ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
8 mai 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 73 – Livraisons de biens et prestations de services – Apport en nature d’immeubles – Base d’imposition – Contrepartie – Actions – Valeur nominale – Valeur d’émission »
Dans l’affaire C‑241/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 24 février 2023, parvenue à la Cour le 18 avril 2023, dans la procédure
P. sp. z o.o.
contre
Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Warszawie,
en présence de :
Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de juge de la septième chambre, et Mme M. L. Arastey Sahún, juge,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour P. sp. z o.o., par M. J. Martini, doradca podatkowy,
– pour Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Warszawie, par Me J. Kazimierczak, radca prawny,
– pour Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców, par Me P. Chrupek, radca prawny,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. M. Herold et Mme U. Małecka, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 73 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de
l’énergie atomique (JO 2012, L 112, p. 21) (ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant P. sp. z o.o. au Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Warszawie (directeur de la chambre de l’administration fiscale de Varsovie, Pologne) (ci-après l’« autorité d’appel ») au sujet du refus par cette autorité de prendre en compte la déduction opérée par cette société des montants de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) figurant sur les factures émises par W. et par B. au titre d’apports d’immeubles effectués par ces sociétés au
capital de P.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 73 de la directive TVA dispose :
« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »
4 L’article 74 de cette directive prévoit :
« Pour les opérations de prélèvement ou d’affectation par un assujetti d’un bien de son entreprise ou de détention de biens par un assujetti ou par ses ayants droit en cas de cessation de son activité économique imposable, visées aux articles 16 et 18, la base d’imposition est constituée par le prix d’achat des biens ou de biens similaires ou, à défaut de prix d’achat, par le prix de revient, déterminés au moment où s’effectuent ces opérations. »
5 L’article 80 de ladite directive est libellé comme suit :
« 1. Afin de prévenir la fraude ou l’évasion fiscales, les États membres peuvent prendre des mesures pour que, pour les livraisons de biens et les prestations de services à des bénéficiaires avec lesquels il existe des liens familiaux ou d’autres liens personnels étroits, des liens organisationnels, de propriété, d’affiliation, financiers ou juridiques tels que définis par l’État membre, la base d’imposition soit constituée par la valeur normale de l’opération dans les cas suivants :
a) lorsque la contrepartie est inférieure à la valeur normale et que le destinataire de la livraison ou de la prestation n’a pas le droit de déduire entièrement la TVA en vertu des articles 167 à 171 et des articles 173 à 177 ;
b) lorsque la contrepartie est inférieure à la valeur normale et que le fournisseur ou prestataire n’a pas le droit de déduire entièrement la TVA en vertu des articles 167 à 171 et des articles 173 à 177 et que la livraison ou la prestation fait l’objet d’une exonération en vertu des articles 132, 135, 136, 371, 375, 376 et 377, de l’article 378, paragraphe 2, de l’article 379, paragraphe 2, et des articles 380 à 390 quater ;
c) lorsque la contrepartie est supérieure à la valeur normale et que le fournisseur ou prestataire n’a pas le droit de déduire entièrement la TVA en vertu des articles 167 à 171 et des articles 173 à 177.
Aux fins du premier alinéa, les liens juridiques peuvent inclure la relation établie entre un employeur et un salarié, la famille du salarié ou d’autres personnes qui lui sont proches.
2. Lorsqu’ils font usage de la faculté prévue au paragraphe 1, les États membres peuvent définir les catégories de fournisseurs, prestataires, acquéreurs ou preneurs auxquelles les mesures s’appliquent.
[...] »
Le droit polonais
6 L’article 29a de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004 (Dz. U. de 2011, no 177, position 1054), telle que modifiée (ci-après la « loi sur la TVA »), prévoit, à son paragraphe 1 :
« Sous réserve des paragraphes 2 à 5, des articles 30a à 30c, de l’article 32, de l’article 119 ainsi que de l’article 120, paragraphes 4 et 5, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir, de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, par le fournisseur ou le prestataire au titre de la vente, y compris les dotations, les subventions et autres versements supplémentaires de même nature reçus par le fournisseur ou le prestataire, ayant une incidence
directe sur le prix des biens livrés ou des services fournis par l’assujetti. »
7 L’article 86, paragraphe 1, de cette loi dispose :
« Dans la mesure où les biens et services sont utilisés aux fins d’opérations imposables, l’assujetti visé à l’article 15 bénéficie d’un droit à déduction, sous réserve de l’article 114, de l’article 119, paragraphe 4, de l’article 120, paragraphes 17 et 19, ainsi que de l’article 124. »
8 L’article 88 de ladite loi est libellé comme suit :
« 3a. Les factures et documents douaniers ne peuvent pas servir de base à la réduction de la taxe due, au remboursement de l’excédent de taxe ou au remboursement de la taxe en amont lorsque :
[...]
