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12/09/2024 | CJUE | N°C-352/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, LF contre Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite., 12/09/2024, C-352/23


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile et d’immigration – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Champ d’application – Articles 1er, 4 et 7 – Directive 2011/95/UE – Champ d’application – Articles 2 et 3 – Protection nationale pour raisons humanitaires – Directive 2008/115/CE – Article 14 – Impossibilité de procéder à l’éloignement – Attestation – Droits du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en cas de report

de l’éloignement – Directive 2013/33/UE – Champ
d’application – Conditions matérielles d’accueil »

Dans l’affaire C‑352/23 [C...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile et d’immigration – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Champ d’application – Articles 1er, 4 et 7 – Directive 2011/95/UE – Champ d’application – Articles 2 et 3 – Protection nationale pour raisons humanitaires – Directive 2008/115/CE – Article 14 – Impossibilité de procéder à l’éloignement – Attestation – Droits du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en cas de report de l’éloignement – Directive 2013/33/UE – Champ
d’application – Conditions matérielles d’accueil »

Dans l’affaire C‑352/23 [Changu] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie), par décision du 29 mai 2023, parvenue à la Cour le 7 juin 2023, dans la procédure

LF

contre

Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu‑Matei, présidente de chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de juge de la neuvième chambre, et M. S. Rodin, juge,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour LF, par Mes V. B. Ilareva et K. Stoyanov, advokati,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma, J. Hottiaux, A. Katsimerou et E. Rousseva, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er, 4 et 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 2, sous h), et de l’article 3 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour
les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9), ainsi que de l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LF à la Darzhavna agentsia za bezhantsite (Agence nationale pour les réfugiés, Bulgarie) (ci-après la « DAB ») au sujet d’une décision refusant de lui octroyer le statut de réfugié ainsi que le « statut humanitaire ».

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2008/115

3 Le considérant 12 de la directive 2008/115 énonce :

« Il convient de régler la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. Leurs besoins de base devraient être définis conformément à la législation nationale. Afin d’être en mesure de prouver leur situation spécifique en cas de vérifications ou de contrôles administratifs, ces personnes devraient se voir délivrer une confirmation écrite de leur situation. Les États membres devraient avoir une grande latitude
pour déterminer la forme et le modèle de la confirmation écrite et devraient également être en mesure de l’inclure dans les décisions liées au retour adoptées au titre de la présente directive. »

4 L’article 2, paragraphe 2, de cette directive prévoit :

« Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers :

a) faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du [règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1)], ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre
et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ;

b) faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition. »

5 L’article 6, paragraphe 4, de ladite directive dispose :

« À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de
séjour. »

6 Aux termes de l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la même directive :

« 1.   Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7.

2.   Si un État membre a accordé un délai de départ volontaire conformément à l’article 7, la décision de retour ne peut être exécutée qu’après expiration de ce délai, à moins que, au cours de celui-ci, un risque visé à l’article 7, paragraphe 4, apparaisse. »

7 L’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/115 énonce :

« 1.   Les États membres reportent l’éloignement :

a) dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement, ou

b) tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13, paragraphe 2.

2.   Les États membres peuvent reporter l’éloignement pour une période appropriée en tenant compte des circonstances propres à chaque cas. Ils prennent en compte notamment :

a) l’état physique ou mental du ressortissant d’un pays tiers ;

b) des motifs d’ordre technique, comme l’absence de moyens de transport ou l’échec de l’éloignement en raison de l’absence d’identification. »

8 L’article 14 de cette directive prévoit :

« 1.   Sauf dans la situation visée aux articles 16 et 17, les États membres veillent à ce que les principes ci-après soient pris en compte dans la mesure du possible en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers au cours du délai de départ volontaire accordé conformément à l’article 7 et au cours des périodes pendant lesquelles l’éloignement a été reporté conformément à l’article 9 :

a) l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire est maintenue ;

b) les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés ;

c) les mineurs ont accès au système éducatif de base en fonction de la durée de leur séjour ;

d) les besoins particuliers des personnes vulnérables sont pris en compte.

2.   Les États membres confirment par écrit aux personnes visées au paragraphe 1, conformément à la législation nationale, que le délai de départ volontaire a été prolongé conformément à l’article 7, paragraphe 2, ou que la décision de retour ne sera temporairement pas exécutée. »

La directive 2011/95

9 Les considérants 14 et 15 de la directive 2011/95 énonce :

« (14) Les États membres devraient pouvoir prévoir ou maintenir des conditions plus favorables que les normes énoncées dans la présente directive pour les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui demandent à un État membre une protection internationale, lorsqu’une telle demande est comprise comme étant introduite au motif que la personne concernée a la qualité de réfugié au sens de l’article 1er, section A, de la [convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés,
complétée par le protocole de New York du 31 janvier 1967], ou est une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire.

