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12/09/2024 | CJUE | N°C-63/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Sagrario e.a. contre Subdelegación del Gobierno en Barcelona., 12/09/2024, C-63/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique relative à l’immigration – Droit au regroupement familial – Directive 2003/86/CE – Article 16, paragraphe 3 – Refus de renouvellement du titre de séjour du regroupant – Conséquences – Refus de renouvellement du titre de séjour des membres de sa famille – Raison indépendante de leur volonté – Présence d’enfants mineurs – Article 15, paragraphe 3 – Conditions de l’octroi

d’un titre de séjour autonome – Notion de “situation
particulièrement difficile” – Portée – Article 17 – Examen individua...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique relative à l’immigration – Droit au regroupement familial – Directive 2003/86/CE – Article 16, paragraphe 3 – Refus de renouvellement du titre de séjour du regroupant – Conséquences – Refus de renouvellement du titre de séjour des membres de sa famille – Raison indépendante de leur volonté – Présence d’enfants mineurs – Article 15, paragraphe 3 – Conditions de l’octroi d’un titre de séjour autonome – Notion de “situation
particulièrement difficile” – Portée – Article 17 – Examen individualisé – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire C‑63/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n.o 5 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 5 de Barcelone, Espagne), par décision du 9 janvier 2023, parvenue à la Cour le 6 février 2023, dans la procédure

Sagrario,

Joaquín,

Prudencio

contre

Subdelegación del Gobierno en Barcelona,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. I. Jarukaitis et D. Gratsias, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 janvier 2024,

considérant les observations présentées :

– pour Mme Sagrario et ses deux enfants mineurs, par Me E. Leiva Vojkovic, abogado,

– pour le gouvernement espagnol, par M. I. Herranz Elizalde, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mmes I. Galindo Martín et J. Hottiaux, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mars 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 3, et de l’article 17 de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12), ainsi que des articles 7 et 24, de l’article 33, paragraphe 1, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant une mère de famille et ses deux enfants mineurs, tous ressortissants d’un pays tiers, à la Subdelegación del Gobierno en Barcelona (sous-délégation du gouvernement à Barcelone, Espagne) (ci-après l’« autorité nationale compétente ») au sujet du refus de renouvellement de leur permis de séjour pour regroupement familial.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2003/86

3 Les considérants 2, 4, 6 et 15 de la directive 2003/86 énoncent :

« (2) Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne [de sauvegarde] des droits [de l’homme] et des libertés fondamentales[, signée à Rome, le 4 novembre 1950
(ci-après la “CEDH”)] et par la [Charte].

[...]

(4) Le regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille. Il contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté [européenne] énoncé dans le traité.

[...]

(6) Afin d’assurer la protection de la famille ainsi que le maintien ou la création de la vie familiale, il importe de fixer, selon des critères communs, les conditions matérielles pour l’exercice du droit au regroupement familial.

[...]

(15) L’intégration des membres de la famille devrait être promue. Dans ce but, ils devraient accéder à un statut indépendant de celui du regroupant, notamment en cas de rupture du mariage et du partenariat et avoir accès à l’éducation, à l’emploi et à la formation professionnelle au même titre que la personne avec laquelle ils sont regroupés, dans les conditions pertinentes. »

4 Aux termes de l’article 1er de cette directive, qui figure au chapitre I de celle-ci, intitulé « Dispositions générales » :

« Le but de la présente directive est de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. »

5 À ce chapitre, l’article 2 de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c) “regroupant” : un ressortissant de pays tiers qui réside légalement dans un État membre et qui demande le regroupement familial, ou dont des membres de la famille demandent à le rejoindre ;

d) “regroupement familial” : l’entrée et le séjour dans un État membre des membres de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement dans cet État membre afin de maintenir l’unité familiale, que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à l’entrée du regroupant ;

[...] »

6 Au chapitre VI de ladite directive, intitulé « Entrée et séjour des membres de la famille », l’article 15 de celle-ci est ainsi libellé :

« 1.   Au plus tard après cinq ans de résidence et dans la mesure où les membres de la famille n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, le conjoint ou le partenaire non marié et l’enfant devenu majeur ont droit, au besoin sur demande, à un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant.

En cas de rupture du lien familial, les États membres peuvent limiter l’octroi du titre de séjour visé au premier alinéa au conjoint ou au partenaire non marié.

2.   Les États membres peuvent accorder un titre de séjour autonome aux enfants majeurs et aux ascendants directs visés à l’article 4, paragraphe 2.

3.   En cas de veuvage, de divorce, de séparation ou de décès d’ascendants ou de descendants directs au premier degré, un titre de séjour autonome peut être délivré, au besoin sur demande, aux personnes entrées au titre du regroupement familial. Les États membres arrêtent des dispositions garantissant l’octroi d’un titre de séjour autonome en cas de situation particulièrement difficile.

4.   Les conditions applicables à l’octroi et à la durée du titre de séjour autonome sont définies par le droit national. »

7 Au chapitre VII de la directive 2003/86, intitulé « Sanctions et voies de recours », l’article 16, paragraphe 3, de celle-ci prévoit :

« Les États membres peuvent retirer ou refuser de renouveler le titre de séjour d’un membre de la famille lorsque le séjour du regroupant touche à son terme et que le membre de la famille ne bénéficie pas encore d’un droit au titre de séjour autonome en vertu de l’article 15. »

8 À ce chapitre, l’article 17 de cette directive dispose :

« Les États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille. »

La directive 2004/38/CE

9 L’article 13 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35), intitulé « Maintien
du droit de séjour des membres de la famille en cas de divorce, d’annulation du mariage ou de rupture d’un partenariat enregistré », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Sans préjudice du deuxième alinéa, le divorce, l’annulation du mariage ou la rupture d’un partenariat enregistré tel que visé à l’article 2, point 2 b), n’entraîne pas la perte du droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre :

[...]

c) lorsque des situations particulièrement difficiles l’exigent, par exemple le fait d’avoir été victime de violence domestique lorsque le mariage ou le partenariat enregistré subsistait encore ; [...]

[...] »

Les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86

10 Le point 5.3 de la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 3 avril 2014, concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial [COM(2014) 210 final], intitulé « Accès à un titre de séjour autonome », est ainsi libellé :

« En vertu de l’article 15, paragraphe 1, au plus tard après cinq ans de résidence, et si aucun titre de séjour n’a été délivré pour d’autres motifs, les États membres doivent délivrer, sur demande, un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant, au conjoint ou au partenaire non marié et à un enfant devenu majeur. La “résidence” doit être comprise comme un séjour légal et la Commission [européenne] souligne que les États membres sont autorisés à accorder le titre de séjour plus
tôt. En cas de rupture du lien familial, le droit à un titre de séjour autonome doit en tout état de cause toujours être accordé au conjoint ou au partenaire non marié, mais les États membres peuvent exclure les enfants adultes. Si l’article 15, paragraphe 4, dispose que les conditions en la matière doivent être définies par le droit national, l’article 15, paragraphe 3, indique que la rupture du lien familial doit être comprise comme un veuvage, une séparation, un divorce, un décès, etc.