4) les factures émises, les factures rectificatives ou les documents douaniers :
[...]
(b) indiquent des montants qui ne correspondent pas à la réalité, pour la partie concernant les postes pour lesquels des montants non conformes à la réalité ont été indiqués,
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 P. est une société assujettie à la TVA dont le capital social est divisé en actions.
10 Entre la fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015, P. a procédé à une augmentation de ce capital par des apports en nature provenant de W. et de B. Plus particulièrement, ces deux sociétés ont conclu avec P. plusieurs contrats ayant pour objet le transfert d’immeubles leur appartenant et un apport en numéraire en échange d’actions de P. Ainsi, les 3 octobre, 28 novembre et 29 décembre 2014, P. a conclu des contrats avec W. en vertu desquels cette dernière lui transférerait 23 immeubles et
une certaine somme d’argent en échange de respectivement 4767, 1164 et 7745 actions émises par P. En outre, les 3 octobre et 28 novembre 2014, celle-ci a conclu des contrats avec B. en vertu desquels cette dernière lui transférerait deux immeubles et une certaine somme d’argent en échange de respectivement 2100 et 133 actions émises par P. Ces contrats stipulent que la contrepartie des apports en nature au capital de P. est constituée d’actions de cette dernière, valorisées à leur prix
d’émission. Ce prix est de 35287,19 zlotys polonais (PLN) par action, soit environ 8123 euros. Pour déterminer ce prix, les parties se sont basées sur la valeur des immeubles apportés, telle qu’elle avait été évaluée par un tiers en fonction des prix du marché.
11 Dans ses déclarations de TVA pour le quatrième trimestre de 2014 et pour le premier trimestre de 2015, P. a inclus le montant de la TVA et le montant net figurant sur les factures émises par W. et B. et relatives aux apports d’immeubles au capital de P. Ces montants ont été calculés sur la base de la valeur d’émission des actions de P. reçues en contrepartie de ces apports.
12 Par décision du 28 mars 2017, le Naczelnik Pierwszego Urzędu Skarbowego Warszawa-Śródmieście w Warszawie (chef du premier bureau des impôts de Varsovie – Centre-ville à Varsovie, Pologne), qui est l’autorité de première instance, a considéré que la base d’imposition à la TVA des apports effectués par W. et B. dans le cadre de l’augmentation de capital de P. devait être calculée en prenant en compte la valeur nominale des actions de celle‑ci, qui correspond à 50 PLN par action, soit environ
11,50 euros, et non pas leur valeur d’émission, qui correspond à 35287,19 PLN par action, soit environ 8123 euros. Cette autorité a donc remis en cause le droit de P. à déduire la TVA portant sur lesdits apports et correspondant au montant excédant celui calculé sur la valeur nominale des actions.
13 Par décision du 30 juin 2017, l’autorité d’appel a confirmé la décision de ladite autorité de première instance après avoir estimé que les montants figurant sur les factures émises par W. et B. et relatives aux apports d’immeubles au capital de P. en échange d’actions de celle-ci n’étaient pas entièrement conformes à la réalité et, partant, que, en application de l’article 86, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, ils ne conféraient pas à P. de droit à déduction de la TVA. Selon l’autorité d’appel,
la contrepartie perçue par W. et B. en échange des apports en nature effectués au capital de P. doit être appréciée sur la base de la valeur nominale des actions.
