ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
14 mars 2024 ( *1 )
« Manquement d’État – Directive 91/676/CEE – Article 3, paragraphe 4 – Article 5, paragraphe 4 – Annexe II, A, points 2 et 5 – Annexe II, B, point 9 – Annexe III, paragraphe 1, points 2 et 3, et paragraphe 2 – Article 5, paragraphe 5 – Protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles – Réexamen de la liste des zones vulnérables aux nitrates – Mesures obligatoires prévues dans les programmes d’action – Mesures supplémentaires ou actions renforcées »
Dans l’affaire C‑576/22,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 30 août 2022,
Commission européenne, représentée par M. C. Hermes et Mme E. Sanfrutos Cano, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Royaume d’Espagne, représenté par M. A. Ballesteros Panizo, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. P. G. Xuereb (rapporteur) et A. Kumin, juges,
avocate générale : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :
– en ne désignant pas comme zones vulnérables dans la Comunidad de Castilla y León (Communauté autonome de Castille-et-León, Espagne), dans la Comunidad Autónoma de Extremadura (Communauté autonome d’Estrémadure, Espagne), dans la Comunidad Autónoma de Galicia (Communauté autonome de Galice, Espagne), dans la Comunidad Autónoma de las Islas Baleares (Communauté autonome des Îles Baléares, Espagne), dans la Comunidad Autónoma de Canarias (Communauté autonome des Îles Canaries, Espagne), dans la
Comunidad de Madrid (Communauté de Madrid, Espagne) et dans la Comunidad Valenciana (Communauté valencienne, Espagne) les zones de captage d’eau par ruissellement (eaux de surface) ou par infiltration (eaux souterraines) (ci-après les « zones de captage ») correspondant à chacun des points de mesure pollués suivants :
– Communauté autonome de Castille-et-León : CA 0233006, 4300412, 4300169, 4300165, 4300141, 4300026, 4300113, 4300083, 4300178, 4300177, TA 55707002, 4300518, 4300164, 4300073, 4300191 et 4300173 ;
– Communauté autonome d’Estrémadure : TA 67714001, TA 62312004, TA 64812005, TA 59810001, TA 67714102, TA 67812004, 400581, TA 65312005, TA 72914003, TA 57510009, TA 57410002, TA 59611005, TA 65212006, TA 67514001, TA 59611006, TA 70413001, TA 70414002, TA 72914001, TA 72914002 et TA 62309002 ;
– Communauté autonome de Galice : 14.RW.05.120, 14.RW.06.110, 14.RW.06.210, 14.RW.07.030, 14.RW.07.070, 14.RW.11.020, 14.RW.14.050, TW-54-10, TW-31-10, TW-31-20, TW-36-10, CW-10-10, CW-12-10, CW-16-10, CW-16-20, TW-36-20, TW-37-10, TW-37-20, TW-39-10, TW-39-20, TW-25-10, CW-49-10 et TW-25-05 ;
– Communauté autonome des Îles Baléares : 1801M1T 1, ES 53M0137, ES 53M1123, ES 53M1205, ES 53MA 082, ES 53MA 072, ES 53ME132, ES 53MA 19 et ES 53MA 042 ;
– Communauté autonome des Îles Canaries : ES 120ESBT 1210008, ES 120ESBT 1210016, S 120ESBT 1210040, ES 120ESBT 1210048, ES 120ESBT 1211048, S 120ESBT 1211056, ES 120ESBT 1211063, S 120ESBT 1211117 et ES 125ESBT 1250015 ;
– Communauté de Madrid : TA 53306002, TA 53306008, 13‑05 et 07-09 ;
– Communauté valencienne : JU210, JU209 et JU202 ;
– en ne prévoyant pas toutes les mesures obligatoires nécessaires dans les programmes d’action de la Comunidad Autónoma de Aragón (Communauté autonome d’Aragon, Espagne), de la Comunidad Autónoma de Castilla-La Mancha (Communauté autonome de Castille-La Manche, Espagne), de la Communauté autonome de Castille-et-León, de la Communauté autonome d’Estrémadure et de la Communauté de Madrid, et
– en ne prenant pas les mesures supplémentaires ou les actions renforcées en ce qui concerne la pollution par les nitrates, au regard des communautés autonomes qui affichent une tendance à la hausse de la pollution des points de mesure des zones vulnérables, en particulier la Communauté autonome d’Aragon, la Communauté autonome de Castille-La Manche, la Communauté autonome de Castille-et-León et la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia (Communauté autonome de la région de Murcie, Espagne), et,
en ce qui concerne l’eutrophisation, dans l’ensemble du pays,
le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (JO 1991, L 375, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1137/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008 (JO 2008, L 311, p. 1) (ci-après la « directive 91/676 »), de l’article 5, paragraphe 4, de la directive
91/676, lu en combinaison avec les annexes II et III de celle-ci, et de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Les cinquième, sixième, dixième, onzième et treizième considérants de la directive 91/676 énoncent :
« considérant que les nitrates d’origine agricole sont la cause principale de la pollution provenant de sources diffuses, qui affecte les eaux de la Communauté ;
considérant qu’il est dès lors nécessaire, pour protéger la santé humaine, les ressources vivantes et les écosystèmes aquatiques et pour garantir d’autres usages légitimes des eaux, de réduire la pollution directe ou indirecte des eaux par les nitrates provenant de l’agriculture et d’en prévenir l’extension ; que, à cet effet, il importe de prendre des mesures concernant le stockage et l’épandage sur les sols de composés azotés et concernant certaines pratiques de gestion des terres ;
[...]
considérant qu’il convient que les États membres définissent les zones vulnérables, qu’ils élaborent et mettent en œuvre des programmes d’action visant à réduire la pollution des eaux par les composés azotés dans ces zones ;
considérant que de tels programmes doivent comporter des mesures visant à limiter l’épandage sur les sols de tout engrais contenant de l’azote et, en particulier, à fixer des limites spécifiques pour l’épandage d’effluents d’élevage ;
[...]
considérant qu’il est admis que les conditions hydrogéologiques dans certains États membres sont telles qu’il faudra peut-être de nombreuses années pour que les mesures de protection entraînent une amélioration de la qualité des eaux ».
3 L’article 1er de cette directive prévoit :
« La présente directive vise à :
– réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles,
– prévenir toute nouvelle pollution de ce type. »
4 L’article 2 de ladite directive dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par
a) “eaux souterraines”: toutes les eaux se trouvant sous la surface du sol dans la zone de saturation et qui sont en contact avec le sol ou le sous-sol ;
b) “eaux douces”: les eaux qui se présentent à l’état naturel avec une faible teneur en sels et généralement considérées comme pouvant être captées et traitées en vue de la production d’eau potable ;
c) “composé azoté”: toute substance contenant de l’azote, à l’exception de l’azote moléculaire gazeux ;
[...]
g) “effluent d’élevage”: les déjections d’animaux ou un mélange de litière et de déjections d’animaux, même s’ils ont subi une transformation ;
h) “épandage”: l’apport au sol de matières par projection à la surface du sol, injection, enfouissement ou brassage avec les couches superficielles du sol ;
i) “eutrophisation”: l’enrichissement de l’eau en composés azotés, provoquant un développement accéléré des algues et des végétaux d’espèces supérieures qui perturbe l’équilibre des organismes présents dans l’eau et entraîne une dégradation de la qualité de l’eau en question ;
j) “pollution”: le rejet de composés azotés de sources agricoles dans le milieu aquatique, directement ou indirectement, ayant des conséquences de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources vivantes et au système écologique aquatique, à porter atteinte aux agréments ou à gêner d’autres utilisations légitimes des eaux ;
k) “zone vulnérable”: les terres désignées conformément à l’article 3 paragraphe 2. »
5 L’article 3 de la même directive est libellé comme suit :
« 1. Les eaux atteintes par la pollution et celles qui sont susceptibles de l’être si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises sont définies par les États membres en fonction des critères fixés à l’annexe I.
2. Dans un délai de deux ans à compter de la notification de la présente directive, les États membres désignent comme zones vulnérables toutes les zones connues sur leur territoire qui alimentent les eaux définies conformément au paragraphe 1 et qui contribuent à la pollution. Ils notifient cette désignation initiale à la Commission dans un délai de six mois.
[...]
4. Les États membres réexaminent et, au besoin, révisent ou complètent en temps opportun, au moins tous les quatre ans, la liste des zones vulnérables désignées, afin de tenir compte des changements et des facteurs imprévisibles au moment de la désignation précédente. Ils notifient à la Commission, dans un délai de six mois, toute révision ou ajout apporté à la liste des désignations.
5. Les États membres sont exemptés de l’obligation de désigner des zones vulnérables spécifiques lorsqu’ils établissent et appliquent à l’ensemble de leur territoire national les programmes d’action visés à l’article 5 conformément à la présente directive. »
6 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 91/676 :
« En vue d’assurer, pour toutes les eaux, un niveau général de protection contre la pollution, les États membres, dans un délai de deux ans à compter de la notification de la présente directive :
a) établissent un ou des codes de bonne pratique agricole, qui seront mis en œuvre volontairement par les agriculteurs et qui devraient contenir au moins les éléments énumérés au point A de l’annexe II ;
[...] »
7 L’article 5 de cette directive prévoit :
« 1. Pour les besoins des objectifs visés à l’article 1er et dans un délai de deux ans à compter de la désignation initiale visée à l’article 3, paragraphe 2 ou d’un an après chaque nouvelle désignation visée à l’article 3, paragraphe 4, les États membres établissent des programmes d’action portant sur les zones vulnérables désignées.
2. Un programme d’action peut porter sur toutes les zones vulnérables situées sur le territoire d’un État membre ou, si cet État l’estime approprié, des programmes différents peuvent être établis pour diverses zones ou parties de zones vulnérables.
3. Les programmes d’action tiennent compte :
a) des données scientifiques et techniques disponibles concernant essentiellement les quantités respectives d’azote d’origine agricole ou provenant d’autres sources ;
b) des conditions de l’environnement dans les régions concernées de l’État membre en question.
4. Les programmes d’action sont mis en œuvre dans un délai de quatre ans à compter de leur élaboration et ils contiennent les mesures obligatoires suivantes :
a) les mesures visées à l’annexe III ;
b) les mesures que les États membres ont arrêtées dans le(s) code(s) de bonne pratique agricole élaboré(s) conformément à l’article 4, à l’exception de celles qui ont été remplacées par les mesures énoncées à l’annexe III.
5. En outre, les États membres prennent, dans le cadre des programmes d’action, toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’ils estiment nécessaires, s’il s’avère, dès le début ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action, que les mesures visées au paragraphe 4 ne suffiront pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er. Dans le choix de ces mesures ou actions, les États membres tiennent compte de leur efficacité et de leur
coût par rapport à d’autres mesures préventives envisageables.
6. Les États membres élaborent et mettent en œuvre des programmes de surveillance adéquats pour évaluer l’efficacité des programmes d’action établis en vertu du présent article.
Les États membres qui appliquent les dispositions de l’article 5 à l’ensemble de leur territoire national surveillent la teneur en nitrates des eaux (eaux de surface et eaux souterraines) à des points de mesure sélectionnés, qui permettent de déterminer l’étendue de la pollution des eaux par les nitrates à partir de sources agricoles.
[...] »
8 L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive dispose :
« Aux fins de désigner les zones vulnérables et de réviser la liste établie, les États membres :
a) dans un délai de deux ans à compter de la notification de la présente directive, surveillent pendant une période d’un an la concentration de nitrates dans les eaux douces :
i) au niveau des stations de prélèvement des eaux superficielles prévues à l’article 5 paragraphe 4 de la [directive 75/440/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire dans les États membres (JO 1975, L 194, p. 26)] et/ou d’autres stations de prélèvement représentatives des eaux superficielles des États membres, au moins une fois par mois et plus fréquemment durant les périodes de crues ;
ii) au niveau des stations de prélèvement représentatives des nappes phréatiques des États membres, à intervalles réguliers, compte tenu des dispositions de la [directive 80/778/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (JO 1980, L 229, p. 11)] ;
b) reprennent le programme de surveillance décrit au point a) tous les quatre ans au moins, sauf dans le cas des stations de prélèvement où la concentration de nitrates de tous les échantillons précédents s’est révélée inférieure à 25 milligrammes par litre et où aucun facteur nouveau susceptible d’accroître la teneur en nitrates n’a été constaté ; en ce cas, le programme de surveillance ne doit être mis en œuvre que tous les huit ans ;
c) réexaminent tous les quatre ans l’état d’eutrophisation des eaux douces superficielles, des eaux côtières et d’estuaires.
