ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
30 mai 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Dumping – Importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte – Règlement d’exécution (UE) 2020/492 – Droit antidumping définitif – Calcul de la valeur normale – Règlement (UE) 2016/1036 – Article 2, paragraphe 5 – Calcul des frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête sur la base des documents comptables de la partie faisant l’objet de celle-ci – Frais non
raisonnablement reflétés dans les registres comptables – Ajustement sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays ou sur toute autre base raisonnable – Pouvoir d’appréciation de la Commission européenne »
Dans l’affaire C‑261/23 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 avril 2023,
Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE, établie à Ain Sukhna (Égypte),
Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE, établie à Ain Sukhna,
représentées par Mes V. Crochet et B. Servais, avocats,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. L. Di Masi, G. Luengo et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Tech-Fab Europe eV, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentée par Mes J. Beck et L. Ruessmann, avocats,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. J. Passer (rapporteur) et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, les requérantes, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE (ci-après « Hengshi ») et Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE (ci-après « Jushi »), demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1er mars 2023, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics et Jushi Egypt for Fiberglass Industry/Commission (T‑301/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:93), par lequel celui-ci a rejeté comme non fondé leur recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE)
2020/492 de la Commission, du 1er avril 2020, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte (JO 2020, L 108, p. 1, ci-après le « règlement litigieux »), dans la mesure où il les concerne.
Le cadre juridique
Le droit de l’OMC
2 Par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1), le Conseil de l’Union européenne a approuvé l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, ainsi que les accords figurant aux annexes 1 à 3 de cet accord, au nombre
desquels figure l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping »).
3 L’article 2 de l’accord antidumping, intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping », prévoit :
« 2.1 Aux fins du présent accord, un produit doit être considéré comme faisant l’objet d’un dumping, c’est-à-dire comme étant introduit sur le marché d’un autre pays à un prix inférieur à sa valeur normale, si le prix à l’exportation de ce produit, lorsqu’il est exporté d’un pays vers un autre, est inférieur au prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour le produit similaire destiné à la consommation dans le pays exportateur.
2.2 Lorsque aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales sur le marché intérieur du pays exportateur ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché ou du faible volume des ventes sur le marché intérieur du pays exportateur [...], de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la marge de dumping sera déterminée par comparaison avec un prix comparable du produit similaire lorsque celui-ci est exporté à destination d’un pays tiers
approprié, à condition que ce prix soit représentatif, ou avec le coût de production dans le pays d’origine majoré d’un montant raisonnable pour les frais d’administration et de commercialisation et les frais de caractère général, et pour les bénéfices.
2.2.1 Les ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur ou les ventes à un pays tiers à des prix inférieurs aux coûts de production unitaires (fixes et variables) majorés des frais d’administration et de commercialisation et des frais de caractère général ne pourront être considérées comme n’ayant pas lieu au cours d’opérations commerciales normales en raison de leur prix et ne pourront être écartées de la détermination de la valeur normale que si les autorités [...]
déterminent que de telles ventes sont effectuées sur une longue période [...] en quantités substantielles [...] et à des prix qui ne permettent pas de couvrir tous les frais dans un délai raisonnable. Si les prix qui sont inférieurs aux coûts unitaires au moment de la vente sont supérieurs aux coûts unitaires moyens pondérés pour la période couverte par l’enquête, il sera considéré que ces prix permettent de couvrir les frais dans un délai raisonnable.
2.2.1.1 Aux fins du paragraphe 2, les frais seront normalement calculés sur la base des registres de l’exportateur ou du producteur faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays exportateur et tiennent compte raisonnablement des frais associés à la production et à la vente du produit considéré. [...]
[...] »
Le droit de l’Union
Le règlement de base
4 L’article 2 du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement de base »), intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping », prévoit :
« 1. La valeur normale est normalement basée sur les prix payés ou à payer, au cours d’opérations commerciales normales, par des acheteurs indépendants dans le pays exportateur.
Toutefois, lorsque l’exportateur dans le pays exportateur ne produit pas ou ne vend pas le produit similaire, la valeur normale est établie sur la base des prix d’autres vendeurs ou producteurs.
Les prix pratiqués entre des parties paraissant être associées ou avoir conclu entre elles un arrangement de compensation ne peuvent être considérés comme des prix pratiqués au cours d’opérations commerciales normales et être utilisés pour établir la valeur normale que s’il est établi que ces prix ne sont pas affectés par cette relation.
Pour déterminer si deux parties sont associées, il peut être tenu compte de la définition des parties liées figurant à l’article 127 du [règlement d’exécution (UE) 2015/2447 de la Commission, du 24 novembre 2015, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant le code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 558)].
[...]
5. Les frais sont normalement calculés sur la base des documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces documents soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays concerné et tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré.
Si les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils sont ajustés ou déterminés sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays, ou, lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, sur toute autre base raisonnable, y compris les informations émanant d’autres marchés représentatifs.
[...]
