ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
27 juin 2024 ( *1 )
Table des matières
I. Le cadre juridique
A. Le règlement (CE) no 1/2003
B. Les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004
C. Les lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie
II. Les antécédents du litige
A. Le périndopril
B. Les litiges relatifs au périndopril
1. Les décisions de l’OEB
2. Les décisions des juridictions nationales
C. Les accords de règlement amiable des litiges relatifs au périndopril
1. Les accords Niche et Matrix
2. L’accord Teva
3. Les accords Krka
4. L’accord Lupin
III. La décision litigieuse
IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
V. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
VI. Sur le pourvoi
A. Observations liminaires sur la recevabilité
B. Sur les premier et deuxième moyens, relatifs aux critères d’appréciation des notions de restriction de la concurrence par objet et de concurrence potentielle
1. Sur la recevabilité
2. Sur le fond
a) Observations liminaires
b) Sur les critères relatifs à la concurrence potentielle (deuxième moyen)
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur les critères relatifs à la qualification de restriction de la concurrence par objet (premier moyen)
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
C. Sur les troisième et sixième moyens, relatifs aux accords Niche et Matrix
1. Sur le troisième moyen
a) Sur la première branche, relative à la concurrence potentielle
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur la seconde branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
2. Sur le sixième moyen, relatif à la qualification des accords Niche et Matrix d’infractions distinctes
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
D. Sur le quatrième moyen, relatif à l’accord Teva
1. Sur la première branche, relative à la concurrence potentielle
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
2. Sur la seconde branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet
a) Sur les objectifs de l’accord Teva
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur l’ambivalence des effets de l’accord Teva
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur la nocivité des clauses de l’accord Teva
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
d) Sur le paiement inversé
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
E. Sur le cinquième moyen, relatif à l’accord Lupin
1. Sur la première branche, relative à la concurrence potentielle
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
2. Sur la deuxième branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet
a) Sur le paiement inversé
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
b) Sur la nocivité des clauses de l’accord Lupin
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
c) Sur le champ d’application de l’accord Lupin
1) Argumentation des parties
2) Appréciation de la Cour
3. Sur la troisième branche, relative à la date de fin de l’infraction
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
F. Sur le septième moyen, relatif aux amendes
1. Sur la première branche, relative à la violation du principe de légalité des délits et des peines
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
2. Sur la seconde branche, relative à la violation du principe de proportionnalité
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
G. Conclusions sur le pourvoi
VII. Sur le recours devant le Tribunal
Sur les dépens
« Pourvoi – Concurrence – Produits pharmaceutiques – Marché du périndopril – Article 101 TFUE – Ententes – Concurrence potentielle – Restriction de la concurrence par objet – Stratégie visant à retarder l’entrée sur le marché de versions génériques du périndopril – Accord de règlement amiable de litige en matière de brevets – Durée de l’infraction – Notion d’infraction unique – Annulation ou réduction de l’amende »
Dans l’affaire C‑201/19 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 28 février 2019,
Servier SAS, établie à Suresnes (France),
Servier Laboratories Ltd, établie à Stoke Poges (Royaume-Uni),
Les Laboratoires Servier SAS, établie à Suresnes,
représentées par Mes O. de Juvigny, J. Jourdan, T. Reymond, A. Robert, avocats, Me J. Killick, advocaat, et Mme M. I. F. Utges Manley, solicitor,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée initialement par Mme F. Castilla Contreras, MM. B. Mongin, et C. Vollrath, puis par Mme F. Castilla Contreras, MM. F. Castillo de la Torre, B. Mongin, Mme J. Norris ainsi que M. C. Vollrath, et enfin par Mme F. Castilla Contreras, M. F. Castillo de la Torre, Mme J. Norris et M. C. Vollrath, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
soutenue par :
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme D. Guðmundsdóttir, en qualité d’agent, assistée de M. J. Holmes, KC, puis par MM. L. Baxter, F. Shibli, Mmes D. Guðmundsdóttir et J. Simpson, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, KC, et M. P. Woolfe, barrister, et enfin par M. S. Fuller, en qualité d’agent, assisté de M. J. Holmes, KC, et M. P. Woolfe, barrister,
partie intervenante au pourvoi,
European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA), établie à Genève (Suisse), représentée par Me F. Carlin, avocate,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. M. Longar et Mme R. Şereş, administrateurs,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 octobre 2021,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, Servier SAS, Servier Laboratories Ltd et Les Laboratoires Servier SAS demandent l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, ci-après l’ arrêt attaqué ,EU:T:2018:922), par lequel celui-ci a partiellement rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du 9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de
l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)] (ci-après la « décision litigieuse »), en tant qu’elle les concerne, et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée par cette décision.
I. Le cadre juridique
A. Le règlement (CE) no 1/2003
2 L’article 2 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé « Charge de la preuve », dispose :
« Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles [101] et [102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article [101], paragraphe 3, [TFUE] d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. »
B. Les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004
3 Le point 209 des lignes directrices de la Commission européenne, du 27 avril 2004, relatives à l’application de l’article [101 TFUE] aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004 »), prévoit :
« Dans le cadre d’un accord de règlement et de non-revendication, des clauses de non-contestation sont généralement considérées comme ne relevant pas de l’article [101, paragraphe 1, TFUE]. Une caractéristique propre à de tels accords est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriété intellectuelle qu’ils couvrent. En effet, le véritable objectif de l’accord est de régler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs. »
C. Les lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie
4 Les points 242 et 243 des lignes directrices concernant l’application de l’article 101 [TFUE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO 2014, C 89, p. 3) prévoient :
« Clauses de non-contestation dans les accords de règlement
242. Dans le cadre d’un accord de règlement, des clauses de non-contestation sont généralement considérées comme ne relevant pas de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE]. Une caractéristique propre à de tels accords est que les parties conviennent de ne pas contester a posteriori les droits de propriété intellectuelle qui étaient au cœur du litige. En effet, le véritable objectif de l’accord est de régler les litiges existants et/ou d’éviter des litiges futurs.
243. Cependant, les clauses de non-contestation contenues dans les accords de règlement peuvent, dans des circonstances spécifiques, être anticoncurrentielles et tomber sous le coup de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE]. La limitation de la liberté de contester un droit de propriété intellectuelle ne fait pas partie de l’objet spécifique d’un droit de propriété intellectuelle et peut restreindre la concurrence. Par exemple, une clause de non-contestation est susceptible d’être contraire à
l’article 101, paragraphe 1, lorsqu’un droit de propriété intellectuelle a été accordé à la suite de la fourniture d’indications inexactes ou dénaturées [...] L’examen de ces clauses peut également être nécessaire si le donneur, outre la concession des droits sur technologie, incite le preneur, financièrement ou par un autre moyen, à accepter de ne pas contester la validité des droits sur technologie ou si ceux-ci sont un facteur nécessaire pour la production du preneur [...] »
II. Les antécédents du litige
5 Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent, notamment, des points 1 à 73 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
A. Le périndopril
6 Servier SAS est la société mère du groupe pharmaceutique Servier qui comprend Les Laboratoires Servier SAS et Servier Laboratories Ltd (ci-après, prises individuellement ou ensemble, « Servier »). La société Les Laboratoires Servier est spécialisée dans le développement de médicaments princeps, sa filiale Biogaran SAS dans celui des médicaments génériques.
7 Servier a mis au point le périndopril, un médicament principalement destiné à lutter contre l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Ce médicament fait partie des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Le principe actif du périndopril se présente sous la forme d’un sel. Le sel utilisé initialement était l’erbumine.
8 Le brevet EP0049658, relatif au principe actif du périndopril, a été déposé par une société du groupe Servier devant l’Office européen des brevets (OEB) le 29 septembre 1981. Ce brevet devait arriver à expiration le 29 septembre 2001, mais sa protection a été étendue dans plusieurs États membres, notamment au Royaume-Uni, jusqu’au 22 juin 2003. En France, la protection dudit brevet a été étendue jusqu’au 22 mars 2005 et, en Italie, jusqu’au 13 février 2009.
9 Le 16 septembre 1988, Servier a déposé devant l’OEB plusieurs brevets relatifs aux procédés de fabrication du principe actif du périndopril qui expiraient le 16 septembre 2008, à savoir : les brevets EP0308339 (ci-après, le « brevet 339 »), EP0308340 (ci-après, le « brevet 340 »), EP0308341 (ci-après, le « brevet 341 ») et EP0309324.
10 Le 6 juillet 2001, Servier a déposé auprès de l’OEB le brevet EP1296947 (ci-après le « brevet 947 »), relatif à la forme cristalline alpha du périndopril erbumine et à son procédé de fabrication, lequel a été délivré par l’OEB le 4 février 2004.
11 Le 6 juillet 2001, Servier a, en outre, déposé des demandes de brevets nationaux dans plusieurs États membres avant que ceux-ci ne soient parties à la convention sur la délivrance de brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973 et entrée en vigueur le 7 octobre 1977. Servier a, par exemple, déposé des demandes de brevets correspondant au brevet 947 en Bulgarie (BG 107532), en République tchèque (PV2003-357), en Estonie (P200300001), en Hongrie (HU225340), en Pologne (P348492) et en
Slovaquie (PP0149-2003). Ces brevets ont été délivrés le 16 mai 2006 en Bulgarie, le 17 août 2006 en Hongrie, le 23 janvier 2007 en République tchèque, le 23 avril 2007 en Slovaquie et le 24 mars 2010 en Pologne.
B. Les litiges relatifs au périndopril
12 Entre l’année 2003 et l’année 2009, plusieurs litiges ont opposé Servier à des fabricants s’apprêtant à commercialiser une version générique du périndopril.
1. Les décisions de l’OEB
13 Au cours de l’année 2004, dix fabricants de médicaments génériques, dont Niche Generics Ltd (ci-après « Niche »), KRKA, tovarna zdravil, d.d. (ci-après « Krka »), Lupin Ltd et Norton Healthcare Ltd, filiale d’Ivax Europe, qui a fusionné ultérieurement avec Teva Pharmaceutical Industries Ltd, société mère du groupe Teva, spécialisé dans la fabrication de médicaments génériques, ont formé opposition contre le brevet 947 devant l’OEB, en vue d’obtenir sa révocation, en invoquant des motifs tirés du
manque de nouveauté et d’activité inventive ainsi que du caractère insuffisant de l’exposé de l’invention.
14 Le 27 juillet 2006, la division d’opposition de l’OEB a confirmé la validité du brevet 947 (ci-après la « décision de l’OEB du 27 juillet 2006 »). Cette décision a été contestée devant la chambre de recours technique de l’OEB. Après avoir conclu un accord de règlement amiable avec Servier, Niche s’est désistée de la procédure d’opposition le 9 février 2005. Krka et Lupin se sont désistées de la procédure devant la chambre de recours technique de l’OEB, respectivement, le 11 janvier et le
5 février 2007.
15 Par une décision du 6 mai 2009, la chambre de recours technique de l’OEB a annulé la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et révoqué le brevet 947. La requête en révision déposée par Servier contre cette décision de la chambre de recours technique a été rejetée le 19 mars 2010.
2. Les décisions des juridictions nationales
16 La validité du brevet 947 a été contestée devant certaines juridictions nationales par des fabricants de médicaments génériques et Servier a introduit des actions en contrefaçon ainsi que des demandes d’injonctions provisoires contre ces fabricants. La plupart de ces procédures ont été clôturées avant que les juridictions saisies n’aient pu statuer définitivement sur la validité du brevet 947 en raison d’accords de règlement amiable conclus, entre l’année 2005 et l’année 2007, par Servier avec
Niche, Matrix Laboratories Ltd (ci-après « Matrix »), Teva, Krka et Lupin.
17 Au Royaume-Uni, seul le litige opposant Servier à Apotex Inc. a donné lieu à la constatation, par voie judiciaire, de l’invalidité du brevet 947. En effet, le 1er août 2006, Servier a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets), Royaume-Uni], d’une action en contrefaçon du brevet 947 contre Apotex, qui avait commencé à commercialiser une version générique du
périndopril sur le marché du Royaume-Uni. Le 8 août 2006, Servier a obtenu le prononcé d’une injonction provisoire contre Apotex. Le 6 juillet 2007, à la suite d’une demande reconventionnelle d’Apotex, cette injonction provisoire a été levée et le brevet 947 a été invalidé, permettant ainsi à cette entreprise de mettre sur le marché au Royaume-Uni une version générique du périndopril. Le 9 mai 2008, la décision d’invalidation du brevet 947 a été confirmée en appel.
18 Aux Pays-Bas, le 13 novembre 2007, Katwijk Farma BV, une filiale d’Apotex, a saisi une juridiction de cet État membre d’une demande d’invalidation du brevet 947. Servier a saisi cette juridiction d’une demande d’injonction provisoire, laquelle a été rejetée le 30 janvier 2008. Ladite juridiction, par une décision du 11 juin 2008 dans une procédure introduite le 15 août 2007 par Pharmachemie BV, une société du groupe Teva, a invalidé le brevet 947 pour les Pays-Bas. À la suite de cette décision,
Servier et Katwijk Farma se sont désistées de leurs demandes.
C. Les accords de règlement amiable des litiges relatifs au périndopril
1. Les accords Niche et Matrix
19 Niche est une filiale d’Unichem Laboratories Ltd (ci-après « Unichem »), société de droit indien spécialisée dans la fabrication de médicaments génériques. Le 26 mars 2001, les sociétés aux droits desquels Niche et Matrix ont succédé ont conclu un accord de coopération pour le développement d’une version générique du périndopril. Aux termes de cet accord, la société aux droits desquels Matrix est venue était chargée de la production du principe actif de ce médicament, l’autre société partie audit
accord étant responsable de l’obtention des autorisations de mise sur le marché et de la distribution dudit médicament.
20 Le 25 juin 2004, Servier a introduit une action en contrefaçon des brevets 339, 340 et 341 devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] contre Niche, qui, par voie reconventionnelle, a demandé l’invalidation du brevet 947. Matrix a participé à cette procédure en effectuant des dépositions. La date de l’audience dans ladite procédure avait été fixée aux 7
et 8 février 2005.
21 Le 8 février 2005, Servier a conclu deux accords de règlement amiable de ces litiges ainsi que des procédures devant l’OEB relatives au brevet 947, le premier avec Niche et Unichem (ci-après l’« accord Niche ») et le second avec Matrix (ci-après l’« accord Matrix »).
22 Chacun de ces accords contenait, d’une part, des clauses dites de « non-commercialisation », par lesquelles ces entreprises s’engageaient, jusqu’à l’expiration des brevets pertinents de Servier relatifs au périndopril, à s’abstenir de fabriquer, de fournir ou de commercialiser toute forme générique du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par ces brevets et, d’autre part, des clauses dites de « non-contestation », par lesquelles lesdites entreprises s’engageaient à s’abstenir et à se
désister de toute action tendant à contester la validité desdits brevets ou à obtenir des déclarations de non-contrefaçon.
23 En contrepartie, Servier s’engageait, d’une part, à ne pas introduire d’actions en contrefaçon contre lesdites entreprises et, d’autre part, à les indemniser pour les coûts pouvant résulter de la cessation de leur programme de développement d’une version du périndopril fabriqué selon les procédés protégés par les brevets de Servier. Cette indemnisation devait donner lieu à deux paiements en faveur, pour le premier, de Niche et, pour le second, de Matrix, de la somme de 11,8 millions de livres
sterling (GBP) chacun. Ces accords couvraient, notamment, tous les États membres de l’Espace économique européen (EEE) dans lesquels les brevets 339, 340, 341 et 947 étaient en vigueur.
24 Aux termes d’un troisième accord, également conclu le 8 février 2005, Niche s’est engagée à transférer à Biogaran des dossiers d’autorisations de mise sur le marché pour trois médicaments autres que le périndopril, ainsi qu’une autorisation de mise sur le marché obtenue en France pour l’un de ces trois médicaments (ci-après l’« accord Biogaran »). En contrepartie, Biogaran devait verser à Niche la somme de 2,5 millions de GBP, laquelle n’était pas remboursable, même en cas de non-obtention de ces
autorisations de mise sur le marché.
2. L’accord Teva
25 Le 9 août 2005, Ivax a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] d’une action tendant à l’invalidation du brevet 947. Cette procédure a été suspendue dans l’attente de l’adoption de la décision mettant un terme à la procédure devant l’OEB relative à la révocation de ce brevet.
26 Le 13 juin 2006, Servier et Teva UK Limited ont conclu un accord de règlement amiable (ci-après l’« accord Teva »). Cet accord, qui couvrait uniquement le Royaume-Uni, avait une durée de trois ans, renouvelable pour une durée supplémentaire de deux ans. Aux termes dudit accord, Teva s’engageait à s’approvisionner exclusivement auprès de Servier pour le périndopril destiné à être distribué au Royaume-Uni. Outre cette clause d’approvisionnement exclusif, le même accord contenait également une
clause de non-contestation des brevets 339, 340, 341 et 947, dont Servier était titulaire, ainsi qu’une clause de non-commercialisation, ayant pour champ d’application le territoire du Royaume-Uni. En vertu de cette dernière clause, Teva était tenue de s’abstenir de produire ou de commercialiser dans cet ancien État membre toute forme générique du périndopril que Servier considérait comme constituant une contrefaçon de ses brevets. En contrepartie, Servier a versé à Teva la somme de 5 millions de
GBP.
27 L’accord Teva contenait par ailleurs une clause d’indemnité forfaitaire. Selon cette clause, si Servier ne parvenait pas à fournir du périndopril à Teva à compter du 1er août 2006, elle serait alors tenue de verser une indemnité forfaitaire d’un montant de 500000 GBP par mois à Teva, cette dernière ne disposant alors d’aucun droit de recours contre Servier ni du droit de résilier l’accord Teva.
28 Faute d’avoir fourni Teva en périndopril à la date du 1er août 2006, conformément à l’accord Teva, Servier a versé à Teva une indemnité forfaitaire d’un montant de 5,5 millions de GBP, portant ainsi le montant total des paiements effectués en exécution de l’accord Teva à 10,5 millions de GBP.
29 Le 23 février 2007, Servier et Teva ont conclu un avenant à l’accord Teva. Tout en confirmant la clause d’approvisionnement exclusif, cet avenant prévoyait que Teva pourrait commencer à distribuer le périndopril de Servier soit à une date fixée par cette dernière, soit à la date de révocation ou d’expiration du brevet 947, soit à la date à partir de laquelle Apotex commencerait à distribuer une version générique du périndopril au Royaume-Uni.
3. Les accords Krka
30 Le 3 octobre 2006, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] a, dans le cadre d’actions en contrefaçon des brevets 340 et 947, émis une injonction provisoire contre Krka et rejeté la demande de procédure sommaire par laquelle cette dernière contestait, par voie reconventionnelle, la validité du brevet 947.
31 À la suite de cette décision et de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Servier et Krka ont conclu trois accords (ci-après les « accords Krka »). Le 27 octobre 2006, elles ont conclu un accord de règlement amiable des litiges relatifs aux brevets 340 et 947 ainsi qu’un accord de licence, et, le 5 janvier 2007, un accord de cession et de licence.
32 Par cet accord de règlement amiable, Servier s’est désistée de ses actions en contrefaçon de ces brevets contre Krka et cette dernière a renoncé à contester la validité desdits brevets dans le monde entier et à commercialiser une version générique du périndopril contrefaisant le brevet 947.
33 Par l’accord de licence, Servier a concédé à Krka une licence exclusive et irrévocable sur le brevet 947 en République tchèque, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne, en Slovénie et en Slovaquie. En contrepartie, Krka était tenue de verser à Servier une redevance de 3 % du montant net de ses ventes sur l’ensemble de ces territoires.
34 En vertu de l’accord de cession et de licence, Krka a transféré deux demandes de brevets à Servier relatives au périndopril. En contrepartie de cette cession, Servier a versé à Krka la somme de 30 millions d’euros.
4. L’accord Lupin
35 Le 18 octobre 2006, Lupin a saisi la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)] d’une action en invalidation du brevet 947 et en déclaration de non-contrefaçon de ce brevet par la version générique du périndopril qu’elle entendait commercialiser au Royaume-Uni.
36 Le 30 janvier 2007, Servier et Lupin ont mis fin à ce litige et à la procédure les opposant devant l’OEB relative au brevet 947, par un accord de règlement amiable (ci-après l’« accord Lupin »).
37 Cet accord contenait une clause dite de « non-contestation », par laquelle Lupin s’engageait à ne pas remettre en cause les brevets de Servier relatifs au périndopril. Il contenait également une clause dite de « non-commercialisation ». En vertu de cette dernière clause, Lupin s’est engagée à s’abstenir de vendre une version générique du « périndopril erbumine [...] et tout sel de celui-ci ». Il ressort du point 54 de l’arrêt attaqué que « Lupin était cependant autorisée à commercialiser des
produits fournis par Servier ou son propre périndopril dans les pays où une version générique du périndopril autorisée par Servier était sur le marché ou en cas d’expiration de tous les brevets pertinents de Servier ou dans les pays dans lesquels un tiers avait mis sur le marché une version générique du périndopril et dans lesquels Servier n’avait introduit aucune demande d’injonction tendant à l’interdiction de sa vente ». Ces clauses de non-contestation et de non-commercialisation
s’appliquaient aux territoires de tous les États membres de l’EEE.
38 L’accord Lupin contenait en outre une clause de cession et de licence, en vertu de laquelle Lupin cédait à Servier des droits de propriété intellectuelle couverts par trois demandes de brevets portant sur des procédés de préparation du périndopril, droits que Servier s’engageait à rétrocéder en licence à Lupin. En contrepartie de cette cession, Servier a versé à Lupin 40 millions d’euros.
39 Enfin, l’accord Lupin prévoyait que Servier et Lupin feraient usage de « tous les moyens raisonnables » afin de conclure un accord d’approvisionnement par lequel Servier fournirait du périndopril à Lupin.
III. La décision litigieuse
40 Le 9 juillet 2014, la Commission a adopté la décision litigieuse. La Commission a considéré, d’une part, que les accords Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin constituaient des restrictions de la concurrence par objet et par effet. En conséquence, elle a qualifié ces accords d’infractions à l’article 101 TFUE. La Commission a considéré, d’autre part, que la conclusion desdits accords, en conjonction avec d’autres agissements comme l’acquisition de technologies relatives au principe actif du
périndopril, constituait, de la part de Servier, une stratégie visant à retarder l’entrée de versions génériques sur le marché de ce médicament, sur lequel cette entreprise détenait une position dominante. La Commission a considéré que cet abus de position dominante constituait une infraction à l’article 102 TFUE.
41 Aux articles 1er à 5 de cette décision, la Commission a constaté que Servier avait enfreint l’article 101 TFUE, en participant aux accords Niche, Matrix, Teva, Krka et Lupin. En particulier, aux articles 1er et 2 de ladite décision, la Commission a souligné que l’accord Niche et l’accord Matrix avaient chacun constitué une infraction couvrant tous les États qui étaient membres de l’Union européenne à la date d’adoption de la même décision, à l’exception de l’Italie et de la Croatie, que ces
infractions avaient commencé le 8 février 2005, sauf en ce qui concerne la Lettonie, où elles avaient commencé le 1er juillet 2005, la Bulgarie et la Roumanie, où elles avaient commencé le 1er janvier 2007, et Malte, où elles avaient commencé le 1er mars 2007, et que lesdites infractions avaient pris fin le 15 septembre 2008, sauf en ce qui concerne le Royaume-Uni, où elles avaient pris fin le 6 juillet 2007, et les Pays-Bas, où elles avaient pris fin le 12 décembre 2007.
42 À l’article 3 de la décision litigieuse, la Commission a constaté que l’accord Teva constituait une infraction couvrant le Royaume-Uni, qui avait commencé le 13 juin 2006 et pris fin le 6 juillet 2007.
43 À l’article 5 de la décision litigieuse, la Commission a constaté que l’accord Lupin constituait une infraction couvrant tous les États qui étaient alors membres de l’Union, à l’exception de la Croatie. La Commission a indiqué que cette infraction avait commencé le 30 janvier 2007, sauf en ce qui concerne Malte, où elle avait commencé le 1er mars 2007, et l’Italie, où elle avait commencé le 13 février 2009, que ladite infraction avait pris fin le 6 mai 2009, sauf en ce qui concerne le
Royaume-Uni, où elle avait pris fin le 6 juillet 2007, les Pays-Bas, où elle avait pris fin le 12 décembre 2007, et la France, où elle avait pris fin le 16 septembre 2008.
44 À l’article 7, paragraphes 1 à 5, de la décision litigieuse, la Commission a fixé le montant total des amendes infligées à Servier pour les infractions à l’article 101 TFUE à 289727200 euros, dont 131532600 euros au titre de sa participation à l’accord Niche, 79121700 euros au titre de sa participation à l’accord Matrix, 4309000 euros au titre de sa participation à l’accord Teva, 37661800 euros au titre de sa participation aux accords Krka et 37102100 euros au titre de sa participation à
l’accord Lupin.
IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
45 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 septembre 2014, Servier a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui avait été infligée par cette décision.
46 Par acte introduit le 2 février 2015, la European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) a demandé à intervenir au soutien des conclusions de Servier. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 14 octobre 2015.
