ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
14Â mars 2024Â ( *1 )
« Manquement d’État – Article 258 TFUE – Directive (UE) 2018/1972 – Code des communications électroniques européen – Absence de transposition et de communication des mesures de transposition – Article 260, paragraphe 3, TFUE – Demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire et d’une astreinte – Critères pour établir le montant de la sanction »
Dans l’affaire C‑439/22,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE et de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, introduit le 5 juillet 2022,
Commission européenne, représentée par Mme U. Małecka, MM. L. Malferrari, E. Manhaeve et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Irlande, représentée par Mme M. Browne, M. A. Joyce, Mme M. Lane et M. D. O’Reilly, en qualité d’agents, assistés de M. S. Brittain, BL,
partie défenderesse,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot, faisant fonction de président de chambre, M. S. Rodin et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :
– de constater que, en ayant omis d’adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, établissant le code des communications électroniques européen (JO 2018, L 321, p. 36), ou, en tout état de cause, en ayant omis de communiquer ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 124, paragraphe 1, de
cette directive ;
– de condamner l’Irlande à payer à la Commission une somme forfaitaire basée sur un montant de 5544,9 euros par jour et s’élevant au moins à  1376000 euros ;
– si le manquement décrit au premier tiret se poursuit jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, de condamner l’Irlande à payer à la Commission une astreinte de 24942,9 euros par jour, depuis cette date jusqu’à la date d’exécution, par cet État membre, des obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2018/1972, et
– de condamner l’Irlande aux dépens.
Le cadre juridique
2 Les considérants 2 et 3 de la directive 2018/1972 énoncent :
« (2) Le fonctionnement des cinq directives qui font partie du cadre réglementaire actuellement applicable aux réseaux et aux services de communications électroniques [...] fait l’objet d’un réexamen périodique par la Commission, en vue de déterminer, en particulier, s’il est nécessaire d’apporter des modifications en fonction de l’évolution des technologies et du marché.
(3) Dans sa communication du 6 mai 2015 exposant une stratégie pour un marché unique numérique, la Commission a indiqué que son réexamen du cadre des télécommunications aurait comme grands axes des mesures visant à inciter à investir dans les réseaux à haut débit ultrarapides, à susciter une approche plus cohérente à l’échelle du marché intérieur en ce qui concerne la politique et la gestion du spectre radioélectrique, à mettre en place un environnement propice à un véritable marché intérieur par
la défragmentation de la régulation, à garantir une protection efficace des consommateurs, à établir des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs du marché et l’application cohérente des règles, ainsi qu’à instaurer un cadre institutionnel et réglementaire plus efficace. »
3 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet, champ d’application et finalités », prévoit :
« 1.   La présente directive crée un cadre harmonisé pour la réglementation des réseaux de communications électroniques, des services de communications électroniques et des ressources et services associés, et de certains aspects des équipements terminaux. Elle fixe les tâches incombant aux autorités de régulation nationales et, s’il y a lieu, aux autres autorités compétentes et établit une série de procédures visant à garantir l’application harmonisée du cadre réglementaire dans l’ensemble de
l’Union [européenne].
2.   La présente directive vise à  :
a) mettre en œuvre un marché intérieur des réseaux et des services de communications électroniques qui aboutisse au déploiement et à la pénétration de réseaux à très haute capacité, à l’instauration d’une concurrence durable, à l’interopérabilité des services de communications électroniques, à l’accessibilité, à la sécurité des réseaux et services, tout en procurant des avantages aux utilisateurs finaux ; et
b) assurer la fourniture dans toute l’Union de services accessibles au public de bonne qualité et abordables grâce à une concurrence et à un choix effectifs, traiter les cas où les besoins des utilisateurs finaux ne sont pas correctement satisfaits par le marché, notamment les besoins des personnes handicapées afin qu’elles puissent avoir accès aux services sur un pied d’égalité avec les autres utilisateurs, et définir les droits qu’il est nécessaire de conférer aux utilisateurs finaux.
[...] »
4 L’article 124 de ladite directive, intitulé « Transposition », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres adoptent et publient, au plus tard le 21 décembre 2020, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.
Les États membres appliquent ces dispositions à partir du 21 décembre 2020.
Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Elles contiennent également une mention précisant que les références faites, dans les dispositions législatives, réglementaires et administratives en vigueur, aux directives abrogées par la présente directive s’entendent comme faites à la présente directive. Les modalités de cette référence et la formulation
de cette mention sont arrêtées par les États membres. »
La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour
5 N’ayant reçu de l’Irlande aucune communication des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires adoptées par cet État membre pour se conformer à la directive 2018/1972, conformément à l’article 124 de celle-ci, la Commission a, le 3 février 2021, envoyé audit État membre une lettre de mise en demeure et l’a invité à présenter ses observations.
6 Le 7 avril 2021, les autorités irlandaises ont répondu à cette lettre en expliquant que la procédure visant à transposer la directive 2018/1972 dans le droit irlandais avaient été entamée et que des mesures de transposition étaient en cours d’élaboration.
7 En l’absence d’indications des autorités irlandaises sur un calendrier ou sur une date de transposition de cette directive, la Commission a, le 23 septembre 2021, adressé un avis motivé à l’Irlande demandant à cette dernière de se conformer à celui-ci avant le 23 novembre 2021.