Conformément à l’article 15, paragraphe 2, et paragraphe 3, première phrase, les États membres peuvent accorder à tout moment un titre de séjour autonome aux enfants majeurs et aux ascendants au premier degré visés à l’article 4, paragraphe 2, et, sur demande, à toute personne entrée au titre du regroupement familial en cas de veuvage, de divorce, de séparation ou de décès d’ascendants ou de descendants au premier degré.

Conformément à l’article 15, paragraphe 3, [seconde] phrase, en cas de situation particulièrement difficile, les États membres doivent accorder un titre de séjour autonome à tout membre de la famille entré au titre du regroupement familial. Les États membres sont tenus d’arrêter des dispositions à cet effet dans leur législation nationale. La situation particulièrement difficile doit avoir été causée par la situation familiale ou par la rupture du lien familial, et non par des difficultés liées à
d’autres motifs. Citons, comme exemples de situations particulièrement difficiles, les cas de violence domestique visant les femmes et les enfants, certains cas de mariages forcés, le risque de mutilations génitales féminines ou les cas dans lesquels la personne concernée se trouverait dans une situation familiale particulièrement difficile si elle était contrainte de retourner dans son pays d’origine. »

Le droit espagnol

11 L’article 19 de la Ley Orgánica 4/2000, sobre derechos y libertades de los extranjeros en España y su integración social (loi organique 4/2000, sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale), du 11 janvier 2000 (BOE no 10, du 12 janvier 2000, p. 1139), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« 1.   Le permis de séjour pour regroupement familial dont bénéficient le conjoint et les enfants regroupés lorsqu’ils atteignent l’âge de travailler leur donne le droit de travailler sans qu’il soit nécessaire d’effectuer d’autres démarches administratives.

2.   Le conjoint bénéficiant du regroupement familial peut obtenir un permis de séjour indépendant lorsqu’il dispose de moyens financiers suffisants pour subvenir à ses propres besoins.

Dans le cas où la conjointe bénéficiaire du regroupement familial est victime de violence de genre, elle peut obtenir le permis de séjour et de travail indépendant, sans que la condition précédente doive être remplie, dès lors qu’a été rendue en sa faveur une ordonnance de protection ou, à défaut, un rapport du Ministerio Fiscal (ministère public, Espagne) indiquant l’existence d’indices de violence de genre.

3.   Les enfants bénéficiaires du regroupement familial peuvent obtenir un permis de séjour indépendant lorsqu’ils atteignent l’âge de la majorité et disposent de moyens financiers suffisants pour subvenir à leurs propres besoins.

4.   La forme et le montant des moyens financiers jugés suffisants pour permettre aux membres de la famille regroupée d’obtenir un permis indépendant sont déterminés par voie réglementaire.

5.   En cas de décès du regroupant, les membres de la famille regroupée peuvent obtenir un permis de séjour indépendant dans des conditions à déterminer. »

12 L’article 59 du Real Decreto 557/2011 por el que se aprueba el Reglamento de la Ley Orgánica 4/2000, tras su reforma por Ley Orgánica 2/2009 (décret royal 557/2011, portant approbation du règlement de la loi organique 4/2000, après sa réformation par la loi organique 2/2009), du 20 avril 2011 (BOE no 103, du 30 avril 2011, p. 43821) (ci-après le « décret royal 557/2011 »), intitulé « Séjour des membres de la famille regroupée indépendamment de celui du regroupant », prévoit :

« 1.   Le conjoint ou le partenaire bénéficiaire du regroupement familial peut obtenir un permis de séjour et de travail indépendant s’il remplit l’une des conditions suivantes et s’il n’a pas de dettes envers les autorités fiscales ou de sécurité sociale :

a) disposer de moyens financiers suffisants pour se voir accorder un permis de séjour temporaire sans exercer une activité économique.

b) avoir un ou plusieurs contrats de travail, à partir du moment de la demande, qui prévoient une rémunération qui ne soit pas inférieure au salaire minimum interprofessionnel mensuel rapporté à la journée légale de travail ou à celui résultant de la convention collective applicable.

c) remplir les conditions d’octroi d’un permis de séjour temporaire et de travail indépendant.

[...]

2.   En outre, le conjoint ou le partenaire peut obtenir un permis de séjour et de travail indépendant dans les cas suivants :

a) Lorsque la relation conjugale qui était à l’origine du séjour est rompue, en raison d’une séparation légale, d’un divorce ou de l’annulation de l’enregistrement, ou de la cessation de la vie de couple, à condition de démontrer la vie commune, en Espagne, avec le conjoint ou le partenaire regroupant pendant au moins deux ans.

b) Lorsque la femme est victime de violence de genre, à partir du moment où une ordonnance de protection judiciaire a été rendue en sa faveur ou, à défaut, en présence d’un rapport du ministère public indiquant l’existence de signes de violence de genre. Ce cas s’applique également lorsque le conjoint ou le partenaire aurait été victime d’un délit dû à un comportement violent dans le cadre familial, dès lors qu’il existe une ordonnance de protection judiciaire en faveur de la victime ou, à
défaut, un rapport du ministère public indiquant l’existence d’un comportement violent dans le cadre familial.

Le traitement des demandes présentées en vertu du présent paragraphe a un caractère prioritaire et la durée du permis de séjour et de travail indépendant est de cinq ans.

c) En cas de décès du regroupant.

3.   Dans les cas prévus au paragraphe précédent, lorsque, outre le conjoint ou le partenaire, d’autres membres de la famille ont bénéficié du regroupement familial, ces derniers conservent le permis de séjour accordé et dépendent, aux fins du renouvellement du permis de séjour pour regroupement familial, du membre de la famille avec lequel ils vivent.

4.   Les enfants et les mineurs dont le regroupant est le représentant légal obtiennent un permis de séjour indépendant lorsqu’ils atteignent la majorité et peuvent prouver qu’ils se trouvent dans l’une des situations décrites au paragraphe 1 du présent article, ou lorsqu’ils ont atteint la majorité et ont résidé en Espagne pendant cinq ans.

[...] »

13 L’article 61 du décret royal 557/2011, intitulé « Renouvellement des permis de séjour pour regroupement familial », dispose, à son paragraphe 3 :

« Les conditions suivantes doivent être remplies pour le renouvellement d’un permis de séjour pour regroupement familial :

a) Quant au bénéficiaire du regroupement familial :

1) il doit être titulaire d’un permis de séjour pour regroupement familial en vigueur ou se trouver dans le délai de quatre-vingt-dix jours civils après l’expiration de ce permis.

