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12/09/2024 | CJUE | N°C-66/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Elliniki Ornithologiki Etaireia e.a. contre Ypourgos Esoterikon e.a., 12/09/2024, C-66/23


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 92/43/CEE – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Classement d’un territoire en zone de protection spéciale – Espèces dites de “classement” – Mesures horizontales temporaires appliquées uniformément à toutes les zones de protection spéciale – Défaut d’adoption de plans de gestion individualisés »

D

ans l’affaire C‑66/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introd...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 92/43/CEE – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Classement d’un territoire en zone de protection spéciale – Espèces dites de “classement” – Mesures horizontales temporaires appliquées uniformément à toutes les zones de protection spéciale – Défaut d’adoption de plans de gestion individualisés »

Dans l’affaire C‑66/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 19 décembre 2022, parvenue à la Cour le 7 février 2023, dans la procédure

Elliniki Ornithologiki Etaireia,

Syllogos Diktyo Oikologikon Organoseon Aigaiou,

Perivallontikos Syllogos Rethymnou,

Politistikos Syllogos Thronos Kleisidiou,

KX,

et autres parties

contre

Ypourgos Esoterikon,

Ypourgos Oikonomikon,

Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon,

Ypourgos Perivallontos kai Energeias,

Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 janvier 2024,

considérant les observations présentées :

– pour l’Elliniki Ornithologiki Etaireia et le Syllogos Diktyo Oikologikon Organoseon Aigaiou, par M. P. Fokas-Pagoulatos, dikigoros,

– pour la Perivallontikos Syllogos Rethymnou, la Politistikos Syllogos Thronos Kleisidiou, KX et les autres parties, par Mes D. Bousmpouras et V. Kounelis, dikigoroi,

– pour l’Ypourgos Esoterikon, l’Ypourgos Oikonomikon, l’Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon, l’Ypourgos Perivallontos kai Energeias, l’Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon et le gouvernement hellénique, par Mmes E. Leftheriotou M. Tassopoulou et A. Vasilopoulou, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par Mmes J. Benešová, L. Langrová et M. M. Smolek, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes E. M. M. Besselink, M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes et I. Zervas, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 22 février 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »), de l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7,
ci-après la « directive “habitats” »), et de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1), telle que modifiée par la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014 (JO 2014, L 124, p. 1) (ci-après la « directive 2011/92 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Elliniki Ornithologiki Etaireia (Société hellénique d’ornithologie), le Syllogos Diktyo Oikologikon Organoseon Aigaiou (Réseau associatif des organisations écologiques de la mer Égée), la Perivallontikos Syllogos Rethymnou (Association environnementale de Réthymnon), la Politistikos Syllogos Thronos Kleisidiou (Association culturelle Thronos Kleisidi), KX et d’autres parties à l’Ypourgos Esoterikon (ministre de l’Intérieur, Grèce),
à l’Ypourgos Oikonomikon (ministre des Finances, Grèce), à l’Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon (ministre du Développement et des Investissements, Grèce), à l’Ypourgos Perivallontos kai Energeias (ministre de l’Environnement et de l’Énergie, Grèce) et à l’Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon (ministre du Développement rural et de l’Alimentation, Grèce) au sujet de la légalité d’un arrêté ministériel, adopté en 2012, ayant pour objet de modifier et de compléter l’acte de transposition de la
directive « oiseaux » dans le droit hellénique.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive « oiseaux »

3 Conformément à son article 1er, paragraphe 1, la directive « oiseaux » concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité FUE est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.

4 L’article 4 de cette directive dispose :

« 1.   Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

À cet égard, il est tenu compte :

а) des espèces menacées de disparition ;

b) des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats ;

c) des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte ;

d) d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

2.   Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leur aire de migration. À cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout
particulièrement de celles d’importance internationale.

[...]

4.   Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »

La directive « habitats »

5 Aux termes de l’article 1er, sous l), de la directive « habitats », l’expression « zone spéciale de conservation » s’entend d’« un site d’importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ».

6 L’article 6 de cette directive dispose :

« 1.   Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.   Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.   Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. [...]

4.   Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission [européenne] des mesures compensatoires adoptées.