(15) Les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui sont autorisés à séjourner sur le territoire des États membres pour des raisons autres que le besoin de protection internationale, mais à titre discrétionnaire par bienveillance ou pour des raisons humanitaires, n’entrent pas dans le champ d’application de la présente directive. »

10 Selon l’article 2, sous h), de cette directive, la notion de « demande de protection internationale » s’entend, aux fins de ladite directive, comme étant « la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la présente
directive et pouvant faire l’objet d’une demande séparée ».

11 L’article 3 de la même directive prévoit :

« Les États membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive. »

La directive 2013/32/UE

12 L’article 2 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f) “autorité responsable de la détermination”, tout organe quasi juridictionnel ou administratif d’un État membre, responsable de l’examen des demandes de protection internationale et compétent pour se prononcer en première instance sur ces demandes ;

[...]

q) “demande ultérieure”, une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1. »

13 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour. »

14 L’article 41, paragraphe 1, de ladite directive dispose :

« Les États membres peuvent déroger au droit de rester sur le territoire lorsqu’une personne :

a) n’a introduit une première demande ultérieure, dont l’examen n’est pas poursuivi en vertu de l’article 40, paragraphe 5, qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision qui entraînerait son éloignement imminent de l’État membre concerné ; ou

b) présente une autre demande ultérieure de protection internationale dans le même État membre à la suite de l’adoption d’une décision finale déclarant une première demande ultérieure irrecevable en vertu de l’article 40, paragraphe 5, ou à la suite d’une décision finale rejetant cette demande comme infondée.

Les États membres ne peuvent faire usage de cette dérogation que si l’autorité responsable de la détermination estime qu’une décision de retour n’entraînera pas de refoulement direct ou indirect en violation des obligations internationales et à l’égard de l’Union incombant à cet État membre. »

15 L’article 46, paragraphes 5 et 6, de la même directive énonce :

« 5.   Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours.

6.   En cas de décision :

a) considérant une demande comme manifestement infondée conformément à l’article 32, paragraphe 2, ou infondée après examen conformément à l’article 31, paragraphe 8, à l’exception des cas où les décisions sont fondées sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, point h) ;

[...]

une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre et lorsque, dans ces cas, le droit de rester dans l’État membre dans l’attente de l’issue du recours n’est pas prévu par le droit national. »

La directive 2013/33

16 L’article 20, paragraphes 1 et 5, de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96), prévoit :

« 1.   Les États membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsqu’un demandeur :

[...]

c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive [2013/32].

[...]

5.   Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l’article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les États membres assurent en toutes circonstances l’accès aux soins
médicaux conformément à l’article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs. »

Le droit bulgare

Le ZUB

17 L’article 8, paragraphe 1, du Zakon za ubezhichteto i bezhantsite (loi sur l’asile et les réfugiés, ci-après le « ZUB ») dispose :

« Le statut de réfugié en République de Bulgarie est accordé au ressortissant étranger qui, craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors de son pays d’origine et qui, pour ces raisons, ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner. »

18 L’article 9 de cette loi prévoit :

« 1.   Le statut humanitaire est accordé au ressortissant étranger qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié et qui ne peut pas ou ne souhaite pas obtenir la protection de son pays d’origine parce qu’il peut être exposé à un risque réel d’atteintes graves, telles que :

1) la peine de mort ou l’exécution, ou

2) la torture, les sanctions ou traitements inhumains ou dégradants, ou

3) les menaces graves contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

[...]

8.   Un statut humanitaire peut également être accordé pour d’autres raisons humanitaires ainsi que pour les raisons indiquées dans les conclusions du comité exécutif du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. »

Le ZChRB

19 L’article 44b du Zakon za chuzhdentsite v Republika Balgaria (loi sur les étrangers en République de Bulgarie, ci-après le « ZChRB) énonce :

« 1.   Lorsque l’expulsion ou le retour immédiat du ressortissant étranger est impossible ou lorsque l’exécution de ces mesures doit être différée pour des raisons juridiques ou techniques, l’autorité qui a pris la mesure administrative coercitive suspend son exécution jusqu’à ce que les obstacles à son exécution soient levés.

2.   Lorsque, à l’expiration de la durée de protection temporaire prévue par le [ZUB], l’expulsion ou le retour du ressortissant étranger est impossible ou lorsque l’exécution de ces mesures doit être différée pour des raisons sanitaires ou humanitaires, l’autorité qui a pris la mesure administrative coercitive suspend son exécution jusqu’à ce que les obstacles à son exécution soient levés. »

20 Selon le paragraphe 1, point 16 des dispositions complémentaires du ZChRB, il existe des « raisons humanitaires » lorsque la non-admission ou le départ du territoire de la République de Bulgarie d’un ressortissant étranger créerait un risque grave pour sa santé ou sa vie en raison de circonstances objectives ou pour l’intégrité de sa famille, ou lorsque l’intérêt supérieur de la famille ou de l’enfant exige qu’il soit admis ou reste sur le territoire du pays.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

21 LF est un ressortissant d’un pays tiers, majeur, qui séjourne en Bulgarie depuis l’année 1996. Il a introduit, sans succès, plusieurs demandes de protection internationale et a fait l’objet de plusieurs décisions de retour, lesquelles n’ont jamais été exécutées.

