ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
25Â janvier 2024Â ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Article 101 TFUE – Fixation par une organisation professionnelle d’avocats des montants minimaux d’honoraires – Décision d’association d’entreprises – Interdiction pour une juridiction d’ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ces montants minimaux – Restriction de concurrence – Justifications – Objectifs légitimes – Qualité des services fournis par les avocats – Mise en œuvre de l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro
Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890) – Invocabilité de la jurisprudence Wouters en présence d’une restriction de concurrence par objet »
Dans l’affaire C‑438/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décision du 4 juillet 2022, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure
Em akaunt BG ЕООD
contre
Zastrahovatelno aktsionerno druzhestvo Armeets AD,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur), J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2023,
considérant les observations présentées :
– pour Em akaunt BG ЕООD, par Mes I. Stoeva, V. Todorova et M. Yordanova, advokati,
– pour Zastrahovatelno aktsionerno druzhestvo Armeets AD, par M. B. Dachev,
– pour le gouvernement bulgare, par Mmes T. Mitova et S. Ruseva, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. T. Baumé et Mme E. Rousseva, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Em akaunt BG EOOD à Zastrahovatelno aktsionerno druzhestvo Armeets AD au sujet d’une demande en indemnisation au titre de l’assurance des biens à la suite du vol d’un véhicule ainsi que d’une indemnité de retard.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 2 du règlement no 1/2003, intitulé « Charge de la preuve », prévoit :
« Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles [101 et 102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. »
Le droit bulgare
Le GPK
4 L’article 78 du Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile, ci‑après le « GPK »), intitulé « Taxation des dépens », dispose :
« 1.   Les redevances payées par le demandeur, les dépens et les honoraires d’avocat, si un avocat a été engagé, sont supportés par le défendeur de manière proportionnelle à la partie de la demande qui a été accueillie.
[...]
5.   Lorsque les honoraires d’avocat payés par la partie sont excessifs par rapport à la complexité juridique et factuelle réelle de l’affaire, le tribunal peut, à la demande de la partie adverse, ordonner le remboursement d’un montant plus faible à titre de frais pour ce qui concerne cette partie des frais, mais qui ne peut pas être inférieur au montant minimal fixé conformément à l’article 36 [du Zakon za advokaturata (loi relative à la profession d’avocat)].
[...] »
5 L’article 162 du GPK énonce que « [l]orsque la demande est fondée mais que les données quant à son montant sont insuffisantes, la juridiction détermine ce montant à sa discrétion ou prend l’avis d’un expert ».
6 Aux termes de l’article 248 du GPK :
« 1.   Dans le délai imparti pour former un recours et, si la décision est insusceptible de recours, dans un délai d’un mois à compter du prononcé de cette décision, la juridiction peut, à la demande des parties, compléter ou modifier la décision rendue, dans la partie relative aux dépens.
2.   La juridiction notifie à la partie adverse la demande tendant à ce que le jugement soit complété ou modifié en lui demandant d’y répondre dans un délai d’une semaine.
3.   L’ordonnance de taxation des dépens est rendue en chambre du conseil et notifiée aux parties. Elle est susceptible de recours selon les mêmes modalités de recours que la décision. »
Le ZAdv
7 L’article 36, paragraphes 1 et 2, du Zakon za advokaturata (loi relative à la profession d’avocat) (DV no 55, du 25 juin 2004 ; dernière modification publiée au DV no 17, du 26 février 2021), dans sa version applicable à l’époque des faits au principal (ci-après le « ZAdv »), est ainsi libellé :
« 1.   L’avocat ou l’avocat d’un État membre de l’Union européenne a droit à une rémunération pour son travail.
2.   Le montant de la rémunération est déterminé par une convention conclue entre l’avocat ou l’avocat d’un État membre de l’Union et le client. Ce montant doit être équitable et justifié et ne peut pas être inférieur au montant prévu par le règlement adopté par le Visshia advokatski savet [(Conseil supérieur du barreau, Bulgarie)] pour le type de prestation concerné. »
8 L’article 38 du ZAdv dispose :
« 1.   Un avocat ou un avocat d’un État membre de l’Union européenne peut fournir gratuitement une aide judiciaire et une assistance à  : [...]