[...] »

7 L’article 7 de ladite directive prévoit :

« Les obligations découlant de l’article 6 paragraphes 2, 3 et 4 de la présente directive se substituent aux obligations découlant de l’article 4 paragraphe 4 première phrase de la directive 79/409/CEE [du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1)] en ce qui concerne les zones classées en vertu de l’article 4 paragraphe 1 ou reconnues d’une manière similaire en vertu de l’article 4 paragraphe 2 de ladite directive à partir de la date de mise
en application de la présente directive ou de la date de la classification ou de la reconnaissance par un État membre en vertu de la directive 79/409/CEE si cette dernière date est postérieure. »

Le droit hellénique

8 La Nomos 1650/1986 gia tin prostasia tou perivallontos (loi 1650/1986, relative à la protection de l’environnement) (FEK Α’ 160/16.10.1986), telle que modifiée par la Nomos 3937/2011 (loi 3937/2011) (FEK Α’ 60/31.3.2011) et la Nomos 4685/2020 (loi 4685/2020) (FEK Α’ 92/7.5.2020), régit les zones de protection spéciale (ci-après les « ZPS ») en Grèce. La loi 1650/1986, telle que modifiée, impose, en substance, l’élaboration de plans de gestion pour les espèces concernées et pour les ZPS à la suite
d’une évaluation environnementale spéciale.

9 La Nomos 4014/2011 gia tin perivallontiki adeiodotisi ergon kai drastitriotiton, rithmisi afthereton se sinartisi me dimiourgia perivallontikou isozigiou ki alles diatakseis armodiotitas Ypourgeiou Perivallontos, Energeias kai Klimatikis Allagis (loi 4014/2011, relative à l’autorisation environnementale de projets et d’activités, à la régularisation des constructions non autorisées dans le cadre de la création d’un équilibre environnemental ainsi qu’à d’autres dispositions relevant du ministère de
l’Environnement, de l’Énergie et du Changement climatique) (FEK Α’ 209/21.9.2011), fixe les conditions de réalisation de projets dans les ZPS.

10 L’article 11 de cette loi prévoit que l’évaluation environnementale spéciale d’un projet de travaux publics ou privés comprend, d’une part, l’enregistrement des espèces concernées et, d’autre part, l’évaluation appropriée des incidences de ce projet, en particulier sur les oiseaux sauvages mentionnés à l’annexe I de l’article 14 du Koini Ypourgiki apofasi no 37338/1807/2010 « Kathorismos metron kai diadikasion gia tin diatirisi tis agrias ornithopanidas kai ton oikotopon/endietimaton tis, se
simmorfosi me tin Odigia 79/409/ΕΟK, “peri diatiriseos ton agrion ptinon” tou Europaikou Simvouliou tis 2as Apriliou 1979, opws kodikopoiithike me tin Odigia 2009/147/EK » (arrêté ministériel conjoint no 37338/1807/2010 « Détermination de mesures et de procédures pour la conservation des oiseaux sauvages et de leurs habitats en conformité avec la directive 79/409/CEE, telle que codifiée par la directive 2009/147/CE ») (FEK Β’ 1495/6.9.2010, ci-après l’« arrêté ministériel de 2010 »), qui a été
adopté afin de transposer la directive « oiseaux » dans le droit hellénique, ainsi que sur les espèces migratrices qui ne figurent pas à cette annexe, mais dont la venue est régulière sur le territoire grec.

11 En vertu de l’article 2 de l’arrêté ministériel de 2010, ces oiseaux sauvages et espèces migratrices constituent des « espèces de classement », c’est-à-dire des espèces d’oiseaux pour lesquelles les zones concernées ont été classées en ZPS, après une évaluation, aux fins de ce classement, de critères scientifiques et ornithologiques spécifiques qui figurent à l’annexe A de cet arrêté ministériel. Lesdits oiseaux sauvages et espèces migratrices constituent, en combinaison avec les critères de
classement des ZPS, des indicateurs déterminants pour la désignation d’un territoire comme étant une ZPS. L’article 4 dudit arrêté ministériel crée des ZPS dans lesquelles sont prises des mesures spéciales, telles que la limitation de certaines activités ou l’encadrement voire l’interdiction de certaines interventions susceptibles d’affecter de manière négative les zones concernées.

