ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
11 juillet 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 1393/2007 – Signification et notification des actes judiciaires et extrajudiciaires – Action en réparation du préjudice causé par une pratique interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE et par l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen – Acte introductif d’instance signifié au siège d’une filiale de la défenderesse – Validité de l’assignation – Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne – Article 47 – Droit à une protection juridictionnelle effective »
Dans l’affaire C‑632/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 7 octobre 2022, parvenue à la Cour le 10 octobre 2022, dans la procédure
Volvo AB
contre
Transsaqui SL,
en présence de :
Ministerio Fiscal,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), I. Jarukaitis et D. Gratsias, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : Mme N. Mundhenke, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 octobre 2023,
considérant les observations présentées :
– pour Volvo AB, par Me N. Gómez Bernardo, abogada,
– pour Transsaqui SL, par Mes J. Bonet Martínez, J. Bonet Sánchez et A. Penalba Ferrer, abogados, ainsi que par M. F. Pérez Cruz, procurador,
– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. S. Baches Opi, M. Domecq et S. Noë, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci–après la « Charte »), lu en combinaison avec l’article 101 TFUE, ainsi que sur l’article 53 de la Charte.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Volvo AB à Transsaqui SL au sujet du préjudice qu’aurait subi cette dernière en conséquence d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »), commise par plusieurs constructeurs de camions, parmi lesquels figure Volvo.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 1393/2007
3 Les considérants 2, 8, 11, 12, 16 et 17 du règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes), et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil (JO 2007, L 324, p. 79), énonçaient :
« (2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer et d’accélérer la transmission entre les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale aux fins de signification ou de notification.
[...]
(8) Le présent règlement ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’État membre où l’instance a lieu, quel que soit le lieu de résidence de cette partie.
[...]
(11) Afin de faciliter la transmission et la signification ou la notification des actes entre États membres, les formulaires types figurant aux annexes du présent règlement devraient être utilisés.
(12) L’entité requise devrait informer le destinataire par écrit, au moyen du formulaire type, qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier, soit au moment de la signification ou de la notification, soit en retournant l’acte à l’entité requise dans un délai d’une semaine, s’il n’est pas rédigé dans une langue que le destinataire comprend ou dans la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu de la signification ou de la notification. [...]
[...]
(16) Afin de faciliter l’accès à la justice, les frais occasionnés par l’intervention d’un officier ministériel ou d’une personne compétente selon la loi de l’État membre requis devraient correspondre à un droit forfaitaire unique dont le montant est fixé à l’avance par cet État membre et qui respecte les principes de proportionnalité et de non-discrimination. L’exigence d’un droit forfaitaire unique ne devrait cependant pas priver les États membres de la faculté de prévoir des droits différents
pour différents types de notification ou de signification, à condition de respecter ces principes.
(17) Tout État membre devrait avoir la faculté de procéder directement par l’intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec accusé de réception ou envoi équivalent, à la signification ou à la notification des actes aux personnes résidant dans un autre État membre. »
4 L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », prévoyait, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Le présent règlement est applicable en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié. Il ne couvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (“acta jure imperii”).
2. Le présent règlement ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue. »
5 L’article 5 dudit règlement, intitulé « Traduction de l’acte », était libellé comme suit :
« 1. Le requérant est avisé par l’entité d’origine à laquelle il remet l’acte aux fins de transmission que le destinataire peut refuser de l’accepter s’il n’est pas établi dans l’une des langues indiquées à l’article 8.
2. Le requérant prend en charge les éventuels frais de traduction préalables à la transmission de l’acte, sans préjudice d’une éventuelle décision ultérieure de la juridiction ou de l’autorité compétente sur la prise en charge de ces frais. »
6 L’article 8 du même règlement, intitulé « Refus de réception de l’acte », disposait, à son paragraphe 1 :
« L’entité requise informe le destinataire, au moyen du formulaire type figurant à l’annexe II, qu’il peut refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier, au moment de la signification ou de la notification ou en retournant l’acte à l’entité requise dans un délai d’une semaine, si celui‑ci n’est pas rédigé ou accompagné d’une traduction dans l’une des langues suivantes :
a) une langue comprise du destinataire ou
b) la langue officielle de l’État membre requis ou, s’il existe plusieurs langues officielles dans cet État membre, la langue officielle ou l’une des langues officielles du lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification. »
7 L’article 11 du règlement no 1393/2007, intitulé « Frais de signification ou de notification », prévoyait, à son paragraphe 2, second alinéa :
« Les frais occasionnés par l’intervention d’un officier ministériel ou d’une personne compétente selon la loi de l’État membre requis correspondent à un droit forfaitaire unique dont le montant est fixé à l’avance par cet État membre et qui respecte les principes de proportionnalité et de non-discrimination. Les États membres communiquent le montant de ce droit forfaitaire à la Commission [européenne]. »
8 Aux termes de l’article 14 de ce règlement :
« Tout État membre a la faculté de procéder directement par l’intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec accusé de réception ou envoi équivalent, à la signification ou à la notification des actes judiciaires aux personnes résidant dans un autre État membre. »
9 L’article 19 dudit règlement, intitulé « Défendeur non comparant », prévoyait, à son paragraphe 1 :
« Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi :
a) ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par la loi de l’État membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire ;
b) ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement ;
et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre. »
Le règlement (UE) no 1215/2012
10 L’article 7 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), intitulé « Compétences spéciales », prévoit :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
[...]