2.   Dans les cas visés au paragraphe 1, si, dans la procédure en cause, la partie adverse est condamnée aux dépens, l’avocat ou l’avocat d’un État membre de l’Union européenne a droit à des honoraires d’avocat. La juridiction fixe les honoraires à un montant qui ne peut pas être inférieur à celui prévu par le règlement visé à l’article 36, paragraphe 2, et condamne l’autre partie à les payer. »
Le règlement no 1 relatif aux montants minimaux des honoraires des avocats
9 L’article 1er de la Naredba no 1 za minimalnite razmeri na advokatskite vaznagrazhdenia (règlement no 1 relatif aux montants minimaux des honoraires des avocats), du 9 juillet 2004 (DV no 64, du 23 juillet 2004), dans sa rédaction applicable aux faits au principal (ci-après le « règlement no 1 relatif aux montants minimaux des honoraires des avocats »), prévoit :
« Le montant de la rémunération pour une aide juridique par un avocat est librement convenu sur le fondement d’une convention écrite avec le client, mais il ne peut pas être inférieur au montant minimal fixé par le présent règlement pour le type d’aide concerné. »
10 L’article 2, paragraphe 5, de ce règlement dispose que, pour la représentation en justice, la défense et l’assistance dans les procédures civiles, les honoraires sont déterminés en fonction de la nature et du nombre de demandes introduites, pour chacune d’elles séparément, quelle que soit la forme sous laquelle les demandes sont jointes.
11 L’article 7, paragraphe 2, dudit règlement fixe certains montants d’honoraires pour la représentation, la défense et l’assistance en justice en fonction notamment de la valeur de l’intérêt défendu.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Em akaunt BG a saisi le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie) d’une demande en indemnisation à charge de Zastrahovatelno aktsionerno druzhestvo Armeets, son assureur, d’un montant de 16112,32 leva bulgares (BGN) (environ 8241 euros) au titre de l’assurance des biens faisant suite au vol d’un véhicule, majorée d’une indemnité de retard au taux d’intérêt légal, à hauteur d’un montant de 1978,24 BGN (environ 1012 euros).
13 Étaient inclus dans cette demande en indemnisation les honoraires de l’avocat de la requérante au principal, calculés conformément à une convention préalablement conclue entre la requérante au principal et son avocat. Le montant de ces honoraires s’élevait à  1070 BGN (environ 547 euros). La défenderesse au principal a fait valoir que les honoraires ainsi réclamés étaient excessifs et a demandé à ce qu’ils soient réduits.
14 Par jugement du 16 février 2022, la juridiction de renvoi a statué sur le litige, faisant partiellement droit à la demande indemnitaire. En ce qui concerne les dépens, elle a estimé que le montant des honoraires réclamés étaient excessifs et a ramené celui-ci à  943 BGN (environ 482 euros).
15 Dans sa motivation justifiant la réduction des honoraires d’avocat, la juridiction de renvoi s’est référée à l’article 78, paragraphe 5, du GPK, qui permet au tribunal saisi de réduire le montant des honoraires d’avocat dus si, au regard de la complexité juridique et factuelle réelle de l’affaire, il apparaît excessif. Toutefois, cette disposition ne permettrait pas au tribunal de fixer un montant inférieur au minimum prévu à l’article 36 du ZAdv.
16 Cette juridiction a également considéré qu’il découlait de l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), que la règle énoncée à l’article 78, paragraphe 5, du GPK, lu en combinaison avec l’article 36 du ZAdv, n’était pas contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, dès lors qu’elle s’avère nécessaire à la mise en œuvre d’un objectif légitime. Ladite juridiction fait valoir
que l’objectif légitime poursuivi par cette règle est de garantir la fourniture de services juridiques de qualité au public. Elle estime que l’instauration d’un montant minimal d’honoraires est susceptible de poursuivre cet objectif et d’être proportionnée dès lors que celle-ci garantit à l’avocat un revenu suffisant lui permettant de mener une existence digne, de fournir des services de qualité et de se perfectionner. La juridiction de renvoi constate que les honoraires bruts, jusqu’Ã
concurrence desquels la rémunération n’est pas excessive, au sens de la réglementation nationale relative aux honoraires minimaux, s’élèvent à  42 BGN (environ 21 euros) par heure.