6. Les montants correspondant aux frais de vente, aux dépenses administratives et aux autres frais généraux, ainsi qu’aux bénéfices, sont fondés sur des données réelles concernant la production et les ventes, au cours d’opérations commerciales normales, du produit similaire par l’exportateur ou le producteur faisant l’objet de l’enquête. Lorsque ces montants ne peuvent être ainsi déterminés, ils peuvent l’être sur la base :
a) de la moyenne pondérée des montants réels établis pour les autres exportateurs ou producteurs faisant l’objet de l’enquête à l’égard de la production et des ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays d’origine ;
[...] »
5 L’article 9 du règlement de base, intitulé « Clôture de la procédure sans institution de mesures ; imposition de droits définitifs », dispose, à son paragraphe 4 :
« Lorsqu’il ressort de la constatation définitive des faits qu’il y a dumping et préjudice en résultant et que l’intérêt de l’Union [européenne] nécessite une action conformément à l’article 21, un droit antidumping définitif est imposé par la Commission [européenne], statuant conformément à la procédure d’examen visée à l’article 15, paragraphe 3. Lorsque des droits provisoires sont en vigueur, la Commission lance cette procédure au plus tard un mois avant l’expiration de ces droits.
Le montant du droit antidumping n’excède pas la marge de dumping établie et devrait être inférieur à cette marge, si ce droit moindre suffit à éliminer le préjudice causé à l’industrie de l’Union [européenne]. »
Le règlement (UE) 2016/1037
6 L’article 29, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 55), prévoit :
« Les informations reçues en application du présent règlement ne peuvent être utilisées que dans le but pour lequel elles ont été demandées. »
Le règlement litigieux
7 Les considérants 52, 312 et 331 du règlement litigieux énoncent :
« (52) Les produits concernés [...] sont les tissus faits de stratifils (rovings) et/ou de fils en fibres de verre à filament continu, tissés et/ou cousus, avec ou sans autres éléments, à l’exclusion des produits imprégnés ou pré-imprégnés et des tissus à maille ouverte dont les cellules mesurent plus de 1,8 mm tant en longueur qu’en largeur et dont le poids est supérieur à 35 g/m2 (ci-après les “TFV”) originaires de la [République populaire de Chine] et d’Égypte, relevant actuellement des codes
NC ex70193900, ex70194000, ex70195900 et ex70199000 (codes TARIC 7019390080, 7019400080, 7019590080 et 7019900080) (ci-après le “produit concerné”).
[...]
(312) Contrairement à ce que les producteurs-exportateurs affirment, les prix auxquels [Hengshi] a acheté les [stratifils en fibres de verre (ci-après les “SFV”)] à [Jushi] n’ont pas été fixés dans des conditions de pleine concurrence, car ils étaient systématiquement et sensiblement inférieurs aux prix appliqués par [Jushi] aux acheteurs indépendants sur le marché intérieur égyptien pour le même produit. Étant donné la différence significative entre ces prix, la Commission a conclu que les prix
payés par [Hengshi] à [Jushi] ne pouvaient pas être considérés comme ayant été fixés dans des conditions de pleine concurrence. Ces prix étaient certes bénéficiaires, mais ils ne reflétaient pas les prix du marché en Égypte et, en l’absence d’affiliation entre les deux sociétés, [Hengshi] aurait payé un prix nettement supérieur pour les SFV. Par ailleurs, la référence à l’absence de mesures gouvernementales entraînant des distorsions dans la fixation des prix des matières premières est
apparue infondée, puisque c’est l’analyse des conditions de pleine concurrence qui est décisive en l’espèce.
[...]
(331) Ces producteurs-exportateurs semblent également mal comprendre la notion de frais figurant à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base. Il s’agit du coût pour le producteur du produit soumis à l’enquête (et non pour le producteur de l’intrant). Du point de vue d’un acheteur, le bénéfice du vendeur est un coût, incorporé dans le prix payé pour un intrant. La Commission a correctement évalué si les registres de Hengshi tenaient compte raisonnablement des frais associés à la production de
TFV et a constaté que les prix de transfert pour les achats de SFV faisaient l’objet d’une forte déflation par rapport au prix du marché pour les mêmes types de produits en Égypte, ce qui voulait dire qu’ils n’avaient pas été fixés dans des conditions de pleine concurrence. Elle a donc ajusté le coût pour les SFV sur la base des prix facturés par Jushi à des sociétés indépendantes sur le marché égyptien. »
Le règlement (CE) no 1972/2002
8 Le considérant 4 du règlement (CE) no 1972/2002 du Conseil, du 5 novembre 2002, modifiant le règlement (CE) no 384/96 du Conseil, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2002, L 305, p. 1), énonçait :
« Il convient de fournir des indications sur la marche à suivre si, conformément à l’article 2, paragraphe 5, du [règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1)], les registres ne tiennent pas raisonnablement compte des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, notamment dans des cas où, du fait d’une situation
particulière du marché, les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable. Dans ces circonstances, les données pertinentes doivent être obtenues de sources qui ne sont pas affectées par de telles distorsions. Il peut s’agir des coûts d’autres producteurs ou exportateurs établis dans le même pays ou, si ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, de toute autre source raisonnable, notamment les informations émanant d’autres marchés représentatifs.
Les données pertinentes peuvent être utilisées soit pour l’ajustement de certains éléments des registres de la partie concernée, soit, si ce n’est pas possible, pour la détermination des coûts de cette partie. »
Les antécédents du litige
9 Aux points 2 à 15 de l’arrêt attaqué, les antécédents du litige sont résumés comme suit :
« 2 Hengshi et Jushi sont deux sociétés constituées conformément à la législation de la République arabe d’Égypte. Elles appartiennent toutes deux au groupe China National Building Material (CNBM). L’activité des requérantes consiste en la production et l’exportation, notamment, de [TFV] vendus notamment au sein de l’Union européenne.
