ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
27 juin 2024 ( *1 )
Table des matières
I. Le cadre juridique
II. Les antécédents du litige
A. Le périndopril de Servier
B. Le périndopril de Krka
C. Les litiges relatifs au périndopril
1. Les décisions de l’OEB
2. Les décisions des juridictions nationales
D. Les accords Krka
III. La décision litigieuse
IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
V. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
VI. Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure
VII. Sur le pourvoi
A. Sur les premier à sixième moyens, relatifs à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
1. Les points pertinents de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué
a) La décision litigieuse
b) L’arrêt attaqué
2. Sur la recevabilité des premier à sixième moyens
3. Considérations liminaires relatives à l’examen au fond des premier à sixième moyens
4. Sur le premier moyen
a) Sur le caractère opérant du premier moyen
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur les première à troisième branches
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur les quatrième et sixième branches
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
i) Sur la décision de la High Court du 3 octobre 2006
ii) Sur la décision de l’OEB du 27 juillet 2006
d) Sur la cinquième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
e) Conclusion sur le premier moyen
5. Sur le deuxième moyen
a) Sur la deuxième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur les première, troisième et quatrième branches
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur les cinquième à huitième branches
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
6. Sur le troisième moyen
a) Sur la première branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur la deuxième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur la troisième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
d) Sur la quatrième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
e) Sur la cinquième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
f) Sur la sixième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
7. Sur le quatrième moyen
a) Sur la première branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur la deuxième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur la troisième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
d) Sur la quatrième branche
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
8. Sur le cinquième moyen
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
9. Conclusion intermédiaire sur les premier à cinquième moyens
10. Sur le sixième moyen
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
B. Sur le septième moyen, relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par effet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
1. Les points pertinents de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué
a) La décision litigieuse
b) L’arrêt attaqué
2. Argumentation des parties
3. Appréciation de la Cour
C. Sur les huitième à onzième moyens, relatifs à l’infraction à l’article 102 TFUE
1. Les points pertinents de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué
a) La décision litigieuse
b) L’arrêt attaqué
2. Sur le huitième moyen
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
3. Sur les neuvième et dixième moyens
4. Sur le onzième moyen
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
D. Conclusion sur le pourvoi
VIII. Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué
IX. Sur le recours devant le Tribunal
A. Sur le neuvième moyen du recours en première instance, pris en sa première branche
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la concurrence potentielle exercée sur Servier par Krka
b) Sur l’existence d’un accord de partage de marché
B. Sur le dixième moyen du recours en première instance
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
Sur les dépens
« Pourvoi – Concurrence – Produits pharmaceutiques – Marché du périndopril – Article 101 TFUE – Ententes – Partage de marché – Concurrence potentielle – Restriction de la concurrence par objet – Stratégie visant à retarder l’entrée sur le marché de versions génériques du périndopril – Accord de règlement amiable de litige en matière de brevets – Accord de licence de brevet – Accord de cession et de licence de technologie – Article 102 TFUE – Marché pertinent – Abus de position dominante »
Dans l’affaire C‑176/19 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 février 2019,
Commission européenne, représentée initialement par Mme F. Castilla Contreras, M. B. Mongin, Mme J. Norris et M. C. Vollrath, puis par Mme F. Castilla Contreras, MM. F. Castillo de la Torre, B. Mongin, Mme J. Norris ainsi que M. C. Vollrath, et enfin par Mme F. Castilla Contreras, M. F. Castillo de la Torre, Mme J. Norris et M. C. Vollrath, en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenue par :
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme D. Guðmundsdóttir, en qualité d’agent, assistée de M. J. Holmes, KC, puis par M. L. Baxter, Mme D. Guðmundsdóttir, M. F. Shibli et Mme J. Simpson, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, KC, et M. P. Woolfe, barrister, et enfin par M. S. Fuller, en qualité d’agent, assisté de M. J. Holmes, KC, et M. P. Woolfe, barrister,
partie intervenante au pourvoi,
les autres parties à la procédure étant :
Servier SAS, établie à Suresnes (France),
Servier Laboratories Ltd, établie à Stoke Poges (Royaume-Uni),
Les Laboratoires Servier SAS, établie à Suresnes,
représentées par Mes O. de Juvigny, J. Jourdan, T. Reymond, A. Robert, avocats, Me J. Killick, advocaat, et Mme M. I. F. Utges Manley, solicitor,
parties demanderesses en première instance,
European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA), établie à Genève (Suisse), représentée par Mme F. Carlin, avocate, et Me N. Niejahr, Rechtsanwältin,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. M. Longar et Mme R. Şereş, administrateurs,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 octobre 2021,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:922), par lequel celui-ci a annulé l’article 4, en tant qu’il constate la participation de Servier SAS et des Laboratoires Servier SAS aux accords visés à cet article, l’article 6, l’article 7, paragraphe 4, sous b), et l’article 7, paragraphe 6, de la décision C(2014) 4955 final de la
Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci-après la « décision litigieuse »).
I. Le cadre juridique
2 Les points 13 à 15, 17 et 24 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5) sont libellés comme suit :
« Contraintes concurrentielles
13. La concurrence soumet les entreprises à trois grandes sources de contraintes : la substituabilité du côté de la demande, la substituabilité au niveau de l’offre et la concurrence potentielle. D’un point de vue économique, pour une définition du marché en cause la substitution du côté de la demande est le facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d’un produit donné, en particulier en ce qui concerne leurs décisions en matière de fixation des prix. Une
entreprise ou un groupe d’entreprises ne peut avoir une influence déterminante sur les conditions de vente existantes (prix par exemple), si sa clientèle est en mesure de se tourner sans difficulté vers des produits de substitution ou vers des fournisseurs implantés ailleurs. Cet exercice de définition du marché consiste, fondamentalement, à identifier les autres sources réelles d’approvisionnement auxquelles les clients des entreprises en cause peuvent recourir, tant sous l’angle des produits
ou des services que ces autres fournisseurs proposent que du point de vue de leur localisation géographique.
14. Les contraintes au niveau de la concurrence qui découlent de la substituabilité du côté de l’offre, autres que celles décrites dans les points 20 à 23, et de la concurrence potentielle sont, en règle générale, moins immédiates et, du reste, commandent l’analyse de facteurs supplémentaires. En conséquence de telles contraintes sont prises en compte lors de l’évaluation de l’analyse de la concurrence.
Substitution du côté de la demande
15. L’appréciation de la substituabilité de la demande entraîne une détermination de l’éventail des produits perçus comme substituables par le consommateur. Une façon de procéder à cette détermination peut être envisagée comme un exercice mental présupposant une variation légère, mais durable, des prix relatifs et évaluant les réactions probables des clients. L’exercice de définition du marché est axé sur les prix pour des raisons opérationnelles et pratiques et, plus précisément, sur la
substitution du côté de la demande que pourraient entraîner des variations légères mais permanentes des prix relatifs. Ce test peut fournir des indications claires sur les éléments pertinents pour la définition des marchés.
[...]
17. La question posée est de savoir si les clients des parties se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles ou vers des fournisseurs implantés ailleurs, en cas d’augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs des produits considérés dans les territoires concernés. Si la substitution suffit, en raison du recul des ventes qui en découlerait, à ôter tout intérêt à une augmentation de prix, des produits de substitution et des territoires
supplémentaires sont intégrés dans le marché en cause. On procède ainsi jusqu’à ce que l’ensemble de produits et la zone géographique retenus soient tels qu’il devienne rentable de procéder à des hausses légères mais permanentes des prix relatifs. [...]
[...]
Concurrence potentielle
24. La concurrence potentielle, troisième source de contrainte sous l’angle de la concurrence, n’est pas prise en considération pour la définition des marchés, dans la mesure où les conditions dans lesquelles elle peut effectivement constituer une contrainte concurrentielle dépendent de l’analyse de certains facteurs et circonstances se rapportant aux conditions d’entrée. Le cas échéant, cette analyse n’est menée qu’à un stade ultérieur, généralement une fois que la position des entreprises en
cause sur le marché a déjà été déterminée et qu’elle s’avère soulever des problèmes sous l’angle de la concurrence. »
II. Les antécédents du litige
3 Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 73 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
4 Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.
A. Le périndopril de Servier
5 Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ci-après les « médicaments IEC »). Les seize médicaments IEC qui existaient à l’époque des faits étaient classés tant au troisième niveau de la classification anatomique, thérapeutique et chimique (ATC) des médicaments de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui correspond
aux indications thérapeutiques, qu’au quatrième niveau de cette classification, correspondant au mode d’action, dans un même groupe, intitulé « inhibiteurs de l’[enzyme de conversion de l’angiotensine] seuls ». Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.
6 Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.
7 Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir les brevets EP0308339, EP0308340 (ci-après le « brevet 340 »), EP0308341 et EP0309324.
8 Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004.
9 Le 6 juillet 2001, Servier a, en outre, déposé des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977. Servier a, par exemple, déposé des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107532), en République tchèque (PV2003-357), en Estonie (P200300001), en Hongrie (HU225340), en Pologne (P348492) et en
Slovaquie (PP0149-2003). Ces brevets ont été délivrés le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 août 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en République tchèque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.
B. Le périndopril de Krka
10 À partir de l’année 2003, KRKA, tovarna zdravil, d.d. (ci-après « Krka »), une société établie en Slovénie qui fabrique des médicaments génériques, s’est lancée dans le développement de médicaments à base du principe actif périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine, visée par le brevet 947 (ci-après le « périndopril de Krka »). Au cours des années 2005 et 2006, elle a obtenu plusieurs autorisations de mise sur le marché et a commencé à commercialiser ce médicament dans
plusieurs États membres en Europe centrale et orientale, notamment en Hongrie et en Pologne. Au cours de cette période, elle a également préparé la mise sur le marché de ce médicament dans d’autres États membres, notamment en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
C. Les litiges relatifs au périndopril
11 Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.
1. Les décisions de l’OEB
12 Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Niche Generics Ltd (ci-après « Niche »), Krka, Lupin Ltd et Norton Healthcare Ltd, filiale d’Ivax Europe, qui a fusionné ultérieurement avec Teva Pharmaceutical Industries Ltd, société faîtière du groupe Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité
inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.
13 Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947 (ci-après la « décision de l’OEB du 27 juillet 2006 »). Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Après avoir conclu un accord de règlement amiable avec Servier, Niche s’est désistée de la procédure d’opposition le 9 février 2005. Krka et Lupin se sont désistées de la procédure devant la chambre de recours technique de l’OEB, respectivement, le 11 janvier 2007 et le
5 février 2007.
14 Par une décision du 6 mai 2009, la chambre de recours technique de l’OEB a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.
2. Les décisions des juridictions nationales
15 La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec
Niche, Matrix Laboratories Ltd (ci-après « Matrix »), Teva, Krka et Lupin.
16 Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du
périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.
17 Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision, Servier et
Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.
18 Par ailleurs, plusieurs litiges opposant Servier à Krka au sujet du périndopril ont été portés devant des juridictions nationales.
19 En Hongrie, le 30 mai 2006, Servier a introduit une demande d’injonction provisoire tendant à interdire la commercialisation du périndopril de Krka, en raison de la violation du brevet 947. Cette demande a été rejetée au mois de septembre 2006.
20 Au Royaume-Uni, le 28 juillet 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], d’une action en contrefaçon du brevet 340 contre Krka. Le 2 août 2006, Servier a saisi cette juridiction d’une action en contrefaçon du brevet 947 et d’une demande d’injonction provisoire contre Krka. Le 1er septembre 2006, Krka a introduit une première demande
reconventionnelle tendant à l’invalidation du brevet 947, à laquelle était associée une demande de procédure sommaire (motion of summary judgment) et, le 8 septembre 2006, une seconde demande reconventionnelle tendant à l’invalidation du brevet 340. Le 3 octobre 2006, ladite juridiction a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande de procédure sommaire introduite par Krka le 1er septembre 2006 (ci-après la « décision de la High Court du 3 octobre 2006 »). Le
1er décembre 2006, l’instance s’est éteinte à la suite du règlement amiable intervenu entre les parties et cette injonction provisoire a été levée.
D. Les accords Krka
21 Servier et Krka ont conclu trois accords (ci-après les « accords Krka »). Le 27 octobre 2006, elles ont conclu un accord de règlement amiable (ci-après l’« accord de règlement amiable Krka ») et un accord de licence, lequel a été complété par un avenant le 2 novembre 2006 (ci-après l’« accord de licence Krka » et, ces deux accords pris ensemble, les « accords de règlement amiable et de licence Krka »). En outre, Servier et Krka ont conclu, le 5 janvier 2007, un accord de cession et de licence
(ci-après l’« accord de cession et de licence Krka »).
22 L’accord de règlement amiable Krka visait le brevet 947 ainsi que les brevets nationaux équivalents. Par cet accord, dont le terme était fixé à l’expiration ou à la révocation des brevets 947 ou 340, Krka s’engageait à renoncer à toute prétention contre le brevet 947 dans le monde entier ainsi que contre le brevet 340 au Royaume-Uni et à ne contester aucun de ces deux brevets à l’avenir dans le monde entier. En outre, Krka et ses filiales n’étaient pas autorisées à lancer ou à commercialiser une
version générique du périndopril violant le brevet 947 pendant la durée de validité de ce dernier et dans les pays où il était encore valable, sauf autorisation expresse de Servier. De même, Krka ne pouvait fournir à aucun tiers une version générique du périndopril violant le brevet 947, sans l’autorisation expresse de Servier. En contrepartie, Servier était tenue de se désister de ses actions contre Krka en contrefaçon des brevets 947 et 340, y compris ses demandes d’injonction provisoire en
cours, dans le monde entier.
23 En vertu de l’accord de licence Krka, dont la durée correspondait à celle de la validité du brevet 947, Servier a concédé à Krka une licence exclusive et irrévocable sur ce brevet en vue d’utiliser, de fabriquer, de vendre, de proposer à la vente, de promouvoir et d’importer ses propres produits contenant la forme cristalline alpha de l’erbumine en République tchèque, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne, en Slovénie et en Slovaquie (ci-après les « marchés principaux de Krka »). En
contrepartie, Krka était tenue, aux termes de l’article 3 de cet accord, de verser à Servier une redevance de 3 % du montant net de ses ventes sur l’ensemble de ces territoires. Servier était autorisée, dans ces mêmes États, à utiliser directement ou indirectement, c’est-à-dire pour une de ses filiales ou pour un seul tiers par pays, le brevet 947.
24 En vertu de l’accord de cession et de licence Krka, Krka a transféré deux demandes de brevets à Servier, l’une concernant un procédé de synthèse du périndopril (WO 2005 113500) et l’autre la préparation de formulations de périndopril (WO 2005 094793). La technologie protégée par ces demandes de brevets était utilisée pour la production du périndopril de Krka. Cette dernière s’est engagée à ne pas contester la validité des brevets qui seraient délivrés sur la base desdites demandes. En
contrepartie de cette cession, Servier a versé à Krka la somme de 30 millions d’euros.
25 En outre, par cet accord, Servier a également concédé à Krka une licence non exclusive, irrévocable, non cessible et exempte de redevances, sans droit de concéder des sous-licences, hormis à ses filiales, sur les demandes ou les brevets qui en résultaient, cette licence n’étant pas limitée dans le temps, dans l’espace ou dans les usages pouvant en être faits.
III. La décision litigieuse
26 Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse.
27 Aux articles 1er à 5 de cette décision, la Commission a constaté que Servier avait enfreint l’article 101 TFUE, en participant aux accords Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin. En particulier, à l’article 4 de ladite décision, la Commission a souligné que les accords Krka avaient constitué une infraction unique et continue couvrant tous les États qui étaient membres de l’Union européenne à la date des faits, à l’exception de ceux constituant les marchés principaux de Krka ; que cette infraction
avait commencé le 27 octobre 2006, sauf en ce qui concerne la Bulgarie et la Roumanie, où elle avait commencé le 1er janvier 2007, Malte, où elle avait commencé le 1er mars 2007, et l’Italie, où elle avait commencé le 13 février 2009 ; et que ladite infraction avait pris fin le 6 mai 2009, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où elle avait pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où elle avait pris fin le 12 décembre 2007.
28 À l’article 7, paragraphes 1 à 5, de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Servier, au titre des infractions à l’article 101 TFUE, des amendes pour un montant total de 289727200 euros, dont 37661800 euros au titre de sa participation aux accords Krka.
29 Par ailleurs, à l’article 6 de la décision litigieuse, la Commission a relevé que Servier avait enfreint l’article 102 TFUE en élaborant et en mettant en œuvre, au moyen d’une acquisition de technologie et de cinq accords de règlement amiable, une stratégie d’exclusion couvrant le marché du périndopril et de la technologie relative au principe actif de ce médicament, en France, aux Pays-Bas, en Pologne et au Royaume-Uni.
30 À l’article 7, paragraphe 6, de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Servier, au titre de l’infraction à l’article 102 TFUE, une amende d’un montant de 41270000 euros.
IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
31 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 septembre 2014, Servier a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui avait été infligée par cette décision.
32 Par acte introduit le 2 février 2015, la European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) a demandé à intervenir à la procédure au soutien des conclusions de Servier. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 14 octobre 2015.
33 Dans son recours en première instance, Servier soulevait 17 moyens à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Sept de ces moyens sont pertinents aux fins du présent pourvoi, à savoir les quatrième, neuvième et dixième moyens, relatifs à l’infraction à l’article 101 TFUE en raison de la participation de cette entreprise aux accords Krka, ainsi que les quatorzième à dix-septième moyens, qui concernent l’infraction à l’article 102 TFUE.
34 Le Tribunal a accueilli les moyens dirigés contre la qualification des accords Krka d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il a considéré, en substance, que la Commission n’avait pas établi l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ni celle d’une restriction de la concurrence par effet. En conséquence, le Tribunal a annulé l’article 4 de la décision litigieuse, constatant une infraction à l’article 101 TFUE commise par Servier du fait de sa participation aux accords
Krka, et l’article 7, paragraphe 4, sous b), de cette décision, infligeant une amende à Servier au titre de cette infraction.
35 Le Tribunal a également accueilli les moyens dirigés contre la définition du marché du périndopril et la constatation d’un abus de position dominante de Servier sur ce marché ainsi que sur celui de la technologie relative au principe actif du périndopril. Il a, en substance, considéré que la définition du marché du périndopril était entachée d’erreurs d’appréciation de nature à vicier les constatations de la décision litigieuse relatives à la position dominante de Servier sur les marchés
pertinents. Il a, en conséquence, annulé l’article 6 de cette décision constatant un abus de position dominante par Servier, ainsi que l’article 7, paragraphe 6, de ladite décision infligeant une amende à Servier au titre de cette même infraction.
36 Le Tribunal a rejeté le recours pour le surplus.
V. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
37 Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 février 2019, la Commission a introduit le présent pourvoi.
38 Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 mai 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 19 juin 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.
39 La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, EU:C:2021:244), et
du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245). La Commission, Servier, l’EFPIA et le Royaume-Uni ont déféré à cette demande dans le délai imparti.
40 La phase orale de la procédure a été clôturée le 14 juillet 2022 à la suite de la présentation des conclusions de Mme l’avocate générale.
41 Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour :
– d’annuler les points 1 à 3 du dispositif de l’arrêt attaqué qui annulent (i) l’article 4 de la décision litigieuse en tant qu’il constate la participation de Servier aux accords Krka, (ii) l’article 7, paragraphe 4, sous b), de cette décision qui fixe l’amende prononcée contre Servier pour avoir passé ces accords, (iii) l’article 6 de ladite décision qui constate une infraction par Servier à l’article 102 TFUE et (iv) l’article 7, paragraphe 6, de la même décision qui fixe le montant de
l’amende infligée à Servier relativement à cette infraction ;
– d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il déclare les annexes A 286 et A 287 à la requête en première instance et l’annexe C 29 à la réplique en première instance recevables ;
– de statuer définitivement sur la requête en annulation de la décision litigieuse présentée par Servier et de rejeter la demande de cette dernière tendant à l’annulation de l’article 4, de l’article 7, paragraphe 4, sous b), de l’article 6 et de l’article 7, paragraphe 6, de cette décision et de faire droit à la demande de la Commission de déclarer irrecevables les annexes A 286 et A 287 à la requête en première instance et l’annexe C 29 à la réplique en première instance, et
– de condamner Servier à supporter la totalité des dépens du présent pourvoi.
42 Servier demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi dans son intégralité et
– de condamner la Commission aux dépens.
43 L’EFPIA demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi dans son intégralité et
– de condamner la Commission aux dépens.
44 Le Royaume-Uni demande à la Cour de faire droit aux conclusions de la Commission.
VI. Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure
45 Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 juillet 2022, Servier a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure. À l’appui de cette demande, Servier invoque la nécessité d’assurer un débat contradictoire suffisant sur des points clés du contexte factuel de la présente affaire, tout en critiquant divers éléments des conclusions de Mme l’avocate générale. Selon Servier, une telle réouverture s’impose étant donné que ces conclusions proposent à la Cour de statuer définitivement sur le
litige alors que certains moyens soulevés en première instance impliquant des évaluations factuelles complexes n’auraient été ni examinés ni, a fortiori, tranchés par le Tribunal.
46 Il convient de rappeler que, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas
été débattu entre les parties.
47 Il importe de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général. En vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par
ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles-ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).
48 En l’espèce, la Cour, l’avocate générale entendue, constate que les éléments avancés par Servier ne révèlent aucun fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision qu’elle est appelée à rendre dans la présente affaire et que cette dernière ne doit pas être tranchée sur la base d’un argument qui n’aurait pas été débattu entre les parties ou les intéressés. La Cour disposant, au terme des phases écrite et orale de la procédure, de tous les éléments nécessaires, elle est donc
suffisamment éclairée pour statuer sur le présent pourvoi. En tout état de cause, il convient de rappeler que, lorsque le pourvoi est fondé et que le litige est en état d’être jugé, au sens de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut alors statuer elle-même définitivement sur celui-ci. Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture de la phase orale de la procédure.
VII. Sur le pourvoi
49 Au soutien de son pourvoi, la Commission soulève onze moyens. Par ses premier à sixième moyens, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a considéré que les accords Krka ne constituaient pas une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Par son septième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que la Commission n’avait pas établi que ces accords
constituaient une restriction de la concurrence par effet.
50 Le huitième et le neuvième moyen sont pris d’erreurs de droit relatives à la définition du marché du médicament périndopril retenue, dans la décision litigieuse, pour soutenir l’existence d’une infraction à l’article 102 TFUE. Par son dixième moyen, la Commission soulève des erreurs de droit que le Tribunal aurait commises lorsqu’il a jugé recevables certaines pièces que Servier avait annexées à sa requête et à sa réplique en première instance. Le onzième moyen est pris d’erreurs de droit dans
l’appréciation, par le Tribunal, de l’existence d’un abus de position dominante sur le marché de la technologie relative au principe actif du périndopril.
A. Sur les premier à sixième moyens, relatifs à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
51 Le premier moyen est pris d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait statué sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet sans vérifier si Krka était un concurrent potentiel de Servier ni répondre à l’argumentation de cette dernière à ce sujet, d’une violation des limites du contrôle juridictionnel, d’une violation des règles relatives à l’administration de la preuve, d’une dénaturation des preuves relatives à l’existence d’une concurrence
potentielle entre Krka et Servier, et du caractère insuffisant et contradictoire de la motivation de l’arrêt attaqué.
52 Le deuxième moyen est pris de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait appliqué des critères juridiques erronés afin d’apprécier l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, d’une dénaturation des preuves, ainsi que du caractère insuffisant et contradictoire de la motivation de l’arrêt attaqué.
53 Le troisième moyen est pris d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait exigé qu’un accord visant à répartir des marchés prévoie une répartition « étanche » entre les parties pour pouvoir relever de l’interdiction prévue à cette disposition, d’une interprétation erronée du règlement (CE) no 772/2004 de la Commission, du 27 avril 2004, concernant l’application de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO
2004, L 123, p. 11), et de la communication de la Commission intitulée « Lignes directrices relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie » (JO 2004, C 101, p. 2), ainsi que de la dénaturation de certains éléments de preuve.
54 Le quatrième moyen est pris d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait critiqué la décision litigieuse pour avoir constaté une restriction de la concurrence par objet sans analyser l’intention des parties, d’une violation des règles relatives à l’administration de la preuve, ainsi que d’une insuffisance de motivation.
55 Le cinquième moyen est tiré d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait pris en considération les effets proconcurrentiels de l’accord de licence Krka sur les marchés principaux de Krka, alors que la décision litigieuse n’avait pas constaté d’infraction sur ces marchés.
56 Le sixième moyen est pris d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que les erreurs de droit alléguées dans le cadre des premier à cinquième moyens du pourvoi auraient conduit le Tribunal à refuser de reconnaître que l’accord de cession et de licence Krka constituait une restriction de la concurrence par objet, ainsi que d’une insuffisance de motivation.
1. Les points pertinents de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué
a) La décision litigieuse
57 Aux considérants 1670 à 1859 de la décision litigieuse, la Commission a procédé à l’appréciation des accords Krka au regard de l’article 101 TFUE. Pour les raisons exposées aux considérants 1670 à 1812 de cette décision, elle a considéré que ces accords constituaient une infraction unique et continue qui avait pour objet de restreindre la concurrence en partageant les marchés du périndopril dans l’Union entre ces deux entreprises.
58 D’une part, il ressort des considérants 1701 à 1763 de la décision litigieuse que les accords de règlement amiable et de licence Krka avaient pour objet le partage et l’allocation des marchés de l’Union entre Servier et Krka. L’accord de licence autorisait Krka à continuer ou à commencer de commercialiser une version générique du périndopril dans le cadre d’un duopole de fait avec Servier dans les marchés principaux de Krka. Cette autorisation constituait la contrepartie de l’engagement de Krka,
au titre de l’accord de règlement amiable Krka, de s’abstenir de faire concurrence à Servier dans les autres marchés nationaux sur le territoire de l’Union, lesquels constituent les marchés principaux de cette entreprise (ci-après les « marchés principaux de Servier »). La Commission a donc considéré que ledit accord de licence constituait l’incitation offerte par Servier pour que Krka accepte les restrictions convenues dans l’accord de règlement amiable Krka.
59 D’autre part, la Commission a constaté, aux considérants 1764 à 1810 de la décision litigieuse, que l’accord de cession et de licence Krka avait permis de renforcer la position concurrentielle des parties, telle qu’elle résultait des accords de règlement amiable et de licence Krka, en empêchant Krka de céder sa technologie pour la production de périndopril à d’autres fabricants de médicaments génériques qui auraient alors pu l’utiliser pour commercialiser des versions génériques de ce médicament
sur les marchés principaux de Servier. Le versement par Servier à Krka de la somme de 30 millions d’euros étant sans lien avec les revenus que Servier pouvait réaliser ou attendre de l’exploitation commerciale de la technologie ainsi cédée par Krka, le paiement de cette somme a été analysé par la Commission comme un partage de la rente résultant du renforcement de la répartition des marchés entre Servier et Krka.
b) L’arrêt attaqué
60 Le Tribunal a exposé, en premier lieu, aux points 255 à 274 de l’arrêt attaqué, les conditions dans lesquelles l’insertion, dans des accords de règlement amiable de litiges de brevets, de clauses de non-contestation de brevets et de non-commercialisation de produits génériques est anticoncurrentielle. Selon le Tribunal, une telle insertion est anticoncurrentielle si elle est fondée non pas sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet et du caractère contrefaisant des produits
génériques concernés, mais sur un paiement inversé significatif et non justifié de la part du titulaire du brevet en faveur du fabricant de médicaments génériques, qui incite celui-ci à se soumettre auxdites clauses. Le Tribunal a constaté, au point 271 de l’arrêt attaqué, que, en présence d’une telle incitation, des accords de cette nature doivent être regardés comme des accords d’exclusion du marché par lesquels les restants indemnisent les sortants.
61 En deuxième lieu, le Tribunal a exposé, aux points 797 à 810 de l’arrêt attaqué, que, lorsqu’un accord commercial usuel est associé à un accord de règlement amiable d’un litige de brevet comportant des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, un tel montage contractuel doit être qualifié d’anticoncurrentiel si la valeur transférée par le titulaire du brevet au fabricant de médicaments génériques au titre de l’accord commercial excède la valeur du bien cédé par ce dernier au titre
de cet accord. En d’autres termes, un tel montage contractuel doit être qualifié d’anticoncurrentiel si l’accord commercial usuel associé à l’accord de règlement amiable sert en réalité à masquer un transfert de valeur du titulaire du brevet vers le fabricant de médicaments génériques, qui n’a d’autre contrepartie que l’engagement de ce dernier à ne pas livrer concurrence.
62 En troisième lieu, le Tribunal s’est prononcé, aux points 943 à 1032 de l’arrêt attaqué, sur le cas de figure particulier de l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord de licence, telle que celle résultant des accords de règlement amiable et de licence Krka. Il a estimé que, dans un tel cas de figure, les considérations applicables à l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord commercial usuel, résumées au point précédent du présent arrêt, ne sont pas
valables. Il ressort des points 943 à 947 de l’arrêt attaqué que l’association d’un accord de règlement amiable à un accord de licence constituerait un moyen approprié de mettre fin au litige en permettant l’entrée de la société de génériques sur le marché et en faisant droit aux prétentions des deux parties. En outre, la présence, dans un accord de règlement amiable, de clauses de non-commercialisation et de non-contestation serait légitime lorsque cet accord se fonde sur la reconnaissance par
les parties de la validité du brevet. Or, un accord de licence, qui n’aurait de sens que lorsque la licence est effectivement exploitée, serait précisément fondé sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet.
63 Le Tribunal, aux points 948 et 952 de l’arrêt attaqué, a considéré que, pour établir que l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord de licence masque en réalité un paiement inversé du titulaire du brevet en faveur du fabricant de médicaments génériques, la Commission doit démontrer que la redevance versée au titulaire du brevet, au titre de cet accord de licence, par ce fabricant est anormalement basse.
64 Le Tribunal a, en substance, exposé, aux points 953 à 956 de l’arrêt attaqué, que le niveau anormalement bas de cette redevance doit ressortir avec d’autant plus d’évidence afin de qualifier un accord de règlement amiable de restriction de la concurrence par objet, que le caractère anticoncurrentiel des clauses de non-commercialisation et de non-contestation que comporte cet accord est atténué par l’effet proconcurrentiel de l’accord de licence, qui favoriserait l’entrée du fabricant de
médicaments génériques sur le marché.
65 Le Tribunal en a conclu, au point 963 de l’arrêt attaqué, que, « en présence d’un véritable litige opposant les parties concernées en justice et d’un accord de licence qui apparaît en lien direct avec le règlement amiable de ce litige, l’association de cet accord à l’accord de règlement amiable ne constitue pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé. Dans une telle hypothèse, c’est donc sur la base d’autres indices que la Commission peut démontrer que l’accord de licence ne
constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché et masque ainsi un paiement inversé ».
66 C’est à la lumière de ces éléments que le Tribunal a examiné, aux points 964 à 1031 de l’arrêt attaqué, les accords de règlement amiable et de licence Krka, et est parvenu, au point 1032 de cet arrêt, à la conclusion que ces accords ne révélaient pas « un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour que la Commission ait pu considérer à bon droit qu’ils étaient constitutifs d’une restriction [de la concurrence] par objet ».
2. Sur la recevabilité des premier à sixième moyens
67 Servier soutient que le pourvoi, pris dans son ensemble et plus particulièrement dans ses premier à sixième moyens, est irrecevable pour plusieurs motifs.
68 En premier lieu, une grande partie de l’argumentation de la Commission développée dans le cadre des premier à quatrième moyens viserait à demander à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits.
69 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise,
comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).
70 En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié des faits, la Cour est compétente pour exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal a qualifié leur nature juridique et en a fait découler des conséquences en droit. Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, EU:C:2021:154, point 53
ainsi que jurisprudence citée).
71 En l’occurrence, par son premier moyen, la Commission reproche, tout d’abord, au Tribunal, en substance, d’avoir appliqué un critère juridique incorrect pour apprécier la légalité des motifs de la décision litigieuse ayant conduit à constater l’existence d’une concurrence potentielle entre Krka et Servier. Ensuite, la Commission critique le Tribunal pour avoir motivé l’arrêt attaqué de manière insuffisante ou contradictoire, ainsi que pour avoir dénaturé certaines preuves. Enfin, elle soutient
que cette juridiction a enfreint les règles régissant l’administration de la preuve et la portée du contrôle juridictionnel en omettant de se prononcer sur les griefs relatifs à la concurrence potentielle développés dans le cadre notamment du neuvième moyen du recours en première instance, en omettant d’analyser le raisonnement et l’ensemble des preuves figurant dans la décision litigieuse relatives à l’objet anticoncurrentiel des accords de règlement amiable et de licence Krka, ainsi qu’en
substituant aux motifs de cette décision sa propre appréciation des faits, dans la mesure où il a imputé à Krka des motifs expliquant le choix de cette entreprise de poursuivre son action contentieuse après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, alors même que ces motifs ne constituent qu’une allégation, d’ailleurs contredite par d’autres constatations opérées par le Tribunal.