22 Le 13 avril 2021, LF a introduit une onzième demande de protection internationale en faisant valoir, notamment, qu’il avait passé une large partie de sa vie en Bulgarie et que, en raison du vide juridique entourant son séjour dans cet État membre, il n’avait eu accès ni à une assurance maladie ni à un suivi médical. Il a également fait valoir que son état de santé particulièrement dégradé l’avait empêché de voyager normalement et que de longs voyages pouvaient mettre sa vie en danger.

23 Par une décision du 29 avril 2021, la DAB, autorité responsable de la détermination en Bulgarie, a rejeté la demande de LF. Il a été décidé que le retour de l’intéressé dans son pays d’origine serait assuré par l’intermédiaire de l’autorité nationale compétente pour les retours ou de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

24 Cette décision a été annulée par un jugement du 25 novembre 2021, devenu définitif, au motif, d’une part, que LF avait invoqué le principe de non-refoulement, qui lui était applicable eu égard à ses allégations selon lesquelles de longs voyages mettraient sa vie en danger, et, d’autre part, que la violation d’un tel principe constitue un motif d’octroi du statut humanitaire, prévu à l’article 9, paragraphe 1, point 2, du ZUB.

25 À la suite de cette annulation, la demande de protection internationale de LF a été enregistrée le 30 décembre 2021. Celui-ci a exprimé le souhait d’être hébergé dans un centre d’enregistrement et d’accueil de la DAB, car il n’était pas en mesure de subvenir à ses besoins vitaux.

26 Le 10 août 2022, la DAB a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a refusé d’accorder à LF le statut de réfugié ainsi que le statut humanitaire.

27 Cette autorité a estimé que les raisons invoquées par LF, d’une part, ne justifiaient pas une crainte fondée de persécution ou un risque réel d’atteinte grave, au sens de l’article 8, paragraphe 1, et de l’article 9, paragraphe 1, du ZUB, et, d’autre part, ne pouvaient constituer des motifs d’obtention du statut humanitaire pour les motifs visés à l’article 9, paragraphe 8, de cette loi. En outre, ladite autorité a indiqué que les différentes condamnations pénales dont avait fait l’objet LF
mettaient en évidence son défaut d’intégration dans la société bulgare et son comportement récidiviste. Enfin, elle a considéré que le séjour prolongé de LF en Bulgarie et l’impossibilité de retourner dans son pays d’origine ne constituaient pas un motif de protection au titre du ZUB, mais pouvaient uniquement justifier une demande de statut administratif au titre du ZChRB.

28 LF a introduit un recours contre cette décision devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi.

29 Cette juridiction considère, en premier lieu, que LF ne remplit pas les conditions pour obtenir le statut de réfugié au titre de l’article 8, paragraphe 1, du ZUB ou pour bénéficier du statut humanitaire au titre de l’article 9, paragraphe 1, de cette loi. Cela étant, compte tenu de la durée considérable du séjour de LF en Bulgarie, soit plus de 26 ans, durant laquelle il n’a disposé d’aucun document d’identité et a souvent été privé des garanties nécessaires pour lui assurer un niveau de vie
digne, en violation de l’article 14 de la directive 2008/115, sa situation serait comparable à celles en cause dans les arrêts du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218), et du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219), ainsi que dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce (CE:ECHR:2011:0121JUD003069609).

30 La juridiction de renvoi relève, plus particulièrement, que les autorités bulgares ne se sont pas conformées à leur obligation, découlant de l’article 8 de la directive 2008/115, de procéder à l’éloignement de LF dans les meilleurs délais.

31 Cette juridiction se demande si, à défaut d’une disposition du ZChRB permettant d’accorder un droit de séjour à LF pour raisons humanitaires et en l’absence d’obligation pour les États membres d’introduire une telle disposition au titre de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115, le fait que les autorités bulgares n’ont pas reconnu la situation particulière de LF, à supposer qu’il constitue une violation des articles 1er, 4 et 7 de la Charte, relève des « raisons humanitaires
impérieuses » qui justifieraient d’interpréter l’article 9, paragraphe 8, du ZUB conformément au considérant 15 et à l’article 2, sous h), de la directive 2011/95.

32 En cas de réponse affirmative, ladite juridiction se demande encore s’il conviendrait d’accorder une protection subsidiaire, au sens de la directive 2011/95, sur la base de l’article 9, paragraphe 8, du ZUB, ou un droit de séjour pour des motifs humanitaires, au sens de l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115.