3 Pendant la période d’enquête (du 1er janvier au 31 décembre 2018), Jushi a produit à la fois des TFV et des [SFV], la principale matière première utilisée pour produire des TFV. Jushi a utilisé ses SFV autoproduits pour fabriquer des TFV, mais elle a également vendu des SFV à des clients indépendants, tant en Égypte qu’à l’étranger, ainsi qu’à Hengshi. Cette dernière a fabriqué des TFV à partir de SFV achetés auprès de Jushi ainsi qu’auprès d’une autre société liée et d’une société indépendante,
qui sont toutes deux établies en Chine.
4 Jushi a vendu des TFV directement à des clients indépendants en Égypte et dans l’Union. Elle a également exporté des TFV destinés à trois clients liés dans l’Union, à savoir Jushi Spain SA, Jushi France SAS et Jushi ltalia Srl. Jushi a en outre vendu des TFV dans l’Union par l’intermédiaire d’une société liée établie en dehors de l’Union, Jushi Group (HK) Sinosia Composite Materials Co. Ltd.
5 Hengshi n’a pas vendu de TFV sur le marché égyptien. Elle a vendu des TFV dans l’Union directement à des clients indépendants, ainsi que par l’intermédiaire d’une société liée établie en dehors de l’Union, Huajin Capital Ltd.
6 À la suite d’une plainte déposée le 8 janvier 2019 par [la partie intervenante en première instance], Tech-Fab Europe eV au nom de producteurs représentant plus de 25 % de la production totale de TFV de l’Union, au titre de l’article 5 du règlement [de base], la Commission européenne a ouvert une enquête antidumping concernant les importations dans l’Union de TFV originaires de Chine et d’Égypte. Le 21 février 2019, elle a publié un avis d’ouverture au Journal officiel de l’Union européenne (JO
2019, C 68, p. 29).
7 Ainsi qu’il ressort du considérant 52 du règlement [litigieux], les produits faisant l’objet de l’enquête antidumping étaient les tissus faits de stratifils (rovings) ou de fils en fibres de verre à filament continu, tissés ou cousus, avec ou sans autres éléments, à l’exclusion des produits imprégnés ou préimprégnés et des tissus à maille ouverte dont les cellules mesurent plus de 1,8 mm tant en longueur qu’en largeur et dont le poids est supérieur à 35 g/m2 originaires de Chine et d’Égypte,
relevant à la date des faits des codes NC ex70193900, ex70194000, ex70195900 et ex70199000 (codes TARIC 7019390080, 7019400080, 7019590080 et 7019900080).
8 L’enquête relative au dumping et au préjudice a porté sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2018. L’examen des tendances utiles pour l’évaluation du préjudice et du lien de causalité a porté sur la période comprise entre le 1er janvier 2015 et la fin de la période d’enquête.
9 Le 8 avril 2019, les requérantes ont déposé leurs réponses au questionnaire antidumping ainsi que les réponses à l’annexe I du questionnaire de leurs sociétés liées.
10 Le 16 mai 2019, la Commission a ouvert une enquête antisubventions distincte concernant les importations dans l’Union de TFV originaires de Chine et d’Égypte (ci-après l’“enquête antisubventions parallèle sur les TFV”). Le 7 juin 2019, la Commission a également ouvert une enquête antisubventions sur les SFV (ci-après l’“enquête antisubventions parallèle sur les SFV”).
11 La Commission a procédé à des visites de vérification dans les locaux des requérantes ainsi que dans les locaux de leurs sociétés liées. Les requérantes ont présenté, le 30 mai 2019, des observations complémentaires à la suite de ces visites.
12 Le 19 décembre 2019, la Commission a communiqué les faits et les considérations essentiels sur la base desquels elle envisageait d’instituer des mesures antidumping définitives sur les importations de TFV originaires de Chine et d’Égypte (ci-après l’“information finale”). Le 9 janvier 2020, les requérantes ont présenté leurs observations sur cette information. Le 16 janvier 2020, une audition concernant ladite information a eu lieu dans les locaux de la Commission. Le même jour, les requérantes
ont transmis par écrit des observations complémentaires.
13 Le 10 février 2020, la Commission a publié un document d’information finale additionnelle (ci-après l’“information finale additionnelle”). Cette information tenait compte de certains arguments communiqués par les requérantes au sujet de l’information finale. Ces dernières ont déposé leurs observations sur l’information finale additionnelle le 13 février 2020. Le 17 février 2020, une audition concernant ladite information a eu lieu dans les locaux de la Commission.
14 À la demande des requérantes, le conseiller-auditeur a procédé, le 25 février 2020, à une audition ultérieure.
15 Le 1er avril 2020, la Commission a adopté le règlement [litigieux]. Ledit règlement institue un droit antidumping définitif de 20 % sur les importations de TFV par les requérantes dans l’Union. »
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 mai 2020, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux.
11 Par ordonnance du 11 novembre 2020, le Tribunal a admis l’intervention de Tech-Fab Europe au soutien des conclusions de la Commission.
12 À l’appui de leur recours en annulation, les requérantes ont invoqué deux moyens, tirés, le premier, de ce que la méthode suivie par la Commission pour établir, d’une part, le coût de production des TFV de Hengshi, les frais de vente, des dépenses administratives et d’autres frais généraux (ci-après les « frais VAG ») ainsi que, d’autre part, le bénéfice à retenir en vue de calculer sa valeur normale construite méconnaissait l’article 2, paragraphes 3, 5, 6, 11 et 12, ainsi que l’article 9,
paragraphe 4, du règlement de base et, le second, de ce que la méthode suivie par la Commission pour déterminer les marges de sous-cotation des prix et des prix indicatifs des requérantes méconnaissait l’article 3, paragraphes 1 à 3 et 6, ainsi que l’article 9, paragraphe 4, de ce règlement.
