cet égard, il y a lieu de rappeler que M. Jenkinson se prévaut d’une prétendue violation du principe de non-discrimination entre les différents membres du personnel civil international d’Eulex Kosovo en raison de l’application, à ces membres du personnel, de droits nationaux différents désignés en application du critère de rattachement issu de la communication C(2009) 9502 qui renvoie au droit du pays dont la personne concernée est ressortissante.
266 Il importe toutefois de constater que le Tribunal a estimé, sans que cela soit valablement contesté dans le présent pourvoi, qu’il était explicitement permis, conformément aux dispositions de droit primaire et dérivé visées aux points 226 à 228 de cet arrêt, aux chefs successifs d’Eulex Kosovo, puis à Eulex Kosovo elle-même, de recruter du personnel civil international sur une base contractuelle.
267 Or, il découle de la nature contractuelle des relations ainsi établies que, en l’absence de régime européen commun applicable au personnel d’Eulex Kosovo, les règles matérielles appelées à compléter les stipulations contractuelles sont issues d’un droit national qui aura été identifié sur la base des règles de droit international privé et par accord entre les parties au contrat.
268 En l’espèce, ainsi qu’il ressort notamment du point 119 de l’arrêt attaqué, lequel n’a pas été contesté par M. Jenkinson dans le cadre du présent pourvoi, le critère de rattachement issu de la communication C(2009) 9502, qui renvoie au droit du pays dont la personne concernée est ressortissante, avait été mentionné dans les neuf CDD liant M. Jenkinson à Eulex Kosovo, conformément aux règles de droit international privé applicables à ces contrats et par accord entre les parties auxdits contrats.
269 Il en découle que les membres du personnel contractuel d’Eulex Kosovo originaires de différents État membres se trouvaient, aux fins de la conclusion de leurs contrats, non pas dans une situation comparable, mais dans des situations différentes en droit et en fait, notamment en raison des législations différentes qui leur étaient applicables, en vertu de leurs origines, au moment de la conclusion de ces contrats.
270 Dans ces conditions, l’application de règles matérielles différentes aux membres du personnel civil international d’Eulex Kosovo doit être regardée, d’une part, comme procédant de la prise en compte de circonstances objectives définies par le droit international privé pertinent et, d’autre part, comme une conséquence du fait que ceux-ci étaient placés dans des situations qui n’étaient pas comparables.
271 Par conséquent, M. Jenkinson ne parvient pas à démontrer que, dans les circonstances de l’espèce, l’application de droits matériels nationaux différents aux membres du personnel civil international d’Eulex Kosovo constitue une violation du principe de non-discrimination.
272 En deuxième lieu, il y a lieu de relever que le Tribunal a considéré, au point 231 de l’arrêt attaqué, que c’est à tort que M. Jenkinson alléguait avoir subi un préjudice en raison de la discrimination doit il aurait fait l’objet par rapport aux agents soumis au RAA, lequel aurait dû lui être appliqué en tant qu’agent employé au sein du SEAE, ajoutant que, conformément au mémorandum d’entente signé à Belgrade le 13 juillet 1991 instituant l’ECMM, renommée par la suite EUMM, le personnel n’était
pas supposé être engagé autrement qu’en tant que « personnel européen ».
273 Au point 232 de cet arrêt, le Tribunal a constaté, d’une part, que ni ce mémorandum ni aucun autre élément d’information n’avaient été produits par M. Jenkinson au soutien de ses arguments et que, en tout état de cause, ledit mémorandum ne contenait pas de disposition susceptible d’établir l’illégalité de l’engagement du personnel civil international au sein d’Eulex Kosovo.
274 D’autre part, à ce point 232, le Tribunal a relevé que le législateur de l’Union avait prévu, dans le cadre des dispositions normatives relatives à Eulex Kosovo, une base juridique permettant au chef d’Eulex Kosovo, puis à cette mission, de recruter du personnel civil international sur une base contractuelle.