17 Ladite juridiction indique, par ailleurs, qu’elle ne partage pas les conclusions auxquelles est parvenu le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), dans son ordonnance no 28, deuxième section commerciale, du 21 janvier 2022, dans l’affaire no 2347/2021, par laquelle il a été jugé, en substance, que « les honoraires minimaux fixés ne peuvent en eux-mêmes empêcher un avocat d’offrir des services de qualité médiocre », dans la mesure où il convenait également de prendre en
considération l’effet cumulé avec les règles professionnelles et éthiques applicables du barreau.
18 La décision rendue par la juridiction de renvoi sur la demande en indemnisation a fait l’objet de recours formés par les deux parties au principal. Par la suite, la requérante au principal a également introduit une demande de réexamen de la décision relative aux dépens auprès de la juridiction de renvoi au motif que les honoraires d’avocat avaient été fixés sous le seuil prévu par la réglementation nationale.
19 La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la manière dont elle doit réaliser un tel examen au regard des précisions apportées par la Cour dans l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890).
20 Dans ces conditions, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il de comprendre l’article 101, paragraphe 1, TFUE, interprété de la manière indiquée dans l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), en ce sens que les juridictions nationales peuvent non seulement à l’égard des parties au contrat, mais également à l’égard des tiers qui seraient condamnés à payer les frais de procédure écarter l’application d’une règle de droit national interdisant à la juridiction d’ordonner Ã
la partie qui succombe le remboursement d’un montant inférieur au montant minimal des honoraires d’avocat, fixé par un règlement adopté seulement par une organisation professionnelle d’avocats comme le [Conseil supérieur du barreau], lorsque ce règlement ne se limite pas à la réalisation d’objectifs légitimes ?
2) Convient-il de comprendre l’article 101, paragraphe 1, TFUE, interprété de la manière indiquée dans l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), en ce sens que les objectifs légitimes justifiant l’application d’une règle de droit national interdisant à la juridiction d’ordonner à la partie qui succombe le remboursement d’un montant inférieur au montant minimal des honoraires d’avocat, fixé par un règlement adopté par une
organisation professionnelle d’avocats telle que le [Conseil supérieur du barreau], sont présumés être définis par la loi et que la juridiction peut écarter l’application de la réglementation nationale si elle ne constate pas que ces objectifs ont été dépassés dans le cas d’espèce, ou, à l’inverse, faut-il présumer que la réglementation nationale est inapplicable à moins qu’il ne soit constaté que ces objectifs ont été atteints ?
3) Conformément à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 2 du règlement no 1/2003, quelle partie à un litige civil dans lequel la partie qui succombe est condamnée aux dépens doit établir l’existence d’un objectif légitime et la proportionnalité des moyens pour l’atteindre prévus par un règlement relatif aux montants minimaux des honoraires [d’avocat] adopté par une organisation professionnelle d’avocats, lorsqu’une réduction des honoraires d’avocat est demandée en
raison du caractère excessif de ceux-ci, la partie qui demande la condamnation aux dépens ou la partie qui a succombé et demande la réduction des honoraires ?
4) Convient-il de comprendre l’article 101, paragraphe 1, TFUE, interprété de la manière indiquée dans l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), en ce sens que, lorsqu’il délègue l’adoption de prix minimaux par voie réglementaire à une organisation professionnelle d’avocats, l’autorité de l’État, tel que l’Assemblée nationale, doit indiquer expressément les méthodes spécifiques par lesquelles la proportionnalité de la
restriction doit être déterminée, ou bien doit-il charger l’organisation professionnelle d’en débattre lors de l’adoption du règlement (par exemple, dans l’exposé des motifs ou dans d’autres documents préparatoires), ce qui aurait pour conséquence que, lorsque de telles méthodes ne sont pas prises en considération, la juridiction devrait refuser d’appliquer le règlement sans examiner les montants précis [de ces prix minimaux], alors que l’existence d’un débat motivé concernant ces méthodes
suffirait pour considérer que le règlement se limite à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes fixés ?
5) Si la réponse à la quatrième question est négative, convient-il de comprendre l’article 101, paragraphe 1, TFUE, interprété de la manière indiquée dans l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), en ce sens que les objectifs légitimes justifiant l’application d’une règle de droit national interdisant à la juridiction d’ordonner à la partie qui succombe le remboursement d’un montant inférieur au montant minimal des
honoraires d’avocat, fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats telle que le [Conseil supérieur du barreau] et la proportionnalité de ces objectifs doivent être appréciés par la juridiction en fonction de l’effet du montant précis prévu pour l’affaire, à charge pour elle de refuser d’appliquer ce montant minimal s’il dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs ou bien la juridiction doit-elle examiner le type de critères énoncés dans le règlement
pour déterminer le montant et l’expression de ces critères sur le plan des principes et, si elle constate que, dans certains cas, ces montants peuvent dépasser ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs, refuser d’appliquer la règle de droit en question dans tous les cas ?