13 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ces deux moyens et, partant, le recours dans son ensemble. En ce qui concerne le premier moyen, le Tribunal a notamment considéré que c’est sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a pu décider que, étant donné que le prix des SFV figurant dans les documents comptables de Hengshi n’était pas fixé dans des conditions de pleine concurrence, il ne pouvait être considéré que ce prix tenait raisonnablement compte
des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, et qu’il convenait, par conséquent, de procéder à son ajustement. En ce qui concerne le second moyen, le Tribunal a considéré qu’il était inopérant. En effet, à supposer même que les requérantes aient été fondées à contester la méthode que la Commission a utilisée pour établir le prix à l’exportation de Jushi dans le cadre du calcul de la marge de sous-cotation des prix et des prix indicatifs, le Tribunal a jugé qu’une telle
erreur ne serait pas de nature à entraîner l’annulation du règlement litigieux, dès lors que, même s’il fallait avoir égard aux nouveaux calculs produits par la Commission, prenant en considération les critiques des requérantes, ceux-ci n’aboutiraient pas, en tout état de cause, à une modification des droits antidumping imposés aux requérantes, ce que ces dernières avaient elles-mêmes reconnu.
Les conclusions des parties
14 Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’accueillir les première, troisième et cinquième branches du premier moyen invoqué en première instance, et
– de condamner la Commission et toute partie intervenante aux dépens afférents à la procédure de pourvoi et à la procédure devant le Tribunal.
15 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner les requérantes aux dépens de la procédure.
16 Tech-Fab Europe demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant non fondé et
– de condamner les requérantes aux dépens exposés par Tech-Fab Europe dans le cadre de la présente procédure et de son intervention en première instance.
Sur le pourvoi
17 Au soutien de leur pourvoi, les requérantes soulèvent trois moyens.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base
Argumentation des parties
18 Par leur premier moyen, qui vise les points 31 à 34 et 36 à 43 de l’arrêt attaqué, les requérantes font valoir que le Tribunal a violé l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base. En particulier, elles soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le prix des SFV figurant dans les documents comptables de Hengshi n’étant pas fixé dans des conditions de pleine concurrence, il ne pouvait être considéré que ce prix tenait raisonnablement compte des frais
liés à la production et à la vente du produit considéré, et qu’il convenait, par conséquent, de procéder à son ajustement.
19 À l’appui de ce premier moyen, les requérantes soutiennent, en premier lieu, que l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, interprété de façon stricte et en fonction de son contexte, ne permet pas à la Commission d’écarter les coûts figurant dans les documents comptables du producteur-exportateur du simple fait qu’un élément de coût n’a pas été engagé dans des conditions de pleine concurrence.
20 Partant, le Tribunal, en considérant que, au titre du large pouvoir d’appréciation dont elle jouit, la Commission peut, aux fins d’opérer un ajustement, s’écarter des frais consignés dans les documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête lorsque le prix de la matière première utilisée pour la fabrication du produit considéré n’est pas fixé dans des conditions de pleine concurrence, aurait commis une erreur de droit en conférant à l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du
règlement de base une portée dont il serait dépourvu. En conséquence, ce serait également à tort que le Tribunal aurait jugé, au point 29 de l’arrêt attaqué, que, du fait de l’existence de ce large pouvoir d’appréciation, son contrôle devait se limiter, dans ce contexte, à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de
pouvoir par la Commission.
21 En effet, dès lors que la seconde condition énoncée à l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base relèverait d’un régime d’exception, cette condition serait d’interprétation stricte, de telle sorte que, aux fins de l’application de celle-ci, la Commission devrait se fonder sur des facteurs objectifs, sans disposer de marge d’appréciation à leur égard. Ainsi, dans la mesure où l’exception prévue par la seconde condition de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement
de base cible expressément les situations dans lesquelles les documents comptables ne reflètent pas raisonnablement les frais exposés par le producteur en cause et couvre les situations dans lesquelles les frais sont affectés par une situation particulière du marché, cette exception ne pourrait pas être étendue à d’autres circonstances, telles que le fait que les frais en cause ne sont pas exposés dans des conditions de pleine concurrence du fait d’une relation intragroupe, que celles qui sont
ainsi limitativement prévues par cette disposition.
22 En outre, au point 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait étendu à tort le champ d’application de l’article 2, paragraphe 5, de ce règlement, qui concerne la qualité des documents comptables, en se fondant par analogie sur l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, qui porte sur la qualité et le caractère raisonnable des frais exposés par les parties liées.
23 En second lieu, les requérantes font valoir que l’erreur commise par le Tribunal dans l’interprétation de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base est confirmée par la jurisprudence de l’organe de règlement des différends de l’OMC. En effet, cette disposition devrait être lue à la lumière de l’article 2.2.1.1 de l’accord antidumping, tel qu’interprété à son tour par l’organe de règlement des différends de l’OMC. Or, ce dernier aurait déjà considéré, dans un rapport daté du
12 septembre 2019, que la seconde condition énoncée dans la première phrase de l’article 2.2.1.1 a trait à la question de savoir si les registres de l’exportateur ou du producteur faisant l’objet de l’enquête représentent ou reproduisent convenablement et suffisamment les frais engagés par l’exportateur ou le producteur visé par l’enquête qui ont une véritable relation avec la production et la vente du produit spécifique considéré. De même, dans un rapport adopté le 26 octobre 2016, l’organe
d’appel de l’OMC aurait notamment indiqué que cette seconde condition exige une comparaison entre les frais indiqués dans les registres du producteur ou de l’exportateur et les frais engagés par ce producteur ou cet exportateur.