33 En deuxième lieu, la même juridiction souligne qu’aucune disposition du ZChRB ne prévoit le droit pour LF de se voir accorder une confirmation écrite de sa situation, contrairement à ce qu’énonce le considérant 12 de la directive 2008/115 et à ce que prévoit l’article 14, paragraphe 2, de celle-ci.

34 En l’occurrence, l’application à LF du ZChRB et de la directive 2008/115 s’est limitée à lui imposer deux décisions de retour, datées du 26 septembre 2005 et du 9 août 2017, lesquelles n’ont pas été mises à exécution. Rien n’indiquerait que cette absence de mise à exécution s’explique par des obstacles à leur exécution ou par des raisons sanitaires ou humanitaires.

35 Selon la juridiction de renvoi, la directive 2008/115 ne détermine pas les conséquences découlant du fait que l’exécution de l’éloignement méconnaîtrait le droit du ressortissant d’un pays tiers au respect de sa vie privée. Partant, en l’absence d’une clause humanitaire nationale adoptée conformément à l’article 6, paragraphe 4, de cette directive, un manquement à l’article 14, paragraphe 2, de ladite directive, lu à la lumière de son considérant 12, ne pourrait pas avoir pour effet d’imposer à
un État membre l’obligation d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers.

36 En troisième lieu, la juridiction de renvoi estime que seul l’article 9, paragraphe 8, du ZUB régit l’octroi à un ressortissant d’un pays tiers d’un titre de séjour pour raisons humanitaires. Cependant, cette juridiction éprouve des doutes quant à l’interprétation de cette disposition au regard du droit de l’Union, puisque le législateur bulgare aurait considéré à tort que l’octroi d’un titre de séjour pour raisons humanitaires devait être réglementé par le ZUB, qui a pour objet principal de
transposer en droit bulgare la directive 2011/95.

37 En effet, cette juridiction considère que, d’une part, même si, en droit bulgare, la protection subsidiaire est également désignée par l’expression « statut humanitaire », les « raisons humanitaires » visées à l’article 9, paragraphe 8, du ZUB ne paraissent pas pertinentes pour apprécier s’il y a lieu d’octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire, telle qu’elle est régie par l’article 15 de la directive 2011/95 et l’article 9, paragraphe 1, du ZUB. D’autre part, en vertu du considérant 12
et de l’article 2, sous h), de cette directive, l’octroi d’un titre de séjour pour de telles raisons humanitaires serait exclu du champ d’application de celle-ci.

38 La juridiction de renvoi estime que la situation de LF impose une interprétation large de la seule possibilité d’appliquer, en droit national, une « disposition humanitaire » conforme aux droits fondamentaux visés aux articles 1er, 4 et 7 de la Charte.

39 Si l’article 9, paragraphe 8, du ZUB était interprété en ce sens qu’il ne relève pas du champ d’application de la directive 2011/95, la situation juridique de LF pourrait être appréciée à la lumière non pas de son éventuel retour dans son pays d’origine, mais de sa situation en Bulgarie, y compris en tenant compte de la durée de son séjour dans cet État membre et du respect de ses droits fondamentaux.

40 La juridiction de renvoi se demande dès lors si, nonobstant la réserve relative à l’adoption par les États membres de normes plus favorables, contenue à l’article 3 de la directive 2011/95, l’article 2, paragraphe 2, sous h), de cette directive permet d’accorder une protection « pour des raisons humanitaires impérieuses », sans lien avec la nature et les motifs de ladite directive, à un ressortissant d’un pays tiers qui, comme LF, a séjourné dans un État membre pendant plus de 26 ans, sans
confirmation écrite de son statut juridique et sans possibilité d’obtenir un titre de séjour « pour des raisons humanitaires ».

41 Selon cette juridiction, les droits au respect de la dignité humaine, à la vie, à l’intégrité et à la santé, consacrés respectivement aux articles 1er, 2, 3 et 35 de la Charte, ainsi que l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, visée à son article 4, s’opposent à ce que, dans une situation telle que celle en cause au principal, un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier et dont l’éloignement a été suspendu de fait soit privé, dans l’attente de l’examen de son recours,
d’une couverture de ses besoins de base.

42 Dans ces conditions, l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter le considérant 15, l’article 2, sous h), et l’article 3 de la directive [2011/95] comme permettant à un État membre d’introduire une réglementation nationale relative à l’octroi d’une protection internationale, fondée sur la bienveillance ou pour des raisons humanitaires, sans aucun lien avec la logique et l’esprit de cette directive, conformément à ce considérant 15 et à cet article 2, sous h) (autre type de protection), ou bien la protection “pour des raisons
humanitaires” pouvant être accordée au niveau national doit-elle, dans ce cas, être également compatible avec les normes de protection internationale conformément à [cet] article 3 ?

2) Le considérant 12 et l’article 14, paragraphe 2, de la directive [2008/115], lus en combinaison avec l’article 1er et l’article 4 de la [Charte], imposent-ils à un État membre l’obligation impérative de délivrer aux ressortissants de pays tiers une confirmation écrite du fait qu’ils sont en séjour irrégulier mais ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement ?