72 Ainsi, il y a lieu de constater que, par cette argumentation, la Commission conteste l’interprétation ainsi que l’application de la notion de concurrence potentielle, et invoque la violation de règles procédurales ainsi que la dénaturation de preuves. Contrairement à ce que soutient Servier, des griefs de cette nature relèvent de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, conformément à la jurisprudence citée aux points 69 et 70 du présent arrêt.
73 Par ses deuxième à quatrième moyens, la Commission conteste essentiellement l’appréciation portée par le Tribunal sur l’objet anticoncurrentiel des accords Krka consistant à opérer un partage des marchés. Or, une telle question constitue manifestement une question de droit dès lors qu’elle implique de déterminer si le Tribunal a procédé à une interprétation et à une application erronées de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
74 Par son cinquième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit en ayant pris en compte des effets prétendument proconcurrentiels de l’accord de licence Krka sur les marchés principaux de Krka, alors qu’aucune infraction n’avait été constatée par la Commission sur ces marchés, et que de tels effets ne pouvaient pas justifier une restriction de la concurrence sur d’autres marchés. Il y a lieu d’observer qu’une telle argumentation se rapporte au critère juridique
appliqué par le Tribunal pour apprécier la pertinence des effets proconcurrentiels qu’il a constatés et que son examen relève dès lors de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
75 Par son sixième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir refusé de reconnaître que l’accord de cession et de licence Krka constituait une restriction de la concurrence par objet, au motif que cette qualification reposait sur le constat erroné de l’existence d’un partage de marché entre Krka et Servier. Ainsi, le sort de ce moyen dépend de celui réservé aux griefs avancés par la Commission dans le cadre de ses premier à cinquième moyens, lesquels visent effectivement des erreurs de droit.
Par conséquent, l’examen du sixième moyen relève de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
76 En deuxième lieu, Servier soutient, d’une manière générale, que le pourvoi se borne à réitérer les arguments invoqués par la Commission en première instance et qui ont été rejetés par le Tribunal, sans démontrer l’existence, dans l’arrêt attaqué, d’erreurs de droit ni de dénaturations des faits. Tel serait le cas de l’argumentation de la Commission développée au soutien du premier moyen, notamment pris en sa quatrième branche, et du troisième moyen pris en sa deuxième branche.
77 Il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Selon la jurisprudence
constante de la Cour, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C‑656/20 P, EU:C:2022:222, point 35 et jurisprudence citée).
78 Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait pas fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C‑656/20 P,
EU:C:2022:222, point 36 et jurisprudence citée).
79 En l’espèce, s’il est vrai que l’argumentation développée par la Commission dans le cadre de son pourvoi présente des similarités certaines avec celle qu’elle avait invoquée en première instance, il n’en reste pas moins qu’elle ne se borne pas à réitérer les arguments déjà présentés par elle devant le Tribunal, mais conteste spécifiquement l’interprétation et l’application du droit de l’Union faites par cette juridiction. Il s’ensuit que l’argumentation de Servier prise de la répétition de
l’argumentation de la Commission en première instance ne saurait être accueillie.
80 En troisième lieu, Servier fait valoir que l’argumentation de la Commission, plus particulièrement celle développée dans le cadre des premier à cinquième moyens, ne présente pas une clarté suffisante pour être recevable.
81 À cet égard, ainsi qu’il ressort de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, les moyens et les arguments de droit soulevés et invoqués doivent identifier avec précision les points des motifs de la décision du Tribunal qui sont contestés (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE, C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702, points 33 et 34). Tel est le cas en l’espèce, la Commission ayant, dans son pourvoi, indiqué de manière circonstanciée
les éléments critiqués de l’arrêt attaqué ainsi que les arguments juridiques au soutien de sa demande d’annulation de celui-ci, tout en se référant de manière spécifique aux points de l’arrêt attaqué faisant l’objet de son argumentation.
82 En quatrième lieu, Servier allègue que le pourvoi se limite à citer de manière parcellaire et sélective l’arrêt attaqué et qu’il repose sur une interprétation erronée de son contenu.
83 Or, par cette argumentation, Servier conteste, en réalité, la validité, au fond, des moyens du pourvoi. Une telle argumentation relève de l’appréciation au fond de ces moyens et ne peut, dès lors, conduire à l’irrecevabilité de ce pourvoi.
84 Enfin, en cinquième lieu, Servier fait valoir que la Commission, en ce qu’elle reproche au Tribunal, dans le cadre de ses premier, quatrième et sixième moyens, d’avoir omis d’examiner certains passages de la décision litigieuse ainsi que l’ensemble des éléments de preuve cités dans celle-ci, se méprend sur la nature du contrôle opéré par cette juridiction.
85 Toutefois, la généralité d’une telle fin de non-recevoir ne saurait conduire à l’irrecevabilité des premier, quatrième et sixième moyens du pourvoi. La Cour statuera ponctuellement sur les fins de non-recevoir invoquées de manière plus spécifique par Servier dans le cadre de l’examen des moyens concernés.
86 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir opposées par Servier, d’une manière générale, à l’égard des premier à sixième moyens du pourvoi.
3. Considérations liminaires relatives à l’examen au fond des premier à sixième moyens
87 Avant d’examiner le bien-fondé des moyens relatifs à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, il importe de souligner que, à la différence des circonstances à l’origine des affaires dans lesquelles la Cour a été appelée à statuer sur la qualification juridique, au regard de l’article 101 TFUE, d’accords en vertu desquels un fabricant de médicaments princeps a compensé économiquement un fabricant de médicaments génériques en contrepartie de la renonciation de ce dernier à entrer
sur le marché, notamment les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), et contrairement aux autres accords conclus par Servier ayant fait l’objet de la décision litigieuse, les accords de règlement amiable et de licence Krka ne prévoyaient aucun paiement de la part du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques. Au contraire,
l’accord de licence Krka prévoyait des paiements du second au bénéfice du premier.
88 En revanche, selon les considérants 1731 à 1749 de la décision litigieuse, les accords de règlement amiable et de licence Krka auraient permis à Servier de retarder l’entrée sur le marché de médicaments génériques produits par Krka. Sur le territoire de l’Union, ces deux entreprises se seraient partagé les marchés nationaux en deux sphères d’influence, comprenant pour chacune d’elles leurs marchés principaux, à l’intérieur desquelles elles pouvaient exercer leurs activités dans l’assurance,
s’agissant de Servier, de ne pas subir, de la part de Krka, de pressions concurrentielles excédant les limites résultant de ces accords et, s’agissant de Krka, de ne pas courir le risque d’être poursuivie pour contrefaçon par Servier.
89 S’il ressort donc des éléments issus de la décision litigieuse que Servier n’a pas effectué de paiement inversé en tant que tel en faveur de Krka dans le cadre de l’accord de règlement amiable Krka, il en ressort également, selon la Commission, que ces entreprises se sont réparti géographiquement les différents marchés nationaux à l’intérieur de l’Union. Il sera donc nécessaire de prendre ces circonstances en considération afin de statuer, notamment, sur les deuxième et troisième moyens, et
d’apprécier si, et le cas échéant dans quelle mesure, est fondée l’argumentation de la Commission visant à remettre en cause les critères juridiques sur la base desquels le Tribunal a accueilli les moyens de première instance invoqués par Servier pour contester la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet.
90 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
91 Ainsi, pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit révéler l’existence d’une collusion entre elles, à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31 ainsi que jurisprudence citée].
92 Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].
93 En outre, il est nécessaire, conformément aux termes mêmes de cette disposition, de démontrer soit que ce comportement a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, soit que ce comportement a un tel effet (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 158). Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par
effet, chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63].
94 Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit
Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115 ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 159).
95 En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 17).
96 Cette distinction tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 35). La notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de
manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, et
du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citée).
97 La Cour a déjà jugé que des accords portant sur la répartition des marchés constituent des violations particulièrement graves de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2013, Gosselin Group/Commission, C‑429/11 P, EU:C:2013:463, point 50 ; du 5 décembre 2013, Solvay Solexis/Commission, C‑449/11 P, EU:C:2013:802, point 82, ainsi que du 4 septembre 2014, YKK e.a./Commission, C‑408/12 P, EU:C:2014:2153, point 26). La Cour a considéré, en outre, que des accords de cette nature ont un
objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un tel objet ne pouvant être justifié au moyen d’une analyse du contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit (arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, EU:C:2013:866, point 218).
98 S’agissant de telles catégories d’accords, c’est donc uniquement en application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE et pour autant que l’ensemble des conditions prévues par cette disposition soient respectées qu’ils peuvent se voir octroyer le bénéfice d’une exemption de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 21, ainsi que du 21 décembre 2023,
European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 187).
99 La mise en œuvre des principes qui viennent d’être rappelés à l’égard de pratiques collusoires prenant la forme d’accords de coopération horizontale entre entreprises, tels que les accords Krka, implique de déterminer, dans un premier stade, si ces pratiques peuvent être qualifiées de restriction de la concurrence par des entreprises se trouvant dans une situation de concurrence, ne serait-ce que potentielle. Si tel est le cas, il y a lieu de vérifier, dans un second stade, si, eu égard à leurs
caractéristiques économiques, lesdites pratiques relèvent de la qualification de restriction de la concurrence par objet.
100 S’agissant du premier stade de cette analyse, la Cour a déjà jugé que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, il convient de déterminer, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence
le second [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
101 Ainsi, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de conclusion de tels accords, le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. De telles démarches permettent d’établir l’existence de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au
marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 à 45].
102 La Cour a déjà jugé que d’éventuels brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication font incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques. Toutefois, l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un
fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette appréciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].
103 Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de médicaments génériques n’était pas présent sur le marché concerné, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020,
Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
104 Dans un second stade de ladite analyse, afin de déterminer si un report de l’entrée sur le marché de médicaments génériques, résultant d’un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets, en contrepartie de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de ces médicaments génériques doit être considéré comme étant une pratique collusoire constitutive d’une restriction de la concurrence par objet, il y a lieu d’examiner d’abord si ces transferts de
valeur peuvent se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps. Si tel n’est pas le cas, il importe de vérifier si ces transferts de valeur s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se
livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeur était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant
de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 94].
105 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la contestation de la validité et de la portée d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies, de sorte que des accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à
ne pas le contester pas plus qu’à entrer sur ce marché sont susceptibles de restreindre la concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 81 et jurisprudence citée].
106 Eu égard aux éléments qui précèdent, il incombait au Tribunal d’appliquer les critères exposés aux points 104 et 105 du présent arrêt afin de statuer sur la partie de l’argumentation de Servier invoquée en particulier dans le cadre du neuvième moyen de première instance, relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet et ainsi de déterminer si la Commission avait valablement pu, dans la décision litigieuse, constater l’existence d’une telle restriction.
107 Ainsi, une fois établie l’existence des éléments relatifs à la concurrence potentielle, qui font l’objet du premier moyen du pourvoi, il incombait au Tribunal, dans ce second stade, de vérifier si les accords de règlement amiable et de licence Krka constituaient un accord de partage de marché qui restreignait la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, catégorie d’accords expressément interdite par cette disposition. Il lui appartenait d’examiner, dans ce contexte,
les objectifs de ces accords ainsi que le lien économique qui existait entre eux, selon la décision litigieuse, et, plus particulièrement, la question de savoir si le transfert de valeur par Servier au bénéfice de Krka au moyen de l’accord de licence Krka était suffisamment important pour inciter Krka à procéder à une répartition des marchés avec Servier, en renonçant, ne serait-ce que temporairement, à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’assurance de pouvoir
commercialiser sa version générique du périndopril sur ses propres marchés principaux sans encourir le risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Servier.
108 En outre, le Tribunal devait prendre en considération les intentions des entreprises impliquées pour vérifier si, au vu des éléments visés au point précédent, ces intentions correspondaient à son analyse des buts objectifs que lesdites entreprises visaient à atteindre à l’égard de la concurrence, étant cependant précisé que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la circonstance que ces mêmes entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence
et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).
4. Sur le premier moyen
a) Sur le caractère opérant du premier moyen
1) Argumentation des parties
109 Servier soutient que le premier moyen, selon lequel le Tribunal aurait commis des erreurs de droit en concluant que Krka n’était pas une source de pression concurrentielle sur Servier à la date des accords Krka, est inopérant. Le fait que le Tribunal n’a pas statué sur la concurrence potentielle ne saurait remettre en cause les appréciations de celui-ci relatives à l’absence de restriction de la concurrence par objet. En effet, la démonstration d’une concurrence potentielle ne serait pas une
condition suffisante pour retenir cette qualification. Servier ajoute que, le Tribunal ayant considéré que la Commission avait erronément retenu cette qualification en s’appuyant sur des motifs étrangers à la qualité de concurrent potentiel de Krka, il n’était pas nécessaire d’examiner une telle qualité, ainsi qu’il ressort d’ailleurs du point 1234 de l’arrêt attaqué.
110 Selon la Commission, le premier moyen est opérant.
2) Appréciation de la Cour
111 Il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un moyen dirigé contre des motifs d’un arrêt attaqué qui sont sans influence sur le dispositif de celui-ci est inopérant et doit, dès lors, être rejeté (arrêt du 27 avril 2023, Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro e.a./Commission, C‑549/21 P, EU:C:2023:340, point 80 ainsi que jurisprudence citée).
112 Par ailleurs, il est loisible au Tribunal, après avoir exposé les motifs pour lesquels un moyen d’annulation doit être déclaré fondé, de considérer, pour des raisons d’économie de procédure, qu’il n’est pas nécessaire de répondre à tous les arguments exposés à l’appui de ce moyen, dès lors que ces motifs suffisent à justifier le dispositif de l’arrêt attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Conseil et Commission/Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C‑191/09 P et C‑200/09 P,
EU:C:2012:78, point 111).
113 En l’espèce, le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, aux termes duquel le Tribunal a annulé l’article 4 de la décision litigieuse qui avait constaté l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE du fait des accords Krka, repose, d’une part, sur les motifs exposés aux points 943 à 1060 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a jugé que la Commission avait, à tort, considéré que ces accords étaient constitutifs d’une restriction de la concurrence par objet, et, d’autre part, sur les
motifs exposés aux points 1061 à 1232 de cet arrêt, par lesquels le Tribunal a jugé que la Commission avait erronément constaté l’existence d’une restriction de la concurrence par effet. Ainsi, après avoir considéré, en substance, au point 1233 dudit arrêt que la Commission n’avait pas établi que Servier, en concluant les accords Krka, avait commis une infraction à l’article 101 TFUE, le Tribunal a jugé, au point 1234 du même arrêt, qu’il y avait lieu d’annuler l’article 4 de la décision
litigieuse, « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs invoqués par [Servier] dans le cadre du présent moyen ainsi que le moyen relatif à la qualité de concurrent potentiel de Krka ».
114 Contrairement à ce que prétend Servier, cette appréciation du Tribunal ne signifie pas que le premier moyen du pourvoi de la Commission est dirigé contre des motifs de l’arrêt attaqué qui sont sans influence sur son dispositif. En effet, ce moyen tend à remettre en cause les motifs de cet arrêt relatifs à la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par objet, motifs qui ont conduit le Tribunal à annuler l’article 4 de la décision litigieuse. Par ledit moyen, la Commission
fait valoir, en substance, que le Tribunal a, dans le cadre de son analyse de la qualification des accords Krka au regard de la notion de restriction de la concurrence par objet, pris en considération la prétendue reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947, sur le fondement, notamment, d’un critère juridique erroné, d’une appréciation partielle, voire sélective, des éléments de preuve figurant dans la décision litigieuse ainsi que de la dénaturation de certains de ces éléments. La
Commission soutient, en particulier, que le Tribunal ne pouvait pas se prononcer sur la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 sans examiner les preuves mentionnées dans la décision litigieuse afin de démontrer que Krka était un concurrent potentiel de Servier. Selon cette institution, ces preuves démontrent que Krka, qui avait à la fois la détermination ferme et la capacité propre d’entrer sur le marché du périndopril, a conclu l’accord de règlement amiable Krka non pas parce
qu’elle était convaincue de la validité de ce brevet, mais parce que l’accord de licence Krka l’avait incitée à conclure un accord avec Servier sur une répartition géographique des marchés nationaux, chacune renonçant à concurrencer librement l’autre sur ses principaux marchés.
115 Il convient de relever à cet égard que le Tribunal a constaté, tout d’abord, au point 970 de l’arrêt attaqué, qu’il existait au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka « des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » et ensuite, au point 971 de cet arrêt, que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirmant la validité du brevet 947 avait donc été « [l’]un des éléments déclencheurs aboutissant aux accords de
règlement amiable et de licence ». Il en a déduit, enfin, au point 972 dudit arrêt que « l’association de ces deux accords était justifiée et ne constitu[ait] donc pas un indice sérieux d’un paiement inversé de Servier vers Krka auquel [aurait donné] lieu l’accord de licence ».
116 De même, le Tribunal a jugé, au point 1026 de l’arrêt attaqué, que la circonstance que Krka avait continué à contester les brevets de Servier et à commercialiser son produit alors même que la validité du brevet 947 avait été confirmée par la division d’opposition de l’OEB ne constituait pas un élément déterminant aux fins de constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, un tel maintien par Krka de la pression concurrentielle exercée sur Servier pouvant s’expliquer par son
désir, malgré les risques contentieux qu’elle anticipait, de renforcer sa position dans les négociations qu’elle était susceptible d’engager avec Servier en vue de parvenir à un accord de règlement amiable.
117 Or, ce raisonnement n’est compréhensible que si l’on considère que le Tribunal a nécessairement jugé que, après que l’OEB avait confirmé la validité du brevet 947, le périndopril de Krka, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par ce brevet, ne pouvait plus concurrencer celui de Servier, mettant ainsi fin à toute concurrence potentielle entre ces entreprises. Dans cette perspective, l’accord de règlement amiable Krka, par lequel cette entreprise a renoncé à entrer sur les
marchés de Servier, ne ferait que refléter les droits issus de ce brevet et ne pourrait donc pas être perçu comme étant la véritable contrepartie de l’octroi, par Servier, d’une licence dudit brevet sur les marchés principaux de Krka. Or, le Tribunal a explicitement indiqué au point 1234 de l’arrêt attaqué qu’il y avait lieu d’annuler l’article 4 de la décision litigieuse « sans qu’il soit besoin d’examiner [...] le moyen relatif à la qualité de concurrent potentiel de Krka ». Toutefois, il
ressort des motifs ayant conduit à l’annulation de cette décision que le Tribunal a, en réalité, examiné certains griefs relevant de ce moyen ainsi que plusieurs considérants de ladite décision qui se rapportent à la question de la concurrence potentielle entre Krka et Servier.
118 En effet, il ressort des appréciations opérées, notamment, aux points 943 à 1032 et 1140 à 1233 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est fondé de manière décisive sur la prétendue reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947 à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et de celle de la High Court du 3 octobre 2006, en ce qui concerne la qualification des accords Krka tant de restriction de la concurrence par objet que de restriction de la concurrence par effet. Le Tribunal
ayant considéré que la possibilité pour Krka d’entrer sur les marchés principaux de Servier pour concurrencer cette dernière dépendait essentiellement de la question de savoir si, à la date des accords Krka, Krka reconnaissait la validité du brevet 947, et la qualité de Krka en tant que concurrent potentiel de Servier résultant de la possibilité pour Krka d’entrer sur ces marchés, il y a lieu de considérer qu’il existe un lien étroit entre cette prétendue reconnaissance et la qualité de Krka en
tant que concurrent potentiel de Servier.
119 Dans ces conditions, contrairement à ce que prétend Servier, le fait que le Tribunal, après avoir accueilli l’argumentation de cette entreprise concernant l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, a indiqué au point 1234 de l’arrêt attaqué qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur « le moyen relatif à la qualité de concurrent potentiel de Krka » ne signifie donc pas que le premier moyen de la Commission soit dirigé contre des motifs sans influence sur le dispositif de cet
arrêt, car il résulte, notamment, des points 967, 968 et 970 à 972 de celui-ci que le Tribunal a nécessairement examiné certains griefs avancés par Servier en première instance relatifs à la concurrence potentielle.
120 Il s’ensuit que le premier moyen est opérant.
b) Sur les première à troisième branches
1) Argumentation des parties
121 Par la première branche de son premier moyen, la Commission critique le point 1026 de l’arrêt attaqué. Selon elle, le Tribunal n’aurait pas appliqué le critère correct lorsqu’il semble avoir considéré que Krka avait cessé d’être un concurrent potentiel à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et parce qu’il n’avait plus d’incitation à entrer sur le marché. À cet égard, d’une part, il conviendrait de déterminer si, en l’absence d’accords, il y aurait eu des possibilités réelles et
concrètes d’entrer sur le marché et de faire concurrence aux entreprises établies. D’autre part, le Tribunal aurait substitué sa propre évaluation à celle de la Commission en jugeant que Krka n’avait continué d’exercer une pression concurrentielle sur Servier après cette décision de l’OEB qu’aux fins de renforcer sa position dans la négociation avec cette entreprise, sans expliquer les raisons pour lesquelles Krka n’aurait pas été en mesure, en l’absence des accords en cause, d’entrer sur le
marché.
122 Par la deuxième branche de son premier moyen, la Commission critique les points 970 et 1028 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait, en substance, considéré que la Commission n’était pas parvenue à prouver que l’accord de règlement amiable Krka avait été conclu par cette entreprise pour des raisons autres que le fait que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 l’avait convaincue de la validité du brevet 947. Or, le Tribunal aurait omis d’examiner les preuves et le raisonnement contraires figurant
aux considérants 1686 à 1690 de la décision litigieuse. Selon la Commission, le Tribunal aurait ainsi méconnu les règles relatives à l’administration de la preuve ainsi que la portée du contrôle de légalité qu’il lui appartient d’opérer au titre de l’article 263 TFUE à l’égard des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE.
123 Par la troisième branche de son premier moyen, la Commission invoque une contradiction entre le point 361 et le point 970 de l’arrêt attaqué. Le premier affirmerait que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ne suffisait pas à elle seule à empêcher une concurrence potentielle de se déployer, alors que, selon le second, ladite décision de l’OEB avait convaincu Krka de la validité du brevet 947, la poussant ainsi à transiger avec Servier.
124 Servier soutient, tout d’abord, que la première branche procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, car le Tribunal n’a pas écarté la qualité de concurrent potentiel de Krka. Le Tribunal n’aurait pas substitué son appréciation à celle de la Commission, mais rejeté la pertinence de la poursuite des litiges par Krka après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006. Ensuite, Servier fait valoir que la deuxième branche est irrecevable, car la Commission demande à la Cour de réexaminer les faits à
la lumière des preuves mentionnées dans la décision litigieuse, notamment aux considérants 1680 à 1700 de celle-ci. Enfin, elle allègue que la troisième branche est non fondée.
2) Appréciation de la Cour
125 À titre liminaire, il importe de rejeter l’allégation de Servier selon laquelle l’argumentation de la Commission avancée dans les trois premières branches du premier moyen repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, ainsi qu’il ressort des points 114 à 119 du présent arrêt, en jugeant, notamment, au point 970 de l’arrêt attaqué qu’il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, des indices concordants pouvant laisser penser à Servier
et à Krka que le brevet 947 était valide, le Tribunal a déduit de ces indices qu’une concurrence entre ces entreprises sur les marchés nationaux à l’intérieur de l’Union était désormais exclue et qu’il n’existait donc plus de concurrence potentielle entre elles.
126 Il convient de traiter en premier lieu la troisième branche du premier moyen, puisqu’elle se rapporte à un prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué. S’il existe une certaine tension entre, d’une part, les points 970 et 1154 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, le point 361 de cet arrêt, ce dernier point est libellé dans des termes prudents qui ne sauraient être considérés comme contredisant directement ces deux autres points. En effet, à ce point 361, le Tribunal a indiqué que le fait
que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 a déclaré le brevet 947 valide ne suffisait pas « à lui seul » à empêcher une concurrence potentielle de se déployer. Or, cette constatation n’est pas incompatible avec celle qui découle, ainsi qu’il a été jugé au point 125 du présent arrêt, du point 970 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le Tribunal a considéré que Servier et Krka n’étaient pas des concurrents potentiels avant la conclusion des accords Krka, eu égard, notamment, aux « indices
concordants » laissant penser à ces entreprises que le brevet 947 était valide.
127 S’agissant de la recevabilité de la deuxième branche du premier moyen, il importe de rappeler que sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs à la constatation des faits et à leur appréciation dans la décision attaquée lorsqu’il est allégué que le Tribunal a effectué des constatations dont l’inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier ou qu’il a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis(arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32,
point 35).
128 Une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les
limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citée).
129 Contrairement à ce que fait valoir Servier, la Commission, par la deuxième branche de son premier moyen, ne vise pas à obtenir une nouvelle appréciation des preuves, laquelle ne relèverait en effet pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi. Par son argumentation, la Commission invoque, en substance, une erreur dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal aurait omis, dans le cadre du contrôle de légalité de la décision litigieuse,
de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents aux fins de déterminer si la Commission a valablement pu considérer que les accords Krka pouvaient être qualifiés de restriction de la concurrence, ne serait-ce que potentielle. Ainsi, la Commission conteste une erreur de droit, qui relève de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
130 Sur le fond, s’agissant des première et deuxième branches du premier moyen, il incombait au Tribunal d’appliquer les critères exposés aux points 100 à 103 du présent arrêt afin de statuer sur la partie de l’argumentation avancée par Servier, en particulier, dans le cadre du neuvième moyen de première instance relative à la concurrence potentielle et ainsi de déterminer si la Commission avait valablement pu, dans la décision litigieuse, conclure que Krka était un concurrent potentiel de Servier
au moment de la conclusion des accords Krka.
131 Compte tenu des caractéristiques de l’infraction à l’article 101 TFUE constatée dans la décision litigieuse, le Tribunal devait donc examiner si ces accords avaient été conclus entre des entreprises se trouvant dans un rapport de concurrence potentielle et pouvaient être qualifiés de restriction de la concurrence. À cette fin, cette juridiction était tenue de vérifier si la Commission avait considéré, à juste titre, qu’il existait, à la date de conclusion desdits accords, des possibilités
réelles et concrètes que Krka entre sur le marché pertinent et concurrence Servier, compte tenu de démarches préparatoires suffisantes et de l’absence de barrières à cette entrée présentant un caractère insurmontable, le constat d’une concurrence potentielle pouvant, le cas échéant, être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que l’existence d’un transfert de valeur au profit de Krka en contrepartie du report de son entrée sur le marché.
132 Certes, dans l’hypothèse où la validité d’un brevet protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication aurait été établie de manière définitive devant toutes les juridictions ayant été saisies de cette question, il serait difficilement concevable que d’autres éléments du contexte économique et juridique caractérisant de manière objective les rapports de concurrence entre le titulaire de ces brevets et un fabricant de médicaments génériques puissent fonder la conclusion
selon laquelle il existe encore une relation de concurrence potentielle entre eux. Toutefois, lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants, il incombe à l’autorité administrative ou au juge compétent d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle ce titulaire et ce fabricant ne sont pas des concurrents potentiels, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée au point 102 du présent
arrêt.
133 Or, au lieu d’appliquer les critères exposés aux points 100 à 103, 131 et 132 du présent arrêt afin de procéder aux vérifications nécessaires pour déterminer si Krka était un concurrent potentiel de Servier, ainsi qu’il lui incombait de le faire, le Tribunal s’est borné à affirmer, en substance, notamment aux points 970, 1026 et 1028 de l’arrêt attaqué, que ces deux entreprises étaient convaincues que le brevet 947 était valide et, sans motivation spécifique ou preuves à l’appui, que le
comportement de Krka consistant à maintenir la pression concurrentielle sur Servier pouvait s’expliquer par son désir de renforcer sa position dans les négociations qu’elle était susceptible d’engager avec Servier en vue de parvenir à un accord de règlement amiable accompagné d’un accord de licence, l’obtention d’une telle licence étant devenue la solution commerciale qui avait sa préférence sur le marché du périndopril.
134 Il s’ensuit que la première branche du premier moyen est fondée. En effet, le Tribunal s’est mépris quant à la pertinence en droit de la situation brevetaire constatée sur les marchés en cause, ainsi que des intentions des parties, et a commis une erreur de droit dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en appréciant selon des critères erronés la notion de concurrence potentielle.
135 Quant à la deuxième branche du premier moyen, il incombait au Tribunal, conformément à ce qui a été jugé au point 132 du présent arrêt et compte tenu de la jurisprudence citée au point 102 de celui-ci, de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents sur le fondement desquels la Commission a considéré, dans la décision litigieuse, que Krka et Servier étaient dans une relation de concurrence potentielle. Or, en limitant, pour l’essentiel, son analyse relative à la relation entre ces deux
entreprises, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, sur la seule situation brevetaire et, en particulier, sur la perception que Krka pouvait avoir de la validité du brevet 947, ainsi que sur les intentions des parties, eu égard plus particulièrement à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et à celle de la High Court du 3 octobre 2006, le Tribunal a méconnu cette obligation.
136 En effet, le Tribunal a non seulement commis une erreur de droit quant au contrôle qu’il lui appartient d’opérer à l’égard des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, mais il a en outre enfreint l’obligation de motiver les arrêts, qui lui incombe en vertu de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, faute d’avoir exposé, au point 970
de l’arrêt attaqué, les motifs sur lesquels il s’est fondé pour constater implicitement, à ce même point, que Servier et Krka n’étaient plus des concurrents potentiels et ce, alors même que les éléments figurant, notamment, aux considérants 1686 à 1690 de la décision litigieuse visaient à démontrer le contraire. Le fait pour le Tribunal de ne pas avoir énoncé explicitement qu’il avait écarté l’existence d’une concurrence potentielle entre Krka et Servier n’est pas de nature à remettre en cause
cette constatation relative à un défaut de motivation. En effet, il ne saurait être admis que le Tribunal puisse, en omettant d’énoncer une étape essentielle de son propre raisonnement, se dispenser de son obligation de motiver ses arrêts et, ainsi, d’empêcher la Cour d’être en mesure d’exercer son contrôle sur pourvoi.
137 Il s’ensuit que les première et deuxième branches du premier moyen doivent être accueillies. En revanche, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée.
c) Sur les quatrième et sixième branches
1) Argumentation des parties
138 Par la quatrième branche de son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 967, 968 et 970 de l’arrêt attaqué, dénaturé les preuves qui y sont citées, relatives à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et à la décision de la High Court du 3 octobre 2006.
139 Par la sixième branche de ce moyen, la Commission soutient, tout d’abord, que le Tribunal a dénaturé les preuves visées aux points 968, 1017 et 1024 de l’arrêt attaqué, desquelles il ressortirait, selon cette juridiction, que ces décisions avaient substantiellement modifié le contexte dans lequel les accords de règlement amiable et de licence Krka ont été conclus, en particulier en ce qui concerne la perception que Krka et Servier pouvaient avoir de la validité du brevet 947.
140 Ces dénaturations entacheraient la validité des appréciations effectuées par le Tribunal, d’une part, aux points 970, 1025 et 1028 dudit arrêt quant à la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 et, d’autre part, au point 999 du même arrêt, quant au fait que cette reconnaissance expliquait pourquoi Krka, plutôt que de se lancer dans une entrée dite « à risque » sur les marchés de tous les États membres, a préféré se limiter à ses marchés principaux, couverts par l’accord de licence
Krka. La Commission soutient, ensuite, que ces appréciations seraient contredites par les preuves visées aux considérants 1687, 1693 et 1826 de la décision litigieuse, que le Tribunal a omis d’examiner. Enfin, elle fait valoir que la motivation de l’arrêt attaqué est insuffisante et contradictoire.
141 Selon Servier, tout d’abord, le grief de dénaturation devrait être rejeté étant donné que la Commission n’aurait identifié aucune preuve ayant fait l’objet d’une dénaturation. Ensuite, ce grief, dès lors qu’il viserait en réalité uniquement la décision de la High Court du 3 octobre 2006, serait inopérant. Ainsi, même s’il devait être considéré que les injonctions n’avaient pas modifié la perception par Krka de la validité du brevet 947, cela ne remettrait pas en cause le fait que la décision de
l’OEB du 27 juillet 2006 l’avait modifiée.