24 Partant, selon les requérantes, l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base doit être interprété en ce sens que la Commission doit se borner à vérifier que les documents conservés par le producteur faisant l’objet de l’enquête correspondent « convenablement et suffisamment » aux frais engagés par ce producteur afin de produire et de vendre le produit considéré. Cette institution ne serait dès lors pas autorisée à vérifier si les registres du producteur en question reflètent
raisonnablement certains frais hypothétiques qui auraient pu être engagés s’il n’avait pas acheté la matière première à une partie liée. Or, en l’espèce, le Tribunal aurait dû déduire de la circonstance, relevée au point 37 de l’arrêt attaqué, que Jushi a vendu des SFV à Hengshi en réalisant un bénéfice, que tous les frais engagés pour produire des SFV et des TFV avaient été correctement consignés dans les registres de Hengshi. Ce serait donc à tort que le Tribunal a jugé que la Commission était
fondée à écarter les registres de Hengshi pour établir ses frais de production en vertu de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
25 La Commission et Tech-Fab Europe considèrent que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Appréciation de la Cour
26 En premier lieu, concernant l’argument des requérantes selon lequel l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base comprend une exception qui doit être interprétée de manière restrictive, il y a lieu de rappeler que, selon le libellé de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base, les frais sont normalement calculés sur la base des documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces documents soient tenus conformément aux principes comptables
généralement acceptés du pays concerné et tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré.
27 Ainsi que le Tribunal l’a indiqué au point 27 de l’arrêt attaqué, et comme les requérantes le soutiennent à bon droit, ce régime constitue une exception à une règle générale et il doit donc être interprété de façon restrictive.
28 Il n’en demeure pas moins que l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base n’oblige pas la Commission à accepter inconditionnellement et sans procéder aux vérifications nécessaires les informations contenues dans les registres comptables du producteur ou de l’exportateur faisant l’objet de l’enquête.
29 Ainsi que le Tribunal l’a rappelé à juste titre au point 29 de l’arrêt attaqué, dans le domaine des mesures de défense commerciale, les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner. Dès lors, le contrôle du juge de l’Union à l’égard des actes posés par les institutions dans le cadre de l’exercice de ce large pouvoir d’appréciation est limité à la vérification du respect des règles
de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir. Ce contrôle juridictionnel limité s’étend, en particulier, au choix entre différentes méthodes de calcul de la marge de dumping et à l’appréciation de la valeur normale d’un produit (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, EU:C:2007:547, points 40 et 41 ainsi que
jurisprudence citée).
30 En l’espèce, le Tribunal a relevé, aux points 34 et 40 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’était écartée des frais consignés dans les documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête car les prix de la matière première utilisée pour la fabrication du produit considéré n’apparaissaient pas fixés dans des conditions de pleine concurrence, en raison d’une relation intragroupe. En outre, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 312 du règlement litigieux, les prix auxquels
Hengshi achetait les SFV auprès de Jushi étaient systématiquement et sensiblement inférieurs aux prix auxquels Jushi vendait le même produit aux acheteurs indépendants intervenant sur le marché égyptien.
31 Les requérantes considèrent, en substance, que l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base doit être interprétée en ce sens que ce n’est que si les documents conservés par le producteur faisant l’objet de l’enquête ne correspondent pas « convenablement et suffisamment » aux frais engagés par ce producteur afin de produire et vendre le produit considéré que la Commission peut calculer les frais liés à la production et à la vente autrement que sur la seule
base des documents comptables du producteur en question.
32 Selon une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci et des objectifs qu’elle poursuit, mais également de son contexte ainsi que de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation (arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47 ainsi que
jurisprudence citée, et du 1er octobre 2019, Planet49, C‑673/17, EU:C:2019:801, point 48).
33 S’agissant de l’objectif de l’article 2, paragraphe 5, premier et deuxième alinéas, du règlement de base, il convient de relever que celui-ci vise à garantir que les frais liés à la production et à la vente du produit similaire retenus dans le cadre du calcul de la valeur normale dudit produit reflètent les frais qu’un producteur aurait encourus sur le marché intérieur du pays exportateur.
34 S’agissant du contexte, les dispositions de l’article 2, paragraphe 1, troisième et quatrième alinéas, du règlement de base, qui font explicitement référence aux situations dans lesquelles les prix sont affectés en raison d’une relation intragroupe, servent de base aux autres dispositions de l’article 2 relatives à la détermination de la valeur normale, y compris celles prévues à l’article 2, paragraphe 5. L’absence de répétition de ces éléments à cet article 2, paragraphe 5, n’implique pas que
le législateur de l’Union ait entendu exclure cette situation.
35 En outre, il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 384/96, que le règlement de base a abrogé et remplacé, était libellé, en substance, dans les mêmes termes que l’article 2, paragraphe 5, de ce dernier.
36 Or, il ressort du considérant 4 du règlement no 1972/2002, qui a inséré cette disposition dans le règlement no 384/96, que le législateur de l’Union a ainsi entendu fournir des indications sur la marche à suivre dans l’hypothèse où les registres comptables du producteur ne tiendraient pas raisonnablement compte des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, notamment dans le cas où, du fait d’une situation particulière du marché, les ventes du produit similaire ne
permettraient pas une comparaison valable. En pareil cas, les données pertinentes doivent, selon le même considérant, provenir de sources qui ne sont pas affectées par « de telles distorsions ».