2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;
[...] »
11 Aux termes de l’article 28, paragraphes 2 et 3, de ce règlement :
« 2. La juridiction sursoit à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en temps utile pour se défendre ou que toute diligence a été faite à cette fin.
3. L’article 19 du règlement [no 1393/2007] s’applique en lieu et place du paragraphe 2 du présent article si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis d’un État membre à un autre en exécution dudit règlement. »
12 L’article 45, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 dispose :
« À la demande de toute partie intéressée, la reconnaissance d’une décision est refusée :
[...]
b) dans le cas où la décision a été rendue par défaut, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été notifié ou signifié au défendeur en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ;
[...] »
13 Aux termes de l’article 63, paragraphe 1, de ce règlement :
« Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé :
a) leur siège statutaire ;
b) leur administration centrale ; ou
c) leur principal établissement. »
Le droit espagnol
14 L’article 155 de la Ley 1/2000, de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000, relative à la procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000), dispose :
« 1. Lorsque les parties ne sont pas représentées par un avoué ou lorsque la partie défenderesse est citée ou assignée à comparaître pour la première fois, les actes de communication sont remis au domicile des parties. [...]
2. Le domicile du requérant est celui indiqué dans la demande, la requête ou la demande d’ouverture de la procédure. Le requérant désigne également comme domicile du défendeur aux fins de la première assignation à comparaître ou citation, un ou plusieurs des lieux visés au paragraphe suivant du présent article. Si le requérant désigne plusieurs lieux comme domiciles, il doit indiquer l’ordre dans lequel, à son avis, la communication peut être effectuée avec succès.
[...]
3. Aux fins des actes de communication, l’adresse qui figure au registre municipal de la population ou celle qui est enregistrée officiellement à d’autres fins, ainsi que celle qui figure dans un registre officiel ou dans les publications des associations professionnelles lorsqu’il est question, respectivement, d’entreprises et autres entités ou de personnes exerçant une profession exigeant une affiliation professionnelle, peut être désignée comme domicile. À ces fins, le lieu d’exercice d’une
activité professionnelle ou salariée non occasionnelle peut également être désigné comme domicile.
[...]
Si la demande vise une personne morale, l’adresse de toute personne figurant comme administrateur, gérant ou mandataire de l’entreprise commerciale, ou comme président, membre ou gérant du conseil d’administration de toute association apparaissant dans un registre officiel, peut également être désignée comme domicile.
[...] »
15 Aux termes de l’article 510, paragraphe 1, de cette loi :
« Un jugement définitif peut faire l’objet d’une révision :
[...]
4°) Si le jugement a été injustement obtenu sous la contrainte, par violence ou par une manœuvre frauduleuse. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Le 19 juillet 2016, la Commission a adopté la décision C(2016) 4673 relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39824 – Camions), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 6 avril 2017 (JO 2017, C 108, p. 6). Volvo compte parmi les destinataires de cette décision.
17 Dans ladite décision, la Commission a constaté que quinze fabricants de camions, dont Volvo, avaient participé à une entente prenant la forme d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, portant sur des arrangements collusoires relatifs, d’une part, à la fixation des prix et à l’augmentation des prix bruts des véhicules utilitaires moyens et des poids lourds dans l’Espace économique européen (EEE) et, d’autre part, au calendrier et à la répercussion
des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions imposées par les normes Euro 3 à Euro 6.
18 S’agissant de Volvo, cette infraction a été établie pour la période allant du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011.