142 Enfin, l’argumentation de la Commission serait dépourvue de fondement. Le Tribunal aurait tenu compte du fait que Krka avait maintenu ses contestations après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirmant la validité du brevet 947, mais aurait souverainement considéré que cette circonstance ne remettait pas en cause le constat selon lequel Krka avait transigé en raison de la perception qu’elle avait acquise de la validité de ce brevet. Pour le surplus, l’argumentation de la Commission
procèderait d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Loin d’avoir justifié sa décision par des motifs contradictoires, le Tribunal aurait relevé que plusieurs indices avaient pu conduire Krka à penser que le brevet 947 était valide, ce qui l’aurait incitée à transiger. Le Tribunal aurait jugé que tant cette circonstance que l’absence de paiement inversé contribuaient à exclure la qualification de restriction de la concurrence par objet, sans toutefois écarter la qualité de concurrent potentiel
de Krka.
143 Quant à la décision de la High Court du 3 octobre 2006, Servier fait valoir que le caractère temporaire d’une injonction ne contredit pas l’appréciation factuelle du Tribunal selon laquelle cette injonction a contribué à modifier le contexte dans lequel ont été conclus les accords de règlement amiable et de licence Krka. Par ailleurs, ces injonctions auraient bien modifié le contexte des accords.
2) Appréciation de la Cour
144 Il convient de relever d’emblée que, nonobstant le fait que les deux premières branches du premier moyen ont été accueillies, avec pour conséquence le constat selon lequel le raisonnement du Tribunal relatif à la concurrence potentielle était entaché d’erreurs de droit, il demeure utile d’examiner les autres branches de ce moyen afin d’établir si, indépendamment du fait que le Tribunal n’a pas appliqué les critères juridiques qui s’imposaient et a omis de prendre en compte l’ensemble des preuves
pertinentes, l’interprétation qu’il a retenue des preuves qu’il a effectivement examinées est entachée d’illégalité, et notamment d’une éventuelle dénaturation de ces preuves, ainsi que l’allègue la Commission.
145 Au point 965 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné s’il existait de véritables litiges entre Servier et Krka et si l’accord de licence Krka apparaissait avoir un lien suffisamment direct avec le règlement amiable de ces litiges pour que son association à l’accord de règlement amiable Krka soit justifiée. Aux points 967 et 968 de cet arrêt, le Tribunal a relevé l’existence de litiges entre Servier et Krka ayant donné lieu, d’une part, à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et, d’autre
part, à la décision de la High Court du 3 octobre 2006. Au point 970 dudit arrêt, le Tribunal a affirmé qu’il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, « des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » et a, à cet égard, renvoyé à la lecture des points 967 et 968 du même arrêt.
146 Afin d’apprécier si le Tribunal a dénaturé la décision de la High Court du 3 octobre 2006 et la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, le contrôle opéré par la Cour se limite à la vérification de ce que le Tribunal n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable desdits éléments. Il appartient à la Cour non pas d’apprécier de manière autonome si la Commission s’est acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait pour démontrer l’existence d’une restriction de la
concurrence par objet, mais de déterminer si le Tribunal, en concluant que tel n’était pas le cas, a fait une lecture de ces mêmes éléments de preuve qui est manifestement contraire à leur libellé (voir, par analogie, arrêt du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, EU:C:2011:62, point 57).
147 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs de dénaturation invoqués par la Commission.
i) Sur la décision de la High Court du 3 octobre 2006
148 Le point 968 de l’arrêt attaqué est rédigé comme suit :
« [...] Le 1er septembre 2006, Krka avait introduit une demande reconventionnelle en annulation du brevet 947 et, le 8 septembre 2006, une autre demande reconventionnelle en annulation du brevet 340. Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], a fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et a rejeté la demande introduite par
Krka le 1er septembre 2006. Le 1er décembre 2006, l’instance en cours s’est éteinte conformément à l’accord de règlement amiable intervenu entre les parties et l’injonction provisoire a été levée. »
149 Il résulte de la formulation de ce point 968 que le Tribunal, en se référant au rejet de « la demande introduite par Krka le 1er septembre 2006 » visait le rejet par la décision de la High Court du 3 octobre 2006 de la demande reconventionnelle de cette entreprise.
150 Cependant, cette décision, qui figure à l’annexe A.174 de la requête en première instance de Servier, énonce, d’une part, qu’il est fait droit à la demande d’injonction provisoire de Servier et, d’autre part, qu’est rejetée non pas la demande reconventionnelle de Krka mais celle visant à ce qu’il soit fait droit à cette demande reconventionnelle tendant à l’invalidation du brevet 947 par la procédure de jugement sommaire.
151 Il s’ensuit que, au point 968 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé les termes clairs et précis de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, alors même qu’il a fidèlement cité celle-ci aux points 23 et 1196 de cet arrêt.
152 Sur le fondement de cette dénaturation, le Tribunal a, tout d’abord, affirmé, au point 970 de l’arrêt attaqué, qu’« il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence [Krka], des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » et, ensuite, au point 1017 de cet arrêt, que les deux événements constitués par la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006« ont substantiellement
modifié le contexte dans lequel les accords ont été conclus, en particulier en ce qui concerne la perception que Krka, mais aussi Servier, pouvaient avoir de la validité du brevet 947 ». Enfin, sur la base de cette dernière constatation, le Tribunal a, au point 1024 dudit arrêt, considéré que la survenance de ces deux événements « limite considérablement » la pertinence d’un document de Servier relatif à sa stratégie à l’égard de Krka. Par ailleurs, au point 999 du même arrêt, le Tribunal a
affirmé que Krka avait transigé avec Servier non pas en contrepartie des bénéfices procurés par l’accord de licence Krka, mais en raison du fait que Krka « reconnaissait la validité du brevet 947 », lequel aurait été l’« élément déterminant » à cet égard.
153 La décision de la High Court du 3 octobre 2006, compte tenu de sa nature provisoire et de la procédure préliminaire au terme de laquelle cette décision a été adoptée, ne préjugeait en rien de la solution au fond du litige, ainsi que le Tribunal l’a d’ailleurs relevé, en substance, aux points 367 et 368 de l’arrêt attaqué. En effet, le juge national s’est borné à constater, en réalité, conformément aux critères d’octroi d’un jugement sommaire, que la demande reconventionnelle de Krka n’était pas
manifestement fondée, tout en soulignant à cet égard, au point 70 de la même décision, qu’il n’avait « aucun doute que Krka a pu démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger, en l’occurrence celle de savoir si la vente des comprimés [de périndopril de Servier] préalablement à la date de priorité prive le brevet [947] de nouveauté », précisant toutefois qu’il n’était pas « persuadé que Servier n’a pas de réelles perspectives de défense à mettre en œuvre pour défendre le brevet [947]
contre une telle attaque ».
154 En dénaturant ainsi les termes clairs et précis de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, le Tribunal a entaché d’illégalité les points 968, 970, 999, 1017 et 1024 de l’arrêt attaqué.
ii) Sur la décision de l’OEB du 27 juillet 2006
155 Le point 967 de l’arrêt attaqué est rédigé comme suit :
« [D]ix sociétés de génériques, dont Krka, avaient formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB en 2004, en vue d’obtenir sa révocation dans sa totalité, en invoquant des motifs tirés du manque de nouveauté et d’activité inventive et de l’exposé insuffisant de l’invention. Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité de ce brevet à la suite de légères modifications des revendications initiales de Servier. Sept sociétés ont ensuite formé un recours contre la
décision de l’OEB du 27 juillet 2006. Krka s’est retirée de la procédure d’opposition le 11 janvier 2007 conformément à l’accord de règlement amiable intervenu avec Servier. »
156 Le Tribunal a ainsi relaté de manière exacte le contenu de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006.
157 Toutefois, il y a lieu de constater que l’affirmation, au point 970 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence [Krka], des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide » repose, à tout le moins partiellement, sur la dénaturation de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, sur laquelle le Tribunal s’est fondé également aux points 1017 et 1024 de cet arrêt.
158 Par ailleurs, cette affirmation du Tribunal fait abstraction de plusieurs autres éléments de preuve mentionnés dans la décision litigieuse, lesquels prouveraient, selon la Commission, que, si la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 constituait un revers pour Krka, cette entreprise était loin de s’être résignée à reconnaître la validité du brevet 947. La décision litigieuse mentionne, notamment, aux considérants 1687 à 1689 que Krka, qui avait interjeté appel de cette décision de l’OEB, a
également poursuivi la contestation du brevet 947 en introduisant le 1er septembre 2006, au Royaume-Uni, une demande reconventionnelle contre Servier tendant à l’invalidation de ce brevet. La décision de la High Court du 3 octobre 2006 souligne que Krka disposait d’une « base solide » pour contester le brevet 947. La décision litigieuse mentionne également des déclarations d’employés de Krka en réaction à ladite décision, qui contredisent toute résignation à l’égard de la décision de l’OEB du
27 juillet 2006 ainsi que le fait que Krka a obtenu, au mois de septembre 2006, le rejet de l’action en contrefaçon du brevet 947 intentée par Servier en Hongrie et poursuivi la commercialisation de sa version générique du périndopril sur le marché de cet État membre.
159 C’est sur la base de ces éléments que la décision litigieuse a émis, au considérant 1690, la constatation suivante quant à la position de Krka à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 :
« L’évaluation par Krka de la situation brevetaire a certainement été influencée par la décision d’opposition et l’octroi d’injonctions provisoires contre Krka et Apotex au Royaume-Uni. Pourtant, ce qui précède suggère fortement que, d’un point de vue ex ante, rien ne faisait obstacle à une possibilité réelle et concrète pour Krka d’invalider le brevet 947 dans un procès au fond. »
160 Il est donc clair, à la lecture de ces éléments, que la décision litigieuse, examinée dans son ensemble, visait à démontrer, sur le fondement d’un faisceau d’indices concordants, que Krka ne s’était pas résignée à reconnaître la validité du brevet 947 à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, en dépit des doutes que cette décision avait pu engendrer quant aux chances d’obtenir la révocation de ce brevet. Or, au point 970 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé sans motivation
adéquate, dès lors qu’il n’a pas examiné l’ensemble des preuves invoquées à cet égard dans la décision litigieuse, qu’« il existait, au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence, des indices concordants pouvant laisser penser aux parties que le brevet 947 était valide ». Ainsi, comme Mme l’avocate générale l’a relevé au point 105 de ses conclusions, le Tribunal a non seulement omis de prendre en considération les éléments visés aux points 158 et 159 du présent arrêt,
mais s’est également abstenu d’expliquer les raisons de cette omission, alors que l’existence d’une infraction aux règles de concurrence ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision litigieuse sont considérés non pas isolément, mais dans leur ensemble, compte tenu des caractéristiques du marché des produits en cause (arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 68).
161 Ce faisant, le Tribunal a dénaturé le sens et la portée de la décision litigieuse en ce qu’elle se rapporte aux effets de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 sur la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 (voir, par analogie, arrêt du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C‑197/99 P, EU:C:2003:444, points 66 et 67). En outre, il a enfreint l’obligation de motiver ses arrêts, qui lui incombe en vertu de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne,
applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut, faute d’avoir exposé, au point 970 de l’arrêt attaqué, les motifs sur lesquels il s’est fondé, d’une manière suffisante pour permettre aux intéressés de prendre connaissance de ces motifs et à la Cour de disposer des éléments pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2020, Commission/GEA Group, C‑823/18 P, EU:C:2020:955, point 42 et jurisprudence citée).
162 Dès lors, outre la dénaturation de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, constatée au point 154 du présent arrêt, le point 970 de l’arrêt attaqué repose sur une dénaturation de la décision litigieuse et est entaché d’un défaut de motivation.
163 Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les quatrième et sixième branches du premier moyen.
d) Sur la cinquième branche
1) Argumentation des parties
164 Par la cinquième branche de son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré, au point 1000 de l’arrêt attaqué, que le fait que Krka a estimé le coût d’opportunité de ne pas transiger avec Servier à dix millions d’euros sur une période de trois ans constituait un indice de la reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947. Premièrement, cette estimation aurait été fournie pendant l’enquête, de telle sorte qu’elle ne pouvait être utilisée rétroactivement comme
preuve de la perception de Krka à la date de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka. Deuxièmement, les profits escomptés par Krka auraient été l’une des raisons pour lesquelles l’accord de licence Krka constituait une incitation à transiger. Troisièmement, aucune preuve n’aurait permis d’affirmer, comme l’a fait le Tribunal au point 1000 de cet arrêt, qu’il était peu probable que Krka décide d’entrer à risque sur ses marchés principaux, lesquels étaient couverts par
l’accord de licence Krka. Au contraire, le considérant 1675 de la décision litigieuse aurait fait état de preuves sérieuses d’une telle intention de la part de Krka.
165 Selon Servier, cette branche est irrecevable, la Commission n’invoquant aucune dénaturation.
2) Appréciation de la Cour
166 Il importe de relever que la Commission, par la cinquième branche de son premier moyen, n’invoque aucune dénaturation mais vise à obtenir une nouvelle appréciation des preuves, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi.
167 Il convient, dès lors, de rejeter la cinquième branche du premier moyen comme étant irrecevable.
e) Conclusion sur le premier moyen
168 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les troisième et cinquième branches du premier moyen et d’accueillir les première, deuxième, quatrième ainsi que sixième branches de ce moyen.
5. Sur le deuxième moyen
a) Sur la deuxième branche
1) Argumentation des parties
169 Par la deuxième branche de son deuxième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 963 et 965 à 972 de l’arrêt attaqué, considéré que, en présence d’un véritable litige relatif à un brevet, l’association d’un accord de règlement amiable et d’un accord de licence ne constitue pas un indice sérieux de paiement inversé. Cette approche formaliste serait contraire à la jurisprudence, notamment à l’arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a. (C‑403/08
et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 136), qui exigerait, afin d’identifier une restriction de la concurrence par objet, de tenir compte du contenu, de l’objectif ainsi que du contexte économique et juridique des accords litigieux.
170 Servier estime, à titre liminaire, que la Commission conteste non pas les critères juridiques exposés aux points 943 à 963 de l’arrêt attaqué, relatifs à l’analyse d’un accord de règlement amiable d’un litige portant sur un brevet couplé à une licence de ce brevet, mais l’application de ces principes ainsi que les appréciations factuelles opérées par le Tribunal aux points 964 à 1032 de cet arrêt.
171 Servier soutient que la deuxième branche du deuxième moyen manque de clarté et est manifestement non fondée. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, le motif énoncé au point 972 de l’arrêt attaqué ne serait pas fondé uniquement sur la forme des accords en question, mais également sur une analyse de leur contexte, décrit aux points 967, 968, 970 et 971 de cet arrêt. Par ailleurs, le Tribunal aurait également rejeté la thèse de la Commission selon laquelle l’objet de l’accord était de
partager les marchés.
2) Appréciation de la Cour
172 Eu égard au fait que la deuxième branche du deuxième moyen porte sur les critères au regard desquels le Tribunal devait apprécier l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, il convient de l’examiner en premier lieu.
173 Il y a lieu de constater que, par la deuxième branche du deuxième moyen, la Commission conteste les critères juridiques exposés au point 963 de l’arrêt attaqué et remet en cause l’appréciation effectuée sur la base de ces critères aux points 965 à 972 de cet arrêt, en soutenant, notamment, que cette appréciation repose « uniquement sur la forme des accords en cause » et « n’a aucun fondement dans la jurisprudence ». Il ressort ainsi de l’énoncé même de cette deuxième branche du deuxième moyen
que celle-ci inclut une critique des critères juridiques exposés aux points 943 à 963 de cet arrêt. L’argument liminaire de Servier procède donc d’une lecture erronée du pourvoi.
174 S’agissant des critiques de la Commission dirigées contre le point 963 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, audit point, le Tribunal a considéré que, en présence d’un véritable litige relatif à un brevet et d’un accord de licence en lien direct avec le règlement amiable de ce litige, un accord de règlement amiable de ce litige, comportant des clauses restrictives de la concurrence telles que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, associé à un accord de licence
portant sur ce brevet, ne peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet que si la Commission peut démontrer que cet accord de licence ne constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché et masque ainsi un paiement inversé.
175 Or, alors que l’infraction à l’article 101 TFUE constatée par la décision litigieuse consistait pour Servier et Krka à se répartir les marchés en deux zones, dont l’une seulement relève du champ de cette infraction, le Tribunal a indiqué en substance, aux points 963 à 965 de l’arrêt attaqué, qu’il se bornerait à examiner si l’accord de licence Krka pouvait être justifié par l’accord de règlement amiable Krka ou si, au contraire, cet accord de licence masquait en réalité un paiement inversé
incitant Krka à se soumettre aux clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues par cet accord de règlement amiable. Ce raisonnement fait abstraction, d’une part, du fait que l’accord de licence Krka concerne des marchés qui ne relèvent pas du champ de l’infraction à l’article 101 TFUE et, d’autre part, de la nature de cette infraction consistant non pas en un simple accord de règlement amiable de litige de brevet contre paiement inversé, mais en un accord de partage de marché.
176 Ainsi, les points 963 à 965 de l’arrêt attaqué énoncent des critères d’appréciation de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet qui sont incompatibles avec ceux rappelés aux points 99 à 105 du présent arrêt et qui reposent sur une interprétation erronée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il convient de constater que les différences entre ces critères juridiques appliqués par le Tribunal et ceux rappelés auxdits points 99 à 105 du présent arrêt ne sont pas simplement de nature
sémantique mais conduisent à des résultats qui sont substantiellement différents.
177 En outre, il importe de rappeler que, au point 972 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, « eu égard à la portée des clauses des [accords de règlement amiable et de licence Krka] ainsi qu’au contexte dans lequel ces accords ont été passés, il y a lieu de constater que l’association de ces deux accords était justifiée et ne constitue donc pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé de Servier vers Krka auquel donnerait lieu l’accord de licence », tout en renvoyant à la
lecture du point 948 de cet arrêt.
178 Certes, le fait pour des entreprises de conclure un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet associé à un accord de licence portant sur ce même brevet ne constitue pas, en soi, un comportement restrictif de la concurrence. Néanmoins, de tels accords peuvent, en fonction tant de leur contenu que de leur contexte économique, constituer un moyen apte à influer sur le comportement commercial des entreprises en cause, de manière à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence
sur le marché où ces deux entreprises déploient leur activité commerciale (voir, par analogie, arrêt du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 37).
179 Or, pour relever de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit remplir diverses conditions dépendant non pas de la nature juridique de cette pratique ou des instruments juridiques destinés à la mettre en œuvre, mais de ses rapports avec le jeu de la concurrence. L’application de cette disposition reposant sur l’évaluation des répercussions économiques de la pratique en cause, ladite disposition ne saurait être interprétée comme instituant quelque
préjugé que ce soit à l’égard d’une catégorie d’accords déterminée par sa nature juridique, tout accord devant être apprécié au regard de son contenu spécifique et de son contexte économique, et notamment à la lumière de la situation du marché concerné (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 358, ainsi que du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84 et 156/84, EU:C:1987:490, point 40). Ainsi que Mme l’avocate générale
l’a souligné, notamment, au point 127 de ses conclusions, l’effectivité du droit de la concurrence de l’Union serait gravement compromise si les parties à des accords anticoncurrentiels pouvaient se soustraire à l’application de l’article 101 TFUE simplement en faisant prendre certaines formes à ces accords.
180 Outre le fait que, en l’espèce, les accords de règlement amiable et de licence Krka portent sur des marchés distincts et que les marchés couverts par l’accord de licence Krka ne relèvent pas du champ de l’infraction à l’article 101 TFUE, il importe de souligner que, si la conclusion par le titulaire d’un brevet d’un accord de règlement amiable d’un litige avec un fabricant de médicaments génériques accusé de contrefaçon constitue certes l’expression du droit de propriété intellectuelle de ce
titulaire et l’autorise, notamment, à s’opposer à toute contrefaçon, il n’en demeure pas moins que ledit brevet n’autorise pas son titulaire à conclure des contrats qui violeraient l’article 101 TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 97].
181 Au demeurant, la qualification de restriction de la concurrence par objet ne dépend ni de la forme des contrats ou autres instruments juridiques destinés à mettre en œuvre une telle pratique collusoire ni de la perception subjective que les parties peuvent avoir de l’issue du litige qui les oppose quant à la validité d’un brevet.
182 Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 108 du présent arrêt, la circonstance que des entreprises dont le comportement pourrait être qualifié de restriction de la concurrence par objet ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague
Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Seule est pertinente l’appréciation du degré de nocivité économique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné. Cette appréciation doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ladite pratique ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020,
Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].
183 C’est pourquoi, afin de déterminer si une pratique collusoire peut être qualifiée de restriction de la concurrence par objet, il convient d’examiner son contenu, sa genèse, ainsi que son contexte juridique et économique, en particulier les caractéristiques spécifiques du marché dans lequel se produiront concrètement ses effets. Le fait que les termes d’un accord destiné à mettre en œuvre cette pratique ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, déterminant (voir, en ce sens,
arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 23 à 25, ainsi que du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 26).
184 Or, au lieu de procéder à une telle appréciation de la pratique collusoire mise en œuvre au moyen des accords de règlement amiable et de licence Krka à la lumière de son contenu spécifique et de ses répercussions économiques, le Tribunal, aux points 943 à 963 de l’arrêt attaqué, a élaboré des critères visant à identifier, de manière générale et abstraite, les conditions dans lesquelles la conjonction d’un accord de règlement d’un litige relatif à un brevet et d’un accord de licence portant sur
ce même brevet peut, compte tenu des seules caractéristiques juridiques de ces accords, relever de la qualification de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En appliquant ces critères aux accords de règlement amiable et de licence Krka, le Tribunal a concentré son analyse sur la forme et les caractéristiques juridiques de ces accords, plutôt que de s’attacher à examiner leurs rapports concrets avec le jeu de la concurrence. Il a ainsi méconnu les
principes régissant l’application et l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, visés aux points 179 et 183 du présent arrêt et entaché d’illégalité les points 943 à 972 de l’arrêt attaqué.
185 Il s’ensuit que la deuxième branche du deuxième moyen doit être accueillie.
b) Sur les première, troisième et quatrième branches
1) Argumentation des parties
186 Par la première branche de son deuxième moyen, la Commission dénonce le caractère contradictoire du raisonnement du Tribunal. En effet, au point 1029 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait reconnu que l’accord de licence Krka était une condition pour que cette entreprise accepte les clauses de non-commercialisation et de non–contestation, lesquelles, ainsi que le Tribunal l’a souligné au point 273 de cet arrêt, sont « intrinsèquement restrictives ». Toutefois, il aurait refusé d’en déduire que
cet accord de licence a incité Krka à régler à l’amiable les litiges relatifs au brevet 947, en s’appuyant sur deux motifs erronés, à savoir, d’une part, la perception par les parties de la validité de ce brevet et, d’autre part, la circonstance que ledit accord de licence aurait été conclu aux conditions normales de marché. Le Tribunal, en se fondant sur la fiction d’un règlement amiable fondé sur les mérites du brevet 947 et d’une licence de ce brevet conclue aux conditions du marché, n’aurait
donc pas accordé, aux fins de la qualification juridique de ces accords de restriction de la concurrence par objet, une importance suffisante à l’objectif poursuivi par lesdits accords. Le Tribunal aurait d’ailleurs ignoré des déclarations par lesquelles Krka reconnaissait avoir « sacrifié » son entrée sur les marchés principaux de Servier afin de pouvoir rester sur ses sept marchés principaux.
187 Par la troisième branche, la Commission critique les motifs exposés aux points 806, 963, 975 à 984 et 1029 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a considéré que l’accord de licence Krka avait été conclu aux conditions de marché. Or, cette considération serait dénuée de pertinence, car le facteur décisif serait que les accords de règlement amiable et de licence Krka étaient fondés, non pas sur l’évaluation par chacune des parties de la validité du brevet 947, mais sur leur objectif commun
de se partager les marchés, aux dépens des consommateurs, au moyen des accords Krka, pris dans leur ensemble.
188 Par la quatrième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir, aux points 806 et 977 à 982 de l’arrêt attaqué, limité son analyse du caractère incitatif de l’accord de licence Krka à la question de savoir si le taux de redevance prévu par cet accord était anormalement bas. Le Tribunal aurait dû analyser ledit accord ensemble avec l’accord de règlement amiable Krka et examiner l’effet de ces accords sur les incitations des parties à se concurrencer ainsi que le profit – estimé à plus de
25 millions d’euros – auquel Servier aurait renoncé en concluant ce même accord de licence.
189 Servier objecte que la première branche du deuxième moyen est dénuée de fondement, le caractère contradictoire des motifs critiqués par la Commission n’étant pas avéré. Elle ajoute que le Tribunal a analysé de manière globale les accords de règlement amiable et de licence Krka et est parvenu à la conclusion factuelle que c’est la force du brevet 947 qui a convaincu Krka de transiger. L’argumentation de la Commission repose sur la prémisse erronée selon laquelle Krka aurait pu entrer sur les
marchés principaux de Servier alors que la validité de ce brevet l’en empêchait.
190 La troisième branche viserait à remettre en cause des appréciations factuelles et serait, dès lors, irrecevable.
191 La quatrième branche serait manifestement non fondée, car le Tribunal a tenu compte du contexte brevetaire, du lien entre l’accord de règlement amiable Krka et l’accord de licence Krka, ainsi que de la valeur attribuée par Krka à cette licence. Le profit auquel Servier aurait renoncé en allouant une licence à Krka ne figurerait pas parmi les critères juridiques pertinents. Cette renonciation serait inhérente à tout règlement amiable et le calcul du profit prétendument sacrifié par Servier serait
faux.
192 De l’avis de l’EFPIA, la théorie des restrictions accessoires aurait dû conduire le Tribunal à constater l’inapplicabilité de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, eu égard à l’objectif légitime poursuivi par l’accord de règlement amiable Krka et à la nécessité objective de ses clauses. En tout état de cause, le Tribunal aurait conclu à bon droit que l’association d’une licence et d’un règlement amiable ne constitue pas une restriction de la concurrence par objet.
2) Appréciation de la Cour
193 Il convient de relever d’emblée que la troisième branche du deuxième moyen est recevable car, par son argumentation, la Commission remet en cause non pas des constatations factuelles mais le critère appliqué par le Tribunal aux fins d’apprécier l’incitation pour Krka à régler à l’amiable les litiges relatifs au brevet 947 par l’accord de règlement amiable.
194 Par les première, troisième et quatrième branches du deuxième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, la Commission critique essentiellement le Tribunal pour avoir jugé que l’accord de licence Krka n’avait pas incité cette entreprise à conclure l’accord de règlement amiable Krka. Cette institution fait valoir que le Tribunal s’est fondé sur une analyse limitée et réductrice de la teneur, des objectifs et du contexte économique de l’infraction résultant de ces accords.
195 S’agissant de la première branche du deuxième moyen, il y a lieu de relever que, ainsi que l’allègue la Commission, le point 1029 de l’arrêt attaqué est contradictoire. En effet, il ressort de ce point que la conclusion de l’accord de licence Krka était la « condition » ou, en d’autres termes, l’incitation offerte à Krka pour qu’elle accepte les clauses de non-commercialisation et de non-contestation contenues dans l’accord de règlement amiable Krka. Il en résulte que, indépendamment de la
question de savoir si le niveau de la redevance prévue par cet accord de licence était adéquat au regard des conditions de marché, c’est l’accès à ses marchés principaux sans risque de contrefaçon qui a motivé Krka à renoncer à vendre son périndopril sur les marchés principaux de Servier. Dès lors, le Tribunal ne pouvait pas, sans se contredire, affirmer, audit point, que la Commission n’avait pas établi que le taux de redevance « n’aurait pas été choisi sur la base de considérations
commerciales mais aux fins d’inciter Krka à accepter de se soumettre [à ces] clauses ».
196 Eu égard aux caractéristiques de l’infraction retenue par la Commission, rappelées aux points 57 et 58 du présent arrêt, il incombait au Tribunal, afin de statuer sur la partie de l’argumentation de Servier avancée dans le cadre du neuvième moyen de première instance relative à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, d’appliquer les critères qui ont été rappelés aux points 94, 96 à 99, 104, 105 et 107 du présent arrêt à la pratique infractionnelle résultant des accords de
règlement amiable et de licence Krka. Il lui appartenait ainsi d’apprécier le degré de nocivité économique de cette pratique, en procédant à une analyse détaillée de ses caractéristiques, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère.
197 Or, ainsi qu’il a été relevé au point 174 du présent arrêt, le Tribunal a considéré, en substance, au point 963 de l’arrêt attaqué, que, en présence d’un véritable litige, l’association d’un accord de licence et d’un accord de règlement amiable de ce litige ne constitue pas un indice sérieux de l’existence d’un paiement inversé, et qu’il appartient à la Commission de « démontrer que l’accord de licence ne constitue pas une transaction conclue aux conditions normales de marché », de sorte que
cette institution ne pouvait constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet en l’espèce.
198 Il s’ensuit que, en concentrant son analyse sur l’accord de licence Krka, alors qu’il aurait dû examiner l’infraction constatée par la Commission, prise dans sa globalité, telle qu’elle résultait de la conjonction de cet accord et de l’accord de règlement amiable Krka, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et dans l’application de l’article 101 TFUE. Cette erreur a conduit le Tribunal à restreindre le champ de son analyse de la qualification de restriction de la
concurrence par objet à la question de savoir si la Commission était parvenue à établir que le taux de redevance prévu par l’accord de licence Krka était anormalement bas.
199 Ainsi que l’a souligné Mme l’avocate générale au point 168 de ses conclusions, en se bornant à considérer, pour les motifs exposés aux points 973 à 984 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas établi que Servier avait octroyé à Krka une licence à un prix anormalement bas, le Tribunal a ignoré les éléments essentiels de l’infraction visés aux points 57 et 58 du présent arrêt et omis d’examiner, à la lumière des engagements et des incitations réciproques des parties, si l’accord de
licence Krka avait pu inciter cette entreprise à renoncer à concurrencer Servier.
200 Il s’ensuit que, en se fondant sur l’absence de caractère anormalement bas du taux de redevance prévu par l’accord de licence Krka, sans analyser à la lumière du contexte économique et juridique, qui donnait lieu à un partage de marché résultant de la conjonction de cet accord et de l’accord de règlement amiable Krka, si le transfert de valeur résultant du fait que l’accord de licence Krka a permis à cette entreprise de commercialiser ses produits sur ses marchés principaux sans risque de
contrefaçon, était suffisamment important pour inciter effectivement Krka à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier, le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation et dans l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché d’illégalité les motifs exposés aux points 963, 973 à 984 et 1029 de l’arrêt attaqué.
201 Il convient, dès lors, d’accueillir les première, troisième et quatrième branches du deuxième moyen.
c) Sur les cinquième à huitième branches
1) Argumentation des parties
202 Par la cinquième branche de son deuxième moyen, la Commission soutient que les motifs exposés aux points 975 à 984 de l’arrêt attaqué reposent sur la dénaturation de plusieurs éléments de preuve. Premièrement, contrairement à l’énoncé du point 978 de cet arrêt, la Commission aurait considéré non pas que le taux de redevance prévu par l’accord de licence Krka était très inférieur au résultat d’exploitation de Servier, mais que la perte subie par Servier constituait un transfert de valeur net au
profit de Krka. Deuxièmement, au point 979 dudit arrêt, le Tribunal aurait dénaturé le fait que cette redevance représentait une faible proportion des profits de Krka provenant des marchés couverts par cet accord de licence. Troisièmement, contrairement à ce qui est exposé au point 981 du même arrêt, le fait que la licence concédée à Krka n’est pas exclusive ne l’empêcherait pas de constituer une incitation suffisante, puisqu’elle offrait à cette entreprise, sur ses marchés principaux, la
perspective de constituer un duopole de fait avec Servier.
203 Par la sixième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé, aux points 994 à 998 de l’arrêt attaqué, qu’il serait paradoxal de considérer que plus les termes d’une licence de brevet sont larges, plus l’incitation à conclure un accord de règlement amiable comportant des clauses restrictives de la concurrence serait importante, et plus il serait facile de qualifier ces accords de restriction de la concurrence par objet. Cette affirmation reposerait sur une lecture erronée de la
décision litigieuse dont il ressort que l’accord de licence Krka a servi à inciter cette entreprise à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier, lesquels n’étaient pas couverts par l’accord de licence Krka.
204 Par la septième branche, la Commission critique le point 997 de l’arrêt attaqué en ce qu’il affirme que la décision litigieuse oblige le titulaire d’un brevet à octroyer une licence sur la totalité du territoire couvert par un accord de règlement amiable. La décision litigieuse n’énoncerait pas une telle obligation.