[...] »
9 L’article 10 de la même directive est rédigé comme suit :
« 1. Les États membres soumettent à la Commission, pour la période de quatre ans qui suit la notification de la présente directive et pour chaque période ultérieure de quatre ans, un rapport contenant les informations visées à l’annexe V.
2. Ils soumettent à la Commission un rapport, en vertu du présent article, dans un délai de six mois après l’expiration de la période sur laquelle il porte. »
10 Aux termes de l’article 11 de la directive 91/676 :
« À partir des informations reçues en vertu de l’article 10, la Commission publie des rapports de synthèse dans un délai de six mois après la réception des rapports des États membres et elle les communique au Parlement européen et au Conseil. À la lumière de la mise en œuvre de la présente directive, et notamment des dispositions de l’annexe III, la Commission soumet au Conseil, d’ici le 1er janvier 1998, un rapport assorti, le cas échéant, de propositions de révision de la présente directive. »
11 L’annexe I de cette directive, intitulée « Critères de définition des eaux visés à l’article 3, paragraphe 1 », dispose, à son point A :
« Les eaux visées à l’article 3 paragraphe 1 sont définies en fonction, entre autres, des critères suivants :
1) si les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées au captage d’eau potable, contiennent ou risquent de contenir, si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises, une concentration de nitrates supérieure à celle prévue par la [directive 75/440] ;
2) si les eaux souterraines ont, ou risquent d’avoir, une teneur en nitrate supérieure à 50 milligrammes par litre si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises ;
3) si les lacs naturels d’eau douce, les autres masses d’eau douce, les estuaires, les eaux côtières et marines ont subi ou risquent dans un avenir proche de subir une eutrophisation si les mesures prévues à l’article 5 ne sont pas prises. »
12 Aux termes de l’annexe II de ladite directive, intitulée « Code(s) de bonne pratique agricole » :
« A. Un ou des codes de bonne pratique agricole visant à réduire la pollution par les nitrates et tenant compte des conditions prévalant dans les différentes régions de la Communauté devraient contenir des règles couvrant les éléments ci-après, pour autant qu’ils soient pertinents :
1) les périodes pendant lesquelles l’épandage de fertilisants est inapproprié ;
2) les conditions d’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente ;
[...]
5) la capacité et la construction des cuves destinées au stockage des effluents d’élevage, notamment les mesures visant à empêcher la pollution des eaux par ruissellement et infiltration dans le sol ou écoulement dans les eaux superficielles de liquides contenant des effluents d’élevage et des effluents de matières végétales telles que le fourrage ensilé ;
[...]
B. Les États membres peuvent également inclure les éléments ci-après dans leur(s) code(s) de bonne pratique agricole :
[...]
9) l’élaboration de plans de fertilisation en fonction de chaque exploitation et la tenue de registres d’utilisation des fertilisants ;
[...] »
13 L’annexe III de la même directive, intitulée « Mesures à inclure dans les programmes d’action conformément à l’article 5, paragraphe 4, point a) », est libellée comme suit :
« 1. Les mesures comportent des règles concernant :
[...]
2) la capacité des cuves destinées au stockage des effluents d’élevage ; celle-ci doit dépasser la capacité nécessaire au stockage durant la plus longue des périodes d’interdiction d’épandage dans la zone vulnérable, sauf s’il peut être démontré à l’autorité compétente que le volume d’effluents d’élevage qui dépasse la capacité de stockage réelle sera évacué d’une manière inoffensive pour l’environnement ;
3) la limitation de l’épandage des fertilisants, conformément aux bonnes pratiques agricoles et compte tenu des caractéristiques de la zone vulnérable concernée, notamment :
a) de l’état des sols, de leur composition et de leur pente ;
b) des conditions climatiques, des précipitations et de l’irrigation ;
c) de l’utilisation des sols et des pratiques agricoles, notamment des systèmes de rotation des cultures ;
et fondée sur un équilibre entre :
i) les besoins prévisibles en azote des cultures
et
ii) l’azote apporté aux cultures par le sol et les fertilisants correspondant à :
– la quantité d’azote présente dans le sol au moment où les cultures commencent à l’utiliser dans des proportions importantes (quantités restant à la fin de l’hiver),
– l’apport d’azote par la minéralisation nette des réserves d’azote organique dans le sol,
– les apports de composés azotés provenant des effluents d’élevage,
– les apports de composés azotés provenant des engrais chimiques et autres composés.
2. Ces mesures assurent que, pour chaque exploitation ou élevage, la quantité d’effluents d’élevage épandue annuellement, y compris par les animaux eux-mêmes, ne dépasse pas une quantité donnée par hectare.
Cette quantité donnée par hectare correspond à la quantité d’effluents contenant 170 kilogrammes d’azote. [...]
[...] »
14 L’annexe V de la directive 91/676, intitulée « Informations devant figurer dans les rapports visés à l’article 10 », prévoit :
« [...]
3. Un résumé des résultats de la surveillance exercée en vertu de l'article 6, comprenant un exposé des considérations qui ont conduit à la désignation de chaque zone vulnérable et à toute révision ou ajout apporté à la désignation.
4. Un résumé des programmes d’action élaborés en vertu de l’article 5 et, en particulier :
[...]
c) toute mesure supplémentaire ou action renforcée prise en vertu de l’article 5 paragraphe 5 ;
[...]
e) les estimations des États membres concernant les délais approximatifs dans lesquels on peut s’attendre à ce que les eaux définies conformément à l’article 3 paragraphe 1 réagissent aux mesures prévues dans le programme d’action, ainsi qu’une indication du niveau d’incertitude que présentent ces estimations. »
Le droit espagnol
15 La directive 91/676 a été transposée dans l’ordre juridique espagnol par le Real Decreto 261/1996, sobre protección de las aguas contra la contaminación producida por los nitratos procedentes de fuentes agrarias (décret royal 261/1996 relatif à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles), du 16 février 1996 (BOE no 61, du 11 mars 1996, p. 9734). Ce décret a entretemps été abrogé et remplacé par le Real Decreto 47/2022, sobre protección de las aguas
contra la contaminación difusa producida por los nitratos procedentes de fuentes agrarias (décret royal 47/2022 relatif à la protection des eaux contre la pollution diffuse par les nitrates à partir de sources agricoles), du 18 janvier 2022 (BOE no 17, du 20 janvier 2022, p. 5664).
16 En outre, toutes les communautés autonomes que la Commission vise dans sa requête ont adopté, dans le cadre de leurs compétences, une réglementation visant à se conformer aux obligations découlant de la directive 91/676.
La procédure précontentieuse
17 Le 3 juillet 2015, la Commission a lancé une enquête, sous la référence EU Pilot 7849/15/ENVI, visant à contrôler la désignation de zones vulnérables aux nitrates et les mesures prévues dans les programmes d’action correspondants en Espagne. Cette enquête préliminaire a été ouverte à la suite de l’évaluation des informations fournies par les autorités espagnoles dans leur rapport communiqué à la Commission conformément à l’article 10 de la directive 91/676 et contenant les informations visées à
l’annexe V de cette directive concernant la période 2008‑2011.
18 À la suite de l’évaluation des réponses fournies par le Royaume d’Espagne dans le cadre de ladite enquête préliminaire, qui tenait également compte des informations contenues dans le rapport subséquent pour la période 2012‑2015 (ci-après le « rapport 2012‑2015 »), la Commission, estimant qu’il en ressortait que la situation de cet État membre n’était pas conforme aux obligations lui incombant au titre de la directive 91/676, a décidé d’entamer une procédure d’infraction à charge dudit État
membre.
19 Le 9 novembre 2018, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle reprochait à ce dernier d’avoir violé l’article 3, paragraphe 4, et l’article 5, paragraphes 4 à 6, de la directive 91/676.
20 Le Royaume d’Espagne a répondu à cette lettre de mise en demeure par lettres des 21 février, 13 juin, 31 juillet, 2 septembre et 17 octobre 2019 ainsi que du 13 février 2020.
21 Le 2 juillet 2020, la Commission, n’ayant pas été convaincue par ces réponses, a émis un avis motivé dans lequel elle déclarait que le Royaume d’Espagne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions citées dans la lettre de mise en demeure.
22 Dans cet avis motivé, la Commission a enjoint au Royaume d’Espagne de prendre les mesures requises pour se conformer à ses obligations dans un délai de trois mois à compter de la date de réception de cet avis motivé.
23 Le Royaume d’Espagne a présenté ses observations au regard dudit avis motivé par lettres du 27 octobre 2020 ainsi que des 29 avril, 26 mai, 25 juin et 5 juillet 2021.
24 À l’aune de ces réponses, la Commission a considéré que le Royaume d’Espagne avait mis fin au manquement qui lui était reproché s’agissant de l’article 5, paragraphe 6, de la directive 91/676. Estimant en revanche que le manquement persistait en ce qui concernait les obligations qui lui incombent au titre de l’article 3, paragraphe 4, ainsi que de l’article 5, paragraphes 4 et 5, de cette directive, la Commission a, le 30 août 2022, introduit le présent recours.
Sur le recours
25 À l’appui de son recours, la Commission formule trois griefs, tirés d’une violation, le premier, de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676, le deuxième, de l’article 5, paragraphe 4, de cette directive, lu en combinaison avec les annexes II et III de celle-ci, et, le troisième, de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive.
26 Le Royaume d’Espagne conclut au rejet du présent recours.
Sur le premier grief, tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676
27 Par son premier grief, la Commission demande à la Cour de constater que, en ne désignant pas comme zones vulnérables, dans les Communautés autonomes de Castille-et-León, d’Estrémadure, de Galice, des Îles Baléares, des Îles Canaries, dans la Communauté de Madrid et dans la Communauté valencienne, les zones de captage par ruissellement (eaux de surface) ou par infiltration (eaux souterraines) correspondant à chacun des points de mesure visés au point 1 du présent arrêt, le Royaume d’Espagne a
manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676.
Sur la recevabilité
28 Le Royaume d’Espagne excipe de l’irrecevabilité de ce premier grief, au motif que, eu égard à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’article 120 du règlement de procédure de la Cour et à la jurisprudence de la Cour relative à ces dispositions, la Cour ne peut se prononcer, dans l’arrêt à intervenir, que sur les seules demandes formulées par la Commission. Or, le grief visant un manquement à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 ne ferait pas partie de
ces demandes, étant donné que, bien qu’il soit mentionné dans les motifs de la requête, il n’aurait pas été visé par la Commission dans le petitum de sa requête, figurant au point 145 de celle-ci. En effet, à ce point, la Cour aurait été invitée à constater un manquement non pas à l’article 3, paragraphe 4, mais à l’article 4, paragraphe 4, de la directive 91/676. Le premier grief devrait donc être déclaré irrecevable.
29 Cette argumentation ne saurait prospérer.
30 D’une part, il ressort clairement des motifs de la requête que le premier grief vise à faire constater un manquement à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 et que la référence faite, au point 145 de la requête, à l’article 4, paragraphe 4, de cette directive est due, ainsi que la Commission l’a expliqué dans son mémoire en réplique, à une erreur typographique. D’ailleurs, l’article 4 de ladite directive ne comporte que deux paragraphes. D’autre part, s’il est vrai que, dans son arrêt
du 15 juin 2006, Commission/France (C‑255/04, EU:C:2006:401, point 25), invoqué par le Royaume d’Espagne au soutien de son exception d’irrecevabilité, la Cour a jugé qu’un grief qui est mentionné dans les motifs de sa requête, mais qui n’est pas inclus dans les conclusions de la Commission est irrecevable, force est de constater que, en l’occurrence, et nonobstant cette erreur typographique, le grief visant à faire constater un manquement à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 a été
inclus dans les conclusions de la Commission.
31 Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Royaume d’Espagne.
Sur le fond
– Argumentation des parties
32 La Commission fait valoir que les eaux prélevées au niveau des points de mesure visés par le premier grief ont été déclarées, dans les rapports fournis par le Royaume d’Espagne au titre de l’article 10 de la directive 91/676, comme étant polluées ou eutrophisées par des nitrates. Selon la Commission, il existe donc des indices suffisants pour constater une violation de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676, à moins que le Royaume d’Espagne ne présente, pour chaque zone de captage
d’eau correspondant à ces points de mesure, des données prouvant que les nitrates d’origine agricole ne contribuent pas de manière significative à cette pollution.