8 Par une lettre du 22 novembre 2021, complétée par une lettre du 26 novembre 2021, les autorités irlandaises ont demandé une prorogation du délai fixé dans l’avis motivé. La Commission a fixé un nouveau délai au 23 février 2022.
9 Le 22 février 2022, les autorités irlandaises ont répondu à l’avis motivé en invoquant le caractère imprévisible du calendrier législatif irlandais pour justifier l’impossibilité de prévoir avec certitude une date de transposition de la directive 2018/1972. Elles ont néanmoins précisé qu’elles comptaient transmettre à l’Oireachtas (Parlement irlandais) une partie des mesures de transposition au mois d’avril 2022.
10 Considérant que l’Irlande n’avait pas adopté les dispositions nécessaires pour se conformer à cette directive, la Commission a, le 6 avril 2022, décidé de saisir la Cour du présent recours.
11 Le 5 juillet 2022, la Commission a introduit le présent recours.
12 Dans son mémoire en défense du 16 septembre 2022, l’Irlande a demandé à la Cour de subordonner la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire à la condition que l’Irlande n’ait pas transposé la directive 2018/1972 dans un délai de trois mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire.
13 Dans sa duplique du 2 décembre 2022, l’Irlande a rectifié ses conclusions en demandant à la Cour, dans l’hypothèse où celle-ci considérerait que, à la date de l’audience dans la présente affaire, cet État membre avait entièrement transposé la directive 2018/1972 :
– de constater qu’il n’y a plus lieu de se prononcer sur la demande de condamnation de l’Irlande au paiement d’une astreinte et
– de constater qu’il n’y a pas lieu non plus de se prononcer sur la demande de condamnation de l’Irlande au paiement d’une somme forfaitaire, au motif qu’il aurait été juridiquement impossible pour l’Irlande de transposer cette directive dans le respect de sa Constitution avant l’arrêt de la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) du 6 avril 2021 dans l’affaire Zalewski v Adjudication Officer (ci-après l’« arrêt Zalewski ») ou, à titre subsidiaire, que les difficultés rencontrées dans la
transposition de ladite directive n’étaient pas imputables à l’Irlande et que la Cour devrait en tenir compte lors du calcul du montant de toute somme forfaitaire susceptible d’être imposée.
14 Le 2 décembre 2022, la procédure écrite dans la présente affaire a été clôturée.
15 Par un acte du 5 juillet 2023, l’Irlande a informé la Cour que, le 16 juin 2023, elle avait communiqué à la Commission les mesures au moyen desquelles elle considère avoir transposé l’intégralité de la directive 2018/1972, à l’exception de l’article 110 de celle-ci, qui devrait, selon cet État membre, être transposé dans les meilleurs délais.
16 Le 3 octobre 2023, la Commission a présenté ses observations à cet égard et a adapté ses conclusions.
17 La Commission est d’avis que les mesures en question n’assurent pas encore une transposition complète de la directive 2018/1972 dans la mesure où elles ne transposent pas l’article 110 de celle-ci et que, afin que cette transposition puisse être considérée comme étant intégrale, les mesures de transposition de cet article 110 devraient lui être notifiées.
18 Cela étant, compte tenu des progrès accomplis par l’Irlande dans la transposition de cette directive, la Commission a également adapté ses conclusions relatives aux sanctions pécuniaires.
19 S’agissant de la somme forfaitaire, la Commission a réduit le coefficient de gravité et demande à la Cour d’appliquer une somme forfaitaire de 4944500 euros pour la période allant de la date suivant celle de l’expiration du délai de transposition de ladite directive, à savoir le 22 décembre 2020, au 8 juin 2023 et une somme forfaitaire sur la base d’un montant de 1100 euros par jour, s’agissant de la période allant de la date d’entrée en vigueur des mesures visées au point 15 du présent arrêt, Ã
savoir le 9 juin 2023, à celle de la fin de l’infraction ou, à défaut, à celle du prononcé de l’arrêt dans la présente affaire.
20 En ce qui concerne l’astreinte, la Commission propose désormais à la Cour d’infliger une astreinte journalière de 4950 euros jusqu’à la date à laquelle l’Irlande se conformera pleinement aux obligations prévues à l’article 124, paragraphe 1, de la directive 2018/1972.
21 Le 27 octobre 2023, l’Irlande a présenté ses observations sur l’adaptation des conclusions de la Commission. Dans ces observations, elle s’est limitée, en substance, à réitérer ses arguments en défense et, notamment, celui relatif à l’impossibilité de transposer la directive 2018/1972 avant la date du prononcé de l’arrêt Zalewski.
22 Le 29 novembre 2023, l’Irlande a informé la Cour qu’elle a, le même jour, adopté les mesures de transposition de l’article 110 de la directive 2018/1972 et que, dès lors, elle considère avoir intégralement transposé cette directive dans son droit national. Elle fait valoir que, dans ces conditions, l’imposition d’une astreinte ne se justifie plus.
23 Par une lettre du 14 décembre 2023, la Commission s’est réservée de communiquer à la Cour le résultat de son appréciation de ces mesures ainsi que des conséquences éventuelles sur ses conclusions concernant l’imposition de sanctions à cet État membre.
24 Par un acte du 2 février 2024, la Commission a informé la Cour que la transposition de la directive 2018/1972 par l’Irlande pouvait être considérée comme ayant été achevée à la date du 1er décembre 2023 et s’est partiellement désistée de son recours, en renonçant à sa demande de condamnation de cet État membre au paiement d’une astreinte, tout en adaptant ses conclusions tendant à la condamnation dudit État membre au paiement d’une somme forfaitaire et en proposant de fixer le montant de cette
dernière à  5137000 euros.