12 Le Koini Ypourgiki apofasi no 8353/276/Ε103 « Tropopoiisi kai simplirosi tis koinis ypourgikis apofasis no 37338/1807/2010 “Kathorismos metron kai diadikasion gia tin diatirisi tis agrias ornithopanidas kai ton oikotopon/endietimaton tis, se simmorfosi me tin Odigia 79/409/ΕΟK, ‘peri diatiriseos ton agrion ptinon’ tou Europaikou Simvouliou tis 2as Apriliou 1979, opws kodikopoiithike me tin Odigia 2009/147/EK” » (arrêté ministériel conjoint no 8353/276/Ε103 « Dispositions modifiant et complétant
l’arrêté ministériel conjoint no 37338/1807/2010, Détermination de mesures et de procédures pour la conservation des oiseaux sauvages et de leurs habitats en conformité avec la directive 79/409/CEE, telle que codifiée par la directive 2009/147/CE ») (FEK Β’ 415/23.2.2012, ci-après l’« arrêté ministériel de 2012 ») modifie et complète l’arrêté ministériel de 2010. Il prévoit des mesures horizontales applicables à toutes les ZPS ainsi désignées en vertu de l’arrêté ministériel de 2010. Il a pour
effet d’intégrer à l’article 14 de ce dernier une annexe énumérant les ZPS en fonction des « espèces de classement » mentionnées au point 10 du présent arrêt et prévoit des mesures de protection spéciale des oiseaux sauvages concernés et de leurs habitats qui peuvent être complétées par des plans de gestion.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Plusieurs associations et un grand nombre de particuliers contestent le régime de protection prévu dans l’arrêté ministériel de 2012. Ils soutiennent notamment que cet arrêté ministériel n’a pas correctement transposé la directive « oiseaux » dans l’ordre juridique grec.

14 Ledit arrêté ministériel fait ainsi l’objet de deux recours en annulation devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), qui est la juridiction de renvoi. L’un tend à ce que le même arrêté ministériel soit annulé dans son intégralité. L’autre tend à l’annulation de l’article 5 bis, paragraphe 2, de l’article 5 ter, paragraphes 3 et 4, de l’article 5 quater, paragraphe 1, de l’article 5 quinquies, paragraphes 1 et 3 ter, ainsi que de l’article 5 decies, paragraphe 4, de celui-ci.

15 À l’appui de ces deux recours, les requérants au principal font valoir, d’une part, que les mesures de protection prévues dans l’arrêté ministériel de 2012 concernent uniquement les « espèces de classement » mentionnées au point 10 du présent arrêt lorsqu’elles remplissent les critères chiffrés fixés à l’annexe A de l’article 14 de l’arrêté ministériel de 2010. Cette disposition serait contraire à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », qui ferait dépendre l’octroi de la
protection prévue dans cette directive du fait que des espèces figurent à l’annexe I de ladite directive et non du point de savoir si des espèces figurent sur une liste établie au niveau national.

16 D’autre part, les requérants au principal font observer que l’arrêté ministériel de 2012 prévoit des mesures de protection horizontales pour toutes les ZPS, sans que soient protégées toutes les espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive « oiseaux » ainsi que les oiseaux migrateurs dont la venue dans chaque ZPS est régulière (ci-après les « espèces protégées »).

17 Les défendeurs au principal font valoir que cet arrêté ministériel sert de « ligne directrice pour la conduite d’activités au sein des ZPS » et que les mesures concernées sont des « mesures conservatoires », adoptées dans l’attente de l’établissement d’un cadre de protection complet et propre à chaque ZPS.

18 La juridiction de renvoi ajoute que, au moment de l’adoption dudit arrêté ministériel, des objectifs de conservation adéquats n’avaient pas encore été fixés et que les mesures de conservation appropriées n’avaient pas été prises pour chaque ZPS considérée individuellement. Ainsi, cette juridiction se demande si le législateur grec a correctement transposé la directive « oiseaux », notamment en raison du maintien en vigueur de mesures « conservatoires » horizontales, lesquelles ne portent
cependant que sur la protection des « espèces de classement » mentionnées au point 10 du présent arrêt.