19 Le 12 juillet 2018, Transsaqui, qui avait fait l’acquisition, au cours de l’année 2008, de deux camions de la marque Volvo, a introduit devant le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence, Espagne) un recours en dommages et intérêts contre Volvo, tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par elle en conséquence de l’entente constatée dans la décision du 19 juillet 2016, mentionnée au point 16 du présent arrêt, et correspondant à un surcoût qu’elle
évalue à 24420,69 euros.
20 Dans sa requête, Transsaqui a indiqué que le siège social de Volvo était situé à Göteborg (Suède), tout en précisant que l’assignation à comparaître devait être signifiée au siège de la filiale de cette société en Espagne, à savoir Volvo Group España SAU (ci-après « Volvo España »), établie à Madrid (Espagne).
21 Le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) a déclaré l’action admissible et, afin d’assigner Volvo à comparaître à la procédure et à répondre à la requête, lui a fait parvenir, à l’adresse du siège de Volvo España, un courrier recommandé contenant une copie de la requête et des documents qui l’accompagnaient. Ce courrier a été refusé et une mention manuscrite de l’adresse de Volvo en Suède y a été portée.
22 Lors d’une audience devant cette juridiction, Transsaqui a présenté des observations dans lesquelles elle a qualifié le refus de Volvo España de recevoir l’assignation dirigée contre Volvo de manœuvre dilatoire de mauvaise foi, en faisant valoir que, Volvo España étant détenue à 100 % par Volvo, celles-ci formaient ensemble une même entreprise au sens du droit de la concurrence.
23 Le 22 mai 2019, ladite juridiction a rendu une décision par laquelle elle a accepté, sur la base du principe d’« unité d’entreprise », que Volvo soit assignée à comparaître au domicile de sa filiale en Espagne. En vue de procéder à cette assignation, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) a envoyé une demande de coopération judiciaire aux juridictions de Madrid.
24 Le 5 septembre 2019, celles-ci ont tenté d’assigner Volvo à l’adresse de Volvo España. Toutefois, un avocat, qui s’est présenté comme étant le représentant légal de Volvo España, a refusé la signification, en faisant valoir que celle-ci devait être effectuée au siège de Volvo, en Suède.
25 Le 30 octobre 2019, lors d’une nouvelle tentative de signification effectuée à l’adresse de Volvo España, l’assignation a effectivement été remise à une personne qui s’est identifiée comme appartenant au service juridique de Volvo España.
26 Après chacune de ces tentatives de signification, Volvo España a adressé au Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) un courrier exposant les raisons pour lesquelles elle n’acceptait pas de recevoir l’assignation destinée à Volvo.
27 Elle y faisait valoir, notamment, que :
– Volvo España est une personne morale distincte de Volvo, qu’elle n’a pas la qualité d’administrateur de celle-ci et qu’elle n’est pas investie du pouvoir de recevoir des assignations au nom d’une autre entité ;
– conformément au droit procédural espagnol, Volvo doit être assignée à son siège social ;
– lorsque la partie défenderesse est domicilié dans un autre État membre de l’Union européenne, la signification doit être effectuée conformément au règlement no 1393/2007 ;
– la partie requérante ne peut pas recourir à une adresse alternative sans rapport avec la partie défenderesse et qu’un tel comportement constitue une manœuvre frauduleuse qui, conformément à l’article 45, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1215/2012, est en outre susceptible d’avoir pour conséquence la non-reconnaissance, dans un autre État membre, d’une décision rendue par défaut contre la partie défenderesse.
28 Considérant que l’assignation avait été valablement signifiée à Volvo et que cette société n’avait pas comparu à la procédure dans le délai qui lui avait été imparti, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) l’a déclarée défaillante et a convoqué les parties à l’audience préliminaire prévue par le droit procédural espagnol afin de clarifier les termes du litige et de proposer des preuves. Cette juridiction a tenté de signifier cette décision à Volvo à
l’adresse de Volvo España, mais cette dernière a une nouvelle fois refusé la signification en faisant valoir que le siège social de Volvo était établi en Suède.
29 Le 26 février 2020, ladite juridiction a rendu un jugement faisant droit à la demande de Transsaqui et condamnant Volvo à verser à celle-ci une indemnité de 24420,69 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’achat des camions, ainsi qu’aux dépens (ci-après le « jugement du 26 février 2020 »).
30 Ce jugement a été notifié à Volvo par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée à l’adresse de Volvo España qui l’a acceptée le 10 mars 2020. Cependant, Volvo España a envoyé au Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) une lettre dans laquelle elle a contesté le fait que le jugement ait ainsi été valablement notifié à Volvo, tout en réitérant les arguments qu’elle avait avancés précédemment.