25 Le 12 février 2024, l’Irlande a présenté ses observations sur le désistement partiel de la Commission et sur l’adaptation des conclusions de cette dernière.
Sur le recours
Sur le manquement au titre de l’article 258 TFUE
Argumentation des parties
26 La Commission rappelle que, en application de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, les États membres sont tenus d’adopter les dispositions nécessaires pour assurer la transposition des directives dans leur ordre juridique national, dans les délais prescrits par ces directives, et de communiquer immédiatement ces dispositions à la Commission.
27 La Commission précise que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre concerné telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé.
28 Or, en l’occurrence, à l’expiration de ce délai, voire à la date d’introduction du présent recours, l’Irlande n’aurait pas encore adopté les dispositions nécessaires pour transposer la directive 2018/1972 dans son droit national et, en tout état de cause, ne les aurait pas communiquées à la Commission.
29 Selon la Commission, l’Irlande ne conteste pas réellement le manquement qui lui est reproché, se limitant à invoquer des circonstances d’ordre pratique et interne pour justifier celui-ci. Or, la non-transposition d’une directive dans le délai prévu par celle‑ci ne saurait être justifiée par de telles circonstances.
30 L’Irlande reconnaît ne pas avoir adopté les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive 2018/1972 avant la date de transposition prévue par cette directive.
31 Elle précise, cependant, que, d’une part, le gouvernement irlandais a approuvé un projet de loi sur la réglementation des communications (ci‑après le « projet de loi »), qui serait examiné par le Parlement irlandais au cours de l’automne de l’année 2022 et qui mettrait partiellement en œuvre ladite directive, et, d’autre part, elle a aussi présenté le statutory instrument (acte réglementaire) SI no 444 of 2022, qui a été signé et publié et qui s’appliquerait dès l’entrée en vigueur du projet de
loi. L’Irlande a indiqué que la version définitive du projet de loi et cet acte réglementaire seraient publiés le 30 septembre 2022 au plus tard et que la loi serait vraisemblablement promulguée au plus tard à la fin de l’année 2022.
32 Pour justifier le retard, l’Irlande explique que, par l’arrêt Zalewski, la Supreme Court of Ireland (Cour suprême) a jugé que la Workplace Relations Commission (commission des relations professionnelles, Irlande), organe chargé du règlement de litiges de droit du travail en Irlande, participait à l’administration de la justice conformément à l’article 37 de la Constitution irlandaise. Ce faisant, la Supreme Court (Cour suprême) aurait opéré un revirement de sa jurisprudence antérieure.
33 Ainsi, la nécessité d’adapter le projet de loi de manière à se conformer aux nouvelles exigences constitutionnelles s’appliquant aux organes chargés de l’administration de la justice, résultant de cet arrêt, aurait constitué la principale raison du retard dans la rédaction de ce projet. En effet, ledit arrêt aurait largement étendu le nombre des compétences considérées comme impliquant l’administration de la justice en vertu du droit constitutionnel irlandais, de sorte que des organes
précédemment considérés comme ayant des compétences purement administratives ou réglementaires pourraient être considérés comme participant à l’administration de la justice dans le cadre de l’exercice de certaines de leurs compétences décisionnelles réglementaires, en particulier dans celles qui impliquent de se prononcer sur les droits des justiciables dans des litiges.
34 Dans ces conditions, le retard dans la mise en œuvre, par l’Irlande, de la directive 2018/1972 serait principalement imputable aux importants efforts qui ont été fournis pour assurer une mise en œuvre de cette directive qui soit conforme aux nouvelles exigences constitutionnelles, intervenues après l’expiration du délai de transposition de ladite directive. Par ailleurs, le respect de ce délai n’aurait pas permis de tenir compte de l’arrêt Zalewski, ce qui aurait pu conduire au constat que la
manière dont l’Irlande avait mis en œuvre la même directive était illégale.
Appréciation de la Cour
35 Selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre concerné telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 15 et jurisprudence citée].
36 La Cour a, par ailleurs, itérativement jugé que, si une directive prévoit expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions nécessaires pour sa mise en œuvre contiennent une référence à cette directive ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est, en tout état de cause, nécessaire que les États membres adoptent un acte positif de transposition de la directive en cause [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive
données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 16 et jurisprudence citée].
37 En l’espèce, le délai de réponse à l’avis motivé, tel que prorogé par la Commission, a expiré le 23 février 2022. Il convient, par conséquent, d’apprécier l’existence ou non du manquement allégué au regard de l’état de la législation interne en vigueur à cette date [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal, C‑658/19, EU:C:2021:138, point 17 et jurisprudence citée].
38 À cet égard, il est constant que, à ladite date, l’Irlande n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour assurer la transposition de la directive 2018/1972 ni, partant, communiqué ces mesures à la Commission.
39 Afin de justifier son manquement, l’Irlande invoque la nécessité de tenir compte des nouvelles exigences constitutionnelles s’appliquant aux organes chargés de l’administration de la justice, résultant de l’arrêt Zalewski, qui aurait rendu très complexe le processus législatif.