19 Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la [directive “oiseaux”], lu en combinaison avec l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4, de la [directive “habitats”], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales [...], lesquelles prévoient que les mesures spéciales de préservation, de maintien et de restauration des espèces et habitats de l’avifaune sauvage dans les [ZPS] ne s’appliquent qu’aux “espèces de classement” – c’est-à-dire uniquement aux espèces de l’avifaune
sauvage visées à l’annexe I de la [directive “oiseaux”] ainsi qu’aux oiseaux migrateurs dont la venue dans chaque ZPS est régulière°– lesquelles, en association avec les critères de classement des ZPS figurant dans la législation nationale, servent d’indicateurs déterminants pour classer une zone en ZPS ?

2) La réponse à la première question se trouve-t-elle affectée par le fait que ces mesures spéciales de préservation, de maintien et de restauration des espèces et habitats de l’avifaune sauvage dans les [ZPS] constituent en substance des mesures élémentaires et préventives de sauvegarde des ZPS (“mesures conservatoires”), qui s’appliquent de manière horizontale – c’est-à-dire à toutes les ZPS – et par le fait que, à ce jour, l’ordre juridique grec ne s’est pas doté, pour chaque ZPS considérée
individuellement, de plans de gestion fixant des objectifs et mesures nécessaires pour obtenir ou garantir la conservation adéquate de chaque ZPS et des espèces qui y vivent ?

3) La réponse aux première et deuxième questions se trouve-t-elle affectée par le fait que toutes les espèces d’oiseaux qui sont énumérées à l’annexe I de la [directive “oiseaux”], ou espèces d’oiseaux migrateurs dont la venue est régulière dans chaque ZPS, sont recensées dans le cadre d’une évaluation des incidences environnementales de tout projet spécifique de travaux publics ou privés, en vertu de l’obligation de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement des projets et
activités conformément à la [directive 2011/92] ainsi qu’à une “évaluation appropriée” au titre de l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4, de la [directive “habitats”] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 de la directive « oiseaux », lu en combinaison avec l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats », doit être interprété en ce sens que les mesures de préservation, de maintien et de rétablissement des espèces et des habitats d’oiseaux sauvages dans les ZPS qu’il prévoit visent les seules espèces justifiant le classement de la zone concernée ou également d’autres espèces d’oiseaux à protéger en
vertu de l’article 4 de la directive « habitats » présentes dans ces ZPS.

21 D’emblée, il convient de relever que, conformément à son article 1er, paragraphe 1, première phrase, la directive « oiseaux »« concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité [FUE] est applicable ».

22 L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les États membres doivent adopter des mesures de conservation spéciale concernant l’habitat qui doivent être susceptibles d’assurer, notamment, la survie et la reproduction des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de ladite directive. Cette disposition impose également de classer en ZPS les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces mentionnées à cette annexe I.

23 En vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive « oiseaux », les États membres classent également en ZPS les aires de reproduction, de mue et d’hivernage des espèces migratrices non visées à ladite annexe I dont la venue est régulière, ainsi que les zones de relais dans leur aire de migration (voir, par analogie, arrêt du 6 mars 2003, Commission/Finlande, C‑240/00, EU:C:2003:126, point 16 et jurisprudence citée).

24 Ainsi, l’article 4 de la directive « oiseaux » prévoit un régime spécifiquement ciblé et renforcé tant pour les espèces mentionnées à l’annexe I de cette directive que pour les espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière qui trouve sa justification dans le fait que ce sont, respectivement, les espèces les plus menacées et celles constituant un patrimoine commun de l’Union européenne. Les États membres ont donc l’obligation d’adopter les mesures nécessaires à la
conservation de ces espèces (voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2007, Commission/Irlande, C‑418/04, EU:C:2007:780, point 46 et jurisprudence citée).

25 Ce régime prévoit deux catégories d’obligations complémentaires.

26 D’une part, les États membres ont l’obligation de classer en ZPS les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces protégées, à laquelle il n’est pas possible de se soustraire par l’adoption d’autres mesures de conservation spéciale. Ainsi, lorsque le territoire d’un État membre abrite de telles espèces, ce dernier est tenu de définir, pour celles-ci, notamment des ZPS (voir, par analogie, arrêt du 19 mai 1998, Commission/Pays-Bas, C‑3/96, EU:C:1998:238,
points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée).