47 Dans son recours en première instance, Servier soulevait 17 moyens à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
48 S’agissant des infractions à l’article 101 TFUE, le Tribunal a accueilli les moyens dirigés contre la constatation de l’infraction résultant des accords Krka. Il a écarté ceux relatifs au caractère infractionnel des accords Niche, Matrix, Teva et Lupin (ci-après les « accords litigieux »). Il a rejeté les conclusions subsidiaires de Servier tendant à l’annulation ou à la réduction des amendes qui lui avaient été infligées en raison de sa participation aux accords Niche, Teva et Lupin. En
revanche, il a réduit le montant de l’amende infligée à Servier en raison de sa participation à l’accord Matrix à 55385190 euros.
V. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
49 Par acte déposé au greffe de la Cour le 28 février 2019, Servier a introduit le présent pourvoi.
50 Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 mai 2019, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 16 juin 2019, le président de la Cour a fait droit à cette demande.
51 La Cour a invité les parties à présenter leurs observations écrites pour le 4 octobre 2021 sur les arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C‑586/16 P, EU:C:2021:241), du 25 mars 2021, Generics (UK)/Commission (C‑588/16 P, EU:C:2021:242), du 25 mars 2021, Arrow Group et Arrow Generics/Commission (C‑601/16 P, EU:C:2021:244), et
du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245). Servier, la Commission et le Royaume-Uni ont déféré à cette demande dans le délai imparti.
52 Par son pourvoi, Servier demande à la Cour :
– à titre principal, d’annuler les points 4 à 6 du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– d’annuler l’article 1er, sous b), l’article 2, sous b), l’article 3, sous b), l’article 5, sous b) et, en conséquence, l’article 7, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 2, sous b), l’article 7, paragraphe 3, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la décision litigieuse ou, à défaut, de renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il statue sur les effets des accords litigieux ;
– à titre subsidiaire, d’annuler les points 4 et 5 du dispositif de l’arrêt attaqué en ce qu’ils confirment les constatations opérées dans la décision litigieuse concernant l’existence d’infractions distinctes et d’amendes cumulatives pour les accords Niche et Matrix ainsi que, en conséquence, d’annuler l’article 1er, sous b), l’article 2, sous b), l’article 7, paragraphe 1, sous b), et l’article 7, paragraphe 2, sous b), de cette décision ;
– à titre très subsidiaire, d’annuler les points 4 et 5 du dispositif de l’arrêt attaqué ainsi que l’article 7, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 2, sous b), l’article 7, paragraphe 3, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la décision litigieuse au vu du moyen concernant la violation des principes de légalité des délits et des peines ainsi que de proportionnalité dans le cadre de la détermination du montant de l’amende ;
– d’annuler le point 5 du dispositif de l’arrêt attaqué ainsi que l’article 5, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la décision litigieuse au vu du moyen concernant la durée de l’infraction alléguée et le calcul du montant de l’amende relative à l’accord Lupin et de fixer, en conséquence, le montant de l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, et
– de condamner la Commission aux dépens.
53 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner les requérantes aux dépens relatifs à la procédure tant devant le Tribunal que devant la Cour.
54 L’EFPIA demande à la Cour :
– d’annuler les points 4 à 6 du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– d’annuler l’article 1er, sous b), l’article 2, sous b), l’article 3, sous b), et l’article 5, sous b), de la décision litigieuse et, en conséquence, l’article 7, paragraphe 1, sous b), l’article 7, paragraphe 2, sous b), l’article 7, paragraphe 3, sous b), et l’article 7, paragraphe 5, sous b), de celle-ci ou, à défaut, de renvoyer l’affaire au Tribunal et
– de condamner la Commission aux dépens du pourvoi et à ceux de la procédure en première instance.
55 Le Royaume-Uni demande à la Cour de faire droit aux conclusions de la Commission.
VI. Sur le pourvoi
56 Au soutien de son pourvoi, Servier soulève sept moyens. Le premier moyen est pris d’erreurs de droit concernant la notion de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le deuxième moyen est tiré d’erreurs de droit concernant la concurrence potentielle exercée par les fabricants de médicaments génériques sur Servier. Les troisième à cinquième moyens portent sur les constatations opérées par le Tribunal concernant les accords Niche, Matrix, Teva et Lupin.
À titre subsidiaire, Servier fait valoir, par son sixième moyen, des erreurs de droit quant à la qualification des accords Niche et Matrix en tant qu’infractions distinctes. À titre très subsidiaire, Servier fait valoir, par son septième moyen, la violation du principe de légalité des délits et des peines ainsi que du principe de proportionnalité, s’agissant des amendes qui lui ont été infligées au titre de l’article 101 TFUE.
A. Observations liminaires sur la recevabilité
57 Dans la mesure où la Commission conteste la recevabilité de certains des moyens et arguments du pourvoi, reprochant, notamment, à Servier de ne pas avoir identifié les motifs de l’arrêt attaqué qu’ils visent, d’avoir formulé des assertions de portée générale qui seraient étrangères aux griefs et au raisonnement exposés dans la décision litigieuse et dans l’arrêt attaqué, d’avoir réitéré certains de ses arguments invoqués en première instance sans expliquer en quoi ils établiraient des erreurs de
droit commises par le Tribunal et de contester des appréciations factuelles de ce dernier, il convient de rappeler d’emblée les limites du contrôle juridictionnel exercé par la Cour sur pourvoi.
58 À cet égard, il convient, tout d’abord, de souligner qu’il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).
59 En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié des faits, la Cour est compétente pour exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal a qualifié leur nature juridique et en a fait découler des conséquences en droit. Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, EU:C:2021:154, point 53
ainsi que jurisprudence citée).
60 Ensuite, il importe de rappeler que sont recevables, au stade du pourvoi, des griefs relatifs à la constatation des faits et à leur appréciation dans la décision attaquée lorsqu’il est allégué que le Tribunal a effectué des constatations dont l’inexactitude matérielle résulte des pièces du dossier ou qu’il a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis (arrêt du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 35).
61 Une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 43). Si une telle dénaturation peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, elle doit ressortir de façon manifeste du dossier et elle suppose que le Tribunal ait manifestement outrepassé les
limites d’une appréciation raisonnable de ces éléments de preuve. À cet égard, il ne suffit pas de montrer qu’un document pourrait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 64 ainsi que jurisprudence citée).
62 Enfin, il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir,
en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Mallis e.a./Commission et BCE, C‑105/15 P à C‑109/15 P, EU:C:2016:702, EU:C:2016:702, points 33 et 34). Selon la jurisprudence constante de la Cour, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour
(arrêt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C‑656/20 P, EU:C:2022:222, point 35 et jurisprudence citée).
63 Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait pas fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 24 mars 2022, Hermann Albers/Commission, C‑656/20 P,
EU:C:2022:222, point 36 et jurisprudence citée).
B. Sur les premier et deuxième moyens, relatifs aux critères d’appréciation des notions de restriction de la concurrence par objet et de concurrence potentielle
64 Par ses premier et deuxième moyens, Servier soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation et dans l’application des notions de restriction de la concurrence par objet et de concurrence potentielle.
1. Sur la recevabilité
65 La Commission fait valoir que les premier et deuxième moyens sont partiellement irrecevables. Cette institution déplore le caractère général et abstrait d’une partie de l’argumentation de Servier, qui n’aurait pas exposé avec le degré de précision requis les motifs de l’arrêt attaqué qu’elle critique et les erreurs de droit qu’elle invoque. Servier se bornerait par ailleurs à répéter des arguments invoqués en première instance sans expliquer quelles seraient les erreurs de droit que le Tribunal
aurait commises en écartant ces arguments. Il s’ensuivrait que les premier et deuxième moyens ne seraient recevables que dans la mesure où l’argumentation de Servier est liée à un grief spécifique aux accords Niche, Matrix, Teva ou Lupin, identifie avec précision le motif de l’arrêt attaqué qui fait l’objet de ses critiques et expose l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal.
66 En l’occurrence, il est vrai que les premier et deuxième moyens soulevés par Servier visent à remettre en cause de manière générale et abstraite la validité des critères juridiques sur le fondement desquels le Tribunal a statué sur la qualification des accords litigieux de restriction de la concurrence par objet. Il est également vrai que, dans le cadre de ces moyens, le pourvoi n’indique pas systématiquement de manière précise les points de l’arrêt attaqué faisant l’objet de critiques ni les
arguments juridiques visant à démontrer l’existence d’erreurs de droit et se limite occasionnellement à répéter des arguments invoqués en première instance.
67 Toutefois, ainsi que la Commission le reconnaît expressément, cette argumentation, en dépit de son caractère général, recoupe et complète celle que développe Servier de manière spécifique à l’égard de chacun des accords litigieux, dans le cadre des troisième à sixième moyens de son pourvoi. Le fait que Servier a choisi de scinder son argumentation juridique relative au caractère infractionnel des accords litigieux en deux parties, l’une générale et pertinente aux fins de l’examen de tous ces
accords, l’autre spécifique et propre à chacun desdits accords pris individuellement, ne la rend pas irrecevable au regard des principes rappelés aux points 58 à 63 du présent arrêt. En effet, il ressort d’une lecture combinée de l’ensemble de ces moyens que le pourvoi permet d’identifier de manière suffisamment précise tant les points de l’arrêt attaqué contestés par Servier que les arguments juridiques invoqués à l’appui de ses critiques.
68 Les premier et deuxième moyens du pourvoi étant suffisamment clairs et précis pour permettre à la Commission de se défendre et à la Cour d’exercer son contrôle, ces moyens sont recevables. La Cour statuera sur les autres fins de non-recevoir soulevées de manière plus spécifique par la Commission dans le cadre de l’examen des troisième à sixième moyens du pourvoi.
2. Sur le fond
a) Observations liminaires
69 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
70 Ainsi, pour tomber sous l’interdiction de principe prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un comportement d’entreprises doit révéler l’existence d’une collusion entre elles, à savoir un accord entre entreprises, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31 ainsi que jurisprudence citée].
71 Cette dernière exigence suppose, s’agissant d’accords de coopération horizontale conclus entre des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production ou de distribution, que ladite collusion intervienne entre des entreprises se trouvant en situation de concurrence si ce n’est actuelle du moins potentielle [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 32].
72 En outre, il est nécessaire, conformément aux termes mêmes de cette disposition, de démontrer soit que ce comportement a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, soit que ce comportement a un tel effet (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 158). Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de restriction par objet et celle de restriction par
effet, chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63].
73 Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit
Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 115, ainsi que du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 159).
74 En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’une association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 17).
75 Cette distinction tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (arrêts du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C‑209/07, EU:C:2008:643, point 17, et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 35). La notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de
manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certains accords entre entreprises révélant, en eux-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’ils visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 20, et
du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, points 161 et 162 ainsi que jurisprudence citée).
76 À cet égard, s’agissant du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause, il y a lieu de prendre en considération la nature des produits ou des services concernés ainsi que les conditions réelles qui caractérisent la structure et le fonctionnement du ou des secteurs ou marchés en question. En revanche, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence, qu’ils soient réels ou
potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 166).
77 Quant aux buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l’égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023, European
Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée).
78 La mise en œuvre des principes qui viennent d’être rappelés à l’égard de pratiques collusoires prenant la forme d’accords de coopération horizontale entre entreprises, tels que les accords litigieux, implique de déterminer, dans un premier stade, si ces pratiques peuvent être qualifiées de restriction de la concurrence par des entreprises se trouvant dans une situation de concurrence, ne serait-ce que potentielle. Si tel est le cas, il y a lieu de vérifier, dans un second stade, si, eu égard à
leurs caractéristiques économiques, lesdites pratiques relèvent de la qualification de restriction de la concurrence par objet.
79 S’agissant du premier stade de cette analyse, la Cour a déjà jugé que, dans le contexte spécifique de l’ouverture du marché d’un médicament aux fabricants de médicaments génériques, il convient de déterminer, afin d’apprécier si l’un de ces fabricants, bien qu’absent d’un marché, se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec un fabricant de médicaments princeps présent sur ce marché, s’il existe des possibilités réelles et concrètes que le premier intègre ledit marché et concurrence
le second [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
80 Ainsi, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si, à la date de conclusion de tels accords, le fabricant de médicaments génériques avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. De telles démarches permettent d’établir l’existence de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au
marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps. Deuxièmement, il doit être vérifié que l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 43 à 45].
81 La Cour a déjà jugé que d’éventuels brevets protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication font incontestablement partie du contexte économique et juridique caractérisant les rapports de concurrence entre les titulaires de ces brevets et les fabricants de médicaments génériques. Toutefois, l’appréciation des droits conférés par un brevet ne doit pas consister en un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un
fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Cette appréciation doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 50].
82 Par ailleurs, le constat d’une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments génériques et un fabricant de médicaments princeps peut être corroboré par des éléments supplémentaires, tels que la conclusion d’un accord entre eux lorsque le fabricant de médicaments génériques n’était pas présent sur le marché concerné, ou l’existence de transferts de valeur au profit de ce fabricant en contrepartie du report de son entrée sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020,
Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 54 à 56].
83 Dans un second stade de ladite analyse, afin de déterminer si un report de l’entrée sur le marché de médicaments génériques, résultant d’un accord de règlement amiable de litige en matière de brevets, en contrepartie de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de ces médicaments génériques doit être considéré comme étant une pratique collusoire constitutive d’une restriction de la concurrence par objet, il y a lieu d’examiner d’abord si ces transferts de
valeur peuvent se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps. Si tel n’est pas le cas, il importe de vérifier si ces transferts de valeur s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se
livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il convient, dans chaque cas d’espèce, d’apprécier si le solde positif net des transferts de valeur était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et, partant, à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices que ce fabricant
de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 94].
84 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la contestation de la validité et de la portée d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies, de sorte que des accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne
pas le contester pas plus qu’à entrer sur ce marché sont susceptibles de restreindre la concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 81 et jurisprudence citée].
85 C’est au regard des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de vérifier si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a statué sur l’argumentation de Servier invoquée en particulier dans le cadre du quatrième moyen de première instance, pris d’erreurs de droit dans la définition des critères juridiques applicables à l’analyse de l’objet et des effets des accords litigieux au regard de l’article 101 TFUE ainsi que celle développée de manière plus spécifique, à l’égard de
l’application de ces critères à chacun de ces accords.
86 Ainsi, une fois établie l’existence des éléments relatifs à la concurrence potentielle, qui font l’objet des critiques d’ordre général formulées dans le cadre du deuxième moyen du pourvoi, il y a lieu, dans ce second stade de la même analyse, de vérifier si c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a constaté que les accords litigieux restreignaient la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il convient également de vérifier si le Tribunal a examiné, dans
ce contexte, les objectifs de ces accords et, plus particulièrement, la question de savoir si les transferts de valeur par Servier en faveur des fabricants de médicaments génériques étaient suffisamment importants pour inciter ces derniers à renoncer, ne serait-ce que temporairement, à entrer sur le marché du périndopril.
87 En outre, il convient de s’assurer que le Tribunal a pris en considération, au besoin, les intentions des entreprises impliquées pour vérifier si elles correspondaient à son analyse, au vu des éléments visés au point précédent, des buts objectifs que ces entreprises visaient à atteindre à l’égard de la concurrence, étant cependant précisé que, conformément à la jurisprudence visée au point 77 du présent arrêt, la circonstance que lesdites entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de
restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Seule est pertinente l’appréciation du degré de nocivité économique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné. Cette appréciation doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ladite pratique, ainsi que de ses
objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].
88 C’est pourquoi, afin de déterminer si une pratique collusoire peut être qualifiée de restriction de la concurrence par objet, il convient d’examiner son contenu, sa genèse, ainsi que son contexte économique et juridique, en particulier les caractéristiques spécifiques du marché dans lequel se produiront concrètement ses effets. Le fait que les termes d’un accord destiné à mettre en œuvre cette pratique ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est pas, en soi, déterminant (voir, en ce sens,
arrêts du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, EU:C:1983:310, points 23 à 25, ainsi que du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 26).
89 En l’espèce, dans une partie de l’arrêt attaqué consacrée aux erreurs de droit prétendument commises par la Commission relatives à la notion de restriction de la concurrence par objet, le Tribunal a d’abord examiné de manière générale, aux points 219 à 307 de cet arrêt, les critères permettant de considérer que des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets relèvent de cette notion, avant d’exposer, aux points 316 à 386 dudit arrêt, les critères d’appréciation de la concurrence
potentielle. Ce faisant, il a inversé l’ordre dans lequel il convient, en principe, d’examiner ces deux éléments, présentés au point 78 du présent arrêt, car il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si des accords ont pour objet de restreindre la concurrence si les entreprises en cause ne sont pas dans un rapport de concurrence. Toutefois, cette inversion est en soi sans conséquence pour le bien-fondé de l’analyse de ces deux éléments effectuée par le Tribunal en l’espèce. En
effet, lorsqu’il s’est ensuite agi de se prononcer de manière spécifique sur les moyens de première instance concernant le caractère infractionnel au regard de l’article 101 TFUE des accords litigieux, le Tribunal a suivi cet ordre, puisqu’il a systématiquement examiné la question de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre les parties à ces accords avant d’analyser leur qualification de restriction de la concurrence par objet.
90 Compte tenu de ce qui précède, dans la mesure où le deuxième moyen se rapporte aux critères relatifs à la concurrence potentielle, il convient de statuer d’abord sur ce moyen, puis d’examiner le premier moyen, relatif aux critères de qualification d’une restriction de la concurrence par objet.
b) Sur les critères relatifs à la concurrence potentielle (deuxième moyen)
1) Argumentation des parties
91 Par son deuxième moyen, qui s’articule en trois branches, Servier fait valoir que l’arrêt attaqué repose sur une conception extensive de la notion de concurrence potentielle et opère un renversement de la charge de la preuve qui incombe à la Commission. Elle fait valoir, à titre liminaire, que la seule conclusion d’un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets ne permet pas de déduire qu’il existe, entre les parties à cet accord, une concurrence potentielle. Par ailleurs, au
point 386 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé qu’il suffisait pour établir l’existence d’un rapport de concurrence potentielle que la Commission, en l’absence de preuves contraires relatives à des difficultés techniques, réglementaires ou financières, établisse un faisceau d’indices concordants attestant de démarches visant à la production et à la commercialisation du produit en cause dans un délai suffisamment court pour peser sur l’opérateur présent sur le marché concerné. Cette
appréciation aurait conduit le Tribunal à commettre trois erreurs de droit.
92 Par la première branche de son deuxième moyen, Servier soutient que le Tribunal a fait abstraction des obstacles brevetaires. Il aurait considéré, aux points 384, 444 et 728 de l’arrêt attaqué, que, en l’absence d’une décision définitive d’une autorité sur l’existence d’actes de contrefaçon et sur la validité d’un brevet, l’appréciation par les parties des chances de succès d’une action contentieuse ne pouvait être prise en compte qu’au titre de l’intention des parties. Le Tribunal aurait ainsi
exclu que, avant l’adoption d’une telle décision, la perception par les parties de la validité d’un brevet puisse être prise en considération afin de déterminer si les fabricants de médicaments génériques avaient la capacité d’entrer sur le marché concerné. Dans la mesure où, par définition, un accord de règlement amiable d’un litige ne peut être conclu qu’avant l’adoption d’une telle décision, le Tribunal aurait ainsi exigé une condition impossible à satisfaire et inadaptée au contexte des
litiges en matière de brevets pharmaceutiques. Par ailleurs, Servier reproche au Tribunal d’avoir écarté, aux points 366, 367, 591 et 592 de l’arrêt attaqué, la prise en compte des injonctions judiciaires dans ce contexte en raison de leur caractère provisoire.
93 Selon Servier, même en l’absence d’une telle décision, la capacité d’un fabricant de médicaments génériques d’entrer sur le marché peut être remise en cause par l’existence d’un brevet si celui-ci est perçu comme étant suffisamment fort pour dissuader ce fabricant d’effectuer une entrée dite « à risque », compte tenu de la possibilité de faire l’objet d’une action en contrefaçon de la part du fabricant du médicament princeps. Servier souligne, à cet égard, que le Tribunal a expressément constaté
un tel effet dissuasif découlant de la perception, par Krka, de la validité du brevet 947. Le Tribunal aurait ainsi commis une erreur de droit de nature à vicier la qualification de Niche, de Matrix, de Teva et de Lupin de concurrents potentiels de Servier.
94 Par la deuxième branche de son deuxième moyen, Servier fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 386 de l’arrêt attaqué, qu’un faisceau d’indices attestant de l’existence de simples démarches visant à la production et à la commercialisation d’un médicament générique, dont les chances de succès dans un bref délai sont inconnues, suffisait à démontrer une capacité réelle et concrète d’entrer sur le marché. Selon Servier, de telles démarches attestent – tout
au plus – d’une volonté d’entrer sur le marché, mais ne suffisent pas à établir, en présence de très fortes barrières à l’entrée, la probabilité concrète d’une entrée sur le marché suffisamment rapide, laquelle dépendrait du stade du développement du médicament générique et de la capacité pour le fabricant de ce médicament d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. Dans ces conditions, le Tribunal ne pouvait exclure, au point 340 de cet arrêt, que des retards dans le processus d’entrée sur
le marché subis par les fabricants de médicaments génériques puissent porter atteinte à leur capacité d’intégrer ce marché. Servier invoque, par ailleurs, plusieurs erreurs relatives à l’appréciation de la concurrence potentielle, s’agissant des accords litigieux.
95 Par la troisième branche de son deuxième moyen, Servier, soutenue par l’EFPIA, critique le Tribunal pour avoir jugé que, afin de remettre en cause les indices de l’existence de rapports de concurrence potentielle invoqués par la Commission, il appartenait aux entreprises responsables des infractions constatées par la décision litigieuse de prouver que l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché se heurtait à des obstacles insurmontables. Ce faisant, le Tribunal aurait renversé la charge de la
preuve qui incombe à la Commission et imposé à ces entreprises une preuve impossible à rapporter (probatio diabolica). Afin de remettre en cause les indices de l’existence d’une concurrence potentielle, Servier estime qu’il suffit de démontrer que les allégations de la Commission sont douteuses ou erronées.
96 De surcroît, au point 386 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait pas pu, sans enfreindre le principe de bonne administration, imposer à Servier la charge de démontrer que les fabricants de médicaments génériques étaient confrontés à des obstacles insurmontables puisque, selon cette entreprise, seuls ces fabricants disposent des informations pertinentes à cet égard. Or, en refusant d’utiliser ses pouvoirs d’enquête pour recueillir ces informations, la Commission aurait enfreint le principe de
bonne administration.
97 La Commission, soutenue par le Royaume-Uni, conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
98 S’agissant des critères permettant de constater l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre deux entreprises, le Tribunal a considéré, en substance, aux points 318 à 321 de l’arrêt attaqué, qu’un concurrent potentiel est celui qui dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché en cause. Une telle constatation doit reposer, selon cette juridiction, sur deux critères, à savoir, d’une part, la capacité et, d’autre part, l’intention d’intégrer ce marché, étant précisé
que le premier de ces critères est essentiel. Il a, en outre, considéré, aux points 334 à 341 de cet arrêt, que, pour qu’une entreprise puisse être qualifiée de concurrent potentiel, son entrée sur ledit marché doit pouvoir se faire suffisamment rapidement aux fins de peser et ainsi d’exercer une pression concurrentielle sur les entreprises présentes sur le même marché.
99 Aux points 342 à 348 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que la preuve de l’existence d’une concurrence potentielle peut être confortée par la perception, par les entreprises présentes sur le marché, de la menace concurrentielle que représente la possibilité de l’arrivée d’un nouvel entrant sur ce marché. Il a relevé, à cet égard, en se référant à sa propre jurisprudence, que la conclusion d’un accord entre ces entreprises peut constituer un indice de cette perception de nature à
corroborer l’existence d’une concurrence potentielle.
100 Lorsque, sur le fondement de ces critères, il peut être établi que des fabricants de médicaments génériques ont des possibilités réelles et concrètes d’entrer sur le marché, une telle constatation ne peut, selon le Tribunal, pour les motifs exposés aux points 319 à 324 de l’arrêt attaqué, être remise en cause par l’existence d’obstacles à cette entrée, tels que des brevets ou l’obligation d’obtenir une autorisation de mise sur le marché, que si ces obstacles sont insurmontables.
101 À cet égard, le Tribunal a jugé, en substance, aux points 355 à 368 et 384 de cet arrêt, que, en l’absence d’une décision judiciaire définitive ayant constaté l’existence d’une contrefaçon, l’existence d’un brevet en cours de validité n’empêche pas le déploiement d’une concurrence potentielle. En effet, selon le Tribunal, le droit exclusif conféré par un brevet ne s’oppose pas à ce que des fabricants de médicaments génériques entament des démarches pour être en mesure d’entrer sur le marché du
médicament princeps à l’expiration de ce brevet et ainsi, exercent une pression concurrentielle sur le titulaire dudit brevet avant cette expiration.
102 En particulier, le Tribunal, aux points 359 à 361 dudit arrêt, a précisé que, si le brevet jouit d’une présomption de validité à compter de son enregistrement, la contrefaçon ne se présume pas, mais doit être établie par la voie judiciaire. De même, selon cette juridiction, en l’absence d’une constatation de contrefaçon, une déclaration de validité d’un brevet, telle que celle résultant de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, n’exclut pas la possibilité d’une concurrence potentielle.