275 Or, ainsi qu’il a été relevé au point 86 du présent arrêt, le Tribunal s’est borné, au point 95 de l’arrêt attaqué, à constater que le code européen de bonne conduite administrative dont se prévaut M. Jenkinson ne s’applique qu’aux institutions, organes ou organismes de l’Union, ainsi qu’à leurs administrations et à leurs agents dans leur relation avec le public, de sorte qu’il était exclu que M. Jenkinson puisse s’en prévaloir s’agissant de sa relation de travail.
276 Il s’ensuit qu’aucune contradiction n’existe entre, d’une part, le point 95 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, les points 231 et 232 de cet arrêt.
277 En outre, il y a lieu de relever que, en soutenant que le Tribunal a commis une erreur de droit en imposant à l’Union moins d’obligations qu’elle ne s’en impose elle-même s’agissant des agents soumis au RAA, M. Jenkinson avance un grief qui a trait à l’absence d’un cadre juridique régissant sa situation en tant que membre du personnel civil international d’Eulex Kosovo qui, ainsi qu’il a été relevé aux points 68 à 72 du présent arrêt, n’a pas été invoqué en première instance. Ce grief doit, par
conséquent, être rejeté comme étant irrecevable.
278 En troisième lieu, s’agissant de l’argument tiré de la pertinence, en l’espèce, de l’arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289), et du jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles du 30 juin 2014, invoqués par M. Jenkinson devant le Tribunal, il y a lieu de constater que celui-ci n’établit pas en quoi ces décisions seraient pertinentes aux fins de la présente affaire en ce sens que le Tribunal ne pouvait pas, aux points 234 et 236 de l’arrêt attaqué,
écarter toute analogie avec ceux-ci. En effet, s’il avance que cet arrêt et ce jugement permettent de relever qu’Eulex Kosovo avait la possibilité de se voir allouer des sommes supplémentaires et que, par conséquent, les arguments ayant trait au règlement financier devaient être examinés, M. Jenkinson ne parvient pas à établir, par cet argument, quelles étaient les conséquences qu’il fallait tirer dudit arrêt et dudit jugement dans la présente affaire. Ledit argument doit, par conséquent, être
rejeté comme étant non fondé.
279 En ce qui concerne l’argument de M. Jenkinson selon lequel le Tribunal aurait erronément écarté toute analogie entre la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 octobre 2004, Sanders e.a./Commission (T‑45/01, EU:T:2004:289), dès lors que, selon lui, il aurait dû être employé au sein des trois missions concernées selon les règles du RAA applicables aux agents temporaires, il convient de rappeler que, si, selon la jurisprudence de la Cour, l’Union peut conclure des contrats de
travail régis par le droit d’un État membre, elle doit néanmoins définir les conditions contractuelles en fonction des besoins du service, et non pas en vue d’échapper à l’application du statut des fonctionnaires de l’Union européenne et/ou du RAA (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 1989, Mulfinger e.a./Commission, C‑249/87, EU:C:1989:614, points 10 et 11).
280 Ainsi, contrairement à ce que soutient M. Jenkinson, il ne saurait être inféré de l’article 336 TFUE un droit à être engagé selon les mêmes modalités que celles applicables à un agent soumis au RAA. En outre, M. Jenkinson ne démontre pas que, en l’espèce, son recrutement aurait eu lieu sur ce fondement ou que les conditions de son emploi auraient été définies en vue d’échapper à l’application du RAA. Par conséquent, l’argument fondé sur l’existence de ce prétendu droit doit être rejeté comme
étant non fondé.
281 Il s’ensuit que M. Jenkinson ne saurait soutenir que le Tribunal a commis une erreur de droit aux points 231 à 235 de l’arrêt attaqué.
282 La seconde branche du quatrième moyen doit donc être rejetée.
Sur le cinquième moyen
Argumentation des parties
283 Par le cinquième moyen, M. Jenkinson critique l’examen par le Tribunal de la recevabilité du troisième chef de conclusions.
284 Il considère que l’absence de clarté, de prévisibilité, de sécurité juridique et d’égalité de traitement découle manifestement des échanges intervenus entre les parties à la procédure s’agissant du premier chef de conclusions et qu’elle y est inévitablement liée. Le Tribunal serait resté en défaut de prendre en compte l’ensemble des considérations de fait et de droit présentées en première instance ainsi que de vérifier la légalité de la pratique relative à l’engagement du personnel civil
international au sein d’Eulex Kosovo. Il aurait ainsi réduit illégalement le champ de contrôle de la légalité de l’action des parties défenderesses en première instance et aurait violé l’article 5 TUE.