37 Il s’ensuit que la Commission doit pouvoir évaluer les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête sur le fondement de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base notamment dans le cas où les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable à cause d’une distorsion.
38 Par conséquent, le Tribunal n’a pas méconnu la portée de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base en jugeant que cette disposition n’empêche pas la Commission de s’écarter des frais consignés dans les documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête lorsque les prix de la matière première utilisée pour la fabrication du produit considéré n’apparaissent pas fixés dans des conditions de pleine concurrence, en raison d’une relation intragroupe.
39 En second lieu, les requérantes font grief au Tribunal de ne pas avoir pris adéquatement en considération la jurisprudence de l’organe de règlement des différends de l’OMC relative à l’article 2.2.1.1 de l’accord antidumping.
40 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les textes de droit dérivé de l’Union commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords et, d’autre part, que la Cour s’est déjà référée à des rapports d’un groupe spécial de l’OMC ou de l’organe d’appel institué au sein de l’OMC au soutien de son interprétation de dispositions d’accords figurant à l’annexe de l’accord instituant l’OMC
(voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, Yieh United Steel/Commission, C‑79/20 P, EU:C:2022:305, points 101 et 102 ainsi que jurisprudence citée).
41 Partant, c’est à bon droit que le Tribunal s’est référé, au point 32 de l’arrêt attaqué, à un rapport de l’organe d’appel de l’OMC dans l’affaire « Union européenne – Mesures antidumping visant le biodiesel en provenance d’Argentine » (WT/DS 473/AB/R), adopté le 26 octobre 2016, dans lequel est notamment précisée la portée de l’article 2.2.1.1 de l’accord antidumping, aux fins de procéder à l’interprétation de la disposition, substantiellement identique, de l’article 2, paragraphe 5, du règlement
de base en vue de confirmer que cette dernière disposition n’exclut pas que la Commission puisse s’écarter des frais consignés dans les documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête lorsque le prix de la matière première utilisée pour la fabrication du produit considéré n’est pas fixé dans des conditions de pleine concurrence.
42 En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort du point 6.33 de ce rapport qu’il peut être constaté que des documents comptables ne tiennent pas compte raisonnablement des frais associés à la production et à la vente du produit considéré lorsque les transactions concernant certains intrants associés à la production et à la vente de ce produit n’ont pas lieu dans des conditions de pleine concurrence.
43 Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que le Tribunal n’a pas violé l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base en jugeant que cette disposition n’empêche pas la Commission de s’écarter des frais consignés dans les documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête lorsque les prix de la matière première utilisée pour la fabrication du produit considéré n’apparaissent pas fixés dans des conditions de pleine concurrence, en raison d’une relation
intragroupe.
44 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base
45 Le deuxième moyen, qui vise les points 72 à 76, 80 et 82 à 88 de l’arrêt attaqué, se subdivise en deux branches.
Sur la première branche
– Argumentation des parties
46 Par la première branche du deuxième moyen de leur pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, au point 84 de l’arrêt attaqué, interprété et appliqué de façon erronée l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base en considérant que la Commission était fondée à ajuster le coût des SFV de Hengshi sur « toute autre base raisonnable ». Plus particulièrement, le Tribunal aurait méconnu la portée des conditions d’application de l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa,
du règlement de base, selon lesquelles la Commission doit en principe ajuster les frais qui ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de ce producteur. Or, dès lors que cette disposition précise que ce n’est que « lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées » que la Commission pourrait s’appuyer sur « toute autre base raisonnable », cette règle revêtirait le caractère d’une exception et serait, à ce titre, de stricte interprétation.
47 À cet égard, les requérantes font valoir que c’est sur le fondement d’une interprétation erronée de cette disposition que le Tribunal a considéré, au point 86 de l’arrêt attaqué, que, bien que, conformément à l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base, lorsque les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils doivent être ajustés ou déterminés « sur la
base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays », la Commission avait été fondée, en l’espèce, à procéder à ce calcul sur « toute autre base raisonnable », au motif que les frais des autres producteurs n’étaient pas « comparables » entre eux, compte tenu de la relation entre Jushi et Hengshi et la structure des coûts de Jushi, une société verticalement intégrée. Selon les requérantes, la « comparabilité » des frais des autres producteurs ne fait pas partie des dérogations à la
règle d’ajustement des coûts qui ne seraient pas raisonnablement reflétés dans les registres établie à l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base.
48 L’erreur de droit commise par le Tribunal en considérant que la Commission était fondée à appliquer l’exception de l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base serait confirmée au point 87 de l’arrêt attaqué. En effet, le Tribunal y aurait considéré à tort qu’était dénué de pertinence le fait que la Commission se soit fondée sur les frais VAG et le bénéfice de Jushi sur ses ventes intérieures de TFV pour construire la valeur normale des TFV de Hengshi conformément à
l’article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement de base, au motif que l’article 2, paragraphe 5, de ce règlement traite d’une question différente. Or, ces dispositions traiteraient bien de la même question, à savoir de la détermination des éléments de coûts qui doivent être utilisés pour construire la valeur normale. Par conséquent, le coût de production de Jushi devrait pouvoir être également utilisé au titre de l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base pour déterminer le
coût de production de Hengshi.