33 Dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne conteste cette argumentation, en soulignant qu’il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. Il soutient que les communautés autonomes visées par ce grief se sont acquittées de leurs obligations relatives à la désignation des zones vulnérables, découlant de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676, ou que ledit grief vise des zones dans lesquelles les nitrates d’origine agricole ne contribuent pas de manière
significative à la pollution, de sorte qu’aucun manquement à cette disposition ne saurait être constaté.
34 En outre, le Royaume d’Espagne fournit des observations détaillées concernant les points de mesure visés par le premier grief, y compris, notamment, les précisions suivantes.
35 En ce qui concerne la Communauté autonome d’Estrémadure, le gouvernement de cette communauté aurait entamé, en 2022, la révision ou, selon le cas, l’extension des désignations des zones vulnérables. En tout état de cause, les seuils admissibles de concentrations en nitrates d’origine agricole n’auraient pas été dépassés dans huit des points de mesure dépendant de cette communauté autonome visés par le premier grief. Il ne serait donc pas nécessaire de désigner les zones de captage correspondant à
ces points de mesure comme zones vulnérables.
36 S’agissant de la Communauté autonome de Galice, le Royaume d’Espagne fait valoir, notamment, que, en ce qui concerne certains points de mesure, y compris les points de mesure 14.RW.11.020 et 14.RW.14.050, des examens sont en cours pour déterminer l’origine de la pollution aux nitrates.
37 En ce qui concerne la Communauté autonome des Îles Baléares, le Royaume d’Espagne souligne que la révision de la désignation des zones vulnérables est actuellement en cours et qu’un projet de décret portant désignation des zones vulnérables se trouve à un stade avancé de traitement. En tout état de cause, il ne serait pas nécessaire de désigner, en tant que « zones vulnérables », les zones de captage correspondant à cinq des points de mesure dépendant de cette communauté autonome, les eaux
concernées ne devant plus être considérées comme étant polluées, ainsi qu’il ressortirait du rapport communiqué à la Commission au titre de l’article 10 de la directive 91/676 pour ce qui concerne la période de 2016‑2019 (ci-après le « rapport 2016‑2019 »).
38 S’agissant de la Communauté de Madrid, aucun manquement à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 ne pourrait non plus être constaté. En ce qui concerne, notamment, le point de mesure TA 53306008, il y aurait été relevé que la pollution due aux nitrates d’origine agricole a été réduite, celle-ci atteignant un taux maximal de 17 % en 2021.
39 En ce qui concerne la Communauté valencienne, le Royaume d’Espagne fait valoir que les zones de captage correspondant aux points de mesure visés par le présent recours ont été désignées comme zones vulnérables par un décret adopté par le gouvernement de cette communauté le 10 juin 2022.
40 Dans son mémoire en réplique, la Commission fournit les précisions suivantes.
41 Premièrement, s’agissant des seize points de mesure dépendant de la Communauté autonome de Castille-et-León, il ressortirait du mémoire en défense du Royaume d’Espagne qu’il n’est effectivement pas nécessaire de désigner les zones de captage correspondant à ces points de mesure comme zones vulnérables.
42 Deuxièmement, en ce qui concerne trois des neuf points de mesure dépendant de la Communauté autonome des Îles Canaries, la Commission indique qu’il ressort des explications fournies par le Royaume d’Espagne dans son mémoire en défense qu’il a été remédié au manquement. En ce qui concerne deux autres points de mesure, la Commission considère, eu égard à ces explications, qu’il n’est pas non plus nécessaire de désigner les zones de captage correspondant à ces points de mesure comme zones
vulnérables.
43 Pour ce qui est des quatre points de mesure restants, la Commission relève que le Royaume d’Espagne a expliqué, en substance, dans son mémoire en défense, que la concentration de nitrates constatée à ces points de mesure n’était pas d’origine agricole mais provenait des égouts et des fosses septiques. Si cette explication n’exclut pas nécessairement la possibilité que les nitrates d’origine agricole contribuent de manière significative à la pollution, il convient d’admettre, en l’absence d’autres
éléments prouvant une telle contribution significative, que les zones de captage correspondant à ces points de prélèvement ne soient pas désignées comme zones vulnérables.
44 Troisièmement, s’agissant de la Communauté autonome d’Estrémadure, la Commission reconnaît que, à la lumière des informations fournies par le Royaume d’Espagne dans son mémoire en défense, il n’est, de fait, pas nécessaire de désigner les zones de captage correspondant à 8 des 20 points de mesure visés par le premier grief comme zones vulnérables. S’agissant des 12 points de mesure restants, à savoir les points de mesure TA 67714001, TA 62312004, TA 67714102, TA 67812004, TA 65312005,
TA 72914003, TA 65212006, TA 67514001, TA 70414002, TA 72914001, TA 72914002 et TA 62309002, la Commission réitère son reproche selon lequel les autorités espagnoles n’ont pas expliqué pourquoi les zones de captage correspondant à ces points de mesure n’ont pas été désignées comme zones vulnérables.
45 Quatrièmement, en ce qui concerne la Communauté autonome de Galice, s’agissant de 21 des 23 points de mesure visés dans la requête par le premier grief, la Commission reconnaît qu’il ressort des explications fournies par le Royaume d’Espagne qu’il n’est pas nécessaire de désigner les zones de captage correspondant à ces points de mesure comme zones vulnérables.
46 En ce qui concerne les deux points de mesure restants, à savoir les points de mesure 14.RW.11.020 et 14.RW.14.050, la Commission estime qu’il y a lieu de désigner les zones de captage correspondant à ces points de mesure comme zones vulnérables, dans la mesure où il ne saurait être exclu que la pollution mesurée à ces endroits a été causée par des nitrates d’origine agricole.
47 En outre, la Commission fait référence à quinze autres points de mesure dépendant de la Communauté autonome de Galice, à savoir les points de mesure NO01880006, NO03010003, 14.RW.12.020, 14.RW.05.060, 14.RW.10.020, 14.RW.11.060, 14.RW.11.070, 14.RW.11.040, 14.RW.10.030, 14.RW.11.080, 14.RW.12.030, 14.RW.12.110, 14.RW.14.040, 14.RW.14.060 et 14.RW.05.090, au niveau desquels une eutrophisation aurait été constatée. Les zones de captage correspondant à ces points de mesure doivent donc, selon cette
institution, également être désignées comme zones vulnérables.
48 Cinquièmement, s’agissant de la Communauté autonome des Îles Baléares, la Commission explique qu’il résulte des informations contenues dans le mémoire en défense du Royaume d’Espagne qu’il n’est pas nécessaire de désigner comme zones vulnérables les zones de captage correspondant à cinq des neuf points de mesure visés par le premier grief.
49 S’agissant des quatre points de mesure restants, à savoir les points de mesure 1801M1T 1, ES 53M0137, ES 53M1123 et ES 53M1205, la Commission considère que le Royaume d’Espagne a reconnu que le premier grief est fondé à leur égard.
50 Sixièmement, la Commission relève que, s’agissant de trois des quatre points de mesure visés par le premier grief en ce qui concerne la Communauté de Madrid, le Royaume d’Espagne a apporté des éléments de preuve suffisants pour démontrer soit que la pollution constatée n’est pas due aux nitrates d’origine agricole, soit que les zones vulnérables actuelles couvrent toutes les zones de captage pertinentes.
51 En ce qui concerne le point de mesure restant dans cette communauté, à savoir le point de mesure TA 53306008, la Commission considère que l’argumentation du Royaume d’Espagne selon laquelle la pression exercée par l’agriculture sur les eaux concernées par ce point de mesure se serait considérablement réduite, en atteignant un taux maximal de 17 % en 2021, ne saurait être acceptée. Ledit point de mesure aurait enregistré une eutrophisation tant pour la période 2012‑2015 que pour la
période 2016‑2019, et une contribution de 17 % à la pollution, bien que limitée, ne pourrait en aucun cas être considérée comme minoritaire.
52 Septièmement, s’agissant des points de mesure JU210, JU209 et JU202 dépendant de la Communauté valencienne, la Commission, tout en reconnaissant qu’il a été remédié au manquement par un décret adopté par le gouvernement de cette communauté le 10 juin 2022, souligne que la désignation des zones vulnérables en cause est intervenue après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.
53 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne fait valoir, s’agissant des douze points de mesure visés dans le mémoire en réplique dépendant de la Communauté autonome d’Estrémadure, que, en l’absence, à ce stade, de données prouvant une contribution significative des nitrates d’origine agricole à la pollution, la Commission devrait accepter que les zones de captage correspondant à ces points de mesure ne soient pas désignées comme zones vulnérables, à l’instar de la position qu’elle a
adoptée concernant la Communauté autonome des Îles Canaries.
54 Selon le Royaume d’Espagne, il en serait de même, s’agissant de la Communauté autonome de Galice, en ce qui concerne les deux points de mesure visés dans la requête pour lesquels la Commission a maintenu son premier grief dans son mémoire en réplique.
55 Pour ce qui est des quinze points de mesure supplémentaires visés par cette institution dans ce mémoire en réplique s’agissant de cette communauté autonome, la position de la Commission ne serait pas claire et les valeurs en nitrate n’auraient jamais été supérieures à 25 mg/l. En tout état de cause, ces points de mesure n’auraient pas été mentionnés dans les conclusions de la requête. Par conséquent, il n’y aurait pas lieu de constater de manquement à leur égard.
56 Pour ce qui est de la Communauté autonome des Îles Baléares, le Royaume d’Espagne fait valoir qu’un décret portant désignation de zones vulnérables, y compris les zones de captage correspondant aux quatre points de mesure visés dans le mémoire en réplique de la Commission, a été adopté et publié par cette communauté autonome le 27 mars 2023.
57 S’agissant de la Communauté de Madrid, le Royaume d’Espagne rappelle que, dans une décision récente au sujet d’une dérogation demandée en application de la directive 91/676, à savoir la décision d’exécution (UE) 2022/2069 de la Commission, du 30 septembre 2022, accordant aux Pays-Bas une dérogation demandée en application de la directive 91/676 (JO 2022, L 277, p. 195), cette institution a considéré que, « [pour être significative,] la contribution de l’agriculture à la pollution par les
nutriments [doit] représente[r] plus de 19 % de la charge totale en nutriments ». Une contribution à la pollution de 17 %, telle que celle visée au point 51 du présent arrêt, ne saurait donc être qualifiée de « significative ».
– Appréciation de la Cour
– Sur les points de mesure qui n’ont plus été retenus par la Commission dans son mémoire en réplique
58 Il ressort du mémoire en réplique de la Commission que celle-ci admet, au vu des éléments apportés dans son mémoire en défense par le Royaume d’Espagne, qu’il n’y a pas lieu de désigner comme zones vulnérables des zones de captage correspondant à 62 des 84 points de mesure visés par la requête, y compris tous les points de mesure dépendant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon et de la Communauté autonome des Îles Canaries, et qu’elle ne demande plus la constatation d’un manquement à ce
titre.
59 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le premier grief dans la mesure où, par celui-ci, la Commission reproche au Royaume d’Espagne d’avoir avoir omis de désigner comme zones vulnérables les zones de captage correspondant à ces 62 points de mesure.
– Sur les points de mesure supplémentaires non visés dans la requête introductive d’instance
60 Dans les motifs de son mémoire en réplique, la Commission a soutenu que les zones de captage correspondant à quinze points de mesure dépendant de la Communauté autonome de Galice, qui n’étaient pas mentionnés dans les conclusions de sa requête introductive d’instance, auraient dû être désignées comme zones vulnérables.
61 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Or, la Commission n’a pas fait valoir ni démontré que cette dernière exception puisse justifier un élargissement de l’objet du litige.
62 Partant, le premier grief doit être rejeté comme étant irrecevable dans la mesure où il porte sur ces quinze points de mesure supplémentaires.
– Sur les autres points de mesure
63 S’agissant des 22 points de mesure restants et visés dans la requête introductive d’instance, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans que cette institution puisse se fonder sur une présomption quelconque. C’est seulement lorsque la
Commission a fourni suffisamment d’éléments en vue d’établir l’existence du manquement allégué qu’il incombe à l’État membre de contester de manière substantielle et détaillée les éléments ainsi présentés et les conséquences qui en découlent [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2021, Commission/Espagne (Détérioration de l’espace naturel de Doñana), C‑559/19, EU:C:2021:512, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée].