2) le lien familial ou de parenté ou l’existence de l’union de fait sur la base desquels l’autorisation de renouvellement a été accordée doivent être maintenus.

[...]

b) Quant au regroupant :

1) il doit être titulaire d’un permis de séjour en vigueur ou se trouver dans la période de quatre-vingt-dix jours civils suivant l’expiration du permis.

[...] »

14 Aux termes du paragraphe 4 de la première disposition additionnelle du décret royal 557/2011 :

« Sur proposition du chef de la Secretaría de Estado de Inmigración y Emigración (secrétariat d’État à l’Immigration et à l’Émigration, Espagne), vu le rapport du chef de la Secretaría de Estado de Seguridad (secrétariat d’État à la Sécurité, Espagne) et, le cas échéant, des chefs des Subsecretarías de Asuntos Exteriores y de Cooperación y de Política Territorial y Administración Pública (sous-secrétariats aux Affaires étrangères, à la Coopération et à la Politique territoriale et à
l’Administration publique, Espagne), le Consejo de Ministros (Conseil des ministres, Espagne) peut, lorsque des circonstances d’ordre économique, social ou professionnel le justifient et dans des cas non réglementés présentant un intérêt particulier, émettre, après information et consultation de la Comisión Laboral Tripartita de Inmigración (commission du Travail tripartite sur l’immigration, Espagne), des instructions aux fins de l’octroi de permis de séjour temporaire et/ou de travail, qui
peuvent être liés à une période, à un emploi ou à un lieu selon les termes [de ces] instructions, ou d’autorisations de séjour [...] De même, le chef du secrétariat d’État à l’Immigration et à l’Émigration, sur rapport du chef du secrétariat d’État à la Sécurité, peut accorder des permis individuels de séjour temporaire en présence de circonstances exceptionnelles non prévues par le présent règlement. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 Les trois requérants au principal, une mère de famille et ses deux enfants mineurs, sont titulaires d’un permis de séjour pour regroupement familial, le regroupant étant le mari de celle-ci et le père de ces deux enfants.

16 Le 22 avril 2021, les quatre membres de la famille ont introduit une demande de permis de séjour de longue durée.

17 Par une décision du 27 mai 2021, l’autorité nationale compétente a rejeté la demande du regroupant en raison de l’existence d’un antécédent pénal.

18 Par une décision du 22 juin 2021, cette autorité nationale a également rejeté les demandes introduites par les requérants au principal au titre du regroupement familial, au motif que, en méconnaissance de la condition prévue à l’article 61, paragraphe 3, sous b), point 1, du décret royal 557/2011, le regroupant n’était pas titulaire d’un permis de travail et/ou de séjour.

19 Saisie par les requérants au principal d’un recours visant à obtenir l’annulation de cette décision, le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n.o 5 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 5 de Barcelone, Espagne), qui est la juridiction de renvoi, relève que ladite décision a été adoptée sans que l’autorité nationale compétente procède, conformément à l’article 17 de la directive 2003/86, à une évaluation de la nature et de la solidité des liens familiaux des personnes
concernées, de la durée de leur résidence ainsi que de l’existence d’attaches familiales, culturelles et sociales avec le pays dans lequel elles résident et avec leur pays d’origine.

20 Or, selon cette juridiction, dès lors que l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86 ne précise pas les cas de « situation particulièrement difficile » justifiant l’octroi, aux membres de la famille d’un regroupant, d’un titre de séjour autonome, il ne peut être exclu qu’une telle notion recouvre la situation résultant de la perte, par ces derniers, de leur permis de séjour au titre du regroupement familial pour des raisons indépendantes de leur volonté, surtout dans le cas d’enfants
mineurs et de personnes se trouvant dans une situation de discrimination structurelle dans leur pays d’origine, comme ce serait le cas des femmes originaires de certains pays tiers, dans lesquels les personnes de sexe féminin sont dépourvues de toute protection.

21 Toutefois, d’une part, ladite juridiction relève que la législation espagnole ne prévoit pas de procédure permettant aux intéressés de faire valoir des circonstances individuelles ni la tenue d’une audition préalable des mineurs, de telle sorte que les autorités nationales compétentes se prononcent sans tenir compte de la situation personnelle des membres de la famille, bénéficiaires du regroupement familial. Ces derniers se retrouveraient, dès lors, instantanément dans une situation
d’irrégularité. Or, il découlerait de la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle est issue des arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, points 62 à 64), ainsi que du 14 mars 2019, Y. Z. e.a. (Fraude dans le regroupement familial) (C‑557/17, EU:C:2019:203, points 51 à 55), que ces autorités nationales doivent, avant d’adopter une décision en matière de regroupement familial, apprécier toutes les circonstances particulières du cas d’espèce, toute décision automatique
étant exclue.

22 D’autre part, la juridiction de renvoi observe que l’article 59 du décret royal 557/2011, en dépit du caractère impératif du libellé de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86, ne mentionne pas les cas de « situation particulièrement difficile » évoqués à cette dernière disposition. Par ailleurs, selon cette juridiction, si le paragraphe 4 de la première disposition additionnelle de ce décret royal prévoit l’octroi d’un permis de séjour dans des cas exceptionnels non prévus par la
réglementation, ce paragraphe ne semble pas conforme à la directive 2003/86. En effet, ladite juridiction relève que la compétence pour l’octroi d’un tel permis de séjour est attribuée non pas aux organes de l’administration périphérique de l’État, compétents pour l’octroi des permis de séjour, mais à l’administration publique centrale, et qu’un tel octroi relève du pouvoir d’appréciation de cette dernière, ce qui n’empêcherait pas l’automatisme de l’adoption des décisions sur les permis de
séjour.

23 Dans ces conditions, le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n.o 5 de Barcelona (tribunal administratif au niveau provincial no 5 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 15, paragraphe 3, [seconde phrase], et l’article 17 de la directive [2003/86], par les termes “situation particulièrement difficile”, doivent-ils automatiquement inclure toutes les situations dans lesquelles un mineur est concerné et/ou celles qui sont [analogues] à celles visées à l’article 15 ?

2) Une réglementation nationale qui ne prévoit pas l’octroi d’un permis de séjour autonome garantissant que les membres de la famille bénéficiaires du regroupement familial ne restent pas dans une situation d’irrégularité administrative, en présence d’une telle situation particulièrement difficile, est-elle conforme à l’article 15, paragraphe 3, [seconde phrase], et à l’article 17 de la directive [2003/86] ?