205 Par la huitième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé, au point 998 de l’arrêt attaqué, que, pour qu’un accord puisse être considéré comme « incitatif » à l’égard d’une partie, cet accord doit compenser ladite partie pour la perte résultant des clauses lui interdisant d’entrer sur certains marchés. Cette appréciation, premièrement, serait contraire à la jurisprudence qui exigerait simplement qu’un transfert de valeur soit suffisamment élevé pour inciter un fabricant de
médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché et, deuxièmement, dénaturerait les éléments de preuve visés à la note en bas de page 2348 de la décision litigieuse sur la base desquels la Commission a considéré que les profits que Krka escomptait réaliser sur ses marchés principaux grâce à l’accord de licence Krka étaient suffisamment élevés pour la convaincre de renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier.
206 Selon Servier, aucune dénaturation invoquée dans le cadre de la cinquième branche n’est fondée.
207 Servier soutient que la sixième branche est inopérante, car elle vise un motif surabondant de l’arrêt attaqué. Elle n’est en tout état de cause pas fondée, car le Tribunal aurait appliqué la jurisprudence selon laquelle seuls les accords présentant une nocivité suffisante pour la concurrence doivent être qualifiés de restriction de la concurrence par objet.
208 La septième branche serait également dirigée contre un motif surabondant de l’arrêt attaqué et, dès lors, serait inopérante. Par ailleurs, en ce qu’elle tend à prescrire certaines formes de licence, l’argumentation de la Commission serait incompatible avec la marge d’appréciation dont bénéficient tant le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle pour octroyer une licence à un tiers que les parties à un litige pour le régler à l’amiable de bonne foi.
209 Selon Servier, la huitième branche repose sur une dénaturation du point 998 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait non pas écarté le caractère incitatif d’une licence asymétrique au motif que celle-ci ne compense pas les profits perdus, mais jugé, à juste titre, qu’une entreprise qui ne reconnaît pas la validité d’un brevet est rationnellement conduite à exiger, en contrepartie de sa renonciation à entrer sur un marché, une compensation couvrant au moins la perte certaine des profits escomptés.
Contrairement à ce que prétend la Commission, le Tribunal aurait estimé que, ayant été conclu à des conditions de marché, l’accord de licence Krka ne pouvait pas être considéré comme un paiement inversé, l’élément déterminant ayant conduit Krka à accepter les clauses de l’accord de règlement amiable étant la validité du brevet 947.
2) Appréciation de la Cour
210 Par la cinquième branche de son deuxième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a dénaturé plusieurs éléments de preuve dans le cadre de ses appréciations portées, aux points 975 à 984 de l’arrêt attaqué, sur le niveau auquel le taux de redevance de l’accord de licence Krka a été fixé, afin de déterminer si cet accord a pu inciter cette entreprise à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier. Or, la Cour a déjà constaté, aux points 198 à 200 du présent arrêt, que ce
raisonnement du Tribunal repose sur l’application d’un critère juridiquement erroné, tenant à la question de savoir si l’accord de licence Krka avait été conclu aux conditions normales de marché. Les points 975 à 984 de l’arrêt attaqué étant, en raison de cette erreur de droit, entachés d’illégalité, il n’est pas nécessaire de statuer sur cette cinquième branche.
211 Par les sixième à huitième branches de son deuxième moyen, la Commission critique les appréciations effectuées aux points 992 à 998 de l’arrêt attaqué, par lesquelles le Tribunal a rejeté le raisonnement de la Commission selon lequel l’accord de licence Krka constituait une incitation à reporter son entrée sur les marchés principaux de Servier, au motif, en substance, que le champ d’application des clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues par l’accord de règlement amiable
Krka était plus étendu que celui de l’accord de licence Krka. Or, ces appréciations du Tribunal reposent sur la prémisse selon laquelle un accord de licence ayant été conclu aux conditions normales de marché répondrait de ce fait au critère défini par le Tribunal, au point 963 de cet arrêt, et ne pourrait donc pas constituer une incitation à conclure un accord de règlement amiable de litiges relatifs à ce brevet contenant des clauses restrictives de la concurrence. Ce critère étant juridiquement
erroné, les appréciations effectuées aux points 994 à 998 dudit arrêt reposent sur une prémisse qui est elle-même erronée et sont, dès lors, entachées d’illégalité. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter la fin de non-recevoir invoquée par Servier et d’accueillir les sixième à huitième branches de ce moyen.
212 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen.
6. Sur le troisième moyen
a) Sur la première branche
1) Argumentation des parties
213 Par la première branche de son troisième moyen, la Commission critique le point 1006 de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a considéré qu’un accord de partage de marché suppose une répartition « étanche » des marchés entre les parties. Cette appréciation serait contraire à l’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE, qui n’impose, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission (T‑49/02 à T‑51/02, EU:T:2005:298, point 156), aucune condition de
cette nature pour la qualification d’accord de partage de marché ni, comme il résulterait, en particulier, de l’arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission (C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 28), pour qualifier ce type d’accord de restriction de la concurrence par objet.
214 Selon Servier, cette argumentation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait non pas exigé une répartition « étanche » des marchés, mais relevé qu’aucun marché n’avait été réservé à Krka. Les arrêts de la Cour et du Tribunal invoqués par la Commission seraient dépourvus de pertinence puisque les accords de règlement amiable et de licence Krka visaient non pas à répartir la clientèle ou à empêcher l’entrée sur le marché de concurrents étrangers, mais étaient fondés sur
la reconnaissance du brevet 947.
2) Appréciation de la Cour
215 Après avoir, en substance, conclu, au point 985 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne pouvait pas qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a estimé que cette conclusion ne pouvait être infirmée par aucun des autres éléments retenus dans la décision litigieuse. Ainsi, pour les motifs énoncés aux points 1003 à 1014 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas fondée à considérer que ces accords
étaient constitutifs d’un partage de marché entre Servier et Krka. En particulier, au point 1005 dudit arrêt, il a constaté que Servier n’était pas exclue des marchés principaux de Krka. Au point 1006 du même arrêt, il a déduit de ce constat qu’« il n’existait pas une partie du marché qui, en vertu des accords, aurait été réservée à Krka » et que, dès lors, il ne pouvait « être conclu à l’existence d’un partage de marché, au sens d’une répartition étanche entre les parties aux accords concernant
cette partie du marché intérieur ».
216 Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé aux points 182 à 194 de ses conclusions, la circonstance qu’un accord consistant à répartir les marchés ne soit pas « étanche » ne fait nullement obstacle à sa qualification de restriction de la concurrence par objet. En effet, l’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE interdit expressément les accords consistant à répartir les marchés. Il résulte de la jurisprudence visée au point 97 du présent arrêt que des accords de coopération horizontale
entre entreprises portant sur la répartition des marchés relèvent, compte tenu de leur caractère particulièrement grave, de la qualification de restriction de la concurrence par objet.
217 L’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE ne comporte à cet égard aucune condition particulière prévoyant que l’interdiction qu’il édicte soit limitée aux seuls accords qui instaurent une répartition « étanche » entre ces marchés, au moyen, par exemple, de dispositions réservant l’accès à certains de ces marchés à l’une de ces entreprises, à l’exclusion de l’autre, ou interdisant les exportations d’un marché vers un autre. Ainsi, en l’absence de toute disposition spécifique à cet égard, il n’y
a pas lieu d’opérer une distinction entre les accords de répartition de marché sur le fondement d’une condition que l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne prévoit pas et qu’aucune considération liée à la finalité ou à l’économie de cette disposition ne permet d’envisager.
218 Au demeurant, l’interprétation retenue par le Tribunal reviendrait à faire échapper à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords consistant à répartir des marchés, notamment en réservant certains marchés à une entreprise en contrepartie de l’octroi par celle-ci d’une licence de brevet à une autre entreprise opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, permettant ainsi à cette seconde entreprise d’entrer sur d’autres marchés sans risque de
contrefaçon, ce qui réduirait la pleine efficacité de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, sous c), TFUE, et porterait gravement atteinte à la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union, eu égard à la nature clairement anticoncurrentielle de tels accords.
219 Dès lors, en jugeant, au point 1006 de l’arrêt attaqué, que, faute pour les accords de règlement amiable et de licence Krka d’avoir réservé une partie du marché à Krka, « [i]l ne peut donc être conclu à l’existence d’un partage de marché, au sens d’une répartition étanche entre les parties [à ces] accords, concernant une partie du marché intérieur », le Tribunal s’est appuyé sur une interprétation erronée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et a entaché ledit point 1006 d’illégalité.
220 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir la première branche du troisième moyen.
b) Sur la deuxième branche
1) Argumentation des parties
221 Par la deuxième branche de son troisième moyen, la Commission critique le point 1012 de l’arrêt attaqué, dont il ressortirait qu’un ensemble contractuel fondé sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet concerné ne peut être qualifié d’accord d’exclusion du marché. Le Tribunal aurait dénaturé le sens clair des preuves relatives à la perception par les parties de la validité du brevet 947. Quand bien même l’accord de règlement amiable Krka aurait été fondé sur cette
reconnaissance, cet accord ne pouvait échapper à l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors que ledit accord avait pour objet de diviser le marché.
222 Selon Servier, le grief de dénaturation doit être rejeté, faute pour la Commission d’identifier la moindre erreur d’analyse des preuves. Le Tribunal aurait, sans méconnaître la jurisprudence invoquée par la Commission, relevé que les accords de règlement amiable et de licence Krka étaient fondés sur la reconnaissance par les parties de la validité du brevet 947.
2) Appréciation de la Cour
223 Au point 1012 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, « en l’absence de démonstration de l’existence d’une incitation [...], les clauses de non-commercialisation et de non-contestation doivent être regardées comme résultant d’un accord légitime de règlement amiable d’un litige en matière de brevets auquel est associé un accord de licence » et qu’« [u]n tel ensemble contractuel, fondé sur la reconnaissance de la validité du brevet, ne peut, dès lors, être qualifié d’accord d’exclusion du
marché ».
224 Il y a lieu de considérer, conformément à ce qui a été jugé aux points 102 et 132 du présent arrêt, que, si la reconnaissance de la validité d’un brevet faisant l’objet d’un litige entre deux parties peut constituer un élément pertinent afin d’apprécier si, sur un même marché, les restrictions de la concurrence induites d’un accord de règlement amiable de ce litige peuvent être atténuées, voire neutralisées, par la conclusion, entre les mêmes parties, d’un accord de licence de ce brevet, cette
reconnaissance ne constitue pas, en soi, un facteur décisif, voire pertinent, pour déterminer si une pratique collusoire telle que celle imputée, par la décision litigieuse, à Servier et à Krka, consistant à se répartir des marchés au moyen d’un accord de règlement amiable d’un litige de brevet qui concerne, notamment, des marchés relevant du champ géographique de l’infraction et d’un accord de licence de ce brevet portant sur des marchés qui n’en relèvent pas, peut être qualifiée de restriction
de la concurrence par objet.
225 Or, il résulte des considérations exposées aux points 102, 132, 178 à 184 et 224 du présent arrêt que, en se fondant, d’une part, sur la reconnaissance par Krka du brevet 947 alors que ce facteur n’est pas, en soi, décisif et, d’autre part, sur le contenu et la forme des accords de règlement amiable et de licence Krka plutôt que sur l’analyse concrète de leur nocivité pour la concurrence, au vu du contexte dans lequel ils s’inscrivent, afin d’invalider la qualification de ces accords de
restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a commis une erreur de droit.
226 Par ailleurs, il est vrai qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet et un accord de licence de ce brevet peuvent être conclus, dans un but légitime et en toute légalité, sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité dudit brevet, en l’absence de toute autre circonstance constitutive d’une infraction à l’article 101 TFUE. Cependant, le fait que de tels accords poursuivent un objectif légitime n’est pas de nature à les faire échapper à l’application
de l’article 101 TFUE s’il s’avère qu’ils visent également à répartir des marchés ou à réaliser d’autres restrictions à la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 1985, BAT Cigaretten-Fabriken/Commission, 35/83, EU:C:1985:32, point 33, et du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 70).
227 Dès lors, il y a lieu d’accueillir la deuxième branche du troisième moyen.
c) Sur la troisième branche
1) Argumentation des parties
228 Par la troisième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 987 et 988 de l’arrêt attaqué, a dénaturé les termes de l’accord de licence Krka. Le Tribunal aurait affirmé que l’éventuelle instauration d’un duopole de fait dans les sept États membres couverts par cet accord – les marchés principaux de Krka – résultait non pas des termes dudit accord, mais de choix ultérieurs opérés individuellement par Servier et par Krka. Or, cette affirmation serait
contredite par l’article 2, paragraphe 2, du même accord aux termes duquel Servier s’est engagée à ne pas autoriser un troisième opérateur à utiliser le brevet 947 sur ces sept marchés nationaux.
229 Servier conteste que l’accord de licence Krka ait instauré un duopole de fait. D’une part, selon cet accord, Servier pouvait accorder une licence additionnelle à un opérateur tiers. D’autre part, faute pour la Commission d’avoir contesté l’existence d’un certain degré de concurrence entre Servier et Krka, constaté au point 991 de l’arrêt attaqué, cet argument serait inopérant.
2) Appréciation de la Cour
230 Au point 987 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, quand bien même l’accord de licence Krka aurait permis l’instauration d’un « duopole avantageux » entre Servier et Krka, « un tel duopole ne résultait pas de l’accord lui-même mais de choix opérés par Servier et Krka postérieurement à celui-ci, à savoir, s’agissant de Servier, le choix de ne pas accorder de licence à une autre société de génériques ou de ne pas commercialiser lui-même une version générique à bas prix de son propre
périndopril [...] et, s’agissant de Krka, le choix de ne pas engager une politique agressive basée sur les prix ».
231 À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 2 de l’accord de licence Krka, qui est mentionné au point 46 de l’arrêt attaqué et qui figure à l’annexe A.176 de la requête en première instance de Servier, est rédigé comme suit :
« Par la présente, Servier concède à Krka une licence exclusive et irrévocable sur le brevet 947 et Krka l’accepte en vue d’utiliser, de fabriquer, de vendre, de proposer à la vente, de promouvoir et d’importer des produits de Krka contenant la forme cristalline alpha du sel de périndopril tert-butylamine sur le territoire pendant la durée du présent accord.
Sans préjudice de ce qui précède, Servier se réserve le droit, directement ou par l’intermédiaire de ses filiales ou par l’intermédiaire d’un seul tiers par pays, d’utiliser le brevet 947 pour exécuter l’une des opérations mentionnées ci-dessus sur le territoire.
Krka n’est pas autorisée à concéder des sous-licences, à part celles qu’elle concède à ses filiales, sans l’accord préalable écrit de Servier. »
232 Il ressort ainsi de ces termes clairs et précis que Servier a octroyé à Krka, à titre exclusif et irrévocable, la licence du brevet 947, sous réserve du droit pour Servier d’utiliser ce brevet « directement par l’intermédiaire de ses filiales ou d’un seul tiers par pays ». Si l’existence de cette réserve peut contribuer à expliquer le langage prudent utilisé par la Commission, qui s’est bornée à faire état, notamment aux considérants 1728, 1734 et 1742 de la décision litigieuse, d’un duopole
« de fait » sur les marchés principaux de Krka, il demeure que les termes de cette réserve, lus à la lumière du caractère exclusif et irrévocable de la licence accordée à Krka, ne sauraient être interprétés comme permettant à Servier d’accorder une licence dudit brevet à un autre fabricant de médicaments génériques qui, tout en agissant indépendamment de Servier, pourrait concurrencer Krka. Ainsi, en affirmant, au point 987 de l’arrêt attaqué, qu’un duopole entre Servier et Krka résulterait non
pas des dispositions de l’accord de licence Krka mais du choix opéré postérieurement par Servier « de ne pas accorder une licence à une autre société de génériques », le Tribunal a procédé à une lecture de cet accord qui est incompatible avec son libellé. En dénaturant le sens dudit accord, le Tribunal a entaché d’illégalité le point 987 de cet arrêt.
233 Dans ces conditions, il convient d’accueillir la troisième branche du troisième moyen.
d) Sur la quatrième branche
1) Argumentation des parties
234 Par la quatrième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 989 et 990 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse ne pouvait pas se fonder sur l’instauration d’un duopole entre Servier et Krka pour constater l’existence d’une restriction de la concurrence par objet sans analyser les effets potentiels des accords de règlement amiable et de licence Krka. En effet, ces accords avaient, de l’avis de la
Commission, pour objet de modifier sensiblement la structure des marchés principaux de Servier en accordant une licence à Krka en contrepartie de la renonciation de cette dernière à entrer sur ces marchés. Par conséquent, l’examen de leurs effets n’aurait pas été nécessaire et n’aurait été entrepris dans la décision litigieuse que par souci d’exhaustivité.
235 Servier considère que cette argumentation repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.
2) Appréciation de la Cour
236 Il convient de rappeler que, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 96 du présent arrêt, la notion de restriction de la concurrence par objet ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire.
237 Afin d’apprécier si un accord entre entreprises présente un tel degré de nocivité, il y a lieu de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il convient également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt
du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 53).
238 Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé aux points 93 et 94 du présent arrêt, et comme le souligne à juste titre la Commission, s’agissant de pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence. En effet, l’expérience montre que certains comportements sont susceptibles en soi d’avoir des conséquences négatives sur les marchés (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission,
C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 162). En outre, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 97 du présent arrêt que les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, cette interdiction ne pouvant être remise en cause au moyen d’une analyse du
contexte économique dans lequel le comportement anticoncurrentiel en cause s’inscrit.
239 Dès lors, ainsi que le Tribunal l’a lui-même relevé aux points 221 et 989 de l’arrêt attaqué, il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 236 à 238 du présent arrêt que l’établissement de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ne saurait, sous couvert notamment de l’examen du contexte économique et juridique de l’accord en cause, conduire à apprécier les effets de cet accord, sous peine de faire perdre son effet utile à la distinction entre objet et effet
restrictif de concurrence établie à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Or, le Tribunal a également jugé au même point 989 de cet arrêt, qui renvoie à la jurisprudence citée au point 304 dudit arrêt, que la Commission et le juge de l’Union ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord et, en particulier, dans le cadre de la prise en compte de son contexte économique et juridique, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord. Au point 990 du même arrêt, il a donc
relevé que « les prétendus effets potentiels en cause, c’est-à-dire le duopole allégué par la Commission, sont fondés sur des circonstances hypothétiques et ainsi non objectivement prévisibles à la date de conclusion de l’accord ».
240 Force est de constater que le point 989 de l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction interne, car il indique à la fois que les effets d’une restriction de la concurrence par objet ne doivent pas être appréciés aux fins d’établir l’existence de cette restriction et que de tels effets ne peuvent pas être ignorés lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord. Or, ces deux affirmations sont incompatibles.
241 En outre, les points 304 et 989 de l’arrêt attaqué contiennent une erreur de droit dans la mesure où le Tribunal a observé que la Commission et le juge de l’Union ne peuvent, lors de l’examen de l’objet restrictif d’un accord, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord. En effet, cette observation, qui ne se fonde sur aucun arrêt de la Cour, contredit directement la jurisprudence rappelée aux points 236 à 238 du présent arrêt, selon laquelle, s’agissant de pratiques qualifiées de
restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence.
242 Cette appréciation erronée confond, par ailleurs, l’exercice consistant à vérifier si un comportement est susceptible, par sa nature même, de nuire systématiquement à la concurrence en raison de caractéristiques qui lui sont propres et s’il présente donc un degré de nocivité suffisant pour être qualifié de restriction de la concurrence par objet avec celui consistant à analyser les effets, réels ou potentiels, d’un comportement spécifique dans un cas particulier, qui est pertinent uniquement
pour apprécier l’existence d’une éventuelle restriction de la concurrence par effet.
243 En effet, aux fins d’établir si un comportement présente un tel degré de nocivité, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner, et à plus forte raison de démontrer, les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 159, 162 et 166, ainsi que jurisprudence citée).
244 Compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 236 à 238 et 243 du présent arrêt, qui exclut la prise en compte des effets d’un accord ou d’une pratique, le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 990 de l’arrêt attaqué, en introduisant, dans son raisonnement relatif à la restriction de la concurrence par objet constatée dans la décision litigieuse et fondée sur le fait que les accords de règlement amiable et de licence Krka donnaient lieu à une répartition des marchés géographiques
dans l’Union, des considérations relatives au caractère prétendument hypothétique des effets potentiels de ces accords, considérations qu’il n’appartenait pas à la Commission de prendre en compte à cet égard.
245 Il convient, par conséquent, d’accueillir la quatrième branche du troisième moyen.
e) Sur la cinquième branche
1) Argumentation des parties
246 Par la cinquième branche de son troisième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir, au point 1023 de l’arrêt attaqué, écarté la déclaration de Lupin visée au considérant 1730 de la décision litigieuse, selon laquelle il « semblerait que, du point de vue de Servier, la justification de [l’accord de règlement amiable Krka] soit la protection des marchés principaux dans lesquels on constate la prédominance d’un niveau élevé de substitution et/ou d’une prescription de [dénomination
commune internationale] », au motif que cette déclaration ne permet pas de prouver l’intention de Servier d’adopter avec Krka des accords de partage ou d’exclusion du marché. Or, cette déclaration visait, selon la Commission, non pas à prouver l’intention de Servier, mais à corroborer une déclaration ultérieure de Krka, permettant de démontrer que les accords de règlement amiable et de licence Krka avaient rendu possible une forme de partage de marché, contribuant ainsi à établir l’objet
anticoncurrentiel de ces accords.
247 Servier soutient que cette cinquième branche est irrecevable, car elle vise à remettre en cause l’appréciation des preuves par le Tribunal.
2) Appréciation de la Cour
248 Il y a lieu de rappeler qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation, une question de droit soumise, comme telle,
au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 16 février 2023, Commission/Italie, C‑623/20 P, EU:C:2023:97, point 116 et jurisprudence citée).
249 En l’espèce, force est de constater que la Commission n’invoque pas de dénaturation, de telle sorte que la cinquième branche du troisième moyen est irrecevable.
f) Sur la sixième branche
1) Argumentation des parties
250 Par la sixième branche de son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a, aux points 248, 958 et 965 de l’arrêt attaqué, procédé à une interprétation erronée du règlement no 772/2004 et des lignes directrices relatives à l’application de l’article 101 TFUE aux accords de transfert de technologie, mentionnées au point 53 du présent arrêt.
251 Servier réfute toute erreur de droit commise par le Tribunal dans l’application de la notion de restriction de la concurrence par objet.
2) Appréciation de la Cour
252 Il y a lieu de constater que le point 248 de l’arrêt attaqué, qui se borne, en substance, à rappeler et à commenter certains points des lignes directrices visées au point 250 du présent arrêt, fait partie des considérations liminaires ayant conduit le Tribunal à déclarer, au point 252 de l’arrêt attaqué, qu’« il convient de trouver un point d’équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux entreprises de procéder à des règlements amiables dont le développement est favorable à la
collectivité et, d’autre part, la nécessité de prévenir le risque d’un usage détourné des accords de règlement amiable, contraire au droit de la concurrence, conduisant au maintien des brevets dépourvus de toute validité et, en particulier dans le secteur des médicaments, à une charge financière injustifiée pour les budgets publics ». Or, de telles considérations liminaires étant, en raison de leur généralité, sans influence sur le dispositif de cet arrêt, le grief dirigé contre le point 248
dudit arrêt est donc inopérant. En outre, il découle des considérations exposées aux points 179 à 184 du présent arrêt, en réponse à la deuxième branche du deuxième moyen, que les points 943 à 972 de l’arrêt attaqué sont entachés d’illégalité. Dès lors, il n’est pas nécessaire de répondre aux griefs remettant en cause les points 958 et 965 de l’arrêt attaqué.
253 Les première à quatrième branches ainsi que la sixième branche du troisième moyen étant fondées, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen.
7. Sur le quatrième moyen
254 Par son quatrième moyen, la Commission conteste les appréciations auxquelles s’est livré le Tribunal quant à l’intention des parties aux accords Krka. Ce moyen se compose de quatre branches.
a) Sur la première branche
1) Argumentation des parties
255 Par la première branche de son quatrième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir jugé, au point 1015 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’avait pas démontré que Servier ou Krka avait eu l’intention de conclure des accords anticoncurrentiels. En effet, une telle preuve ne serait pas requise, puisque l’infraction imputée à ces entreprises est une restriction de la concurrence par objet. Quand bien même lesdites entreprises n’auraient pas eu l’intention de restreindre la
concurrence, cette circonstance serait sans incidence sur le fait que les accords Krka présentaient, dans les marchés principaux de Servier, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour justifier leur qualification de restriction de la concurrence par objet.
256 Servier soutient que la preuve de l’intention des parties n’étant pas requise pour la qualification de restriction de la concurrence par objet, le quatrième moyen est, dans son ensemble, dirigé contre un motif surabondant de l’arrêt attaqué et, à ce titre, inopérant.
2) Appréciation de la Cour
257 Après avoir jugé, en substance, au point 985 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne pouvait pas qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a estimé que cette appréciation ne pouvait pas être infirmée par les autres éléments retenus dans la décision litigieuse. Parmi ces éléments, le point 1015 de cet arrêt énonce que « la Commission n’a pas démontré que Servier ou Krka avait eu l’intention de procéder à un accord de
partage ou d’exclusion du marché ou encore que Servier avait entendu inciter Krka à renoncer à lui faire concurrence ou que Krka avait eu l’intention de renoncer, en échange d’un avantage incitatif, à exercer une pression concurrentielle sur Servier ». Pour les motifs exposés aux points 1016 à 1024 dudit arrêt, le Tribunal a, ensuite, écarté certaines preuves relatives aux intentions des parties aux accords Krka visées par la décision litigieuse, et considéré, au point 1025 du même arrêt que, en
tout état de cause, la Commission n’avait pas été en mesure de produire des indices pertinents et convergents permettant de remettre en cause la conclusion à laquelle il était parvenu au point 985 de l’arrêt attaqué.
258 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé aux points 108 et 182 du présent arrêt, la circonstance que des entreprises dont le comportement pourrait être qualifié de restriction de la concurrence par objet ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du
21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Si des preuves relatives aux intentions des parties à un accord peuvent contribuer, dans certains cas, à établir quels sont les buts objectifs que cet accord vise à atteindre à l’égard de la concurrence, il résulte de la jurisprudence rappelée au présent point que, en reprochant à la Commission de ne pas avoir démontré, en substance, que Servier ou Krka avait l’intention de restreindre la
concurrence entre elles, alors qu’une telle démonstration n’était pas requise aux fins d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a commis une erreur de droit et entaché d’illégalité le point 251 de l’arrêt attaqué.
259 La première branche du quatrième moyen doit, dès lors, être accueillie.
b) Sur la deuxième branche
1) Argumentation des parties
260 Par la deuxième branche de son quatrième moyen, la Commission soutient que le Tribunal, en statuant aux points 1016 à 1024 de l’arrêt attaqué sur l’intention de Servier et de Krka de se répartir les marchés, a commis des erreurs dans l’interprétation des principes gouvernant l’analyse des preuves. Elle invoque quatre griefs à cet égard.
261 Premièrement, s’agissant de la reconnaissance par Servier et Krka de la validité du brevet 947, le Tribunal se serait limité, aux points 1017 à 1024 de cet arrêt, à examiner certaines pièces mentionnées dans la décision litigieuse, alors qu’il était tenu de vérifier si l’ensemble des preuves documentaires, analysées comme un tout, permettait d’établir une infraction selon le standard de preuve requis. Le Tribunal aurait ainsi omis de prendre en considération les documents visés aux considérants
873, 874 et 1759 de la décision litigieuse.
262 Deuxièmement, s’agissant de l’importance accordée, au point 1016 dudit arrêt, au contenu des accords de règlement amiable et de licence Krka, le Tribunal aurait, en substance, suivi un raisonnement erroné, de type « a contrario », et mal interprété la jurisprudence issue de l’arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 57), concernant les inférences pouvant être tirées d’indices lorsque
les parties n’ont pas conservé de preuves documentaires du contenu de leur accord. En effet, le Tribunal en a déduit que le fait que le contenu d’un accord est disponible relativise la pertinence des autres preuves documentaires. En l’absence de cette erreur de droit, le Tribunal aurait dû prendre en compte un courriel de Krka du 29 septembre 2005, identifiant la stratégie anticoncurrentielle poursuivie ainsi que la déclaration de Lupin, visée aux considérants 1730 et 1748 de la décision
litigieuse, corroborant l’existence de cette stratégie.
263 Troisièmement, au point 1016 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, de manière générale et abstraite, que des documents contemporains d’accords « ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion fondée sur le contenu même de ces accords ». En effet, une telle hiérarchie dans l’administration de la preuve n’existerait pas. Le Tribunal aurait méconnu la fonction principale de la preuve qui est d’établir de manière convaincante les mérites d’un argument et
commis une erreur de droit en ne vérifiant pas la crédibilité de toutes les preuves visées aux considérants 1758 à 1760 de la décision litigieuse.
264 Quatrièmement, la Commission soutient que le point 1019 de l’arrêt attaqué est insuffisamment motivé. En particulier, cet arrêt n’expliquerait pas pourquoi les preuves visées aux considérants 1758 à 1760 de la décision litigieuse, lus en combinaison avec les considérants 1687 à 1690 de cette décision, ne suffisaient pas à établir que Krka ne reconnaissait pas la validité du brevet 947.
265 Servier fait valoir que le Tribunal a expliqué les raisons pour lesquelles la poursuite, par Krka, des procédures judiciaires ne remettait pas en cause le fait que cette entreprise reconnaissait la validité du brevet 947, sans manquer à son obligation d’analyser toutes les preuves pertinentes, ni à son obligation de motivation. S’agissant des deuxième et troisième griefs, Servier rappelle que, les accords Krka ayant été rendus publics, la distinction opérée par le Tribunal entre ces accords et
les cartels secrets était pertinente.
2) Appréciation de la Cour
266 La Commission ayant avancé, dans le cadre de son premier grief, des arguments qui se recoupent avec ceux invoqués dans la quatrième branche de son quatrième moyen, il convient d’examiner l’ensemble de ces arguments dans le cadre de l’appréciation de cette quatrième branche.
267 S’agissant du quatrième grief, pris d’un défaut de motivation, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (arrêt du 9 mars 2023, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2023:170, point 40
ainsi que jurisprudence citée).
268 Le Tribunal, au point 1019 de l’arrêt attaqué, a écarté les éléments de preuve visés aux considérants 849 à 854 et 1758 à 1760 de la décision litigieuse, au motif qu’ils étaient trop « fragmentaires ou ambigus » pour infirmer la constatation opérée par le Tribunal selon laquelle Krka avait fini par reconnaître la validité du brevet 947. Cette motivation, certes laconique, est néanmoins suffisante pour comprendre, à la lumière du point 1016 de cet arrêt, les raisons pour lesquelles le Tribunal a
ainsi écarté ces éléments de preuve. Le quatrième grief étant non fondé, il doit, dès lors, être rejeté.
269 S’agissant des deuxième et troisième griefs, qu’il convient d’examiner ensemble, la Commission fait valoir, en substance, que le point 1016 de l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que des documents contemporains d’accords ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion fondée sur le contenu même de ces accords.
270 Au point 1016 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, à bon droit, en se référant à l’arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 51), que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des
déductions. Il a cependant considéré, à ce point 1016, que les accords de règlement amiable et de licence Krka étaient « de véritables contrats qui ont d’ailleurs fait l’objet d’une large publicité (considérant 915 de la décision [litigieuse]) », que, « [l]a Commission ayant pu disposer aisément du contenu complet des accords en cause, la jurisprudence qui vient d’être citée s’applique avec moins d’évidence », et que, « [a]insi, des déductions tirées d’extraits partiels de courriels ou d’autres
documents censés établir les intentions des parties ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion qui serait fondée sur le contenu même des accords, c’est-à-dire sur les liens juridiques contraignants que les parties ont décidé d’instaurer entre elles ».
271 À cet égard, il importe de rappeler que, en droit de l’Union, le principe qui prévaut est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêts du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, EU:C:2007:53, points 49 et 63, ainsi que du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 38).
272 Pour satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe, la Commission doit réunir des éléments de preuve suffisamment sérieux, précis et concordants pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a eu lieu (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 20, ainsi que du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, points 42
et 45).
273 Cependant, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 513 à 523, ainsi que du 14 mai
2020, NKT Verwaltungs et NKT/Commission, C‑607/18 P, EU:C:2020:385, point 180).