64 Conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 91/676, les États membres désignent, dans un délai de deux ans à compter de la notification de cette directive, comme zones vulnérables toutes les zones connues sur leur territoire qui alimentent les « eaux atteintes par la pollution » ou « susceptibles de l’être », au sens du paragraphe 1 de cet article 3 et qui contribuent à la pollution.
65 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676, les « eaux atteintes par la pollution » ou « susceptibles de l’être », au sens de cette disposition, sont définies en fonction des critères fixés à l’annexe I de cette directive. Il résulte ainsi d’une lecture combinée de l’article 3, paragraphe 1, et de l’annexe I de ladite directive que les États membres sont tenus de définir comme des « eaux atteintes par la pollution » ou « susceptibles de l’être » la totalité des eaux douces
superficielles et les eaux souterraines qui contiennent ou risquent de contenir une teneur en nitrates supérieure aux concentrations visées par cette annexe, ainsi que les eaux qui ont subi ou risquent de subir une eutrophisation.
66 À cet égard, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, pour que des eaux soient considérées comme « atteintes par la pollution », au sens, notamment, de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676, et que leur désignation comme zone vulnérable s’impose en application de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, il n’est pas nécessaire que les composés azotés d’origine agricole contribuent de manière exclusive à la pollution. Il suffit qu’ils y contribuent de manière significative (arrêt du
23 avril 2015, Commission/Grèce, C‑149/14, EU:C:2015:264, point 36 et jurisprudence citée).
67 L’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 oblige les États membres, d’une part, à réexaminer et, au besoin, à réviser ou à compléter en temps opportun, au moins tous les quatre ans, la liste des zones vulnérables visée à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive qui alimentent les eaux définies conformément à l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive et qui contribuent à la pollution aux nitrates, afin de tenir compte des changements et des facteurs imprévisibles au moment de la
désignation précédente et, d’autre part, à notifier à la Commission, dans un délai de six mois, toute révision ou ajout apporté à cette liste.
68 En l’occurrence, si l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676, qui se limite à enjoindre aux États membres de s’acquitter des obligations qu’il prévoit « en temps opportun » et au moins tous les quatre ans, ne précise pas à quel moment et dans quelles circonstances un tel réexamen doit être entrepris, il y a lieu de constater que le Royaume d’Espagne ne conteste pas l’argumentation de la Commission selon laquelle, en substance, cet État membre était obligé de s’acquitter des obligations
prévues par cette disposition s’agissant des zones de captage correspondant aux points de mesure visés par le recours, dès lors que les eaux prélevées au niveau de ces points de mesure avaient été déclarées, dans les rapports fournis par les autorités espagnoles dans le cadre de la directive 91/676, comme étant polluées ou eutrophisées, dans la mesure où les prélèvements en provenance desdits points de mesure avaient démontré soit que les eaux douces superficielles et les eaux souterraines
concernées par ces zones de captage avaient, ou risquaient d’avoir, une concentration en nitrates supérieure à celle prévue à l’annexe I de cette directive, soit que ces eaux avaient subi ou risquaient dans un avenir proche de subir une eutrophisation.
69 Le Royaume d’Espagne ne conteste pas non plus que les eaux prélevées au niveau des 22 points de mesure restants étaient ainsi polluées ou eutrophisées par des nitrates.
70 Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé au point 66 du présent arrêt, la désignation d’une zone de captage correspondant à un point de mesure donné en tant que zone vulnérable ne s’impose que si les composés azotés d’origine agricole constatés à ce point de mesure contribuent de manière significative à la pollution aux nitrates. Dès lors que le Royaume d’Espagne conteste que tel est le cas, il incombe, conformément à la jurisprudence citée au point 63 du présent arrêt, à la Commission de prouver,
s’agissant de ces points de mesure, la présence d’une telle contribution significative à une telle pollution ou, à tout le moins, d’apporter des éléments de preuve supplémentaires susceptibles de permettre un tel constat.
71 Or, s’agissant de 14 des 22 points de mesure restants, situés dans la Communauté autonome d’Estrémadure et la Communauté autonome de Galice, la Commission n’a ni établi que les composés azotés d’origine agricole contribuent de manière significative à la pollution aux nitrates dont la présence a été constatée à ces points de mesure ni apporté d’éléments de preuve susceptibles d’établir l’existence d’une telle conséquence, laquelle est contestée par le Royaume d’Espagne. En effet, la Commission
s’est contentée, en substance, de faire valoir que le Royaume d’Espagne n’avait pas fourni d’explications suffisantes en ce qui concerne ces points de mesure.
72 Dans ces circonstances, le premier grief doit être rejeté en ce qu’il fait grief au Royaume d’Espagne d’avoir manqué à ses obligations au titre de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 en ne désignant pas comme zones vulnérables les zones de captage correspondant à ces quatorze points de mesure.
73 S’agissant des points de mesure 1801M1T 1, ES 53M0137, ES 53M1123 et ES 53M1205, dépendant de la Communauté autonome des Îles Baléares, il y a lieu de relever que, dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne se limite à indiquer que la révision de la désignation des zones vulnérables est actuellement en cours et qu’un projet de décret portant désignation des zones vulnérables se trouve à un stade avancé de traitement.
74 Si, dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne relève qu’un décret portant désignation de zones vulnérables, y compris les zones de captage correspondant à ces quatre points de mesure, a été adopté et publié par la Communauté autonome des Îles Baléares le 27 mars 2023, force est de constater que ce fait, outre qu’il confirme que les zones en cause devaient effectivement être désignées comme zones vulnérables, est intervenu après la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.
75 Or, il ressort d’une jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour [arrêt du 28 avril 2022, Commission/Bulgarie (Mise à jour des stratégies marines), C‑510/20, EU:C:2022:324, point 39 et jurisprudence citée].
76 Il s’ensuit que le premier grief doit être accueilli en ce que, par celui-ci, la Commission reproche au Royaume d’Espagne d’avoir manqué à ses obligations au titre de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676 en ne désignant pas comme zones vulnérables les zones de captage correspondant aux quatre points de mesure visés au point 73 du présent arrêt.
77 Les mêmes considérations s’appliquent en ce qui concerne les points de mesure JU210, JU209 et JU202, dépendant de la Communauté valencienne. En effet, le Royaume d’Espagne se contente d’indiquer à cet égard que les zones de captage correspondant à ces points de mesure ont été désignées comme zones vulnérables par un décret adopté par le gouvernement de cette communauté autonome le 10 juin 2022, c’est-à-dire après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.
78 S’agissant, enfin, du point de mesure TA 53306008, dépendant de la Communauté de Madrid, le Royaume d’Espagne fait valoir, en substance, que la contribution des composés azotés d’origine agricole à la pollution s’est considérablement réduite, en atteignant un taux maximal de 17 % en 2021. Or, ainsi que la Commission l’a relevé dans son mémoire en réplique, la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt du 22 septembre 2005, Commission/Belgique (C‑221/03, EU:C:2005:573, points 86 et 87), qu’une telle
contribution à hauteur de 17 % revêt un caractère significatif, au sens de la jurisprudence citée au point 66 du présent arrêt.
79 En ce qui concerne l’argument du Royaume d’Espagne, soulevé dans son mémoire en duplique et tiré du fait que, dans une décision récente au sujet d’une dérogation demandée en application de la directive 91/676, la Commission a considéré que, pour être significative, la contribution des composés azotés d’origine agricole à la pollution devrait excéder 19 % de la pollution, il suffit de constater qu’une telle appréciation de la part de la Commission ne saurait en tout état de cause pas lier la Cour
lorsqu’elle est amenée à apprécier elle-même le caractère significatif d’une telle contribution à la pollution.
80 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que le premier grief est fondé en ce que la Commission reproche au Royaume d’Espagne d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676, dans la mesure où cet État membre a omis de désigner comme zones vulnérables les zones de captage correspondant aux points de mesure 1801M1T 1, ES 53M0137, ES 53M1123 et ES 53M1205, dépendant de la Communauté autonome des Îles Baléares, aux points de
mesure JU210, JU209 et JU202, dépendant de la Communauté valencienne, et au point de mesure TA 53306008, dépendant de la Communauté de Madrid.
Sur le deuxième grief, tiré d’une violation de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676
81 Par son deuxième grief, la Commission demande à la Cour de constater que le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676, lu en combinaison avec les annexes II et III de cette directive, en ne prévoyant pas toutes les mesures obligatoires nécessaires dans les programmes d’action d’un certain nombre de communautés autonomes.
82 Ce grief se divise en trois branches, visant, la première, les programmes d’action des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche et de Castille-et-León, la deuxième, le programme d’action de la Communauté autonome d’Estrémadure et, la troisième, le programme d’action de la Communauté de Madrid.
Sur la première branche, visant les programmes d’action des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche et de Castille-et-León
– Argumentation des parties
83 S’agissant des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche et de Castille-et-León, la Commission fait valoir, dans sa requête, que les programmes d’action de ces communautés autonomes ne contiennent pas les mesures obligatoires nécessaires s’agissant des conditions d’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente, visées à l’annexe II, A, point 2, de la directive 91/676, du fait que les mesures figurant dans ces programmes d’action sont moins strictes que les recommandations
figurant dans une étude, publiée en 2011 et intitulée « Recommendations for establishing Action Programmes under Directive 91/676/EEC concerning the protection of waters against pollution caused by nitrates from agricultural sources » (Recommandations relatives à la mise en place de programmes d’action conformément à la directive 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, ci-après l’« étude scientifique »).
84 L’étude scientifique recommanderait ce qui suit en ce qui concerne l’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente :
– combiner l’utilisation de fertilisants et d’effluents d’élevage sur les sols en pente de plus de 2 % avec des mesures de précaution, telles que l’incorporation directe (culture en courbe de niveau), l’injection, la culture permanente, les terrasses, de larges bandes tampons non fertilisées, etc. ;
– interdire l’épandage en surface d’effluents d’élevage et de fertilisants N et P [des fertilisants contenant des azotes ou du phosphore] sur les jachères avec des pentes de plus de 8 % et en particulier avec une pente de plus de 100 mètres de long ;
– interdire l’épandage en surface et en sous-surface (injection, incorporation) d’effluents d’élevage et d’engrais N et P sur tous les sols avec des pentes de plus de 15 % et en particulier avec une pente de plus de 100 mètres (interdiction de l’épandage de fertilisants et d’effluents d’élevage).
85 À cet égard, la Commission, tout en reconnaissant que cette étude n’a pas de valeur juridique contraignante et n’est pas le seul critère scientifique valable pour apprécier si les États membres ont assuré une transposition correcte de la directive 91/676 dans leurs ordres juridiques respectifs, rappelle que, en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de cette directive, les programmes d’action doivent tenir compte des « données scientifiques et techniques disponibles ». Or, l’étude scientifique
ferait partie de ces données et le Royaume d’Espagne n’aurait pas fourni d’autres données scientifiques pour justifier que des mesures moins strictes que celles prévues par cette étude seraient suffisantes pour atteindre les objectifs définis par ladite directive.
86 Dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne fait valoir, en substance, que l’étude scientifique ne peut pas être considérée comme étant le critère unique d’évaluation de la transposition correcte de la directive 91/676 et ne peut pas se voir reconnaître un caractère juridiquement contraignant. Il soutient en outre que, bien que cette directive ne prévoie, à son article 11, que la possibilité, pour la Commission, de soumettre des propositions de révision de ladite directive, cette
institution entendrait, en utilisant l’étude scientifique comme seul critère d’évaluation des programmes d’action, introduire des obligations supplémentaires pour les États membres qui nécessiteraient en réalité de modifier la même directive. Or, il existerait des programmes d’action dans les différents territoires visés par la requête introductive d’instance qui seraient conformes aux exigences de cette directive.
87 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, le Royaume d’Espagne fait valoir que le seul reproche formulé par la Commission tient au fait que les mesures prévues par le programme d’action de cette communauté autonome pour les sols en pente sont moins strictes que celles figurant dans l’étude scientifique. La Commission n’apporterait aucun élément permettant de soutenir que ce programme d’action n’est pas conforme aux prescriptions de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676, cette
disposition n’établissant pas de chiffre spécifique sur lequel la Commission pourrait s’appuyer.
88 Selon le Royaume d’Espagne, les mêmes considérations s’appliquent pour ce qui est de la Communauté autonome de Castille-La Manche. Cette communauté autonome aurait en outre modifié son programme d’action par une ordonnance adoptée le 28 septembre 2020, qui y aurait ajouté des dispositions sur les apports de fertilisants azotés sur des terrains en pente. Or, ces modifications auraient été apportées par la Communauté autonome de Castille-La Manche sur la base du projet de programme d’action
présenté par la Communauté autonome de Navarre, au sujet duquel la Commission aurait considéré, dans son avis motivé, qu’il était conforme aux obligations découlant de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676. Il faudrait donc logiquement considérer que le programme d’action ainsi modifié de la Communauté autonome de Castille-La Manche est conforme aux prescriptions de cette disposition.