3) L’article 15, paragraphe 3, [seconde phrase], et l’article 17 de la directive [2003/86] peuvent-ils être interprétés dans le sens que ce droit à un permis autonome est acquis lorsque la famille regroupée se retrouve sans permis de séjour pour des raisons indépendantes de sa volonté ?

4) Une réglementation nationale qui ne prévoit pas, avant de refuser le renouvellement du permis de séjour des membres de la famille bénéficiaires du regroupement familial, l’évaluation nécessaire et obligatoire des circonstances visées à l’article 17 de la directive [2003/86] est-elle conforme à l’article 15, paragraphe 3, et à l’article 17 de la directive [2003/86] ?

5) Une réglementation nationale qui ne prévoit pas qu’un refus du permis de séjour ou de son renouvellement, en tant que bénéficiaire du regroupement familial, soit précédé d’une procédure spécifique d’audition des mineurs, lorsque le regroupant s’est vu refuser le permis de séjour ou son renouvellement, est-elle conforme à l’article 15, paragraphe 3, et à l’article 17 de la directive [2003/86] ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la [CEDH], et aux
articles 47, 24 et 7 ainsi qu’à l’article 33, paragraphe 1, de la [Charte] ?

6) Une réglementation nationale qui ne prévoit pas qu’un refus du permis de séjour ou de son renouvellement, en tant que conjoint bénéficiaire du regroupement familial, lorsque le regroupant s’est vu refuser le permis de séjour ou son renouvellement, soit précédé d’une procédure dans le cadre de laquelle l’intéressé puisse invoquer les circonstances visées à l’article 17 de la directive [2003/86], afin de demander que lui soit accordée une possibilité de continuer son séjour sans solution de
continuité par rapport à sa situation de séjour antérieure, est-elle conforme à l’article 15, paragraphe 3, et à l’article 17 de la directive [2003/86] ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la [CEDH], et aux articles 47, 24 et 7 ainsi qu’à l’article 33, paragraphe 1, de la [Charte] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première à troisième questions

24 Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui ne prévoit pas que l’autorité nationale compétente est tenue de délivrer, en se fondant sur l’existence d’une « situation particulièrement difficile », au sens de cette disposition, un titre de séjour autonome à des
membres de la famille d’un regroupant lorsque ceux-ci ont perdu leur titre de séjour pour des raisons indépendantes de leur volonté ou que des enfants mineurs en font partie.

25 En vue de l’examen de ces questions, il convient, à titre liminaire, de rappeler que, en vertu de l’article 16, paragraphe 3, de cette directive, les États membres peuvent retirer ou refuser de renouveler le titre de séjour d’un membre de la famille d’un regroupant lorsque le séjour de ce dernier touche à son terme et que le membre de la famille concerné ne bénéficie pas encore, en vertu de l’article 15 de ladite directive, d’un droit à un titre de séjour autonome.

26 À cet égard, il ressort, tout d’abord, de l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/86 que le conjoint ou le partenaire non marié et l’enfant devenu majeur d’un regroupant ont droit à un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant, au plus tard après cinq années de résidence, dans la mesure où ils n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, les États membres ayant cependant la faculté, conformément au second alinéa
de cette disposition, de limiter l’octroi d’un tel titre de séjour autonome, en cas de rupture du lien familial, au conjoint et au partenaire non marié. En vertu du paragraphe 2 de cet article 15, les États membres peuvent aussi accorder un titre de séjour autonome aux enfants majeurs et aux ascendants directs du regroupant.

27 Ensuite, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, première phrase, de cette directive, un titre de séjour autonome peut être délivré, même avant l’accomplissement de la période de cinq années de résidence prévue au paragraphe 1 de cet article 15, aux personnes entrées au titre du regroupement familial en cas de veuvage, de divorce, de séparation ou de décès d’ascendants ou de descendants directs au premier degré. La seconde phrase du paragraphe 3 dudit article 15 prévoit, pour sa part, que les
États membres arrêtent des dispositions garantissant l’octroi d’un titre de séjour autonome en cas de « situation particulièrement difficile ».

28 Enfin, aux termes de l’article 15, paragraphe 4, de ladite directive, les conditions applicables à l’octroi et à la durée du titre de séjour autonome sont définies par le droit national.

29 C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il convient de préciser la portée de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, qui fait l’objet des trois premières questions.

30 D’emblée, il convient de constater que ni cette disposition ni aucune autre disposition de cette directive ne définit la notion de « situation particulièrement difficile » ou ne fournit une illustration d’une telle situation.

31 Il n’en résulte toutefois pas, contrairement à ce qu’a fait valoir le gouvernement espagnol lors de l’audience, que la portée de cette notion pourrait être déterminée unilatéralement par les États membres, de telle sorte que ceux-ci disposeraient d’une marge de manœuvre illimitée pour définir celle-ci dans leur droit interne.

32 En effet, il y a lieu de constater, à l’instar de M. l’avocat général au point 40 de ses conclusions, que l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 reconnaît un droit au bénéfice des membres de la famille visés à cette disposition, en exigeant des États membres qu’ils adoptent des dispositions garantissant l’octroi d’un titre de séjour autonome en cas de « situation particulièrement difficile », et prévoit, à cet égard, une condition de fond essentielle à l’octroi d’un
tel titre de séjour, sans nullement renvoyer au droit des États membres.

33 Certes, étant donné que l’article 15, paragraphe 4, de cette directive précise que les conditions applicables à l’octroi et à la durée de ce titre de séjour autonome sont définies dans le droit national, la Cour a jugé que le pouvoir d’appréciation reconnu aux États membres dans le cadre de ladite directive doit être considéré comme étant large en ce qui concerne les conditions d’octroi, sur le fondement de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la même directive, d’un titre de séjour
autonome au ressortissant de pays tiers entré sur le territoire de l’État membre concerné au titre du regroupement familial lorsqu’il se retrouve dans une « situation particulièrement difficile », au sens de cette dernière disposition [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, points 85 et 86].

34 Ainsi, en effectuant, à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86, un renvoi au droit national, le législateur de l’Union a indiqué qu’il avait souhaité laisser à la discrétion de chaque État membre le soin de déterminer à quelles conditions un titre de séjour autonome devait être délivré à un ressortissant de pays tiers entré sur son territoire au titre du regroupement familial lorsqu’il se retrouve dans une telle situation [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge
(Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 87 et jurisprudence citée].

35 Pour autant, selon une jurisprudence constante, le pouvoir d’appréciation reconnu aux États membres ne doit pas être utilisé par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’effet utile ou à l’objectif de cette directive ou qui méconnaîtrait le principe de proportionnalité [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 88 et jurisprudence citée]. Ainsi, un État membre ne saurait imposer des conditions à
ce point exigeantes qu’elles constitueraient un obstacle difficilement surmontable empêchant en pratique l’octroi d’un titre de séjour autonome (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2018, C et A, C‑257/17, EU:C:2018:876, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

36 Il s’ensuit que, sous peine de compromettre l’effet utile ou l’objectif de l’obligation leur incombant, au titre de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, d’adopter des dispositions garantissant, au membre de la famille concerné, le droit d’obtenir un titre de séjour autonome en cas de « situation particulièrement difficile », les États membres ne sauraient disposer d’une marge d’appréciation illimitée pour définir les circonstances relevant d’une telle situation.