40 Or, un tel argument ne saurait justifier le manquement reproché par la Commission.
41 En effet, le prétendu caractère complexe du processus législatif interne de transposition de la directive 2018/1972 ne saurait être pertinent, dès lors que, selon une jurisprudence constante, des pratiques ou des situations de l’ordre interne d’un État membre ne sauraient justifier le non-respect des obligations et des délais résultant des directives de l’Union ni, partant, la transposition tardive ou incomplète de celles-ci [arrêt du 13 janvier 2021, Commission/Slovénie (MiFID II), C‑628/18,
EU:C:2021:1, point 79 et jurisprudence citée].
42 Dès lors, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, tel que prorogé par la Commission, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2018/1972 et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 124, paragraphe 1, de cette directive.
Sur les demandes présentées au titre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE
Sur la demande de condamnation au paiement d’une astreinte
43 Ainsi qu’il a été relevé au point 24 du présent arrêt, par un acte du 2 février 2024, la Commission a reconnu que la transposition de la directive 2018/1972 par l’Irlande pouvait être considérée comme ayant été achevée à la date du 1er décembre 2023 et a, dès lors, retiré sa demande d’imposition d’une astreinte.
44 Dans ces circonstances, il n’y a plus lieu de se prononcer sur cette demande.
Sur la demande de condamnation au paiement d’une somme forfaitaire
– Argumentation des parties
45 Dans sa requête, la Commission souligne, d’une part, que la directive 2018/1972 a été adoptée selon la procédure législative ordinaire et relève donc du champ d’application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE et, d’autre part, que le manquement par l’Irlande aux obligations prévues à l’article 124 de cette directive, du fait que cet État membre ne lui a pas communiqué les dispositions de transposition de cette dernière, constitue manifestement une absence de communication des mesures de
transposition de ladite directive, au sens de l’article 260, paragraphe 3, TFUE.
46 La Commission rappelle que, au point 23 de sa communication 2011/C 12/01, intitulée « Mise en œuvre de l’article 260, paragraphe 3, TFUE » (JO 2011, C 12, p. 1) (ci-après la « communication de 2011 »), elle a précisé que les sanctions qu’elle proposera en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE seront calculées selon la même méthode que celle utilisée pour les saisines de la Cour au titre de cet article 260, paragraphe 2, telle qu’exposée aux points 14 à  18 de sa communication SEC(2005) 1658,
intitulée « Mise en œuvre de l’article [260 TFUE] » (ci-après la « communication de 2005 »).
47 Par conséquent, la détermination de la sanction devrait se fonder, en premier lieu, sur la gravité de l’infraction, en deuxième lieu, sur la durée de celle-ci et, en troisième lieu, sur la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction elle-même pour éviter les récidives.
48 S’agissant, en premier lieu, de la gravité de l’infraction, conformément au point 16 de la communication de 2005 et à la communication de 2011, la Commission fixerait le coefficient de gravité en tenant compte de deux paramètres, à savoir, d’une part, l’importance des règles de l’Union faisant l’objet de l’infraction et, d’autre part, leurs conséquences pour les intérêts généraux et particuliers en cause.
49 Ainsi, d’une part, la Commission relève que la directive 2018/1972 est le principal acte législatif dans le domaine des communications électroniques. Tout d’abord, le code des communications électroniques européen (ci-après le « CCEE ») moderniserait le cadre réglementaire de l’Union relatif aux communications électroniques en renforçant les choix et les droits des consommateurs, en garantissant des normes de services de communication plus élevées, en favorisant l’investissement dans des réseaux
à très haute capacité et en promouvant l’accès sans fil à la connectivité à très haute capacité dans l’ensemble de l’Union. Ensuite, le CCEE fixerait des règles d’organisation du secteur des communications électroniques, y compris la structure institutionnelle et la gouvernance de ce dernier. Les dispositions de celui-ci renforceraient le rôle des autorités de régulation nationales en fixant un ensemble minimal de compétences pour ces autorités ainsi qu’en renforçant leur indépendance, par
l’établissement de critères pour les nominations, et les obligations en matière de communication d’informations. En outre, le CCEE assurerait également une gestion efficace et effective du spectre radioélectrique (ci-après le « spectre »). Ces dispositions renforceraient la cohérence des pratiques des États membres en ce qui concerne les aspects essentiels des autorisations liées au spectre. Lesdites dispositions promouvraient la concurrence entre infrastructures et le déploiement de réseaux Ã
très haute capacité dans l’ensemble de l’Union. Enfin, le CCEE réglementerait différents aspects de la fourniture de services de communications électroniques, y compris les obligations de service universel, les ressources de numérotation et les droits des utilisateurs finaux. Le renforcement de ces règles viserait à accroître la sécurité et la protection des consommateurs, en particulier en ce qui concerne l’accès à ces services à un coût abordable.
50 D’autre part, la non-transposition de la directive 2018/1972 dans le droit irlandais, premièrement, nuirait aux pratiques de régulation dans l’ensemble de l’Union en ce qui concerne la gestion du système de communications électroniques, les autorisations liées au spectre et les règles d’accès au marché. En conséquence, les entreprises ne bénéficieraient ni de procédures plus cohérentes et prévisibles pour l’octroi ou le renouvellement des droits d’utilisation du spectre existant ni de la
prévisibilité de la régulation résultant de la durée minimale de 20 ans des licences d’utilisation du spectre. De telles défaillances auraient une influence directe sur la disponibilité et le déploiement de réseaux à très haute capacité au sein de l’Union. Deuxièmement, les consommateurs ne pourraient pas bénéficier d’une série d’avantages tangibles qui leur sont conférés par cette directive, tels que des solutions relatives à l’accès à la fourniture de services de communications abordables,
l’exigence de leur fournir des informations claires sur les contrats, l’obligation de pratiquer des tarifs transparents, la simplification du changement de fournisseurs de réseaux afin de promouvoir des prix de détail plus abordables et l’obligation, pour les opérateurs, d’offrir aux utilisateurs finaux handicapés un accès équivalent aux services de communications.