89 S’agissant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon, le Royaume d’Espagne soutient que, ainsi que la Commission le reconnaîtrait dans sa requête, l’article 10 du code de bonnes pratiques de cette communauté autonome, adopté par le décret du 25 juin 2020, fixe les conditions d’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente. Les obligations prévues à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676 auraient donc été respectées dans cette communauté autonome. En tout état de cause,
cette dernière aurait pris, par un arrêté adopté le 29 avril 2022, des mesures visant l’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente afin de suivre les recommandations de la Commission.
90 Dans son mémoire en réplique, la Commission conteste l’argumentation du Royaume d’Espagne. En particulier, elle maintient sa position concernant la Communauté autonome d’Aragon.
91 Quant à l’argument selon lequel les programmes d’action de la Communauté autonome de Castille-La Manche et de la Communauté autonome de Navarre seraient similaires, elle précise qu’elle examine les mesures de chaque programme d’action régional en fonction de leurs conditions climatiques et pédologiques.
92 En ce qui concerne la Communauté autonome de Castille-et-Léon, la Commission ajoute que, si le Royaume d’Espagne considère que, eu égard aux caractéristiques particulières de cette communauté autonome, des règles plus permissives que celles prévues dans l’étude scientifique sont suffisantes pour éviter les risques de ruissellement, cet État membre aurait dû fournir les données scientifiques et techniques sur lesquelles il se fonde à cet égard, ce qu’il est resté en défaut de faire. S’agissant de
la version du programme d’action de cette communauté autonome résultant de l’arrêté du 29 avril 2022, qui aurait, en tout état de cause, été adoptée après le délai fixé dans l’avis motivé, elle ne répondrait toujours pas aux normes scientifiques et techniques disponibles, puisqu’elle prévoirait la possibilité, dans certaines circonstances, d’épandre des fertilisants sur des sols ayant une inclinaison de plus de 15 %, sans que soient fournies des données techniques justifiant cette divergence par
rapport aux recommandations scientifiques sur lesquelles la Commission s’était appuyée.
93 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne précise, en ce qui concerne la Communauté autonome d’Aragon, que, le 14 décembre 2022, une résolution a été adoptée qui viserait à clarifier le contenu du programme d’action de cette communauté autonome s’agissant des conditions d’épandage de fertilisants sur les sols en forte pente, en spécifiant de manière précise et détaillée les obligations et les mesures à mettre en œuvre. Selon le Royaume d’Espagne, cette résolution est conforme aux
recommandations de la Commission.
– Appréciation de la Cour
94 Il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que l’article 5, paragraphe 3, sous a), de la directive 91/676 dispose que les programmes d’action tiennent compte des données scientifiques et techniques disponibles. Ces programmes d’actions doivent contenir un certain nombre de mesures obligatoires énumérées au paragraphe 4 de cet article. Partant, aux fins de vérifier si un programme d’action donné est conforme à ces dispositions, il est nécessaire, pour la Commission, d’avoir égard aux données
scientifiques et techniques disponibles. Or, le Royaume d’Espagne ne conteste pas que l’étude scientifique, sur laquelle la Commission s’est fondée en l’espèce, fait partie des données scientifiques disponibles que cette institution devait ainsi prendre en compte.
95 Contrairement à ce que le Royaume d’Espagne fait valoir, en s’appuyant sur l’étude scientifique, la Commission n’a nullement prétendu conférer à celle-ci un caractère juridiquement contraignant ou imposé des obligations supplémentaires à cet État membre.
96 En effet, il était loisible au Royaume d’Espagne de produire d’autres études et documents scientifiques afin de réfuter les allégations de cette institution (voir, par analogie, arrêt du 21 juin 2018, Commission/Allemagne, C‑543/16, EU:C:2018:481, point 77). Or, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, le Royaume d’Espagne n’a pas fourni de telles études ou de tels documents tendant à démontrer que des conditions d’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente moins strictes que
celles visées par l’étude scientifique seraient suffisantes pour réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles et pour prévenir toute nouvelle pollution de ce type, conformément à l’objectif poursuivi par la directive 91/676, énoncé à son article 1er.
97 En deuxième lieu, il convient de relever que le Royaume d’Espagne ne conteste pas que les conditions d’épandage des fertilisants sur les sols en forte pente fixées dans les programmes d’action des communautés autonomes visées par la première branche du deuxième grief sont moins strictes que celles prévues par l’étude scientifique.
98 En troisième lieu, si le Royaume d’Espagne fait valoir que les mesures adoptées par la Communauté autonome de Castille-la-Manche étaient fondées sur les mesures prises par la Communauté autonome de Navarre que la Commission aurait considéré comme satisfaisantes, ainsi qu’il ressortirait de son avis motivé, il ne conteste pas que les mesures prises par la Communauté autonome de Castille-la-Manche sont moins strictes que celles prévues par l’étude scientifique, sans expliquer pourquoi ces mesures
moins strictes devraient être considérées comme conformes aux prescriptions de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676.
99 En quatrième et dernier lieu, dans la mesure où le Royaume d’Espagne invoque des mesures prises postérieurement à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, concernant les Communautés autonomes de Castille-et-Léon et d’Aragon, il suffit de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 75 du présent arrêt, les changements intervenus postérieurement au terme du délai fixé dans l’avis motivé ne sauraient être pris en compte par la Cour pour apprécier l’existence du
manquement considéré.
100 Il s’ensuit que la première branche du deuxième grief doit être accueillie.
Sur la deuxième branche, visant le programme d’action de la Communauté autonome d’Estrémadure
– Argumentation des parties
101 La Commission considère, dans sa requête, que trois éléments font défaut dans le programme d’action de la Communauté autonome d’Estrémadure, à savoir des mesures concernant le stockage temporaire des effluents d’élevage solides dans les champs, visées à l’annexe II, A, point 5, et à l’annexe III, paragraphe 1, point 2, de la directive 91/676, des mesures relatives au registre d’utilisation de fertilisants, visées à l’annexe II, B, point 9, et à l’annexe III, paragraphe 1, point 3, et
paragraphe 2, de cette directive, ainsi que des mesures ayant trait à la quantité maximale annuelle d’effluents d’élevage par hectare à épandre sur le sol, visées à l’annexe III, paragraphe 2, de ladite directive.
102 Dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne fait valoir que la réglementation en vigueur dans cette communauté autonome empêche le stockage temporaire des effluents d’élevage solides dans les exploitations agricoles. Ces exploitations seraient également obligées de tenir un registre à jour pour chaque culture, précisant, notamment, les dates d’épandage des fertilisants, le type de fertilisant et la quantité épandue. En tout état de cause, la Communauté autonome d’Estrémadure élaborerait un
nouveau programme d’action afin de suivre les indications de la Commission.
103 Dans son mémoire en réplique, la Commission rétorque que les règles invoquées par le Royaume d’Espagne ne suffisent pas pour assurer une mise en œuvre correcte de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676, qui exigerait que les mesures en cause soient incluses dans le programme d’action pour les zones vulnérables.
104 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne fait valoir que toutes les exploitations agricoles sont tenues de se conformer aux règles concernant le registre de l’utilisation de fertilisants et les aspects relatifs aux mesures de stockage temporaire des effluents d’élevage solides sur champ, indépendamment de leur inclusion dans le programme d’action de la Communauté autonome d’Estrémadure, étant donné qu’il s’agirait d’obligations imposées par un décret royal applicable sur l’ensemble du
territoire national.
– Appréciation de la Cour
105 Il y a lieu de constater que le Royaume d’Espagne ne conteste pas, en substance, que le programme d’action de la Communauté autonome d’Estrémadure ne contient pas les trois éléments visés au point 101 du présent arrêt, contrairement aux obligations qui découlent de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676, lu en combinaison avec les annexes II et III de cette directive.
106 En outre, dans la mesure où le Royaume d’Espagne invoque une mesure législative qui n’avait pas été adoptée à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, son argumentation doit être rejetée pour les motifs figurant au point 99 du présent arrêt.
107 Il s’ensuit que la deuxième branche du deuxième grief doit être accueillie.
Sur la troisième branche, visant le programme d’action de la Communauté de Madrid
– Argumentation des parties
108 S’agissant de la Communauté de Madrid, la Commission reproche au Royaume d’Espagne l’absence, dans le programme d’action de cette communauté, d’indications claires sur les mesures concernant le stockage temporaire des engrais solides sur les sols, visées à l’annexe II, A, point 5, et à l’annexe III, paragraphe 1, point 2, de la directive 91/676, notamment en ce qui concerne la durée maximale de stockage des effluents d’élevage sur les sols.
109 Dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne indique que le programme d’action qui était en cours d’élaboration à l’époque de l’avis motivé se trouve actuellement au stade d’approbation. Il y aurait également lieu de prendre en compte le décret royal 47/2022 relatif à la protection des eaux contre la pollution diffuse causée par les nitrates à partir de sources agricoles, visé au point 15 du présent arrêt, et un projet de décret royal relatif à la nutrition durable dans les terres
agricoles.
110 Dans son mémoire en réplique, la Commission observe que, le nouveau programme d’action de ladite communauté étant toujours en cours d’élaboration, le programme d’action antérieur reste applicable.
111 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne précise que les contrôles effectués annuellement sur les exploitations présentes dans les zones vulnérables depuis l’année 2020 incluent, en application du programme d’action en vigueur, la vérification des installations de stockage des engrais, des effluents solides et du lisier.
– Appréciation de la Cour
112 Il y a lieu de relever que le Royaume d’Espagne ne conteste pas le manquement qui lui est reproché s’agissant de la Communauté de Madrid.
113 En outre, dans la mesure où le Royaume d’Espagne invoque une mesure législative adoptée postérieurement à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, son argumentation doit être rejetée pour les motifs figurant au point 99 du présent arrêt.
114 Il s’ensuit que la troisième branche du deuxième grief et, partant, ce grief dans sa totalité doivent être accueillis.
115 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en ne prévoyant pas toutes les mesures obligatoires nécessaires dans les programmes d’action des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et d’Estrémadure ainsi que de la Communauté de Madrid, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676, lu en combinaison avec les annexes II et III de cette directive.
Sur le troisième grief, tiré de la violation de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676
116 Par son troisième grief, qui se divise en deux branches, la Commission demande, en substance, à la Cour de constater que, en ne prenant pas les mesures supplémentaires ou les actions renforcées requises en ce qui concerne la pollution par les nitrates, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676. Elle soutient que, en vertu de cette disposition, les États membres doivent, dans le cadre des programmes d’action,
prendre toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’ils estiment nécessaires si les mesures visées à l’article 5, paragraphe 4, de cette directive ne suffisent pas pour réduire la pollution et prévenir toute nouvelle pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.
Sur la première branche, visant les Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et de la région de Murcie
– Argumentation des parties
117 Par la première branche de ce grief, la Commission reproche, en substance, au Royaume d’Espagne d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 en ne prenant pas les mesures supplémentaires ou les actions renforcées requises en ce qui concerne la pollution par les nitrates s’agissant des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et de la région de Murcie.
118 La Commission considère que les données fournies par les autorités espagnoles dans le rapport 2016‑2019 montrent que, dans les quatre communautés autonomes en cause, la qualité des eaux ne s’est pas améliorée par rapport à la période précédente, ce qui indique que les mesures adoptées en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676 n’ont pas été suffisantes pour garantir la réalisation des objectifs fixés à l’article 1er de cette directive.
119 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, il ressortirait également du rapport 2016‑2019 que, premièrement, dans 56,3 % des points de mesure des eaux souterraines, les valeurs en nitrates étaient supérieures à 40 mg/l et, dans 39,1 % de ces points, ces valeurs dépassaient 50 mg/l. Or, dans le rapport 2012‑2015, la proportion de points de mesure affichant des valeurs de nitrates supérieures à 40 mg/l aurait été de 54,3 %, tandis que la proportion de points de mesure affichant des valeurs
supérieures à 50 mg/l aurait été de 42,3 %. Deuxièmement, 67,4 % des points de mesure des eaux souterraines indiquant des valeurs en nitrates supérieures à 40 mg/l révélaient une tendance stable ou à la hausse. Troisièmement, il en serait de même pour 53,8 % des points de mesure des eaux souterraines indiquant des valeurs supérieures à 50 mg/l.