6) Si l’objectif légitime des honoraires minimaux est d’assurer la fourniture de services juridiques de qualité, l’article 101, paragraphe 1, TFUE permet-il de déterminer les honoraires minimaux uniquement sur la base du type d’affaire (l’objet du recours), de la valeur de l’intérêt défendu et, en partie, du nombre d’audiences tenues, sans tenir compte d’autres critères tels que la complexité factuelle, les dispositions nationales et internationales applicables, etc. ?
7) Si la réponse à la cinquième question est que la juridiction nationale doit déterminer au cas par cas si les objectifs légitimes d’assurer une protection juridique effective peuvent justifier l’application de la réglementation relative aux montants minimaux des honoraires [d’avocat], quels critères la juridiction doit-elle appliquer pour évaluer la proportionnalité du montant minimal des honoraires [d’avocat] dans le cas d’espèce si elle considère que le montant minimal est prévu pour assurer
une protection juridictionnelle effective à l’échelle nationale ?
8) Convient-il d’interpréter l’article 101, paragraphe 1, TFUE, combiné à l’article 47 de la Charte [...], en ce sens que, lors de l’appréciation de la septième question, il convient de prendre en considération les règles approuvées par le pouvoir exécutif concernant les honoraires que doit verser l’État aux avocats commis d’office qui, en vertu d’un renvoi figurant dans la loi, représentent le maximum récupérable par les parties ayant obtenu gain de cause et défendues par un conseiller
juridique ?
9) Convient-il d’interpréter l’article 101, paragraphe 1, TFUE, combiné à l’article 47 de la Charte [...], en ce sens que, lors de l’appréciation de la septième question, la juridiction nationale est tenue d’indiquer un niveau d’honoraires suffisant pour atteindre l’objectif d’une protection juridique de qualité, qu’elle doit comparer avec le niveau d’honoraires découlant de la réglementation et de motiver le niveau qu’elle estime approprié ?
10) Convient-il d’interpréter l’article 101, paragraphe 2, TFUE, combiné aux principes d’efficacité des procédures internes et d’interdiction de l’abus de droit, en ce sens que, si une juridiction nationale constate qu’une décision d’une association d’entreprises enfreint les interdictions de restreindre la concurrence en fixant des tarifs minimaux pour ses membres sans qu’il existe de motifs raisonnables pour autoriser une telle ingérence, elle est tenue d’utiliser les tarifs minimaux adoptés
par cette décision, car ceux‑ci reflètent les prix réels du marché pour les services que concerne la décision, puisque toutes les personnes qui fournissent ce service sont tenues d’être membres de l’association ? »
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
21 Par ses questions, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si et dans quelle mesure les juridictions nationales, lorsqu’elles sont amenées à définir le montant des dépens récupérables au titre des honoraires d’avocat, sont liées par un barème fixant des montants minimaux d’honoraires adopté par une organisation professionnelle d’avocats dont ces derniers sont obligatoirement membres en vertu de la loi.
22 Cette juridiction entend, en substance, obtenir des précisions quant à la portée et à la nature du contrôle qu’elle est appelée à effectuer, dans l’affaire au principal, sur la validité d’un tel barème au regard de l’interdiction des ententes prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, telle qu’interprétée, notamment, dans l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890).
23 Par cet arrêt, rendu à la suite de deux demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 101 TFUE, introduites par la juridiction de renvoi elle-même, la Cour a, premièrement, dit pour droit qu’une réglementation nationale, telle que la réglementation bulgare relative aux honoraires des avocats qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur
au montant minimal fixé par un règlement adopté par l’association d’entreprises que constituait une organisation professionnelle d’avocats et, d’autre part, n’autorise pas les juridictions nationales saisies d’ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ces montants minimaux était susceptible de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International,
C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890, points 49 et 52).