3) Eu égard au fait que la seule disposition de droit national régissant le statut d’un ressortissant de pays tiers pour des “raisons humanitaires” figure à l’article 9, paragraphe 8, du [ZUB], une interprétation de cette disposition de droit national qui n’a aucun rapport avec la nature et les fondements de la directive 2011/95 est-elle compatible avec le considérant 15, l’article 2, sous h), et l’article 3 de [cette] directive ?

4) Aux fins de l’application de la directive 2011/95, les articles 1er, 4 et 7 de la Charte exigent-ils d’apprécier si le séjour prolongé sans statut établi d’un ressortissant d’un pays tiers dans un État membre constitue un motif autonome, fondé sur des “raisons humanitaires impérieuses”, d’octroi d’une protection internationale ?

5) L’obligation positive d’un État membre de veiller au respect des articles 1er et 4 de la [Charte] permet-elle une interprétation large de la mesure nationale, à savoir l’article 9, paragraphe 8, du [ZUB], allant au-delà de la logique et des normes de protection internationale de la directive 2011/95, et exige-t-elle une interprétation conforme uniquement au respect des droits fondamentaux de nature absolue visés [auxdits] articles de la [Charte] ?

6) Le fait de ne pas accorder la protection prévue à l’article 9, paragraphe 8, du [ZUB] à un ressortissant d’un pays tiers se trouvant dans la situation de la partie requérante [au principal] peut-il entraîner un manquement de l’État membre aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er, 4 et 7 de la [Charte] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première, troisième et cinquième questions

43 Par ses première, troisième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous h), de la directive 2011/95, lu en combinaison avec le considérant 15 et l’article 3 de cette directive ainsi qu’avec les articles 1er et 4 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre octroie à un ressortissant d’un pays tiers un droit de séjour pour des raisons humanitaires qui ne
présentent aucun lien avec la nature, les fondements et les finalités de la protection internationale visée par ladite directive.

44 En premier lieu, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3 de la directive 2011/95, lu en combinaison avec le considérant 14 de celle-ci, les États membres peuvent adopter ou maintenir des normes assouplissant les conditions auxquelles est soumis l’octroi à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que ces normes soient compatibles avec cette directive. Partant, de telles normes ne doivent
pas porter atteinte à l’économie générale ou aux objectifs de ladite directive. Sont, en particulier, interdites des normes qui tendent à reconnaître le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire à des ressortissants de pays tiers ou à des apatrides placés dans des situations dénuées de tout lien avec la logique de protection internationale [voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2021, Bundesrepublik Deutschland (Maintien de l’unité familiale), C‑91/20, EU:C:2021:898,
points 39 et 40].

45 Ainsi, la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’article 3 de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12), dont le libellé était identique à l’article 3 de la
directive 2011/95, que cette disposition s’opposait à ce qu’un État membre octroie le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride en raison de traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte, ayant lieu sur le territoire de cet État membre, une telle situation ne présentant pas de lien avec la logique de la protection internationale (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, M’Bodj, C‑542/13,
EU:C:2014:2452, points 33, 43 et 44).

46 Partant, l’octroi d’un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers ne peut être fondé sur les dispositions de la directive 2011/95 lorsqu’un tel droit de séjour est justifié par la situation de dénuement matériel dans laquelle ce ressortissant se trouve sur le territoire de l’État membre d’accueil, quand bien même cette situation serait d’une gravité telle qu’elle pourrait être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte.

47 En second lieu, il importe toutefois de souligner que l’article 2, sous h), de la directive 2011/95 définit la « demande de protection internationale » comme étant la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection. Cette disposition doit être lue en
combinaison avec le considérant 15 de cette directive, qui précise que les ressortissants de pays tiers ou les apatrides qui sont autorisés à séjourner sur le territoire des États membres pour des raisons autres que le besoin de protection internationale, mais à titre discrétionnaire par bienveillance ou pour des raisons humanitaires, n’entrent pas dans le champ d’application de ladite directive.

48 Il s’ensuit que, nonobstant son article 3, la directive 2011/95 n’interdit pas à un État membre d’accorder une protection nationale assortie de droits permettant aux personnes qui ne bénéficient pas du statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire de séjourner sur son territoire, étant entendu que l’octroi d’un telle protection échappe au champ d’application de cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2010, B et D, C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 116
à 118, ainsi que du 23 mai 2019, Bilali, C‑720/17, EU:C:2019:448, point 61). Ainsi, il est loisible à un État membre d’octroyer, en vertu de son seul droit national, un droit de séjour pour des raisons humanitaires aux ressortissants de pays tiers qui se trouvent dans un état de dénuement matériel extrême sur son territoire.