51 N’ayant pas identifié de facteurs aggravants ou atténuants, la Commission propose un coefficient de gravité de 10 dans la présente affaire. Un tel coefficient devrait, selon la Commission, être réduit à  2 pour la période postérieure au 9 juin 2023, date d’entrée en vigueur des mesures de transposition partielle de la directive 2018/1972 communiquées par l’Irlande.
52 En deuxième lieu, en ce qui concerne la durée du manquement, la Commission soutient que celle-ci correspond à la période allant de la date suivant celle de l’expiration du délai de transposition de la directive 2018/1972, à savoir le 22 décembre 2020, à la date d’adoption de la décision de saisir la Cour du présent recours, à savoir le 6 avril 2022. Il s’ensuivrait que le délai pertinent est de quinze mois. En appliquant le coefficient de 0,10 par mois prévu au point 17 de la communication de
2005, lu en combinaison avec la communication de 2011, le coefficient de durée serait donc de 1,5.
53 En troisième lieu, quant à la capacité de paiement de l’Irlande, la Commission a appliqué le facteur « n » prévu par sa communication 2019/C 70/01, intitulée « Modification de la méthode de calcul des sommes forfaitaires et des astreintes journalières proposées par la Commission dans le cadre des procédures d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne » (JO 2019, C 70, p. 1). Ce facteur tiendrait compte de deux éléments, à savoir le produit intérieur brut (PIB) et le poids
institutionnel de l’État membre concerné, représenté par le nombre de sièges attribués à cet État membre au Parlement européen.
54 Même si la Cour, dans son arrêt du 20 janvier 2022, Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel) (C‑51/20, EU:C:2022:36), a déjà remis en question la pertinence tant de ce second élément que du coefficient d’ajustement de 4,5 prévus par cette communication, la Commission a néanmoins décidé d’appliquer en l’occurrence les critères prévus par celle-ci, dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle communication qui tiendrait compte de cette jurisprudence récente de la Cour.
55 Ainsi, conformément à la communication 2022/C 74/02 de la Commission, intitulée « Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre des procédures d’infraction » (JO 2022, C 74, p. 2) (ci-après la « communication de 2022 »), le facteur « n » pour l’Irlande serait de 0,61. Toutefois, dans ses observations du 3 octobre 2023, la Commission a appliqué le facteur « n » de 0,55
désormais prévu pour cet État membre à l’annexe I de la communication de la Commission 2023/C 2/01, intitulée « Sanctions financières dans les procédures d’infraction » (JO 2023, C 2, p. 1, ci‑après la « communication de 2023 »).
56 Conformément à sa communication 2017/C 18/02, intitulée « Le droit de l’[Union] : une meilleure application pour de meilleurs résultats » (JO 2017, C 18, p. 10), la Commission demande à la Cour d’infliger à l’Irlande une somme forfaitaire au titre de la période comprise entre la date suivant celle de l’expiration du délai de transposition prévu par la directive 2018/1972 et celle à laquelle cet État membre s’est pleinement conformé aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive, Ã
savoir le 1er décembre 2023.
57 Il ressortirait du point 20 de la communication de 2005 que la somme forfaitaire devrait avoir au moins un socle minimal fixe, reflétant le principe que tout cas d’inexécution persistante du droit de l’Union représente en soi, indépendamment de toute circonstance aggravante, une atteinte au principe de légalité dans une communauté de droit qui appelle une sanction réelle. Conformément à la communication de 2022, la somme forfaitaire minimale pour l’Irlande serait de 1376000 euros.
58 En application de la méthode établie par les communications de 2005 et de 2011, si le résultat du calcul de la somme forfaitaire dépassait cette somme forfaitaire minimale, la Commission proposerait à la Cour de déterminer la somme forfaitaire au moyen de la multiplication d’un montant journalier par le nombre de jours durant lesquels l’infraction concernée a persisté entre la date suivant celle de l’expiration du délai de transposition prévu par la directive en question et celle à laquelle cette
infraction prend fin ou, à défaut, celle du prononcé de l’arrêt rendu en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE. Ainsi, le montant journalier de la somme forfaitaire devrait être calculé en multipliant le forfait de base uniforme applicable au calcul du montant journalier de la somme forfaitaire par le coefficient de gravité et par le facteur « n ». Or, ce forfait de base uniforme serait, conformément au point 2 de l’annexe I de la communication de 2023, de 1000 euros. En l’espèce, le
coefficient de gravité est de 10, pour les 899 premiers jours du manquement, à savoir entre le 22 décembre 2020 et le 8 juin 2023, et de 2 pour la période ayant commencé le 9 juin 2023. Le facteur « n » est de 0,55. Il en résulterait que le montant de la somme forfaitaire est de 4944500 euros pour la période comprise entre le 22 décembre 2020 et le 8 juin 2023 et de 1100 euros par jour pour la période allant du 9 juin 2023 jusqu’au jour précédant la date à laquelle l’Irlande s’est pleinement
conformée aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2018/1972, c’est-à -dire le 30 novembre 2023. Par conséquent, la Commission demande à la Cour de condamner l’Irlande au paiement d’une somme forfaitaire de 5137000 euros.