27 La Cour a précisé, à cet égard, que, si les États membres pouvaient échapper à cette obligation lorsqu’ils estimeraient que d’autres mesures particulières de conservation suffisent à garantir la survie et la reproduction des espèces protégées, l’objectif de la constitution d’un réseau cohérent de ZPS, tel que visé à l’article 4, paragraphe 3, de la directive « oiseaux », risquerait de ne pas être atteint (voir, par analogie, arrêt du 19 mai 1998, Commission/Pays-Bas, C‑3/96, EU:C:1998:238,
point 58).

28 En particulier, l’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive impose aux États membres de conférer aux ZPS un statut juridique de protection susceptible d’assurer, notamment, la survie et la reproduction des espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de celle–ci, ainsi que la reproduction, la mue et l’hivernage des espèces migratrices non visées à ladite annexe dont la venue est régulière (arrêt du 14 octobre 2010, Commission/Autriche, C‑535/07, EU:C:2010:602, point 56 et jurisprudence
citée).

29 Il s’ensuit que les ZPS sont désignées pour des espèces d’oiseaux spécifiques, mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » ainsi que pour des espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière. Chacune de ces zones de protection est ainsi caractérisée par certaines espèces protégées.

30 D’autre part, les États membres doivent adopter des mesures de conservation spéciale concernant l’habitat.

31 Ces mesures ne peuvent se limiter à obvier aux atteintes et aux perturbations externes causées par l’homme, mais doivent aussi, selon la situation qui se présente, comporter des mesures positives visant à conserver et à améliorer l’état du site concerné [arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 209 et jurisprudence citée].

32 En vertu de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux », à laquelle se sont substituées les obligations découlant de l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats », les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les ZPS, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant « les oiseaux », pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs de cet article 4.

33 Il y a lieu de constater, à l’instar de Mme l’avocate générale au point 36 de ses conclusions, que, s’agissant des exigences de protection, l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » n’opère pas de distinction selon que la ZPS concernée a été désignée pour les espèces d’oiseaux protégées en vertu de cette disposition, ou que de telles espèces y sont « présentes » en tant qu’autres espèces à protéger, sans que cette zone ait été classée en ZPS pour ces dernières.

34 Il convient par ailleurs de relever que cet article 4 a pour objet l’adoption des mesures de conservation nécessaires au maintien d’un état de conservation favorable des espèces protégées qui sont présentes sur les ZPS désignées [voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 210].

35 Cela étant, ainsi qu’il est relevé au point 32 du présent arrêt, en vertu de l’article 7 de la directive « habitats », les obligations découlant de l’article 6, paragraphes 2 à 4, de cette directive se substituent aux obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, première phrase, de la directive « oiseaux » en ce qui concerne les zones classées en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cette dernière directive ou reconnues d’une manière similaire en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de
ladite dernière directive.

36 L’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » prévoit une obligation générale pour les États membres de prendre des mesures appropriées afin d’éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats et les perturbations significatives des espèces « pour lesquelles ces zones ont été désignées » pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de cette directive.

37 En l’occurrence, les requérants au principal font valoir que, en vertu des dispositions nationales en cause au principal ou de l’application des critères que ces dispositions prévoient, ni les mesures de conservation spéciale prévues à l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux », relatives aux espèces visées à l’annexe I de cette directive, ni les mesures équivalentes prévues à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive, relatives aux espèces migratrices dont la venue est
régulière, ni même les mesures prévues à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » ne sont appliquées à toutes les espèces d’oiseaux comprises dans les formulaires standard de données, établis par la décision 97/266/CE de la Commission, du 18 décembre 1996, concernant le formulaire d’information d’un site proposé comme site Natura 2000 (JO 1997, L 107, p. 1), et dont la présence a été évaluée avec une note supérieure à « insignifiant ».

38 L’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » doit être lu dans son contexte, en tenant compte de l’article 4 de la directive « oiseaux », ainsi que des dispositions qui précèdent cette disposition et de celles qui lui ont succédé.

39 À cet égard, il y a lieu de constater que l’article 6 de la directive « habitats » répartit les mesures à adopter en trois catégories, à savoir les mesures de conservation, les mesures de prévention et les mesures de compensation, respectivement prévues aux paragraphes 1, 2 et 4 de cet article [arrêt du 29 juin 2023, Commission/Irlande (Protection des zones spéciales de conservation), C‑444/21, EU:C:2023:524, point 147 et jurisprudence citée].