103 Le Tribunal a également souligné, au point 358 de l’arrêt attaqué, que la législation relative à l’octroi des autorisations de mise sur le marché de médicaments ne constitue pas un obstacle insurmontable au déploiement d’une concurrence potentielle, dans la mesure où cette législation permet aux autorités compétentes d’accorder une telle autorisation pour un médicament générique alors même que le médicament de référence est protégé par un brevet.
104 Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que prétend Servier, c’est sans commettre d’erreur de droit et en statuant d’une manière conforme à ce qui est rappelé aux points 79 à 82 du présent arrêt que le Tribunal a exposé les critères permettant de conclure à l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques. En effet, les critères appliqués par le Tribunal correspondent, en substance, à ceux
appliqués par la Cour aux points 36 à 57 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52).
105 S’agissant, en particulier, des deux critères tenant à la capacité et à l’intention d’intégrer le marché en cause, visés au point 318 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater qu’ils correspondent à ceux appliqués par la Cour, notamment, au point 44 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), tenant à la détermination ferme ainsi qu’à la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif
tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps.
106 En ce qui concerne le grief énoncé à titre liminaire dans le cadre du deuxième moyen, il est vrai, comme l’affirme en substance Servier, que l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre deux entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production et dont l’une n’est pas présente sur le marché ne peut être déduite du seul fait que ces entreprises ont conclu un accord de règlement amiable de litiges. Toutefois, la conclusion d’un tel accord constitue un indice fort de
l’existence d’une relation concurrentielle entre lesdites entreprises [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, point 55 ainsi que jurisprudence citée]. Ainsi, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en invoquant l’existence même des accords litigieux à l’appui de la conclusion selon laquelle Servier et les fabricants de médicaments génériques en cause étaient dans un rapport de concurrence potentielle.
107 S’agissant de la première branche du deuxième moyen, Servier n’est pas fondée à soutenir que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant d’admettre que la perception par un fabricant de médicaments génériques de la force d’un brevet, dont la validité n’a pas été définitivement établie par voie judiciaire, puisse être prise en considération afin de déterminer si les fabricants de médicaments génériques avaient la capacité d’entrer sur le marché.
108 En l’occurrence, le Tribunal n’a pas considéré, notamment aux points 384, 444 et 728 de l’arrêt attaqué, que la perception par un fabricant de médicaments génériques de la force d’un brevet, dont la validité n’a pas été définitivement établie par voie judiciaire, est totalement dénuée de pertinence pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Servier et les fabricants de médicaments génériques. En revanche, il a constaté que, si cette perception peut être pertinente
pour déterminer si un tel fabricant avait l’intention d’entrer sur le marché en cause, elle n’a aucun rôle à jouer dans la détermination de sa capacité d’effectuer une telle entrée.
109 Il convient de rappeler, à cet égard, que l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre
prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur le marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire de ce brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46].
110 Il y a lieu de constater que le raisonnement du Tribunal, résumé au point 108 du présent arrêt, n’est entaché d’aucune erreur de droit au regard de cette jurisprudence et de celle rappelée au point 81 du présent arrêt. En effet, il résulte notamment de ladite jurisprudence que, si elle fait incontestablement partie du contexte pertinent, l’existence d’un brevet protégeant un médicament princeps ou l’un de ses procédés de fabrication dont la validité n’a pas été définitivement établie par voie
judiciaire, et donc à plus forte raison la perception de la force d’un tel brevet que peut avoir un fabricant de médicaments génériques, n’est pas en soi décisive dans le cadre de l’appréciation d’un éventuel rapport de concurrence potentielle existant entre ce fabricant et le titulaire de ce brevet.
111 Par ailleurs, si la perception par un fabricant de médicaments génériques de la force d’un brevet, telle qu’elle ressort non pas de ses propres dires, mais d’éléments de preuve contemporains et fiables, constitue l’un des facteurs pertinents parmi d’autres, tels que les démarches préparatoires entreprises en vue d’une entrée sur le marché, pour apprécier les intentions de ce fabricant et, partant, son éventuelle détermination ferme d’effectuer une telle entrée, cette perception qui est, par
définition, subjective, n’est pas pertinente, en principe, pour apprécier la capacité propre d’un tel fabricant d’entrer effectivement sur le marché, ni d’ailleurs l’existence objective d’obstacles insurmontables à une telle entrée.
112 S’agissant de l’argument par lequel Servier reproche au Tribunal d’avoir écarté la pertinence des injonctions provisoires prononcées par une juridiction nationale et interdisant à un fabricant de médicaments génériques d’accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, la Cour a déjà souligné l’importance relative de telles injonctions pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un tel fabricant et le titulaire du brevet,
dès lors qu’il s’agit d’une mesure provisoire qui ne préjuge en rien le caractère fondé d’une action en contrefaçon [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 53]. D’ailleurs, contrairement à l’argumentation de Servier, le Tribunal n’a pas écarté la prise en compte de telles injonctions provisoires aux points 366, 367, 591 et 592 de l’arrêt attaqué, mais s’est borné, conformément à cette jurisprudence, à juger que leur octroi, et à plus forte raison le simple
risque d’un tel octroi, ne pouvait permettre en tant que tel d’exclure la qualité de concurrent potentiel d’un tel fabricant.
113 Servier fait néanmoins valoir que les motifs de l’arrêt attaqué relatifs à l’importance à accorder à la perception par le fabricant de médicaments génériques de la force du brevet sont contradictoires. Elle relève, ainsi qu’il est exposé au point 93 du présent arrêt, que le Tribunal a, en substance, admis que la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947 avait pour conséquence d’exclure que les accords conclus avec ce fabricant de médicaments génériques soient qualifiés de restriction
de la concurrence par objet, alors qu’il a jugé le contraire à l’égard des accords litigieux.
114 Toutefois, il suffit de constater qu’il ressort notamment du point 304 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P), que des erreurs de droit commises par le Tribunal affectent l’ensemble du raisonnement relatif à la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords de règlement amiable et de licence conclus avec Krka, exposé aux points 943 à 1032 de l’arrêt attaqué. En particulier, il ressort des points 294 et 295 de l’arrêt de ce jour dans
l’affaire Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P), que le Tribunal a vérifié la qualification de la pratique infractionnelle imputée à Servier et à Krka de restriction de la concurrence par objet sur la base de critères erronés, au regard desquels il a accordé une importance déterminante à la reconnaissance par Krka de la validité du brevet 947, alors que cet élément n’était pas, en soi, décisif.
115 Le pourvoi de la Commission dans l’affaire C‑176/19 P ayant été partiellement accueilli, la Cour a annulé le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal avait annulé l’article 4 de la décision litigieuse constatant le caractère infractionnel des accords Krka au regard de l’article 101 TFUE. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour a définitivement statué, en particulier, sur le neuvième moyen, pris en sa
première branche, du recours de Servier dans l’affaire T‑691/14.
116 Pour les motifs exposés aux points 427 à 440 de son arrêt de ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P), la Cour a rejeté l’argumentation par laquelle Servier contestait l’existence d’une concurrence potentielle exercée par Krka. Au point 441 de cet arrêt, la Cour a rejeté un grief par lequel Servier soutenait que, en raison, notamment, de la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, Krka ne disposait plus de la capacité ni de la détermination ferme d’entrer sur les marchés
principaux de Servier, et ne constituait donc plus une source de concurrence potentielle. La Cour a en effet définitivement jugé que ce grief n’était pas fondé au regard, notamment, de la jurisprudence rappelée aux points 81 et 109 du présent arrêt.
117 Il découle de ces éléments que la contradiction de motifs invoquée par Servier dans le cadre de la première branche du deuxième moyen du présent pourvoi repose sur des motifs de l’arrêt attaqué qui ont été définitivement invalidés par la Cour. En l’absence de la contradiction alléguée, il y a lieu de rejeter le grief de Servier pris d’une contradiction de motifs et, en conséquence, la première branche du deuxième moyen.
118 S’agissant de la deuxième branche du deuxième moyen, contrairement à ce que prétend Servier, le fait d’avoir accompli des démarches administratives en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique peut être pris en compte afin de démontrer que le fabricant de ce médicament avait des possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché du médicament princeps. En effet, conformément aux éléments visés au point 80 du présent arrêt, des démarches de cette nature
sont pertinentes aux fins de prouver tant la détermination ferme que la capacité propre d’un tel fabricant de parvenir à entrer sur ce marché.
119 Servier soutient également que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant de considérer, au point 340 de l’arrêt attaqué, que les retards dans le processus d’entrée sur le marché subis par un fabricant de médicaments génériques puissent porter atteinte à la capacité de celui-ci d’intégrer ledit marché.
120 Toutefois, ainsi qu’il résulte, en substance, de ce point 340, et comme Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 103 de ses conclusions, un report d’entrée causé par de tels retards ne suffit pas, en soi, à remettre en cause la qualité de concurrent potentiel d’un fabricant de médicaments génériques, notamment s’il entreprend des démarches pour résoudre les difficultés ayant causé ces retards. En effet, ce qui importe à cet égard est de déterminer si ce fabricant de médicaments
génériques continue d’exercer une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps du fait de sa détermination ferme et de sa capacité propre de parvenir à effectuer une telle entrée. Ainsi qu’il résulte du point 80 du présent arrêt, il convient, aux fins de vérifier si ces conditions sont réunies, d’apprécier si ledit fabricant de médicaments génériques a effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché dans un délai à même de faire peser une
pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps, sans pour autant, ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le préciser, qu’il soit pertinent de savoir si les démarches entreprises à cette fin seront effectivement finalisées en temps voulu ou seront couronnées de succès (arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 84).
121 Il s’ensuit que, en jugeant, au point 340 de l’arrêt attaqué, que, dans la décision litigieuse, la Commission a pu considérer que « les retards dans le processus d’entrée sur le marché éventuellement subis par les sociétés de génériques ne suffisaient pas à eux seuls pour exclure leur qualité de concurrent potentiel lorsqu’elles continuent à exercer une telle pression du fait de leur capacité à entrer », le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit.
122 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen.
123 S’agissant de la troisième branche du deuxième moyen, contrairement à ce qu’allègue Servier, le Tribunal n’a pas procédé, au point 386 de l’arrêt attaqué, à un renversement de la charge de la preuve. À ce point 386, le Tribunal s’est limité à considérer que, en l’absence de preuves contraires relatives à des difficultés techniques, réglementaires, commerciales ou financières, la Commission pouvait établir la capacité et l’intention des fabricants de médicaments génériques d’entrer sur le marché,
et ainsi leurs possibilités réelles et concrètes d’y entrer, si elle avait réuni un faisceau d’indices concordants attestant, à tout le moins, de démarches visant à la production et à la commercialisation du médicament en cause dans un délai suffisamment court pour peser sur le fabricant de médicaments princeps. Or, selon la jurisprudence constante de la Cour, en matière de responsabilité pour une infraction aux règles de la concurrence, les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être
de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite (arrêts du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 80, et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 79).
124 Conformément à cette jurisprudence, si la Commission parvient à établir l’existence d’une concurrence potentielle entre deux entreprises, sur la base d’un faisceau d’indices concordants, et sans ignorer les éventuelles preuves contraires dont elle a effectivement eu connaissance dans le cadre de l’enquête qu’elle a menée à charge et à décharge, notamment celles relatives à d’éventuels obstacles potentiels à une entrée sur le marché, il incombe alors à ces entreprises de réfuter l’existence d’une
telle concurrence en rapportant la preuve contraire, ce qu’elles peuvent faire soit dans le cadre de la procédure administrative soit, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi (voir, à ce dernier égard, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72). Une telle charge ne constitue ni un renversement indu de la charge de la preuve ni une probatio diabolica, car il suffit aux entreprises en cause de rapporter des
preuves relatives à un fait positif, à savoir l’existence de difficultés techniques, réglementaires, commerciales ou financières qui constituent, selon elles, des obstacles insurmontables à l’entrée de l’une d’elles sur le marché. Une fois une telle preuve rapportée, il incombe à la Commission de vérifier si elle infirme son analyse relative à l’existence d’une concurrence potentielle.
125 Si, au contraire, il appartenait à la Commission d’établir, de manière négative, l’absence de telles difficultés, et, partant, celle de toute barrière insurmontable, quelle qu’elle soit, à l’entrée de l’une des entreprises en cause sur le marché, une telle charge de la preuve représenterait une probatio diabolica pour cette institution. D’ailleurs, c’est à juste titre que le Tribunal a relevé, au point 386 de l’arrêt attaqué, que les preuves relatives à l’existence de la concurrence potentielle
sont souvent des données internes aux entreprises en cause, que ces dernières sont mieux placées pour recueillir.
126 De même, il ne saurait être considéré que la charge de la preuve décrite au point 124 du présent arrêt constitue une violation du principe de bonne administration, au motif qu’elle reviendrait à exiger de la part du fabricant de médicaments princeps qu’il produise, pour sa défense, des éléments de preuve qui ne sont pas en sa possession, mais en celle des fabricants de médicaments génériques. En effet, ce grief fait abstraction du droit d’accès au dossier dans les affaires de concurrence dont
l’objet est de permettre aux destinataires de la communication des griefs de prendre connaissance, dès la procédure administrative, des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se défendre. Ce droit d’accès au dossier implique que la Commission donne à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour la défense de cette entreprise.
Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires des autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêt du 14 mai 2020, NKT Verwaltungs et NKT/Commission, C‑607/18 P, EU:C:2020:385, points 261 et 262 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, tous les éléments dont la Commission a connaissance au stade de la procédure administrative, y compris ceux qui sont produits par les fabricants de
médicaments génériques et qui sont potentiellement à décharge, doivent figurer au dossier auquel le fabricant de médicaments princeps a, en principe, accès, de sorte que ce fabricant a la possibilité d’identifier d’éventuels obstacles insurmontables à l’égard de ces fabricants de médicaments génériques, s’ils existent, et de les invoquer pendant la procédure administrative ou devant le Tribunal.
127 Il convient, dès lors, de rejeter la troisième branche du deuxième moyen et, partant, le deuxième moyen dans son ensemble.
c) Sur les critères relatifs à la qualification de restriction de la concurrence par objet (premier moyen)
1) Argumentation des parties
128 Par son premier moyen, Servier conteste les critères sur le fondement desquels le Tribunal a considéré que les accords litigieux constituaient des restrictions de la concurrence par objet. Ce moyen se divise en trois branches.
129 Par la première branche de son premier moyen, Servier soutient que, conformément aux conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 56), la notion de restriction de la concurrence par objet, qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte, est réservée aux comportements dont le caractère nocif est, au vu de l’expérience acquise et de la science économique, avéré et facilement décelable.
130 Or, selon Servier, cette expérience faisait défaut à la date de la décision litigieuse. En effet, en l’absence de décisions antérieures de cette institution ou des juridictions de l’Union, la présente affaire relevait d’un cas de figure alors inédit. Servier soutient, à cet égard, que l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), n’est pas pertinent, car il ne concerne pas un accord de règlement amiable de litiges en matière de
brevets pharmaceutiques. La demande de décision préjudicielle ayant donné lieu à l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), démontrerait que la qualification de restriction de la concurrence par objet pour ce type d’accord de règlement amiable demeurait incertaine et débattue. La présente affaire différerait également de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), postérieure aux faits de l’espèce, dans laquelle
les accords en cause n’avaient pas réellement pour objet de régler un litige.
131 En outre, Servier conteste le caractère aisément décelable des infractions à l’article 101, paragraphe 1, TFUE qui lui ont été imputées. La Commission, le Tribunal, la jurisprudence des juridictions des États-Unis d’Amérique et la doctrine antérieure à l’adoption de la décision litigieuse admettraient qu’un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets pharmaceutiques n’est pas, en soi, anticoncurrentiel. Il aurait d’ailleurs fallu plusieurs centaines de pages à la Commission pour
articuler son raisonnement sur ce point.
132 Par la deuxième branche de son premier moyen, Servier, soutenue par l’EFPIA, reproche au Tribunal de n’avoir tiré aucune conséquence de la règle, énoncée au point 304 de l’arrêt attaqué et au point 56 des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958), selon laquelle ne relèvent pas de la notion de restriction de la concurrence par objet des accords qui présentent des effets potentiels ambivalents sur le marché ou qui sont nécessaires à la poursuite
d’un objectif principal non restrictif de la concurrence.
133 À cet égard, des accords qui mettent fin à un litige relatif à un brevet, sans excéder la portée de ce brevet, seraient légitimes et conformes à l’intérêt public. En l’espèce, Servier fait observer que, si trois des dix opposants au brevet 947 se sont désistés de la procédure devant l’OEB après avoir conclu un accord de règlement amiable avec Servier, une telle circonstance est restée sans effet, puisque cette procédure a suivi son cours. En outre, parmi les accords litigieux, les accords Teva
et Lupin auraient pu avoir comme effet proconcurrentiel d’avancer la date de l’entrée sur le marché de médicaments génériques non contrefaisants.
134 Par la troisième branche de son premier moyen, Servier soutient que le Tribunal a omis de prendre en considération le contexte économique et juridique des accords litigieux. Le Tribunal se serait borné, au point 272 de l’arrêt attaqué, à considérer qu’une telle qualification est encourue lorsqu’un accord, d’une part, comporte un paiement ou un avantage incitatif à l’égard d’un fabricant de médicaments génériques ainsi que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation et, d’autre
part, est conclu entre des entreprises en situation de concurrence potentielle, cette situation étant définie de manière large.
135 Servier fait observer, à titre liminaire, que tout accord limitant la liberté commerciale d’un concurrent n’est pas nécessairement restrictif de la concurrence. Une telle qualification serait exclue lorsque cette restriction est accessoire à un accord légitime, notamment s’agissant des clauses de non-contestation prévues par un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets. Servier invoque à cet égard le point 209 des lignes directrices sur les accords de transfert de technologie
de 2004.
136 Servier soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 269 à 271 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’un paiement dit « inversé », c’est-à-dire un paiement du fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques destiné à inciter ce dernier à transiger permet de qualifier un tel accord de restriction de la concurrence par objet. Or, en raison du caractère excessivement abstrait de cette appréciation, le Tribunal
aurait ignoré les singularités ainsi que les effets réels et concrets des accords litigieux.
137 En l’espèce, les éléments de contexte pertinents démontreraient que l’entrée de fabricants de médicaments génériques sur le marché du périndopril a été retardée non pas à cause des accords litigieux, mais en raison du brevet 947. Tous les fabricants de médicaments génériques qui se sont opposés à ce brevet auraient été contraints d’attendre l’expiration dudit brevet pour entrer sur ce marché.
138 Servier souligne à cet égard que le Tribunal a jugé que les accords Krka ne constituaient pas une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, après avoir pris en considération les effets de ces accords et la reconnaissance, par cette entreprise, de la validité du brevet 947. Il aurait ainsi confirmé que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation ne sont pas intrinsèquement nocives pour la concurrence.
139 En second lieu, Servier soutient que, contrairement à ce qui ressort du point 267 de l’arrêt attaqué, un paiement inversé n’est pas, en soi, anticoncurrentiel, mais peut s’expliquer par la force du brevet concerné. En effet, un brevet fort inciterait les fabricants de médicaments génériques à transiger. Conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75, point 26), le Tribunal aurait dû prendre en considération un tel
élément objectif. En l’occurrence, la force du brevet 947 aurait été reconnue dans la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 et par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (patents court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery (chambre des brevets)], qui a prononcé des injonctions provisoires contre Apotex et Krka, ce que le Tribunal aurait d’ailleurs pris en considération au point 971 de l’arrêt attaqué, en jugeant qu’elles avaient
constitué « un des éléments déclencheurs » aboutissant aux accords Krka.
140 En affirmant, au point 280 de l’arrêt attaqué, que l’objet anticoncurrentiel d’un accord de règlement amiable peut être présumé lorsque ce paiement excède les frais inhérents au règlement amiable de litiges en matière de brevets, sans que la Commission soit tenue de démontrer qu’ils correspondent au moins aux bénéfices escomptés par le fabricant de médicaments génériques, le Tribunal se serait appuyé sur une conception extensive de la notion de restriction de la concurrence par objet. Or, cette
conception extensive non seulement s’écarterait des principes reconnus par la jurisprudence, mais elle reviendrait, en outre, à exonérer la Commission de la charge de la preuve de l’infraction dont elle allègue l’existence.
141 La Commission, soutenue par le Royaume-Uni, conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
142 S’agissant des critères permettant de qualifier un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets de restriction de la concurrence par objet, Servier soutient, en substance, par les trois branches soulevées à l’appui de son premier moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, que cette qualification est réservée aux accords dont le caractère nocif est avéré et facilement décelable. Elle serait inapplicable à ceux dont les effets potentiels sur le marché sont ambivalents ou qui sont
nécessaires à la poursuite d’un objectif principal non restrictif de la concurrence. Or, faute d’avoir appliqué ces critères, le Tribunal aurait commis des erreurs de droit.
143 Il convient de relever d’emblée que, eu égard aux critères rappelés aux points 69 à 77 du présent arrêt, sur le fondement desquels un accord entre entreprises peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, cette argumentation doit être rejetée.
144 Servier n’est pas fondée à soutenir que cette qualification doit être écartée au motif, en particulier, de l’absence de pratique décisionnelle antérieure de la Commission relative à de tels accords. En effet, il n’est nullement requis que le même type d’accords ait déjà été sanctionné par la Commission pour que ceux-ci puissent être considérés comme étant restrictifs de la concurrence par objet, et ce quand bien même ceux-ci interviendraient dans un contexte spécifique tel que celui des droits
de propriété intellectuelle. Seules importent les caractéristiques propres de ces accords, dont doit être déduite l’éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ces accords, de leurs objectifs ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel ils s’insèrent [arrêts du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission, C‑586/16 P, EU:C:2021:241, points 85 à 87, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission,
C‑591/16 P, EU:C:2021:243, points 130 et 131].
145 De même, Servier ne saurait reprocher au Tribunal de ne pas avoir pris en compte des effets positifs ou du moins ambivalents sur la concurrence auxquels les accords litigieux seraient susceptibles de donner lieu, selon elle, dès lors que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 76 et 77 du présent arrêt, l’examen des effets de ces accords n’est pas nécessaire, ni même pertinent, aux fins de déterminer s’ils peuvent être qualifiés de restriction de la concurrence par objet.
146 En outre, force est de constater que, en l’espèce, le Tribunal a énoncé, aux points 219 à 222 de l’arrêt attaqué, des règles et principes qui correspondent, en substance, à ceux décrits aux points 69 à 77 du présent arrêt. Dès lors, ces points de l’arrêt attaqué ne sont pas entachés d’une erreur de droit.
147 S’agissant de l’argumentation tirée de la jurisprudence de la Cour relative aux restrictions accessoires à des accords légitimes, il convient de relever que le Tribunal a estimé, aux points 282 à 291 de l’arrêt attaqué, que c’était à bon droit que la Commission avait pu ne pas examiner s’il y avait lieu de faire application de cette jurisprudence.
148 À cet égard, il importe de souligner que, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralité, en ce sens qu’elle n’implique aucune restriction de la concurrence, une restriction accessoire à l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus de ce principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à
la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89 ainsi que jurisprudence citée).
149 En effet, lorsqu’il n’est pas possible de dissocier une telle restriction accessoire de l’opération ou de l’activité principale sans en compromettre l’existence et les objets, il y a lieu d’examiner la compatibilité avec l’article 101 TFUE de cette restriction conjointement avec la compatibilité de l’opération ou de l’activité principale dont elle constitue l’accessoire, et cela bien que, prise isolément, pareille restriction puisse paraître, à première vue, relever du principe d’interdiction de
l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 70).
150 Lorsqu’il s’agit de déterminer si une restriction peut échapper à la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, au motif qu’elle constitue l’accessoire d’une opération principale dépourvue d’un tel caractère anticoncurrentiel, il convient de rechercher si la réalisation de cette opération serait impossible en l’absence de la restriction en question. Le fait que ladite opération soit simplement rendue plus difficilement réalisable, voire moins profitable, en l’absence de la
restriction en cause ne saurait être considéré comme conférant à cette restriction le caractère objectivement nécessaire requis afin de pouvoir être qualifiée d’« accessoire ». En effet, une telle interprétation reviendrait à étendre cette notion à des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables à la réalisation de l’opération principale. Un tel résultat porterait atteinte à l’effet utile de la prohibition prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 23 janvier 2018,
F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 71).
151 En l’occurrence, le Tribunal a considéré, au point 291 de l’arrêt attaqué, que les restrictions de la concurrence issues des clauses de non-contestation et de non-commercialisation prévues par les accords litigieux ne reposaient pas sur une reconnaissance de la validité des brevets de Servier, mais sur un transfert de valeur de celle-ci en faveur du fabricant de médicaments génériques en cause constituant une incitation, pour ce fabricant, à renoncer à exercer une pression concurrentielle sur
Servier. Ainsi, il a écarté l’application de la jurisprudence rappelée au point 148 du présent arrêt en raison du fait que les accords litigieux constituaient des restrictions de la concurrence par objet qui ne sauraient être qualifiées d’« opérations dépourvues de caractère anticoncurrentiel » en raison de leur prétendue neutralité sur le plan de la concurrence. Par ailleurs, il a relevé que les clauses de non-contestation et de non-commercialisation ne pouvaient être l’accessoire nécessaire
que d’un accord de règlement amiable fondé sur une reconnaissance de la validité du brevet en cause par les parties à cet accord, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 291 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait valablement pu s’abstenir d’examiner l’application de cette jurisprudence relative aux restrictions accessoires.