37 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il y a lieu, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte des termes de celle-ci, du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 18 avril 2024, Girelli Alcool, C‑509/22, EU:C:2024:341, point 77). La genèse de cette disposition peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation [voir, en ce
sens, arrêt du 7 septembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Nature du droit de séjour au titre de l’article 20 TFUE), C‑624/20, EU:C:2022:639, point 28 et jurisprudence citée].

38 En premier lieu, en ce qui concerne les termes de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, il convient de constater que, au regard de leur signification dans le langage courant, l’expression « situation particulièrement difficile » suppose, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 49 de ses conclusions, l’existence de circonstances qui présentent, par leur nature, un degré élevé de gravité ou de pénibilité pour le membre de la famille concerné ou qui
l’exposent à un niveau élevé de précarité ou de vulnérabilité excédant les aléas habituels d’une vie familiale normale.

39 Cette interprétation est conforme, en deuxième lieu, à l’objectif poursuivi par cette disposition ainsi que par la réglementation de l’Union dont elle fait partie.

40 En effet, il convient de rappeler que la directive 2003/86, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2, 4 et 6, vise, de manière générale, à assurer la protection de la famille ainsi qu’à faciliter l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres en permettant une vie familiale et en contribuant à la création d’une stabilité socioculturelle grâce au regroupement familial [voir, en ce sens, notamment, arrêts du 21 avril 2016, Khachab, C‑558/14, EU:C:2016:285, point 26 ; du
2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 83, ainsi que du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial avec un mineur réfugié), C‑273/20 et C‑355/20, EU:C:2022:617, point 58].

41 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, les mesures concernant le regroupement familial doivent respecter les droits fondamentaux, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 7 et à l’article 24, paragraphes 2 et 3, de la Charte, qui imposent aux États membres d’examiner les demandes au titre du regroupement familial dans l’intérêt des enfants concernés et dans le souci de favoriser la vie familiale [voir, en ce sens, notamment, arrêts du 13 mars 2019,
E., C‑635/17, EU:C:2019:192, point 56 et jurisprudence citée, ainsi que du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial avec un mineur réfugié), C‑273/20 et C‑355/20, EU:C:2022:617, point 59].

42 L’article 15 de la directive 2003/86, ainsi qu’il ressort du considérant 15 de celle-ci, s’inscrit pleinement dans le cadre de cet objectif de protection de la famille en permettant aux membres de la famille d’un regroupant qui ont obtenu un titre de séjour aux fins de réaliser un regroupement familial d’accéder à un statut indépendant du regroupant afin de promouvoir leur intégration, en facilitant leur accès à l’éducation, à l’emploi et à la formation professionnelle.

43 Dans ce contexte, l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de cette directive poursuit l’objectif spécifique de protéger les membres de la famille d’un regroupant en leur conférant un statut indépendant de ce dernier, avant même l’écoulement du délai de résidence de cinq années donnant accès de plein droit à ce statut en vertu de cet article 15, paragraphe 1, premier alinéa, en assurant à ces membres de la famille un droit de séjour dans l’État membre d’accueil qui ne découle pas de leur
dépendance par rapport à ce dernier, lorsque cette dépendance est à l’origine de difficultés particulières résultant de la situation familiale, créant à leur égard, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 46 de ses conclusions, un réel besoin de protection par l’octroi d’un titre de séjour autonome.

44 Dans cette perspective, il convient d’observer que, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement espagnol, il est sans importance que l’octroi, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de ladite directive, d’un titre de séjour autonome aux membres de la famille concernés pourrait avoir comme conséquence la séparation de cette famille, dans la mesure où le regroupant, en raison de la perte de son titre de séjour dans l’État membre d’accueil, pourrait être tenu de retourner
dans son pays tiers d’origine, tandis que ces membres de la famille pourraient continuer à séjourner dans cet État membre.

45 En effet, ainsi qu’il ressort des points 40 à 42 du présent arrêt, l’objectif poursuivi à l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 ne se confond pas nécessairement avec l’objectif plus général poursuivi par cette directive. Alors que celle-ci vise, dans son ensemble, à protéger la famille en procédant à son regroupement, l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de cette directive vise, pour sa part, à protéger la famille par l’octroi, dans le contexte d’un
regroupement familial préexistant, d’un statut indépendant aux membres concernés de celle-ci, lequel peut, dans certains cas, faciliter l’éloignement de ces derniers par rapport au regroupant et, partant, conduire à séparer certains membres de la famille.

46 Ainsi, la Cour a relevé que l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 vise, notamment, par l’octroi d’un titre de séjour autonome, à protéger le ressortissant de pays tiers entré sur le territoire de l’État membre d’accueil au titre du regroupement familial qui a été victime d’actes de violence domestique commis par le regroupant durant le mariage [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19,
EU:C:2021:657, points 69, 70, 85 et 89].

47 Cette interprétation de la notion de « situation particulièrement difficile », au sens de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, est étayée par l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil, relative au droit au regroupement familial, présentée par la Commission le 1er décembre 1999, [COM(1999) 638 final, p. 22], selon lequel cette disposition vise notamment à protéger les femmes victimes de violence dans leur famille, lesquelles ne sauraient être
pénalisées par le retrait de leur titre de séjour si elles décident de quitter leur foyer, ainsi que la situation des femmes, veuves, divorcées ou répudiées, qui seraient soumises à des situations particulièrement pénibles, si elles étaient obligées de retourner dans leur pays d’origine.

48 Ces exemples recoupent, au demeurant, ceux mentionnés au point 5.3 des lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86, lesquelles mentionnent, comme exemples de « situations particulièrement difficiles », au sens de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, non seulement les cas de violence domestique visant les femmes et les enfants ainsi que les cas dans lesquels la personne concernée se trouverait dans une situation familiale particulièrement difficile
si elle était contrainte de retourner dans son pays d’origine, mais également certains cas de mariages forcés ou le risque de mutilations génitales féminines [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19, EU:C:2021:657, point 64].

49 En troisième lieu, l’interprétation qui précède est corroborée par le contexte dans lequel s’inscrit l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86, tel qu’il ressort, premièrement, d’une lecture d’ensemble des deux phrases formant cette disposition.