120 En ce qui concerne les eaux de surface, le pourcentage de points de mesure qui indiquent des valeurs en nitrates supérieures à 40 mg/l serait passé de 7,7 % à 8 % d’une période à l’autre et le pourcentage de ces points indiquant des valeurs supérieures à 50 mg/l serait passé de 0 % à 4 %. Tous les points de mesure indiquant des valeurs en nitrates supérieures à 50 mg/l afficheraient une tendance à la hausse ou stable.
121 S’agissant de l’eutrophisation, la Communauté autonome d’Aragon n’aurait disposé que de deux points de mesure dans les zones vulnérables au cours de la période 2012‑2015, dont un aurait signalé une eutrophisation. Au cours de la période 2016‑2019, le nombre des points de mesure surveillant l’état trophique serait passé à huit, deux d’entre eux indiquant une pollution.
122 En résumé, les données relatives aux eaux souterraines ne feraient pas état d’une amélioration de la qualité de l’eau, les données relatives aux eaux de surface montreraient une détérioration de la qualité de l’eau et le faible nombre de points de mesure signalant l’eutrophisation dans les zones vulnérables rendrait difficile l’évaluation de l’évolution de l’état trophique.
123 Tout en reconnaissant que les mesures prises par la Communauté autonome d’Aragon vont dans la bonne direction, la Commission considère que, compte tenu du niveau de pollution des eaux et de l’absence d’études étayant le caractère suffisant de ces mesures, le Royaume d’Espagne continue à ne pas respecter les obligations découlant de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676, en ce qui concerne cette communauté autonome.
124 En ce qui concerne la Communauté autonome de Castille-La Manche, la proportion de points de mesure des eaux souterraines dans les zones vulnérables indiquant une concentration en nitrates supérieure à 50 mg/l aurait diminué, passant de 32 % dans le cadre du rapport 2012‑2015 à 26,3 % dans le cadre du rapport 2016‑2019. Toutefois, 57,8 % des points de mesure où une pollution des eaux souterraines aurait été constatée au cours de cette dernière période feraient état de tendances stables ou à la
hausse. En outre, le pourcentage de points de mesure des eaux de surface dans les zones vulnérables qui font état d’une eutrophisation serait passé de 35,9 % dans le rapport 2012‑2015 à 60 % dans le rapport 2016‑2019. Les autorités espagnoles auraient d’ailleurs reconnu la détérioration de la qualité de l’eau s’agissant de cette communauté autonome.
125 Compte tenu du niveau de pollution des eaux et de l’absence d’études et de données techniques étayant le caractère suffisant des mesures adoptées, le Royaume d’Espagne continuerait à ne pas respecter les obligations découlant de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 en ce qui concerne ladite communauté autonome.
126 S’agissant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon, les données transmises par les autorités espagnoles dans le rapport 2016‑2019 montreraient clairement que la situation dans les zones vulnérables ne s’est pas améliorée. Ainsi, dans ces zones, le pourcentage des points de mesure d’eaux souterraines présentant des concentrations en nitrates supérieures à 50 mg/l serait passé de 37,2 % à 43 %. En outre, plus de la moitié des points de mesure dont les concentrations de nitrates sont
supérieures à 50 mg/l afficheraient une tendance stable ou à la hausse par rapport à la période précédente.
127 Les mesures prises par les autorités espagnoles ne suffiraient pas pour mettre fin au manquement reproché au Royaume d’Espagne.
128 En ce qui concerne la Communauté autonome de la région de Murcie, les données transmises par les autorités espagnoles dans le rapport 2016‑2019 ne permettraient pas de constater que la situation dans les zones vulnérables s’est améliorée par rapport aux données ressortant du rapport 2012‑2015. En effet, bien que le pourcentage de points de mesure des eaux souterraines déclarant des valeurs en nitrates supérieures à 50 mg/l dans ces zones ait diminué, passant de 62,5 % à 57,4 %, le pourcentage de
points de mesure des eaux de surface déclarant des valeurs supérieures à 50 mg/l dans les zones vulnérables aurait augmenté, passant de 10 % à 15,6 %.
129 La Commission reconnaît que ladite communauté autonome a adopté plusieurs mesures supplémentaires. Ces mesures seraient toutefois insuffisantes pour atteindre les objectifs de la directive 91/676, comme le démontreraient également l’ampleur et la gravité des événements de la crise d’anoxie au cours de l’année 2019 et de la fin de l’été 2021.
130 Dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne conteste l’argumentation de la Commission, en faisant valoir que l’obligation imposée par l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 n’est pas une obligation de résultat. Il s’agirait au contraire d’une obligation de prendre des mesures pour atteindre les objectifs énoncés à l’article 1er de cette directive. Or, des mesures supplémentaires et des actions renforcées auraient bien été prises dans les Communautés autonomes d’Aragon, de
Castille-La Manche, de Castille-et-León et de la région de Murcie pour atteindre les objectifs énoncés à l’article 1er de ladite directive.
131 En outre, l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 exigerait l’adoption des mesures que les États membres « estiment nécessaires » pour atteindre les objectifs visés à l’article 1er de cette directive. Cela supposerait que le résultat des mesures en vigueur ait pu être examiné au préalable, afin de prendre de nouvelles mesures « à la lumière de l’expérience acquise », ainsi que le prévoirait l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive. Or, cela exigerait nécessairement et
inévitablement qu’un certain laps de temps se soit écoulé. Ainsi que l’indiquerait le treizième considérant de la même directive, il ne serait pas exclu qu’il faille de nombreuses années pour que les mesures de protection entraînent une amélioration de la qualité des eaux.
132 De plus, il ressortirait de l’article 5, paragraphe 7, de la directive 91/676 que, tous les quatre ans au moins, les États membres devraient réexaminer et, le cas échéant, réviser leurs programmes d’action, y compris toute mesure supplémentaire prise en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive. De même, conformément à l’article 10 de celle-ci, les États membres seraient tenus de soumettre à la Commission, tous les quatre ans, un rapport contenant les informations visées à
l’annexe V de ladite directive et portant, notamment, sur toute mesure supplémentaire ou action renforcée prise en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la même directive. Les États membres devraient, dans le cadre de ce rapport, se prononcer, d’une part, sur les délais approximatifs dans lesquels ils estiment que les eaux définies conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676 devraient réagir aux mesures prévues dans le programme d’action et, d’autre part, sur une indication
du degré d’incertitude que présentent ces estimations. Il serait donc inexact d’affirmer, comme le ferait la Commission, que les mesures ou actions prévues à l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive n’auraient pas été adoptées.
133 Enfin, l’adoption de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées dans le cadre des programmes d’action ne serait que l’une des actions possibles que les autorités compétentes peuvent entreprendre pour atteindre les objectifs définis par la directive 91/676.
134 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, il serait contradictoire de reprocher aux autorités espagnoles de ne pas avoir pris de mesures supplémentaires tout en admettant que la proportion de points de mesure des eaux souterraines affichant des valeurs en nitrates supérieures à 50 mg/l a diminué. En outre, il ne saurait être admis que des points de mesure dans lesquels des valeurs en nitrates inférieures à 50 mg/l ont été relevées soient invoqués, comme le ferait la Commission, pour établir
la nécessité de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées. Partant, il y aurait bel et bien eu une amélioration de la qualité de l’eau dans cette communauté autonome.
135 En outre, la Commission reconnaîtrait que l’un des deux actes législatifs pris par la Communauté autonome d’Aragon à cet égard contribue à éviter une accélération de l’augmentation de la pollution et que l’autre limite l’ouverture de nouvelles exploitations et pourrait avoir des effets positifs pour réduire la teneur en azote.
136 En ce qui concerne la Communauté autonome de Castille-La-Manche, celle-ci serait en train de renforcer ses mécanismes de contrôle dans le but d’atteindre les objectifs définis par la directive 91/676. Le renforcement des mesures incluses dans les programmes d’action de cette communauté autonome ne devrait être entrepris que lorsqu’il est prouvé que ces mesures ne suffisent pas à réduire la pollution.
137 S’agissant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon, le Royaume d’Espagne soutient que les mesures nécessaires ont été mises en place par un décret de cette communauté autonome, adopté en 2018 et déterminant les conditions environnementales minimales pour l’exercice des activités ou des installations d’élevage situées sur son territoire. En tout état de cause, ladite communauté autonome aurait approuvé, en 2022, un nouveau programme d’action qui prévoirait de nouvelles mesures visant à
prévenir et, le cas échéant, à réduire la pollution des eaux par les nitrates à partir de sources agricoles.
138 En ce qui concerne la Communauté autonome de la région de Murcie, le Royaume d’Espagne fait valoir que les événements de la crise d’anoxie au cours de l’année 2019 et à la fin de l’été 2021, auxquels la Commission fait référence dans sa requête, sont postérieurs et étrangers aux reproches formulés dans le cadre de la phase administrative de la procédure de manquement. La Commission ne saurait donc fonder son grief sur de tels faits.
139 Sur le fond, en adoptant une série de programmes et d’actes législatifs, y compris, en dernier lieu, une loi du 27 juillet 2020 relative à la restauration et à la protection de la mer Mineure, la Communauté autonome de la région de Murcie se serait conformée aux obligations découlant de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676. Le Royaume d’Espagne fait également référence à un plan d’inspection des exploitations agricoles pour la période 2020 – 2021, approuvé par un arrêté adopté au
mois de septembre 2020, et à plusieurs autres actes législatifs adoptés le 27 août 2021, le 6 septembre 2021, le 13 avril 2022 et le 14 juillet 2022.
140 Dans son mémoire en réplique, la Commission soutient que la jurisprudence de la Cour s’oppose à l’argument du Royaume d’Espagne, avancé dans son mémoire en défense, selon lequel il est nécessaire qu’un certain laps de temps s’écoule pour apprécier le résultat à long terme des mesures adoptées par l’État membre concerné. En outre, un tel argument priverait l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 de tout effet utile.
141 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, contrairement à ce que le Royaume d’Espagne aurait fait valoir, la situation dans les zones vulnérables dépendant de celle-ci ne se serait pas améliorée au cours de la période 2016‑2019 par rapport à la période 2012‑2015. En ce qui concerne l’évaluation des mesures prises par cette communauté autonome, la Commission se réfère aux conclusions qu’elle a présentées dans sa requête.
142 En ce qui concerne la Communauté autonome de Castille-La-Manche, le Royaume d’Espagne ne contesterait pas que la situation dans les zones vulnérables dépendant de celle-ci ne s’est pas non plus améliorée au cours de la période 2016‑2019 par rapport à la période 2012‑2015. L’argument de cet État membre selon lequel des mesures supplémentaires ou des actions renforcées ne devraient être mises en œuvre que lorsqu’il est évident que les mesures actuelles du programme d’action sont insuffisantes ne
serait pas fondé. L’obligation d’adopter des mesures supplémentaires ou des actions renforcées prévue à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 naîtrait dès qu’il est constaté au cours d’une période donnée que la qualité des eaux ne s’est pas améliorée par rapport à la période précédente, sans qu’il soit nécessaire de prouver l’inefficacité des mesures déjà adoptées.
143 S’agissant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon, le Royaume d’Espagne ne contesterait pas que la situation dans les zones vulnérables dépendant de celle-ci ne s’est pas améliorée au cours de la période 2016‑2019 par rapport à la période 2012‑2015. S’agissant du décret de 2018 visé au point 137 du présent arrêt, celui-ci ne saurait suppléer au réexamen du programme d’action. En ce qui concerne l’arrêté de 2022 de cette communauté autonome visé au même point, il suffirait de relever qu’il
serait intervenu après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.
144 En ce qui concerne la Communauté autonome de la région de Murcie, la Commission souligne que le grief tiré de la violation de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 est fondé, s’agissant de cette communauté autonome, sur les données présentées par le Royaume d’Espagne relatives à la qualité de l’eau, lesquelles démontrent l’existence de problèmes d’eutrophisation et prouvent que les mesures adoptées par ladite communauté autonome en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de cette
directive n’ont pas amélioré la situation. Ces données seraient exposées de manière claire dans la requête et le Royaume d’Espagne n’aurait pas contesté leur bien-fondé dans son mémoire en défense.