59 Dans son mémoire en défense, l’Irlande se limite à demander que, compte tenu des raisons qu’elle a alléguées au cours de la procédure précontentieuse pour justifier son retard dans la transposition de la directive 2018/1972, la Cour la condamne au paiement d’une somme forfaitaire, exigible trois mois après le prononcé de l’arrêt dans la présente affaire, dans l’hypothèse où elle s’abstiendrait de transposer cette directive avant l’écoulement de ce délai.
60 Dans sa réplique, la Commission en déduit que, d’une part, l’Irlande demande implicitement que la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire soit conditionnée et reportée.
61 Or, la Commission soutient que cette demande devrait être rejetée. En effet, l’Irlande se bornerait à expliquer les raisons de son retard de la transposition de la directive 2018/1972 en invoquant, en substance, des difficultés d’ordre constitutionnel liées à cette transposition. Cependant de telles raisons ne seraient pas suffisantes pour justifier un tel manquement, et cela d’autant plus que ce manquement aurait persisté et que cet État membre n’aurait pas fait preuve de coopération.
62 Dans sa duplique, l’Irlande précise que, contrairement aux allégations de la Commission, elle a dialogué avec cette institution tout au long de la procédure. En outre, il n’y aurait lieu d’infliger aucune somme forfaitaire. En effet, d’une part, le retard initial, à savoir celui correspondant à la période comprise entre la date fixée pour la transposition de ladite directive, à savoir le 21 décembre 2020, et celle à laquelle l’arrêt Zalewski a été rendu, à savoir le 6 avril 2021, s’inscrirait
dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et des perturbations qu’elle a causées. D’autre part, un arrêt de revirement tel que l’arrêt Zalewski serait un événement extrêmement inhabituel.
63 Ainsi, le retard pris par l’Irlande dans la transposition de la directive 2018/1972 depuis le 6 avril 2021 aurait été imputable à des circonstances qui échappaient totalement à son contrôle.
64 Dans ces conditions, la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire n’aurait aucun effet dissuasif sur l’Irlande et, par conséquent, ne devrait pas intervenir, à condition que, à la date de l’audience dans la présente affaire, la directive 2018/1972 ait été transposée.
65 À titre subsidiaire, l’Irlande devrait être condamnée au paiement d’une somme forfaitaire très modique. En effet, les raisons pour lesquelles l’Irlande n’a pas transposé la directive 2018/1972 permettraient de constater que cet État membre a éprouvé des difficultés insurmontables dont elle n’était nullement responsable.
– Appréciation de la Cour
66 Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, il est établi que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, tel que prorogé par la Commission, l’Irlande n’avait communiqué à la Commission aucune mesure de transposition de la directive 2018/1972, au sens de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, le manquement ainsi constaté relève du champ d’application de cette disposition.
67 La Commission demande l’application d’une somme forfaitaire.
68 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la finalité de la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire au titre de ladite disposition repose, notamment, sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, en particulier lorsque le manquement a persisté pendant une longue période [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal),
C‑658/19, EU:C:2021:138, point 54 et jurisprudence citée].
69 S’agissant de l’opportunité d’imposer une somme forfaitaire en l’espèce, il convient de rappeler qu’il appartient à la Cour, dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l’espèce dont elle se trouve saisie ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui paraît requis, d’arrêter les sanctions pécuniaires appropriées, notamment pour prévenir la répétition d’infractions analogues au droit de l’Union [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère
personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 69 et jurisprudence citée].
70 Dans la présente affaire, il convient de considérer que, nonobstant le fait que l’Irlande a coopéré avec les services de la Commission tout au long de la procédure précontentieuse et qu’elle a tenu ces derniers informés des raisons qui l’ont empêchée d’assurer la transposition de la directive 2018/1972 dans le droit irlandais, l’ensemble des éléments juridiques et factuels entourant le manquement constaté, à savoir l’absence totale de communication des mesures nécessaires à cette transposition Ã
l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé et même à la date de l’introduction du présent recours, constitue un indicateur de ce que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues au droit de l’Union est de nature à requérir l’adoption d’une mesure dissuasive telle que l’imposition d’une somme forfaitaire [voir, par analogie, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 70 et
jurisprudence citée].
71 Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’argumentation de l’Irlande exposée au point 62 du présent arrêt.
72 En effet, d’une part, les prétendues difficultés liées au prononcé de l’arrêt Zalewski ne sauraient être pertinentes, dès lors que, ainsi qu’il a été rappelé au point 41 du présent arrêt, des pratiques ou des situations de l’ordre interne d’un État membre ne sauraient justifier le non-respect des obligations et des délais résultant des directives de l’Union ni, partant, la transposition tardive ou incomplète de celles-ci.
73 D’autre part, s’agissant des effets de la pandémie de COVID-19, qui s’est déclarée au début de l’année 2020, il suffit de relever qu’il aurait appartenu au législateur de l’Union de proroger le délai de transposition de la directive 2018/1972 s’il avait considéré que les effets de cette pandémie, qui a affecté la totalité du territoire de l’Union, étaient tels qu’ils empêchaient les États membres de se conformer aux obligations leur incombant en vertu de cette directive.