31 Transsaqui a demandé à cette juridiction de taxer les dépens auxquels Volvo avait été condamnée. Ladite juridiction, qui a considéré que son jugement du 26 février 2020 était devenu définitif, a procédé à la taxation des dépens.
32 Par un courrier recommandé avec accusé de réception envoyé à l’adresse de Volvo España, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) a invité Volvo à une audience de taxation afin de lui permettre de contester les dépens ainsi taxés. Ce courrier a été remis à une personne présente à cette adresse et qui a signé l’accusé de réception.
33 Quelques jours plus tard, Volvo España a envoyé à cette juridiction une lettre dans laquelle elle a contesté, pour les raisons invoquées précédemment, le fait que la taxation des dépens imputés à Volvo ait été valablement notifiée.
34 Considérant que Volvo n’avait pas contesté les dépens dans le délai prévu par la loi, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) a rendu une décision approuvant leur taxation à hauteur de 8310,64 euros. Cette décision a été notifiée à Volvo par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée à l’adresse de Volvo España, où elle a été acceptée par une personne présente à cette adresse et qui a signé l’accusé de réception. Ultérieurement, Volvo España a
envoyé à cette juridiction une lettre dans laquelle elle a réfuté que ladite décision ait été valablement notifiée à Volvo.
35 Ladite juridiction a accédé à la demande de Transsaqui d’exécuter le jugement du 26 février 2020 et a sommé Volvo de déclarer dans un délai de dix jours les biens et les droits dont elle était titulaire, en vue de leur saisie. Les décisions rendues à ces fins ont été notifiées au siège de Volvo España le 17 mars 2021.
36 Le 15 juin 2021, sur le fondement de l’article 510, paragraphe 1, point 4, de la loi 1/2000 relative à la procédure civile, Volvo a saisi le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), la juridiction de renvoi, d’une demande de révision du jugement du 26 février 2020 devenu définitif. Au soutien de sa demande, Volvo a fait valoir que Transsaqui avait obtenu ce jugement au moyen d’une manœuvre frauduleuse. Elle a ajouté avoir eu une connaissance indirecte de l’existence dudit jugement lorsque les
décisions ordonnant son exécution ont été notifiées à l’adresse de Volvo España le 17 mars 2021.
37 De son côté, Transsaqui soutient que Volvo a agi de mauvaise foi en adoptant une stratégie procédurale malveillante destinée à la pousser, à l’instar de nombreux autres requérants se trouvant dans une situation comparable, à se désister de son recours. Elle fait également valoir que le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Valencia (tribunal de commerce no 1 de Valence) a accepté que l’assignation à comparaître et les notifications à Volvo soient signifiées à l’adresse de Volvo España pour des raisons
d’économie de procédure et conformément au principe d’« unité d’entreprise ». En outre, le refus opposé par Volvo España, au motif qu’elle et Volvo sont des personnes morales distinctes, ne serait pas fondé, étant donné que ces deux sociétés forment ensemble une seule et même entreprise aux fins du droit de la concurrence.
38 La juridiction de renvoi, qui part de la prémisse selon laquelle l’existence d’une unité économique entre la société mère et sa filiale pourrait justifier que les actes destinés à la première puissent être notifiés à la seconde, se demande, en substance, si l’article 47 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 101 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une assignation à comparaître devant une juridiction d’un État membre, destinée à une société mère ayant son siège
dans un autre État membre, soit signifiée au domicile d’une filiale de celle-ci situé dans l’État membre où le recours a été introduit, lorsque cette dernière ne fait valoir aucune circonstance qui exclurait l’existence, entre ces deux sociétés, d’une unité d’entreprise aux fins du droit de la concurrence.
39 Selon cette juridiction, d’une part, exiger, dans de telles circonstances, que la signification ou la notification soit effectuée au siège de la société mère impliquerait des coûts élevés de traduction qui pourraient compliquer, voire entraver, l’exercice du droit à un recours juridictionnel effectif des personnes lésées par les infractions au droit de la concurrence et porter gravement atteinte à l’effet utile de l’article 101 TFUE, en ce qu’une telle exigence serait susceptible de dissuader de
nombreuses personnes lésées de demander réparation.
40 Lorsque le montant des dommages et intérêts réclamés est peu élevé et que la requérante est une petite ou moyenne entreprise, de tels coûts pourraient constituer un obstacle sérieux au droit à un recours juridictionnel effectif. Il en irait d’autant plus ainsi lorsque, comme c’est le cas en Espagne, le droit procédural de l’État membre concerné prévoit que, en cas d’accueil partiel de la demande, chaque partie supporte ses propres dépens ainsi que la moitié des frais communs.