24 Deuxièmement, après s’être référée à la jurisprudence ayant trait à la possibilité de considérer certains comportements dont les effets restrictifs de la concurrence sont inhérents à la poursuite d’objectifs légitimes comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, telle qu’elle a notamment été consacrée par l’arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98) (ci-après la « jurisprudence Wouters »), la Cour a estimé qu’elle n’était pas en mesure, au regard du dossier
dont elle disposait, d’apprécier si ladite réglementation nationale pouvait être considérée comme étant nécessaire à la mise en œuvre d’un objectif légitime. Ainsi, elle a jugé qu’il incombait à la juridiction de renvoi d’apprécier, au regard du contexte global dans lequel le règlement adopté par le Conseil supérieur du barreau avait été pris ou déployait ses effets, si, à la lumière de l’ensemble des éléments pertinents dont elle disposait, les règles imposant les restrictions en cause au
principal pouvaient être regardées comme étant nécessaires à la mise en œuvre de cet objectif (arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International, C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890, points 53 à  57).
25 C’est ce deuxième pan de l’appréciation de la Cour qui est au cœur des interrogations de la juridiction de renvoi. Cette dernière considère, en effet, que la Cour laisse au juge national le soin de décider s’il est possible d’avoir des seuils de prix minimaux pour des services fixés par un organe d’une association d’entreprises fournissant ces services et ayant un intérêt anticoncurrentiel, à savoir de formuler des exceptions à l’interdiction de principe de l’article 101 TFUE. Elle relève que la
jurisprudence et les dispositions nationales suscitent de nombreux doutes quant à la manière d’appliquer le règlement no 1 relatif aux montants minimaux des honoraires des avocats et de déterminer si les honoraires dont le remboursement incombe à la partie perdante sont déraisonnables.
26 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le rôle de cette dernière est limité à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union sur lesquelles elle est interrogée, en l’occurrence sur l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi d’apprécier en définitive si, compte tenu
de l’ensemble des éléments pertinents qui caractérisent la situation au principal ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s’insère, l’accord en cause a pour objet de restreindre la concurrence (arrêts du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C‑211/22, EU:C:2023:529, point 28).
27 Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, sur la base des éléments du dossier dont elle dispose, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son interprétation afin que cette dernière puisse trancher le litige (arrêts du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C‑211/22, EU:C:2023:529, point 29).
28 En l’occurrence, il apparaît nécessaire d’apporter des précisions quant à la portée de la référence faite par la Cour, aux points 53 à  55 de l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), à la jurisprudence Wouters.
29 Un telle référence pouvait en effet laisser supposer que, même un comportement d’entreprise porteur d’une restriction de concurrence « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, telle que la fixation horizontale de tarifs minimaux imposés, peut échapper à l’interdiction édictée à cette disposition, éventuellement lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, lorsque les effets restrictifs de la concurrence qui en découlent sont inhérents à la poursuite d’objectifs
légitimes.
30 Or, certes, il ressort d’une jurisprudence constante que tout accord entre entreprises ou toute décision d’association d’entreprises qui limite la liberté d’action des entreprises parties à cet accord ou soumises au respect de cette décision ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, l’examen du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivent certains de ces accords et certaines de ces décisions peut conduire Ã
constater, premièrement, que ceux-ci se justifient par la poursuite d’un ou de plusieurs objectifs légitimes d’intérêt général dénués, en soi, de caractère anticoncurrentiel, deuxièmement, que les moyens concrets auxquels il est recouru pour poursuivre ces objectifs sont véritablement nécessaires à cette fin et, troisièmement, que, même s’il s’avère que ces moyens ont pour effet inhérent de restreindre ou de fausser, à tout le moins potentiellement, la concurrence, cet effet inhérent ne va pas
au-delà de ce qui est nécessaire, en particulier en éliminant toute concurrence (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 183).
31 Cette jurisprudence peut trouver à s’appliquer, en particulier, en présence d’accords ou de décisions prenant la forme de règles adoptées par une association telle qu’une association professionnelle ou une association sportive, en vue de poursuivre certains objectifs d’ordre éthique ou déontologique et, plus largement, d’encadrer l’exercice d’une activité professionnelle, si l’association concernée démontre que les conditions qui viennent d’être rappelées sont remplies (voir, en ce sens, arrêts
du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, EU:C:2002:98, point 97 ; du 18 juillet 2006, Meca‑Medina et Majcen/Commission, C‑519/04 P, EU:C:2006:492, points 42 à  48, ainsi que du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C‑1/12, EU:C:2013:127, points 93, 96 et 97).