14 Par arrêt du 29 mai 2018, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne) a rejeté le recours de P. contre la décision de l’autorité d’appel. En se référant notamment à l’article 29a, paragraphe 1, et à l’article 88, paragraphe 3a, point 4, sous b), de la loi sur la TVA, cette juridiction a jugé que la contrepartie due à une entité effectuant un apport en nature à une société, sous une forme autre qu’une entreprise ou une partie organisée
d’une entreprise, correspond à la valeur nominale des actions que cette société a transférées à cette entité pour la rémunérer de cet apport.
15 P. a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), qui est la juridiction de renvoi. P. estime notamment que l’article 29a, paragraphe 1, de la loi sur la TVA a erronément été interprété comme exigeant que la base d’imposition d’une opération constitutive d’un apport en nature soit déterminée en se fondant sur la valeur nominale des actions reçues en contrepartie. Une interprétation correcte de cette disposition
exigerait que le prix d’émission des actions soit pris en compte pour calculer la base d’imposition de l’apport en cause. Cette base devrait, le cas échéant, être diminuée de la valeur de l’apport en numéraire dont P. a bénéficié dans le cadre de l’opération d’apport.
16 La juridiction de renvoi considère que, dans le cas d’un apport en nature en échange d’actions, premièrement, la valeur de marché de l’objet de cet apport ne peut servir à déterminer la base d’imposition à la TVA de cet apport et, deuxièmement, la contrepartie est constituée des actions de cette société.
17 En revanche, cette juridiction estime que la question de savoir si, pour déterminer une telle base d’imposition, il importe dans un tel cas de prendre en compte la valeur nominale des actions ou, au contraire, leur valeur d’émission conformément à ce que les parties sont convenues n’a pas encore été abordée par la Cour.
18 La juridiction de renvoi a, dès lors, des doutes quant à la manière dont il convient de déterminer la base d’imposition à la TVA en l’occurrence. Elle précise à cet égard que la valeur nominale des actions retenue comme base d’imposition par les autorités fiscales en cause ne correspond manifestement pas à la valeur des immeubles qui ont été apportés à P. et que, en raison de ce déséquilibre, les parties en cause sont convenues dans les contrats d’apports en nature que la contrepartie de ces
apports serait constituée par des actions de P. valorisées à leur prix d’émission. Cette dernière approche permettrait de conférer aux transactions en cause un caractère réciproque.
19 C’est au vu de ces considérations que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Doit-on entendre par contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur pour les livraisons de biens, dont il est question à l’article 73 de la directive [TVA], la valeur nominale des actions souscrites, ou leur valeur d’émission, si les parties ont stipulé que la contrepartie sera constituée de la valeur d’émission des actions ? »
Sur la question préjudicielle
20 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 73 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que la base d’imposition d’un apport d’immeubles par une première société au capital d’une seconde société en échange d’actions de cette dernière doit être déterminée en fonction de la valeur nominale de ces actions lorsque ces sociétés sont convenues que la contrepartie de cet apport au capital sera constituée de la valeur d’émission desdites actions.
21 À cet égard, il ressort du libellé de l’article 73 de la directive TVA que la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour les livraisons de biens et les prestations de services.
22 Cette contrepartie ne doit pas nécessairement être en argent. En effet, les contrats d’échange, dans lesquels la contrepartie est par définition en nature, et les opérations pour lesquelles la contrepartie est monétaire sont, du point de vue économique et commercial, deux situations identiques au regard de la directive TVA. Ainsi, la contrepartie d’une prestation de services ou d’une livraison de biens peut consister en une prestation de services ou une livraison de biens et en constituer la base
d’imposition au sens de l’article 73 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2019, A, C‑410/17, EU:C:2019:12, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).
23 Il importe toutefois que la livraison de biens ou la prestation de services soit effectuée à titre onéreux, c’est-à-dire qu’il existe un lien direct entre les biens ou les prestations échangées et que la valeur du bien ou de la prestation donnée en échange puisse être exprimée en argent. Un tel lien direct est établi lorsqu’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique dans le cadre duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le
prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2019, A, C‑410/17, EU:C:2019:12, points 31 et 35 ainsi que jurisprudence citée).
24 En l’occurrence, P. a procédé à plusieurs augmentations de son capital en acquérant la propriété d’immeubles appartenant à W. et à B. La contrepartie reçue par ces sociétés pour les apports au capital de P. de leurs immeubles correspond à des actions de P. qu’elle a émises à cet effet.