74 Compte tenu de ce qui précède, il est opportun d’imposer une somme forfaitaire à l’Irlande.
75 En ce qui concerne le calcul du montant de cette somme forfaitaire, il convient de rappeler que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en la matière tel qu’encadré par les propositions de la Commission, il appartient à la Cour de fixer le montant de la somme forfaitaire au paiement de laquelle un État membre peut être condamné en vertu de l’article 260, paragraphe 3, TFUE de telle sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné à l’infraction commise.
Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité du manquement constaté, la période durant laquelle celui-ci a persisté ainsi que la capacité de paiement de l’État membre en cause [arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 73 et jurisprudence citée].
76 S’agissant, en premier lieu, de la gravité de l’infraction, il y a lieu de rappeler que l’obligation d’adopter les mesures nationales pour assurer la transposition complète d’une directive et l’obligation de communiquer ces mesures à la Commission constituent des obligations essentielles des États membres afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union et que le manquement à ces obligations doit, dès lors, être considéré comme étant d’une gravité certaine [arrêt du 25 février 2021,
Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, point 64 et jurisprudence citée].
77 En l’espèce, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, tel que prorogé par la Commission, à savoir le 23 février 2022, l’Irlande a manqué aux obligations de transposition qui lui incombaient en vertu de la directive 2018/1972, de telle sorte que la pleine effectivité du droit de l’Union n’a pas été assurée. La gravité de ce manquement est accrue par la circonstance que, à cette date, l’Irlande n’avait encore
communiqué aucune mesure de transposition de cette directive.
78 En outre, comme la Commission le met en exergue, la directive 2018/1972 est le principal acte législatif dans le domaine des communications électroniques.
79 En particulier, tout d’abord, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2018/1972, celle-ci « crée un cadre harmonisé pour la réglementation des réseaux de communications électroniques, des services de communications électroniques et des ressources et services associés, et de certains aspects des équipements terminaux. Elle fixe les tâches incombant aux autorités de régulation nationales et, s’il y a lieu, aux autres autorités compétentes et établit une série de procédures visant
à garantir l’application harmonisée du cadre réglementaire dans l’ensemble de l’Union ».
80 Ensuite, selon l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, celle-ci vise, d’une part, à mettre en œuvre un marché intérieur des réseaux et des services de communications électroniques qui aboutisse au déploiement et à la pénétration de réseaux à très haute capacité, à l’instauration d’une concurrence durable, à l’interopérabilité des services de communications électroniques, à l’accessibilité, à la sécurité des réseaux et services, tout en procurant des avantages aux utilisateurs finaux, et,
d’autre part, à assurer la fourniture dans toute l’Union de services accessibles au public de bonne qualité et abordables grâce à une concurrence et à un choix effectifs, traiter les cas où les besoins des utilisateurs finaux ne sont pas correctement satisfaits par le marché, notamment les besoins des personnes handicapées afin qu’elles puissent avoir accès aux services sur un pied d’égalité avec les autres utilisateurs, et définir les droits qu’il est nécessaire de conférer aux utilisateurs
finaux.
81 Enfin, ainsi qu’il résulte des considérants 2 et 3 de ladite directive, celle-ci apporte des modifications au cadre réglementaire en vigueur avant son adoption afin de tenir compte de l’évolution des technologies et du marché.
82 Il convient de relever que, comme la Commission le fait valoir à juste titre, la non-transposition de la directive 2018/1972 par l’Irlande, premièrement, nuit aux pratiques de régulation dans l’ensemble de l’Union en ce qui concerne la gestion du système de communications électroniques, les autorisations liées au spectre et les règles d’accès au marché. En conséquence, les entreprises ne bénéficient ni de procédures plus cohérentes et prévisibles pour l’octroi ou le renouvellement des droits
d’utilisation du spectre existant ni de la prévisibilité de la régulation résultant de la durée minimale de 20 ans des licences d’utilisation du spectre. De telles défaillances ont une influence directe sur la disponibilité et le déploiement de réseaux à très haute capacité au sein de l’Union. Deuxièmement, les consommateurs ne peuvent pas bénéficier d’une série d’avantages tangibles qui leur sont conférés par ladite directive, tels que des solutions relatives à l’accès à la fourniture de
services de communications abordables, l’exigence de leur fournir des informations claires sur les contrats, l’obligation de pratiquer des tarifs transparents, la simplification du changement de fournisseurs de réseaux afin de promouvoir des prix de détail plus abordables et l’obligation, pour les opérateurs, d’offrir aux utilisateurs finaux handicapés un accès équivalent aux services de communications.
83 Cela étant, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de la somme forfaitaire, il convient de prendre en considération que, au cours de la procédure, l’Irlande a communiqué à la Commission les mesures de transposition de toutes les dispositions de la directive 2018/1972.
84 S’agissant, en deuxième lieu, de la durée de l’infraction, il importe de rappeler que celle-ci doit, en principe, être évaluée en tenant compte de la date à laquelle la Cour apprécie les faits et que cette appréciation des faits doit être considérée comme intervenant à la date de clôture de la procédure [voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Espagne (Directive données à caractère personnel – Domaine pénal), C‑658/19, EU:C:2021:138, points 66 et 79 ainsi que jurisprudence citée].