40 D’une part, il convient de relever que l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », qui n’est pas applicable aux ZPS, mais constitue, ainsi que la Commission le souligne, la disposition équivalente à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux », s’agissant de l’établissement de mesures de conservation, impose ainsi aux États membres l’obligation d’établir des mesures de conservation qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I de
la directive « habitats » et des espèces de l’annexe II de cette dernière directive « présents sur les sites ». Le critère pertinent est donc celui de la présence des espèces sur le site concerné.

41 D’autre part, selon la jurisprudence, les dispositions de l’article 6 de la directive « habitats » doivent être interprétées comme un ensemble cohérent au regard des objectifs de conservation visés par cette directive. En effet, les paragraphes 2 et 3 de cet article visent à assurer un même niveau de protection des habitats naturels et des habitats des espèces, tandis que le paragraphe 4 dudit article ne constitue qu’une disposition dérogatoire à la seconde phrase de ce paragraphe 3 (arrêt du
12 avril 2018, People Over Wind et Sweetman, C‑323/17, EU:C:2018:244, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

42 À cet égard, ainsi que la Commission le souligne, les paragraphes 3 et 4 de l’article 6 de la directive « habitats », qui s’appliquent également aux ZPS conformément à l’article 7 de cette directive, et en vertu desquels les États membres sont tenus de procéder à une évaluation ex ante et de soumettre à autorisation préalable les plans ou projets susceptibles d’affecter les sites concernés de manière significative, précisent que les objectifs de conservation du site constituent un point de
référence obligatoire pour les évaluations appropriées requises.

43 Dès lors, le niveau de protection prévu à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » doit notamment être déterminé au regard des objectifs de conservation du site concerné.

44 De surcroît, il y a lieu de relever que les ZPS sont soumises aux obligations relatives à la gestion des zones de protection formulées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » et à l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » qui, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 54 de ses conclusions, visent à assurer une protection équivalente à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » dans les ZPS.

45 Dans l’arrêt du 21 septembre 2023, Commission/Allemagne (Protection des zones spéciales de conservation) (C‑116/22, EU:C:2023:687, point 105), concernant la directive « habitats », mais dont l’interprétation est transposable à la directive « oiseaux », la Cour a jugé que l’obligation de fixer des objectifs de conservation existe pour les sites désignés en vertu de la directive « habitats », bien que cette dernière ne mentionne pas explicitement cette obligation.

46 Il en découle que les obligations relatives à la gestion des ZPS, prévues à l’article 4 de la directive « oiseaux », lu à la lumière de l’article 6 de la directive « habitats », impliquent que les États membres doivent fixer des objectifs de conservation pour ces zones. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt, le statut juridique d’une ZPS doit inclure de tels objectifs de conservation.

47 Or, comme l’a constaté, en substance, Mme l’avocate générale au point 44 de ses conclusions, lors de la définition des objectifs de conservation d’un site, il convient de tenir compte des espèces protégées, c’est-à-dire tant des espèces mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » que des espèces migratrices qui ne figurent pas à cette annexe et dont la venue est régulière, ces espèces étant protégées par le régime spécifiquement ciblé et renforcé prévu à l’article 4 de cette directive.

48 En outre, l’obligation de fixer des objectifs de conservation pour les sites sélectionnés s’applique aux espèces concernées en fonction de leur présence significative au sein des sites concernés, sans se limiter aux seules espèces sur lesquelles reposait la sélection des sites.

49 Partant, il y a lieu de constater que les objectifs de conservation d’un site doivent être définis en tenant compte des « espèces de classement » ainsi que des autres espèces d’oiseaux à protéger en vertu de l’article 4 de la directive « oiseaux » présentes en quantités significatives dans la ZPS concernée, sans que ce site ait fait l’objet d’une désignation en tant que ZPS pour ces dernières.