25 Il existe, dès lors, un lien direct entre le transfert de ces immeubles par W. et B. et l’attribution d’actions de P. à ces sociétés. En outre, la valeur des actions qui ont été transmises auxdites sociétés peut être exprimée en argent.
26 S’agissant de la valorisation en argent de ces actions, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en droit polonais, la valeur nominale des actions d’une société commerciale se définit, en substance, comme étant la valeur, par action, des actifs financiers et non financiers apportés par les associés fondateurs, telle que définie dans les statuts de la société. Cette valeur est donc la valeur de chaque action d’une société retenue par les actionnaires de celle-ci au moment de sa constitution
et elle est déterminée en fonction de leurs apports à cette société à ce moment. La valeur d’émission d’une action correspond, quant à elle, à la valeur de celle-ci lors de son émission. Ainsi, lors de la création d’une société, la valeur d’émission d’une action est, en principe, égale à la valeur nominale de celle-ci. Toutefois, la valeur d’une société peut s’accroître, tout comme elle peut diminuer, pendant son existence compte tenu notamment de son activité, de sorte que la valeur de chacune
des actions de cette société est alors plus ou, au contraire, moins importante que sa valeur nominale. Lorsqu’une société, dont la valeur des actions a augmenté depuis sa création, émet de nouvelles actions, le prix d’émission de celles-ci est généralement plus élevé que la valeur nominale des actions existantes afin d’éviter la dilution de la valeur de ces dernières actions.
27 Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence établie que la base d’imposition d’une livraison de biens, effectuée à titre onéreux, est constituée par la contrepartie réellement reçue à cet effet par l’assujetti. Cette contrepartie constitue la valeur subjective, à savoir celle réellement perçue, et non une valeur estimée selon des critères objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2012, Orfey, C‑549/11, EU:C:2012:832, point 44 et jurisprudence citée).
28 À défaut de consister en une somme d’argent convenue entre les parties, cette valeur, pour être subjective, doit être celle que le bénéficiaire de la livraison de biens, qui constitue la contrepartie d’une autre livraison de biens, attribue aux biens qu’il entend se procurer et correspondre à la somme qu’il est disposé à dépenser à cette fin (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2012, Orfey, C‑549/11, EU:C:2012:832, point 45 et jurisprudence citée).
29 En l’occurrence, la valeur subjective de la contrepartie des apports d’immeubles correspond à la valeur en argent que W. et B. ont conféré aux actions de P. lorsqu’elles ont accepté celles-ci en échange de ces apports au capital de cette dernière.
30 Sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, il ressort des contrats conclus entre, d’une part, W. et B. et, d’autre part, P. que la contrepartie de l’incorporation des immeubles appartenant jusqu’alors à W. et à B. au capital de celle-ci correspond à l’attribution d’un nombre d’actions dont la valeur unitaire est établie en fonction de la valeur d’émission d’une telle action. Il s’ensuit que la valeur subjective de chacune de ces actions auxquelles W. et B. ont souscrit lors de
cette augmentation de capital correspond au prix d’émission desdites actions.
31 Ce prix d’émission, qui s’élève à 35287,19 PLN, soit environ 8123 euros, correspond ainsi à la valeur en argent convenue et réellement reçue par W. et B. pour chacune des actions de P.
32 Partant, dès lors que, d’une part, en application de l’article 73 de la directive TVA, la base d’imposition des immeubles transmis à P. doit être établie au regard de la contrepartie convenue et réellement reçue à cet effet par W. et B. et, d’autre part, P. et ces sociétés sont convenues que cette contrepartie consiste en l’attribution d’actions de P. à un prix d’émission de 35287,19 PLN par action, soit environ 8123 euros, ce prix d’émission et non la valeur nominale de ces actions, à savoir
50 PLN, soit environ 11,50 euros, doit être pris en compte afin de déterminer la base d’imposition de la cession de ces immeubles.