41 D’autre part, l’obligation de procéder à la signification ou à la notification des actes judiciaires dans un autre État membre entraînerait un allongement des délais qui ne serait justifié que dans l’hypothèse où la signification ou la notification à une adresse située dans l’État membre dans lequel se déroule la procédure juridictionnelle empêcherait la partie défenderesse de prendre effectivement connaissance du litige compte tenu des circonstances de l’espèce.
42 La juridiction de renvoi ajoute qu’il serait paradoxal que la personne lésée par une infraction au droit de la concurrence puisse agir contre une filiale et que celle-ci puisse être condamnée pour le comportement de la société mère, tandis que la filiale ne pourrait se voir signifier l’assignation à comparaître ou se voir notifier les actes judiciaires visant directement la société mère avec laquelle elle forme une seule et même entreprise aux fins du droit de la concurrence.
43 À considérer même qu’il soit conforme aux exigences du droit à un recours effectif, garanti à l’article 47 de la Charte et dont bénéficie également la partie défenderesse, de signifier l’assignation à comparaître destinée à une société mère à l’adresse de sa filiale dans l’État membre où le litige est jugé, cette juridiction relève que, en vertu de l’article 53 de la Charte, aucune disposition de celle-ci ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux
libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par les constitutions des États membres. Or, dans le cadre d’autres affaires concernant des actions en dommages et intérêts introduites par des acheteurs de camions également victimes de l’entente mentionnée au point 17 du présent arrêt, le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne), saisi d’un recours introduit par la société mère qui avait échoué à obtenir l’annulation de la procédure à l’occasion de
laquelle les actes judiciaires qui lui étaient destinés avaient été signifiés à l’adresse de sa filiale, a considéré que les droits et les libertés fondamentaux reconnus par la Constitution espagnole à la défenderesse avaient été enfreints.
44 Par conséquent, l’article 53 de la Charte pourrait s’opposer à ce que, bien qu’il existe une unité économique entre une société mère et sa filiale, une assignation à comparaître destinée à cette société mère, mais remise à l’adresse de sa filiale, soit considérée comme lui ayant été valablement signifiée en raison précisément de l’existence d’une telle unité. Cependant, la juridiction de renvoi se demande si une telle interprétation de l’article 53 de la Charte ne créerait pas une entrave
sérieuse au droit à un recours juridictionnel effectif de la personne lésée par l’entente, ainsi qu’à l’effet utile de l’article 101 TFUE.
45 C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Dans les circonstances du contentieux relatif à l’entente dite “des camions” décrites dans la présente décision, l’article 47 de la [Charte], lu en combinaison avec l’article 101 TFUE, peut-il être interprété en ce sens qu’une société mère, visée par une action en réparation du préjudice causé par une pratique restrictive de la concurrence, est valablement assignée à comparaître lorsque la signification (ou la tentative de signification) de l’acte introductif d’instance a été effectuée à
l’adresse de la société filiale, domiciliée dans l’État où la procédure judiciaire est intentée, et que la société mère, domiciliée dans un autre État membre, n’a pas comparu à la procédure et est demeurée défaillante ?
2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, cette interprétation de l’article 47 de la Charte est-elle compatible avec l’article 53 de la Charte, à la lumière de la jurisprudence du Tribunal Constitucional [(Cour constitutionnelle)] relative à l’assignation à comparaître des sociétés mères domiciliées dans un autre État membre dans le cadre des litiges relatifs à l’entente dite “des camions” ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
46 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 47 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 101 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’une société mère visée par un recours en réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence est valablement assignée à comparaître lorsque la signification de l’acte introductif d’instance a été effectuée à l’adresse de sa filiale, domiciliée dans l’État membre où le recours a été intenté et
avec laquelle elle forme une unité économique.
47 La juridiction de renvoi se demande, en particulier, si, eu égard au droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte, la circonstance qu’il a été constaté, dans le cadre de l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, qu’une société mère et l’une de ses filiales dont le siège est situé dans un autre État membre formaient, au moment des faits, une seule et même unité économique pourrait justifier que les actes destinés à la première soient notifiés à l’adresse où est
domiciliée la seconde, et ce afin de réduire les coûts de traduction et de signification des actes judiciaires rédigés par la requérante, ainsi que d’éviter que ne survienne un allongement des délais de procédure.