274 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé aux points 97 et 220 de ses conclusions, ces principes relatifs à l’administration de la preuve s’appliquent non seulement lorsque la Commission doit déduire l’existence même d’une pratique collusoire d’éléments de preuve fragmentaires et épars, mais également lorsque la Commission a pu disposer du contenu d’accords destinés à mettre en œuvre cette pratique. En effet, dans une telle situation, le contenu même de ces accords ne permet pas nécessairement
de déterminer si lesdits accords s’inscrivent dans le cadre d’une pratique anticoncurrentielle, ni, à plus forte raison, si cette pratique présente un degré de nocivité suffisant pour pouvoir être qualifiée de restriction de la concurrence par objet.
275 Or, ainsi qu’il a déjà été exposé, au point 183 du présent arrêt, en réponse à la deuxième branche du deuxième moyen, le fait que les termes d’accords destinés à mettre en œuvre une pratique collusoire ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, déterminant. C’est pourquoi il est nécessaire de tenir compte non seulement du contenu de ces accords, mais également de leurs objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts
du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, ainsi que du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, points 78 et 79). À cet égard, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P,
EU:C:2014:2204, point 54 et jurisprudence citée), notamment afin de comprendre le véritable objet de cet accord à la lumière du contexte dans lequel il a été conclu ainsi qu’il a été jugé au point 258 du présent arrêt.
276 Dès lors, premièrement, le Tribunal a violé le principe de la libre administration de la preuve en droit de l’Union en jugeant, au point 1016 de l’arrêt attaqué, qu’il existe une distinction en droit, s’agissant de la prise en compte d’éléments fragmentaires et épars pour établir l’existence d’une infraction, entre les situations dans lesquelles la Commission dispose du contenu d’accords anticoncurrentiels et celles dans lesquelles elle n’en dispose pas. Deuxièmement, il a commis une erreur de
droit en observant, à ce point 1016, que « des déductions tirées d’extraits partiels de courriels ou d’autres documents censés établir les intentions des parties ne peuvent aisément remettre en cause une conclusion qui serait fondée sur le contenu même des accords, c’est-à-dire sur les liens juridiques contraignants que les parties ont décidé d’instaurer entre elles ». Ce faisant, le Tribunal a entaché d’illégalité ses appréciations figurant aux points 1016 à 1025 de cet arrêt.
277 La deuxième branche du quatrième moyen, prise en ses deuxième et troisième griefs, doit, dès lors, être accueillie.
c) Sur la troisième branche
1) Argumentation des parties
278 Par la troisième branche de son quatrième moyen, la Commission soutient que, pour les raisons exposées dans le cadre de la sixième branche de son premier moyen, les points 1017 et 1024 sont entachés d’une erreur de droit.
279 Selon Servier, cette troisième branche doit être rejetée pour les mêmes raisons que celles qui justifieraient le rejet de la sixième branche du premier moyen.
2) Appréciation de la Cour
280 La sixième branche du premier moyen ayant été accueillie au point 163 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de statuer de manière autonome sur la troisième branche du quatrième moyen.
d) Sur la quatrième branche
1) Argumentation des parties
281 Par la quatrième branche de son quatrième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir, aux points 999, 1000, 1010 et 1026 de l’arrêt attaqué, enfreint les principes lui imposant d’analyser, de manière complète et impartiale, la globalité des preuves. Le Tribunal aurait « préféré » des preuves subjectives postérieures à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka aux preuves contemporaines visées aux points 1015 à 1024 de cet arrêt, alors que ces dernières
lui auraient permis de vérifier si Krka reconnaissait effectivement la validité du brevet 947. Quand bien même cette entreprise aurait prétendu que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 l’avait conduite à croire que le brevet 947 était valide, une telle allégation ne pouvait pas résister à une évaluation complète et impartiale de la globalité des preuves. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit en n’examinant pas l’ensemble des preuves visées à la section 5.5 de la décision litigieuse.
282 Selon Servier, la quatrième branche du quatrième moyen repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait analysé tant les preuves postérieures que les preuves contemporaines des accords de règlement amiable et de licence Krka. En tout état de cause, ces dernières auraient manqué de valeur probante, car elles étaient antérieures à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006. En outre, la Commission ne saurait reprocher au Tribunal de ne pas avoir revu l’ensemble des preuves
mentionnées à la section 5.5 de la décision litigieuse. En particulier, ce grief serait irrecevable, puisque la Commission n’indique pas clairement quelles sont, selon elle, les preuves spécifiques que le Tribunal aurait dû examiner dans cette section qui compte 55 pages. De l’avis de Servier, il n’incombe pas au Tribunal de revoir la décision litigieuse au-delà des preuves que la Commission a avancées lors de la phase contentieuse, ni à la Cour de substituer son appréciation à celle du
Tribunal.
2) Appréciation de la Cour
283 Par la deuxième branche du quatrième moyen, prise en son premier grief, ainsi que par la quatrième branche de ce moyen, la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en se prononçant sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet sur le fondement d’une appréciation incomplète et sélective des preuves de la reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947 et des intentions des parties aux accords Krka.
284 À cet égard, il a été jugé aux points 160 à 162 du présent arrêt que, en omettant de prendre en considération les éléments visés aux points 158 et 159 de cet arrêt relatifs à la perception par Krka de la validité du brevet 947 et en s’abstenant d’expliquer les raisons de cette omission, alors que l’existence d’une infraction aux règles de concurrence ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision litigieuse sont considérés dans leur ensemble, le Tribunal a
dénaturé la décision litigieuse et a entaché l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation. Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le premier grief de la deuxième branche et la quatrième branche du quatrième moyen.
285 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir la première branche, la deuxième branche prise en ses premier à troisième griefs, ainsi que la quatrième branche du quatrième moyen.
8. Sur le cinquième moyen
a) Argumentation des parties
286 Par son cinquième moyen, la Commission critique les points 1007 à 1009 ainsi que 1031 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a pris en compte les effets positifs de l’accord de licence Krka dans les marchés principaux de Krka. Le Tribunal aurait commis trois erreurs. Tout d’abord, aucune infraction n’ayant été constatée sur ces marchés, les effets positifs allégués ne justifieraient pas la restriction de la concurrence sur les autres marchés. Ensuite, le Tribunal aurait méconnu l’arrêt du
13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41), selon lequel, en substance, un accord de distribution exclusive qui met en place une protection territoriale absolue constitue une restriction de la concurrence par objet. Enfin, le Tribunal aurait méconnu la jurisprudence constante selon laquelle la mise en balance des effets positifs et négatifs d’un accord sur la concurrence ne peut être effectuée que dans le cadre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
287 Servier conteste cette argumentation. Elle réfute toute analogie avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission (56/64 et 58/64, EU:C:1966:41), laquelle ne concernait pas le règlement amiable d’un litige relatif à un brevet. Les accords Krka n’offriraient pas de protection territoriale absolue. Servier serait restée libre de vendre sur les marchés principaux de Krka, tandis que Krka restait libre de développer un produit non contrefaisant dans le
reste de l’Union. L’affirmation selon laquelle la concurrence potentielle aurait été éliminée sur ces marchés serait inexacte puisque l’accord de règlement amiable Krka interdisait seulement à Krka de violer le brevet 947, dont la validité venait d’être confirmée. Selon Servier, Krka travaillait d’ailleurs activement au développement d’une forme non contrefaisante de périndopril. En tout état de cause, le Tribunal a pu, de l’avis de Servier, prendre en compte, aux points 304 et 996 de l’arrêt
attaqué, les effets proconcurrentiels de l’accord de licence Krka, en tant qu’éléments de contexte, afin de réfuter la qualification de restriction de la concurrence par objet.
b) Appréciation de la Cour
288 Il convient de rappeler que, comme la Cour l’a jugé, aux fins d’établir si un comportement présente le degré de nocivité requis pour constituer une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21,
EU:C:2023:1011, points 159 et 166 ainsi que jurisprudence citée). Il s’ensuit que les éventuels effets positifs ou proconcurrentiels d’un comportement ne peuvent être pris en compte aux fins d’apprécier s’il y a lieu de le qualifier de restriction de la concurrence par objet au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, y compris dans le cadre d’un éventuel examen de la question de savoir si le comportement en cause présente le degré de nocivité requis aux fins d’une telle qualification.
289 En tout état de cause, ainsi qu’il a été relevé au point 175 du présent arrêt, l’accord de licence Krka concerne des marchés qui ne relèvent pas du champ d’application géographique de l’infraction à l’article 101 TFUE. Dans ces conditions, les éventuels effets favorables à la concurrence que cet accord pourrait avoir sur ces marchés, à supposer qu’ils existent, seraient dénués de toute pertinence, d’un point de vue logique, pour apprécier l’existence de l’infraction constatée en l’espèce sur les
marchés principaux de Servier.
290 Dès lors, en s’appuyant, au point 1031 de l’arrêt attaqué, ainsi qu’à son point 1032 qui en tire les conséquences, sur les effets proconcurrentiels qu’il avait constatés sur les marchés principaux de Krka, aux points 1007 à 1009 de cet arrêt, le Tribunal a commis une erreur d’interprétation et d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché l’ensemble de ces points d’illégalité.
291 Il convient, en conséquence, d’accueillir le cinquième moyen.
9. Conclusion intermédiaire sur les premier à cinquième moyens
292 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, en substance, que, afin de qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, il incombait à la Commission d’établir, d’une part, qu’il existait un lien suffisamment direct entre ces deux accords pour que leur association soit justifiée et, d’autre part, que, en l’absence d’un tel lien, il appartenait à la Commission de prouver que l’accord de licence Krka n’avait pas été conclu aux conditions
normales de marché, mais masquait un paiement inversé de Servier au bénéfice de Krka, visant à retarder l’entrée du second sur les principaux marchés du premier.
293 Or, ainsi qu’il ressort des points 133 à 135 et 179 à 184 du présent arrêt, le Tribunal a fait abstraction de la nature même de l’infraction à l’article 101 TFUE imputée à Servier et à Krka, infraction qui ne se limitait pas à un accord de règlement amiable d’un litige de brevet contre paiement inversé mais poursuivait l’objectif plus large de répartir les marchés entre ces entreprises. Il a également fait abstraction du champ d’application géographique de cette infraction, lequel ne s’étendait
pas aux marchés principaux de Krka.
294 Cette erreur de droit a conduit le Tribunal, ainsi qu’il résulte des points 178 à 184 du présent arrêt, à vérifier la qualification de la pratique infractionnelle imputée à Servier et à Krka de restriction de la concurrence par objet en analysant la forme et les caractéristiques juridiques des accords destinés à mettre en œuvre cette pratique plutôt qu’en ayant égard aux répercussions économiques de ladite pratique. C’est au regard de ces critères erronés que le Tribunal a accordé une importance
déterminante à la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 et à la question de savoir si le taux de redevance de l’accord de licence Krka correspondait aux conditions normales de marché, alors que, ainsi qu’il résulte des points 196 à 200 et 223 à 226 du présent arrêt, ces éléments n’étaient pas, en soi, décisifs.
295 Par ailleurs, lorsque, sur la base de ces erreurs de droit, le Tribunal a examiné si la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka était justifiée par la circonstance que Krka, après avoir subi deux revers judiciaires, n’était plus convaincue de l’invalidité du brevet 947, le Tribunal a, ainsi qu’il résulte des points 145 à 162 du présent arrêt, dénaturé le sens clair et précis d’une de ces décisions judiciaires et, s’agissant de l’autre, a dénaturé la décision litigieuse et
violé son obligation de motivation.
296 En outre, afin de conforter la conclusion – entachée des erreurs de droit qui viennent d’être résumées – selon laquelle la Commission ne pouvait pas qualifier les accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a réfuté sept éléments qui, selon la décision litigieuse, démontraient que l’accord de licence Krka était la contrepartie de la renonciation par cette entreprise à concurrencer Servier sur ses marchés principaux.
297 Premièrement, le Tribunal a réfuté, aux points 987 à 991 de l’arrêt attaqué, la perspective de l’instauration d’un duopole de fait entre Servier et Krka sur les marchés principaux de Krka, au motif que ce duopole résulterait non pas de l’accord de licence Krka, mais de choix ultérieurs des parties à cet accord. Toutefois, cette constatation repose sur l’examen du seul contenu des clauses de cet accord, abstraction faite de son contexte économique, et sur une dénaturation des termes de l’une de
ces clauses, ainsi qu’il ressort des points 178 à 184 et 230 à 232 du présent arrêt.
298 Deuxièmement, le Tribunal a rejeté, aux points 992 à 999 de l’arrêt attaqué, la possibilité que l’accord de licence Krka ait pu constituer la contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, au motif que c’est la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 qui a été l’élément déterminant de sa décision de transiger. Toutefois, cette appréciation repose, d’une part, sur l’erreur de droit constatée aux points 223 à 226 du présent arrêt s’agissant du caractère décisif de cette
reconnaissance et, d’autre part, sur les dénaturations et le défaut de motivation constatés aux points 145 à 162, ainsi qu’aux points 283 à 285 du présent arrêt.
299 Troisièmement, le Tribunal a affirmé, aux points 1000 à 1002 de l’arrêt attaqué, que l’évaluation par Krka du coût d’opportunité de l’accord de règlement amiable Krka ne permettait pas d’établir que l’accord de licence Krka était la contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, mais confirmait plutôt que cette entreprise reconnaissait la validité du brevet 947. Toutefois, cette dernière circonstance n’est pas, en soi, décisive, ainsi qu’il ressort des points 223 à 226 du présent arrêt.
300 Quatrièmement, le Tribunal a considéré, aux points 1003 à 1014 de l’arrêt attaqué, tout d’abord, que, en l’absence de marchés réservés à Krka, la Commission n’avait pas prouvé l’existence d’une répartition « étanche » des marchés, ensuite, que la licence avait eu un effet proconcurrentiel sur les marchés principaux de Krka, et enfin, qu’aucune partie du marché n’avait été réservée de manière illicite à Servier. Toutefois, il ressort des points 216 à 219, 225 et 226 du présent arrêt que ces
appréciations reposent, d’une part, sur une analyse formaliste des accords de règlement amiable et de licence Krka plutôt que sur l’analyse concrète de leur nocivité pour la concurrence et, d’autre part, sur une erreur d’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la prohibition des accords visant à répartir les marchés n’étant pas applicable aux seuls accords opérant une répartition « étanche » entre ces marchés.
301 Cinquièmement, le Tribunal a jugé, aux points 1015 à 1025 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas démontré que Servier et Krka avaient l’intention de conclure un accord de partage des marchés. Toutefois, outre le fait que, comme il a été jugé au point 258 du présent arrêt, la Commission n’était pas tenue de démontrer que Servier ou Krka avait l’intention de restreindre la concurrence entre elles, il ressort des points 145 à 162 et 269 à 276 du présent arrêt que cette appréciation
repose sur la dénaturation de la décision litigieuse et de la décision de la High Court du 3 octobre 2006 ainsi que sur une violation de l’obligation de motiver les arrêts et sur une application erronée des principes relatifs à l’administration de la preuve.
302 Sixièmement, le Tribunal a considéré, aux points 1026 à 1028 de l’arrêt attaqué, que le fait que Krka a continué de contester les brevets de Servier après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ne signifiait pas que cette décision n’avait pas eu une incidence déterminante sur la perception, par Krka, de la validité du brevet 947 et que Krka continuait d’exercer une pression concurrentielle sur Servier. Selon le Tribunal, cette poursuite des actions contentieuses pouvait s’expliquer par le désir
de Krka de renforcer sa position dans les négociations avec Servier et par sa conviction qu’elle n’encourrait qu’un risque limité de faire l’objet d’actions en contrefaçon. Toutefois, il ressort des points 130 à 137 et 145 à 162 du présent arrêt que cette constatation du Tribunal repose sur la prémisse erronée du caractère déterminant de la reconnaissance, par Krka, de la validité du brevet 947, laquelle est elle-même fondée sur la dénaturation non seulement d’un élément de preuve mais aussi de
la décision litigieuse en tant que telle ainsi que sur un défaut de motivation de l’arrêt attaqué.
303 Septièmement, le Tribunal a réitéré, aux points 1029 à 1031 de l’arrêt attaqué, sa position selon laquelle, d’une part, l’accord de licence Krka avait pour fondement la reconnaissance par cette entreprise de la validité du brevet 947 et, d’autre part, la Commission n’avait pas établi que cet accord n’avait pas été conclu aux conditions normales de marché. Il ressort toutefois des points 90 à 104, 131 à 134 et 196 à 200 du présent arrêt que ces considérations reposent sur l’application de
critères qui sont erronés en droit.
304 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et compte tenu de l’ampleur, de la nature et de la portée des erreurs de droit commises par le Tribunal, identifiées dans le cadre de l’analyse des premier à cinquième moyens, il convient de constater que ces erreurs affectent l’ensemble du raisonnement relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords de règlement amiable et de licence Krka, exposé aux points 943 à 1032 de l’arrêt attaqué.
10. Sur le sixième moyen
a) Argumentation des parties
305 Par son sixième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir refusé, pour les motifs exposés aux points 1041 à 1060 de l’arrêt attaqué, de reconnaître que l’accord de cession et de licence Krka constituait une restriction de la concurrence par objet, au motif que cette qualification reposait sur le constat erroné de l’existence d’un partage de marché entre Krka et Servier. Cette appréciation s’appuyant sur une prémisse erronée, elle ne saurait subsister. La Commission estime, en outre, que
le Tribunal a insuffisamment motivé ladite appréciation.
306 Selon Servier, ce moyen repose sur la prémisse de la validité des premier à cinquième moyens, qu’elle conteste.
b) Appréciation de la Cour
307 Aux points 1053, 1054 et 1059 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, dans la décision litigieuse, la Commission avait qualifié l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet en s’appuyant sur la constatation de l’existence d’un accord de partage de marché résultant des accords de règlement amiable et de licence Krka. Cette constatation ayant été invalidée par le Tribunal, ce dernier a considéré qu’il convenait également, pour cette seule raison,
d’écarter la qualification de restriction de la concurrence par objet à l’égard de l’accord de cession et de licence Krka.
308 Toutefois, il résulte de l’examen des premier à cinquième moyens que le raisonnement du Tribunal relatif à la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka, exposé aux points 943 à 1032 de l’arrêt attaqué, est, dans son ensemble, entaché d’illégalité. La prémisse du raisonnement par lequel le Tribunal a écarté la qualification de restriction de la concurrence par objet à l’égard de l’accord de cession et de licence Krka étant ainsi viciée, il convient d’accueillir le sixième
moyen.
B. Sur le septième moyen, relatif à l’existence d’une restriction de la concurrence par effet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
1. Les points pertinents de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué
a) La décision litigieuse
309 Aux considérants 1214 à 1218 de la décision litigieuse, la Commission a exposé que, afin d’évaluer les effets anticoncurrentiels d’un accord, il convient de tenir compte des conditions concrètes dans lesquelles se produisent ces effets, à la lumière non seulement de la concurrence actuelle, mais également de la concurrence potentielle. Aux considérants 1219 et 1220 de cette décision, la Commission a précisé que cette évaluation doit être effectuée sur la base des faits au moment de la conclusion
de cet accord, tout en prenant en compte sa mise en œuvre effective.
310 Aux considérants 1221 à 1227 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué que les effets d’un accord doivent être comparés à ce qui se serait produit en l’absence dudit accord, en particulier s’agissant de la concurrence potentielle. Selon les considérants 1228 à 1243 de cette décision, la principale contrainte concurrentielle exercée sur le marché du périndopril résultait de l’entrée sur ce marché de versions génériques de ce médicament, sans laquelle Servier pouvait maintenir ses prix à
un niveau supérieur au prix concurrentiel. Les accords de règlement amiable conclus par cette entreprise avec des fabricants de médicaments génériques auraient donc directement produit des effets anticoncurrentiels. Aux considérants 1244 à 1269 de ladite décision, la Commission a souligné que, après la conclusion d’accords de règlement amiable avec Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin, seuls deux fabricants de médicaments génériques – Apotex et Sandoz – constituaient une menace importante d’entrée
sur les marchés principaux de Servier, ce qui tendrait à démontrer que, face à un faible nombre de concurrents potentiels, l’élimination d’un seul suffit à réduire de manière significative la probabilité d’une telle entrée.
311 S’agissant plus spécifiquement de la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par effet sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, seuls retenus aux fins de la constatation de cette infraction, il ressort des considérants 1813 à 1850 de la décision litigieuse que Krka était un concurrent potentiel de Servier sur ces marchés et disposait de possibilités réelles et concrètes pour y entrer à brève échéance. Krka avait engagé des actions contentieuses au
Royaume-Uni et préparait son entrée sur lesdits marchés. En incitant cette entreprise à renoncer à ce projet, les accords Krka auraient eu pour effet d’éliminer une source de concurrence potentielle.
312 En outre, ces accords auraient réduit de manière significative le risque d’entrée d’autres fabricants de médicaments génériques, auxquels Krka aurait pu fournir des produits à base de périndopril. Sur la base de ces éléments, la Commission a considéré que lesdits accords avaient eu pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence potentielle, notant à cet égard, au considérant 1850 de cette décision, que ces mêmes accords « ont augmenté de façon sensible la probabilité que
l’exclusivité de Servier sur le marché reste incontestée pendant une période de temps plus longue et que les consommateurs soient privés d’une réduction des prix considérable qui aurait découlé d’une mise sur le marché effective des génériques en temps voulu ».
b) L’arrêt attaqué
313 Pour les motifs exposés aux points 1075 à 1234 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le dixième moyen de première instance, par lequel Servier contestait la qualification des accords Krka de restriction de la concurrence par effet sur les trois marchés géographiques visés.
314 En premier lieu, après avoir rappelé, aux points 1078 à 1104 de cet arrêt, les motifs ayant conduit la Commission à retenir cette qualification, le Tribunal a considéré, aux points 1107 à 1139 dudit arrêt, que la jurisprudence relative à la prise en compte des effets potentiels d’un accord, en particulier celle résultant des arrêts du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a. (C‑215/96 et C‑216/96, EU:C:1999:12, point 34), du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05,
EU:C:2006:734, point 50), du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas (C‑1/12, EU:C:2013:127, point 71), et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784, point 30), est inapplicable lorsque cet accord a déjà été mis en œuvre. Selon le Tribunal, la Commission ne peut constater une restriction de la concurrence par effet sur le seul fondement d’une limitation, voire de l’élimination, d’une source de concurrence potentielle. La preuve de tels effets exigerait de
prendre en considération, par souci de réalisme, l’ensemble des développements factuels pertinents, notamment ceux postérieurs à la conclusion de l’accord concerné.
315 En deuxième lieu, le Tribunal a constaté, aux points 1140 à 1217 de l’arrêt attaqué, que la Commission, en se fondant uniquement sur une entrave à la concurrence potentielle et sur des considérations hypothétiques, a erronément qualifié l’accord de règlement amiable Krka et l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par effet.
316 Tout d’abord, pour les motifs exposés aux points 1142 à 1187 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas démontré que, en l’absence de la clause de non-commercialisation prévue par l’accord de règlement amiable Krka, Krka serait probablement entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Selon ledit arrêt, la Commission a omis de prendre en compte le fait que Krka reconnaissait la validité du brevet 947 et n’a pas démontré que, en l’absence de cet accord, la
concurrence aurait probablement été plus ouverte, faute d’avoir précisé les effets probables d’une telle situation sur les prix, la production ou l’innovation.
317 Ensuite, le Tribunal a considéré, aux points 1188 à 1213 dudit arrêt, que la Commission n’avait pas établi que, en l’absence de la clause de non-contestation prévue par l’accord de règlement amiable Krka, la poursuite des litiges relatifs au brevet 947 aurait, de manière probable, voire plausible, permis une invalidation plus rapide ou plus complète de ce brevet. Selon le Tribunal, la Commission n’a donc pas démontré que cette clause avait pour effet de restreindre la concurrence.
318 Enfin, le Tribunal a relevé, aux points 1214 et 1215 du même arrêt, que la Commission n’avait pas démontré que l’accord de cession et de licence Krka avait pour effet de restreindre la concurrence, cet accord ne prévoyant aucune mesure d’éviction analogue à une clause de non-commercialisation.
319 En troisième lieu, après avoir accueilli, aux points 1216 et 1217 de l’arrêt attaqué, le moyen pris de l’absence d’effets anticoncurrentiels des accords Krka, le Tribunal a examiné « si la Commission [avait], au surplus, entaché [la décision litigieuse] d’erreurs de droit ». À cet égard, il a constaté, aux points 1219 à 1232 de cet arrêt, que, en omettant de prendre en compte le déroulement des événements observables à la date de la décision litigieuse et en analysant le jeu de la concurrence en
l’absence des accords Krka sur le fondement de considérations hypothétiques, la Commission avait limité son examen des effets sur la concurrence de ces accords d’une manière injustifiée, tant au regard de la jurisprudence relative à la prise en compte des effets potentiels sur la concurrence que de la jurisprudence relative à l’élimination de la concurrence potentielle. Un tel examen incomplet serait contraire à la distinction instaurée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, entre les restrictions
de la concurrence par objet et les restrictions de la concurrence par effet.
2. Argumentation des parties
320 Le septième moyen comporte sept branches.
321 Par la première branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré, aux points 1128, 1178, 1179 et 1227 à 1231 de l’arrêt attaqué, que l’effet de restreindre la concurrence potentielle, bien que réel, ne suffisait pas à constater l’existence d’une restriction de la concurrence par effet.
322 Par la deuxième branche, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis, aux points 1107 à 1128 et 1225 de l’arrêt attaqué, une erreur d’interprétation et d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE en considérant que la prise en compte des effets potentiels ne suffisait pas à établir les effets d’une entente qui avait déjà été mise en œuvre.
323 Par la troisième branche, la Commission critique les points 399, 1160, 1165, 1168, 1169, 1173, 1174, 1178, 1204, 1206, 1207, 1209, 1221 et 1223 de l’arrêt attaqué. Elle reproche au Tribunal d’avoir considéré qu’elle était tenue de démontrer que Krka serait probablement entrée sur le marché du périndopril en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en l’absence des accords Krka, notamment en spéculant sur l’issue des litiges relatifs au brevet 947.
324 Par la quatrième branche, la Commission, soutenue par le Royaume-Uni, critique les points 1089 à 1092, 1130 à 1133, 1151, 1170, 1181, 1210 et 1219 de l’arrêt attaqué. En particulier, le Tribunal aurait exigé, au point 1130 de cet arrêt, que la Commission prenne en compte des développements factuels postérieurs à la conclusion des accords. Or, un accord devrait être analysé à la date de sa conclusion, en fonction des développements probables qui se seraient produits sur le marché en l’absence de
cet accord.
325 Par la cinquième branche, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 1148 à 1151 et 1154 de l’arrêt attaqué, a dénaturé la décision litigieuse, en affirmant que cette décision n’avait pas pris en compte les effets du brevet 947 et la reconnaissance par Krka de la validité de ce brevet.
326 Par la sixième branche, la Commission reproche au Tribunal d’avoir substitué sa propre appréciation des faits aux constatations de la décision litigieuse, outrepassant ainsi les limites du contrôle de légalité. Le Tribunal, aux points 1162 à 1170 de l’arrêt attaqué, aurait ainsi considéré, d’une part, que la décision de Krka de continuer à contester le brevet 947 après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 était une simple posture, destinée à renforcer sa position lors de ses négociations avec
Servier, alors que cette appréciation ne repose sur aucune preuve contemporaine des faits et, d’autre part, que Krka ne serait probablement pas entrée sur les marchés principaux de Servier.
327 Par la septième branche, la Commission critique les points 1198 à 1207 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal aurait, à tort, imposé à la Commission la charge de démontrer que la poursuite, par Krka, des procédures judiciaires relatives aux brevets aurait permis d’invalider plus rapidement ou plus complètement le brevet 947.
328 S’agissant de la première branche, Servier réfute que l’élimination d’une source de concurrence potentielle puisse suffire à établir l’existence d’effets négatifs sur la concurrence. À cet égard, Servier et l’EFPIA estiment que le Tribunal a examiné le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se serait produit à défaut de l’accord de règlement amiable Krka.
329 S’agissant de la deuxième branche, Servier estime que la distinction entre accords selon qu’ils ont été, ou non, mis en œuvre, est fondée. Pour comparer la structure concurrentielle induite par des accords déjà mis en œuvre avec celle qui se serait présentée en leur absence, il serait nécessaire de tenir compte de faits postérieurs à la conclusion de ces accords. Cette distinction qui, selon l’EFPIA, n’est pas nouvelle, serait conforme au point 29 de la communication de la Commission intitulée
« Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article [101 TFUE] aux accords de coopération horizontale » (JO 2001, C 3, p. 2). La deuxième branche ne serait donc pas fondée.
330 Quant à la troisième branche, de l’avis de Servier et de l’EFPIA, le Tribunal a non pas exigé la démonstration d’une entrée probable de Krka sur le marché, mais simplement invalidé un élément du raisonnement figurant dans la décision litigieuse. En tout état de cause, une telle exigence n’obligerait pas la Commission à spéculer sur l’issue d’un litige relatif à un brevet, puisqu’une entrée dite « à risque » sur les marchés principaux de Servier signifiait, par définition, que Krka n’attendait
pas l’issue de ce litige pour effectuer une telle entrée. L’analyse contrefactuelle devrait reposer non pas sur de simples spéculations, mais sur des preuves tangibles. Par ailleurs, le fait que l’article 101 TFUE protège la concurrence en tant que telle ne dispenserait pas la Commission de démontrer des effets concrets sur la concurrence.
331 S’agissant de la quatrième branche, l’argumentation de la Commission relative à la prise en compte, dans l’arrêt attaqué, d’effets postérieurs à la date de conclusion des accords Krka serait dirigée contre une appréciation factuelle du Tribunal. Selon Servier, cette argumentation doit être déclarée irrecevable.
332 Sur le fond, Servier dénonce le caractère contradictoire de l’argumentation de la Commission. Tout en critiquant la prise en compte d’événements postérieurs aux accords Krka, cette institution affirme néanmoins avoir pris en compte de tels événements, au motif qu’ils étaient raisonnablement prévisibles.
333 Servier conteste toute erreur de droit lors de la comparaison entre la situation induite par les accords Krka et celle issue du scénario contrefactuel. La prise en compte des développements probables concernerait le scénario contrefactuel. Or, dans la décision litigieuse, la Commission se serait exclusivement fondée sur des considérations hypothétiques pour caractériser la situation induite par lesdits accords.
334 Servier et l’EFPIA excipent de l’irrecevabilité de la cinquième branche, prise d’une dénaturation, la Commission s’étant bornée à renvoyer à la lecture de nombreux considérants de la décision litigieuse.
335 Selon Servier et l’EFPIA, la sixième branche serait irrecevable, car la Commission critique une appréciation factuelle du Tribunal. En outre, l’argumentation de la Commission manquerait de clarté et n’identifierait pas de manière précise l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise, se limitant à répéter que la décision litigieuse était fondée. Cette branche serait, par ailleurs, inopérante, car elle ne pourrait pas entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué. Ladite branche serait, en tout
état de cause, non fondée, car la décision litigieuse n’exclurait pas que Krka ait pu agir pour des motifs tactiques. Aucun dépassement des limites du contrôle juridictionnel ne saurait être constaté.
336 La septième branche reposerait sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. La Commission confondrait l’analyse de la situation induite par les accords Krka et l’analyse de la situation contrefactuelle. L’invalidation du brevet 947 obtenue par Apotex ne serait pas une hypothèse contrefactuelle, mais un fait. Il revenait à la Commission de faire état d’une situation contrefactuelle probable, plus concurrentielle que la situation induite par les accords Krka.
3. Appréciation de la Cour
337 Par son septième moyen, la Commission critique essentiellement le Tribunal pour avoir considéré que la décision litigieuse n’avait pas établi que les accords Krka avaient eu pour effet de restreindre la concurrence potentielle, faute pour cette institution d’avoir réussi à prouver que, en l’absence de ces accords, Krka serait probablement entrée sur les marchés principaux de Servier.
338 Ainsi que l’a souligné Mme l’avocate générale au point 292 de ses conclusions, un accord entre entreprises peut relever du champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, non seulement en raison de son objet, mais également en raison de ses effets sur la concurrence, y compris lorsque ces effets portent atteinte à la concurrence potentielle exercée par une ou des entreprises qui, bien qu’absentes du marché pertinent, disposent de la capacité d’y entrer, et affectent de ce fait le
comportement des entreprises déjà présentes sur ce marché. La charge de la preuve de tels effets sur la concurrence potentielle incombe à la Commission.
339 Selon la jurisprudence constante de la Cour, rappelée par le Tribunal au point 1076 de l’arrêt attaqué, afin d’apprécier l’existence d’effets anticoncurrentiels causés par un accord entre entreprises, il convient de comparer la situation concurrentielle résultant de cet accord et celle qui existerait en son absence (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 360 ; du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 161, ainsi que du
18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 74).