49 Par ailleurs, selon les requérantes, le Tribunal aurait dû conclure que le coût de production des SFV de Jushi pouvait être valablement utilisé pour déterminer le coût de production de Hengshi en application de l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base. En effet, il serait inexact de prétendre, comme le Tribunal l’a fait au point 83 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’a pas « accepté » le coût de production des SFV de Jushi, alors que cette institution aurait utilisé le
propre coût de production des TFV fabriqués par Jushi, qui engloberait par définition le coût de production des SFV de cette dernière, afin de calculer sa marge de dumping. Le fait que Jushi et Hengshi soient liées n’aurait eu aucun effet sur les coûts de production des SFV fabriqués par Jushi, dans la mesure où ce producteur n’aurait acheté ni matières premières ni intrants auprès de Hengshi.
50 La Commission et Tech-Fab Europe considèrent que la première branche du deuxième moyen des requérantes doit être rejetée comme étant non fondée.
– Appréciation de la Cour
51 Conformément à l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base, si les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils sont ajustés ou déterminés sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays ou, lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, sur toute autre base raisonnable, y compris sur la base
d’informations émanant d’autres marchés représentatifs.
52 En l’espèce, la Commission a eu recours à cette exception pour ajuster le coût des SFV de Hengshi, en ajustant ces frais sur « toute autre base raisonnable », au lieu de faire un ajustement « sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays », à savoir sur la base des frais exposés par Jushi, qui est le seul autre producteur de SFV en Égypte, pour la production desdits SFV.
53 Tout d’abord, il y a lieu de considérer que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 79 de l’arrêt attaqué, que le choix de recourir à « toute autre base raisonnable » constituant un régime d’exception à la règle générale prévue à l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base, il doit être interprété de façon restrictive, ce que les requérantes soutiennent d’ailleurs à l’appui de cette première branche de leur deuxième moyen. Ainsi, pour s’écarter de la règle
selon laquelle, lorsque les frais liés à la production et à la vente d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils doivent être ajustés ou déterminés sur la base des frais d’autres producteurs ou exportateurs du même pays, la Commission doit se fonder sur des preuves, ou à tout le moins sur des indices, permettant d’établir l’existence du facteur au titre duquel l’ajustement est opéré.
54 En l’espèce, le Tribunal a constaté, au point 80 de l’arrêt attaqué, que, pour justifier sa décision de ne pas utiliser le coût de production des SFV de Jushi pour ajuster le coût des SFV de Hengshi et, par conséquent, de recourir à une autre base raisonnable, la Commission s’était fondée sur le fait que Jushi était une société liée à Hengshi et que Jushi était une société verticalement intégrée, c’est-à-dire qu’elle produit et consomme ses propres SFV pour fabriquer des TFV, ce qui n’était pas
le cas de Hengshi, qui s’approvisionne en SFV auprès de Jushi et d’autres fournisseurs chinois liés pour fabriquer des TFV.
55 Or, sur la base de telles constatations de fait, que les requérantes ne contestent pas, le Tribunal a pu valablement déduire que les coûts de production des SFV de Jushi ne pouvaient pas être utilisés par la Commission aux fins de l’ajustement en question. En effet, comme le Tribunal l’a indiqué au point 86 de l’arrêt attaqué, dans de telles circonstances, cette institution n’a pas pu prendre ces coûts en considération, dès lors que Jushi était, contrairement à Hengshi, une société verticalement
intégrée. Partant, le Tribunal a pu, à bon droit, juger que la Commission était fondée, eu égard à ces circonstances factuelles, à écarter les coûts de production des SFV de Jushi et procéder à un ajustement sur « toute autre base raisonnable ».
56 Ensuite, les requérantes soutiennent que, si les frais VAG et le bénéfice de Jushi ont pu être utilisés pour établir la valeur normale des TFV de Hengshi en application de l’article 2, paragraphe 6, sous a), du règlement de base, le coût de production de Jushi aurait également pu être utilisé au titre de l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base pour déterminer le coût de production de Hengshi.
57 Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le Tribunal n’a pas commis d’erreur, au point 87 de l’arrêt attaqué, en écartant cet argument au motif que les dispositions en question traitent de questions différentes. En effet, c’est à bon droit que le Tribunal a rappelé que l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base concerne le calcul des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, tandis que l’article 2, paragraphe 6, de ce règlement a pour objet le calcul des frais
VAG et du bénéfice qui est fondé sur les ventes intérieures du produit similaire, dans le contexte d’opérations normales. Il s’agit d’éléments distincts dans la construction de la valeur normale.
58 Enfin, s’agissant du point 83 de l’arrêt attaqué, les requérantes mettent en cause l’appréciation des faits par le Tribunal selon laquelle la Commission n’a pas « accepté » le coût de production des SFV de Jushi. Cette erreur d’appréciation ressortirait clairement des pièces de procédure qui ont été soumises au Tribunal, dans lesquelles la Commission déclarerait que « les propres coûts de production de Jushi Egypt ont été utilisés » pour construire la valeur normale des types de produit non
vendus en quantités représentatives.
59 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre du pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul
Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis, sous réserve du cas de leur dénaturation (arrêt du 11 janvier 2024, Foz/Conseil, C‑524/22 P, EU:C:2024:23, point 37 et jurisprudence citée).
60 Une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée. Toutefois, cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Par ailleurs, lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve, il doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été
dénaturés par le Tribunal et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation (arrêt du 11 janvier 2024, Foz/Conseil, C‑524/22 P, EU:C:2024:23, point 38 et jurisprudence citée).