48 À cet égard, la Cour a, certes, jugé que, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts qui se fonde sur l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, constatée par la Commission dans une décision, une entité juridique qui n’est pas désignée dans cette décision comme ayant commis l’infraction au droit de la concurrence peut néanmoins être tenue responsable sur cette base en raison du comportement infractionnel d’une autre entité juridique, dès lors que ces personnes font
toutes deux partie de la même unité économique et forment ainsi une entreprise, qui est l’auteur de l’infraction au sens dudit article 101 TFUE (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 48).
49 Toutefois, premièrement, si la notion d’« entreprise » et, à travers elle, celle d’« unité économique » entraînent de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composent l’unité économique au moment de la commission de l’infraction, une telle entreprise est néanmoins dépourvue de personnalité juridique propre, autonome par rapport aux entités juridiques qui la composent, de sorte que la victime de la pratique anticoncurrentielle concernée ne peut intenter une action en
dommages et intérêts contre l’entreprise en tant que telle, mais doit nécessairement assigner l’une des entités juridiques qui la composent (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, points 44 et 51).
50 Deuxièmement, quand bien même une filiale formerait avec sa société mère une seule et même unité économique, au sens du droit matériel de la concurrence, cette circonstance n’implique pas que ladite filiale ait été expressément mandatée ou désignée par la société mère comme une personne habilitée à recevoir en son nom les actes judiciaires qui lui sont destinés. En effet, une telle habilitation ne saurait être présumée, sous peine de risquer de porter atteinte aux droits de la défense de ladite
société mère.
51 À cet égard, il convient de relever que la garantie d’une réception réelle et effective des actes, c’est-à-dire sa signification au défendeur, ainsi que l’existence d’un laps de temps suffisant pour permettre à ce dernier de préparer sa défense, est une exigence du respect du droit à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 2 mars 2017, Henderson, C‑354/15, EU:C:2017:157, point 72, et du 5 décembre 2019, Centraal Justitieel
Incassobureau (Reconnaissance et exécution des sanctions pécuniaires), C‑671/18, EU:C:2019:1054, point 39].
52 Par conséquent, lorsque, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, la victime alléguée d’une entente impliquant une unité économique composée d’une société mère et d’une ou plusieurs de ses filiales choisit de diriger son recours indemnitaire contre cette société mère plutôt que, ainsi qu’il lui était en principe loisible, contre celle de ces filiales établie dans l’État membre où réside ladite victime, cette dernière ne peut ensuite tirer argument de l’existence d’une telle unité afin
d’assigner ou de notifier les actes judiciaires destinés à cette société mère à l’adresse de ladite filiale.
53 Nonobstant les doutes exprimés par la juridiction de renvoi, ni l’article 47 de la Charte, qui consacre le droit de la victime alléguée d’une entente à un procès équitable, ni l’effet utile de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne sauraient justifier une solution différente, et ce quand bien même l’obligation de notifier les actes judiciaires dans un autre État membre ferait naître des contraintes supplémentaires dans le chef des victimes alléguées.
54 À cet égard, il convient, en premier lieu, de souligner que, si les victimes alléguées d’une violation du droit de l’Union peuvent se prévaloir du droit à un procès équitable, garanti par l’article 47 de la Charte, ce droit protège également le défendeur, y compris lorsqu’il a été précédemment constaté que ce dernier avait méconnu l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, contrairement à cette dernière disposition, qui vise les entreprises, le droit à un procès équitable, garanti à
l’article 47 de la Charte, protège chaque personne juridique considérée individuellement. Ainsi, le contentieux de la concurrence n’échappe pas aux garanties procédurales découlant de cet article, lesquelles exigent que les actes judiciaires destinés à une personne lui soient réellement et effectivement remis.
55 En deuxième lieu, le législateur de l’Union a adopté plusieurs actes qui s’appliquent aux litiges transfrontaliers relevant de la matière civile et commerciale, notamment les règlements no 1215/2012 et no 1393/2007, lesquels visent à faciliter la libre circulation des décisions judiciaires et à améliorer la transmission entre les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires aux fins de signification ou de notification, favorisant ainsi l’accès à la justice.
56 D’une part, le règlement no 1215/2012 prévoit, à son article 4, que, en tant que règle générale, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. Par dérogation à cette règle, l’article 7, point 2, de ce règlement énonce qu’une personne domiciliée dans un État membre peut être attraite, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est
produit ou risque de se produire. L’article 63 dudit règlement dispose que, aux fins de l’application du même règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement.