340 Cette méthode dite « contrefactuelle » a pour finalité d’identifier, dans le cadre de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, l’existence d’un lien de causalité entre, d’une part, un accord entre entreprises et, d’autre part, la structure ou le fonctionnement de la concurrence sur le marché à l’intérieur duquel cet accord produit ses effets. Elle permet ainsi de s’assurer que la qualification de restriction de la concurrence par effet est réservée aux accords présentant non pas une
simple corrélation avec une dégradation de la situation concurrentielle de ce marché, mais à ceux qui sont la cause de cette dégradation.
341 La méthode contrefactuelle a pour raison d’être que la mise en lumière d’un tel rapport de cause à effet se heurte à l’impossibilité d’observer, dans les faits, à un même moment, l’état du marché avec et sans l’accord concerné, ces deux états étant, par définition, mutuellement exclusifs. Il est donc nécessaire de comparer la situation observable, à savoir celle qui résulte de cet accord, à la situation qui se serait produite si ledit accord n’avait pas été adopté. Ladite méthode impose donc de
comparer une situation observable avec un scénario qui, par définition, est hypothétique, en ce sens qu’il ne s’est pas réalisé. Or, l’appréciation des effets d’un accord entre entreprises au regard de l’article 101 TFUE implique la nécessité de prendre en considération le cadre concret dans lequel cet accord s’insère, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du
fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question. Il s’ensuit que le scénario contrefactuel, envisagé à partir de l’absence dudit accord, doit être réaliste et crédible [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 115 à 120].
342 Il est donc impératif, pour la bonne application de la méthode contrefactuelle, de s’assurer que la comparaison effectuée repose sur des bases saines et vérifiables, s’agissant tant de la situation observée – celle qui est issue de l’accord entre entreprises – que du scénario contrefactuel. Pour ce faire, le point de référence temporel permettant d’effectuer une telle comparaison doit être le même pour la situation observée et pour le scénario contrefactuel, la nature anticoncurrentielle d’un
acte devant être évaluée au moment où celui-ci a été commis (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 110).
343 Il s’ensuit que, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 318 de ses conclusions, dans la mesure où le scénario contrefactuel vise à donner une image réaliste de la situation du marché telle qu’elle se serait produite en l’absence de l’accord qui a été conclu, ce scénario ne peut reposer sur des événements postérieurs à la date de conclusion de cet accord, précisément parce que, à cette date, ces événements ne se sont pas produits et, s’agissant des circonstances de la présente
affaire, ne pouvaient pas se produire à l’avenir en raison de l’existence des accords Krka.
344 À la différence du scénario contrefactuel, la situation observée est celle correspondant aux conditions concurrentielles qui existent au moment de la conclusion de l’accord et qui résultent de celui-ci. Cette situation est réelle et il n’est donc pas nécessaire de se baser sur des hypothèses réalistes pour l’apprécier. Partant, aux fins de la constatation d’une infraction à l’article 101 TFUE, des événements postérieurs à la conclusion de cet accord peuvent être pris en compte pour apprécier
cette situation. Toutefois, conformément à la jurisprudence rappelée au point 342 du présent arrêt, de tels événements ne sont pertinents que dans la seule mesure où ils contribuent à déterminer les conditions concurrentielles existant au moment où cette infraction a été commise, telles qu’elles résultent directement de l’existence dudit accord.
345 En l’espèce, aux points 1078 à 1103 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé l’approche suivie par la Commission dans la décision litigieuse pour qualifier les accords de règlement amiable de litige en matière de brevets entre Servier et les fabricants de médicaments génériques visés par cette décision, et a souligné le caractère hypothétique de cette approche. Il a par ailleurs jugé, aux points 1107 à 1139 de cet arrêt, que la jurisprudence selon laquelle un accord entre entreprises peut être
qualifié de restriction de la concurrence par effet en raison de ses effets potentiels cesse d’être applicable lorsque cet accord a été mis en œuvre.
346 Les effets réels d’un tel accord sur la concurrence pouvant être observés à la lumière des événements postérieurs à sa conclusion, le Tribunal a considéré, aux points 1122 et 1123 dudit arrêt, qu’il serait paradoxal de permettre à la Commission de prouver l’existence d’effets anticoncurrentiels en se contentant d’opérer une analyse contrefactuelle sur la base des seuls effets potentiels d’un accord, alors que, d’une part, cette institution dispose d’éléments observables quant aux effets réels de
cet accord et, d’autre part, que ce n’est qu’en présence d’une restriction de la concurrence par objet que la charge, qui incombe à la Commission, de prouver les effets anticoncurrentiels peut être allégée.
347 Ce faisant, le Tribunal a méconnu, à trois principaux égards, les caractéristiques de la méthode contrefactuelle inhérente à l’appréciation d’une restriction de la concurrence par effet, aux fins de l’application de l’article 101 TFUE.
348 En premier lieu, le Tribunal a jugé que l’appréciation des effets anticoncurrentiels de l’accord de règlement amiable Krka reposait sur une approche hypothétique et un examen incomplet de ces effets, faute pour la Commission d’avoir intégré dans le scénario contrefactuel le déroulement réel des événements postérieurs à cet accord. Toutefois, ce raisonnement du Tribunal fait abstraction du fait que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 341 à 343 du présent arrêt, la mise en lumière des effets
anticoncurrentiels d’un accord nécessite de recourir à un scénario contrefactuel qui, par définition, est hypothétique, en ce sens qu’il ne s’est pas réalisé, et qui ne peut donc pas reposer sur des éléments postérieurs à la conclusion dudit accord. Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché d’illégalité les motifs exposés aux points 1078 à 1103, 1089, 1090, 1102, 1151, 1170, 1181, 1203, 1210,
1219 à 1223 et 1227 de l’arrêt attaqué.
349 En deuxième lieu, en jugeant, aux points 1107 à 1139 de l’arrêt attaqué, que la jurisprudence selon laquelle un accord entre entreprises peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet en raison de ses effets potentiels cesse d’être applicable lorsque cet accord a été mis en œuvre, au motif que les effets réels dudit accord sur la concurrence peuvent être observés, le Tribunal a fondé son raisonnement sur une compréhension imparfaite de la raison d’être, de l’objet et du
fonctionnement de la méthode contrefactuelle, rappelés aux points 340 à 344 du présent arrêt.
350 Certes, s’agissant d’un accord dont la mise en œuvre a modifié le nombre ou le comportement d’entreprises déjà présentes à l’intérieur d’un même marché, l’application de la méthode contrefactuelle peut, d’un point de vue pratique et selon les circonstances de fait, s’apparenter à une comparaison entre, d’une part, l’état de la concurrence entre ces entreprises avant la conclusion de cet accord et, d’autre part, la coordination entre lesdites entreprises induite par la mise en œuvre de cet
accord, laquelle peut être attestée, le cas échéant, par des événements postérieurs à sa conclusion.
351 En revanche, lorsqu’un accord conduit non pas à modifier, mais, au contraire, à maintenir en l’état le nombre ou le comportement d’entreprises concurrentes déjà présentes à l’intérieur de ce marché en repoussant ou en retardant l’entrée d’un nouveau concurrent sur celui-ci, une simple comparaison entre les situations constatées sur ledit marché avant et après la mise en œuvre de cet accord serait insuffisante pour permettre de conclure à l’absence d’effet anticoncurrentiel. En effet, dans une
telle situation, l’effet anticoncurrentiel tient à la disparition certaine, en raison dudit accord, d’une source de concurrence qui, au moment de la conclusion de cet accord, demeure potentielle, dans la mesure où elle est exercée par une entreprise qui, bien que n’étant pas encore présente sur le marché concerné, est néanmoins capable d’affecter le comportement des entreprises déjà présentes sur celui-ci en raison de la menace crédible de son entrée sur ce marché.
352 Au demeurant, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 326 de ses conclusions, la distinction opérée par le Tribunal aux points 1107 à 1139 de l’arrêt attaqué, aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par effet, entre les accords conclus par des entreprises selon qu’ils ont été mis en œuvre ou non, méconnaît la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle les effets restrictifs de concurrence peuvent être tant actuels que potentiels, mais doivent être
suffisamment sensibles (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 1969, Völk, 5/69, EU:C:1969:35, point 7, ainsi que du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 50), et reviendrait à réduire la pleine efficacité de l’interdiction édictée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
353 En troisième lieu, ainsi qu’il a été rappelé au point 340 du présent arrêt, la méthode contrefactuelle vise non pas à prévoir quel aurait été le comportement d’une partie si elle n’avait pas conclu un accord avec son ou ses concurrents, mais à mettre en lumière un rapport causal entre cet accord et une dégradation de la situation concurrentielle sur le marché, sur le fondement d’un scénario contrefactuel qui, bien qu’hypothétique, doit néanmoins être réaliste et crédible. À cet égard, la Cour a
déjà eu l’occasion de préciser, dans le contexte d’un accord de règlement amiable de litige de brevet contre paiement inversé, que le scénario contrefactuel a uniquement pour but d’établir les possibilités réalistes de comportement du fabricant de médicaments génériques en l’absence de cet accord. Si ledit scénario contrefactuel ne saurait être indifférent aux chances de succès de ce fabricant dans la procédure de brevet ou encore relativement à la probabilité de la conclusion d’un accord moins
restrictif, ces éléments ne constituent toutefois que l’un des éléments parmi d’autres à prendre en compte. Par conséquent, il n’appartient pas à l’entité supportant la charge de la preuve de l’existence d’effets sensibles potentiels ou réels sur la concurrence, lorsqu’elle établit le scénario contrefactuel, d’opérer un constat définitif relatif aux chances de succès du fabricant de médicaments génériques dans le litige relatif au brevet ou à la probabilité de la conclusion d’un accord moins
restrictif [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 119 à 121].
354 Il résulte de ces éléments que la Commission est tenue de prouver que le scénario contrefactuel retenu dans une décision constatant l’existence d’une restriction de la concurrence par effet est réaliste et crédible.
355 En l’occurrence, il incombait au Tribunal de vérifier si le scénario contrefactuel employé par la Commission répondait à ces critères. Or, dans la mesure où la restriction de la concurrence constatée dans la décision litigieuse consistait à éliminer de manière certaine et délibérée la source de concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, l’analyse du scénario contrefactuel
correspondait, en substance, à celle de l’existence de cette concurrence potentielle, car l’élimination d’une telle concurrence, à la supposer établie, constitue par définition un effet suffisamment sensible sur celle-ci au sens de la jurisprudence rappelée au point 352 du présent arrêt. Ainsi, afin de déterminer si les accords Krka, en interdisant à Krka d’entrer sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ont produit un effet avéré sur la concurrence potentielle, il y avait lieu
de vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 101 et à ce qui a été jugé au point 351 du présent arrêt, si Krka disposait d’une possibilité réelle et concrète d’intégrer ces marchés dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier, de telle sorte que la menace d’une telle entrée pouvait être considérée comme étant réaliste et crédible.
356 Or, en jugeant, aux points 1142 à 1168 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas prouvé que, en l’absence de la clause de non-commercialisation prévue par l’accord de règlement amiable Krka, Krka serait probablement entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et, aux points 1188 à 1213 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas prouvé que, en l’absence de la clause de non-contestation prévue par cet accord, la poursuite des procédures contentieuses contestant la
validité du brevet 947 aurait, selon les termes du point 1203 dudit arrêt, « de manière probable, voire plausible, permis une invalidation plus rapide ou plus complète de ce brevet », le Tribunal a commis une erreur d’interprétation et d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et entaché d’illégalité les points 1147 à 1168 ainsi que 1188 à 1213 de l’arrêt attaqué.
357 Les erreurs de droit ainsi identifiées entachent d’illégalité l’intégralité du raisonnement du Tribunal relatif à la qualification de restriction de la concurrence par effet des accords Krka, exposé aux points 1075 à 1234 de l’arrêt attaqué.
358 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le septième moyen, sans qu’il soit nécessaire de statuer séparément sur chacune des branches de ce moyen, et notamment sur la cinquième branche, tirée d’une dénaturation de la décision litigieuse ainsi que sur la sixième branche, selon laquelle le Tribunal aurait substitué sa propre appréciation à celle de la Commission.
C. Sur les huitième à onzième moyens, relatifs à l’infraction à l’article 102 TFUE
359 Les huitième et neuvième moyens sont pris d’erreurs de droit dans l’appréciation de l’importance accordée, aux fins de la détermination du marché du produit pertinent, au prix et à la substituabilité thérapeutique du périndopril. Le dixième moyen est pris de l’irrecevabilité de certaines pièces jointes par Servier en annexe à ses mémoires en première instance. Le onzième moyen est pris d’erreurs de droit concernant la définition du marché de la technologie relative au principe actif du
périndopril.
1. Les points pertinents de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué
a) La décision litigieuse
360 Aux fins de l’application de l’article 102 TFUE, la Commission a, tout d’abord, défini, dans la décision litigieuse, le marché pertinent comme étant celui du périndopril, sur le fondement d’observations réalisées entre l’année 2000 et l’année 2009, en France, aux Pays-Bas, en Pologne et au Royaume-Uni, en s’appuyant essentiellement sur deux éléments.
361 D’une part, elle a considéré, aux considérants 2445 à 2457 de cette décision, que, parmi les seize médicaments IEC partageant le même mode d’action et ayant des indications thérapeutiques et des effets secondaires similaires, le périndopril disposait de certaines caractéristiques particulières mises en relief par Servier dans ses efforts promotionnels auprès des médecins, afin de mener une politique de différenciation par rapport aux autres médicaments IEC.
362 D’autre part, elle a relevé, aux considérants 2460 à 2495, 2528 et 2546 de ladite décision, que la forte baisse des prix des autres médicaments IEC consécutive à l’arrivée de versions génériques n’avait pas entraîné une baisse des prix du périndopril et des dépenses de promotion de Servier, qui étaient restés stables durant toute la période considérée, ni une diminution des volumes vendus du périndopril, qui avaient constamment augmenté. Cette baisse des prix ne s’était donc pas traduite par un
transfert de la demande de périndopril vers ces autres médicaments IEC. La Commission en a déduit que, en l’absence de contrainte concurrentielle significative de la part des autres médicaments IEC pendant cette même période, Servier était donc à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment des fabricants de ces médicaments. Selon la Commission, cette situation contrastait avec la situation qui a résulté de l’arrivée sur le marché de versions génériques du périndopril, dont
l’effet a été d’entraîner des baisses de prix moyennes de ce médicament de 27 % en France, de 81 % aux Pays-Bas, de 17 % en Pologne et de 90 % au Royaume-Uni.
363 Ensuite, la Commission a constaté, aux considérants 2561 à 2600 de la décision litigieuse, que Servier disposait d’une position dominante sur le marché du périndopril en France, aux Pays-Bas, en Pologne et au Royaume-Uni. Cette institution a, en outre, constaté, aux considérants 2601 à 2758 de cette décision, que Servier disposait également d’une position dominante sur le marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament.
364 Enfin, la Commission a estimé, aux considérants 2759 à 2998 de ladite décision, que la stratégie unique et continue de Servier visant à retarder l’entrée des versions génériques du périndopril sur le marché en combinant, notamment, l’acquisition de technologie relative au principe actif de ce médicament et des accords de règlement amiable en matière de brevet contre paiement inversé constituait une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE.
b) L’arrêt attaqué
365 Le Tribunal a considéré, aux points 1367 à 1592 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait, à tort, limité la définition du marché du produit pertinent au seul périndopril, à l’exclusion des autres médicaments IEC.
366 Après avoir écarté, tout d’abord, un premier grief de Servier, pris de l’absence de prise en compte de l’ensemble des éléments du contexte économique, le Tribunal a, ensuite, accueilli un grief tiré d’une erreur d’appréciation de la substituabilité des autres médicaments IEC au périndopril. À cet égard, le Tribunal a jugé, au points 1418 à 1482 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait commis une erreur en considérant qu’il existait des différences thérapeutiques entre le périndopril et les
autres médicaments IEC, aux points 1483 à 1513 de cet arrêt, que la Commission n’avait pas établi que l’inertie et la fidélité des prescripteurs à l’égard du périndopril contribuaient à limiter la pression concurrentielle exercée par les autres médicaments IEC, aux points 1514 à 1540 dudit arrêt, que la Commission avait sous-estimé la propension des patients traités au périndopril à changer de médicament, et, aux points 1541 à 1566 du même arrêt, que la Commission n’avait pas pris en
considération l’importance des efforts promotionnels de Servier.
367 Enfin, le Tribunal a accueilli, pour les motifs exposés aux points 1567 à 1585 de l’arrêt attaqué, le grief par lequel Servier faisait valoir que la Commission avait accordé une importance excessive aux prix lors de la détermination du marché pertinent. Il a considéré, au point 1586 de cet arrêt, qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le grief de Servier tiré d’erreurs méthodologiques affectant l’analyse économétrique de la Commission.
368 Le Tribunal a invalidé, aux points 1595 à 1608 et 1611 à 1622 dudit arrêt, les constatations de la Commission relatives à l’existence d’une position dominante sur le marché du périndopril ainsi que sur le marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament. En l’absence d’une définition correcte du marché du produit pertinent, le Tribunal a, pour les motifs énoncés aux points 1625 à 1632 du même arrêt, infirmé les constatations opérées dans la décision litigieuse concernant
l’abus de position dominante imputé à Servier.
369 Eu égard à ces éléments, le Tribunal a annulé l’article 6 et l’article 7, paragraphe 6, de la décision litigieuse.
2. Sur le huitième moyen
a) Argumentation des parties
370 Par son huitième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé que la décision litigieuse avait accordé une importance excessive aux prix dans la définition du marché du produit pertinent. Ce moyen comprend six branches.
371 Par les première, troisième et cinquième branches de son huitième moyen, la Commission critique essentiellement les appréciations portées par le Tribunal, aux points 1380 à 1405 et 1567 à 1586 de l’arrêt attaqué, sur la définition du marché pertinent.
372 La Commission fait tout d’abord valoir que, aux points 1567 à 1586 de cet arrêt, le Tribunal a, aux fins de cette délimitation, minimisé l’importance qu’il convenait d’accorder aux prix du périndopril et favorisé les considérations relatives à la qualité de ce médicament. Le Tribunal n’aurait pas tenu compte du fait que les prix du périndopril sont restés stables et que les volumes des ventes de ce médicament ont augmenté pendant que les prix des autres médicaments IEC subissaient de fortes
baisses (comprises entre 28 % et 90 % en Pologne, entre 47 % et 58 % en France, entre 88 % et 90 % au Royaume-Uni et entre 94 % et 97 % aux Pays-Bas), à la suite de l’arrivée de versions génériques de ces médicaments. Le Tribunal se serait fondé sur une distinction entre les contraintes qualitatives et les contraintes « tarifaires » qui serait artificielle, abstraite, contraire à la méthode établie pour définir le marché pertinent et aux enseignements de l’arrêt du 6 décembre 2012,
AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, EU:C:2012:770).
373 La Commission soutient, ensuite, que le Tribunal a surévalué l’importance du rôle des médecins prescripteurs dans l’évaluation des caractéristiques de la demande du périndopril. Premièrement, le Tribunal aurait, aux points 1393 à 1395 de l’arrêt attaqué, jugé, à tort, que la demande était seulement déterminée par ces prescripteurs, sans tenir compte d’autres facteurs pertinents. Deuxièmement, selon la Commission, le fait que les prescripteurs ne soient pas sensibles aux prix conférerait plus de
liberté à Servier qui n’a pas à moduler ses prix afin de convaincre ces médecins de prescrire son périndopril. En se focalisant sur les contraintes pesant sur les prescripteurs plutôt que celles pesant sur Servier, le Tribunal aurait fait une application erronée de la notion de marché pertinent.
374 Enfin, la Commission allègue que le Tribunal, aux points 1385, 1395, 1397, 1401, 1404, 1576 à 1579 et 1584 de l’arrêt attaqué, a négligé l’importance de la concurrence exercée par les versions génériques du périndopril. Après avoir constaté cette importance, le Tribunal aurait dû relever que les autres médicaments IEC n’exerçaient aucune contrainte sur le périndopril. Il serait artificiel de considérer, comme l’a fait le Tribunal au point 1392 de cet arrêt, que la contrainte concurrentielle
exercée par les médicaments génériques ne peut être prise en compte qu’après leur arrivée effective sur le marché.
375 Par les deuxième, quatrième et sixième branches de son huitième moyen, la Commission soutient, en substance, que la motivation des points 1392 et 1567 à 1586 de l’arrêt attaqué est insuffisante ou contradictoire.
376 Servier estime que la motivation de l’arrêt attaqué est suffisante et dépourvue de contradictions.
377 S’agissant du fond, Servier et l’EFPIA affirment, tout d’abord, que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a attribué une valeur moindre, par rapport à la Commission, à l’importance du facteur prix. Dans le secteur pharmaceutique, les aspects thérapeutiques atténueraient la pression concurrentielle par les prix. Le Tribunal aurait non pas ignoré les fortes baisses des prix des autres médicaments IEC, mais jugé que la stabilité du prix du périndopril ne suffisait pas à exclure
l’existence de pressions concurrentielles sur celui-ci provenant de ces autres médicaments. Le Tribunal n’aurait pas écarté la pertinence de l’analyse du volume des ventes du périndopril, mais seulement réprouvé l’importance que la Commission avait accordée à la stabilité du prix de ce médicament. Il aurait en outre relevé, aux points 1499 et 1500 de l’arrêt attaqué, que les quantités des autres médicaments IEC vendus avaient également augmenté et ce de manière plus importante pour le ramipril
que pour le périndopril. Quant à la rentabilité de Servier, le Tribunal aurait constaté, au point 1559 de cet arrêt, que la Commission ne s’était jamais fondée sur cet élément pour définir le marché pertinent. Le Tribunal aurait procédé à une analyse globale des contraintes concurrentielles, sans les hiérarchiser.
378 Servier estime, ensuite, que l’argumentation de la Commission concernant l’insensibilité des prescripteurs aux prix est irrecevable, car elle porte sur des appréciations factuelles du Tribunal. En toute hypothèse, cette argumentation serait non fondée. En effet, le Tribunal n’aurait pas minimisé les facteurs liés aux prix mais les aurait appréciés en tenant compte du fait que les caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique limitaient la pression concurrentielle par les prix, sans
méconnaître la fonction de la définition du marché.
379 Enfin, le Tribunal n’aurait pas fait abstraction de la pression concurrentielle exercée par les médicaments génériques sur le périndopril. Au contraire, il aurait jugé, au point 1579 de l’arrêt attaqué, que la baisse du prix de ce médicament consécutive à l’arrivée sur le marché de versions génériques ne permettait pas de conclure à l’absence de contraintes concurrentielles avant cette arrivée. Le fait que ces génériques sont les plus proches concurrents du périndopril ne signifierait pas que
d’autres médicaments IEC n’exerçaient pas de pressions concurrentielles sur ce médicament, pressions dont l’existence serait attestée par la politique promotionnelle et la stratégie interne de Servier, ainsi qu’il ressort des points 1550, 1577 et 1590 de cet arrêt.
b) Appréciation de la Cour
380 À titre liminaire, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que prétend Servier, l’argumentation de la Commission se rapportant à la circonstance que le choix des médecins concernant la prescription d’un médicament est moins dicté par des considérations liées au prix de ce médicament que par des considérations d’ordre thérapeutique ne porte pas sur des appréciations factuelles opérées par le Tribunal mais sur la qualification juridique de ces appréciations. Cette argumentation vise, en
effet, à contester tant la motivation que les critères juridiques sur la base desquels le Tribunal a considéré que la Commission avait accordé, dans la décision litigieuse, trop d’importance aux prix du périndopril lorsqu’elle a défini le marché pertinent. Il convient, dès lors, de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité partielle du huitième moyen.
381 Quant à l’appréciation au fond de ce moyen, il y a lieu de rappeler que la détermination du marché pertinent, dans le cadre de l’application de l’article 102 TFUE, constitue, en principe, un préalable à l’appréciation de l’existence éventuelle d’une position dominante de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, EU:C:1973:22, point 32), ayant pour objet de définir le périmètre à l’intérieur duquel doit être appréciée
la question de savoir si cette entreprise est à même de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs [voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 37, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 127].
382 La détermination du marché pertinent suppose de définir, en premier lieu, le marché de produits puis, en second lieu, le marché géographique de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22, points 10 et 11).
383 Concernant le marché de produits, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion de marché pertinent implique qu’une concurrence effective puisse exister entre les produits ou les services qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d’interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits ou les services faisant partie d’un même marché. L’interchangeabilité ou la substituabilité ne s’apprécie pas au seul regard des caractéristiques objectives des produits et des
services en cause. Il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l’offre sur le marché (arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
384 Il résulte de ces éléments que l’appréciation de la substituabilité de deux produits ne se limite pas à déterminer si ces produits sont, d’un point de vue fonctionnel, aptes à satisfaire un même besoin, mais exige, en outre, de déterminer si, économiquement, ces produits sont, dans les faits, effectivement substituables. La substituabilité économique entre deux produits peut être constatée lorsque des changements dans leurs prix relatifs entraînent un transfert des ventes de l’un vers l’autre. À
cet égard, il importe de souligner que, ainsi qu’il ressort du point 13 de la communication sur la définition du marché, mentionnée au point 2 du présent arrêt et à laquelle le Tribunal s’est référé au point 1384 de l’arrêt attaqué, d’un point de vue économique, la substituabilité du côté de la demande est le facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-vis des fournisseurs d’un produit donné. L’appréciation de cette substituabilité consiste essentiellement à évaluer
l’élasticité croisée de la demande par rapport au prix en déterminant si les consommateurs d’un produit soumis à une augmentation de prix légère mais permanente se tourneraient vers des produits de substitution.
385 En l’occurrence, le Tribunal a constaté, au point 1404 de l’arrêt attaqué, la relative inélasticité de la demande du périndopril par rapport au prix des autres médicaments IEC et a souligné, au point 1573 de cet arrêt, que Servier n’avait pas remis en cause cet élément factuel. Cet élément repose sur l’observation, relatée aux considérants 2460 à 2495 de la décision litigieuse, selon laquelle, malgré la forte baisse des prix des médicaments IEC destinés au même usage thérapeutique que le
périndopril, le prix de ce dernier était resté stable et les volumes de ses ventes avaient augmenté au cours de la période de référence.
386 Le Tribunal a cependant estimé, en substance, aux points 1574 à 1586 de l’arrêt attaqué, que le fait que la demande de périndopril est demeurée stable en dépit de la forte baisse des prix des autres médicaments IEC « ne permet pas de conclure à l’absence de pressions concurrentielles d’ordre qualitatif et non tarifaire » jusqu’à l’arrivée de versions génériques du périndopril, au motif que, en raison, notamment, des particularités du secteur pharmaceutique, la concurrence s’exerce non pas
seulement par les prix, mais également par la qualité des médicaments, reconnue par les prescripteurs, notamment au moyen d’actions promotionnelles des fabricants des autres médicaments IEC. Au point 1584 de cet arrêt, le Tribunal en a déduit que, dans la décision litigieuse, la Commission avait accordé une importance excessive au facteur prix dans la définition du marché du produit pertinent.
387 Il importe toutefois de souligner que, aux fins de la définition du marché pertinent, le prix et la quantité vendue d’un produit ne sont pas l’expression d’un type de concurrence distinct, qui pourrait être opposé à la concurrence qui dépend de la qualité de ce produit ou aux efforts déployés en vue d’assurer sa promotion commerciale. Au contraire, la substituabilité économique reflète l’ensemble des caractéristiques des produits en question, y compris celles relatives à leurs coûts
promotionnels, ainsi qu’à leur qualité intrinsèque ou perçue. En effet, l’incitation à fournir un produit de qualité dépend, en dernier ressort, de la volonté du consommateur de payer pour cette qualité, et ce indépendamment du fait que la demande des médicaments est, ainsi que l’a relevé à juste titre le Tribunal, guidée par les choix des prescripteurs plus que par celui de leurs patients et que ces derniers ne supportent généralement pas l’intégralité du prix – qu’il soit réglementé ou non –
en raison de l’intervention de divers mécanismes d’assurance en matière de santé.
388 Il s’ensuit que, indépendamment des caractéristiques particulières du secteur pharmaceutique liées à la réglementation applicable, au rôle des prescripteurs et à la prise en charge du prix des médicaments par des mécanismes d’assurance, la substituabilité économique entre médicaments doit être examinée au regard des transferts des ventes entre médicaments destinés à une même indication thérapeutique, induits par les changements des prix relatifs de ces médicaments. La constatation de l’absence
d’une telle substituabilité révèle l’existence d’un marché distinct et ce quelles qu’en soient les causes, qu’il s’agisse de la qualité intrinsèque du ou des médicaments relevant de ce marché ou des efforts promotionnels déployés par leurs fabricants.
389 Ces considérations ont d’ailleurs été dûment prises en compte par le Tribunal lorsqu’il a énoncé, aux points 1380 à 1398 de l’arrêt attaqué, les principes applicables à la délimitation d’un marché pertinent de produits dans le secteur pharmaceutique. En effet, il a, d’une part, affirmé, au point 1386 de cet arrêt, que « les spécificités qui caractérisent les mécanismes de concurrence dans le secteur pharmaceutique ne retirent pas aux facteurs liés aux prix leur pertinence dans l’évaluation des
contraintes concurrentielles, ces facteurs devant toutefois être appréciés dans leur contexte propre ». Il a, d’autre part, exposé, au point 1390 dudit arrêt, que « la circonstance que la pression concurrentielle par les prix soit largement atténuée dans le secteur pharmaceutique [...] peut justifier la délimitation de marchés étroits » et a affirmé, au point 1391 du même arrêt, que, lorsqu’un « groupe de produits n’est pas significativement soumis aux contraintes concurrentielles d’autres
produits, de sorte que ce groupe peut être considéré comme formant un marché de produits en cause, le type ou la nature des facteurs qui soustraient ce groupe de produits à toute contrainte concurrentielle significative ne revêt qu’une importance limitée, dès lors que le constat d’absence de telles contraintes concurrentielles permet de conclure qu’une entreprise en position dominante sur le marché ainsi défini serait en mesure d’affecter les intérêts des consommateurs sur ce marché en faisant
obstacle, par un comportement abusif, au maintien d’une concurrence effective ».
390 Le Tribunal ne pouvait donc, sans se contredire de manière manifeste et méconnaître ces principes qu’il venait à juste titre d’énoncer, juger, aux points 1399 à 1405 et 1574 à 1586 de l’arrêt attaqué, que la relative inélasticité de la demande de périndopril par rapport au prix était peu pertinente aux fins de la détermination du marché pertinent parce qu’elle pouvait être expliquée ou justifiée par la qualité de ce médicament et l’importance des efforts promotionnels de son fabricant. Le
Tribunal a donc commis une erreur de droit et entaché d’illégalité les points 1399 à 1405 et 1574 à 1586 de cet arrêt.
391 Il y a lieu, dès lors, d’accueillir le huitième moyen dans son intégralité.
3. Sur les neuvième et dixième moyens
392 Par son neuvième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a infirmé, aux points 1418 à 1566 de l’arrêt attaqué, l’analyse, aux fins de la détermination du marché du périndopril, des rapports de substituabilité thérapeutique de ce médicament par rapport aux autres médicaments IEC. Par son dixième moyen, la Commission critique le Tribunal pour avoir admis, aux points 1461 à 1463 de cet arrêt, la recevabilité de certaines pièces jointes par Servier en
annexe à ses mémoires en première instance afin de contester l’évaluation par la Commission de ces rapports de substituabilité thérapeutique.
393 Eu égard à la réponse apportée au huitième moyen, dont il ressort qu’est entachée d’une contradiction de motifs la constatation opérée par le Tribunal au point 1585 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission avait déterminé à tort sur le fondement d’une analyse de la substituabilité des produits axée sur des considérations économiques relatives aux prix que le périndopril et les autres médicaments IEC n’étaient pas substituables, il n’est pas nécessaire de statuer sur les neuvième et
dixième moyens, dans la mesure où ces autres moyens se rapportent à la substituabilité thérapeutique de ces médicaments.
4. Sur le onzième moyen
a) Argumentation des parties
394 Par son onzième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré, aux points 1611 à 1622 de l’arrêt attaqué, que la définition du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril et la constatation de l’existence de la position dominante de Servier sur ce marché étaient erronées. Le Tribunal se serait exclusivement fondé sur les erreurs qu’il avait constatées à l’égard de la définition du marché du périndopril. La Commission avance trois griefs à cet égard.