50 Une interprétation contraire de l’article 6 de la directive « habitats », lu à la lumière de l’article 4 de la directive « oiseaux », selon laquelle il n’y aurait lieu de prendre en compte que les « espèces de classement » ne serait pas conforme à la finalité de ces directives. En effet, selon une telle interprétation, l’État membre concerné ne serait tenu, en ce qui concerne une ZPS, ni d’établir des objectifs de conservation incluant l’objectif propre à la population et à l’habitat d’une espèce
protégée par cet article 4, autre que celle ayant justifié le classement en ZPS, ni d’adopter et de mettre en œuvre des mesures de conservation répondant spécifiquement aux besoins écologiques de cette espèce, ainsi que le prévoit pourtant l’article 4, paragraphe 1, de la directive « oiseaux ». Cet État membre ne serait pas davantage tenu d’adopter les mesures, prévues à l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats », pour éviter la détérioration des habitats naturels ou les
perturbations significatives touchant ladite espèce, ou de faire une évaluation appropriée des incidences des projets sur la population et l’habitat de la même espèce.

51 Force est, ainsi, de constater qu’une telle interprétation contraire ne permettrait pas de faire bénéficier les espèces protégées du « régime spécifiquement ciblé et renforcé » de protection requis pour l’ensemble de ces espèces à l’article 4 de la directive « oiseaux ». Or, ainsi qu’il ressort du point 24 du présent arrêt, ce régime doit impérativement être adopté et mis en œuvre dans la mesure où il vise les « espèces les plus menacées et des espèces constituant un patrimoine commun » de
l’Union.

52 Il convient d’ajouter que, s’il incombe ainsi aux États membres de prendre en compte toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » présentes dans une ZPS ainsi que l’habitat de celles-ci, dans la mesure où cette disposition impose l’adoption de mesures en fonction des exigences de la protection des espèces, qui dépendent de la situation dans la ZPS concernée, il appartient aux États membres de définir des priorités en ce qui concerne la
protection de ces espèces.

53 À cet égard, les autorités nationales sont tenues, en vertu de ladite disposition, d’établir la présence d’espèces d’oiseaux à protéger dans une ZPS, la contribution des populations concernées aux objectifs de la directive « oiseaux » ainsi que les risques et menaces auxquels sont exposées ces populations.

54 Dans ce cadre, ainsi que l’a relevé, en substance, Mme l’avocate générale au point 52 de ses conclusions, les espèces et les habitats pour lesquels un site a été désigné comme ZPS bénéficient naturellement d’un statut prioritaire en ce qui concerne les mesures de conservation spéciale qu’il convient d’adopter et de mettre en œuvre sur ce site. Cela étant, la présence d’autres espèces, telles que des espèces d’oiseaux rares, vulnérables voire des espèces d’oiseaux évoluant naturellement de manière
isolée sur le site concerné ne saurait être négligée et l’adoption de telles mesures de conservation à leur égard peut s’avérer utile ou nécessaire afin d’atteindre les objectifs de conservation pertinents.

55 Les requérants au principal font également valoir que, en vertu des dispositions nationales en cause au principal, les plans de gestion des ZPS ainsi que les mesures et actions prévues par ces plans afin de protéger les espèces d’oiseaux et leurs habitats, ne visent pas toutes les espèces répertoriées dans les formulaires d’information d’un site proposé comme site Natura 2000 concernés. Cette situation entraînerait un défaut de protection des espèces protégées dans la mesure où les dispositions
nationales en cause au principal seraient de nature à limiter l’étendue de l’obligation, prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », d’inclure un résumé des données ornithologiques spécifiques dans l’évaluation environnementale spéciale d’un projet en vertu de la directive 2011/92. Aucune donnée scientifique précise n’étant, de ce fait, incluse pour les espèces autres que les « espèces de classement », cette évaluation environnementale ne serait pas effectuée conformément à
cette disposition.

56 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que les obligations qui incombent aux États membres en vertu de l’article 6 de la directive « habitats » doivent être mises en œuvre d’une manière effective et par des mesures complètes, claires et précises [arrêt du 29 juin 2023, Commission/Irlande (Protection des zones spéciales de conservation), C‑444/21, EU:C:2023:524, point 138 et jurisprudence citée].

57 Il convient de préciser que le statut juridique de protection dont doivent bénéficier les ZPS n’implique pas que les objectifs de conservation doivent être spécifiés pour chaque espèce considérée séparément. Par ailleurs, il ne saurait être considéré que ces objectifs doivent figurer dans le même acte juridique que celui qui porte sur les espèces et les habitats protégés d’une ZPS déterminée (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Commission/Autriche, C‑535/07, EU:C:2010:602, point 65 et
jurisprudence citée).