32 En revanche, ladite jurisprudence ne saurait trouver à s’appliquer en présence de comportements qui, loin de se borner à avoir pour « effet » inhérent de restreindre, à tout le moins potentiellement, la concurrence en limitant la liberté d’action de certaines entreprises, présentent, à l’égard de cette concurrence, un degré de nocivité justifiant de considérer qu’ils ont pour « objet » même de l’empêcher, de la restreindre ou de la fausser. Ainsi, c’est uniquement s’il s’avère, au terme de
l’examen du comportement qui est en cause dans un cas d’espèce donné, que ce comportement n’a pas pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, qu’il y a lieu de déterminer, ensuite, si celui-ci peut relever de cette jurisprudence (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 186 et jurisprudence citée).
33 S’agissant des comportements ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, c’est donc uniquement en application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et pour autant que l’ensemble des conditions prévues à cette disposition soient respectées qu’ils peuvent se voir octroyer le bénéfice d’une exemption de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Dans une situation où le comportement qui enfreint cette dernière disposition est anticoncurrentiel par objet,
à savoir qu’il présente un degré suffisant de nocivité pour la concurrence, et où il est, par ailleurs, de nature à affecter différentes catégories d’utilisateurs ou de consommateurs, il convient notamment, aux fins d’un tel bénéfice, de déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure ce comportement a, nonobstant sa nocivité, une incidence favorable sur chacune de celles-ci (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 187 et 194 ainsi que
jurisprudence citée).
34 Il découle de l’ensemble de ces considérations que si la Cour s’est également référée, aux points 51 et 53 de l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), à la jurisprudence Wouters en présence d’une réglementation nationale prescrivant un accord horizontal sur les prix, elle ne l’a fait que pour guider la juridiction de renvoi dans l’hypothèse où celle-ci devrait conclure, au terme d’une appréciation de l’ensemble des faits de
l’espèce, que cette réglementation nationale rendait obligatoire une décision d’une association d’entreprises qui avait seulement « pour effet » de restreindre la concurrence. En effet, il ressort des points 56 et 57 de l’arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International (C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890), que la Cour avait estimé qu’elle ne disposait pas de l’ensemble des éléments relatifs au contexte global dans lequel le règlement adopté par le Conseil supérieur du
barreau a été pris ou déploie ses effets.
35 C’est à la lumière de ces précisions liminaires qu’il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.
Sur la première question
36 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où une juridiction nationale constaterait qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, rendu obligatoire par une réglementation nationale, est contraire à cette disposition, elle peut refuser d’appliquer cette réglementation nationale à l’égard de la partie condamnée à payer les dépens correspondant aux
honoraires d’avocat, y compris lorsque cette partie n’a souscrit aucun contrat de services d’avocat et d’honoraires d’avocat.
37 En vertu d’une jurisprudence constante, le principe de primauté du droit de l’Union impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences de droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou
pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou de cette pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 53 ainsi que jurisprudence citée].
38 En outre, il y a lieu de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 32 et jurisprudence citée).
39 Aussi, dans la mesure où une juridiction nationale devait constater que les restrictions de la concurrence résultant du règlement relatif aux montants minimaux des honoraires des avocats ne peuvent être considérées comme étant inhérentes à la poursuite d’objectifs légitimes, la réglementation nationale le rendant obligatoire serait incompatible avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE.
40 Dans une telle hypothèse, cette juridiction aura l’obligation d’écarter la règle nationale litigieuse. En effet, si l’article 101 TFUE concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, il n’en demeure pas moins que cet article, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui instaure un devoir de coopération entre l’Union et les États membres, impose à ces derniers de ne pas prendre ou de ne pas
maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (arrêt du 21 septembre 2016, Établissements Fr. Colruyt, C‑221/15, EU:C:2016:704, point 43 et jurisprudence citée).
41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où une juridiction nationale constaterait qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, rendu obligatoire par une réglementation nationale, est contraire audit article 101, paragraphe 1, elle est tenue de refuser
d’appliquer cette réglementation nationale à l’égard de la partie condamnée à payer les dépens correspondant aux honoraires d’avocat, y compris lorsque cette partie n’a souscrit aucun contrat de services d’avocat et d’honoraires d’avocat.