395 Par un premier grief, elle soutient que ces deux marchés, bien que voisins, auraient des caractéristiques différentes, tant du côté de l’offre que de celui de la demande. Par conséquent, le Tribunal ne pouvait pas affirmer, au point 1615 de l’arrêt attaqué, que l’invalidation de la définition du marché du périndopril devait automatiquement entraîner celle de la définition du marché de la technologie relative à ce médicament et, par implication, la constatation de la position dominante de Servier
sur ce marché. C’est à tort que le Tribunal, au soutien de ce raisonnement, a indiqué qu’il ressort des considérants 2648 à 2651 de la décision litigieuse que la demande de technologie relative au principe actif du périndopril dérive de la demande du périndopril. En effet, ces considérants ne contiennent aucun élément permettant de considérer que la demande pour la technologie relative au principe actif du périndopril dépend de la définition du marché de ce médicament.
396 Par un deuxième grief, la Commission allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 1618 à 1621 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse ne pouvait pas déduire l’existence d’une position dominante de Servier sur le marché de la technologie relative au principe actif du périndopril en se fondant sur des manifestations de cette position sur le marché, étant donné que, selon ce que le Tribunal avait jugé, ce dernier marché n’était pas limité au seul périndopril.
En effet, ces deux marchés étant différents, le constat de la position dominante de Servier sur le premier ne dépend pas de l’existence de sa position dominante sur le second.
397 Par un troisième grief, la Commission critique le Tribunal pour avoir ignoré l’analyse du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril qui figure dans la décision litigieuse, en particulier aux considérants 2632 à 2647, s’agissant des caractéristiques de la demande, et aux considérants 2671 à 2757, s’agissant de la position dominante de Servier sur ce marché. Le Tribunal aurait ainsi omis de répondre aux moyens dont il était saisi.
398 Servier rétorque que ce moyen est, dans son ensemble, inopérant, car il critique une appréciation portant sur la définition du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril alors que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur cette question. En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, le Tribunal a non pas statué sur la définition de ce marché, mais censuré les constatations opérées dans la décision litigieuse à l’égard de l’existence d’une position dominante de
Servier sur ce marché, en raison d’erreurs dans la définition du marché du périndopril en tant que médicament.
399 Par ailleurs, ledit moyen ne pourrait pas conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué, faute pour la Commission d’avoir contesté les points 1627 à 1631 de cet arrêt sur lesquels repose le dispositif dudit arrêt. Il ressortirait de ces points que le Tribunal a affirmé, d’une part, que « l’absence de position dominante sur le seul marché [du périndopril] remet en cause, à elle seule, l’existence de l’abus de position dominante reproché à Servier » sur le marché de la technologie relative au
principe actif du périndopril et, d’autre part, que la décision litigieuse ne fait état d’aucun comportement de cette entreprise dont le caractère infractionnel serait indépendant de sa prétendue position dominante sur le marché du périndopril.
400 Au surplus, Servier soutient que les trois griefs de la Commission sont inopérants et manquent en fait.
401 Le premier grief concernerait des erreurs factuelles et dénaturerait l’arrêt attaqué, le Tribunal s’étant limité, au point 1615 de cet arrêt, à constater que, dans la décision litigieuse, la Commission avait utilisé la définition du marché du périndopril pour analyser le marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament.
402 De même, le deuxième grief reposerait sur une dénaturation des points 1618 et 1619 de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a souligné que la décision litigieuse n’avait pas examiné les deux marchés en cause indépendamment l’un de l’autre. Au contraire, il ressortirait de la section 7.2.1.2.3 de cette décision que la demande pour la technologie relative au principe actif du périndopril dérive de la demande du périndopril. La Commission se serait fondée sur la position dominante de Servier sur
le marché de ce médicament pour inférer l’existence d’une position dominante de cette entreprise sur le marché de la technologie relative au principe actif dudit médicament.
403 Quant au troisième grief, il serait inopérant, faute pour la Commission d’avoir contesté l’appréciation du Tribunal selon laquelle les erreurs affectant la définition du marché du périndopril se sont répercutées sur la définition du marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament. Servier ajoute que la Commission se borne à invoquer une omission de répondre à un moyen, sans préciser de quel moyen il s’agit.
b) Appréciation de la Cour
404 Au point 1615 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, s’agissant de la définition du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril, il ressort de la décision litigieuse que « la demande de [cette] technologie [...] dérive de la demande pour le médicament fini de périndopril (considérants 2648 à 2651 de [cette décision]) » et que « [l]a Commission a donc utilisé la délimitation erronée du marché pertinent qu’elle a retenu pour le marché des produits finis dans le cadre de
son analyse du marché de la technologie, en particulier s’agissant de l’appréciation de la demande sur ce dernier marché ».
405 Toutefois, il ressort de la lecture des considérants 2648 à 2651 de la décision litigieuse que, si la Commission a constaté que la demande de la technologie relative au principe actif du périndopril dérive de la demande de ce médicament, elle a également souligné, au considérant 2649 de cette décision, que cette caractéristique ne signifie pas que les conditions de la demande pour cette technologie reflètent exactement celles de la demande du périndopril.
406 Sur la base de ces éléments, la Commission a estimé, au considérant 2651 de ladite décision, que, compte tenu de la relative inélasticité de la demande du périndopril, la demande de la technologie relative au principe actif de ce médicament était probablement également inélastique. Il découle de ces éléments que, contrairement à ce qui ressort de la formulation du point 1615 de l’arrêt attaqué, les éléments qui figurent aux considérants 2648 à 2651 de la décision litigieuse concernant les
caractéristiques de la demande de technologie relative au principe actif du périndopril reposent non pas sur la définition du marché du périndopril en tant que tel, mais sur les liens qui existent entre la demande de cette technologie et celle dudit médicament, ces deux produits étant complémentaires, le premier étant un intrant utilisé pour la production du second.
407 S’il est donc vrai que le Tribunal, au point 1615 de l’arrêt attaqué, a relaté de manière partielle et inexacte le contenu de la décision litigieuse en laissant entendre que la Commission avait défini le marché de la technologie relative au principe actif du périndopril en se bornant à reprendre la définition du marché de ce médicament, il a, au point 1616 de cet arrêt, limité la portée de cette erreur, en indiquant que, « comme la Commission le fait valoir, elle a aussi utilisé, dans le cadre
de son analyse du marché de la technologie, d’autres éléments pour délimiter le marché de la technologie, notamment une analyse de la substituabilité du côté de l’offre (considérants 2657 et suivants de la décision [litigieuse] ».
408 Dès lors, abstraction faite de l’erreur qui vient d’être relevée, le premier grief de la Commission, par lequel elle invoque, en substance, une dénaturation de la décision litigieuse, en ce que le Tribunal aurait omis de prendre en considération les différences entre les deux marchés, tant du côté de l’offre que de celui de la demande, n’est pas fondé.
409 Au demeurant, aux points 1617 à 1619 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur le caractère erroné, ou non, de la délimitation du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril afin d’apprécier le moyen tiré d’erreurs dans la démonstration, par la Commission, de l’existence d’une position dominante de Servier sur ce marché, au motif que cette dernière « s’est fondée de façon déterminante » sur la délimitation du marché du
périndopril pour constater la position dominante de Servier sur le marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament. Au point 1621 de cet arrêt, le Tribunal a tiré les conséquences de son appréciation du caractère erroné de la définition du marché du périndopril. Il a jugé que la Commission n’avait pu démontrer que Servier occupait une position dominante sur le marché de la technologie relative au principe actif de ce médicament et il a considéré, en conséquence, au
point 1622 dudit arrêt, qu’il y avait lieu d’accueillir le moyen de première instance tiré d’erreurs dans la démonstration par la Commission d’une position dominante de Servier sur le marché de la technologie relative au principe actif du périndopril.
410 Or, il ressort des points 380 à 390 du présent arrêt que l’appréciation du Tribunal relative au caractère erroné de la définition du marché du périndopril est elle-même entachée d’une erreur de droit. Il y a lieu, dès lors, de constater que les appréciations portées par le Tribunal aux points 1611 à 1622 de l’arrêt attaqué sur la position dominante de Servier sur le marché de la technologie relative au principe actif du périndopril reposent sur une prémisse erronée et sont, de ce fait, entachées
d’illégalité. Ces appréciations ayant eu une influence directe sur le point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle constatait une infraction à l’article 102 TFUE commise par Servier, le onzième moyen doit être accueilli.
D. Conclusion sur le pourvoi
411 Les premier à huitième moyens ainsi que le onzième moyen ayant été accueillis, il y a lieu, conformément aux conclusions de la Commission, d’annuler les points 1 à 3 du dispositif de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal avait annulé, premièrement, l’article 4 de la décision litigieuse en tant qu’il constate la participation de Servier aux accords Krka, deuxièmement, l’article 6 de cette décision, qui constate une infraction à l’article 102 TFUE commise par Servier, troisièmement,
l’article 7, paragraphe 4, sous b), et l’article 7, paragraphe 6, de ladite décision, qui fixent le montant de l’amende infligée à Servier pour les infractions visées, respectivement, aux articles 4 et 6 de la même décision.
VIII. Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué
412 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
413 En l’espèce, s’agissant des moyens du recours en première instance tendant à l’annulation de l’article 4 de la décision litigieuse, relatif à l’infraction à l’article 101 TFUE, la Cour estime que le litige n’est pas en état d’être jugé dans son ensemble. En effet, par son neuvième moyen, pris en sa seconde branche, Servier soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs d’appréciation en qualifiant l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet. Or, ainsi
qu’il ressort du point 307 du présent arrêt, le Tribunal a invalidé cette qualification pour le seul motif qu’il avait écarté la même qualification à l’égard des accords de règlement amiable et de licence Krka, sans toutefois statuer sur le fond de cette seconde branche. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer l’affaire au Tribunal, afin qu’il statue sur le neuvième moyen, pris en sa seconde branche, du recours en première instance.
414 S’agissant des moyens du recours en première instance tendant à l’annulation de l’article 6 de la décision litigieuse, relatif à l’infraction à l’article 102 TFUE, il ressort de la réponse apportée au huitième moyen du pourvoi que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la Commission avait, à tort, restreint la définition du marché pertinent à celui du périndopril. Le Tribunal a estimé que cette appréciation suffisait à accueillir le quatorzième moyen de première instance, sans
qu’il soit nécessaire de statuer sur la première branche de celui-ci, par laquelle Servier invoquait plusieurs irrégularités affectant l’analyse économétrique de la Commission. Le Tribunal n’ayant pas statué sur cette première branche, le litige n’est pas en état d’être jugé sur ce point.
415 En outre, il ressort de la réponse apportée au onzième moyen du pourvoi aux points 404 à 410 du présent arrêt que le Tribunal n’a pas examiné, de manière autonome, les seizième et dix-septième moyens de première instance de Servier dirigés contre la définition du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril et l’existence d’une position dominante de Servier sur ce marché, mais s’est borné à reprendre les motifs qui l’avaient conduit à accueillir le quatorzième moyen de
première instance de Servier, pris d’une erreur dans la définition du marché du périndopril. Le litige n’est donc pas en état d’être jugé et il convient, dès lors, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur les moyens de première instance relatifs à l’infraction à l’article 102 TFUE.
416 Dans ce contexte, la Commission a invité la Cour à renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il statue en formation d’une composition différente de celle ayant adopté l’arrêt attaqué.
417 Toutefois, conformément à l’article 216, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, lorsque la Cour annule un arrêt d’une chambre, l’affaire peut être attribuée à une autre chambre siégeant avec le même nombre de juges, cette décision appartenant au président du Tribunal. À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que le renvoi de l’affaire devant une formation de jugement composée d’une manière distincte de celle qui a eu à connaître du premier examen de cette affaire ne
peut pas, dans le cadre du droit de l’Union, être considéré comme une obligation à caractère général (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 57). Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande de la Commission.
418 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le neuvième moyen de première instance de Servier, pris en sa seconde branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet de l’accord de cession et de licence Krka, sur les quatorzième à dix-septième moyens de première instance, relatifs à l’infraction à l’article 102 TFUE, et sur les moyens subsidiaires de première instance, visant à contester le
montant de l’amende.
IX. Sur le recours devant le Tribunal
419 Dans le cadre de son recours en première instance, Servier conteste, par son neuvième moyen, pris en sa première branche, la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet. Par son dixième moyen, elle conteste la qualification de l’accord de règlement amiable Krka et de l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par effet.
420 Au vu, notamment, de la circonstance que ces moyens ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et que leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction, la Cour estime que l’affaire est en état d’être jugée s’agissant du neuvième moyen, pris en sa première branche, ainsi que du dixième moyen.
A. Sur le neuvième moyen du recours en première instance, pris en sa première branche
1. Argumentation des parties
421 Par la première branche de son neuvième moyen, Servier conteste la qualification des accords de règlement amiable et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet et développe, à cet égard, cinq griefs. Elle soutient, premièrement, que « la décision dénature les faits en concluant que Krka avait la capacité d’entrer sur les marchés dans un bref délai », deuxièmement, que « la décision dénature les intentions des parties et les objectifs recherchés qui étaient pourtant légitimes »,
troisièmement, que « la décision qualifie à tort les accords de partage de marché », quatrièmement, que « le contenu des accords ne justifie pas plus la qualification de restriction par objet mais démontre au contraire leur caractère légitime » et, cinquièmement, que « la décision qualifie à tort les accords de restrictions de concurrence par objet alors que leurs effets restrictifs étaient hypothétiques ». Il appartient à la Cour de déterminer si la constatation par la Commission de
l’infraction constituée par un partage des marchés du périndopril au moyen des accords de règlement amiable et de licence Krka repose sur les erreurs de droit et de fait alléguées par Servier dans le cadre de ces cinq griefs.
422 La Commission conteste cette argumentation.
2. Appréciation de la Cour
423 À titre liminaire, il importe de rappeler que l’existence d’une infraction aux règles de concurrence ne peut être appréciée correctement que si les indices invoqués par la décision contestée sont considérés non pas isolément, mais dans leur ensemble, compte tenu des caractéristiques du marché des produits en cause (arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 68). La portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble
des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont il convient d’assurer un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par les parties (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 44, ainsi que du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72).
424 À cet égard, si la première branche du neuvième moyen de première instance s’articule en cinq griefs, tous les arguments avancés par Servier dans ce contexte se rapportent soit à la question de savoir si Krka était un concurrent potentiel de Servier au moment de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, nonobstant les défaites judiciaires successives subies par Krka dans ses tentatives de faire invalider le brevet 947, soit à celle de savoir si ces accords, pris
ensemble, étaient constitutifs d’un accord de partage de marché relevant de la qualification de restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il convient de souligner que cette argumentation de Servier, spécifique aux accords de règlement amiable et de licence Krka, se recoupe avec celle avancée dans le cadre de son quatrième moyen de première instance, relatif à la nature intrinsèquement légitime des accords de règlement amiable de litige portant sur des
brevets et des accords de licence de brevets.
425 Conformément à ce qui a été jugé au point 131 du présent arrêt, il convient de vérifier, dans un premier temps et dans la mesure où Servier a soulevé cette question devant le Tribunal, si la Commission a valablement pu qualifier les accords Krka de restriction de la concurrence potentielle exercée sur Servier par Krka. À cette fin, il y a lieu d’examiner s’il existait, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, des possibilités réelles et concrètes que Krka
entre sur le marché du périndopril et concurrence Servier. Cet examen requiert de déterminer si Krka avait entrepris des démarches suffisantes permettant d’établir qu’elle avait la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier, ainsi que de vérifier l’absence d’éventuelles barrières à cette entrée présentant un caractère insurmontable, le constat d’une concurrence potentielle pouvant, le cas
échéant, être corroboré par des éléments supplémentaires.
426 Si tel est le cas, il conviendra alors de déterminer, dans un second temps, conformément à ce qui a été jugé au point 107 du présent arrêt, si les accords de règlement amiable et de licence Krka constituaient un accord de partage de marché qui restreignait la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ainsi que la Commission l’a considéré dans la décision litigieuse. À cette fin, il sera nécessaire d’examiner les objectifs de ces accords ainsi que le lien économique qui,
selon la décision litigieuse, existait entre eux. Plus particulièrement, il y aura lieu d’apprécier si le transfert de valeur par Servier au bénéfice de Krka, au moyen de l’accord de licence Krka, était suffisamment important pour inciter Krka à accepter une répartition des marchés nationaux du périndopril avec Servier, en renonçant, ne serait-ce que temporairement, à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’assurance de pouvoir commercialiser sa version générique du
périndopril sur ses propres marchés principaux, sans encourir le risque de faire l’objet d’actions en contrefaçon de la part de Servier. Enfin, il y aura lieu de tenir compte, dans la mesure où Servier soulève cette question de manière pertinente, des intentions des parties aux accords Krka, dans la mesure où elles peuvent contribuer à établir les buts objectifs que ces accords visaient à atteindre.
a) Sur la concurrence potentielle exercée sur Servier par Krka
427 Selon les considérants 1672 à 1700 de la décision litigieuse, Krka était le premier fabricant de médicaments génériques à défier la position de Servier sur le marché du périndopril. Ces deux entreprises étaient déjà des concurrents actuels sur les marchés en République tchèque, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne et en Slovénie, où Krka avait commencé à commercialiser une version générique du périndopril. Sur les autres marchés nationaux à l’intérieur de l’Union, Krka était un concurrent
potentiel de Servier. Krka préparait son entrée sur ces autres marchés par des démarches concrètes et suffisantes, ayant notamment obtenu des autorisations de mise sur le marché en France, aux Pays-Bas, ainsi qu’au Royaume-Uni, et disposait déjà d’un produit prêt à être lancé. Sur certains de ces autres marchés, elle bénéficiait de la coopération de partenaires commerciaux. La Commission a constaté, au considérant 1685 de cette décision, qu’il ressortait de nombreuses preuves documentaires
antérieures à la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 que Krka était alors convaincue d’obtenir gain de cause dans des litiges opposant Krka ou ses partenaires commerciaux à Servier au sujet de la validité des brevets 340 et 947.
428 Ainsi, selon la décision litigieuse, avant la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Krka concurrençait déjà Servier sur certains marchés nationaux et, sur ceux où elle n’était pas encore présente, elle disposait non seulement de la capacité d’entrer dans un bref délai, mais elle était également fermement déterminée à le faire. Au vu de ces éléments, Krka pouvait être considérée comme étant un concurrent potentiel de Servier.
429 Servier ne conteste pas ces éléments en tant que tels, même si elle affirme que la stratégie de Krka « se focalisait sur les marchés d’Europe centrale et orientale, et non sur les marchés de l’Europe de l’Ouest ». Elle soutient que la Commission ne pouvait pas considérer que, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Krka pouvait encore être considérée comme étant son concurrent potentiel. Servier reproche, en substance, à la Commission d’avoir dénaturé les
intentions des parties, et plus particulièrement celles de Krka, en refusant d’accepter que les défaites judiciaires en série que cette entreprise avait subies l’avaient convaincue que le brevet 947 était valide et qu’il était donc préférable pour elle de négocier avec Servier en vue d’obtenir une licence de ce brevet sur ses marchés principaux. Ces défaites judiciaires subies par Krka, résultant de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et de la décision de la High Court du 3 octobre 2006,
auraient constitué une barrière insurmontable à l’entrée, à brève échéance, de cette entreprise sur les marchés principaux de Servier. Un document interne de Krka daté du 13 septembre 2006 démontrerait que, en raison de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, cette entreprise avait changé de stratégie en décidant d’abandonner la commercialisation de son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, pour s’investir dans le développement d’une forme
non contrefaisante de ce médicament.
430 En outre, Servier rappelle que, immédiatement après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, elle a, d’une part, été contactée par Krka qui souhaitait évoquer la possibilité d’une licence de brevet pour certains marchés nationaux et que, d’autre part, elle a lancé, au Royaume-Uni, une procédure en contrefaçon des brevets 340 et 947, assortie d’une demande d’injonction, contre Krka. Bien que Krka ait formé une demande reconventionnelle en nullité de ces brevets, elle n’avait, selon Servier, que
peu d’intérêt pour ces actions contentieuses, par ailleurs onéreuses et risquées.
431 En l’occurrence, afin de déterminer si Servier est fondée à faire valoir que, en raison de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et de la décision de la High Court du 3 octobre 2006, Krka ne disposait plus de la capacité ni de la détermination ferme d’entrer sur les marchés principaux de Servier, et ne constituait donc plus une source de concurrence potentielle, il convient de rappeler que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine
public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en
contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46]. D’ailleurs, ainsi qu’il a été jugé au point 132 du présent arrêt, lorsque des litiges les opposant sur la question de la validité du brevet en question sont encore pendants, il est nécessaire d’examiner l’ensemble des éléments pertinents avant d’arriver à la conclusion selon laquelle le titulaire du brevet et un tel fabricant de médicaments génériques ne sont pas
des concurrents potentiels.
432 En effet, s’agissant de la détermination ferme de Krka à poursuivre ses efforts en vue de la commercialisation de son périndopril, ainsi que de la question de savoir si les défaites judiciaires subies par Krka ont constitué une barrière insurmontable à son entrée dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier sur les marchés principaux de celle-ci, au sens de la jurisprudence rappelée au point 101 du présent arrêt, il ressort des éléments de preuve cités par la
Commission aux considérants 1686 à 1691 de la décision litigieuse que ni la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 ni d’ailleurs la décision de la High Court du 3 octobre 2006 n’ont amené Krka à cesser ses efforts en vue d’entrer sur ces marchés. Par ailleurs, au cours de cette période, ainsi qu’il ressort des considérants 1687 et 1700 de la décision litigieuse que Servier ne conteste pas, Krka a réussi à obtenir, en Hongrie, au mois de septembre 2006, le rejet d’une demande de mesures provisoires
de Servier relative au brevet 947, alors que Krka commercialisait déjà, sur le marché hongrois, son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947.
433 Plus particulièrement, aux considérants 1687 et 1688 de la décision litigieuse, la Commission a fait état de documents faisant au contraire ressortir que Krka était critique à l’égard de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et déterminée à ne pas s’y résigner. Il découle notamment du témoignage d’un employé de Krka, cité in extenso aux considérants 895 et 1688 de cette décision, que « [c]e qui nous dérange particulièrement est que ce procès était discriminatoire vis-à-vis de l’industrie des
produits génériques et nous ne les laisserons pas s’en tirer à si bon compte ». Une telle affirmation, faite pour le compte de Krka, infirme l’allégation de Servier selon laquelle Krka avait renoncé à contester la validité du brevet 947 en vue de pouvoir entrer sur les marchés principaux de Servier. En outre, les actions concrètes prises par Krka après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 confirment que cette entreprise n’avait pas accepté la validité de ce brevet, car elle a continué à
contester sa validité devant l’OEB et a introduit contre Servier, les 1er et 8 septembre 2006, des demandes reconventionnelles en nullité des brevets 947 et 340 dans le cadre des procédures en contrefaçon engagées par Servier au Royaume-Uni.
434 Par ailleurs, aucun document contemporain des accords de règlement amiable et de licence Krka n’indique que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et la décision de la High Court du 3 octobre 2006 aient changé la perception par Krka de la validité du brevet 947 au point de l’amener à renoncer à ses projets de commercialisation de son propre périndopril. En particulier, le document interne de Krka, daté du 13 septembre 2006, auquel se réfère Servier, et selon lequel les activités relatives au
périndopril de Krka devaient cesser au profit de travaux sur la mise au point d’une version non contrefaisante de ce médicament, ne saurait être interprété comme constituant le reflet d’une décision stratégique des dirigeants de Krka. En effet, ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 1687 de la décision litigieuse, ce document interne se limite à consigner des positions exprimées lors de réunions opérationnelles au sein du département « Recherche et développement » de cette
entreprise, dont l’interprétation donnée par Servier est, en tout état de cause, démentie par le fait que Krka a poursuivi la production de son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, ainsi que l’attestent les mêmes documents internes de Krka, comme l’a relevé la Commission à la note en bas de page 2260 de cette décision. En tout état de cause, eu égard aux preuves contraires invoquées par la Commission aux considérants 1686 à 1691 de ladite
décision, ce document interne n’établit pas de manière convaincante que Krka aurait, comme l’affirme Servier, définitivement renoncé à entrer avec ce périndopril sur les marchés principaux de Servier à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006. En effet, ces preuves attestent de manière objective que Krka continuait de disposer d’une capacité propre d’accéder aux marchés principaux de Servier ainsi que de l’intention d’y entrer.
435 Dans la mesure où Servier reproche à la Commission d’avoir « dénaturé » les intentions des parties, il convient de rappeler que la Commission a reconnu, aux considérants 1688 et 1690 de la décision litigieuse, que Krka n’était plus aussi fermement convaincue de la force de sa position contentieuse à la suite de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et que c’est en réaction à cette décision que Krka avait pris l’initiative de contacter Servier afin d’envisager la possibilité que celle-ci lui
octroie une licence sur le brevet 947 pour certains marchés géographiques.
436 Toutefois, cette initiative de Krka ne démontre pas non plus que cette entreprise avait renoncé à concurrencer Servier sur les marchés principaux de cette dernière au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947. En effet, ainsi qu’il résulte des éléments de preuve invoqués par la Commission aux considérants 912 et 1688 de la décision litigieuse, Krka était consciente du fait que Servier avait accepté de négocier avec elle à la suite de
la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 parce qu’elle représentait « une menace sérieuse » pour Servier qui « croyait que Krka détenait des preuves parmi les meilleures et les plus complètes dans l’opposition devant l’OEB et dans la révocation au Royaume-Uni ». Il s’ensuit que l’existence du différend opposant Krka à Servier au sujet de la validité du brevet 947, qui faisait l’objet de litiges pendants devant l’OEB et au Royaume-Uni et que ces deux entreprises considéraient comme sérieux,
constitue un indice supplémentaire du rapport de concurrence potentielle entre elles [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 52], cette concurrence étant d’ailleurs susceptible de devenir actuelle dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur Servier au sens de la jurisprudence citée au point 101 du présent arrêt. Tel est nécessairement le cas dès lors que l’existence de cette concurrence a effectivement influencé le
comportement commercial de Servier en l’amenant à octroyer une licence à Krka sur les marchés principaux de celle-ci.
437 Par ailleurs, l’argument de Servier, tiré du fait que Krka avait pris l’initiative des négociations relatives à l’octroi d’une licence, confond, d’une part, les intentions de Krka dans l’hypothèse où les négociations n’aboutiraient pas avec, d’autre part, les objectifs commerciaux que Krka poursuivait dans le cadre de ces négociations. Or, seules les premières sont pertinentes pour apprécier l’existence d’une concurrence potentielle entre Servier et Krka au moment de la signature des accords de
règlement amiable et de licence Krka. Les objectifs commerciaux prétendument légitimes poursuivis par Krka dans le cadre desdites négociations étaient pertinents uniquement pour apprécier l’objet de ces mêmes accords.
438 En effet, il convient de rappeler à cet égard que la conclusion d’un accord entre plusieurs entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production et dont certaines ne sont pas présentes sur le marché concerné constitue un indice fort de l’existence d’une relation concurrentielle entre lesdites entreprises [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 55 ainsi que jurisprudence citée].
439 Or, si le fait pour Krka de négocier avec Servier dans le but de conclure des accords tels que les accords de règlement amiable et de licence Krka suffisait pour démontrer que Krka n’avait plus la détermination ferme de concurrencer Servier au moyen de son périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, voire qu’il existait un obstacle insurmontable à une telle entrée sur les marchés principaux de Servier, nonobstant l’existence d’éléments de preuve
objectifs tels que ceux cités par la Commission aux considérants 1686 à 1691 de la décision litigieuse, cela signifierait, de manière contradictoire par rapport à la jurisprudence qui vient d’être rappelée au point précédent, que la décision d’une entreprise de négocier et ensuite de conclure un accord avec une autre entreprise opérant à un même niveau de la chaîne de production, dans le but de substituer la coopération à une concurrence sur les mérites, pourrait avoir pour conséquence qu’elle
n’était plus un concurrent potentiel de son cocontractant. Si tel était le cas, le choix délibéré d’une entreprise de poursuivre une politique commerciale consistant à conclure un accord ayant un objet anticoncurrentiel pourrait faire échapper ce même accord à l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et priver ainsi cette disposition d’une partie importante de son effet utile.
440 Compte tenu de ce qui précède, l’argumentation de Servier ne permet pas d’infirmer la constatation opérée par la Commission, au considérant 1700 de la décision litigieuse, selon laquelle, à la date de conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, Krka était un concurrent potentiel de Servier.
441 Il y a lieu, dès lors, de rejeter l’argumentation de Servier relative à la concurrence potentielle exercée par Krka.
b) Sur l’existence d’un accord de partage de marché
442 Par un deuxième grief, Servier soutient que la Commission a considéré à tort que les accords de règlement amiable et de licence Krka avaient eu pour objet de se répartir les marchés avec Krka.
443 Servier affirme, en premier lieu, que ces accords ont été conclus en raison de la reconnaissance de la validité du brevet 947 et visaient à trouver une solution aux litiges qui l’opposaient à Krka. En effet, cette dernière ne pouvait pas commercialiser son périndopril à cause du brevet 947 et de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006.
444 Toutefois, par cette argumentation, Servier se borne, en substance, à réitérer ses allégations, tirées de la prétendue reconnaissance de la validité de ce brevet, relatives à l’absence de concurrence potentielle exercée par Krka et à l’existence d’un accord de partage de marché. Or, ces arguments ont déjà été rejetés pour les motifs exposés, respectivement, aux points 427 à 440 et 178 à 184 du présent arrêt.
445 Servier conteste, en second lieu, l’existence d’un accord de partage de marché selon lequel Krka aurait renoncé à entrer sur les marchés principaux de Servier en contrepartie de l’instauration d’un duopole de fait sur les marchés principaux de Krka. Selon Servier, il ressort des clauses des accords de règlement amiable et de licence Krka que chacun de ces accords avait un objet légitime. En particulier, aucun élément ne permettrait de considérer que l’accord de licence Krka allait instaurer un
tel duopole. Au contraire, de nombreux documents contemporains de la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka démontreraient que la concurrence entre ces deux entreprises était intense. Ce serait à tort que la Commission a affirmé, aux considérants 1724 et 1728 de la décision litigieuse, que Servier s’était engagée, par l’accord de licence Krka, à ne pas introduire un troisième concurrent sur les marchés principaux de Krka. En outre, Servier soutient que la décision
litigieuse dénature un document du 29 septembre 2005, mentionné notamment au considérant 849 de cette décision, dans lequel un employé de Krka se référait à « une activité conjointe en vue de contrôler le marché ».
446 Servier réfute que l’accord de licence Krka ait pu inciter Krka à accepter les restrictions de la concurrence prévues par l’accord de règlement amiable Krka. Quand bien même cet accord de licence aurait constitué une incitation à transiger, une telle circonstance serait, en soi, insuffisante pour constater une infraction à l’article 101 TFUE, car il résulterait des intentions des parties que ces accords poursuivaient des objectifs légitimes. En outre, au considérant 1738 de cette décision, la
Commission aurait évalué à dix millions d’euros les bénéfices que Krka pouvait retirer de cet accord de licence, tout en minimisant ses effets proconcurrentiels, au motif, énoncé au considérant 1833 de cette décision, qu’il « n’est pas clair dans quelle proportion l’accord de règlement amiable Krka a en fait renforcé la situation concurrentielle dans les États membres couverts par la licence, comme Krka avait déjà lancé son périndopril dans cinq de ces États membres avant l’accord [de règlement
amiable Krka] ». Servier insiste également sur le fait que, même après la conclusion de ces accords, Krka demeurait libre d’entrer sur les marchés principaux de Servier avec un produit non contrefaisant.
447 Dans la mesure où Servier invoque le caractère prétendument « légitime » des clauses des accords de règlement amiable et de licence Krka, il convient de rappeler d’emblée que, si les buts objectifs que des accords visent à atteindre à l’égard de la concurrence sont certes pertinents pour apprécier leur éventuel objet anticoncurrentiel, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont
poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Ainsi, le fait qu’une stratégie commerciale consistant pour des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production de négocier de tels accords entre elles pour mettre fin à un litige relatif à la validité d’un brevet soit logique et
rationnelle du point de vue de ces entreprises ne démontre aucunement que la poursuite de cette stratégie soit justifiable du point de vue du droit de la concurrence.