85 En ce qui concerne, d’une part, le début de la période dont il convient de tenir compte pour fixer le montant de la somme forfaitaire à infliger en application de l’article 260, paragraphe 3, TFUE, la Cour a jugé que, à la différence de l’astreinte journalière, la date à retenir en vue de l’évaluation de la durée du manquement en cause est non pas celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, mais la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question
[voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 79, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 90].
86 En l’espèce, il n’est pas valablement contesté que, à la date d’expiration du délai de transposition prévu à l’article 124 de la directive 2018/1972, à savoir le 21 décembre 2020, l’Irlande n’avait pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition de cette directive ni, partant, communiqué celles-ci à la Commission.
87 D’autre part, dans ses observations du 12 février 2024 sur l’adaptation des conclusions de la Commission, l’Irlande ne conteste pas que la transposition de la directive 2018/1972 dans le droit irlandais peut être considérée comme ayant été achevée le 1er décembre 2023.
88 Il s’ensuit que le manquement constaté au point 42 du présent arrêt a persisté durant la période comprise entre le 22 décembre 2020 et le 30 novembre 2023, c’est-à -dire une période de 1073 jours, ce qui constitue une très longue durée.
89 Cela étant, il y a lieu de prendre en considération que cette durée a pu en partie résulter des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19. En effet, l’Irlande soutient, sans être contestée, que ces circonstances, imprévisibles et indépendantes de sa volonté, ont retardé le processus législatif nécessaire à la transposition de la directive 2018/1972 et ont, par conséquent, allongé la période pendant laquelle ce manquement a persisté.
90 En ce qui concerne, en troisième lieu, la capacité de paiement de l’État membre en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de prendre en compte le PIB de cet État membre, tel qu’il se présente à la date de l’examen des faits par la Cour [voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Commission/Roumanie (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑549/18, EU:C:2020:563, point 85, et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18,
EU:C:2020:564, point 97].
91 Dans sa requête, la Commission propose de prendre en compte, outre le PIB de l’Irlande, le poids institutionnel de celle-ci dans l’Union exprimé par le nombre de sièges dont cet État membre dispose au sein du Parlement européen. La Commission estime également qu’il convient d’utiliser un coefficient d’ajustement de 4,5 afin de garantir le caractère proportionné et dissuasif des sanctions qu’elle demande à la Cour d’imposer audit État membre.
92 Cependant, la Cour a récemment précisé de manière très claire, d’une part, que la prise en compte du poids institutionnel de l’État membre concerné n’apparaît pas indispensable pour garantir une dissuasion suffisante et amener cet État membre à modifier son comportement actuel ou futur et, d’autre part, que la Commission n’a pas démontré les critères objectifs sur le fondement desquels elle a fixé la valeur du coefficient d’ajustement de 4,5 [voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2022,
Commission/Grèce (Récupération d’aides d’État – Ferronickel), C‑51/20, EU:C:2022:36, points 115 et 117].
93 Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire et au regard du pouvoir d’appréciation reconnu à la Cour à l’article 260, paragraphe 3, TFUE, lequel prévoit que celle-ci ne saurait, en ce qui concerne la somme forfaitaire dont elle inflige le paiement, dépasser le montant indiqué par la Commission, il y a lieu de considérer que la prévention effective de la répétition future d’infractions analogues à celle résultant de la violation de l’article 124 de la directive 2018/1972 et
affectant la pleine effectivité du droit de l’Union est de nature à requérir l’imposition d’une somme forfaitaire dont le montant doit être fixé à  4500000 euros.
94 Il convient, par conséquent, de condamner l’Irlande à payer à la Commission une somme forfaitaire d’un montant de 4500000 euros.
Sur les dépens
95 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 141, paragraphe 1, de ce règlement, la partie qui se désiste est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par l’autre partie dans ses observations sur le désistement. Cet article 141, paragraphe 2, prévoit toutefois que, à la demande de la partie qui se désiste, les dépens sont supportés par l’autre partie,
si cela apparaît justifié en vertu de l’attitude de cette dernière. Enfin, selon ledit article 141, paragraphe 4, à défaut de conclusions sur les dépens, chaque partie supporte ses propres dépens.
96 En l’occurrence, si la Commission a conclu à la condamnation de l’Irlande et si le manquement a été constaté, cette institution s’est désistée partiellement de son recours sans demander que cet État membre supporte les dépens afférents au présent recours. Par ailleurs, dans ses observations sur le désistement de la Commission, ledit État membre n’a pas demandé que cette dernière soit condamnée aux dépens.
97 Cela étant, il convient de relever que le désistement de la Commission a été le résultat de l’attitude de l’Irlande, cet État membre n’ayant adopté et communiqué à la Commission les mesures de transposition complète de la directive 2018/1972 qu’après l’introduction du présent recours, et que c’est en raison de cette attitude que la demande de cette institution visant à la condamnation dudit État membre au paiement d’une astreinte est devenue sans objet et que la Commission l’a retirée.
98 Dans ces conditions et faute de pouvoir établir une distinction pertinente entre les dépens afférents au manquement constaté au point 42 du présent arrêt et ceux afférents au désistement partiel de la Commission, il y a lieu de décider que l’Irlande supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
 Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
 1) En n’ayant pas, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, tel que prorogé par la Commission européenne, adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, établissant le code des communications électroniques européen, et, partant, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en
vertu de l’article 124, paragraphe 1, de cette directive.
 2) L’Irlande est condamnée à payer à la Commission européenne une somme forfaitaire d’un montant de 4500000 euros.
 3) L’Irlande est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
 Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.