Sur les deuxième à neuvième questions
42 Par ses deuxième à neuvième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi souhaite obtenir des précisions en ce qui concerne, en premier lieu, les « objectifs légitimes » auxquels une réglementation nationale qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Conseil supérieur du barreau, et, d’autre
part, n’autorise pas le tribunal à ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal devrait répondre pour être conforme à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, en second lieu, le contrôle que cette juridiction est appelée à effectuer dans ce contexte.
43 Ladite juridiction indique qu’il ne fait aucun doute que, nonobstant l’absence de référence à l’objectif poursuivi par le législateur bulgare cet objectif consiste à assurer la qualité des services fournis par les avocats. Elle se demande, toutefois, comment et sur la base de quels paramètres doivent être évalués le caractère légitime dudit objectif ainsi que l’adéquation et la proportionnalité de la mesure en cause, à savoir le barème fixant des montants minimaux d’honoraires, par rapport au
même objectif.
44 Sur ce point, il importe de rappeler qu’il a d’ores et déjà été jugé que le Conseil supérieur du barreau, dont les membres sont tous des avocats élus par leurs pairs, agit, en l’absence de tout contrôle des autorités publiques et de dispositions susceptibles de garantir que celui-ci se comporte comme un démembrement de la puissance publique, comme une association d’entreprises, au sens de l’article 101 TFUE, lorsqu’il adopte les règlements fixant les montants minimaux de la rémunération de
l’avocat (arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International, C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890, points 47 à  49).
45 Pour autant que les deuxième à neuvième questions portent sur les conditions d’application de la jurisprudence Wouters, il convient, dès lors, de vérifier, au préalable, à la lumière des considérations énoncées aux points 30 à  33 du présent arrêt, si cette jurisprudence doit trouver à s’appliquer à une décision d’une association d’entreprises fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, telle que celle en cause au principal.
46 À cette fin, il y a lieu de déterminer si une telle décision se borne à avoir pour « effet » inhérent de restreindre, à tout le moins potentiellement, la concurrence en limitant la liberté d’action de certaines entreprises, ou si celle-ci présente, à l’égard de cette concurrence, un degré de nocivité justifiant de considérer qu’elle a pour « objet » même d’empêcher, de restreindre ou de fausser ladite concurrence.
47 À cet égard, il importe de rappeler que, pour relever de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un accord doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le marché intérieur. Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38), le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord. Ainsi,
lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence (arrêt du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C‑211/22, EU:C:2023:529, point 31 et jurisprudence citée).
48 Il est bien établi que le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord, qu’il soit horizontal ou vertical, comporte une « restriction de concurrence par objet » réside dans la constatation qu’un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 57, et du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 59 ainsi que jurisprudence
citée).
49 Afin d’apprécier si ce critère est rempli, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation de ce contexte, il y a également lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (arrêts du 11 septembre
2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53, et du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 107 ainsi que jurisprudence citée).
50 S’agissant d’une décision d’une association d’entreprises fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la fixation de montants minimaux de la rémunération de l’avocat, rendus obligatoires par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, équivaut à la fixation horizontale de tarifs minimaux imposés proscrite à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International, C‑427/16
et C‑428/16, EU:C:2017:890, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
51 Or, il est notoire que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré comme étant inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de
tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
52 Lesdits comportements doivent ainsi être qualifiés de « restrictions par objet » en ce qu’ils révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, quel que soit le niveau auquel le prix minimal est fixé.
53 Dès lors, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 32 du présent arrêt, de telles restrictions ne peuvent en aucun cas être justifiées par la poursuite d’« objectifs légitimes » tels que ceux prétendument poursuivis par la réglementation relative aux montants minimaux des honoraires d’avocat, visée dans l’affaire au principal.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième à neuvième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Conseil
supérieur du barreau, et, d’autre part, n’autorise pas le tribunal à ordonner le remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal doit être considérée comme constituant une restriction de la concurrence « par objet », au sens de cette disposition. En présence d’une telle restriction, ne sauraient être invoqués, afin de soustraire le comportement en cause à l’interdiction des accords et des pratiques restrictifs de la concurrence, énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE,
les objectifs légitimes prétendument poursuivis par ladite réglementation nationale.