50 En effet, conformément à l’article 15, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2003/86, en cas de veuvage, de divorce, de séparation ou de décès d’ascendants ou de descendants directs au premier degré, les autorités nationales compétentes ont, ainsi qu’il ressort du terme « peut », la simple faculté d’octroyer un titre de séjour autonome aux personnes entrées au titre du regroupement familial, en exerçant leur marge d’appréciation à cet égard, alors que de telles situations peuvent déjà
être considérées comme étant, en elles-mêmes, des situations présentant des difficultés non négligeables pour les personnes concernées.

51 En revanche, ainsi qu’il est relevé aux points 32 et 36 du présent arrêt, la seconde phrase du paragraphe 3 dudit article 15 impose aux États membres d’adopter des dispositions garantissant l’octroi d’un tel titre de séjour autonome en cas de « situation particulièrement difficile », au sens de cette disposition.

52 Une telle gradation dans l’économie du paragraphe 3 du même article 15 fait ressortir que la seconde phrase de celui-ci vise des situations familiales présentant un degré de gravité plus élevé encore que celles déjà couvertes par sa première phrase en ce qui concerne la précarité ou la vulnérabilité pour le membre de la famille concerné, de telle sorte que ces situations doivent excéder les aléas habituels d’une vie familiale normale.

53 Cela étant, il ne saurait en être inféré, contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol, qu’il existerait un lien entre les deux phrases dudit paragraphe 3, en ce sens que la « situation particulièrement difficile » relevant de la seconde phrase de cette disposition devrait nécessairement avoir été causée par la rupture du lien conjugal, telle qu’elle résulte du décès, du divorce ou de la séparation, visés à la première phrase de ladite disposition.

54 En effet, sous peine de priver l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 de tout effet utile et de porter atteinte à l’objectif poursuivi par cette disposition consistant à conférer aux membres de la famille concernés un statut indépendant de celui du regroupant, les situations relevant de celle-ci ne sauraient être réduites aux seules difficultés résultant de la rupture du lien conjugal, dès lors que la gravité des difficultés auxquelles peut être confronté le membre de
la famille d’un regroupant peut être sans relation avec une telle rupture et résulter, au contraire, du maintien du lien conjugal, en particulier dans le cas de violence domestique, de mariages forcés ou de risque de mutilations génitales féminines, notamment, lorsque, en cas de perte du droit de séjour, le regroupant pourrait être tenu de retourner dans son pays d’origine.

55 Il en ressort ainsi que, comme la Commission le fait valoir à juste titre, la « situation particulièrement difficile », telle que visée à l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, doit découler de la situation familiale des ressortissants de pays tiers concernés, dans un sens large, sans qu’il importe que cette situation soit liée ou non à la rupture du lien conjugal.

56 Cette interprétation est étayée, deuxièmement, par l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de la directive 2004/38, lequel, s’agissant des membres de la famille de citoyens de l’Union, partage avec l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 l’objectif d’assurer une protection des membres de la famille qui sont victimes de violence domestique [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique), C‑930/19,
EU:C:2021:657, points 70 et 89].

57 En effet, l’article 13, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de la directive 2004/38 prévoit également que le divorce, l’annulation du mariage ou la rupture d’un partenariat enregistré n’entraîne pas la perte du droit de séjour des membres de la famille de citoyens de l’Union lorsque des situations particulièrement difficiles l’exigent, citant explicitement comme exemple de telles situations le fait d’avoir été victime de violence domestique « lorsque le mariage ou le partenariat enregistré
subsistait encore », faisant ainsi explicitement ressortir que de telles situations sont susceptibles de naître en l’absence de toute rupture du lien conjugal.

58 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’existence d’une « situation particulièrement difficile », au sens de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86, requiert d’établir que le ressortissant d’un pays tiers, qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil au titre du regroupement familial, fait face à des circonstances découlant de la situation familiale qui présentent, par leur nature, un degré élevé de gravité ou de pénibilité ou qui l’exposent
à un niveau élevé de précarité ou de vulnérabilité, créant à son égard un réel besoin de protection assurée par l’octroi d’un titre de séjour autonome, sans qu’il importe que le lien conjugal ait ou non été rompu.

59 Il s’ensuit que la seule présence d’enfants mineurs parmi les membres de la famille du regroupant ou le fait que la perte du titre de séjour de ces derniers est la conséquence de circonstances propres au regroupant, telle que la commission, par celui-ci, d’une infraction pénale, ne peuvent suffire à justifier l’octroi d’un titre de séjour autonome en se fondant sur l’existence d’une « situation particulièrement difficile », au sens de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la
directive 2003/86.

60 En particulier, s’agissant de cette seconde circonstance, il y a lieu de souligner que la perte du titre de séjour des membres de la famille en raison de circonstances indépendantes de leur volonté reflète le principe selon lequel, conformément aux objectifs poursuivis par la directive 2003/86, tels que rappelés aux points 40 et 41 du présent arrêt, tant que les membres de la famille concernés n’ont pas acquis un droit de séjour autonome sur le fondement de l’article 15 de cette directive, leur
droit de séjour est un droit dérivé de celui du regroupant concerné, destiné à favoriser l’intégration de ce dernier [voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2019, Y. Z. e.a. (Fraude dans le regroupement familial), C‑557/17, EU:C:2019:203, point 47].

61 À cet égard, il convient de rappeler que, compte tenu de l’importance centrale du regroupant dans le système institué par la directive 2003/86, il est conforme aux objectifs poursuivis par cette directive et à la logique sous-jacente de celle-ci que la perte par ce dernier de son titre de séjour ou le non-renouvellement de celui-ci pour des motifs qui lui sont propres soit susceptible, en principe, d’avoir des répercussions sur le processus de regroupement familial et, en particulier, sur les
titres de séjour octroyés aux membres de la famille de ce regroupant [voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2019, Y. Z. e.a. (Fraude dans le regroupement familial), C‑557/17, EU:C:2019:203, point 46].

62 De la même manière, la directive 2003/86 ayant pour but, conformément à son article 1er, de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres, ce droit est réservé à de tels ressortissants, ce qui est confirmé par la définition des notions de « regroupant » et de « regroupement familial », figurant à l’article 2, sous c) et d), de cette directive. Or, un
regroupant qui s’est vu retirer son titre de séjour ne saurait plus être regardé comme résidant de manière légale sur le territoire d’un État membre. Il est donc a priori justifié que les titres de séjour octroyés aux membres de sa famille sur le fondement de la directive 2003/86 puissent aussi être retirés ou ne pas être renouvelés sans que ces derniers puissent se prévaloir d’une « situation particulièrement difficile », au sens de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de cette directive,
au seul motif du caractère indépendant de leur volonté du motif de retrait [voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2019, Y. Z. e.a. (Fraude dans le regroupement familial), C‑557/17, EU:C:2019:203, point 48].