61 En l’espèce, il ressort du dossier soumis à la Cour que c’est lors du calcul du coût des SFV de Hengshi que la Commission a décidé de ne pas utiliser le coût de production des SFV de Jushi et qu’elle a par conséquent eu recours à une autre base raisonnable. Or, la pièce de procédure invoquée par les requérantes, dans laquelle la Commission déclare que « les propres coûts de production de Jushi Egypt ont été utilisés », fait référence au coût des SFV produits non pas par Hengshi, mais par Jushi. À
cet égard, comme le Tribunal l’a constaté au point 80 de l’arrêt attaqué, auquel le point 83 de celui-ci renvoie expressément, la Commission n’a pas accepté le coût de production des SFV de Jushi en raison des liens existant entre ces deux sociétés, à savoir que Jushi, tout en étant le seul autre producteur de TFV en Égypte, était, d’une part, une société liée à Hengshi et, d’autre part, une société verticalement intégrée, ce qui n’était pas le cas de Hengshi.
62 Or, à cet égard, les requérantes se bornent à soutenir que le constat opéré par le Tribunal, au point 83 de l’arrêt attaqué, est entaché d’une inexactitude matérielle, sans établir plus avant les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal ni démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation. Partant, il y a lieu de constater que les requérantes, en ne fournissant aucun élément de preuve justifiant leur allégation de dénaturation
des faits en cause par le Tribunal, n’ont pas satisfait à la charge qui leur incombe à cet égard.
63 Il convient donc de rejeter ce grief.
64 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la première branche du deuxième moyen comme étant non fondée.
Sur la seconde branche
– Argumentation des parties
65 À l’appui de la seconde branche de leur deuxième moyen, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, d’une part, commis une erreur de droit en décidant que la Commission n’avait pas violé son obligation de motivation et, d’autre part, accueilli à tort des motifs invoqués pour la première fois devant lui par cette institution. Selon les requérantes, le considérant 331 du règlement litigieux n’explique pas pourquoi la Commission a dû recourir à l’exception visée à l’article 2, paragraphe 5,
deuxième alinéa, du règlement de base pour déterminer le coût de production de Hengshi. En outre, la Commission n’expliquerait pas, dans le corps du règlement litigieux, la raison pour laquelle, d’une part, cette disposition induirait une exigence de « comparabilité » et, d’autre part, Jushi n’était alors pas comparable à Hengshi, justifiant ainsi le recours à cette exception. Ce serait pour la première fois dans son mémoire en défense devant le Tribunal que la Commission aurait exposé la raison
pour laquelle elle a décidé de recourir à l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base.
66 La Commission considère que cette branche du deuxième moyen est, à titre principal, non fondée et, à titre subsidiaire, inopérante.
67 Tech-Fab Europe soutient que la seconde branche du deuxième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
– Appréciation de la Cour
68 S’agissant du défaut de motivation allégué par les requérantes, il convient de constater qu’il ressort du considérant 331 du règlement litigieux que la Commission y a indiqué que, après avoir évalué si les documents comptables de Hengshi tenaient raisonnablement compte des frais associés à la production de TFV, elle avait constaté que les prix de transfert pour les achats de SFV de Hengshi auprès de Jushi faisaient l’objet d’une forte déflation par rapport au prix du marché pour les mêmes types
de produits en Égypte, ce qui voulait dire qu’ils n’avaient pas été fixés dans des conditions de pleine concurrence.
69 La Commission ayant ainsi exposé les raisons pour lesquelles elle a eu recours à l’article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base, c’est à juste titre que le Tribunal a décidé, au point 76 de l’arrêt attaqué, que le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation devait être rejeté.
70 Enfin, l’argument de la comparabilité que la Commission aurait exposé pour la première fois dans le mémoire en défense est inopérant, vu que le considérant 331 du règlement litigieux fournissait déjà un exposé des motifs de l’utilisation par la Commission d’une « autre base raisonnable », au sens dudit article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa.
71 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la seconde branche du deuxième moyen des requérantes comme étant, pour partie, non fondée et, pour partie, inopérante. Partant, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen dans son ensemble.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
72 Par leur troisième moyen, qui vise les points 97 et 98 de l’arrêt attaqué, les requérantes font valoir que le Tribunal a considéré à tort que la Commission n’a pas violé l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base en imposant aux requérantes un droit antidumping définitif de 20 %, excédant la marge de dumping. À l’appui de ce moyen, ces dernières soutiennent qu’il résulte des griefs qu’elles avancent dans le cadre de leurs premier et deuxième moyens que le Tribunal a considéré à tort que les
requérantes n’avaient pas démontré que la Commission avait commis des erreurs de droit ou des erreurs manifestes d’appréciation. Le Tribunal aurait donc également commis une erreur de droit en considérant que la Commission n’a pas institué de droits antidumping excédant la marge de dumping et qu’elle n’a pas, par conséquent, violé l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base.
73 Selon la Commission et Tech-Fab Europe, le troisième moyen est inopérant.
Appréciation de la Cour
74 Comme les requérantes le font valoir, le troisième moyen présuppose que les premier et deuxième moyens aient été déclarés fondés. Or, ces derniers ayant été rejetés, ce troisième moyen, fût-il fondé, ne saurait, à lui seul, entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué, de telle sorte qu’il doit être déclaré inopérant.
75 Aucun des moyens avancés par les requérantes à l’appui de leur pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter ce dernier dans son ensemble.
Sur les dépens
76 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.
77 La Commission et Tech-Fab Europe ayant conclu à la condamnation de Hengshi et de Jushi aux dépens et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission et par Tech-Fab Europe.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE et Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par Tech-Fab Europe eV.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.