58 Il y a lieu, enfin, de préciser que la délimitation d’une ZPS, tout comme l’identification des espèces qui ont justifié le classement de la zone concernée en ZPS, doit revêtir une forme contraignante incontestable. En effet, si tel n’était pas le cas, l’objectif de protection résultant de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » ainsi que de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats » risquerait de ne pas être pleinement atteint (voir, en ce sens, arrêt du
14 octobre 2010, Commission/Autriche, C‑535/07, EU:C:2010:602, point 64).

59 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » ainsi que l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats » doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent aux États membres de définir, pour chaque ZPS, considérée individuellement, des objectifs et des mesures de conservation concernant toutes les espèces protégées ainsi que leur habitat. Ce faisant, il appartient
aux États membres de définir des priorités en fonction de l’importance de ces mesures pour la réalisation des objectifs de conservation de l’ensemble de ces espèces.

Sur la deuxième question

60 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu d’examiner la deuxième question. En effet, ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, les mesures de préservation, de maintien et de rétablissement adoptées sur le fondement de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » et de l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats » doivent, en principe, être fondées sur les exigences écologiques spécifiques aux différentes ZPS et
requièrent de déterminer, pour chaque ZPS, considérée individuellement et selon une hiérarchisation définie par l’État membre concerné, des objectifs et des mesures de conservation concernant toutes les espèces d’oiseaux mentionnées à l’annexe I de la directive « oiseaux » et les espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, ainsi que leur habitat.

61 Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les mesures nationales en cause au principal ne sont individualisées qu’en ce qu’elles sont censées bénéficier aux espèces d’oiseaux justifiant la désignation de la ZPS concernée.

Sur la troisième question

62 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » ainsi que l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats » doivent être interprétés en ce sens que l’obligation de procéder à une évaluation environnementale d’un projet en vertu de la directive 2011/92 a une incidence sur la portée des obligations découlant de ces dispositions.

63 La juridiction de renvoi indique, dans ce contexte, que, dans le cadre d’une telle évaluation, une analyse de l’incidence du projet concerné sur toutes les espèces d’oiseaux qui sont énumérées à l’annexe I de la directive « oiseaux », et sur les espèces migratrices dont la venue est régulière dans chaque ZPS, est effectuée.

64 À cet égard, il suffit de relever que la réalisation d’une telle analyse peut être complémentaire, mais est, en tout état de cause, sans incidence s’agissant de l’interprétation des obligations de conservation des ZPS qui découlent de la directive « oiseaux », lue en combinaison avec la directive « habitats ».

65 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » ainsi que l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive « habitats » doivent être interprétés en ce sens que l’obligation de procéder à des évaluations environnementales de projets en vertu de la directive 2011/92 est sans incidence sur la portée des obligations découlant de ces dispositions.

Sur les dépens

66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  1) L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, ainsi que l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils imposent aux États membres de définir, pour chaque zone de protection spéciale, considérée individuellement, des objectifs et des mesures de conservation concernant toutes les espèces d’oiseaux visées à l’annexe I de la directive 2009/147 et les espèces migratrices non visées à cette annexe dont la venue est régulière, ainsi que leur habitat. Ce faisant, il appartient aux États membres de définir des priorités en fonction de l’importance de ces mesures pour la réalisation des objectifs de
conservation de l’ensemble de ces espèces.

  2) L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/147 ainsi que l’article 6, paragraphes 2 à 4, de la directive 92/43

doivent être interprétés en ce sens que :

l’obligation de procéder à des évaluations environnementales de projets en vertu de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, est sans incidence sur la portée des obligations découlant de ces dispositions.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le grec.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-66/23
Date de la décision : 12/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 92/43/CEE – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Classement d’un territoire en zone de protection spéciale – Espèces dites de “classement” – Mesures horizontales temporaires appliquées uniformément à toutes les zones de protection spéciale – Défaut d’adoption de plans de gestion individualisés.


Parties
Demandeurs : Elliniki Ornithologiki Etaireia e.a.
Défendeurs : Ypourgos Esoterikon e.a.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:733

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