63 En conséquence, il convient de répondre aux première à troisième questions que l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui ne prévoit pas que l’autorité nationale compétente est tenue de délivrer, en se fondant sur l’existence d’une « situation particulièrement difficile », au sens de cette disposition, un titre de séjour autonome à des membres de la famille d’un regroupant
lorsque ceux-ci ont perdu leur titre de séjour pour des raisons indépendantes de leur volonté ou que des enfants mineurs en font partie.

Sur les quatrième à sixième questions

Sur la recevabilité

64 Le gouvernement espagnol fait valoir que la cinquième question est irrecevable au motif qu’elle ne porte pas sur l’interprétation du droit de l’Union. En effet, ni l’article 15, paragraphe 3, ni l’article 17 de la directive 2003/86 ne prévoiraient de règles concernant l’audition des personnes autres que le demandeur d’un regroupement familial et le droit de l’Union ne comporterait aucune disposition concernant la capacité d’agir des enfants mineurs dans une procédure administrative.

65 En outre, cette question semblerait hypothétique, dans la mesure où la décision de renvoi, d’une part, ne fournirait aucune indication concernant l’âge des enfants mineurs en cause au principal et, d’autre part, mentionnerait que tous les membres de la famille concernés ont introduit une demande de permis de séjour de longue durée pour regroupement familial, ce qui ferait ressortir que tous ces membres de la famille auraient participé conjointement à la procédure administrative. Par ailleurs,
ladite question reposerait sur la « prémisse irréaliste » selon laquelle les enfants mineurs pourraient se prévaloir d’un droit de séjour en dehors de la cellule familiale. En tout état de cause, il ne ressortirait pas de la décision de renvoi que la mère de ces enfants aurait demandé à ce que ces derniers soient entendus et il n’existerait aucun indice d’une situation de conflit d’intérêts entre eux.

66 Il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation
sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 11 avril 2024, Sozialministeriumservice, C‑116/23, EU:C:2024:292, point 29 et jurisprudence citée).

67 Or, en l’occurrence, il convient, en premier lieu, de constater que la question de savoir si les enfants mineurs disposent, en vertu du droit de l’Union, du droit d’être entendus avant l’adoption d’une décision de refus de renouvellement de leur titre de séjour pour regroupement familial relève du fond de la question posée, et non de la recevabilité de celle-ci.

68 En second lieu, cette question ne saurait être considérée comme étant hypothétique, dès lors que l’affaire au principal concerne, selon les termes explicites de la décision de renvoi, la légalité d’une décision par laquelle l’autorité nationale compétente a refusé aux deux enfants mineurs en cause au principal, lesquels disposaient d’un titre de séjour pour regroupement familial, le renouvellement de celui-ci à la suite de la perte, par le regroupant, de son titre de séjour.

69 Il est sans incidence à cet égard que la décision de renvoi n’indique pas l’âge précis de ces deux enfants mineurs. En effet, l’absence d’une telle indication concernant les faits de l’affaire au principal, dont la détermination relève de la seule compétence de la juridiction de renvoi, n’affecte en rien la recevabilité de la question posée, dès lors qu’elle n’est pas de nature à empêcher la Cour de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile à cette question en procédant à
l’interprétation sollicitée du droit de l’Union.

70 De même, s’agissant des circonstances alléguées par le gouvernement espagnol selon lesquelles, en l’occurrence, lesdits deux enfants mineurs auraient effectué une demande conjointement avec les autres membres de la famille, leur mère n’aurait pas demandé à ce qu’ils soient entendus et aucun indice de conflit d’intérêts n’aurait été allégué, il y a lieu de constater qu’elles portent également sur des éléments factuels dont l’appréciation relève de la seule compétence de la juridiction de renvoi
afin de trancher le litige principal. Ces circonstances sont, partant, sans incidence sur la recevabilité de la cinquième question.

71 En conséquence, il convient de considérer que cette question est recevable.

Sur le fond

72 Par ses quatrième à sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17 de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui permet à l’autorité nationale compétente d’adopter une décision de refus de renouvellement du titre de séjour ayant été délivré à des membres de la famille d’un regroupant, sans avoir procédé au préalable à un examen individualisé de leur situation
et sans les avoir entendus et, dans l’affirmative, si, lorsque cette décision concerne un enfant mineur, ce dernier doit également être entendu.

73 En ce qui concerne, en premier lieu, la portée de l’examen incombant à l’autorité nationale compétente, il convient de rappeler que, selon le libellé explicite de l’article 17 de la directive 2003/86, les États membres doivent, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, prendre dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne concernée et sa durée de résidence dans l’État membre d’accueil ainsi que l’existence
d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine.

74 Il incombe, dès lors, à l’autorité nationale compétente, lors de la mise en œuvre de la directive 2003/86, de procéder, notamment, à une appréciation individualisée de la situation du membre de la famille en cause, qui prenne en compte tous les éléments pertinents du cas d’espèce et qui prête, le cas échéant, une attention particulière aux intérêts des enfants concernés et au souci de favoriser la vie familiale. En particulier, des circonstances telles que l’âge des enfants concernés, leur
situation dans leur pays d’origine et leur degré de dépendance par rapport à des parents sont susceptibles d’influer sur l’étendue et l’intensité de l’examen requis [voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, E., C‑635/17, EU:C:2019:192, points 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée].

75 Cette appréciation doit être effectuée à la lumière des objectifs poursuivis par cette directive [arrêt du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial avec un mineur réfugié), C‑273/20 et C‑355/20, EU:C:2022:617, point 61], en procédant à une évaluation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu (arrêt du 21 avril 2016, Khachab, C‑558/14, EU:C:2016:285, point 43 et jurisprudence citée).

76 Partant, le refus d’un titre de séjour ne saurait intervenir de manière automatique [voir, en ce sens, notamment, arrêts du 14 mars 2019, Y. Z. e.a. (Fraude dans le regroupement familial), C‑557/17, EU:C:2019:203, point 51, ainsi que du 12 décembre 2019, G.S. et V.G. (Menace pour l’ordre public), C‑381/18 et C‑382/18, EU:C:2019:1072, point 65].

77 Il s’ensuit qu’une décision de refus de renouvellement d’un titre de séjour octroyé à des membres de la famille d’un regroupant ne peut être prise qu’après un examen individualisé qui tient compte de l’ensemble des éléments pertinents relatifs à la situation de ces membres de la famille, et notamment des circonstances permettant à l’autorité nationale compétente d’apprécier s’il existe, à leur égard, des motifs justifiant l’octroi, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la
directive 2003/86, d’un titre de séjour autonome en raison de l’existence d’une « situation particulièrement difficile », au sens de cette disposition.