33 Cette appréciation n’est pas remise en cause par le fait que, en l’occurrence, la valeur d’émission des actions a été déterminée par les parties après une évaluation, par un tiers, de la valeur de marché des immeubles apportés. En effet, comme l’indique le Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców (Médiateur pour les petites et moyennes entreprises, Pologne) dans ses observations, cette évaluation témoigne uniquement du fait que ces parties sont convenues des termes et conditions analogues à
ceux qu’auraient pu convenir d’autres parties pour la vente de tels immeubles sur le marché. Elle n’affecte pas le constat selon lequel les parties en cause dans le litige au principal sont convenues que la valeur des actions en question correspond à leur valeur d’émission.
34 Ainsi, le fait que le prix convenu correspond au prix du marché ne démontre pas que la base d’imposition à la TVA est déterminée au regard d’une valeur objective au lieu de la valeur subjective dont sont réellement convenues lesdites parties. Par conséquent, la contrepartie réellement convenue pour les immeubles en cause formant, en application de l’article 73 de la directive TVA, la base d’imposition de la TVA se détermine en tenant compte du nombre d’actions de P, valorisées selon leur prix
d’émission, auxquelles W. et B. ont pu souscrire.
35 L’appréciation figurant au point 32 du présent arrêt n’est pas non plus remise en cause par l’argument du gouvernement polonais, présenté dans les observations de celui-ci, et de l’autorité d’appel, tel qu’il ressort de la décision de renvoi, selon lequel la valeur nominale des actions déterminerait l’étendue des droits et obligations patrimoniaux et non patrimoniaux des actionnaires d’une société. En effet, même si tel est le cas, il ne peut en être déduit que la valeur nominale correspond à la
contrepartie convenue entre les parties dès lors que les contrats que celles-ci ont conclus en marge de l’augmentation de capital en cause stipulent que les nouvelles actions émises en échange de l’apport en nature des immeubles seront souscrites à leur valeur d’émission.
36 Cette détermination de la base d’imposition de la TVA ne fait cependant pas obstacle, ainsi que la Commission européenne l’a relevé, à ce que la juridiction de renvoi puisse vérifier, en prenant en compte l’ensemble des circonstances pertinentes, que la valeur dont les parties sont convenues reflète effectivement la réalité économique et commerciale, et n’est pas le résultat d’une pratique abusive (voir, en ce sens, arrêt du 10 janvier 2019, A, C‑410/17, EU:C:2019:12, point 47 et jurisprudence
citée).
37 De plus, l’article 80 de la directive TVA permet explicitement aux États membres, afin de prévenir la fraude ou l’évasion fiscales, de prendre dans certains cas la valeur normale comme base d’imposition pour les livraisons de biens et les prestations de services à des bénéficiaires avec lesquels il existe des liens familiaux ou d’autres liens personnels étroits, des liens organisationnels, de propriété, d’affiliation, financiers ou juridiques tels que définis par l’État membre.
38 Toutefois, dès lors que cette disposition déroge à la règle selon laquelle la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue à cet effet par l’assujetti, elle est d’interprétation stricte. Ainsi, il a été jugé que les conditions d’application établies à ladite disposition sont exhaustives et, partant, une législation nationale ne peut prévoir, sur le fondement de cette même disposition, que la base d’imposition est la valeur normale de l’opération dans des cas autres que
ceux qui y sont énumérés (arrêt du 19 décembre 2012, Orfey, C‑549/11, EU:C:2012:832, point 47 et jurisprudence citée).
39 En l’occurrence, aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne laisse cependant supposer que la valeur d’émission des actions en cause résulte d’une pratique abusive ou que des mesures aient été prises par la République de Pologne en vertu de l’article 80 de la directive TVA et qu’elles soient applicables.
40 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 73 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que la base d’imposition d’un apport d’immeubles par une première société au capital d’une seconde société en échange d’actions de cette dernière doit être déterminée en fonction de la valeur d’émission de ces actions lorsque ces sociétés sont convenues que la contrepartie de cet apport au capital sera constituée de cette
valeur d’émission.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 73 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,telle que modifiée par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique,
doit être interprété en ce sens que :
la base d’imposition d’un apport d’immeubles par une première société au capital d’une seconde société en échange d’actions de cette dernière doit être déterminée en fonction de la valeur d’émission de ces actions lorsque ces sociétés sont convenues que la contrepartie de cet apport au capital sera constituée de cette valeur d’émission.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.