152 Aux points 296 à 307 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les griefs par lesquels Servier soutenait que les effets des accords litigieux sur la concurrence étant par nature ambivalents, ces accords ne pouvaient pas être qualifiés de restriction de la concurrence par objet.
153 Dans ce contexte, au point 304 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que la Commission et le juge ne peuvent, lors de l’examen du caractère restrictif de l’objet d’un accord et, en particulier, dans le cadre de la prise en compte de son contexte économique et juridique, ignorer complètement les effets potentiels de cet accord, de sorte que ne peuvent être considérés comme étant restrictifs de la concurrence par objet les accords qui, au vu du contexte dans lequel ils s’insèrent, présentent des
effets potentiels ambivalents sur le marché.
154 Toutefois, ce motif est contraire à la jurisprudence rappelée aux points 73, 76 et 77 du présent arrêt, selon laquelle, s’agissant de pratiques qualifiées de restrictions de la concurrence par objet, il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs.
155 Sur le fondement de cette erreur de droit, le Tribunal a décidé, aux points 305 et 306 de l’arrêt attaqué, de statuer sur les griefs de Servier pris des effets ambivalents des accords litigieux dans le cadre de l’examen des moyens spécifiques à chacun de ces accords. Il convient de relever, toutefois, sans préjudice de l’examen qui suit des arguments de Servier relatifs à chacun desdits accords, invoqués dans le cadre de ses troisième à cinquième moyens de pourvoi, que ladite erreur de droit n’a
aucune conséquence, en principe, sur la légalité de l’arrêt attaqué, car, en tout état de cause, le Tribunal a écarté l’ensemble des arguments relatifs aux effets prétendument proconcurrentiels ou ambivalents des accords litigieux, invoqués par Servier en première instance, pour d’autres raisons.
156 Servier soutient, en substance, à cet égard, que le Tribunal a refusé de prendre en considération le fait que les accords litigieux avaient pour objet non pas de porter atteinte à la concurrence, mais de mettre un terme aux litiges qui l’opposaient aux fabricants de médicaments génériques, dès lors que ces derniers reconnaissaient la force du brevet 947. L’accord Lupin aurait eu, en outre, pour objet une entrée anticipée de Lupin sur le marché et l’accord Teva aurait eu pour objectif essentiel
l’approvisionnement de Teva en périndopril. Servier souligne, dans ce contexte, que le Tribunal a cependant pris en considération la reconnaissance par Krka de la validité de ce brevet et considéré que les accords conclus avec cette entreprise ne constituaient pas une infraction à l’article 101 TFUE.
157 Toutefois, il suffit de rappeler que, si les buts objectifs que des accords visent à atteindre à l’égard de la concurrence sont certes pertinents pour apprécier leur éventuel objet anticoncurrentiel, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du
21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Ainsi, le fait qu’une stratégie commerciale consistant pour des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production de négocier de tels accords entre elles pour mettre fin à un litige relatif à la validité d’un brevet soit économiquement rationnelle du point de vue de ces entreprises ne démontre aucunement que la poursuite de cette stratégie soit justifiable du point de vue du
droit de la concurrence.
158 En outre, le grief de Servier consistant à invoquer une contradiction entre les appréciations portées par le Tribunal à l’égard des accords litigieux et celles portées à l’égard des accords Krka doit être rejetée pour les raisons exposées aux points 114 à 117 du présent arrêt. En effet, aux points 442 à 474 de l’arrêt de ce jour dans l’affaire Commission/Servier e.a. (C‑176/19 P), la Cour, après avoir partiellement accueilli le pourvoi de la Commission, a définitivement rejeté l’argumentation de
Servier visant à contester la qualification des accords de règlement amiable et de licence conclus avec Krka de restrictions de la concurrence par objet. En l’absence de la contradiction alléguée, il y a lieu de rejeter ce grief.
159 S’agissant de l’importance qu’il convient d’accorder aux paiements inversés aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par objet d’accords de règlement amiable de litiges en matière de brevets, le Tribunal, aux points 256 à 273 de l’arrêt attaqué, a exposé, en substance, que la présence, dans ce type d’accords, de clauses restrictives de la concurrence, telles que des clauses de non-contestation et de non-commercialisation, lorsqu’elle est associée à un paiement inversé, peut
donner lieu à une telle qualification, si ce paiement n’est pas justifié par une autre contrepartie que celle consistant, dans l’engagement par le fabricant de médicaments génériques, à renoncer à concurrencer le fabricant de médicaments princeps titulaire du ou des brevets concernés.
160 Aux points 277 à 280 de cet arrêt, le Tribunal a considéré, en substance, que, afin de déterminer si cette condition est remplie, il convient d’examiner si ce paiement inversé vise à compenser les coûts inhérents au règlement amiable supportés par le fabricant de médicaments génériques. Le Tribunal a précisé que ces coûts incluent, notamment, les frais supportés dans le cadre des litiges faisant l’objet de l’accord de règlement amiable, à condition que ces frais aient été établis par les parties
à cet accord et qu’ils ne soient pas disproportionnés par rapport au montant des frais objectivement indispensables à la procédure contentieuse. En revanche, selon l’arrêt attaqué, ces coûts n’incluent ni la valeur du stock de médicaments contrefaisants ni les frais de recherche et de développement exposés pour mettre au point ces médicaments. Ces coûts excluent également, en principe, les montants dus à titre d’indemnité, notamment de résiliation, au titre de contrats conclus par le fabricant
de médicaments génériques avec des tiers.
161 Par son argumentation résumée aux points 139 et 140 du présent arrêt, Servier conteste ce raisonnement, soutenant que ce dernier revient à considérer comme étant constitutif d’un paiement inversé tout paiement qui excède le montant des frais inhérents au règlement amiable du litige, quand bien même ce montant serait inférieur à celui des bénéfices que le fabricant de médicaments génériques pouvait s’attendre à retirer de son entrée sur le marché.
162 Par ailleurs, Servier soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 280 de l’arrêt attaqué, que ne font, en principe, pas partie des frais inhérents au règlement d’un litige en matière de brevets les indemnités qu’un fabricant de médicaments génériques pourrait devoir verser à des tiers en raison du préjudice que ces derniers auraient subi en conséquence de la décision de ce fabricant de renoncer à la commercialisation du médicament générique faisant l’objet de ce
litige.
163 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence, un fabricant de médicaments génériques peut, après avoir évalué ses chances d’obtenir gain de cause dans la procédure juridictionnelle qui l’oppose au fabricant du médicament princeps concerné, décider de renoncer à entrer sur le marché en cause et de conclure avec ce dernier un accord de règlement amiable de cette procédure. Un tel accord ne saurait être considéré, dans tous les cas, comme une restriction par objet, au
sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le fait qu’un tel accord est assorti de transferts de valeur par le fabricant de médicaments princeps au profit d’un fabricant de médicaments génériques ne constitue pas un motif suffisant pour le qualifier de restriction de la concurrence par objet, ces transferts de valeur pouvant s’avérer justifiés. Tel peut être le cas lorsque le fabricant de médicaments génériques perçoit du fabricant de médicaments princeps des sommes correspondant effectivement à
la compensation de frais ou de désagréments liés au litige qui les oppose ou correspondant à une rémunération pour la fourniture effective de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 à 86].
164 Par conséquent, dès lors qu’un accord de règlement amiable d’un litige relatif à la validité d’un brevet opposant un fabricant de médicaments génériques à un fabricant de médicaments princeps, titulaire de ce brevet, est assorti de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques, il y a lieu de vérifier, dans un premier temps, si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale, ainsi que cela est envisagé au
point précédent, par la nécessité de compenser des frais ou des désagréments liés à ce litige, tels que les frais et honoraires des conseils de ce dernier fabricant, ou par celle de rémunérer la fourniture effective et avérée de biens ou de services de celui-ci au fabricant du médicament princeps [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 92]. En effet, le règlement amiable d’un tel litige implique que le fabricant de médicaments génériques
reconnaisse la validité du brevet en cause, car il renonce à la contester. Il s’ensuit que, au titre d’un paiement dit « inversé », par le fabricant de médicaments princeps en faveur du fabricant de médicaments génériques, seule la prise en charge de tels frais ou la rémunération de tels biens ou services fournis peut être considérée comme étant cohérente par rapport à une telle reconnaissance et, partant, comme étant susceptible d’être justifiée à l’égard de la concurrence.
165 Dans un second temps, si ce solde net positif des transferts n’est pas justifié de manière intégrale par une telle nécessité, il importe de vérifier si, en l’absence d’une telle justification, ces transferts s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites. Aux fins de cet examen, il y a lieu de déterminer si ledit solde, y compris d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement
le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].
166 Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en considérant, en substance, aux points 277 à 280 de l’arrêt attaqué, que la prise en charge par Servier des frais contentieux supportés par un fabricant de médicaments génériques dans le cadre du litige les opposant qui a été réglé à l’amiable était justifiée par l’« inhérence » de ces frais à ce règlement, à condition qu’ils ne soient pas excessifs et, partant, disproportionnés, mais que d’autres frais trop « extérieurs » à ce
litige et à son règlement ne pouvaient pas être considérés comme étant inhérents à ceux-ci. En effet, cette approche prenant en considération les circonstances dans lesquelles il est possible de justifier le paiement dit « inversé » des frais afin de conclure à l’absence d’un transfert de valeur incitatif, correspond, en substance, à celle qui découle de la jurisprudence rappelée aux points 163 et 164 du présent arrêt.
167 S’agissant spécifiquement de la prise en charge par le fabricant de médicaments princeps des indemnités que le fabricant de médicaments génériques pourrait éventuellement devoir verser à des tiers, il convient de relever, à l’instar de Mme l’avocate générale au point 159 de ses conclusions, dans la partie de celles-ci consacrée à la situation de Niche, qu’un paiement de cette nature est la conséquence directe non pas de la volonté des fabricants de médicaments de régler à l’amiable les litiges
qui les opposent au sujet de brevets, mais de la renonciation du fabricant de médicaments génériques à entrer sur le marché du médicament concerné. Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit, au point 280 de l’arrêt attaqué, en jugeant, en substance, que le remboursement de telles indemnités ne peut pas être considéré comme étant inhérent à un accord de règlement amiable tel que les accords litigieux.
168 Compte tenu de ces éléments, et contrairement à l’argumentation de Servier, le Tribunal n’a pas non plus procédé, au point 280 de l’arrêt attaqué, à un renversement de la charge de la preuve. Abstraction faite des termes employés à ce point 280, le Tribunal s’est, en substance, limité à considérer que des frais éventuellement dus à des tiers par le fabricant de médicaments génériques à titre d’indemnisation en raison de la décision de ce dernier de renoncer à entrer sur le marché concerné,
doivent, lorsqu’ils ont été pris en charge par le fabricant de médicaments princeps, être inclus parmi les transferts de valeur au profit du fabricant de médicaments génériques dont il convient d’analyser le solde net positif. En précisant, audit point 280, qu’« il appartient alors aux parties à l’accord, si elles souhaitent que le paiement de ces frais ne soit pas qualifié d’incitatif et de constitutif d’un indice de l’existence d’une restriction de concurrence par objet, de démontrer que
ceux-ci sont inhérents au litige ou à son règlement, puis d’en justifier le montant », le Tribunal a fait une application exacte des règles relatives à la répartition de la charge de la preuve qui ont été rappelées au point 123 du présent arrêt.
169 Eu égard aux éléments qui précède et compte tenu notamment du fait que, sous réserve des considérations exposées au point 155 du présent arrêt, dans le cadre de l’examen des troisième à cinquième moyens, l’erreur de droit dont est entaché le point 304 de l’arrêt attaqué est sans incidence sur la légalité de l’arrêt attaqué, le premier moyen doit être rejeté.
C. Sur les troisième et sixième moyens, relatifs aux accords Niche et Matrix
1. Sur le troisième moyen
170 Par son troisième moyen, Servier conteste les appréciations portées par le Tribunal sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, aux accords Niche et Matrix. Ce moyen comporte deux branches.
a) Sur la première branche, relative à la concurrence potentielle
1) Argumentation des parties
171 Par la première branche de son troisième moyen, Servier soutient que, en considérant que Niche et Matrix étaient ses concurrents potentiels, le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit.
172 Par un premier grief, Servier fait valoir que le Tribunal a effectué une mauvaise appréciation des obstacles à l’entrée sur le marché du périndopril résultant de la force des brevets de Servier.
173 Tout d’abord, en réitérant, en substance, les arguments invoqués dans le cadre de son deuxième moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir écarté par principe, au point 444 de l’arrêt attaqué, la pertinence de la perception que Niche et Matrix pouvaient avoir de ces obstacles brevetaires dans l’analyse de leur capacité d’entrer sur le marché, en jugeant que seule la constatation d’actes de contrefaçon par une décision juridictionnelle pouvait constituer un obstacle insurmontable à leur entrée
sur le marché.
174 Ensuite, le Tribunal aurait omis de prendre en considération tant le fait que des clients de Niche, et plus particulièrement Sandoz, avaient résilié leurs accords avec cette entreprise en raison du risque de contrefaçon, que les tentatives de Matrix visant à mettre au point une forme non contrefaisante de sa version générique du périndopril. Or, selon Servier, ces éléments constituent des indices objectifs de l’existence d’obstacles brevetaires à l’entrée de ces entreprises sur le marché.
175 Enfin, le Tribunal aurait omis de vérifier si Niche et Matrix avaient une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché à brève échéance. Or, selon Servier, Niche ne pouvait pas surmonter les obstacles brevetaires rapidement.
176 À titre surabondant, Servier soutient que, aux points 446 et 447 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé les faits en affirmant que Niche, par ses démarches auprès de Servier, cherchait à « ouvrir la voie » et à entrer sur le marché du périndopril malgré les obstacles brevetaires. En réalité, Niche, qui savait que son périndopril était contrefaisant, voulait éviter un litige avec Servier.
177 Par un deuxième grief, Servier soutient que, en jugeant que les démarches entreprises par Niche et Matrix suffisaient à démontrer que ces entreprises pouvaient entrer à brève échéance sur le marché du périndopril, le Tribunal a commis des erreurs de droit.
178 Premièrement, le Tribunal aurait confondu la capacité d’entrer sur le marché avec l’intention d’entrer sur ce marché. La capacité d’entrer sur le marché dépendrait de l’existence d’obstacles résultant de brevets. En revanche, des démarches telles que celles visant à obtenir une autorisation de mise sur le marché ne suffiraient pas, en elles-mêmes, à prouver une telle capacité, ainsi qu’il ressortirait des points 458 et 476 de l’arrêt attaqué. Servier renvoie à cet égard à son argumentation
développée dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, résumée au point 94 du présent arrêt.
179 Deuxièmement, Servier fait valoir que, afin de démontrer que Niche et Matrix pouvaient entrer sur le marché du périndopril, il appartenait à la Commission d’analyser les difficultés techniques, réglementaires, brevetaires et financières auxquelles ces entreprises étaient confrontées. Or, les éléments mis en avant par le Tribunal, aux points 461, 462 et 480 de l’arrêt attaqué, confirmeraient que la Commission avait seulement examiné les démarches effectuées par lesdites entreprises. En ne
censurant pas l’absence d’analyse des chances réelles et concrètes qu’avaient Niche et Matrix de surmonter les problèmes techniques et réglementaires, le Tribunal aurait manqué à son obligation de contrôle juridictionnel et commis une erreur de droit.
180 Par un troisième grief, Servier soutient que, en lui imposant, aux points 463, 480, 483 à 486, 489 et 498 de l’arrêt attaqué, de démontrer que l’entrée de Niche et de Matrix sur le marché du périndopril se heurtait à des obstacles insurmontables, le Tribunal a renversé la charge de la preuve qui incombe à la Commission en vertu de l’article 2 du règlement no 1/2003. Servier renvoie à cet égard à son argumentation invoquée dans le cadre de la troisième branche de son deuxième moyen.
181 Par un quatrième grief, Servier fait valoir que le Tribunal a omis d’examiner si les obstacles rencontrés par Niche et Matrix pour entrer sur le marché du périndopril, pris dans leur ensemble, empêchaient de considérer que ces entreprises étaient des concurrents potentiels pour elle. Le fait que chacun de ces obstacles, pris individuellement, était surmontable, ne signifie pas que Niche et Matrix pouvaient surmonter l’ensemble desdits obstacles. Ce faisant, le Tribunal aurait violé son
obligation de contrôle juridictionnel ainsi que son obligation d’examiner les preuves prises non pas séparément, mais dans leur globalité.
182 Par un cinquième grief, Servier soutient que le Tribunal, au point 481 de l’arrêt attaqué, a fait une interprétation erronée du principe de bonne administration. En vertu de ce principe, la Commission serait tenue d’examiner tous les éléments pertinents pour analyser une situation donnée et, au besoin, de solliciter des informations supplémentaires afin de vérifier et d’étayer ses conclusions. Or, la Commission aurait refusé de faire droit à la demande formulée par Servier au cours de la
procédure administrative et visant à obtenir la production de la correspondance entre Niche ou ses partenaires et les autorités nationales au sujet de demandes d’autorisation de mise sur le marché d’une version générique du périndopril. Le Tribunal, au point 481 de l’arrêt attaqué, aurait rejeté le grief de Servier pris de la violation du principe de bonne administration au motif, notamment, que les documents demandés ne revêtaient pas une « importance considérable ». Selon Servier,
l’application d’un tel critère étranger à la jurisprudence de la Cour constitue une erreur de droit.
183 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
184 Par son premier grief, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment pris en compte les obstacles brevetaires. Toutefois, les trois arguments invoqués à titre principal à l’appui de ce grief, visés aux points 173 à 175 du présent arrêt, font abstraction du fait que le Tribunal a bien pris en compte ces obstacles brevetaires et reposent, dans cette mesure, sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, ainsi qu’il est relevé au point 108 du présent arrêt, le Tribunal n’a pas
considéré, notamment au point 444 de l’arrêt attaqué, que la perception par un fabricant de médicaments génériques de la force d’un brevet est totalement dénuée de pertinence pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Servier, d’une part, et Niche et Matrix, d’autre part, mais que cette perception peut être pertinente uniquement pour déterminer si Niche et Matrix avaient l’intention d’entrer sur le marché et non pour apprécier leur capacité d’effectuer une telle
entrée. Or, ainsi qu’il est jugé aux points 107 à 111 du présent arrêt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.
185 Quant à l’omission du Tribunal de prendre en compte le fait que des clients de Niche, et plus particulièrement Sandoz, avaient mis fin à leur coopération avec cette entreprise en ce qui concerne la commercialisation du périndopril en raison du risque de contrefaçon, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les
parties au litige et que la motivation peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 16 février 2017, Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen/Commission, C‑94/15 P, EU:C:2017:124, point 21 et jurisprudence citée).
186 Certes, le Tribunal n’a pas explicitement répondu à cette argumentation de Servier, mais, comme le souligne la Commission et ainsi qu’il ressort du considérant 465 de la décision litigieuse sans que Servier conteste cette circonstance, la décision de Sandoz avait été prise au mois de janvier de l’année 2004, soit avant celle de Niche et de Matrix de modifier leur procédé de fabrication du périndopril et, partant, avant les démarches préparatoires de Niche et de Matrix décrites aux points 433
à 440, 446 et 447 de l’arrêt attaqué, sur lesquelles le Tribunal s’est appuyé pour établir l’intention de ces entreprises d’entrer sur les marchés européens du périndopril. Dans ces conditions, la circonstance factuelle en question n’étant, en tout état de cause, pas susceptible d’avoir une incidence sur les constatations du Tribunal, ce dernier n’a pas enfreint l’obligation de motiver ses arrêts en ne répondant pas explicitement à l’argumentation de Servier à cet égard.
187 S’agissant de l’argumentation tirée des tentatives de Matrix visant à mettre au point une forme non contrefaisante de sa version générique du périndopril, il suffit de constater qu’elle vise à remettre en cause l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal au point 447 de l’arrêt attaqué et qu’elle doit donc être rejetée comme étant irrecevable.
188 En ce qui concerne l’argument selon lequel le Tribunal aurait omis de vérifier si Niche et Matrix avaient une possibilité réelle et concrète d’entrer sur le marché à brève échéance, il convient de rappeler qu’il repose sur un critère juridique erroné, car, conformément à la jurisprudence rappelée au point 80 du présent arrêt, les démarches préparatoires du fabricant de médicaments génériques doivent lui permettre d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression
concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps. En tout état de cause, il ressort des points 442 à 499 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné cette question de manière approfondie avant de conclure que la pression concurrentielle exercée par Niche et Matrix était réelle.
189 Quant à l’argument que Servier invoque à titre surabondant à l’appui de son premier grief, il y a lieu de constater qu’il est irrecevable. En effet, sous couvert d’une prétendue dénaturation, Servier, en alléguant, en particulier, que l’initiative de Niche d’« ouvrir la voie » à une entrée sur le marché n’avait pas été prise de bonne foi, vise en réalité à contester les appréciations factuelles portées par le Tribunal au point 446 de l’arrêt attaqué, ce qui ne relève pas de la compétence de la
Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi, ainsi qu’il est rappelé au point 58 du présent arrêt.
190 Il s’ensuit que le premier grief de Servier, résumé au point 173 du présent arrêt, doit être rejeté.
191 Par son deuxième grief, Servier conteste, par un premier argument, l’appréciation du Tribunal selon laquelle les démarches effectuées afin d’obtenir des autorisations de mise sur le marché peuvent être prises en compte afin de démontrer l’existence d’une concurrence potentielle. Toutefois, cet argument doit être rejeté pour les motifs exposés au point 118 du présent arrêt. En effet, des démarches telles que celles visant à obtenir une autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique
sont pertinentes aux fins de prouver tant la capacité que l’intention du fabricant de ce médicament d’entrer sur le marché [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 44].
192 Par un deuxième argument, Servier reproche, en substance, au Tribunal de ne pas avoir analysé la probabilité que Niche et Matrix parviennent à surmonter les difficultés techniques et réglementaires auxquelles elles étaient confrontées.
193 Cet argument ne saurait être accueilli.
194 Tout d’abord, ledit argument repose sur une prémisse erronée en droit. En effet, contrairement à ce que soutient Servier, sauf à nier toute distinction entre concurrence réelle et concurrence potentielle, l’existence d’une concurrence potentielle n’exige pas de démontrer que les fabricants de médicaments génériques seraient entrés avec certitude sur le marché et qu’une telle entrée aurait été couronnée de succès, mais uniquement que ces fabricants disposaient de possibilités réelles et concrètes
à cet effet (arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 63).
195 Ensuite, il y a lieu de relever que le Tribunal a procédé, aux points 442 à 499 de l’arrêt attaqué, à un examen circonstancié et détaillé des obstacles prétendument insurmontables rencontrés par Niche et Matrix, sur les plans brevetaire, technique, réglementaire, ainsi que financier. Sur la base de cet examen et au terme d’une appréciation des faits et des éléments de preuve qui lui ont été soumis, le Tribunal a rejeté les allégations par lesquelles Servier contestait que Niche et Matrix avaient
la capacité et l’intention d’entrer sur le marché. Or, compte tenu de ces éléments, Servier ne saurait soutenir que le Tribunal n’a pas procédé à une analyse complète de l’ensemble des obstacles invoqués afin de contester l’existence d’un rapport de concurrence potentielle avec Niche et Matrix.
196 Enfin, dans la mesure où Servier conteste les appréciations factuelles ainsi portées par le Tribunal au titre de cette analyse, il suffit de constater qu’une telle argumentation est irrecevable dans le cadre d’une procédure de pourvoi.
197 Par son troisième grief, Servier soutient que le Tribunal a renversé la charge de la preuve relative aux obstacles insurmontables à l’entrée sur le marché concerné. Toutefois, il suffit de rappeler que, pour les motifs exposés aux points 123 à 125 du présent arrêt, l’argumentation de Servier prise d’un renversement de la charge de la preuve et d’une probatio diabolica à cet égard a été rejetée. Partant, ce troisième grief doit également être rejeté.
198 Par son quatrième grief, Servier reproche au Tribunal d’avoir examiné les obstacles rencontrés par Niche et Matrix non pas de manière globale, mais de manière séparée.
199 Contrairement à ce que soutient la Commission, ce quatrième grief n’est pas irrecevable en raison du fait qu’il n’a pas été invoqué par Servier dans le cadre de son recours en première instance. En effet, ce grief étant dirigé contre l’application par le Tribunal des règles régissant la charge et l’appréciation des preuves, il peut être soulevé dans le cadre de la procédure de pourvoi.
200 Quant au fond, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la preuve d’une infraction en matière de droit de la concurrence peut être rapportée, par la Commission, au moyen d’un faisceau d’indices objectifs et concordants qui, appréciés dans leur ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une telle infraction et ce quand bien même l’un ou l’autre de ces indices ne serait, pris à lui seul, pas suffisant à ce titre (arrêt du 18 mars
2021, Pometon/Commission, C‑440/19 P, EU:C:2021:214, point 101 et jurisprudence citée).
201 S’agissant de la preuve de l’existence de la concurrence potentielle exercée par un fabricant de médicaments génériques sur un fabricant de médicaments princeps, conformément à la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt et ainsi qu’il est jugé aux points 123 à 125 de ce dernier, si la Commission parvient à établir, sur la base d’un faisceau d’indices concordants et sans ignorer les éventuels obstacles à une entrée sur le marché dont elle a connaissance, l’existence d’une
concurrence potentielle, il incombe alors aux entreprises visées de réfuter l’existence d’une telle concurrence en rapportant la preuve contraire.