78 À cet égard, certes, la perte, par les membres de la famille concernés, de leur titre de séjour pour des raisons indépendantes de leur volonté ou la présence d’enfants mineurs parmi ceux-ci ne peuvent, à elles seules, établir, ainsi qu’il ressort des points 59 à 63 du présent arrêt, une telle « situation particulièrement difficile ». Toutefois, il ne peut être exclu que, en combinaison avec d’autres circonstances relatives à la vie familiale des personnes concernées, lesquelles ne semblent
cependant pas avoir été invoquées dans l’affaire au principal, ces éléments pourraient contribuer à justifier l’octroi d’un titre de séjour autonome en vertu de cet article 15, paragraphe 3, seconde phrase [voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2019, Y. Z. e.a. (Fraude dans le regroupement familial), C‑557/17, EU:C:2019:203, points 54 et 55].

79 En ce qui concerne, en second lieu, le droit d’être entendu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, ce droit fondamental, dont le respect s’impose même lorsque la réglementation applicable ne le prévoit pas expressément (voir, notamment, arrêt du 11 décembre 2014, Boudjlida, C‑249/13, EU:C:2014:2431, point 39 et jurisprudence citée), garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure
administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 12 mai 2022, Boshab/Conseil, C‑242/21 P, EU:C:2022:375, points 57 et 58 , ainsi que du 29 septembre 2022, HIM/Commission, C‑500/21 P, EU:C:2022:741, points 42 et 43), étant précisé que ce droit n’implique pas nécessairement l’obligation de mettre cette personne en mesure de s’exprimer oralement (ordonnance du 21 mai 2019, Le Pen/Parlement,
C‑525/18 P, EU:C:2019:435, point 66 et jurisprudence citée).

80 Il ressort, par ailleurs, de la jurisprudence de la Cour que le droit d’être entendu implique également que l’autorité nationale compétente prête toute l’attention requise aux observations ainsi soumises par l’intéressé en examinant, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et en motivant sa décision de façon circonstanciée, l’obligation de motiver une décision de façon suffisamment spécifique et concrète pour permettre à l’intéressé de comprendre les raisons du
refus qui est opposé à sa demande constituant ainsi le corollaire du principe du respect des droits de la défense (arrêt du 11 décembre 2014, Boudjlida, C‑249/13, EU:C:2014:2431, point 38 et jurisprudence citée).

81 En l’occurrence, il y a lieu de constater, à l’instar de la Commission, qu’une décision de refus de renouvellement d’un titre de séjour octroyé aux membres de la famille d’un regroupant est manifestement de nature à affecter de manière défavorable les intérêts de ces derniers, si bien qu’ils doivent être entendus par l’autorité nationale compétente avant la prise d’une telle décision.

82 Quant à la question de savoir si les enfants mineurs doivent également être entendus par celle-ci, il convient de rappeler que l’article 24, paragraphe 1, de la Charte exige que les enfants expriment librement leur opinion et que cette opinion soit prise en considération pour les sujets qui les concernent en fonction de leur âge et de leur maturité.

83 En outre, l’article 24, paragraphe 2, de la Charte impose à l’autorité nationale compétente, dans tous les actes relatifs aux enfants, de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

84 Selon une jurisprudence constante, cette dernière disposition implique que, dans tous les actes accomplis par les États membres lors de l’application de la directive 2003/86 qui concernent des enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale [voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial avec un mineur réfugié), C‑273/20 et C‑355/20, EU:C:2022:617, point 42 ainsi que jurisprudence citée].

85 Ainsi, l’opportunité d’une audition, laquelle n’est pas nécessairement requise par l’intérêt supérieur de l’enfant, doit faire l’objet d’une appréciation en fonction des exigences liées à cet intérêt supérieur dans chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Aguirre Zarraga, C‑491/10 PPU, EU:C:2010:828, points 63 et 64).

86 Il en découle que les dispositions de l’article 24 de la Charte imposent non pas l’audition de l’enfant en tant que telle, mais la possibilité pour l’enfant d’être entendu (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Aguirre Zarraga, C‑491/10 PPU, EU:C:2010:828, point 62).

87 Il s’ensuit que le droit de l’enfant d’être entendu n’exige pas qu’une audition soit nécessairement tenue, mais impose que soient mises à la disposition de cet enfant les procédures et les conditions légales lui permettant d’exprimer librement son opinion et que celle-ci soit recueillie.

88 Dès lors, lorsque la décision de refus de nouvellement d’un titre de séjour concerne un enfant mineur, il appartient aux États membres de prendre toutes les mesures appropriées pour offrir à cet enfant une possibilité réelle et effective d’être entendu, en fonction de son âge ou de son degré de maturité.

89 En conséquence, il convient de répondre aux quatrième à sixième questions que l’article 17 de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui permet à l’autorité nationale compétente d’adopter une décision de refus de renouvellement du titre de séjour ayant été délivré à des membres de la famille d’un regroupant, sans avoir procédé au préalable à un examen individualisé de leur situation et sans les avoir entendus. Lorsque cette
décision concerne un enfant mineur, il appartient aux États membres de prendre toutes les mesures appropriées pour offrir à cet enfant une possibilité réelle et effective d’être entendu, en fonction de son âge ou de son degré de maturité.

Sur les dépens

90 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui ne prévoit pas que l’autorité nationale compétente est tenue de délivrer, en se fondant sur l’existence d’une « situation particulièrement difficile », au sens de cette disposition, un titre de séjour autonome à des membres de la famille d’un regroupant lorsque ceux-ci ont perdu leur titre de séjour pour des raisons indépendantes de leur volonté ou que des enfants mineurs en font partie.

  2) L’article 17 de la directive 2003/86

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui permet à l’autorité nationale compétente d’adopter une décision de refus de renouvellement du titre de séjour ayant été délivré à des membres de la famille d’un regroupant, sans avoir procédé au préalable à un examen individualisé de leur situation et sans les avoir entendus. Lorsque cette décision concerne un enfant mineur, il appartient aux États membres de prendre toutes les mesures appropriées pour offrir à cet enfant une possibilité
réelle et effective d’être entendu, en fonction de son âge ou de son degré de maturité.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-63/23
Date de la décision : 12/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Politique relative à l’immigration – Droit au regroupement familial – Directive 2003/86/CE – Article 16, paragraphe 3 – Refus de renouvellement du titre de séjour du regroupant – Conséquences – Refus de renouvellement du titre de séjour des membres de sa famille – Raison indépendante de leur volonté – Présence d’enfants mineurs – Article 15, paragraphe 3 – Conditions de l’octroi d’un titre de séjour autonome – Notion de “situation particulièrement difficile” – Portée – Article 17 – Examen individualisé – Droit d’être entendu.


Parties
Demandeurs : Sagrario e.a.
Défendeurs : Subdelegación del Gobierno en Barcelona.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:739

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