285 En outre, le Tribunal aurait, à tort, considéré, au point 244 de l’arrêt attaqué, qu’aucune des problématiques avancées par M. Jenkinson n’avait été clairement exposée et, au point 245 de cet arrêt, que la demande avancée dans le cadre du troisième chef de conclusions était liée au comportement du Tribunal.
286 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet du cinquième moyen.
Appréciation de la Cour
287 Aux points 244 à 247 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé les raisons l’ayant amené à considérer que le troisième chef de conclusions manquait de clarté et devait, par conséquent, être rejeté comme étant manifestement irrecevable. En particulier, aux points 245 et 246 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que M. Jenkinson invoquait en première instance l’existence d’un préjudice découlant du rejet par le Tribunal des premier et deuxième chefs de conclusions, formulés à titre principal, qui
serait imputable aux parties défenderesses.
288 M. Jenkinson avance, dans le cadre du cinquième moyen, un ensemble d’affirmations générales ayant trait à la situation juridique et factuelle entourant le recours en première instance et reproche au Tribunal de ne pas avoir examiné les différents problèmes juridiques qu’il avait soulevés, sans toutefois expliquer à suffisance de droit quelle serait l’erreur que le Tribunal aurait commise en considérant que le troisième chef de conclusions ne répondait pas aux exigences de clarté qu’il a relevées
au point 243 de l’arrêt attaqué.
289 En particulier, s’il soutient que ce chef de conclusions ne visait pas à établir une violation dérivant du comportement du Tribunal dans l’analyse des premier et deuxième chefs de conclusions, il souligne également que le rejet des deux premiers chefs de conclusions pouvait être considéré comme une illustration de l’ensemble des problèmes juridiques soulevés dans le cadre du troisième chef de conclusions.
290 Or, ces considérations ne permettent pas de démontrer que le Tribunal a erronément considéré que M. Jenkinson n’avait pas clairement étayé la demande indemnitaire présentée dans le cadre de ce troisième chef de conclusions.
291 Par conséquent, ce moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le sixième moyen
Argumentation des parties
292 Par le sixième moyen, M. Jenkinson avance que le Tribunal a procédé à une répartition erronée des dépens afférents à la procédure en première instance. M. Jenkinson considère, en particulier, que, à tout le moins, l’absence de transparence quant aux motifs ayant fondé le recours à des CDD successifs aurait dû justifier qu’il ne supporte pas les dépens afférents à la procédure en première instance.
293 Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo concluent au rejet de ce moyen.
Appréciation de la Cour
294 Il est de jurisprudence constante que, dans l’hypothèse où tous les autres moyens d’un pourvoi ont été rejetés, les conclusions relatives à la prétendue irrégularité de la décision du Tribunal sur les dépens doivent être rejetées comme étant irrecevables, en application de l’article 58, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, aux termes duquel un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens (arrêt du 17 décembre 2020, BP/FRA, C‑601/19 P,
EU:C:2020:1048, point 101 et jurisprudence citée).
295 M. Jenkinson ayant succombé en l’ensemble de ses moyens invoqués à l’appui du pourvoi, le présent moyen, relatif à la répartition des dépens, doit, dès lors, être déclaré irrecevable.
296 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, aucun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi n’ayant été accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son intégralité.
297 Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire d’examiner les objections du Conseil, de la Commission et du SEAE relatives à la recevabilité du recours en première instance, évoquées au point 30 du présent arrêt.
Sur les dépens
298 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 84, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil, la Commission, le SEAE et Eulex Kosovo ayant conclu à la condamnation de M. Jenkinson aux dépens et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents au présent pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) M. Liam Jenkinson supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et Eulex Kosovo dans le cadre de ce pourvoi.
Arabadjiev
Bay Larsen
von Danwitz
Kumin
Ziemele
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2024.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de chambre
A. Arabadjiev
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( *1 ) Langue de procédure : le français.