202 S’il subsiste un doute dans l’esprit du juge, il doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction, eu égard à la présomption d’innocence qui s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence susceptibles d’aboutir à l’infliction d’amendes ou d’astreintes (arrêt du 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, C‑90/15 P, EU:C:2017:123, point 18 ainsi que jurisprudence citée).
203 Or, en l’espèce, le Tribunal a exposé, aux points 432 à 440 de l’arrêt attaqué, que les indices rassemblés par la Commission et visés par la décision litigieuse permettaient de considérer que Niche et Matrix étaient des concurrents potentiels de Servier et, aux points 441 à 499 de cet arrêt, il a examiné l’ensemble des obstacles possibles à leur entrée sur le marché dont il avait connaissance. En conséquence, il a estimé, sans commettre d’erreur de droit, qu’il incombait à cette entreprise de
rapporter la preuve contraire, en se fondant, le cas échéant, sur d’autres obstacles à une telle entrée. Ainsi qu’il est souligné au point 195 du présent arrêt, au terme d’un examen complet, circonstancié et détaillé de l’argumentation de Servier, le Tribunal a rejeté les allégations visant à contester que Niche et Matrix avaient la capacité et l’intention d’entrer sur le marché.
204 Au vu de ces éléments, il y a lieu de relever, par ailleurs, que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en examinant, un par un, les prétendus obstacles à une entrée sur le marché de Niche et de Matrix, sans vérifier, par ailleurs, si, nonobstant le fait qu’aucun de ces obstacles n’était insurmontable à lui seul, leur effet cumulatif donnait néanmoins lieu à un obstacle insurmontable. En effet, un tel examen n’est, en principe, pas nécessaire et, comme Mme l’avocate générale l’a relevé au
point 91 de ses conclusions, Servier n’a pas expliqué, que ce soit devant le Tribunal ou dans son pourvoi, en quoi aurait dû consister l’examen des preuves qu’il reproche au Tribunal de ne pas avoir effectué à cet égard.
205 Il résulte des éléments qui précèdent que le quatrième grief doit être rejeté comme étant non fondé.
206 Par son cinquième grief, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir constaté la violation, par la Commission, du principe de bonne administration en raison du fait que cette institution n’avait pas ordonné la production de la correspondance entre Niche ou ses partenaires et les autorités nationales au sujet de demandes d’autorisation de mise sur le marché d’une version générique du périndopril.
207 Il y a lieu de constater que, conformément à ce qui est exposé aux points 80 et 120 du présent arrêt s’agissant de la pertinence des démarches entreprises en vue de l’obtention d’autorisations de mise sur le marché aux fins de l’appréciation de la concurrence potentielle, c’est à juste titre que le Tribunal a rappelé, au point 479 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de déterminer l’existence de la concurrence potentielle, la Commission pouvait s’appuyer sur le fait que le fabricant du médicament
générique avait demandé une autorisation de mise sur le marché et participé activement à la procédure en vue de l’octroi d’une telle autorisation. Il appartient, en revanche, à ce fabricant de fournir des éléments de preuve attestant de l’existence de problèmes empêchant objectivement l’obtention de cette autorisation.
208 Toutefois, comme Mme l’avocate générale l’a relevé au point 103 de ses conclusions, de la même manière que l’issue probable d’un litige en cours relatif à la validité d’un brevet n’est pas déterminante pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 81 du présent arrêt, il n’appartient pas non plus à la Commission d’évaluer les chances de succès ou l’issue probable d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché
introduite devant les autorités nationales par un tel fabricant à un moment où cette procédure est, ou était, en cours. Ainsi, en l’absence d’une décision finale mettant fin à une telle procédure, d’éventuels problèmes empêchant objectivement l’obtention de l’autorisation sollicitée ne sauraient être établis sur la base d’éléments relatifs à des doutes exprimés par les autorités nationales compétentes, sans préjudice de leur décision finale, quant aux chances de la procédure d’aboutir à une
autorisation.
209 Ayant relevé, au point 480 de cet arrêt, que Niche avait déposé plusieurs demandes d’autorisation de mise sur le marché et participé aux procédures en vue de leur obtention, le Tribunal a, au point 481 dudit arrêt, estimé qu’il ne pouvait être reproché à la Commission d’avoir refusé de faire droit à la demande de production de l’ensemble de la correspondance échangée entre Niche et les autorités compétentes, en ce qui concerne ces procédures d’autorisation de mise sur le marché. Le Tribunal a,
en substance, considéré à cet égard que Servier ayant disposé dans le cadre de la procédure administrative d’un tableau résumant le contenu de cette correspondance, le refus de la Commission d’ordonner la production des documents concernés était justifié, ces documents ne revêtant pas, pour la défense de Servier, une « importance considérable ». Le Tribunal a notamment souligné, à cet égard, le fait que Niche n’avait pas produit la correspondance en cause, que ce soit pendant la procédure
administrative ou devant le Tribunal, au soutien de ses griefs visant à remettre en cause sa propre qualité de concurrent potentiel de Servier.
210 En l’occurrence, au vu de ce qui est jugé au point 208 du présent arrêt, il y a lieu de relever que l’accès sollicité à la correspondance en question n’était pas susceptible de mettre Servier en mesure de fournir des éléments de preuve attestant de l’existence de problèmes empêchant objectivement l’obtention des autorisations de mise sur le marché sollicitées par Niche et Matrix. Ainsi, il y a lieu de constater que la Commission n’était pas obligée d’ordonner la production de cette
correspondance et que le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit en l’espèce en ne constatant pas une violation, par la Commission, du principe de bonne administration. Partant, il y a lieu de rejeter le cinquième grief comme étant non fondé.
211 Eu égard à tout ce qui précède, la première branche du troisième moyen doit être rejetée.
b) Sur la seconde branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet
1) Argumentation des parties
212 Par la seconde branche du troisième moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir confirmé la qualification des accords Niche et Matrix de restriction de la concurrence par objet.
213 À titre liminaire, Servier se réfère à son argumentation développée dans le cadre de son premier moyen, exposée aux points 129 à 140 du présent arrêt, par laquelle elle soutient que le Tribunal a appliqué, aux points 526, 552, 555, 557 et 558 de l’arrêt attaqué, des critères juridiques contraires à la jurisprudence relative à la notion de restriction de la concurrence par objet.
214 Par un premier grief, Servier soutient que le Tribunal a erronément jugé que les paiements de 11,8 millions de GBP versés à Niche et à Matrix étaient la contrepartie de la renonciation de ces entreprises à lui livrer concurrence. En effet, il ressortirait du libellé de l’accord Niche que cette somme était la contrepartie des coûts et des indemnités qui pourraient être mis à la charge de Niche et d’Unichem du fait de la cessation de leur programme de développement d’une version générique du
périndopril constituant une contrefaçon des brevets de Servier. Le Tribunal aurait, à tort, considéré, au point 537 de l’arrêt attaqué, que ces coûts et ces indemnités n’étaient pas inhérents à l’accord de règlement amiable, alors que cet accord exposait Niche et Matrix à un fort risque de voir leur responsabilité mise en jeu. Le Tribunal aurait, à tort, considéré, au point 539 de l’arrêt attaqué, que les coûts et les indemnités effectivement payés par Niche et par Matrix étaient d’un montant
inférieur aux 11,8 millions de GBP qu’elles avaient chacune perçus de Servier. En effet, il s’agirait d’éléments postérieurs à la date de conclusion des accords Niche et Matrix, date à laquelle le risque encouru par ces entreprises ne pouvait être précisément évalué.
215 Par un second grief, Servier soutient, en substance, que le Tribunal, en confirmant que les paiements d’un montant de 11,8 millions de GBP perçus par Niche et Matrix ont constitué la contrepartie des clauses de non-contestation et de non-commercialisation souscrites par ces dernières, a commis trois erreurs.
216 Premièrement, le Tribunal aurait refusé, au point 541 de l’arrêt attaqué, d’examiner le caractère incitatif de ces paiements en comparant leur montant aux profits que Niche et Matrix pouvaient chacune escompter de leur entrée sur le marché du périndopril. Selon Servier, cette comparaison était non pas inutile, comme l’a jugé le Tribunal, mais nécessaire. La Commission aurait d’ailleurs effectué une telle comparaison au considérant 1338 de la décision litigieuse, dont Servier a contesté la
validité dans le cadre de son recours en première instance. Le Tribunal aurait ainsi substitué ses propres motifs à ceux de la Commission.
217 Deuxièmement, en jugeant que Servier n’avait pas établi que la somme de 11,8 millions de GBP était insuffisante pour constituer une incitation à renoncer à entrer sur le marché concerné, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve et violé le principe de la présomption d’innocence.
218 Troisièmement, au point 563 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait omis de prendre en compte, au titre du contexte des accords Niche, Matrix et Biogaran, les obstacles brevetaires, réglementaires, techniques et financiers auxquels Niche et Matrix étaient confrontées. Il se serait borné à examiner ce contexte dans le cadre de son analyse de la concurrence potentielle, alors que, selon Servier, ces obstacles constituent la véritable cause de l’acceptation des clauses de non-contestation et de
non-commercialisation.
219 S’agissant plus particulièrement de l’accord Biogaran, Servier conteste que la somme de 2,5 millions de GBP versée à Niche au titre de cet accord dépassait la valeur des dossiers d’autorisation de mise sur le marché transférés à Biogaran. Quand bien même tel serait le cas, Servier estime que cela n’aurait pas suffi à établir le caractère incitatif de ce paiement en l’absence d’une prise en compte du contexte de cet accord. Servier souligne que le montant dudit paiement, qui n’a été considéré par
la décision litigieuse que comme étant une incitation complémentaire, était trop faible pour avoir incité Niche à transiger.
220 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
221 Par ses arguments liminaires, Servier réitère que le Tribunal a appliqué des critères juridiques erronés pour apprécier l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, en renvoyant à l’argumentation invoquée à l’appui de son premier moyen. Ces arguments liminaires doivent être écartés pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 142 à 169 du présent arrêt.
222 Par son premier grief, Servier conteste l’appréciation du Tribunal selon laquelle ses paiements d’un montant de 11,8 millions de GBP en faveur de Niche et de Matrix ont été effectués en contrepartie de la renonciation de ces dernières à entrer sur le marché. Toutefois, force est de constater que cette argumentation repose intégralement sur la prémisse selon laquelle les indemnités qu’un fabricant de médicaments génériques pourrait devoir verser à des tiers en raison du préjudice que ces derniers
auraient subi en conséquence de la décision de ce fabricant de renoncer à la commercialisation du médicament générique faisant l’objet de ce litige font, en principe, partie des frais inhérents au règlement amiable d’un litige en matière de brevets. Or, pour les motifs exposés au point 167 du présent arrêt, cette prémisse est erronée. Le premier grief doit donc être rejeté.
223 Par son second grief, Servier soutient, par un premier argument, que le Tribunal aurait dû comparer les paiements d’un montant de 11,8 millions de GBP versés à Niche et à Matrix aux profits que ces dernières pouvaient escompter tirer de leur entrée sur le marché du périndopril. Cet argument n’est toutefois pas fondé. Il suffit en effet de rappeler que, conformément à ce qui est jugé au point 165 du présent arrêt, afin de vérifier si les transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps
au profit du fabricant de médicaments génériques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, à entrer sur le marché concerné, il y a lieu de déterminer si le solde positif net de ces transferts de valeur est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à une telle renonciation, sans qu’il soit requis que ce solde positif net soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la
procédure en matière de brevets [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].
224 Par un deuxième argument, Servier reproche au Tribunal d’avoir renversé la charge de la preuve en ce qui concerne la comparaison visée au point précédent du présent arrêt. Toutefois, il résulte de ce point que cet argument est inopérant dès lors que ce prétendu renversement de la charge de la preuve se rapporte à une comparaison qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer.
225 Par un troisième argument, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir pris en compte les obstacles auxquels Niche et Matrix étaient confrontées. Il y a lieu de constater que, par cet argument, Servier conteste le caractère anticoncurrentiel de l’objet poursuivi par les accords Niche, Matrix et Biogaran, soutenant que ces entreprises souhaitaient transiger en raison non pas de l’incitation résultant d’un paiement inversé offert par Servier, mais des obstacles auxquels se heurtait leur projet
d’entrer sur le marché du périndopril. Elle invoque ainsi l’intention de ces entreprises et le fait qu’elles poursuivaient un but non pas anticoncurrentiel, mais légitime.
226 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 159 à 168 du présent arrêt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit aux points 277 à 280 de l’arrêt attaqué, aux termes desquels son appréciation de la situation de Niche et de Matrix, effectuée aux points 527 à 547 de cet arrêt, en ce qui concerne le caractère incitatif des transferts de valeur effectués en leur faveur par Servier et par sa filiale Biogaran, est entachée d’illégalité. Pour le surplus, pour autant que
Servier cherche à remettre en cause les appréciations factuelles effectuées par la Commission à cet égard, ses griefs sont irrecevables.
227 Quant aux arguments de Servier tirés des obstacles brevetaires à l’entrée de Niche et de Matrix sur le marché, force est de constater qu’ils se recoupent avec les arguments invoqués dans le contexte de la concurrence potentielle que la Cour a rejetés aux points 184 à 211 du présent arrêt. En effet, dans la mesure où la Cour a jugé que le Tribunal n’avait commis aucune erreur de droit entachant d’illégalité son appréciation selon laquelle ces obstacles ne constituaient pas des obstacles
insurmontables à une telle entrée, il n’y a aucune raison de considérer, en l’absence de tels obstacles, que ces derniers seraient susceptibles de remettre en cause le caractère incitatif des transferts de valeur constatés en constituant la véritable cause de la décision de Niche et de Matrix de renoncer à entrer sur le marché du périndopril dans l’Union.
228 Dans la mesure où Servier invoque l’absence d’intention anticoncurrentielle des parties aux accords Niche et Matrix, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte du point 157 du présent arrêt, la circonstance que ces entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 21 décembre 2023,
European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 167 et jurisprudence citée). Ainsi, le fait qu’une stratégie commerciale consistant pour des entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production de négocier de tels accords entre elles pour mettre fin à un litige relatif à la validité d’un brevet soit économiquement rationnelle du point de vue de ces entreprises ne démontre aucunement que la poursuite de cette stratégie soit justifiable du point de vue du droit de la
concurrence. Le troisième argument de Servier n’est donc pas fondé.
229 Eu égard aux considérations qui précèdent, la seconde branche du troisième moyen doit être rejetée et, partant, ce troisième moyen doit être rejeté dans son intégralité.
2. Sur le sixième moyen, relatif à la qualification des accords Niche et Matrix d’infractions distinctes
230 Par le sixième moyen de son pourvoi, Servier conteste les motifs par lesquels le Tribunal a refusé de considérer que les accords Niche et Matrix constituaient une infraction unique.
a) Argumentation des parties
231 Selon Servier, en confirmant, au point 1302 de l’arrêt attaqué, que les accords Niche et Matrix constituaient deux infractions distinctes, pour chacune desquelles la Commission a pu imposer une amende individuelle à Niche et à Matrix, le Tribunal a commis une erreur de droit.
232 En premier lieu, Servier fait valoir qu’un comportement continu, caractérisé par plusieurs agissements ayant un objectif commun, constitue une infraction unique. Or, les accords Niche et Matrix, signés le même jour, au même endroit et par le même représentant de Servier, partageaient le même objectif, ainsi qu’il ressort du point 1296 de l’arrêt attaqué. Contrairement à la constatation opérée par le Tribunal au point 1280 de cet arrêt, ces accords auraient entraîné une coordination du
comportement de Niche et de Matrix face à Servier. En raison de la complémentarité desdits accords, le Tribunal aurait dû accueillir le moyen par lequel Servier soutenait que les mêmes accords constituaient une infraction unique.
233 En deuxième lieu, Servier soutient que le Tribunal a écarté la qualification d’infraction unique en s’appuyant sur des critères juridiquement erronés. Elle relève à cet égard que, aux points 1296, 1297 et 1300 de l’arrêt attaqué, le Tribunal semble avoir écarté la qualification d’infraction unique au motif que Niche et Matrix ne partageaient pas la même intention. Cependant, un tel critère subjectif serait étranger à la jurisprudence du Tribunal qui exige que cette qualification repose non pas
sur l’intention subjective des parties, mais sur des éléments objectifs (arrêt du 3 mars 2011, Siemens/Commission, T‑110/07, EU:T:2011:68, point 246). Le Tribunal ayant considéré, sur la base des éléments visés au point 1296 de l’arrêt attaqué, que les accords Niche et Matrix poursuivaient le même objectif, il aurait dû en déduire l’existence d’une infraction unique, nonobstant certaines divergences d’intentions entre ces entreprises.
234 Servier relève en outre que, au point 1298 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé au fait qu’il n’existait pas entre Niche et Matrix de « communauté d’intérêts ». Or, ce critère ne serait ni pertinent ni requis au regard de la jurisprudence. En toute hypothèse, cette appréciation du Tribunal reposerait sur une dénaturation des faits, dans la mesure où ces entreprises avaient conclu un accord oral de partage de profits et un accord de partage des responsabilités à l’égard des distributeurs,
ainsi que cela ressort du point 1299 de cet arrêt.
235 En troisième lieu, le Tribunal ne pouvait pas, selon Servier, se fonder sur les différences mineures entre les accords Niche et Matrix relevées au point 1298 de l’arrêt attaqué pour remettre en cause l’existence d’un objectif commun poursuivi par ces entreprises.
236 En quatrième lieu, le Tribunal n’aurait pas pu s’appuyer sur des désaccords entre Niche et Matrix lors de la mise en œuvre de leurs accords avec Servier, pour rejeter, au point 1299 de l’arrêt attaqué, l’existence d’une infraction unique. En effet, ces désaccords seraient postérieurs à la conclusion de ces accords.
237 En cinquième lieu, le fait que Matrix n’a pas été impliquée dès le début des négociations entre Niche et Servier ou qu’elle ignorait l’existence de l’accord Biogaran ne serait pas de nature à remettre en cause l’existence d’une infraction unique.
238 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
239 Par son argumentation, Servier fait valoir que le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné pour déterminer si Niche et Matrix avaient commis deux infractions distinctes. Elle dénonce une dénaturation des faits dans l’énoncé du sixième moyen et conteste, en substance, la qualification juridique des faits retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.
240 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de cette disposition. Ainsi, lorsque les différents comportements s’inscrivent dans un « plan
d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces comportements en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée).
241 Une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et continue par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’« accord » ou de « pratique concertée » ayant un objet anticoncurrentiel, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également tenue pour responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de cette infraction pour toute
la période de sa participation à ladite infraction (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 42 et jurisprudence citée).
242 À cet égard, il convient de rappeler que, aux fins de qualifier différents comportements d’infraction unique et continue, il n’y a pas lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif
unique. En revanche, la condition tenant à la notion d’« objectif unique » implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique
faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 50 ainsi que jurisprudence citée).
243 Il y a lieu de relever, en outre, que, comme l’a fait observer Mme l’avocate générale, en substance, aux points 239 et 240 de ses conclusions, afin de qualifier des comportements d’infractions distinctes ou d’infraction unique, la Commission doit établir objectivement, sur la base des éléments du dossier et sous le contrôle du juge de l’Union, que les critères établis pour qualifier un comportement de l’une ou de l’autre manière sont remplis. En effet, comme le Tribunal l’a jugé au point 1294 de
l’arrêt attaqué, s’il est démontré que la Commission a commis une erreur en effectuant cette qualification juridique des faits, la décision d’infraction doit être annulée et le montant de l’amende fixé doit être recalculé.
244 En l’espèce, le Tribunal a rappelé, en substance, les éléments jurisprudentiels visés au point 242 du présent arrêt en indiquant, au point 1295 de l’arrêt attaqué, que, « aux fins de constater l’existence d’une infraction unique, il appartient à la Commission d’établir que les accords en cause s’inscrivent dans un plan d’ensemble mis en œuvre sciemment par les entreprises concernées en vue de la réalisation d’un objectif anticoncurrentiel unique et qu’elle est tenue d’examiner, à cet égard, tous
les éléments factuels susceptibles d’établir ou de remettre en cause ledit plan d’ensemble ». Il convient de constater que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en ce qui concerne le critère juridique applicable aux fins d’identifier une infraction unique.
245 S’agissant de l’appréciation des faits de l’affaire, le Tribunal a considéré, aux points 1296 et 1297 de l’arrêt attaqué, que, s’il était vrai que Servier avait poursuivi un seul et même objectif lors de la conclusion des accords Niche et Matrix, cette circonstance ne permettait pas d’établir que, de leur côté, Niche et Matrix avaient poursuivi ensemble un même objectif attestant d’un plan commun, ni à plus forte raison qu’elles partageaient ce plan avec Servier. Ce faisant, le Tribunal a fait
une exacte application des critères énoncés aux points 240 à 242 du présent arrêt, selon lesquels la qualification d’« infraction unique » exige que chacun des comportements anticoncurrentiels concernés s’inscrive dans le cadre d’un même plan d’ensemble, en raison de leur objet anticoncurrentiel identique.
246 Aux points 1298 et 1299 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la conclusion des accords Niche et Matrix le même jour, au même endroit et par le même représentant n’était pas une circonstance suffisante pour établir l’existence d’un plan commun entre Niche et Matrix. Il a relevé l’existence de plusieurs différences entre les stipulations de ces accords, a écarté les indices de l’existence d’un accord oral entre Niche et Matrix sur la mise en œuvre desdits accords et en a déduit que ces
entreprises n’avaient pas de « plan commun » permettant de qualifier leur comportement d’« infraction unique ».
247 Quant aux circonstances factuelles entourant la conclusion des accords Niche et Matrix, le Tribunal a considéré, au point 1300 de l’arrêt attaqué, que celles-ci démontraient que Matrix avait davantage cherché à saisir une opportunité offerte par Servier qu’agi de concert avec Niche dans le cadre d’un plan commun visant à mettre un terme à leur projet concernant le périndopril. La participation de Matrix aux pourparlers ayant conduit à la conclusion des accords Niche et Matrix, dont elle n’a été
informée que tardivement, a été limitée, selon le Tribunal, à la négociation du transfert de valeur de Servier en sa faveur. Par ailleurs, le Tribunal a relevé, au point 1301 de l’arrêt attaqué, que l’accord Biogaran avait été conclu à l’insu de Matrix.
248 Servier fait cependant valoir que le Tribunal a accordé une trop grande importance à l’intention des parties, alors que la jurisprudence exigerait une évaluation objective du rattachement des comportements anticoncurrentiels à un plan d’ensemble.
249 Toutefois, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 248 de ses conclusions, afin de pouvoir constater une infraction unique, il doit être établi que les comportements d’entreprises font partie d’un plan d’ensemble en raison de leur contribution à la réalisation d’un objectif économique commun (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Toshiba Samsung Storage Technology et Toshiba Samsung Storage Technology Korea/Commission, C‑700/19 P, EU:C:2022:484, point 107 ainsi que jurisprudence
citée). La preuve d’un tel objectif commun peut donc être établie, notamment, sur la base d’éléments relatifs à l’intention des parties, car la notion de plan d’ensemble implique que les parties avaient l’intention de collaborer afin de mettre en œuvre ce plan et leurs intentions à l’égard de cette collaboration sont donc pertinentes, à condition qu’elles soient établies sur la base d’éléments objectifs et fiables, pour déterminer si leur comportement relève d’une infraction unique.
250 Dans ces conditions, Servier n’est pas fondée à soutenir que la qualification juridique des faits à laquelle le Tribunal a procédé repose sur un critère juridique erroné. Elle n’a pas établi non plus une dénaturation des faits par le Tribunal.
251 Il y a lieu, en conséquence, de rejeter le sixième moyen.
D. Sur le quatrième moyen, relatif à l’accord Teva
252 Par son quatrième moyen, Servier conteste les appréciations portées par le Tribunal sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’accord Teva. Ce moyen comporte deux branches.
1. Sur la première branche, relative à la concurrence potentielle
a) Argumentation des parties
253 Par la première branche de son quatrième moyen, Servier soutient que l’analyse de la concurrence potentielle opérée par le Tribunal est entachée de plusieurs erreurs de droit. Sur le fondement de l’argumentation développée dans le cadre du deuxième moyen, Servier reproche, de manière générale, au Tribunal de lui avoir imposé, aux points 589, 591, 592, 600, 601 et 603 de l’arrêt attaqué, la charge de démontrer que l’entrée de Teva sur le marché se heurtait à des obstacles insurmontables afin
d’établir l’absence de concurrence potentielle.
254 Par un premier grief, Servier conteste l’appréciation, effectuée aux points 589, 591, 592 et 596 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ses brevets, ainsi que la perception que pouvaient en avoir les parties, et plus particulièrement le risque qu’une injonction provisoire soit octroyée sur le fondement de ces brevets, ne constituaient pas des obstacles insurmontables à une telle entrée.