Sur la dixième question
55 Par sa dixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 2, TFUE doit être interprété en ce sens que, dans le cas où une juridiction nationale constate qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, rendu obligatoire par une réglementation nationale, méconnaît l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, elle est, toutefois, tenue d’utiliser les montants minimaux prévus par ce règlement, dans la mesure où ces
montants reflètent les prix réels du marché des services d’avocat.
56 À cet égard, et ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, si une juridiction nationale constate qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats viole l’article 101, paragraphe 1, TFUE, elle est tenue de refuser d’appliquer la réglementation nationale qui rend ce règlement obligatoire.
57 En outre, il y a lieu de rappeler que l’article 101 TFUE étant une disposition fondamentale indispensable pour l’accomplissement des missions conférées à l’Union et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur, les auteurs du traité ont expressément prévu à l’article 101, paragraphe 2, TFUE que les accords et les décisions interdits en vertu de cet article sont nuls de plein droit (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, EU:C:1999:269, point 36, ainsi que du
20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, EU:C:2001:465, points 20 et 21).
58 Cette nullité, qui peut être invoquée par tous, s’impose au juge dès que les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE sont réunies et que l’accord concerné ne peut justifier l’octroi d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. La nullité visée à l’article 101, paragraphe 2, TFUE ayant un caractère absolu, un accord nul en vertu de cette disposition n’a pas d’effet dans les rapports entre les contractants et n’est pas opposable aux tiers. En outre, elle est
susceptible d’affecter tous les effets, passés ou futurs, de l’accord ou de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, EU:C:2001:465, point 22 ainsi que jurisprudence citée).
59 En l’occurrence, la juridiction de renvoi se demande si elle ne devrait pas, en tout état de cause, être tenue d’appliquer les montants prévus par le règlement no 1 relatif aux montants minimaux des honoraires des avocats, à savoir même dans le cas où ce règlement devrait être déclaré nul, au sens de l’article 101, paragraphe 2, TFUE. Elle justifie cette demande par le fait que les montants prévus par ledit règlement reflètent les prix de marché réels des services d’avocat, puisque tous les
avocats sont tenus d’être membres de l’association ayant adopté le même règlement.
60 Or, il importe de souligner que le prix pour un service qui est fixé dans un accord ou une décision adoptés par tous les acteurs du marché ne peut être considéré comme constituant un prix réel de marché. Au contraire, la concertation sur les prix des services par tous les acteurs du marché, qui constitue une distorsion grave de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, fait précisément obstacle à l’application de prix réels de marché.
61 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la dixième question que l’article 101, paragraphe 2, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens que, dans le cas où une juridiction nationale constate qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, rendu obligatoire par une réglementation nationale, méconnaît l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, elle est tenue de
refuser d’appliquer cette réglementation nationale, y compris lorsque les montants minimaux prévus par ce règlement reflètent les prix réels du marché des services d’avocat.
Sur les dépens
62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
 Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
 1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où une juridiction nationale constaterait qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, rendu obligatoire par une réglementation nationale, est contraire audit article 101, paragraphe 1, elle est tenue de refuser d’appliquer cette réglementation nationale à l’égard de la partie condamnée à payer les dépens correspondant aux
honoraires d’avocat, y compris lorsque cette partie n’a souscrit aucun contrat de services d’avocat et d’honoraires d’avocat.
 2) L’article 101, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui, d’une part, ne permet pas à l’avocat et à son client de convenir d’une rémunération d’un montant inférieur au montant minimal fixé par un règlement adopté par une organisation professionnelle d’avocats, telle que le Visshia advokatski savet (Conseil supérieur du barreau), et, d’autre part, n’autorise pas le tribunal à ordonner le
remboursement d’un montant d’honoraires inférieur à ce montant minimal doit être considérée comme constituant une restriction de la concurrence « par objet », au sens de cette disposition. En présence d’une telle restriction, ne sauraient être invoqués, afin de soustraire le comportement en cause à l’interdiction des accords et des pratiques restrictifs de la concurrence, énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, les objectifs légitimes prétendument poursuivis par ladite réglementation
nationale.
 3) L’article 101, paragraphe 2, TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens que, dans le cas où une juridiction nationale constate qu’un règlement fixant les montants minimaux des honoraires des avocats, rendu obligatoire par une réglementation nationale, méconnaît l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, elle est tenue de refuser d’appliquer cette réglementation nationale, y compris lorsque les montants minimaux prévus par ce
règlement reflètent les prix réels du marché des services d’avocat.
 Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.