49 Toutefois, sous peine d’enfreindre le régime établi par la directive 2011/95, cette protection nationale ne doit pas pouvoir être confondue avec le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire, au sens de cette directive. Il convient dès lors que les normes accordant cette protection nationale permettent de la distinguer clairement de la protection accordée au titre de ladite directive (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2010, B et D, C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661,
points 119 et 120).

50 Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si la réglementation nationale sur la base de laquelle un droit de séjour à des fins humanitaires pourrait, le cas échéant, être octroyé à un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve dans une situation telle que celle du requérant au principal permet de distinguer clairement le statut découlant d’un tel droit de séjour du statut accordé au titre de la directive 2011/95.

51 À cet égard, la circonstance que le droit national qualifie de la même manière le régime découlant de l’octroi de la protection subsidiaire, d’une part, et le régime découlant de cette protection nationale, d’autre part, ne permet pas, à elle seule, de considérer que ces deux régimes ne peuvent pas être suffisamment distingués (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2010, B et D, C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 119 et 120). Ne permet pas davantage de considérer que lesdits régimes ne
peuvent pas être suffisamment distingués le fait que la réglementation relative à une telle protection nationale figure parmi les dispositions de droit national relatives, en principe, à la protection découlant de la directive 2011/95.

52 Toutefois, lorsque, comme tel semble être le cas en l’occurrence, le régime découlant de la protection nationale est prévu par la même législation que celle transposant la directive 2011/95 et que ce régime est, de surcroît, qualifié par le législateur national de la même manière que le régime découlant de la protection subsidiaire, les normes accordant une telle protection nationale ne peuvent pas être considérées comme permettant de distinguer clairement cette protection de celle accordée au
titre de cette directive si le statut découlant de ce régime national est, en outre, substantiellement le même que le statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire, tel qu’il est établi par ladite directive.

53 Enfin, l’article 2, sous h), de la directive 2011/95 prévoit uniquement qu’une demande par laquelle un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride sollicite explicitement un autre type de protection ne constitue pas une demande de protection internationale lorsque le droit national permet de solliciter cet autre type de protection au moyen d’une demande séparée. En revanche, contrairement à ce que soutient la Commission européenne, cette disposition n’empêche nullement qu’une autorité nationale,
après avoir rejeté une demande de protection internationale, octroie un droit de séjour sur le fondement d’une protection découlant exclusivement du droit national.

54 Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre aux première, troisième et cinquième questions que la directive 2011/95 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre octroie un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers pour des raisons qui ne présentent aucun lien avec l’économie générale et les objectifs de cette directive pour autant que ce droit de séjour se distingue clairement de la protection internationale accordée au titre de ladite
directive.

Sur la deuxième question

55 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2008/115, lu en combinaison avec le considérant 12 de cette directive ainsi qu’avec articles 1er et 4 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’un État membre qui n’est pas en mesure de procéder à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers dans les délais fixés conformément à l’article 8 de cette directive doit délivrer à ce ressortissant une confirmation écrite du
fait que, bien qu’il séjourne irrégulièrement sur le territoire de cet État membre, la décision de retour le concernant ne sera temporairement pas exécutée.

56 En premier lieu, il importe de rappeler que, sous réserve des exceptions prévues à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115, cette dernière s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. Par ailleurs, dès lors qu’un ressortissant d’un pays tiers relève du champ d’application de cette directive, il doit, en principe, être soumis aux normes et aux procédures communes prévues par celle-ci en vue de son retour, et cela tant que son
séjour n’a pas été, le cas échéant, régularisé [arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 52 et jurisprudence citée].

57 Ainsi, pour autant qu’une décision de retour a été adoptée à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers dans le respect des garanties matérielles et procédurales que la directive 2008/115 instaure, l’État membre concerné est tenu de procéder à l’éloignement de ce ressortissant, en vertu de l’article 8 de cette directive [voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 2021, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Retour d’un mineur non accompagné), C‑441/19, EU:C:2021:9, points 79 et 80, ainsi que du
22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 54 et jurisprudence citée].

58 En second lieu, par dérogation à l’obligation de procéder à l’éloignement du ressortissant d’un pays tiers ayant fait l’objet d’une décision de retour dans les délais fixés conformément à l’article 8 de la directive 2008/115, l’article 9 de cette directive autorise l’État membre concerné, voire le contraint, à reporter cet éloignement dans certains cas.

59 Ainsi que le confirme le considérant 12 de la directive 2008/115, le ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier dont l’éloignement est reporté continue donc de relever du champ d’application de cette directive. Il découle, en outre, de l’article 14 de ladite directive que ce ressortissant bénéficie de certaines prérogatives dans l’attente de son éloignement.

60 À ce titre, l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2008/115 impose à l’État membre sur le territoire duquel ce ressortissant séjourne irrégulièrement de lui procurer, conformément à la législation nationale, une confirmation écrite de ce que la décision de retour dont il fait l’objet ne sera temporairement pas exécutée.