255 Par un deuxième grief, Servier reproche au Tribunal d’avoir jugé, au point 599 de l’arrêt attaqué, que des retards dans les procédures d’autorisation de mise sur le marché ne suffisent pas à exclure la qualité de concurrent potentiel d’un fabricant de médicaments génériques. Le Tribunal n’aurait pas analysé l’effet de ces retards, alors que Servier avait établi que ceux-ci avaient mis en péril le projet de Teva. Le Tribunal aurait en outre écarté l’importance, pour les fabricants de médicaments
génériques, d’être parmi les premiers à entrer sur le marché concerné, alors que la Commission avait reconnu expressément cette importance au considérant 1126 de la décision litigieuse.
256 Par un troisième grief, Servier invoque plusieurs dénaturations.
257 D’une part, aux points 586 et 609 à 612 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait dénaturé les preuves produites par Servier démontrant que Teva n’avait pas de stock de périndopril bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché.
258 D’autre part, Servier soutient que, au point 594 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé la requête en première instance en affirmant que Servier n’avait pas contesté la déclaration par laquelle Teva se disait prête à assumer le risque de faire l’objet d’une action en contrefaçon en raison de son entrée sur le marché du périndopril.
259 Par un quatrième grief, Servier reproche au Tribunal d’avoir refusé, au point 610 de l’arrêt attaqué, de tenir compte des preuves concernant les défauts du périndopril générique produit à partir du principe actif fourni par Hetero Drugs Ltd (ci-après « Hetero »), au motif qu’elles étaient postérieures à la conclusion de l’accord Teva. Or, ces preuves étant antérieures à l’enquête de la Commission, elles auraient une forte valeur probante. En considérant, au point 611 de cet arrêt, que le
courriel adressé par Teva à Hetero le 15 octobre 2007 visait « clairement à mettre en œuvre » l’accord Teva, le Tribunal aurait dénaturé ce courriel.
260 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
261 Les arguments liminaires et le premier grief, relatifs à la charge de la preuve de l’existence d’obstacles insurmontables à l’entrée sur le marché, reposent sur une conception erronée des critères juridiques applicables à l’appréciation de la concurrence potentielle, ainsi qu’il est jugé aux points 81, 107 à 111 et 123 à 125 du présent arrêt. Ces arguments et grief doivent, dès lors, être rejetés pour les mêmes motifs que ceux exposés à ces points.
262 De la même manière, dans la mesure où ce grief est tiré plus particulièrement du risque qu’une injonction provisoire soit octroyée sur le fondement de ces brevets, il convient de rappeler, ainsi qu’il est jugé au point 112 du présent arrêt, que leur octroi, et à plus forte raison le simple risque d’un tel octroi, ne saurait permettre en tant que tel d’exclure la qualité de concurrent potentiel d’un fabricant de médicaments génériques.
263 S’agissant du deuxième grief, il convient de rappeler que, conformément à ce qui est jugé au point 120 du présent arrêt, un retard dans les procédures d’autorisation de mise sur le marché ne suffit pas, en soi, à remettre en cause la qualité de concurrent potentiel. Il convient, dès lors, de rejeter ce grief pour les mêmes motifs que ceux énoncés à ce point 120. Quant à la référence faite, au considérant 1126 de la décision litigieuse, à l’avantage dit du « premier entrant » dont bénéficierait
le premier fabricant de médicaments génériques à lancer son produit, il ne ressort aucunement de cette référence que seul un fabricant qui est en mesure de lancer son produit le premier peut être considéré comme étant un concurrent potentiel du fabricant de médicaments princeps. Pour le surplus, il suffit de constater que Servier conteste des appréciations factuelles du Tribunal relatives à un tel retard et que son argumentation est donc irrecevable.
264 Quant à la prétendue dénaturation des preuves de l’absence de stocks de périndopril de Teva couverts par une autorisation de mise sur le marché, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, faute pour Servier d’identifier avec précision les preuves dont elle allègue la dénaturation, la Commission n’est pas en mesure de répondre à ce grief et la Cour ne peut procéder à son contrôle, de sorte que ledit grief doit être rejeté comme étant irrecevable.
265 S’agissant de la dénaturation de la requête de Servier en première instance figurant au point 594 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal relève que Servier n’aurait pas contesté sur le plan factuel l’affirmation qui ressort d’une déclaration de Teva selon laquelle celle-ci était prête à lancer son périndopril malgré le risque d’actions en contrefaçon, il y a lieu de constater que le Tribunal a répondu à l’argumentation de Servier sur le fond, en tout état de cause, en rappelant, au point 591
de cet arrêt, que les risques pour Teva de faire l’objet d’actions en contrefaçon et d’injonctions provisoires à la suite de son entrée sur le marché du périndopril ne permettaient pas « d’exclure l’existence de possibilités réelles et concrètes de Teva de surmonter les obstacles liés aux brevets en cause ». En outre, il découle de ce point 594 que, alors que Teva était consciente des risques de contrefaçon et d’octroi d’injonctions provisoires dès le mois de février de l’année 2006, elle a
néanmoins continué à entreprendre ses démarches préparatoires ainsi que cela résulte du point 598 de cet arrêt.
266 Par ailleurs, ainsi qu’il est rappelé au point 109 du présent arrêt, l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme étant un obstacle insurmontable à l’entrée sur le marché et n’empêche pas de qualifier de concurrent potentiel du fabricant du médicament princeps concerné un fabricant de médicaments génériques qui a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre
d’entrer sur le marché et qui, par ses démarches, se montre prêt à contester la validité de ce brevet et à assumer le risque de se voir, lors de son entrée sur ledit marché, confronté à une action en contrefaçon introduite par le titulaire dudit brevet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 46].
267 Il ressort donc des éléments rappelés au point 265 du présent arrêt que, sans avoir besoin de s’appuyer sur le fait que Servier n’aurait pas contesté l’intention de Teva d’entrer sur le marché à risque, le Tribunal a examiné les arguments de Servier au fond et a motivé à suffisance de droit, au regard de la jurisprudence citée au point 266 du présent arrêt, sa conclusion selon laquelle l’existence des brevets de Servier ne constituait pas un obstacle insurmontable à l’entrée potentielle de Teva
sur le marché.
268 Il s’ensuit que le grief de dénaturation dirigé contre le point 594 de l’arrêt attaqué est inopérant, car il vise un motif surabondant de l’arrêt attaqué.
269 Par son quatrième grief, Servier conteste l’appréciation du courriel d’Hetero du 15 octobre 2007 sous couvert d’en invoquer la dénaturation. Or, un grief de cette nature ne relève pas, conformément à la jurisprudence rappelée au point 58 du présent arrêt, de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi.
270 Compte tenu de ces éléments, la première branche du quatrième moyen doit être rejetée.
2. Sur la seconde branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet
271 Par la seconde branche de son quatrième moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir, aux points 698, 700 et 704 de l’arrêt attaqué, confirmé la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet. À cet égard, Servier, tout en réitérant l’argumentation exposée dans le cadre du premier moyen, fait valoir que le fait que l’accord Teva contienne des clauses restrictives de la concurrence et un paiement incitant Teva à se soumettre à de telles clauses ne serait pas suffisant
pour qualifier cet accord de restriction de la concurrence par objet alors que, notamment, ledit accord favorisait également une entrée anticipée de Teva sur le marché et produisait donc des effets proconcurrentiels.
272 Avant d’aborder les griefs spécifiques soulevés par Servier dans ce contexte, il convient de rappeler d’emblée que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 73, 76 et 77 du présent arrêt, les éventuels effets proconcurrentiels d’un accord sont dénués de pertinence dans le contexte de l’examen de son objet anticoncurrentiel, y compris aux fins de la vérification de son éventuelle nocivité. Il y a également lieu de souligner que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée
notamment au point 83 du présent arrêt, un report de l’entrée sur le marché de médicaments génériques en contrepartie de transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de ces médicaments génériques doit être considéré comme étant constitutif d’une restriction de la concurrence par objet si ces transferts de valeur s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial de ces fabricants de médicaments à ne pas se livrer une concurrence par les mérites.
a) Sur les objectifs de l’accord Teva
1) Argumentation des parties
273 Servier soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération les buts objectivement poursuivis par l’accord Teva, au seul motif que cet accord contenait des clauses restrictives de la concurrence. Selon Servier, le Tribunal a méconnu le fait que l’approvisionnement de Teva en périndopril était l’objectif essentiel dudit accord. Le règlement amiable des litiges relatifs aux brevets de Servier n’aurait constitué qu’un objectif « secondaire », dont la portée
était limitée, puisqu’elle ne s’étendait pas à la procédure pendante devant l’OEB relative à la validité du brevet 947. Selon Servier, ces objectifs ne sont pas, en soi, nocifs pour la concurrence.
274 En outre, l’analogie opérée par le Tribunal au point 704 de l’arrêt attaqué entre l’accord Teva et les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), ne serait pas fondée, puisque ces circonstances se rapportaient non pas à l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché, mais à la sortie d’entreprises concurrentes déjà présentes sur ce marché.
275 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
276 Servier conteste l’existence d’une restriction de la concurrence par objet en s’appuyant sur la prétendue légitimité de certains des objectifs affichés par l’accord Teva et celle de l’intention des parties à cet égard. Selon Servier, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de ces objectifs et de cette intention, dans le cadre de la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet.
277 Toutefois, il convient de rappeler que, pour qualifier un comportement de restriction de la concurrence par objet, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l’égard de la concurrence. En revanche, ainsi qu’il est jugé au point 87 du présent arrêt, la circonstance que les entreprises ont agi sans avoir l’intention d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu’elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants
aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Seule est pertinente l’appréciation du degré de nocivité économique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné. Cette appréciation doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ladite pratique, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics
(UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].
278 En outre, pour autant que Servier, en soulignant que l’accord Teva avait pour objectif « essentiel » l’approvisionnement de Teva en périndopril et pour objectif « secondaire » le règlement amiable de litiges, cherche à se prévaloir de la jurisprudence relative aux restrictions accessoires, il y a lieu de considérer, pour les motifs exposés aux points 148 à 151 du présent arrêt, que cette jurisprudence n’est pas applicable à une situation telle que celle présentée par l’accord Teva. En effet,
premièrement, la clause de l’accord Teva prévoyant l’approvisionnement de Teva en périndopril n’est pas neutre à l’égard de la concurrence en raison de l’existence de paiements inversés constitutifs de transferts de valeur et, deuxièmement, compte tenu de l’existence de ces paiements, les restrictions de la concurrence découlant des clauses de non-contestation et de non-commercialisation ne sauraient être considérées comme étant objectivement nécessaires à cette clause d’approvisionnement ni au
règlement amiable de litiges, et ce à plus forte raison lorsque les clauses de non-contestation et de non-commercialisation sont lues à la lumière du caractère exclusif de la clause d’approvisionnement.
279 Dès lors, sans qu’il soit besoin de statuer sur la pertinence de l’arrêt du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers (C‑209/07, EU:C:2008:643), il y a lieu de rejeter le grief soulevé par Servier.
b) Sur l’ambivalence des effets de l’accord Teva
1) Argumentation des parties
280 Servier soutient que, à la date de conclusion de l’accord Teva, les effets potentiels de cet accord, pris dans leur ensemble et dans la mesure où ils étaient identifiables à cette date, étaient ambivalents, de telle sorte que la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet est exclue, ainsi qu’il ressort de son argumentation invoquée au titre du premier moyen. Le Tribunal aurait dénaturé les faits relatifs au contexte de cet accord, notamment aux points 644 et 667 de
l’arrêt attaqué, et aurait ignoré les effets proconcurrentiels de celui-ci.
281 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
282 Servier ne saurait se prévaloir d’effets positifs ou du moins ambivalents sur la concurrence auxquels l’accord Teva serait susceptible de donner lieu, dès lors que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 73, 76 et 77 du présent arrêt, l’examen de tels effets, qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs, n’est pas nécessaire aux fins de déterminer si cet accord peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet. Ainsi, indépendamment du fait que les prétendus
effets positifs résultant d’une entrée anticipée de Teva sur le marché n’étaient pas certains de se produire, dès lors que Servier disposait du droit contractuel de bloquer une telle entrée moyennant un paiement inversé supplémentaire, cette argumentation ne saurait, en tout état de cause, prospérer. Il y a donc lieu de rejeter ce grief.
c) Sur la nocivité des clauses de l’accord Teva
1) Argumentation des parties
283 S’agissant de la clause de non-contestation de l’accord Teva, Servier réitère l’argumentation développée dans le cadre de son premier moyen, selon laquelle ce type de clause usuelle n’est pas, en soi, nocif pour la concurrence. Aux points 648 et 649 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait méconnu la jurisprudence issue de l’arrêt du 25 février 1986, Windsurfing International/Commission (193/83, EU:C:1986:75), et aurait commis une erreur en considérant que le fait que cette clause n’incluait pas
la procédure devant l’OEB était dénué de pertinence.
284 S’agissant de la clause de non-commercialisation de l’accord Teva, aux points 663 et 664 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait fait abstraction du fait que le champ d’application de cette clause était limité au périndopril contrefaisant les brevets de Servier, laissant Teva libre de développer une forme non contrefaisante de ce médicament. Le Tribunal aurait également écarté à tort, au point 666 de cet arrêt, des preuves relatives au développement par Teva d’une version non contrefaisante dudit
médicament. Le Tribunal aurait en outre commis l’erreur de ne pas prendre en compte le fait que l’approvisionnement de Teva en périndopril générique atténuait, voire supprimait, les effets restrictifs éventuels de ladite clause. Or, le Tribunal aurait pourtant admis, au point 954 dudit arrêt, que le caractère restrictif de la concurrence de l’accord de règlement amiable conclu avec Krka pouvait être compensé par les effets proconcurrentiels de l’accord de licence conclu avec cette dernière
entreprise.
285 S’agissant de la clause d’approvisionnement exclusif, Servier invoque trois griefs.
286 Tout d’abord, le Tribunal aurait dénaturé cette clause. Contrairement à ce que le Tribunal a affirmé au point 662 de l’arrêt attaqué, ladite clause n’aurait pas interdit à Teva de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs. Teva serait donc restée libre de s’approvisionner auprès de tiers produisant un périndopril autre que celui composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947. Le Tribunal aurait à tort déduit, au point 663 de cet arrêt, que l’accord Teva allait
au-delà des brevets de Servier.
287 Ensuite, Servier soutient que le Tribunal a, au point 672 de l’arrêt attaqué, affirmé à tort et sans motivation que la clause d’approvisionnement exclusif était inhabituelle. Or, ce type de clause serait licite et fréquemment utilisé, notamment par Teva.
288 Enfin, Servier fait valoir que la clause d’approvisionnement exclusif aurait dû être appréciée dans son contexte, eu égard au jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit en l’absence de cette clause. Dans la mesure où l’accord Teva aurait permis à Teva d’entrer sur le marché du périndopril, la qualification de restriction de la concurrence par objet serait exclue.
289 La Commission conteste tant la recevabilité que le bien-fondé de cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
290 Par cette argumentation, Servier conteste l’appréciation portée par le Tribunal sur la qualification de l’accord Teva de restriction de la concurrence par objet faisant valoir, en substance, que ni la clause de non-contestation de cet accord ni la clause de non-commercialisation ou la clause d’approvisionnement exclusif de celui-ci ne pouvaient causer des effets anticoncurrentiels.
291 Or, ainsi qu’il est rappelé au point 88 du présent arrêt, afin de déterminer si une pratique collusoire peut être qualifiée de restriction de la concurrence par objet, il convient d’examiner son contenu, sa genèse, ainsi que son contexte économique et juridique, en particulier les caractéristiques spécifiques du marché dans lequel se produiront concrètement ses effets. Le fait que les termes d’un accord destiné à mettre en œuvre cette pratique ne dévoilent pas un objet anticoncurrentiel n’est
pas, en soi, déterminant.
292 En effet, la qualification de restriction de la concurrence par objet ne dépend ni de la forme des contrats ou autres instruments juridiques destinés à mettre en œuvre une telle pratique collusoire ni de la perception subjective que les parties peuvent avoir de l’issue du litige qui les oppose quant à la validité d’un brevet. Seule est pertinente l’appréciation du degré de nocivité économique de cette pratique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné. Cette
appréciation doit reposer sur des considérations objectives, au besoin à l’issue d’une analyse détaillée de ladite pratique, ainsi que de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85, ainsi que du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission, C‑591/16 P, EU:C:2021:243, point 131].
293 Ainsi, des accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne pas la contester pas plus qu’à entrer sur ce marché sont susceptibles d’emporter des effets restrictifs de concurrence, dès lors que la contestation de la validité et de la portée d’un brevet fait partie du jeu normal de la concurrence
dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 81].
294 Comme le Tribunal l’a, en substance, souligné au point 305 de l’arrêt attaqué, il y a donc lieu, afin de déterminer si un accord peut être qualifié de restriction de la concurrence par objet, d’analyser non pas chacune de ses clauses de manière séparée, mais d’évaluer si cet accord, pris comme un tout, présente un degré de nocivité économique sur le bon fonctionnement de la concurrence dans le marché concerné qui justifie une telle qualification. En raison des liens étroits entre les clauses de
non-contestation, de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif de l’accord Teva, il était donc indispensable d’examiner ces clauses comme formant un tout.
295 En outre, l’argumentation de Servier ne tient pas compte de la jurisprudence rappelée au point 83 du présent arrêt dont il ressort que le critère permettant de vérifier si un accord de règlement amiable tel que l’accord Teva constitue une restriction de la concurrence par objet consiste à vérifier si les transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, à entrer sur le marché
concerné [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 87 à 94].
296 En l’espèce, aux points 644 et 645 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté la pertinence des effets potentiellement neutres ou proconcurrentiels de l’accord Teva ainsi que l’applicabilité de la jurisprudence relative aux restrictions accessoires, sans commettre d’erreurs de droit susceptibles de remettre en cause la conclusion à laquelle il était arrivé à ces points, ainsi qu’il ressort des motifs énoncés aux points 76 et 77, 148 à 151, 272 et 278 du présent arrêt.
297 S’agissant des restrictions imposées à Teva quant à son comportement sur le marché, le Tribunal a, en substance, confirmé les constatations opérées dans la décision litigieuse. Pour les motifs exposés aux points 647 à 678 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, premièrement, que la clause de non-contestation interdisait à Teva d’établir que son périndopril ne contrefaisait pas les brevets de Servier et de contester leur validité au Royaume-Uni. Deuxièmement, il a constaté que la clause de
non-commercialisation imposait à Teva de s’abstenir au Royaume-Uni de toute production ou commercialisation de son propre périndopril que Servier estimait contrefaisant ou de toute version que Servier pouvait estimer contrefaisante. Troisièmement, il a constaté que la clause d’approvisionnement exclusif, qui était étroitement liée à la précédente, laissait Teva face à une alternative consistant soit à distribuer le périndopril de Servier composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine soit,
en cas de défaut d’approvisionnement par Servier, de recevoir une indemnité forfaitaire d’un montant de 500000 GBP par mois. L’effet conjoint de cette alternative et de la combinaison de ces clauses était, en pratique, de permettre à Servier d’empêcher Teva de commercialiser au Royaume-Uni, sans son accord, une version générique du périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine.
298 Or, Servier reproche au Tribunal une dénaturation de la clause d’approvisionnement exclusif et de la clause de non-commercialisation. Contrairement à ce qu’il ressortirait des points 662 et 663 de l’arrêt attaqué, ces clauses, premièrement, n’auraient couvert que la version du périndopril composée de la forme cristalline alpha de l’erbumine, de sorte que Teva serait demeurée libre d’acheter d’autres formes de périndopril auprès de tiers ainsi que de les commercialiser et, deuxièmement, la portée
de ces clauses n’aurait pas dépassé le champ d’application des brevets de Servier.
299 À cet égard, s’agissant du point 663 de l’arrêt attaqué, il ressort du point 6 de cet arrêt que le brevet 947 concerne spécifiquement la version du périndopril composée de la forme cristalline alpha de l’erbumine et ses procédés de fabrication, sans que ledit arrêt contienne d’autres explications mettant en doute cette circonstance. Or, il résulte des termes de l’accord Teva que les clauses de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif de celui-ci s’appliquaient également au seul
périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine, lequel tombait donc nécessairement dans le champ d’application de ce brevet. Ainsi, la constatation opérée au point 663 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ces clauses s’étendaient au-delà du champ d’application des brevets de Servier visés par l’accord Teva, repose sur une dénaturation de cet accord.
300 Toutefois, le Tribunal a pris en compte correctement et sans équivoque la limitation de l’application desdites clauses au périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine dans le cadre de son analyse de l’objet des mêmes clauses d’un point de vue concurrentiel, aux points 665 et 666 de l’arrêt attaqué. Il ressort donc d’une lecture d’ensemble des points 662, 665 et 666 de cet arrêt que le Tribunal n’a commis aucune dénaturation à cet égard. Par ailleurs, ainsi que Mme l’avocate
générale l’a relevé au point 175 de ses conclusions, le Tribunal a écarté l’argumentation de Servier comme étant dépourvue de pertinence au motif que la forme du périndopril que Teva envisageait de commercialiser, à la date de la signature de l’accord Teva, était précisément celle qui faisait l’objet des clauses de non-commercialisation et d’approvisionnement exclusif figurant dans cet accord. Dans ces conditions, la circonstance que le champ d’application de ces clauses était limité à cette
forme de périndopril ne remet pas en cause leur caractère restrictif de la concurrence tel qu’analysé par le Tribunal. Ainsi, la dénaturation desdites clauses constatée au point 299 du présent arrêt n’infirme pas la conclusion tirée par le Tribunal quant au caractère anticoncurrentiel de celles-ci et porte, en définitive, sur un motif surabondant de l’arrêt attaqué. De même, l’argument de Servier relatif au caractère prétendument usuel des mêmes clauses ne saurait prospérer, car il ne remet
aucunement en cause ce caractère anticoncurrentiel.
301 Pour le surplus, il y a lieu de rejeter les autres arguments de Servier relatifs à la prétendue absence de nocivité des clauses de non-contestation et de non-commercialisation dans la mesure où, ainsi que la Commission le fait valoir, ils visent, en réalité, à contester les appréciations portées par le Tribunal sur les preuves qui lui étaient soumises ainsi que sur les éléments factuels pertinents aux fins de l’interprétation de l’accord Teva.
d) Sur le paiement inversé
1) Argumentation des parties
302 À titre liminaire, Servier réitère que la stipulation, dans un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets, d’un paiement inversé, n’est pas, en soi, anticoncurrentielle. Il en irait de même, à plus forte raison, lorsque ce type de paiement est prévu dans le cadre d’un accord d’approvisionnement tel que l’accord Teva. Servier renvoie à cet égard à son argumentation exposée dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, résumée aux points 139 et 140 du présent arrêt.
303 S’agissant de la clause d’indemnité forfaitaire prévue par l’accord Teva, Servier soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit aux points 660 et 699 de l’arrêt attaqué en considérant que cette indemnité faisait partie du paiement inversé sur le fondement duquel cet accord avait été qualifié de restriction de la concurrence par objet. Le Tribunal aurait à tort écarté, au point 685 de l’arrêt attaqué, le caractère usuel de ce type de clause. Quand bien même ladite indemnité aurait
visé à compenser Teva en contrepartie de sa renonciation à entrer sur le marché du périndopril, cela ne suffirait pas à la qualifier de paiement inversé. En effet, ladite indemnité forfaitaire serait liée non pas au règlement amiable de litiges en matière de brevets, mais à l’inexécution de l’obligation d’approvisionnement exclusif prévue par l’accord Teva. Par nature, le paiement d’une telle indemnité forfaitaire était incertain. Dès lors, cette indemnité n’aurait pas dû être prise en compte
dans le cadre de la comparaison avec les coûts inhérents au règlement amiable de litiges en matière de brevets.
304 Quant au paiement de la somme de 5 millions de GBP à Teva, Servier renvoie à son argumentation dans le cadre du premier moyen, pour contester la pertinence de ce paiement aux fins de la qualification de restriction de la concurrence par objet. Selon Servier, ledit paiement visait à couvrir les coûts supportés par Teva en raison de la résiliation de ses accords avec Hetero et avec Alembic Pharmaceuticals Ltd de la fabrication d’une version générique du périndopril, de la destruction des stocks
existants ainsi que des frais de justice. Or, ces coûts découleraient directement de l’accord Teva.
305 Servier reproche au Tribunal d’avoir dénaturé ses arguments relatifs à la cause du paiement d’un montant de 5 millions de GBP, en ayant affirmé, au point 697 de l’arrêt attaqué, qu’elle avait soutenu que ce paiement visait à « sécuriser » la clause d’approvisionnement exclusif prévue par l’accord Teva, alors qu’elle avait fait valoir que cet accord avait pour but, de son point de vue, de s’assurer les services de Teva comme distributeur de médicaments génériques au Royaume-Uni. Or, le Tribunal
aurait omis de vérifier cet élément.
306 La Commission conteste tant la recevabilité que le bien-fondé de cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
307 L’argument selon lequel les paiements de Servier en faveur de Teva ne devraient pas être assimilés à un paiement inversé au motif que l’accord Teva est non pas un accord de règlement amiable, mais un accord d’approvisionnement exclusif, ne saurait être accueilli. En effet, cette circonstance ne change rien au fait que, ainsi qu’il ressort des points 290 à 300 du présent arrêt, cet accord contenait des restrictions de la concurrence par objet et, partant, ainsi qu’il est rappelé, notamment, au
point 272 du présent arrêt, le fait pour Servier de verser des sommes d’argent en contrepartie de l’acceptation de ces restrictions par Teva est susceptible de constituer un tel paiement.