145 En outre, la Commission rappelle que, dans sa requête, elle a souligné le fait que cette situation s’est poursuivie bien après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, ce qui confirmerait que les mesures en vigueur à l’expiration de ce délai n’étaient pas suffisantes pour atteindre les objectifs définis par la directive 91/676. Les éléments factuels avancés par cette institution s’agissant de la crise d’anoxie au cours de l’année 2019 et à la fin de l’été 2021 illustreraient cette
persistance. Toutefois, il ne s’agirait pas du seul élément de preuve fourni par la Commission. En effet, la Commission aurait également énuméré dans sa requête un certain nombre de documents officiels émanant des autorités espagnoles dans lesquels ces dernières auraient reconnu la détérioration de la qualité de l’eau et, partant, l’insuffisance des mesures adoptées au niveau de la Communauté autonome de la région de Murcie.
146 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne fait valoir qu’il faudrait tenir compte, outre des mesures prises par les communautés autonomes concernées, des réglementations adoptées entretemps sur le plan national. À cet égard, il fait référence à plusieurs actes législatifs adoptés au cours de l’année 2022.
147 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, le Royaume d’Espagne souligne que la Commission reconnaît elle-même que les mesures adoptées par cette communauté autonome vont dans la bonne direction.
148 En ce qui concerne la Communauté autonome de Castille-La-Manche, la Commission persisterait, à tort, à exiger des résultats immédiats.
149 S’agissant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon, le Royaume d’Espagne rappelle les mesures visées au point 137 du présent arrêt.
150 En ce qui concerne la Communauté autonome de la région de Murcie, le Royaume d’Espagne fait valoir que des mesures ont été prises conformément aux exigences de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676. En outre, la Commission aurait elle-même reconnu que l’adoption de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées dans le cadre des programmes d’action ne serait que l’une des actions possibles que les autorités compétentes peuvent entreprendre pour atteindre les objectifs de cette
directive.
– Appréciation de la Cour
151 En vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676, les États membres prennent, dans le cadre des programmes d’action, toutes les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’ils estiment nécessaires, s’il s’avère, dès le début ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action, que les mesures obligatoires visées au paragraphe 4 de cet article ne suffiront pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er de cette directive.
152 En outre, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1er de la directive 91/676, celle-ci vise à réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles et à prévenir toute nouvelle pollution de ce type.
153 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour établir que les mesures obligatoires visées à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676 ne suffisent pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er de cette directive, il suffit que la Commission démontre que la qualité des eaux ne s’est pas améliorée, en comparaison avec la période précédente (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Commission/Allemagne, C‑543/16, EU:C:2018:481, points 55, 56, 59 et 71).
154 Les États membres doivent prendre les mesures supplémentaires ou les actions renforcées, visées à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676, dès le début du premier programme d’action ou à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action et donc dès la première constatation de leur besoin (arrêt du 21 juin 2018, Commission/Allemagne, C‑543/16, EU:C:2018:481, point 53 et jurisprudence citée).
155 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de vérifier si le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations découlant de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676.
156 En premier lieu, il y a lieu de constater que les éléments invoqués par cet État membre ne permettent pas de remettre en cause les données chiffrées contenues dans les rapports qu’il a transmis sur lesquelles s’appuie la Commission, attestant que la qualité de l’eau ne s’est pas améliorée au cours de la période 2016‑2019 par rapport à la période 2012‑2015 dans les Communautés autonomes de Castille-La Manche, de Castille-et-Léon et de la région de Murcie.
157 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, il est vrai que le Royaume d’Espagne fait valoir que la Commission ne pouvait pas se fonder, en ce qui concerne les eaux souterraines, sur le résultat des prélèvements effectués dans les points de mesure où des valeurs en nitrates inférieures à 50 mg/l ont été constatées et que la proportion de points de mesure affichant des valeurs en nitrates supérieures à 50 mg/l a diminué de 42,3 % durant la période 2012‑2015 à 39,1 % durant la période
2016‑2019. Ce faisant, le Royaume d’Espagne ne conteste toutefois que deux des trois constats mentionnés au point 119 du présent arrêt, sur le fondement desquels la Commission a conclu que la qualité des eaux souterraines ne s’est pas améliorée dans la Communauté autonome d’Aragon. En revanche, il ne conteste ni l’autre constat invoqué par la Commission à cet égard, selon lequel dans 53,8 % des points de mesure des eaux souterraines où des valeurs en nitrates supérieures à 50 mg/l ont été
constatées, ces valeurs évoluent selon une tendance stable ou à la hausse, ni les constats sur lesquels la Commission s’est fondée s’agissant des eaux de surface.
158 Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que la Commission a établi que la qualité des eaux dans cette communauté autonome ne s’est pas améliorée au cours de la période 2016‑2019, en comparaison avec la période précédente.
159 En deuxième lieu, s’il ressort de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 que les mesures supplémentaires ou actions renforcées visées par cette disposition peuvent être prises « à la lumière de l’expérience acquise lors de la mise en œuvre des programmes d’action », il n’en reste pas moins que, selon ladite disposition, ces mesures supplémentaires ou actions renforcées peuvent également être prises « dès le début » de cette mise en œuvre et que, en tout état de cause, et conformément
à la jurisprudence citée au point 154 du présent arrêt, lesdites mesures supplémentaires ou actions renforcées doivent être prises dès la première constatation de leur besoin. Il s’ensuit que l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel des mesures supplémentaires ou des actions renforcées ne devraient être adoptées qu’après un certain temps, après qu’il a été constaté que les mesures existantes ne suffisent pas, doit être rejeté. En effet, une telle interprétation viderait largement
l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 de son effet utile et compromettrait les objectifs de cette directive, tels que définis à l’article 1er de celle-ci.
160 Il en va de même de l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676, en prévoyant que les États membres doivent prendre les mesures supplémentaires ou actions renforcées « qu’ils estiment nécessaires », supposerait que le résultat des mesures en vigueur ait pu être examiné au préalable, afin de prendre de nouvelles mesures à la lumière de l’expérience acquise.
161 Par ailleurs, contrairement à ce que le Royaume d’Espagne fait valoir, les obligations incombant aux États membres au titre de l’article 5, paragraphe 5, de de la directive 91/676 ne sauraient être remises en cause ni du fait de l’existence des autres obligations mises à leur charge en vertu de l’article 5, paragraphe 7, et de l’article 10 de cette directive, ni par les considérations énoncées au treizième considérant de celle-ci. En effet, ces dernières obligations et ces considérations ne
sauraient dispenser les États membres de remplir les obligations qui leur incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive.
162 De même, l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel l’adoption de mesures supplémentaires ou d’actions renforcées dans le cadre des programmes d’action ne serait que l’une des actions possibles que les États membres peuvent entreprendre pour atteindre les objectifs de la directive 91/676 doit être écarté, dès lors que ceux-ci n’en demeurent pas moins tenus d’assumer les obligations leur incombant au titre de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676.
163 En troisième lieu, s’agissant de la question de savoir si le Royaume d’Espagne a pris les mesures supplémentaires ou actions renforcées qu’il était obligé d’adopter, s’agissant des quatre communautés autonomes en cause, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 que ces mesures ou actions doivent être prises lorsque les mesures obligatoires visées à article 5, paragraphe 4, de cette directive ne suffisent pas pour atteindre les objectifs définis à
l’article 1er de celle-ci. Il s’ensuit que, contrairement à ce que le Royaume d’Espagne soutient, il ne suffit pas, pour considérer qu’un État membre s’est acquitté des obligations découlant de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive, qu’il ait adopté des mesures supplémentaires ou des actions renforcées. En effet, pour considérer qu’il a été satisfait aux exigences énoncées à cette disposition, il est en outre nécessaire que ces actions supplémentaires ou actions renforcées suffisent
pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er de la directive 91/676, à savoir réduire la pollution des eaux provoquée ou induite par les nitrates à partir de sources agricoles et prévenir toute nouvelle pollution de ce type.
164 S’agissant de la Communauté autonome d’Aragon, s’il est vrai que la Commission a reconnu que les mesures prises par cette communauté autonome allaient dans la bonne direction, elle a également souligné, à juste titre, que le Royaume d’Espagne n’avait pas fourni d’études ni d’éléments circonstanciés démontrant que ces mesures seraient suffisantes pour atteindre les objectifs définis par la directive 91/676.
165 Quant aux réglementations adoptées entretemps sur le plan national, auxquelles le Royaume d’Espagne a fait référence dans son mémoire en duplique et qui sont censées améliorer non seulement la situation de ladite communauté autonome, mais également celle des trois autres communautés autonomes concernées par la première branche du troisième grief, il convient de relever que ces réglementations ont été adoptées au cours de l’année 2022, soit après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. Or,
conformément à la jurisprudence citée au point 75 du présent arrêt, les changements intervenus postérieurement au terme du délai fixé dans l’avis motivé ne sauraient être pris en compte par la Cour pour apprécier l’existence du manquement considéré.
166 En ce qui concerne la Communauté autonome de Castille-La-Manche, le Royaume d’Espagne se limite à faire valoir que le renforcement des mesures incluses dans les programmes d’action de cette communauté autonome ne devrait être entrepris que s’il devait être établi que ces mesures ne suffisent pas à réduire la pollution aux nitrates. Or, pour les motifs figurant au point 159 du présent arrêt, une telle argumentation ne saurait justifier qu’un État membre ne s’acquitte pas de ses obligations
découlant de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676.
167 S’agissant de la Communauté autonome de Castille-et-Léon, ainsi qu’il ressort du point 137 du présent arrêt, le Royaume d’Espagne se limite à faire état de l’adoption, par cette communauté autonome, d’une part, au cours de l’année 2018, d’un décret déterminant les conditions environnementales minimales pour l’exercice des activités ou des installations d’élevage situées sur son territoire et, d’autre part, au cours de l’année 2022, d’un arrêté approuvant un nouveau programme d’action qui
prévoirait de nouvelles mesures visant à prévenir et, le cas échéant, à réduire la pollution des eaux par les nitrates à partir de sources agricoles. Or, d’une part, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, l’adoption d’un tel décret n’est pas de nature à libérer le Royaume d’Espagne de son obligation de veiller au réexamen du programme d’action de cette communauté autonome qui lui incombait au titre de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676. D’autre part, pour ce qui est de
l’arrêté adopté par ladite communauté autonome au cours de l’année 2022, il suffit de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 75 du présent arrêt, les changements intervenus postérieurement au terme du délai fixé dans l’avis motivé ne sauraient être pris en compte par la Cour aux fins de l’appréciation du présent manquement.
168 En ce qui concerne, enfin, la Communauté autonome de la région de Murcie, s’il est vrai que, dans sa requête, la Commission a fait référence à des événements ayant eu lieu en 2019 et en 2021, et donc à des faits qui n’étaient pas visés par la phase administrative de la procédure, cette institution a expliqué, sans être contredite à cet égard par le Royaume d’Espagne, qu’elle avait mentionné ces faits dans sa requête afin d’illustrer que les mesures qui avaient été adoptées par les autorités
espagnoles à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé n’étaient pas suffisantes. En tout état de cause, il convient de relever que la loi mentionnée au point 139 du présent arrêt, adoptée le 27 juillet 2020, reconnaît explicitement que les mesures du programme d’action existant à l’époque ne suffisaient pas pour prévenir et corriger la pollution par les nitrates dans la masse d’eau souterraine dans une certaine région de cette communauté autonome. En outre, le Royaume d’Espagne ne
conteste pas le constat de la Commission, figurant dans son mémoire en réplique, selon lequel il ressortait expressément du nouveau programme d’action qui était en préparation à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé que d’autres mesures supplémentaires et actions renforcées étaient encore nécessaires.
169 Il s’ensuit que la première branche du troisième grief doit être accueillie.
170 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en ne prenant pas les mesures supplémentaires ou les actions renforcées requises en ce qui concerne la pollution par les nitrates s’agissant des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et de la région de Murcie, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676.
Sur la seconde branche, tirée de ce que le Royaume d’Espagne n’a pas adopté les mesures adéquates pour remédier à l’eutrophisation sur l’ensemble de son territoire
– Argumentation des parties
171 Par la seconde branche de son troisième grief, la Commission soutient, en substance, que le Royaume d’Espagne n’a pas adopté les mesures supplémentaires ou les actions renforcées requises par l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 pour remédier à l’eutrophisation sur l’ensemble de son territoire, alors que les données disponibles établissaient que les mesures prévues dans les programmes d’action n’étaient pas suffisantes pour réduire et prévenir la pollution.