61 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens qu’un État membre qui n’est pas en mesure de procéder à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers dans les délais fixés conformément à l’article 8 de cette directive doit délivrer à ce ressortissant une confirmation écrite du fait que, bien qu’il séjourne irrégulièrement sur le territoire de cet État membre, la
décision de retour le concernant ne sera temporairement pas exécutée.

Sur les quatrième et sixième questions

62 Par ses quatrième et sixième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 1er, 4 et 7 de la Charte, lus en combinaison avec la directive 2008/115, doivent être interprétés en ce sens qu’un État membre peut être tenu d’octroyer, pour des motifs humanitaires impérieux, un droit de séjour, le cas échéant au titre de la protection internationale, à un ressortissant d’un pays tiers ayant séjourné de manière prolongée sur son
territoire sans statut établi et y séjournant actuellement de manière irrégulière.

63 En premier lieu, il importe de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes
les situations régies par le droit de l’Union, mais non en dehors de celles-ci. Lorsque, en revanche, une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence [arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982,
point 78, ainsi que du 25 janvier 2024, Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Craiova e.a., C‑58/22, EU:C:2024:70, point 40].

64 Il convient dès lors d’examiner, tout d’abord, la mesure dans laquelle la situation d’un ressortissant d’un pays tiers telle que celle du requérant au principal est susceptible de relever du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, et de déterminer, ensuite, si une telle situation implique, en vertu des articles 1er, 4 ou 7 de la Charte, l’octroi d’un droit de séjour à ce ressortissant d’un pays tiers.

65 À cet égard, il ressort, premièrement, des indications fournies par la juridiction de renvoi que le requérant au principal ne remplit pas les conditions pour obtenir le bénéfice de la protection internationale, au sens de la directive 2011/95, de sorte que cette directive ne trouve pas à s’appliquer à sa situation.

66 Deuxièmement, sauf à pouvoir se prévaloir d’un autre titre de séjour sur le territoire bulgare, le requérant au principal relève, en revanche, du champ d’application de la directive 2008/115 puisqu’il séjourne sur ce territoire de manière irrégulière, depuis l’adoption de la décision ayant rejeté sa demande de protection internationale, contre laquelle il a introduit un recours devant la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság
Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 209 et 210). Il s’ensuit que la situation du requérant au principal est régie par le droit de l’Union.

67 Cela étant, aucune disposition de la directive 2008/115 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle exige qu’un État membre accorde un titre de séjour à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire. S’agissant, en particulier, de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive, cette disposition se limite à permettre aux États membres d’octroyer, pour des raisons charitables ou humanitaires, un droit de séjour, sur le fondement de leur droit national, et non du droit
de l’Union, aux ressortissants de pays tiers séjournant irrégulièrement sur leur territoire [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement – Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, points 85 et 86].

68 Or, conformément à l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, les dispositions de celle-ci n’étendent pas le champ d’application du droit de l’Union. Partant, il ne saurait être considéré que, en vertu des articles 1er, 4 ou 7 de la Charte, un État membre puisse être tenu d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers relevant du champ d’application de la directive 2008/115 [voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement –
Cannabis thérapeutique), C‑69/21, EU:C:2022:913, point 87]. La durée plus ou moins longue du séjour de ce ressortissant sur le territoire de l’État membre concerné est sans incidence à cet égard.

69 Troisièmement, même s’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire de l’État membre concerné, un ressortissant d’un pays tiers placé dans une situation telle que celle du requérant au principal relève également du champ d’application des directives 2013/32 et 2013/33 tant que la juridiction de renvoi n’a pas statué sur le recours qu’il a introduit contre le rejet de sa demande de protection internationale (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság
Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 207 et 208).

70 Or, en vertu de l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32, les demandeurs de protection internationale sont autorisés, sous réserve des cas prévus à l’article 41, paragraphe 1, et à l’article 46, paragraphe 6, de cette directive, à rester sur le territoire de l’État membre concerné dans l’attente de l’issue du recours qu’ils ont introduit contre le rejet de leur demande [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection
internationale), C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 282].

71 Il n’est donc pas exclu que, en l’occurrence, malgré le fait que la demande de protection internationale du requérant au principal constitue une demande ultérieure, celui-ci dispose du droit de rester sur le territoire bulgare jusqu’à l’issue du recours pendant devant la juridiction de renvoi.

72 Cela étant, ainsi que le précise expressément l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2013/32, un tel droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné ne constitue pas un droit à un titre de séjour. Dès lors, et pour des raisons analogues à celles exposées au point 68 du présent arrêt, aucune disposition de la Charte ne saurait contraindre un État membre à accorder un droit de séjour à un demandeur de protection internationale qui dépasserait l’étendue de l’autorisation de rester
sur le territoire découlant de l’article 46, paragraphe 5, de cette directive.