57 En l’occurrence, il est constant que, dans l’affaire en cause au principal, la requérante en première instance, à savoir la victime alléguée du comportement anticoncurrentiel, s’est prévalue de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 afin de saisir, par son recours en dommages et intérêts, la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit, à savoir une juridiction espagnole, alors que le domicile de la partie défenderesse, au sens de l’article 63 dudit règlement, est situé en
Suède, où celle-ci a son siège statutaire. Ladite requérante a ainsi pu, en application du même règlement, bénéficier d’un accès facilité à la justice.
58 D’autre part, le règlement no 1393/2007 établit un ensemble de règles régissant les modalités de transmission et de signification ou notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale. Selon son article 1er, paragraphe 1, ce règlement s’applique lorsqu’un acte doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié, avec pour objectif, conformément à ce qu’énoncent ses considérants 2 et 11, de faciliter cette transmission et, par suite,
d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur.
59 En particulier, il ressort d’une lecture combinée de l’article 1er, paragraphe 2, et du considérant 8 du règlement no 1393/2007 que le législateur de l’Union n’a prévu que deux circonstances dans lesquelles la signification et la notification d’un acte judiciaire entre les États membres sont soustraites à son champ d’application, à savoir, d’une part, lorsque le domicile ou le lieu de séjour habituel du destinataire est inconnu et, d’autre part, lorsque ce dernier a nommé un représentant mandaté
dans l’État membre où se déroule la procédure juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2012, Alder, C‑325/11, EU:C:2012:824, point 24).
60 En dehors de ces deux hypothèses, dès lors que le destinataire d’un acte judiciaire est domicilié dans un autre État membre, la signification ou la notification de cet acte relèvent nécessairement du champ d’application du règlement no 1393/2007 et, partant, doivent, ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, être effectuées selon les modalités prévues par ledit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2012, Alder, C‑325/11, EU:C:2012:824, point 25).
61 En l’occurrence, dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point 57du présent arrêt, le domicile du destinataire des actes judiciaires est situé en Suède, tandis que la procédure juridictionnelle se déroule en Espagne, de tels actes auraient dû être transmis d’un État membre à l’autre au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1393/2007. En outre, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, la situation en cause au principal ne relève pas des hypothèses énoncées au
point 59 du présent arrêt, de sorte que les modalités de signification ou de notification des actes judiciaires entre États membres, prévues par le règlement no 1393/2007, s’appliquent.
62 Or, plusieurs dispositions du règlement no 1393/2007 visent expressément à concilier l’efficacité et la rapidité de la transmission des actes judiciaires avec l’exigence d’assurer une protection adéquate des droits de la défense des destinataires, et cela à travers, notamment, la garantie d’une réception réelle et effective de ces actes (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2012, Alder, C‑325/11, EU:C:2012:824, point 36).
63 Ainsi, s’agissant des frais occasionnés par la signification ou la notification de l’acte judiciaire dans l’État membre requis, il convient de relever que, conformément au considérant 16 et à l’article 11, paragraphe 2, second alinéa, du règlement no 1393/2007, ces frais doivent, afin de faciliter l’accès à la justice, correspondre à un droit forfaitaire unique dont le montant est fixé à l’avance par cet État membre et qui respecte les principes de proportionnalité et de non‑discrimination.
64 Pour ce qui est des éventuels frais de traduction préalables à la transmission de l’acte, il résulte, certes, de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement que le requérant les prend en charge. Par ailleurs, les articles 5 et 8 dudit règlement, lus en combinaison avec le considérant 12 de celui-ci, permettent au destinataire de refuser de recevoir l’acte à signifier ou à notifier s’il n’est rédigé ni dans une langue qu’il comprend ni dans la langue officielle ou l’une des langues officielles du
lieu où il doit être procédé à la signification ou à la notification.
65 Toutefois, le règlement no 1393/2007 n’exige pas que soit réalisée, en toute circonstance, une traduction de l’acte à signifier ou à notifier étant donné que, ainsi qu’il ressort de l’article 8 de ce règlement, le destinataire de l’acte ne peut refuser de le recevoir que s’il n’est pas rédigé ou accompagné d’une traduction dans une langue qu’il comprend ou dans la langue officielle de l’État membre requis. À cet égard, la Cour a précisé que, lorsque l’acte concerné est accompagné d’annexes
constituées de pièces justificatives qui ne sont pas rédigées dans la langue de l’État membre requis ou dans une langue de l’État membre d’origine comprise du destinataire, le destinataire n’a pas le droit de refuser la réception de cet acte pour autant que celui-ci met ce destinataire en mesure de faire valoir ses droits dans le cadre d’une procédure judiciaire dans l’État membre d’origine et que ces annexes ont uniquement une fonction de preuve et ne sont pas indispensables pour comprendre
l’objet et la cause de la demande (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2008, Weiss und Partner, C‑14/07, EU:C:2008:264, point 78).