308 Par ailleurs, pour relever de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit remplir diverses conditions dépendant non pas de la nature juridique de cette pratique ou des instruments juridiques destinés à la mettre en œuvre, mais de ses rapports avec le jeu de la concurrence, ainsi qu’il est rappelé au point 292 du présent arrêt. L’application de cette disposition reposant sur l’évaluation des répercussions économiques de la pratique en cause, ladite
disposition ne saurait être interprétée comme instituant quelque préjugé que ce soit à l’égard d’une catégorie d’accords déterminée par sa nature juridique, tout accord devant être apprécié au regard de son contenu spécifique et de son contexte économique, et notamment à la lumière de la situation du marché concerné (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1966, LTM, 56/65, EU:C:1966:38, p. 358, ainsi que du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries/Commission, 142/84
et 156/84, EU:C:1987:490, point 40). Au demeurant, l’effectivité du droit de la concurrence de l’Union serait gravement compromise si les parties à des accords anticoncurrentiels pouvaient se soustraire à l’application de l’article 101 TFUE simplement en faisant prendre certaines formes à ces accords.
309 Les arguments par lesquels Servier allègue que ni le paiement initial d’un montant de 5 millions de GBP ni l’indemnité forfaitaire d’un montant de 5,5 millions de GBP ne doivent être considérés comme faisant partie d’un paiement inversé doivent également être rejetés. En effet, ainsi qu’il ressort des points 161 à 167 du présent arrêt, il y a lieu de vérifier si le solde net positif de ces transferts peut se justifier de manière intégrale par la nécessité de compenser des frais ou des
désagréments liés à ce litige et, si tel n’est pas le cas, d’apprécier si ce solde positif net de ces transferts de valeur était suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné.
310 Or, il résulte d’une lecture des points 687 à 699 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a analysé de manière circonstanciée la question de savoir si les deux paiements en cause étaient nécessaires, conformément aux conditions qui découlent de la jurisprudence rappelée aux points 161 à 167 du présent arrêt, et celle de savoir si ces deux paiements, eu égard notamment à leur importance, avaient incité Teva à accepter les restrictions de la concurrence prévues dans l’accord Teva. Servier n’étant pas
parvenue à présenter des éléments susceptibles de remettre en cause les constatations opérées par la Commission dans la décision litigieuse, le Tribunal a, au terme des considérations énoncées aux points 687 à 699 de l’arrêt attaqué, jugé sans commettre d’erreur de droit que la somme de 10,5 millions de GBP que Servier a versée à Teva avait incité cette dernière à renoncer à entrer sur le marché.
311 L’argumentation de Servier relative au paiement inversé doit donc être rejetée, ainsi que le quatrième moyen dans son ensemble.
E. Sur le cinquième moyen, relatif à l’accord Lupin
312 Par son cinquième moyen, Servier conteste les appréciations portées par le Tribunal sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE à l’accord Lupin. Ce moyen comporte trois branches.
1. Sur la première branche, relative à la concurrence potentielle
a) Argumentation des parties
313 Par la première branche de son cinquième moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans l’application du critère juridique permettant de qualifier Lupin de concurrent potentiel et renvoie, à cet égard, à son argumentation développée dans le cadre de son deuxième moyen.
314 En premier lieu, Servier soutient que l’arrêt attaqué est entaché de plusieurs dénaturations.
315 S’agissant des faits, le Tribunal aurait, d’une part, affirmé, aux points 729 et 730 de l’arrêt attaqué, que, après la décision de l’OEB du 27 juillet 2006, les éléments de preuve figurant au dossier ne mentionnent ni même ne suggèrent que Lupin avait envisagé de renoncer à contester la validité du brevet 947. Or, cette affirmation serait inexacte et le Tribunal aurait commis une dénaturation des faits à cet égard. Lupin aurait interjeté appel de cette décision et introduit une demande
d’invalidation du brevet 947 auprès d’une juridiction au Royaume-Uni qui a été jointe à celles d’Apotex et de Krka, mais elle n’était pas confiante en ses chances de succès, contrairement à ce qui ressortirait du considérant 1016 de la décision litigieuse.
316 D’autre part, le Tribunal aurait dénaturé les faits en considérant, aux points 748 et 749 de l’arrêt attaqué, que Lupin était, à la date de conclusion de l’accord Lupin, engagée dans des négociations avancées avec des partenaires commerciaux pour la distribution d’une version générique du périndopril. Servier considère toutefois que ces négociations étaient limitées et n’ont jamais abouti.
317 Le Tribunal aurait également dénaturé la requête en première instance en affirmant, au point 736 de l’arrêt attaqué, que Servier ne contestait pas, s’agissant de Lupin, les critères d’appréciation appliqués par la Commission pour établir l’existence d’une concurrence potentielle.
318 En second lieu, Servier reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment pris en considération la situation brevetaire et commerciale à laquelle Lupin était confrontée.
319 S’agissant de la situation brevetaire, au point 728 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait à tort jugé que la perception par Lupin de cette situation n’était pertinente que pour apprécier l’intention de cette entreprise d’entrer sur le marché.
320 S’agissant des difficultés commerciales, Servier reproche au Tribunal d’avoir considéré, au point 749 de l’arrêt attaqué, que Lupin avait des possibilités réelles et concrètes de commercialiser sa version générique du périndopril dans toute l’Union, alors qu’elle n’était présente qu’au Royaume-Uni. À cet égard, Servier reproche au Tribunal d’avoir dénaturé son argumentation en affirmant qu’elle s’était bornée à invoquer des obstacles commerciaux insurmontables, alors qu’elle avait relevé que
Lupin, faute de disposer de partenaires commerciaux, ne pouvait pas entrer à brève échéance sur le marché, ce qui aurait été ultérieurement confirmé dans les faits.
321 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
322 Force est de constater que, sous couvert d’invoquer l’inexactitude matérielle de certains faits au regard des pièces du dossier ou la dénaturation de preuves, Servier conteste en réalité l’appréciation de ces faits et de ces preuves par le Tribunal aux points 730, 748 et 749 de l’arrêt attaqué, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi, conformément à la jurisprudence rappelée au point 58 du présent arrêt.
323 S’agissant de l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait dénaturé la requête en première instance de Servier, il importe de relever qu’il ressort des termes clairs et précis du point 108 de cette requête que Servier contestait les critères juridiques appliqués par la Commission. Servier soutenait en effet que cette institution avait fait une application inexacte de la jurisprudence relative à l’appréciation de la concurrence potentielle. En considérant dans la décision litigieuse que
l’absence d’obstacles insurmontables rencontrés par les fabricants de médicaments génériques équivalait à admettre l’existence de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché, la Commission aurait vidé de leur substance les termes « réelles et concrètes » et « retenu un critère juridique contraire à la jurisprudence ».
324 Toutefois, abstraction faite de cette dénaturation, force est de constater que le Tribunal ne s’est pas borné à examiner la seule question de l’existence d’éventuels obstacles insurmontables à une entrée de Lupin sur le marché, mais a également examiné en détail, plus particulièrement aux points 718 à 724 de l’arrêt attaqué, les démarches préparatoires entreprises par cette entreprise en vue d’une entrée sur le marché et permettant de conclure, conformément à ce qui est jugé aux points 79, 80
et 104 à 111 du présent arrêt, que Lupin avait l’intention, la capacité et, partant, des possibilités réelles et concrètes d’effectuer une telle entrée. En outre, conformément à ce qui est jugé aux points 118, 120 et 121 du présent arrêt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, pour les motifs exposés aux points 736 à 743 de l’arrêt attaqué, que les arguments de Servier relatifs aux difficultés rencontrées par Lupin dans le cadre des procédures d’autorisation de mise sur le
marché n’étaient pas de nature à remettre en cause sa qualité de concurrent potentiel. La dénaturation ainsi constatée est donc sans incidence sur la validité du dispositif de l’arrêt attaqué.
325 Par ailleurs, il y a lieu de constater que les arguments de Servier concernant l’appréciation de la situation brevetaire à l’égard de Lupin font abstraction du fait que le Tribunal a bien pris en compte les obstacles brevetaires et reposent, dans cette mesure, sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, ainsi qu’il est relevé au point 108 du présent arrêt, le Tribunal n’a pas considéré, notamment au point 728 de l’arrêt attaqué, que la perception par un fabricant de médicaments
génériques de la force d’un brevet était totalement dénuée de pertinence pour apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre Servier, d’une part, et Lupin, d’autre part, mais que cette perception pouvait être pertinente uniquement pour déterminer si Lupin avait l’intention d’entrer sur le marché et non pas pour apprécier sa capacité d’effectuer une telle entrée. Or, ainsi qu’il est jugé aux points 107 à 111 du présent arrêt, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit à
cet égard. Ces arguments doivent donc être rejetés.
326 Quant aux griefs de Servier relatifs aux obstacles réglementaires et commerciaux auxquels Lupin devait faire face, notamment ceux liés à la nécessité de trouver des partenaires commerciaux, ainsi qu’à la prétendue dénaturation de l’argumentation de première instance de Servier concernant de telles difficultés commerciales, Servier cherche en réalité à remettre en cause des appréciations factuelles, effectuées par le Tribunal aux points 736 à 742 et 744 à 749 de l’arrêt attaqué, ce qui ne relève
pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de pourvoi, conformément à la jurisprudence rappelée au point 58 du présent arrêt.
327 Il s’ensuit que la première branche du cinquième moyen doit être rejetée.
2. Sur la deuxième branche, relative à la qualification de restriction de la concurrence par objet
328 Par la deuxième branche de son cinquième moyen, Servier, en réitérant l’argumentation développée dans le cadre de son premier moyen, reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit en qualifiant l’accord Lupin de restriction de la concurrence par objet.
a) Sur le paiement inversé
1) Argumentation des parties
329 Tout en se référant à l’argumentation développée dans le cadre de son premier moyen, Servier conteste le raisonnement du Tribunal selon lequel un accord commercial concomitant à un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets constitue un paiement inversé rendant cet accord de règlement amiable anticoncurrentiel par objet lorsque ledit accord n’a pas été conclu aux conditions de marché.
330 Servier s’oppose à la constatation opérée par le Tribunal, au point 827 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le versement d’une somme de 40 millions d’euros à Lupin constituait un paiement inversé. La comparaison effectuée par le Tribunal, au point 816 de l’arrêt attaqué, entre cette somme et les profits escomptés par Lupin ne serait pas pertinente dès lors que ladite somme représenterait la contrepartie de brevets et que Lupin aurait non pas renoncé à entrer sur le marché, mais soumis cette
entrée au respect de certaines conditions. Quand bien même la même somme aurait excédé la valeur des profits réalisés par Lupin au cours de deux années, la Commission n’aurait pas établi que cette valeur était suffisante pour inciter Lupin à renoncer indéfiniment à entrer sur le marché du périndopril.
331 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
332 Il y a lieu de relever que l’argumentation de Servier consiste, en substance, à faire valoir que, à la différence de ce qu’aurait jugé le Tribunal, le versement d’une somme de 40 millions d’euros qu’elle a effectué en faveur de Lupin en échange de la cession des droits de propriété intellectuelle relatifs à trois demandes de brevets ne constitue pas un paiement inversé, mais la contrepartie légitime de l’acquisition de ces droits.
333 À cet égard, il convient de rappeler que, si, ainsi qu’il ressort des points 163 et 166 du présent arrêt, des montants correspondant à une rémunération pour la fourniture de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps peuvent s’avérer justifiés, tel n’est pas le cas s’ils sont excessifs et, partant, non nécessaires à cette fin. Dans cette hypothèse, ainsi qu’il est jugé au point 165 du présent arrêt, il y a lieu de vérifier si le solde net positif de ces montants, y compris
d’éventuels frais justifiés, est suffisamment important pour inciter effectivement un fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné, sans qu’il soit requis que ce solde soit nécessairement supérieur aux bénéfices qu’il aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevets qui a été réglée à l’amiable.
334 En l’espèce, le Tribunal a constaté, en substance, aux points 814 à 824 de l’arrêt attaqué, que le paiement par Servier d’une somme de 40 millions d’euros à Lupin en contrepartie de la cession de trois demandes de brevets déposées par cette dernière devait être pris en compte parmi les transferts de valeur permettant de déterminer l’existence d’un paiement inversé constituant la contrepartie de la renonciation de Lupin à entrer sur le marché. À cet égard, le Tribunal a constaté, au point 825 de
cet arrêt, que Servier n’était pas parvenue à produire des éléments permettant de conclure que ce paiement correspondait à une transaction effectuée aux conditions normales du marché. Estimant ainsi, en substance, que la technologie cédée ne justifiait pas l’importance d’un tel montant, le Tribunal a conclu, au point 827 dudit arrêt, au caractère incitatif dudit paiement dans le contexte du règlement amiable des litiges en matière de brevets opposant Servier à Lupin. Or, eu égard aux critères
rappelés au point précédent du présent arrêt, ces appréciations du Tribunal ne sont entachées d’aucune erreur de droit.
335 En l’absence d’erreurs de droit invoquées par Servier permettant de remettre en cause la validité de ces appréciations portées par le Tribunal, il convient, pour le surplus, de rejeter l’argumentation de Servier dans la mesure où celle-ci vise, en réalité, à demander à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves, ce qui ne relève pas de sa compétence dans le cadre de la procédure de pourvoi, conformément à la jurisprudence rappelée au point 58 du présent arrêt.
336 L’argumentation de Servier doit, dès lors, être rejetée.
b) Sur la nocivité des clauses de l’accord Lupin
1) Argumentation des parties
337 S’agissant de la clause de non-contestation prévue par l’accord Lupin, Servier reproche au Tribunal d’avoir, au point 836 de l’arrêt attaqué, considéré que cette clause constituait une restriction évidente de la concurrence, sans examiner le contexte dans lequel s’inscrivait ladite clause. De l’avis de Servier, l’accord Lupin n’a pas eu d’effet sur la contestation de la validité du brevet 947 par des tiers tels qu’Apotex, ce que le Tribunal aurait d’ailleurs relevé à l’égard des accords conclus
entre Servier et Krka. S’agissant des autres brevets de Servier, cette dernière affirme que Lupin n’avait ni l’intention ni la capacité de les contester, ce que le Tribunal aurait omis d’examiner.
338 S’agissant de la clause de non-commercialisation prévue par l’accord Lupin, Servier conteste que celle-ci ait pu limiter la concurrence. Le Tribunal, aux points 843 et 844 de l’arrêt attaqué, aurait omis de prendre en compte le contexte de cette clause, dont il ressortirait que l’entrée de Lupin sur le marché au Royaume-Uni était bloquée par le brevet 947 et les injonctions judiciaires obtenues par Servier ainsi que par le fait que Lupin ne disposait, dans cet ancien État membre, ni
d’autorisations de mise sur le marché ni de partenaires commerciaux.
339 En revanche, l’accord Lupin aurait prévu que Lupin conservait la possibilité d’entrer sur le marché du périndopril couvert par les brevets de Servier, à la condition que cette dernière ait préalablement autorisé un tiers à entrer sur ce marché au moyen d’une licence de ses brevets. Or, une telle possibilité d’entrée anticipée s’opposerait à la qualification de l’accord Lupin de restriction de la concurrence par objet. Au point 954 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait expressément reconnu que
les effets anticoncurrentiels d’une clause de non-commercialisation pouvaient être neutralisés par l’octroi d’une licence de brevet.
340 Cependant, le Tribunal aurait exclu, au point 852 de l’arrêt attaqué, une telle possibilité en raison du caractère incertain d’une telle entrée anticipée. Une telle raison ne figurerait pas dans la décision litigieuse. Servier soutient que, en substituant ainsi ses propres motifs à ceux de la Commission, le Tribunal a méconnu la limite de ses compétences et violé le principe du contradictoire. En tout état de cause, ces motifs seraient manifestement erronés et dénatureraient les faits.
341 S’agissant de la clause envisageant la conclusion d’un accord d’approvisionnement en périndopril, Servier soutient qu’elle est proconcurrentielle, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 858 et 859 de l’arrêt attaqué, puisque cette clause permettait à Lupin d’entrer sur le marché du périndopril. Ce caractère proconcurrentiel ne serait remis en cause ni par le fait que l’engagement de Servier de conclure un accord d’approvisionnement avec Lupin était soumis à des conditions, ni par
le fait qu’aucun accord de ce type n’a finalement été conclu. Quant à l’absence de sanction explicite en cas d’inexécution de cet engagement, Servier souligne qu’un tel motif était absent de la décision litigieuse. Servier fait valoir que la seule raison pour laquelle aucun accord d’approvisionnement n’a été conclu en définitive provient du fait que Lupin est parvenue à obtenir une autorisation de mise sur le marché pour son périndopril.
342 S’agissant de la clause de cession et de licence prévue par l’accord Lupin, Servier estime qu’elle pouvait être interprétée comme étant une licence implicite sur ses propres brevets, clause dont les effets seraient proconcurrentiels. Servier reproche au Tribunal d’avoir écarté cet argument au motif que le contenu de cette clause était obscur et incertain. Or, le premier de ces motifs, relatif au caractère obscur du contenu de ladite clause, serait non fondé et ne figurerait pas dans la décision
litigieuse. Le second desdits motifs, pris du caractère incertain de la possibilité que Servier octroie une licence de brevet à Lupin en raison des conditions rappelées au point 339 du présent arrêt, ne remettrait pas en cause la nature proconcurrentielle de la clause de cession et de licence.
343 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
344 Le Tribunal a constaté, aux points 836 et 837 de l’arrêt attaqué, que le caractère restrictif de la concurrence de la clause de non-contestation prévue par l’accord Lupin était « évident », dans la mesure où cette clause prévoyait que Lupin était tenue de renoncer à contester dans tous les États membres de l’EEE la validité des brevets de Servier protégeant le périndopril.
345 Aux points 839 à 864 de cet arrêt, le Tribunal a constaté que la clause de non-commercialisation prévue par l’accord Lupin interdisait à Lupin de commercialiser une version générique du périndopril sur tout marché national couvert par cet accord, sauf dans trois hypothèses : premièrement, lorsque les brevets de Servier arrivaient à expiration, étaient déclarés invalides ou étaient révoqués, deuxièmement, si Servier autorisait la commercialisation par un tiers d’une version générique produite par
elle ou, troisièmement, si Servier renonçait à demander ou ne parvenait pas à obtenir une injonction contre un tiers commercialisant une version générique du périndopril qui n’était pas produite par elle.
346 Le Tribunal a considéré que, malgré les ambiguïtés de certaines clauses de l’accord Lupin sur la question de savoir si la portée de cet accord s’étendait à d’autres formes du périndopril que celle composée de la forme cristalline alpha de l’erbumine visée par le brevet 947, la conséquence pratique de ces clauses était d’interdire à Lupin d’entrer sur le marché du périndopril aussi longtemps que les brevets de Servier demeuraient en vigueur, à moins que Servier n’ait préalablement autorisé
l’entrée de tiers sur ce marché ou que ces brevets ne permettent pas à Servier de s’opposer à une telle entrée.
347 Aux points 858 à 860 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté la pertinence du fait que l’accord Lupin prévoyait l’adoption future d’un accord d’approvisionnement entre Servier et Lupin, en substance, parce que Servier n’était pas obligée de conclure un tel accord et que l’absence d’une telle adoption n’emporterait pas de conséquences juridiques importantes pour les parties.
348 Pour les motifs énoncés aux points 865 à 887 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les restrictions ainsi apportées au comportement de Lupin avaient pu valablement être qualifiées par la Commission de restriction de la concurrence par objet.
349 Par son argumentation, Servier soutient que les clauses de non-contestation, de non-commercialisation, de cession et de licence, ainsi que celle envisageant la conclusion d’un accord d’approvisionnement, prévues par l’accord Lupin, n’étaient pas anticoncurrentielles. Il y a lieu de constater que cette argumentation ne tient pas compte de la jurisprudence rappelée au point 83 du présent arrêt dont il ressort que le critère permettant de vérifier si un accord tel que l’accord Lupin constitue une
restriction de la concurrence par objet consiste à vérifier si les transferts de valeur du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques constituent la contrepartie de la renonciation, par ce dernier, à entrer sur le marché concerné. Or, ainsi qu’il ressort des points 332 à 336 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé que l’accord Lupin prévoyait un paiement inversé d’un montant de 40 millions d’euros.
350 Il ressort, en outre, du point 293 du présent arrêt que des accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne pas la contester, pas plus qu’à entrer sur ce marché, sont susceptibles d’emporter des effets restrictifs de concurrence, dès lors que la contestation de la validité et de la portée d’un
brevet fait partie du jeu normal de la concurrence dans les secteurs dans lesquels existent des droits d’exclusivité sur des technologies [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 81]. Par ailleurs, le fait pour un accord de limiter les possibilités pour un concurrent potentiel de livrer concurrence au titulaire d’un brevet sans, toutefois, exclure toute possibilité d’une concurrence de la part de ce concurrent ne saurait infirmer la conclusion selon laquelle
un tel accord constitue une restriction de la concurrence par objet.
351 Ainsi, le Tribunal n’ayant commis aucune erreur de droit dans les motifs de l’arrêt attaqué résumés aux points 344 à 348 du présent arrêt, cette argumentation doit être rejetée.
352 Pour le surplus, s’agissant des arguments de Servier résumés aux points 339 à 342 du présent arrêt, relatifs aux effets prétendument proconcurrentiels de l’accord Lupin, il suffit de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée aux points 73, 76 et 77 du présent arrêt, de tels effets ne sont pas pertinents dans le cadre de l’examen de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.
c) Sur le champ d’application de l’accord Lupin
1) Argumentation des parties
353 Servier conteste l’appréciation du Tribunal, effectuée aux points 875 à 877 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission était fondée à considérer que le champ d’application des clauses restrictives de la concurrence prévues par l’accord Lupin s’étendait à d’autres produits que le périndopril composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine visée par le brevet 947, lequel faisait l’objet des litiges qui ont été réglés à l’amiable par cet accord, et pouvait, en conséquence, justifier la
qualification dudit accord de restriction de la concurrence par objet.
354 En souscrivant ainsi à l’interprétation de l’accord Lupin la plus défavorable à Servier, le Tribunal aurait violé le principe de la présomption d’innocence ainsi que la jurisprudence selon laquelle l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction.
355 Servier soutient en outre que l’appréciation, au point 877 de l’arrêt attaqué, selon laquelle des clauses de non-commercialisation et de non-contestation prévues dans un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevets peuvent être qualifiées de restriction de la concurrence par objet au seul motif qu’elles excèdent le champ d’application d’un « brevet distinctement identifié » est erronée en droit. En effet, un accord de ce type pourrait licitement couvrir un ensemble de brevets
afin d’éviter des litiges futurs. En l’occurrence, l’accord Lupin n’aurait nullement empêché Lupin de commercialiser des versions du périndopril non contrefaisantes du brevet 947.
356 La Commission conteste cette argumentation.
2) Appréciation de la Cour
357 Au point 877 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la présence, dans un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet, de clauses de non-contestation et de non-commercialisation dont la portée s’étend au-delà du champ d’application de ce brevet « présente de manière évidente un degré de nocivité pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence suffisant pour que l’insertion de ces clauses soit qualifiée de restriction par objet, sans qu’il soit même besoin de
démontrer, en sus, l’existence d’une incitation ».
358 Au point 878 de cet arrêt, le Tribunal a exposé que, à supposer même que la Commission ait commis une erreur en considérant que la portée de l’accord Lupin s’étendait au-delà du champ d’application du brevet 947, une telle erreur ne serait pas susceptible de remettre en cause la constatation par la Commission d’une restriction de la concurrence par objet, dans la mesure où cette constatation repose essentiellement sur l’existence d’un paiement inversé ayant incité Lupin à renoncer à entrer sur
le marché concerné. Il résulte donc de cette appréciation, ainsi que du fait que les griefs de Servier visant à contester l’existence d’un tel paiement en l’espèce ont été rejetés aux points 329 à 336 du présent arrêt, que les considérations exposées au point 877 de l’arrêt attaqué ont un caractère surabondant. Il s’ensuit que les griefs de Servier dirigés contre ce point 877 sont inopérants et doivent être rejetés.
359 Il résulte des éléments qui précèdent que la deuxième branche du cinquième moyen doit être rejetée.
3. Sur la troisième branche, relative à la date de fin de l’infraction
a) Argumentation des parties
360 Par la troisième branche de son cinquième moyen, Servier reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit concernant la détermination de la date de fin de l’infraction relative à l’accord Lupin.
361 Servier rappelle qu’elle a contesté, dans le cadre de son recours en première instance, la détermination de cette date en arguant de l’incohérence et de l’absence de motivation de la décision litigieuse à cet égard. S’agissant de la France, la Commission aurait fixé la fin de l’infraction à la date de l’entrée d’un autre fabricant de médicaments génériques, Sandoz AG, sur ce marché au mois de septembre de l’année 2008. En revanche, s’agissant de la Belgique, la République tchèque, l’Irlande et
la Hongrie, elle aurait écarté la date de l’entrée de Sandoz sur ces marchés et considéré que ladite infraction avait pris fin avec l’adoption de la décision de l’OEB du 6 mai 2009.