73 En second lieu, il importe toutefois d’ajouter, d’une part, que, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive 2008/115, les États membres doivent veiller à ce que, dans la mesure du possible, aussi longtemps que l’éloignement du ressortissant d’un pays tiers concerné est reporté, les soins médicaux d’urgence ainsi que le traitement indispensable des maladies soient assurés, et les besoins particuliers des personnes vulnérables pris en compte.

74 De surcroît, les États membres sont tenus de respecter l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, telle qu’elle découle de l’article 4 de la Charte, lorsqu’ils mettent en œuvre la directive 2008/115. Il s’ensuit que ceux-ci doivent également veiller à ce qu’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire ne se trouve pas, aussi longtemps qu’il n’a pas été éloigné de ce territoire, dans une situation prohibée par cet article 4.

75 Or, la Cour a déjà jugé que ledit article 4 serait méconnu dans le cas où l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa
santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 92, et du 16 juillet 2020, Addis, C‑517/17, EU:C:2020:579, point 51).

76 D’autre part, un demandeur de protection internationale autorisé à demeurer sur le territoire de l’État membre concerné en cette qualité bénéficie des conditions d’accueil prévues par la directive 2013/33, aussi longtemps qu’il n’a pas été statué définitivement sur sa demande [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale), C‑808/18, EU:C:2020:1029, points 284 à 286].

77 En l’occurrence, dans le cas où LF disposerait d’un tel droit de demeurer sur le territoire bulgare jusqu’à l’issue de son recours pendant devant la juridiction de renvoi, ce qu’il appartient à celle-ci de vérifier, il devrait donc également bénéficier des conditions d’accueil prévues par cette directive, tant qu’il n’a pas été statué définitivement sur ce recours.

78 En outre, à supposer que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil soit limité ou retiré sur le fondement de l’article 20, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, au motif que la demande de protection internationale à l’origine du litige au principal est une demande ultérieure, l’article 20, paragraphe 5, de la même directive garantirait, en toute hypothèse, à ce demandeur des conditions d’accueil minimales lui permettant de mener une vie digne.

79 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième et sixième questions que les articles 1er, 4 et 7 de la Charte, lus en combinaison avec la directive 2008/115, doivent être interprétés en ce sens qu’un État membre n’est pas tenu d’octroyer, pour des motifs humanitaires impérieux, un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers qui réside actuellement de manière irrégulière sur son territoire, quelle que soit la durée du séjour de ce ressortissant sur ce
territoire. Tant qu’il n’a pas été procédé à son éloignement, ce ressortissant peut toutefois se prévaloir des droits qui lui sont garantis tant par la Charte que par l’article 14, paragraphe 1, de cette directive. En outre, si ledit ressortissant dispose également de la qualité de demandeur de protection internationale, autorisé à demeurer sur le territoire de cet État membre, il peut également se prévaloir des droits consacrés par la directive 2013/33.

Sur les dépens

80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  1) La directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection,

doit être interprétée en ce sens que :

elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre octroie un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers pour des raisons qui ne présentent aucun lien avec l’économie générale et les objectifs de cette directive pour autant que ce droit de séjour se distingue clairement de la protection internationale accordée au titre de ladite directive.

  2) L’article 14, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier,

doit être interprété en ce sens que :

un État membre qui n’est pas en mesure de procéder à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers dans les délais fixés conformément à l’article 8 de cette directive doit délivrer à ce ressortissant une confirmation écrite du fait que, bien qu’il séjourne irrégulièrement sur le territoire de cet État membre, la décision de retour le concernant ne sera temporairement pas exécutée.

  3) Les articles 1er, 4 et 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus en combinaison avec la directive 2008/115, doivent être interprétés en ce sens qu’un État membre n’est pas tenu d’octroyer, pour des motifs humanitaires impérieux, un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers qui réside actuellement de manière irrégulière sur son territoire, quelle que soit la durée du séjour de ce ressortissant sur ce territoire. Tant qu’il n’a pas été procédé à son éloignement,
ce ressortissant peut toutefois se prévaloir des droits qui lui sont garantis tant par la charte des droits fondamentaux que par l’article 14, paragraphe 1, de cette directive. En outre, si ledit ressortissant dispose également de la qualité de demandeur de protection internationale, autorisé à demeurer sur le territoire de cet État membre, il peut également se prévaloir des droits consacrés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes
pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-352/23
Date de la décision : 12/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Politique d’asile et d’immigration – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Champ d’application – Articles 1er, 4 et 7 – Directive 2011/95/UE – Champ d’application – Articles 2 et 3 – Protection nationale pour raisons humanitaires – Directive 2008/115/CE – Article 14 – Impossibilité de procéder à l’éloignement – Attestation – Droits du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en cas de report de l’éloignement – Directive 2013/33/UE – Champ d’application – Conditions matérielles d’accueil.


Parties
Demandeurs : LF
Défendeurs : Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:748

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