172 Il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676, lu en combinaison avec l’annexe I, A, points 2 et 3, de celle-ci, doit être interprété en ce sens que des eaux doivent être considérées comme étant atteintes par la pollution, notamment, lorsque les lacs naturels d’eau douce, les autres masses d’eau douce, les estuaires, les eaux côtières et marines ont subi une eutrophisation. Par conséquent, en pareille hypothèse, les États membres seraient
tenus d’adopter les mesures visées à l’article 5 de ladite directive, à savoir les programmes d’action, et, si nécessaire, les mesures supplémentaires et les actions renforcées pour tenter de remédier à cette forme de pollution.
173 Bien que, dans leurs réponses à l’avis motivé, les autorités espagnoles aient fait valoir que l’état trophique des eaux s’était amélioré au cours de la période 2012‑2015 par rapport à la période 2008‑2011, la Commission est d’avis qu’une telle argumentation ne saurait prospérer. En effet, si le pourcentage des points de mesure où une eutrophisation a été constatée est passé de 0,32 % à 0,29 %, la légère amélioration qui serait ainsi constatée se fonderait sur un échantillon moins important
(429 points de mesure pour la période 2012‑2015 contre 476 points de mesure pour la période 2008‑2011), de sorte qu’elle n’illustrerait pas la situation réelle. La sous-estimation du problème de l’eutrophisation qui résulterait des données fournies par les autorités espagnoles s’expliquerait, en particulier, par l’exclusion des rivières de l’examen de l’eutrophisation dans le rapport 2012‑2015. Or, cette exclusion ne serait pas conforme à la directive 91/676.
174 En raison d’un changement de méthodologie, les données fournies dans le rapport 2016‑2019 ne pourraient pas non plus être utilisées pour démontrer une amélioration s’agissant de l’eutrophisation. En effet, dans ce rapport, 68 points de mesure présentant une eutrophisation ou un risque d’eutrophisation auraient été supprimés par rapport à la période précédente.
175 La Commission considère donc que les données disponibles et présentées dans sa requête confirment que le problème de l’eutrophisation ne s’est pas amélioré, de sorte que les autorités espagnoles étaient tenues d’adopter des mesures supplémentaires ou des actions renforcées à cet égard. Or, le Royaume d’Espagne aurait omis de s’acquitter de cette obligation.
176 Dans son mémoire en défense, le Royaume d’Espagne soutient que la Commission n’a pas établi le manquement qui lui est reproché. Toute l’argumentation de la Commission reposerait sur l’exclusion, par cet État membre, des rivières de l’examen effectué en vue d’identifier les situations d’eutrophisation sur son territoire. Or, cette institution se bornerait à prétendre que cette exclusion pourrait avoir pour conséquence que l’étendue du phénomène d’eutrophisation sur le territoire espagnol serait
sous-estimée dans les rapports qui lui sont adressés, sans produire les données nécessaires pour que la Cour puisse vérifier l’existence du manquement allégué.
177 Par ailleurs, il ressortirait du rapport 2016‑2019 que l’eutrophisation touchant les eaux intérieures aurait été évaluée sur la base de 468 points de mesure et 23,3 % de ces derniers auraient révélé une telle forme de pollution. Si l’on étendait ce constat à l’ensemble des eaux surveillées en Espagne, le chiffre passerait à 172 points de mesure où un phénomène d’eutrophisation aurait été constaté sur un total de 1024 points de mesure, soit 16,8 % du total mesuré, ce qui ne permettrait pas de
conclure, malgré l’importance de ce problème, qu’il était nécessaire de prendre des mesures supplémentaires ou des actions renforcées à cet égard.
178 En tout état de cause, conformément à l’annexe I, point B, de la directive 91/676, il conviendrait de tenir compte, en vue de la réalisation des objectifs définis par cette directive, des caractéristiques physiques et environnementales des eaux et des terres ainsi que des connaissances actuelles concernant le comportement des composés azotés dans l’environnement. Or, les rivières espagnoles seraient sujettes à d’importantes variations saisonnières, de telle sorte que le niveau de renouvellement
des eaux serait élevé et que les situations d’eutrophisation ne persisteraient pas dans le temps.
179 Dans son mémoire en réplique, la Commission fait valoir que les données scientifiques disponibles recommandent de ne pas exclure les rivières de l’analyse de l’état trophique des masses d’eau en Espagne, étant donné que la croissance des algues et les floraisons de cyanobactéries peuvent se produire dans ces rivières et y subsister pendant des mois, au moins dans les parties des rivières où le débit est le plus lent.
180 Dans son mémoire en duplique, le Royaume d’Espagne soutient que, dans son mémoire en réplique, la Commission a reconnu qu’une eutrophisation ne se produirait pas dans toutes les rivières. Or, ce serait précisément ce que le Royaume d’Espagne aurait fait valoir de manière étayée dans son mémoire en défense.
– Appréciation de la Cour
181 La Cour a déjà jugé qu’il découle d’une lecture combinée de l’article 3, paragraphe 1, et de l’annexe I, A, points 2 et 3, de la directive 91/676 que des eaux doivent être considérées comme étant atteintes par la pollution non seulement lorsque les eaux souterraines ont une teneur en nitrate supérieure à 50 mg/l, mais aussi, notamment, lorsque les lacs naturels d’eau douce, les autres masses d’eau douce, les estuaires, les eaux côtières et marines ont subi une eutrophisation (arrêt du
21 juin 2018, Commission/Allemagne, C‑543/16, EU:C:2018:481, point 60). Par conséquent, en cas d’eutrophisation, les États membres sont tenus d’adopter les mesures visées à l’article 5 de ladite directive, à savoir les programmes d’action et, si nécessaire, les mesures supplémentaires et les actions renforcées, pour remédier à une telle situation.
182 Il y a toutefois lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 153 du présent arrêt, la Commission doit démontrer, pour établir que les mesures obligatoires visées à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/676 ne suffisent pas pour atteindre les objectifs définis à l’article 1er de cette directive, que la qualité des eaux au cours d’une période donnée ne s’est pas améliorée, en comparaison avec la période précédente. Étant donné que, par la seconde branche de son
troisième grief, la Commission reproche au Royaume d’Espagne de ne pas avoir adopté les mesures requises par l’article 5, paragraphe 5, de cette directive pour remédier aux situations d’eutrophisation présentes sur l’ensemble de son territoire, il incombe à cette institution de démontrer que la qualité des eaux ne s’est pas améliorée, s’agissant de l’eutrophisation, d’une période à l’autre.
183 Or, en espèce, la Commission n’a pas établi une telle absence d’amélioration. En effet, d’une part, cette institution reconnaît que, selon le rapport 2012‑2015, une légère amélioration a été constatée par rapport à la période 2008‑2011, le pourcentage des points de mesure où une eutrophisation a été constatée étant passé de 0,32 % à 0,29 %. D’autre part, la Commission n’a pas démontré que la situation ne s’était pas améliorée, s’agissant de l’eutrophisation, au cours de la période 2016‑2019 par
rapport à la période 2012‑2015, aucune donnée concrète n’ayant été mise en avant par cette institution à cet égard.
184 Il est vrai que la Commission fait valoir, sans être contredite par le Royaume d’Espagne, que les données figurant dans le rapport 2012‑2015 se fondent sur un échantillon de masse d’eau moindre que celui pris en compte dans le rapport communiqué à la Commission par les autorités espagnoles, conformément à l’article 10 de la directive 91/676, et contenant les informations visées à l’annexe V de cette directive concernant la période 2008‑2011, les rivières ayant été exclues de la méthodologie
visant à identifier les situations d’eutrophisation. La Commission soutient en outre, sans non plus être contredite par le Royaume d’Espagne, que, dans le rapport 2016‑2019, 68 points de mesure dans lesquels une eutrophisation ou un risque d’eutrophisation avait été constaté au cours de la période précédente ont été supprimés.
185 À cet égard, il y a lieu de considérer que le fait, pour un État membre, de ne pas prendre en considération les rivières pour identifier les situations d’eutrophisation présentes sur son territoire est susceptible de constituer un manquement à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676, lu en combinaison avec l’annexe I, A, point 3, de celle-ci, dont il résulte que des eaux doivent être considérées comme étant atteintes par la pollution lorsque « les lacs naturels d’eau douce, les autres
masses d’eau douce, les estuaires, les eaux côtières et marines » ont subi une eutrophisation. En effet, les rivières doivent être considérées comme des « autres masses d’eau douce », au sens de cette disposition. En outre, s’agissant de la suppression de points de mesure dans lesquels une eutrophisation ou un risque d’eutrophisation a été constaté au cours de la période précédente, il convient de rappeler que les États membres sont tenus de procéder correctement et complètement à la
surveillance et au réexamen des eaux, notamment conformément à l’article 6, paragraphe 1, sous a) à c), de cette directive. Par ailleurs, en vertu de l’article 5, paragraphe 6, de ladite directive, les États membres élaborent et mettent en œuvre des programmes de surveillance adéquats pour évaluer l’efficacité des programmes d’action qu’ils ont établis.
186 Toutefois, force est de constater que, en l’espèce, la Commission ne fait pas grief au Royaume d’Espagne d’avoir manqué à ses obligations au titre de de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/676, lu en combinaison avec l’annexe I, A, point 3, de celle-ci. Cette institution ne fonde pas non plus un tel grief sur l’article 5, paragraphe 6, de cette directive, ni sur l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, ni sur l’article 10 de la même directive, lu en combinaison avec l’annexe V,
point 3, de celle-ci, qui prévoit que les États membres informent la Commission, notamment, des résultats de la surveillance exercée en vertu de l’article 6 de la directive 91/676.
187 Il convient donc de rejeter la seconde branche du troisième grief comme étant non fondée.
188 Il résulte de l’ensemble des motifs qui précèdent que :
– en ne désignant pas comme zones vulnérables dans la Communauté autonome des Îles Baléares, dans la Communauté de Madrid et dans la Communauté valencienne les zones de captage correspondant à chacun des points de mesure pollués suivants :
– Communauté autonome des Îles Baléares : 1801M1T 1, ES 53M0137, ES 53M1123 et ES 53M1205,
– Communauté de Madrid : TA 53306008, et
– Communauté valencienne : JU210, JU209 et JU202 ;
– en ne prévoyant pas toutes les mesures obligatoires nécessaires dans les programmes d’action des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et d’Estrémadure ainsi que de la Communauté de Madrid, et
– en ne prenant pas les mesures supplémentaires ou les actions renforcées requises en ce qui concerne la pollution par les nitrates s’agissant des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et de la région de Murcie,
le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676, de l’article 5, paragraphe 4, de cette directive, lu en combinaison avec les annexes II et III de celle-ci, et de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive.
Sur les dépens
189 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
190 En vertu de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.
191 En l’espèce, la Commission et le Royaume d’Espagne ayant chacun succombé sur certains griefs, ils supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :
1) – En ne désignant pas comme zones vulnérables dans la Comunidad Autónoma de las Islas Baleares (Communauté autonome des Îles Baléares, Espagne), dans la Comunidad de Madrid (Communauté de Madrid, Espagne) et dans la Comunidad Valenciana (Communauté valencienne, Espagne) les zones de captage d’eau par ruissellement (eaux de surface) ou par infiltration (eaux souterraines) correspondant à chacun des points de mesure pollués suivants :
– Communauté autonome des Îles Baléares : 1801M1T 1, ES 53M0137, ES 53M1123 et ES 53M1205,
– Communauté de Madrid : TA 53306008, et
– Communauté valencienne : JU210, JU209 et JU202 ;
– en ne prévoyant pas toutes les mesures obligatoires nécessaires dans les programmes d’action de la Comunidad Autónoma de Aragón (Communauté autonome d’Aragon, Espagne), de la Comunidad Autónoma de Castilla-La Mancha (Communauté autonome de Castille-La Manche, Espagne), de la Comunidad de Castilla y León (Communauté autonome de Castille-et-León, Espagne), de la Comunidad Autónoma de Extremadura (Communauté autonome d’Estrémadure, Espagne) ainsi que de la Communauté de Madrid, et
– en ne prenant pas les mesures supplémentaires ou les actions renforcées requises en ce qui concerne la pollution par les nitrates s’agissant des Communautés autonomes d’Aragon, de Castille-La Manche, de Castille-et-León et de la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia (Communauté autonome de la région de Murcie, Espagne),
le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1137/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, de l’article 5, paragraphe 4, de cette directive, telle que modifiée, lu en combinaison avec les annexes II et III de
celle-ci, et de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive, telle que modifiée.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La Commission européenne et le Royaume d’Espagne supportent leurs propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.