362 En ne censurant pas cette incohérence et cette erreur manifeste d’appréciation, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. Le Tribunal se serait fondé, au point 898 de l’arrêt attaqué, sur l’ambiguïté du libellé de l’accord Lupin, et, notamment aux points 899 et 903 de cet arrêt, sur la circonstance que les parties auraient continué d’appliquer l’accord Lupin après l’entrée de Sandoz sur le marché du périndopril. Or, ces motifs ne figureraient pas dans la décision litigieuse. Le Tribunal
aurait ainsi substitué ses propres motifs à ceux de la Commission. Or, de l’avis de Servier, les motifs retenus par le Tribunal sont inexacts. Si Lupin n’est pas entrée sur le marché, ce serait parce qu’elle n’aurait pas disposé des autorisations requises à cette fin.
363 Servier soutient que, conformément aux termes de l’accord Lupin, l’entrée de Sandoz sur le marché a eu pour effet de libérer Lupin de son obligation de non-commercialisation, ainsi qu’il ressort du considérant 2127 de la décision litigieuse s’agissant du marché en France. Pour la même raison, le Tribunal aurait dû reconnaître que l’entrée de Sandoz avait également eu pour effet de mettre fin à l’infraction relative à l’accord Lupin en Belgique au mois de juillet de l’année 2008, en République
tchèque au mois de janvier de l’année 2009, en Irlande au mois de juin de l’année 2008 et en Hongrie au mois de décembre de l’année 2008.
364 Servier demande à la Cour d’annuler l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la décision litigieuse et de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée de 37102100 euros à 34745100 euros en conséquence.
365 La Commission conteste cette argumentation.
366 Selon cette institution, l’interprétation de la clause de non-commercialisation prévue par l’accord Lupin, qui a été exposée au considérant 1039 de la décision litigieuse, repose sur les déclarations de Servier. Conformément à cette interprétation, cette clause aurait continué de produire ses effets après l’entrée sur les marchés en Belgique, en République tchèque, en Irlande et en Hongrie d’une version générique du périndopril produite par Sandoz.
367 Après le lancement, le 17 septembre 2008, par Sandoz de ce médicament qui ne comprenait aucun des cristaux protégés par le brevet 947, Lupin aurait demandé à Servier de confirmer s’il pouvait lancer son médicament générique. Dans sa réponse du 31 mars 2009, Servier n’aurait pas répondu de manière positive à cette demande. Dans ces conditions, l’entrée de Lupin sur le marché ne serait devenue possible qu’à compter de la décision de l’OEB du 6 mai 2009.
b) Appréciation de la Cour
368 Par son argumentation, Servier soutient, en substance, que, en refusant de considérer que l’infraction relative à l’accord Lupin avait pris fin sur les marchés en Belgique, en République tchèque, en Irlande et en Hongrie à la date de l’entrée sur ces marchés d’une version générique du périndopril produite par Sandoz, comme elle l’avait fait pour le marché français, la Commission a entaché la décision litigieuse d’une contradiction de motifs et d’une erreur manifeste d’appréciation que le
Tribunal aurait dû censurer.
369 À cet égard, il ressort du considérant 3136 de la décision litigieuse que la Commission a considéré que les infractions à l’article 101 TFUE avaient commencé à la date de conclusion des accords litigieux et pris fin à « la date à partir de laquelle les concurrents génériques [avaient] été à même d’adopter un comportement concurrentiel ». Selon l’article 5 de cette décision, l’infraction relative à l’accord Lupin a débuté le 30 janvier 2007 et pris fin le 6 mai 2009, date d’adoption de la
décision par laquelle l’OEB a révoqué le brevet 947, à l’exception toutefois de cinq marchés nationaux. Parmi ces marchés figure le marché français, pour lequel la Commission a estimé que cette infraction avait pris fin le 16 septembre 2008, date de l’entrée sur ce marché d’une version générique du périndopril produite par Sandoz.
370 Or, au considérant 410 de la décision litigieuse, la Commission a relevé que Sandoz avait lancé son périndopril générique en Belgique au mois de juillet de l’année 2008, en République tchèque au mois de janvier de l’année 2009, en Irlande au mois de juin de l’année 2008 et en Hongrie au mois de décembre de l’année 2008.
371 Dans le cadre d’un moyen de première instance relatif aux amendes qui lui avaient été infligées au titre de l’article 101 TFUE, Servier a contesté la durée de l’infraction relative à l’accord Lupin. Elle faisait valoir que la Commission aurait dû, comme elle l’avait fait pour le marché français, conclure que cette infraction avait pris fin en Belgique, en République tchèque, en Irlande et en Hongrie à la date de l’entrée de Sandoz sur ces marchés.
372 Le Tribunal a considéré, au point 894 de l’arrêt attaqué, que cet accord pouvait être interprété en ce sens qu’il permettait « une entrée sur le marché de Lupin avec ses propres produits lorsqu’un “produit” générique qui n’est pas fabriqué par Servier est entré sur le marché sans violation d’une injonction et sans qu’une demande d’injonction présentée par Servier ait encore été rejetée ».
373 Toutefois, en raison du libellé ambigu de la définition du terme « produit » utilisée dans l’accord Lupin, le Tribunal a considéré qu’il n’existait pas de réponse claire à la question de savoir si l’entrée de Sandoz sur un marché avec un produit qui n’était pas composé de la forme cristalline alpha de l’erbumine protégée par le brevet 947 pouvait avoir pour effet de mettre fin aux effets de la clause de non-commercialisation. Selon le Tribunal, ces incertitudes étaient de nature à dissuader
Lupin d’entrer sur les marchés concernés, et ce malgré l’arrivée de la version générique du périndopril de Sandoz sur ces marchés.
374 Le Tribunal a considéré, au point 902 de l’arrêt attaqué, que « la circonstance que la clause de non-commercialisation [...] soit demeurée en vigueur, marquant ainsi le maintien d’un accord de volonté entre les parties – éventuellement en contradiction avec l’interprétation des conditions d’application de la clause, qui, a posteriori, pourrait être retenue, notamment, par un juge du contrat –, suffisait pour permettre à la Commission de constater que l’accord de volonté entre Servier et Lupin et
donc l’infraction se poursuivaient malgré les entrées sur le marché de Sandoz ».
375 Enfin, le Tribunal a relevé, au point 903 de l’arrêt attaqué, que, « [e]n tout état de cause, [...] la clause de non-commercialisation continuait à être appliquée par Servier et Lupin après les entrées successives de Sandoz sur les quatre marchés en cause ». Or, la poursuite d’une infraction pouvant être constatée au-delà de la période pendant laquelle un accord est formellement en vigueur lorsque les entreprises concernées ont continué à adopter un comportement interdit, le Tribunal, pour les
motifs exposés aux points 905 et 906 de cet arrêt, a écarté l’argumentation de Servier.
376 En l’occurrence, ainsi qu’il est rappelé au point 369 du présent arrêt, la Commission a retenu, dans la décision litigieuse, comme critère pour déterminer la fin de la période infractionnelle, non pas la date à partir de laquelle les comportements infractionnels avaient cessé en tant que tels, mais « la date à partir de laquelle les concurrents génériques [avaient] été à même d’adopter un comportement concurrentiel ». Par conséquent, en l’absence de toute indication en sens contraire fournie
dans les motifs de l’arrêt attaqué, il y a lieu de considérer que la situation résultant de l’arrivée sur les marchés nationaux de la version générique du périndopril produite par Sandoz soulevait, dans tous les marchés concernés, la question de savoir si la clause de non-commercialisation concernée continuait à produire ses effets.
377 Toutefois, le Tribunal n’a apporté aucune explication, dans l’arrêt attaqué, quant aux raisons pour lesquelles le marché français avait été traité différemment, au considérant 2127 de la décision litigieuse, des marchés belge, tchèque, irlandais et hongrois. Certes, le Tribunal a fait état, au point 900 de l’arrêt attaqué, d’incertitudes même en ce qui concerne le marché français, quant à la date à laquelle Lupin était libre d’entrer sur ce marché en raison de l’entrée de Sandoz sur celui-ci,
mais il n’en a tiré aucune conséquence en ce qui concerne la date à laquelle l’infraction a pris fin sur ce marché. Ainsi, l’arrêt attaqué ne permet pas de comprendre pourquoi la Commission n’aurait commis aucune illégalité, selon le Tribunal, en traitant le marché français différemment des quatre autres marchés susmentionnés.
378 En effet, si cette question, liée à la situation résultant de l’arrivée de Sandoz sur le marché, se posait donc en des termes comparables en France, en Belgique, en République tchèque, en Irlande et en Hongrie, le Tribunal n’a pas accueilli le moyen d’annulation de Servier tiré d’une contradiction de motifs de la décision litigieuse.
379 Eu égard à ces éléments, il y a lieu de constater que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit et que la troisième branche du cinquième moyen doit être accueillie.
F. Sur le septième moyen, relatif aux amendes
380 Par son septième moyen, Servier conteste les appréciations portées par le Tribunal sur ses demandes tendant à l’annulation des amendes qui lui ont été infligées ainsi que sur le calcul de leurs montants. Ce moyen comporte deux branches.
1. Sur la première branche, relative à la violation du principe de légalité des délits et des peines
a) Argumentation des parties
381 Selon Servier, en jugeant au point 1660 de l’arrêt attaqué que Servier « aurait dû s’attendre, au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés, à ce que son comportement pût être déclaré incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union », le Tribunal aurait enfreint le principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, manqué à son obligation de motivation et statué selon un motif
contradictoire par rapport à celui énoncé au point 1666 de cet arrêt, selon lequel « le caractère infractionnel [des accords visés par la décision litigieuse] pouvait ne pas apparaître, de manière claire, à un observateur extérieur tel que la Commission ou des juristes spécialisés dans les domaines en cause ».
382 Servier considère en effet que, en vertu de ce principe, la Commission ne peut pas infliger d’amendes dans une situation nouvelle, caractérisée par une absence de décisions ou de jurisprudence antérieures, et complexe. Or, la présente affaire était, selon Servier, à la fois nouvelle et complexe. La nouveauté de cette affaire serait attestée par une déclaration du chef d’unité responsable de l’enquête de la Commission ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse, par les considérants 3091,
3092 et 3107 de cette décision, ainsi que par les appréciations portées par le Tribunal au point 1660 de l’arrêt attaqué.
383 Quant à la complexité des questions économiques et juridiques soulevées, elle ressortirait notamment de la longueur exceptionnelle de la décision litigieuse ainsi que des déclarations en ce sens faites par la Commission au greffier du Tribunal dans le cadre de la procédure en première instance. Cette complexité aurait conduit la Commission, au cours de l’année 2014, à modifier les lignes directrices sur les accords de transfert de technologie de 2004, afin de préciser que des accords de
règlement amiable de litiges pouvaient être prohibés au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
384 Servier critique l’arrêt attaqué au motif que le Tribunal aurait dénaturé les faits en laissant entendre qu’il aurait suffi de recourir à des conseils éclairés pour identifier le caractère infractionnel de son comportement au regard de l’article 101 TFUE.
385 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
386 Selon la jurisprudence de la Cour, le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (arrêt du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C‑266/06 P,
EU:C:2008:295, point 39 et jurisprudence citée).
387 Le principe de légalité des délits et des peines ne saurait dès lors être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission,
C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 41 et jurisprudence citée).
388 La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à
devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut–on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 42 et jurisprudence citée).
389 En l’occurrence, aux points 1656 à 1658 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé cette jurisprudence de la Cour. Aux points 1659 à 1665 de cet arrêt, il a, en substance, souligné que, compte tenu de la portée de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, Servier ne pouvait ignorer que, en rétribuant les fabricants de médicaments génériques pour qu’ils n’entrent pas sur le marché du périndopril, elle adoptait un comportement prohibé par cette disposition. Il convient, à cet
égard, de souligner que, pour les motifs énoncés au point 144 du présent arrêt, le caractère prétendument inédit de la démarche consistant à qualifier de restrictions de la concurrence par objet les comportements à l’origine des infractions constatées n’est pas de nature à remettre en cause une telle qualification.
390 Par ailleurs, ainsi que le Tribunal l’a souligné, aux points 1666 et 1667 de l’arrêt attaqué, la circonstance que les accords litigieux et leur contexte étaient complexes et avaient pu susciter certaines difficultés lors de la procédure administrative, justifiant ainsi la longueur de cette procédure et de la décision litigieuse, n’est pas de nature à remettre en cause le fait que les entreprises impliquées ne pouvaient ignorer le caractère infractionnel de ces accords. En effet, ainsi qu’il
ressort d’une lecture d’ensemble de l’arrêt attaqué, l’objet même de ces accords était d’écarter du marché du périndopril les concurrents potentiels de Servier qu’étaient les fabricants de médicaments génériques par le versement de paiements inversés, moyen étranger au libre jeu de la concurrence.
391 Dans ces conditions, la première branche du septième moyen doit être rejetée.
2. Sur la seconde branche, relative à la violation du principe de proportionnalité
a) Argumentation des parties
392 Par la seconde branche de son septième moyen, Servier critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté son moyen de première instance tiré de la violation du principe de proportionnalité, par lequel elle contestait la fixation du montant de base de l’amende pour l’infraction à l’article 101 TFUE à 11 % de la valeur de ses ventes.
393 Le Tribunal aurait omis de prendre en considération la nature complexe et nouvelle de la situation en cause, ainsi que plusieurs autres éléments de contexte qui auraient justifié une réduction du montant de l’amende infligée à Servier.
394 En écartant, au point 1797 de l’arrêt attaqué, la pertinence des décisions judiciaires ayant reconnu la validité du brevet 947, le Tribunal aurait fait abstraction du contexte brevetaire de l’affaire. Servier aurait été paradoxalement sanctionnée plus lourdement en raison du fait que la décision de l’OEB du 27 juillet 2006 lui avait donné gain de cause, prolongeant ainsi la durée de la procédure relative à la validité du brevet 947. Servier considère qu’elle n’aurait pas dû être sanctionnée
aussi sévèrement que si ce brevet avait été fictif.
395 Afin d’apprécier la gravité des infractions, la Commission se serait fondée, au considérant 3130 de la décision litigieuse, sur l’importance des parts de marché détenues par Servier, qu’elle a estimée à plus de 90 %. Le Tribunal aurait jugé, au point 1602 de l’arrêt attaqué, que cette estimation, qui reposait sur une fausse définition du marché pertinent, était erronée. Le Tribunal aurait cependant omis de tirer les conséquences de cette erreur sur le calcul du montant de l’amende. Il se serait
borné, au point 1954 de cet arrêt, à effectuer un renvoi à la lecture des points 1948 à 1953 dudit arrêt, sans toutefois indiquer les raisons pour lesquelles il n’avait pas réduit ce montant. Ce faisant, le Tribunal aurait enfreint le principe de proportionnalité ainsi que son obligation de motivation.
396 Le Tribunal aurait également omis de prendre en considération le fait que les accords litigieux n’étaient pas secrets. Or, dans d’autres affaires, cette circonstance aurait conduit la Commission à appliquer un coefficient reflétant la gravité de l’infraction inférieur à celui utilisé en l’espèce.
397 Outre le fait que ces accords n’ont pas retardé l’entrée de médicaments génériques sur le marché, Servier fait observer que ceux-ci ne pouvaient être considérés, au point 1883 de l’arrêt attaqué, comme constituant une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production. Une telle appréciation contredirait celle figurant au point 1666 de cet arrêt selon laquelle lesdits accords pouvaient ne pas apparaître comme étant clairement infractionnels.
398 La Commission conteste cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
399 Il y a lieu d’écarter d’emblée l’argument selon lequel le Tribunal aurait omis de prendre en considération, aux fins de l’évaluation de la gravité des infractions, leur caractère prétendument inédit. Il convient, à cet égard, de rappeler que, pour les motifs énoncés au point 144 du présent arrêt, cette circonstance est sans incidence sur la qualification de restriction de la concurrence par objet des accords litigieux. Par ailleurs, ainsi qu’il est relevé au point 390 du présent arrêt, l’objet
même de ces accords était d’écarter les concurrents potentiels de Servier du marché.
400 En outre, en invoquant l’importance des droits conférés par les brevets afin de contester le point 1797 de l’arrêt attaqué, Servier se borne à répéter que le Tribunal aurait omis de prendre en considération la prétendue reconnaissance par les parties de la validité du brevet 947. Or, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en confirmant l’analyse de la Commission selon laquelle les accords litigieux avaient pour objet, outre le règlement de litiges en matière de brevets, l’exclusion de
concurrents du marché, ce qui constitue une forme extrême de répartition de marché et de limitation de la production.
401 En outre, contrairement à ce que prétend Servier et au vu de l’objet des accords litigieux, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, aux points 1786 à 1791 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait pu, aux fins du calcul du montant des amendes, considérer que Servier avait commis des infractions à l’article 101 TFUE de propos délibéré.
402 S’agissant de l’évaluation des parts de marché détenues par Servier, force est de constater que c’est sans commettre d’erreur de droit ni dénaturer la décision litigieuse que le Tribunal a constaté, au point 1951 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait pris en compte le fait que Servier avait commis plusieurs infractions se rapportant à un même produit, dans les mêmes zones géographiques et pendant les mêmes périodes. Afin d’éviter de parvenir à une sanction disproportionnée, cette
institution a décidé de limiter, pour chaque infraction, la proportion de la valeur des ventes réalisées par Servier prise en compte pour déterminer le montant de base de l’amende. Cette correction a conduit à une réduction moyenne de 54,5 % de l’ensemble des valeurs des ventes prises en compte au titre des différentes infractions à l’article 101 TFUE.
403 Compte tenu de ces réductions, le Tribunal a pu considérer, au point 1954 de l’arrêt attaqué, que les montants des amendes n’étaient pas disproportionnés, et ce alors même que la Commission avait considéré que Servier disposait de très hautes parts de marché, sur le fondement d’une définition du marché pertinent que le Tribunal a considérée comme étant inexacte.
404 S’agissant de l’allégation de Servier selon laquelle le montant des amendes aurait dû être réduit compte tenu du fait que les accords litigieux n’étaient pas secrets et n’avaient pas retardé l’entrée sur le marché des versions génériques du périndopril, il suffit de constater que Servier demande en réalité à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des éléments du litige en première instance. Une telle demande ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre de la procédure de
pourvoi. En effet, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union (arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 125 et jurisprudence citée).
405 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter la seconde branche du septième moyen et, par voie de conséquence, le septième moyen dans son ensemble.
G. Conclusions sur le pourvoi
406 Le cinquième moyen ayant été accueilli en sa troisième branche, il y a lieu, conformément aux conclusions de Servier, d’annuler le point 5 du dispositif de l’arrêt attaqué, en ce qu’il rejette les griefs du moyen de première instance de Servier soulevé à titre subsidiaire concernant la durée de l’infraction alléguée et le calcul du montant de l’amende pour l’infraction relative à l’accord Lupin. Pour le surplus, le pourvoi est rejeté.
VII. Sur le recours devant le Tribunal
407 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
408 Ainsi qu’il ressort du point 891 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de son recours en première instance, Servier a développé, dans le cadre d’un moyen subsidiaire, des griefs visant à contester la durée de l’infraction relative à l’accord Lupin, au motif que la Commission aurait dû, comme elle l’avait fait pour le marché français, conclure que cette infraction avait pris fin en Belgique, en République tchèque, en Irlande et en Hongrie à la date de l’entrée de Sandoz sur ces marchés.
409 Ces griefs ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction. La Cour estime que le recours dans l’affaire T‑691/14 est en état d’être jugé en ce qui concerne lesdits griefs et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux-ci.
410 Pour les motifs énoncés aux points 369 à 378 du présent arrêt, il y a lieu de déclarer fondé le grief pris d’une erreur de droit commise par le Tribunal, lequel n’ayant pas constaté que la motivation relative à la fin de l’infraction découlant de l’accord Lupin sur le marché français, d’une part, et sur les marchés belge, tchèque, irlandais et hongrois, d’autre part, était contradictoire.
411 En conséquence, il y a lieu d’annuler l’article 5 de la décision litigieuse, en ce qu’il prévoit que l’infraction relative à l’accord Lupin a pris fin le 6 mai 2009, en ce qui concerne la Belgique, la République tchèque, l’Irlande et la Hongrie. Il y a également lieu d’annuler l’article 7, paragraphe 5, sous b), de cette décision, en ce qu’il fixe le montant de l’amende de Servier au titre de sa participation à l’accord Lupin à 37102100 euros.
412 La Cour ayant constaté l’illégalité de la décision litigieuse, elle peut, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende. Cette compétence est exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait (arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 78 ainsi que jurisprudence citée).
413 Eu égard au fait que la légalité de l’article 5 de la décision litigieuse n’a pas été contestée devant le juge de l’Union dans la mesure où celui-ci avait déterminé que l’infraction résultant de l’accord Lupin avait pris fin le 16 septembre 2008 en France, en raison de l’entrée de Sandoz sur le marché de cet État membre à cette date, il y a lieu de constater que cette donnée factuelle est définitivement acquise. Il s’ensuit que la contradiction de motifs de la décision litigieuse qui amène la
Cour à annuler l’article 5 de cette décision, en ce qu’il prévoit que l’infraction qu’il constate a pris fin le 6 mai 2009 en ce qui concerne la Belgique, la République tchèque, l’Irlande et la Hongrie, ne peut être corrigée qu’en appliquant le même raisonnement que celui adopté en ce qui concerne la France, aux fins de la fixation du montant de l’amende relative à l’infraction qui résulte de l’accord Lupin.
414 Il y a donc lieu de considérer aux fins de la fixation du montant de cette amende, conformément aux indications qui ressortent du considérant 410 de la décision litigieuse, que l’infraction relative à l’accord Lupin a pris fin en Belgique au mois de juillet de l’année 2008, en République tchèque au mois de janvier de l’année 2009, en Irlande au mois de juin de l’année 2008 et en Hongrie au mois de décembre de l’année 2008.
415 Il résulte de cette constatation que la durée à prendre en compte aux fins de la détermination du montant de l’amende doit être fixée à 1,4 an pour la Belgique, à 1,9 an pour la République tchèque, à 1,3 an pour l’Irlande et à 1,8 an pour la Hongrie.
416 Dans le cadre de la présente procédure, Servier a soumis à la Cour un calcul sous forme de tableau, reprenant chacune des étapes de la méthode suivie par la Commission pour fixer le montant de l’amende pour l’infraction relative à l’accord Lupin. Ce calcul inclut les durées infractionnelles révisées mentionnées au point précédent du présent arrêt et repose sur les données fournies par la Commission dans le cadre de la procédure en première instance. Ledit calcul aboutit à fixer le montant ainsi
corrigé de cette amende à 34745100 euros.
417 La Commission n’ayant pas contesté ce montant ni cette méthode de calcul, qui correspond d’ailleurs à la méthode qu’elle avait elle-même adoptée dans la décision litigieuse, il y a lieu, au regard de l’ensemble des circonstances de fait et de droit de l’espèce, de fixer le montant de l’amende infligée à Servier à l’article 7, paragraphe 5, sous b), de la décision litigieuse à la somme de 34745100 euros.
Sur les dépens
418 Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
419 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
420 Conformément à l’article 138, paragraphe 3, dudit règlement, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.
421 En l’occurrence, Servier a conclu à la condamnation de la Commission aux dépens afférents à la procédure de pourvoi et celle-ci a partiellement succombé en ses conclusions au stade du pourvoi ainsi que, partiellement, en ses conclusions en première instance.
422 Dès lors qu’il est partiellement fait droit au pourvoi, il convient de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi.
423 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supportera ses propres dépens.
424 L’EFPIA ayant participé à la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider, dans les circonstances de l’espèce, qu’elle supportera ses propres dépens.
425 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
426 En l’espèce, le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le point 5 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission (T‑691/14, EU:T:2018:922), est annulé, en ce qu’il rejette les griefs du moyen de première instance de Servier SAS, Servier Laboratories Ltd et Les Laboratoires Servier SAS, invoqué à titre subsidiaire concernant la durée de la période infractionnelle et le calcul du montant de l’amende pour l’infraction visée à l’article 5 de la décision C(2014) 4955 final de la Commission, du
9 juillet 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 102 [TFUE] [affaire AT.39612 – Périndopril (Servier)].
2) L’article 5 de la décision C(2014) 4955 final est annulé, en ce qu’il prévoit que l’infraction qu’il constate a pris fin le 6 mai 2009 en ce qui concerne la Belgique, la République tchèque, l’Irlande et la Hongrie.
3) L’article 7, paragraphe 5, sous b), de la décision C(2014) 4955 final est annulé, en ce qu’il fixe le montant de l’amende infligée à Servier SAS et Les Laboratoires Servier SAS, conjointement et solidairement responsables, à 37102100 euros.
4) Le montant de l’amende infligée à Servier SAS et Les Laboratoires Servier SAS, conjointement et solidairement responsables, en raison de l’infraction constatée à l’article 5 de la décision C(2014) 4955 final est fixé à la somme de 34745100 euros.
5) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.
6) Servier SAS, Servier Laboratories Ltd et Les Laboratoires Servier SAS supportent leurs propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi.
7) La Commission européenne supporte ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi.
8) La European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (EFPIA) supporte ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi.
9) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporte ses propres dépens.
Arabadjiev
Lenaerts
Xuereb
Kumin
Ziemele
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2024.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de chambre
A. Arabadjiev
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( *1 ) Langue de procédure : le français.