448 En outre, il est certes exact, ainsi qu’il a été jugé au point 226 du présent arrêt, que les accords de règlement amiable d’un litige en matière de brevets, de même que les accords de licence associés à de tels accords, peuvent être conclus dans un but légitime et en toute légalité sur le fondement de la reconnaissance par les parties de la validité du brevet en cause. D’ailleurs, les accords de règlement à l’amiable sont encouragés par les pouvoirs publics en ce qu’ils permettent des économies
en termes de ressources et sont donc avantageux pour le grand public [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 79]. De la même manière, ainsi que le relève Servier à juste titre dans sa requête en première instance, il est indéniable qu’un accord de licence permettant à un fabricant de médicaments génériques d’entrer sur certains marchés qui sont fermés à la concurrence en raison de l’existence d’un brevet est susceptible, par hypothèse, de produire des effets
proconcurrentiels sur ces mêmes marchés.
449 Toutefois, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence visée au point 226 du présent arrêt, le fait que des accords poursuivent un objectif qui, dans l’abstrait, est susceptible d’être légitime ne saurait faire échapper ces accords à l’application de l’article 101 TFUE s’il s’avère que lesdits accords visent également à répartir des marchés ou à réaliser d’autres restrictions à la concurrence. Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé aux points 178 à 184 du présent arrêt, le fait qu’un accord prend
une forme juridique en principe légitime et que les termes de cet accord ne dévoilent pas d’objet anticoncurrentiel apparent n’est pas, en soi, déterminant pour la question de savoir s’il donne lieu à une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, tout accord doit être apprécié au regard de son contenu spécifique et de son contexte économique, et notamment à la lumière de la situation du marché concerné.
450 Or, en l’espèce, les arguments avancés par Servier dans le cadre de son neuvième moyen de première instance, relatifs au contenu des accords de règlement amiable et de licence Krka, font abstraction, premièrement, du fait que les liens entre ces accords sont tels qu’il était indispensable d’examiner leurs clauses non pas de manière isolée, mais comme formant un ensemble. Deuxièmement, ces arguments ne tiennent pas compte du fait que l’accord de licence Krka autorisait Krka à commercialiser son
périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sur ses marchés principaux, sur lesquels l’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE constatée dans la décision litigieuse ne porte pas, alors que l’accord de règlement amiable interdisait à Krka de commercialiser ce médicament sur les marchés principaux de Servier, sur lesquels porte cette infraction.
451 S’agissant des liens entre les accords de règlement amiable et de licence Krka, il résulte clairement des termes de ces accords et des circonstances entourant leur conclusion, tels que rapportés par la Commission au considérant 1703 de la décision litigieuse, que, sur le plan économique, ces accords sont liés en ce sens que, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 1702 de cette décision, l’un ne pouvait être conclu en l’absence de l’autre. Par ailleurs, ce lien est attesté par les
preuves documentaires invoquées par la Commission aux considérants 1746 et 2103 de la décision litigieuse, dont il ressort que Krka considérait que l’accord de licence Krka était une condition préalable pour accepter de s’abstenir d’entrer sur les marchés principaux de Servier, les restrictions prévues par l’accord de règlement amiable Krka étant indispensables pour obtenir cette licence. Ainsi, dans la mesure où Servier cherche, sans contester l’existence de ces liens en tant que tels, à
remettre en cause l’analyse de ces accords effectuée par la Commission sur la base d’une argumentation qui examine lesdits accords séparément en vue d’établir le caractère prétendument légitime de leur contenu, cette argumentation est fondée sur une fausse prémisse. Il en résulte également, ainsi qu’il a été jugé au point 195 du présent arrêt, et contrairement à l’argumentation de Servier, que, indépendamment du niveau adéquat ou non de la redevance prévue par l’accord de licence Krka au regard
des conditions du marché, c’est l’accès à ses marchés principaux sans risque de contrefaçon qui a motivé Krka à renoncer à vendre son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sur les marchés principaux de Servier.
452 Par ailleurs, l’argument de Servier tiré du caractère prétendument proconcurrentiel de l’accord de licence Krka sur les marchés principaux de Krka est infirmé par le fait que cet accord ne couvre pas les marchés principaux de Servier, seuls visés par l’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE constatée dans la décision litigieuse. En effet, ce caractère proconcurrentiel, à le supposer établi, n’aurait une incidence positive sur le jeu de la concurrence que sur les marchés principaux de
Krka. En tout état de cause, si l’octroi d’une licence sur certains marchés en contrepartie d’un engagement du bénéficiaire de cette licence de renoncer à contester la validité du brevet de son cocontractant en ce qui concerne ces mêmes marchés peut, sous réserve d’une appréciation de son contenu spécifique et de son contexte économique, être considéré comme étant légitime sur le plan concurrentiel, il en est autrement lorsq’un ensemble d’accords permet à ce bénéficiaire d’entrer sans risque de
contrefaçon sur certains marchés géographiques tout en lui interdisant d’entrer sur d’autres marchés.
453 Un tel ensemble d’accords implique, en principe, un partage de ces marchés et, partant, une restriction de la concurrence par objet, laquelle ne peut être relativisée ni compensée par d’éventuels effets positifs ou proconcurrentiels sur quelque marché que ce soit. Or, il n’appartient pas à la Commission d’examiner les effets d’un accord ou d’un comportement dans le cadre de son appréciation relative à l’existence d’une éventuelle restriction de la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt
du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 159 et 166, ainsi que jurisprudence citée).
454 En outre, comme la Commission l’a expliqué au considérant 1745 de la décision litigieuse, c’est précisément en raison du fait que l’accord de licence Krka et l’obligation de non-contrefaçon qui résulte de l’accord de règlement amiable Krka ne couvrent pas les mêmes marchés nationaux que, selon elle, cet accord de licence n’était pas légitime, mais constituait plutôt une importante incitation économique pour Krka à accepter les restrictions prévues par l’accord de règlement amiable Krka et,
partant, à se répartir géographiquement ces marchés avec Servier. Ce quid pro quo serait donc assimilable, d’un point de vue économique, à un transfert de valeur au sens de la jurisprudence rappelée au point 104 du présent arrêt. Aux fins de vérifier le bien-fondé de cette analyse, il y a lieu, conformément à cette jurisprudence, d’apprécier si ce transfert de valeur de Servier en faveur de Krka s’explique uniquement par l’intérêt de Servier et Krka à ne pas se livrer une concurrence par les
mérites.
455 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé aux points 427 et 428 du présent arrêt, non seulement Krka vendait déjà son périndopril sur certains de ses marchés principaux mais, en outre, elle devançait les concurrents potentiels de Servier dans ses projets de commercialisation d’une version générique du périndopril, notamment en France et au Royaume-Uni, deux des marchés principaux de Servier. Par ailleurs, il ressort des données relatives aux ventes du périndopril figurant notamment aux considérants
2273 à 2401 de la décision litigieuse que le prix auquel Servier vendait ce médicament sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni était très largement supérieur à celui auquel Krka vendait son périndopril sur le marché en Pologne. Dans ces conditions, l’incitation de Servier à retarder l’entrée de ce médicament sur ses marchés principaux était manifeste et n’a d’ailleurs pas été contestée.
456 S’agissant de la question de savoir si la Commission a valablement pu considérer que l’accord de licence Krka constituait une contrepartie de l’accord de règlement amiable Krka, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que l’accord de licence Krka concédait, à titre exclusif et irrévocable, les droits du brevet 947 au bénéfice de Krka sur les marchés principaux de cette dernière, nonobstant la possibilité que s’était réservée Servier d’exploiter également ces droits, directement ou par
l’intermédiaire de ses filiales ou par l’intermédiaire d’un seul tiers par pays. Il découle de cet arrangement que, sur chacun de ces marchés, hormis Servier, ses filiales ou un tiers désigné par elle, Krka était la seule entreprise en mesure de commercialiser du périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947 sans risquer de commettre un acte de contrefaçon de ce brevet.
457 Ensuite, ainsi que la Commission l’a souligné aux considérants 1721, 1724, 1728 à 1730 et 1819 de la décision litigieuse, la renonciation de Servier à s’opposer à la commercialisation par Krka, sur les marchés principaux de cette dernière, d’une version générique du périndopril équivaut effectivement, d’un point de vue économique, à opérer un transfert de valeur au profit de Krka. Grâce à un tel quid pro quo, Servier et Krka ont chacune pu maintenir, sur leurs marchés principaux respectifs, une
position plus favorable, Servier étant parvenue à écarter la concurrence potentielle résultant d’une entrée du périndopril de Krka, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sur ses marchés principaux et Krka ayant obtenu la certitude de pouvoir commercialiser ce médicament sur ses propres marchés principaux, sans risque de contrefaçon.
458 Dans ce contexte, Servier invoque le fait que la Commission a minimisé l’effet proconcurrentiel de l’accord de licence Krka sur les marchés principaux de Krka ainsi que l’avantage qu’il a représenté pour cette entreprise, dans la mesure où Krka était déjà présente sur cinq de ces marchés. Servier en déduit que la certitude acquise par Krka de pouvoir commercialiser son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, sans risque de contrefaçon était le
seul avantage que Krka tirait de cet accord, selon le raisonnement retenu par la Commission elle-même, et fait valoir que cet avantage ne suffisait pas pour inciter Krka à renoncer à entrer sur les marchés principaux de Servier. Toutefois, il résulte des preuves invoquées par la Commission aux considérants 913 et 1748 de la décision litigieuse que Krka a elle-même indiqué à la Commission, le 4 août 2009, en réponse à une demande de renseignements de cette institution, qu’elle avait
« sacrifi[é] » les marchés principaux de Servier, qui « étaient d’une moindre importance pour Krka », « contre une entrée immédiate sur les marchés d’Europe centrale et orientale ». Il résulte donc des éléments du dossier soumis à la Cour que la perspective ainsi offerte à Krka d’être le seul fabricant d’une version générique du périndopril sur ses marchés principaux était préférable, du point de vue subjectif de Krka – même si elle n’avait pas renoncé à entrer sur les marchés principaux de
Servier en l’absence de l’octroi d’une licence couvrant ses propres marchés principaux – à celle d’actions judiciaires sur les marchés principaux de Servier qui risquaient d’être onéreuses, dont l’issue était incertaine et qui, en cas de succès, auraient bénéficié à l’ensemble des fabricants de médicaments génériques, ainsi que la Commission l’a constaté aux considérants 844, 874, 914, 1759 et 1763 de la décision litigieuse.
459 Quant à l’argument de Servier selon lequel l’existence d’un duopole de fait sur les marchés principaux de Krka serait infirmée par la possibilité qui existait pour une filiale de Servier ou un tiers autorisé par cette dernière d’entrer sur les marchés principaux de Krka, il convient de constater, ainsi qu’il a été jugé au point 232 du présent arrêt, que la Commission a conclu à l’existence d’un duopole « de fait » et non « de droit » et que, en tout état de cause, Servier a renoncé à son
monopole de droit en s’engageant à le partager avec Krka à titre exclusif. Dans la mesure où Servier fait état d’une concurrence intense que se livraient Krka et Servier sur ces marchés, il convient de souligner que, si, aux considérants 1728 et 1744 de la décision litigieuse, la Commission n’a pas nié l’existence d’un certain degré de concurrence, le degré précis de concurrence sur ces marchés est dénué de pertinence car il ne change rien au fait que Servier a nécessairement renoncé à des parts
de marchés, et donc à une partie de ses bénéfices, en faveur de Krka.
460 Enfin, s’agissant de la question de savoir si le transfert de valeur mentionné au point 457 du présent arrêt était suffisamment important pour avoir incité Krka à conclure l’accord de règlement amiable Krka, il ressort du considérant 1738 de la décision litigieuse que Krka a, elle-même, évalué la valeur économique ainsi transférée par Servier en contrepartie de son engagement à renoncer à entrer sur les marchés principaux de cette entreprise à environ dix millions d’euros sur une période de
trois ans. Cette estimation s’est révélée être fiable puisque, ainsi qu’il ressort des éléments du dossier cités à la note en bas de page 4112 de cette décision, pendant la durée des accords de règlement amiable et de licence Krka, le bénéfice tiré par Krka de la vente du périndopril sur les seuls marchés en Hongrie, en Pologne et en République tchèque ont atteint la somme de dix millions d’euros. Or, même en déduisant de ce montant de dix millions d’euros les montants de la redevance
annuellement due par Krka à Servier au titre de l’accord de licence Krka, il demeure qu’un transfert de valeur de Servier à Krka d’une telle importance ne peut s’expliquer par aucune autre contrepartie de la part de Krka que son engagement à ne pas livrer concurrence à Servier sur ses marchés principaux.
461 Il convient d’ajouter qu’aucun des autres arguments plus spécifiques avancés par Servier n’infirme la constatation de la Commission selon laquelle les accords de règlement amiable et de licence Krka ont instauré un partage de marché constitutif d’une restriction de la concurrence par objet.
462 Selon Servier, c’est à tort que la Commission a conclu, au considérant 1747 de la décision litigieuse, que « la portée géographique de la licence octroyée à Krka ne peut s’expliquer par les différences entre les brevets dans ces territoires » parce que, en réalité, il existait de telles différences, Krka étant déjà entrée, à la date de l’octroi de cette licence, sur plusieurs des marchés couverts par ladite licence, ce qui l’exposait au risque concret et immédiat d’actions en contrefaçon. En
avançant cette argumentation, Servier se méprend sur la pertinence d’éventuelles différences pouvant exister, s’agissant de la situation brevetaire, entre des marchés géographiques.
463 En effet, comme le relève la Commission à juste titre au considérant 1754 de la décision litigieuse, de telles différences ne sont pertinentes pour apprécier la légitimité, d’un point de vue concurrentiel, de la portée géographique d’une licence que si elles se rapportent au niveau du risque objectif, sur chacun de ces marchés, de l’invalidation du ou des brevets faisant l’objet de la licence octroyée. Cela s’explique par le fait qu’il n’est pas légitime de « sacrifier » certains marchés, au
détriment du jeu de la concurrence sur ceux-ci, en vue d’obtenir une licence sur d’autres marchés pour des motifs subjectifs d’opportunité commerciale. Il convient de rejeter également, pour la même raison, l’argument de Servier relatif au prétendu « paradoxe » résultant du fait que l’octroi d’une licence couvrant un nombre plus élevé de marchés serait davantage susceptible de constituer une incitation à renoncer aux marchés non couverts par cette licence. En effet, quel que soit le nombre des
marchés non couverts par ladite licence, il demeure que, sur ces marchés, la concurrence est restreinte.
464 Servier fait valoir que les clauses de non-contestation et de non-contrefaçon sur les marchés principaux de Servier n’ont pas abouti à un partage de marché. S’il était interdit à Krka de commercialiser son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, en raison de son caractère prétendument contrefaisant, Krka demeurait libre de commercialiser une version non contrefaisante de ce médicament, qu’elle aurait d’ailleurs été en train de développer.
Toutefois, il suffit de relever, à cet égard, que le fait pour un accord de partage de marché de limiter les possibilités pour un concurrent potentiel de livrer concurrence au titulaire d’un brevet sans, toutefois, exclure toute possibilité d’une concurrence de la part de ce concurrent à long terme en développant un produit non contrefaisant, ne saurait infirmer la conclusion selon laquelle un tel accord constitue une restriction de la concurrence par objet.
465 Servier invoque de prétendus effets proconcurrentiels sur les marchés principaux de Servier en raison du fait que l’accord de règlement amiable Krka n’empêchait pas Krka d’entrer sur les marchés principaux de Servier au moyen de son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, avant l’expiration du brevet 340. Toutefois, cet accord interdisait à Krka de commercialiser ce périndopril sur ces marchés tant que le brevet 947 n’avait pas expiré. Ainsi,
la « concession » faite par Servier à l’égard du brevet 340 n’infirme pas l’appréciation de la Commission quant à l’objet anticoncurrentiel dudit accord, étant donné que ce dernier empêchait Krka d’entrer sur les marchés principaux de Servier à court, voire à moyen terme.
466 S’agissant de l’argumentation de Servier aux termes de laquelle l’accord de règlement amiable Krka n’empêchait pas ses autres concurrents potentiels de Servier de poursuivre leurs recours visant à invalider le brevet 947, il y a lieu de constater qu’une telle circonstance ne saurait justifier, au regard du droit de la concurrence, le fait que cet accord obligeait Krka à renoncer aux litiges en cours l’opposant à Servier à ce sujet. Cela est d’autant plus vrai que, ainsi qu’il résulte des
éléments de preuve mentionnés au point 436 du présent arrêt, Servier « croyait que Krka détenait des preuves parmi les meilleures et les plus complètes dans l’opposition devant l’OEB et dans la révocation au Royaume-Uni », ce qui signifie que le retrait de ses actions en justice était susceptible de réduire de manière significative les chances que ce brevet soit invalidé et donc de renforcer la maîtrise que Servier pouvait exercer sur les marchés concernés.
467 Quant à l’argument de Servier tiré d’une prétendue dénaturation d’un document du 29 septembre 2005, dans lequel un employé de Krka faisait référence à une « activité conjointe [avec Servier] en vue de contrôler le marché », il convient de constater que ce document indique, à tout le moins, que Krka était ouverte, une année avant la conclusion des accords de règlement amiable et de licence Krka, à l’idée de coopérer avec Servier sur certains marchés en vue de les contrôler ensemble, sans que ce
document permette d’identifier avec précision les marchés ainsi visés. En tout état de cause, cet élément relève d’un faisceau d’indices concordants établissant le caractère anticoncurrentiel de ces accords mais ne constitue pas, à lui seul, un soutien indispensable à la constatation effectuée par la Commission. Ainsi, à supposer même que les allégations de Servier relatives à cet élément de preuve soient partiellement exactes, cet argument ne saurait suffire pour que le présent moyen soit
accueilli.
468 Il convient d’ajouter, à toutes fins utiles, que, dans la mesure où Servier vise, par certains de ses arguments, à minimiser le degré de nocivité des accords Krka, il n’existe aucun doute que la restriction de la concurrence constatée par la Commission était suffisamment nocive pour être qualifiée de restriction de la concurrence par objet, au sens de la jurisprudence de la Cour [voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 ainsi que
jurisprudence citée]. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 97 et 238 du présent arrêt, les accords qui visent la répartition des marchés ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes et relèvent d’une catégorie d’accords expressément interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
469 L’évaluation de l’ensemble des arguments des parties et des éléments de preuve du dossier conduit donc à considérer que c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a pu considérer, au considérant 1745 de la décision litigieuse, que, si une licence de brevet peut être un moyen légitime pour le titulaire de ce brevet d’accorder à un tiers le droit d’exploiter l’invention protégée par ledit brevet, l’accord de licence Krka avait servi d’incitation pour obtenir
l’engagement de Krka de renoncer à son entrée sur les marchés principaux de Servier, permettant ainsi à ces deux entreprises d’organiser entre elles un partage de marché.
470 Il convient, par suite, de rejeter l’argumentation de Servier relative à l’existence d’un accord de partage de marché.
471 Il résulte de ces éléments que les preuves avancées dans la décision litigieuse démontrent l’existence de la pratique visant, pour Servier et Krka, à se partager le marché du périndopril et suffisent à justifier la qualification de cette pratique de restriction de la concurrence par objet, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 96 et 97 du présent arrêt.
472 Dans la mesure où Servier demande, à titre subsidiaire, que la décision litigieuse soit annulée en ce qu’elle a constaté une restriction de la concurrence par objet spécifiquement sur le marché du Royaume-Uni, nonobstant l’existence d’une injonction provisoire résultant de la décision de la High Court du 3 octobre 2006 interdisant à Krka d’entrer sur ce marché avec son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, il y a lieu de rappeler qu’une
telle injonction constitue une mesure provisoire qui ne préjuge en rien le caractère fondé d’une action en contrefaçon, introduite par le titulaire du brevet [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 53]. Ainsi, la pression concurrentielle exercée par la possibilité d’une entrée de Krka sur ce marché n’a pas disparu à la suite du prononcé de cette injonction et cette circonstance ne saurait donc infirmer la conclusion retenue au point
précédent du présent arrêt en ce qui concerne le marché du Royaume-Uni.
473 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la première branche du neuvième moyen du recours en première instance et de constater que Servier n’est pas parvenue à infirmer la qualification de restriction de la concurrence par objet opérée, dans la décision litigieuse, à l’égard de la pratique visant, pour Servier et Krka, à se partager le marché du périndopril au moyen des accords de règlement amiable et de licence Krka.
474 Par ailleurs, il importe de constater que, ainsi qu’il a été mentionné au point 424 du présent arrêt, dans la mesure où la première branche du quatrième moyen de première instance, prise, en substance, de la nature intrinsèquement légitime des accords de règlement amiable et des accords de licence en général, se rapporte spécifiquement aux accords de règlement amiable et de licence Krka, elle se recoupe avec l’argumentation juridique avancée par Servier dans le cadre de son neuvième moyen de
première instance. Par conséquent, il découle des motifs exposés aux points 423 à 473 du présent arrêt que, pour autant que la première branche du quatrième moyen de première instance concerne les accords de règlement amiable et de licence Krka, elle doit également être rejetée.
B. Sur le dixième moyen du recours en première instance
1. Argumentation des parties
475 Par son dixième moyen du recours en première instance, Servier reproche tout d’abord à la Commission d’avoir constaté, au considérant 1817 de la décision litigieuse, que Servier détenait une position dominante sur le marché tel que défini dans cette décision, définition que Servier conteste dans le cadre d’autres moyens. Elle invoque également un défaut de motivation car, selon elle, il ne serait pas possible de savoir si la Commission a procédé à une analyse contrefactuelle dans la décision
litigieuse. Servier reproche, ensuite, à la Commission d’avoir commis une erreur de droit lors de son analyse du scénario contrefactuel. Tout d’abord, la Commission aurait dû examiner la concurrence telle qu’elle aurait vraisemblablement existé en l’absence des accords Krka en tenant compte du cadre réel dans lequel ils ont produit leurs effets. Servier soutient, à cet égard, que le désistement de Krka des procédures relatives à la validité du brevet 947 n’a eu aucun effet sensible sur l’issue
de ces procédures.
476 En l’absence des accords Krka, Krka ne serait vraisemblablement pas entrée sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Selon Servier, une telle entrée était bloquée au Royaume-Uni par une injonction judiciaire. En France et aux Pays-Bas, Krka avait abandonné ses projets de lancement de son périndopril. Les accords Krka n’auraient toutefois pas éliminé Krka en tant que concurrent potentiel de Servier en cas d’une éventuelle invalidation du brevet 947 ou du développement d’une
version non contrefaisante du périndopril. Quant à l’accord de cession et de licence Krka, Servier estime qu’il n’a eu aucun effet sur la concurrence, car la technologie de Krka ne permettait pas de contourner le brevet 947. Servier souligne que, après la révocation du brevet 947 par la décision de l’OEB du 6 mai 2009, plusieurs fabricants de médicaments génériques sont entrés sur le marché du périndopril, ce qui démontrerait l’absence d’effet anticoncurrentiel de cet accord de manière distincte
par rapport à ce brevet.
477 Servier critique également le considérant 1831 de la décision litigieuse, relatif aux dispositions que Servier et Krka auraient pu prendre, au moment de négocier et de conclure les accords Krka, pour éviter que ces accords ne donnent lieu à un partage de marché. Elle fait valoir que la Commission n’a pas démontré que les parties auraient pu transiger à des conditions moins restrictives.
478 Enfin, Servier soutient que la Commission a omis de prendre en compte les effets proconcurrentiels de l’accord de licence Krka dans l’analyse des effets des accords Krka.
479 La Commission conteste cette argumentation.
2. Appréciation de la Cour
480 À titre liminaire, il convient de relever que l’argumentation de Servier développée dans le cadre de son dixième moyen de première instance se recoupe avec celle avancée dans le cadre de la seconde branche de son quatrième moyen, selon laquelle les appréciations de la Commission relatives aux effets des accords Krka seraient erronées. S’agissant de l’argument par lequel Servier conteste l’existence de sa position dominante sur un prétendu marché autonome du périndopril, position à laquelle la
Commission a fait référence au considérant 1817 de la décision litigieuse, il convient de constater que cette référence, qui intervient dans le cadre d’une description de la position concurrentielle de Servier, n’est pas déterminante pour l’analyse qui suit, aux considérants 1820 et suivants de cette décision, des effets des accords Krka sur la concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier.
481 Quant au prétendu défaut de motivation résultant du fait qu’il ne serait pas possible de savoir si la Commission a procédé à une analyse contrefactuelle dans la décision litigieuse, il suffit de relever que, au considérant 1814 de celle-ci, la Commission a indiqué qu’il était nécessaire de prendre en considération « la concurrence qui aurait existé en l’absence de l’accord », à savoir, en particulier, « le comportement concurrentiel que Krka aurait été susceptible d’adopter en l’absence de
l’accord ». Ainsi, la décision litigieuse n’est pas entachée d’un défaut de motivation à cet égard.
482 Il résulte des éléments de droit exposés aux points 339 à 358 du présent arrêt que les autres arguments relatifs au scénario contrefactuel avancés par Servier dans le cadre du présent moyen reposent sur une interprétation erronée de la charge qui incombe à la Commission afin d’établir la preuve des effets restrictifs de la concurrence d’accords qui, à l’instar des accords Krka, visent à instaurer un partage des marchés en retardant l’entrée d’un médicament générique sur le marché.
483 En effet, ainsi qu’il a déjà été jugé au point 354 du présent arrêt, il incombait à la Commission de prouver que le scénario contrefactuel retenu était réaliste et crédible. Or, comme il ressort en substance du point 355 du présent arrêt, dans la mesure où, en l’espèce, la restriction de la concurrence en cause tenait à l’élimination de la source de concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier, l’analyse du scénario contrefactuel correspondait, en substance, à celle de l’existence de
cette concurrence potentielle, qui a été éliminée par les accords Krka. Ainsi, afin de déterminer si les accords Krka, qui interdisaient à Krka d’entrer sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ont produit un effet avéré sur la concurrence potentielle, il y avait lieu pour la Commission de vérifier si Krka aurait disposé, en l’absence de ces accords, d’une possibilité réelle et concrète d’intégrer ces marchés dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur
Servier, de telle sorte que la menace d’une telle entrée pouvait être considérée comme étant réaliste et crédible [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 117 à 120].
484 Contrairement à ce que soutient Servier, la Commission n’était donc pas tenue de démontrer que, en l’absence de l’accord de règlement amiable Krka, Krka aurait obtenu gain de cause dans les procédures judiciaires contre le brevet 947 de manière plus rapide ou plus complète.
485 En prenant en compte, aux considérants 1826, 1829 et 1835 à 1846 de la décision litigieuse, le contexte économique et juridique des accords Krka, la Commission a valablement pu estimer que Krka représentait l’une des menaces les plus immédiates pour Servier, en raison du fait qu’elle disposait de possibilités réelles et concrètes d’entrer sur les marchés en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Le fait qu’il ne soit pas possible de déterminer avec certitude si Krka serait effectivement entrée
sur ces marchés est sans incidence sur la circonstance que, bien que désirant entrer sur lesdits marchés et possédant les moyens de le faire, elle s’est concertée avec Servier afin de renoncer à une telle possibilité, dans des termes mutuellement bénéfiques à ces deux entreprises.
486 En l’absence des accords Krka, cette possibilité d’entrée de la part de Krka, au moyen de son périndopril, composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947, n’aurait pas été éliminée. Par voie de conséquence, la Commission a établi que l’élimination, grâce à la mise en œuvre desdits accords, de cette source de concurrence potentielle avait pour effet de restreindre la concurrence de manière sensible. Une telle élimination de la concurrence potentielle constituait
donc un effet qui n’était ni hypothétique ni potentiel, mais bien réel, et de nature à justifier la qualification de restriction de la concurrence par effet retenue au considérant 1850 de la décision litigieuse.
487 S’agissant de l’argument de Servier critiquant le considérant 1831 de la décision litigieuse, relatif aux dispositions que Servier et Krka auraient pu prendre, au moment de négocier et de conclure les accords Krka, pour éviter que ces accords ne donnent lieu à un partage de marché, il suffit de constater que, par ce considérant, la Commission s’est bornée à relever, à juste titre, que rien n’aurait empêché Servier et Krka de conclure des accords différents qui ne donnent pas lieu au partage de
marché constaté aux points 442 à 473 du présent arrêt. Ainsi, cet argument de Servier repose sur la prémisse erronée selon laquelle les accords Krka ne constituaient pas un partage de marché et doit, dès lors, être rejeté.
488 Il s’ensuit que l’examen du dixième moyen du recours en première instance de Servier n’a révélé l’existence d’aucune erreur susceptible de remettre en cause le constat de la Commission, au considérant 1850 de la décision litigieuse, selon lequel les accords Krka avaient eu pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence potentielle exercée par Krka sur Servier.
489 Quant à l’invocation, par Servier, des prétendus effets proconcurrentiels de l’accord de licence Krka, il suffit de rappeler, ainsi qu’il ressort notamment des points 175, 289, 452 et 454 du présent arrêt, que cet accord concerne des marchés qui ne relèvent pas du champ géographique de l’infraction à l’article 101 TFUE, en raison d’une restriction de la concurrence par effet constatée par la Commission. Dès lors, d’éventuels effets proconcurrentiels résultant dudit accord sur des marchés autres
que ceux visés par cette infraction ne sauraient justifier la présence d’effets anticoncurrentiels sur les marchés sur lesquels ladite infraction a été constatée.
490 Il convient, dès lors, de rejeter le dixième moyen du recours en première instance de Servier.
491 Par ailleurs, ainsi qu’il a été mentionné au point 480 du présent arrêt, l’argumentation développée par Servier dans le cadre de la seconde branche du quatrième moyen de première instance, selon laquelle la Commission aurait commis des erreurs de droit en définissant le scénario contrefactuel et en examinant ex ante les effets des accords Krka, se recoupe avec celle avancée par Servier dans le cadre de son dixième moyen de première instance. Par conséquent, il découle des motifs exposés aux
points 480 à 490 du présent arrêt que, dans la mesure où cette seconde branche du quatrième moyen de première instance concerne la qualification de restriction de la concurrence par effet des accords de règlement amiable et de licence Krka, elle doit être rejetée également.
492 Il résulte de tout ce qui précède que si, par le présent arrêt, la Cour a statué sur certains moyens de première instance au titre de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le litige n’est pas en état d’être jugé dans son ensemble, de sorte que l’affaire T‑691/14 doit être renvoyée devant le Tribunal afin qu’il examine les moyens de Servier sur lesquels il n’a pas encore été définitivement statué.
493 S’agissant de l’infraction à l’article 101 TFUE, visée à l’article 4 de la décision litigieuse, la Cour, conformément aux conclusions de la Commission, a statué sur plusieurs moyens de première instance, à savoir le quatrième moyen, dans la seule mesure où il se rapporte spécifiquement aux accords de règlement amiable et de licence Krka, le neuvième moyen, pris en sa première branche, et le dixième moyen. La Cour ayant définitivement rejeté ces moyens, il n’y aura plus lieu pour le Tribunal de
les examiner.
494 Toutefois, par son neuvième moyen de première instance, pris en sa seconde branche, Servier soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs d’appréciation en qualifiant l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet. Il appartiendra au Tribunal d’examiner ce moyen sur renvoi.
495 S’agissant de l’infraction à l’article 102 TFUE retenue par la Commission à l’article 6 de la décision litigieuse à l’égard de Servier, il incombera au Tribunal, compte tenu des motifs exposés aux points 380 à 390 du présent arrêt, par lesquels la Cour a accueilli le huitième moyen du pourvoi relatif à la définition du marché du périndopril et, par voie de conséquence, le onzième moyen, de statuer sur les quatorzième à dix-septième moyens de première instance relatifs à cette infraction ainsi
que sur les moyens invoqués à titre subsidiaire, en ce qu’il se rapportent au calcul de l’amende infligée au titre de la même infraction.
496 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le neuvième moyen du recours en première instance, pris en sa seconde branche, relative à la qualification de l’accord de cession et de licence Krka de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101 TFUE, sur les quatorzième à dix-septième moyens relatifs à l’infraction à l’article 102 TFUE, et sur les moyens subsidiaires, en ce qu’ils se rapportent au calcul
de l’amende infligée au titre de cette infraction.
Sur les dépens
497 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Les points 1 à 3 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), sont annulés.
2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur le neuvième moyen du recours de première instance, pris en sa seconde branche, relative à la qualification de l’accord de cession et de licence conclu le 5 janvier 2007 entre Les Laboratoires Servier et KRKA, tovarna zdravil, d.d. de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sur les quatorzième à dix-septième moyens de première instance relatifs à l’infraction à
l’article 102 TFUE visée à l’article 6 de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)], ainsi que sur les moyens de première instance invoqués à titre subsidiaire, en ce qu’ils se rapportent au calcul de l’amende infligée au titre de cette infraction.
3) Les dépens sont réservés.
Arabadjiev
Lenaerts
Xuereb
Kumin
Ziemele
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2024.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de chambre
A. Arabadjiev
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( *1 ) Langue de procédure : le français.