66 De plus, la prise en charge des frais de traduction par le requérant est sans préjudice d’une éventuelle décision ultérieure de la juridiction ou de l’autorité compétente sur les modalités de partage des frais engendrés par la procédure.
67 Au demeurant, en tant qu’ils sont liés à la circonstance que, en vertu des règles nationales relatives à l’allocation des dépens, une partie requérante ne peut récupérer les frais de procédure qu’elle a exposés aux fins d’introduire son recours que s’il est fait intégralement droit à ce dernier, les doutes exprimés par la juridiction de renvoi quant à la question de savoir si l’impossibilité, pour la victime alléguée d’une pratique anticoncurrentielle, de notifier ou de signifier les actes
judiciaires destinés à la société mère à l’adresse de la filiale de celle-ci, domiciliée sur le même territoire qu’elle, porterait atteinte au droit à un procès équitable de cette dernière, garanti à l’article 47 de la Charte, voire à l’effet utile de l’article 101 TFUE, en raison des coûts de traduction ainsi que de notification ou de signification des actes judiciaires, il y a lieu de souligner qu’une éventuelle incompatibilité de ces règles nationales relatives aux seuls dépens avec le droit
de l’Union ne saurait, en tant que telle, avoir pour conséquence de rendre inapplicables les dispositions régissant la signification ou la notification des actes judiciaires.
68 De même, s’agissant de l’allongement des délais de recours, il est vrai que l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte consacre le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable. Toutefois, à considérer même que, en dépit du règlement no 1393/2007, l’obligation de signifier ou de notifier des actes judiciaires dans un autre État membre soit de nature à entraîner un allongement significatif des délais de procédure, un tel
allongement n’impliquerait pas, en soi, une méconnaissance de cette disposition, dès lors que le caractère raisonnable d’un délai de jugement doit s’apprécier en fonction des circonstances propres à chaque affaire (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, point 181) et, partant, en tenant compte, le cas échéant, du caractère transfrontalier du litige.
69 En troisième lieu, la Cour a interprété l’article 101, paragraphe 1, TFUE en ce sens que, lorsqu’une société mère et sa filiale forment une unité économique, la victime d’une pratique anticoncurrentielle de cette entreprise peut introduire une action en dommages et intérêts indifféremment contre la société mère qui a été sanctionnée par la Commission au titre de cette pratique dans une décision ou contre sa filiale, quand bien même cette dernière ne serait pas visée par cette décision (voir, en
ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 51). Par conséquent, il serait, en principe, loisible à la victime alléguée d’une telle pratique désireuse de faire valoir les droits qu’elle tire dudit article 101, paragraphe 1, d’introduire son recours en dommages et intérêts contre la filiale dont le siège est situé dans l’État membre de la juridiction saisie, ce qui lui permettrait d’éviter d’avoir à supporter d’éventuels frais de traduction ou de signification des actes
judiciaires dans un autre État membre.
70 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 47 de la Charte et l’article 101 TFUE, lus ensemble avec le règlement no 1393/2007, doivent être interprétés en ce sens qu’une société mère visée par un recours en réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence n’est pas valablement assignée à comparaître lorsque la signification de l’acte introductif d’instance a été effectuée à l’adresse de sa filiale
domiciliée dans l’État membre où le recours a été intenté, quand bien même la société mère formerait avec cette filiale une unité économique.
Sur la seconde question
71 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si, en cas de réponse affirmative à la première question, l’article 53 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre d’exiger que la signification d’un acte introductif d’instance soit effectuée au siège de la société destinatrice de cet acte, et non à l’adresse d’une filiale de celle-ci.
72 Ainsi qu’il ressort du libellé de la seconde question, celle-ci n’est posée que dans l’hypothèse où la Cour répondrait de manière affirmative à la première question.
73 Or, ainsi qu’il a été conclu au point 70 du présent arrêt, cette première question appelle une réponse négative.
74 Partant, compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
75 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 101 TFUE, lus ensemble avec le règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes), et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil, doivent être interprétés en ce sens qu’une société mère
visée par un recours en réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence n’est pas valablement assignée à comparaître lorsque la signification de l’acte introductif d’instance a été effectuée à l’adresse de sa filiale domiciliée dans l’État membre où le recours a été intenté, quand bien même la société mère formerait avec cette filiale une unité économique.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.