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12/09/2024 | CJUE | N°C-73/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Chaudfontaine Loisirs SA contre État belge, représenté par le Ministre des Finances., 12/09/2024, C-73/23


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 135, paragraphe 1, sous i) – Exonérations – Paris, loteries et autres jeux de hasard ou d’argent – Conditions et limites – Principe de neutralité fiscale – Maintien des effets d’une réglementation nationale – Droit au remboursement – Enrichissement sans cause »

Dans l’affaire C‑73/23,

ayant pour objet une demande de

décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par déc...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 135, paragraphe 1, sous i) – Exonérations – Paris, loteries et autres jeux de hasard ou d’argent – Conditions et limites – Principe de neutralité fiscale – Maintien des effets d’une réglementation nationale – Droit au remboursement – Enrichissement sans cause »

Dans l’affaire C‑73/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de première instance de Liège (Belgique), par décision du 30 janvier 2023, parvenue à la Cour le 10 février 2023, dans la procédure

Chaudfontaine Loisirs SA

contre

État belge (SPF Finances),

en présence de :

État belge (SPF Justice),

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président de la Cour, MM. T. von Danwitz, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Chaudfontaine Loisirs SA, par Mes Y. Spiegl et E. van Nuffel d’Heynsbroeck, avocats,

– pour le gouvernement belge, par MM. S. Baeyens, P. Cottin et Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Halajová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement portugais, par Mmes P. Barros da Costa et A. Silva Coelho, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. M. Herold, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 25 avril 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, du principe de neutralité fiscale et de l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Chaudfontaine Loisirs SA à l’État belge (SPF Finances) (service public fédéral Finances, Belgique) (ci-après l’« administration fiscale belge ») au sujet d’une décision portant sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due pour la période allant du 1er juillet 2016 au 21 mai 2018 ainsi que sur des amendes et des intérêts de retard en rapport avec cette TVA due.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 prévoit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

i) les paris, loteries et autres jeux de hasard ou d’argent, sous réserve des conditions et limites déterminées par chaque État membre ».

Le droit belge

4 L’article 1er, paragraphe 14, du code de la taxe sur la valeur ajoutée (Moniteur belge du 17 juillet 1969, p. 7046), tel que modifié par la loi-programme du 1er juillet 2016, était libellé comme suit :

« Pour l’application du présent Code, on entend par :

1° “jeux de hasard ou d’argent” :

a) les jeux, sous quelque dénomination que ce soit, qui procurent la chance de gagner des prix ou des primes en argent ou en nature, et à l’occasion desquels les joueurs ne peuvent intervenir ni au début, ni au cours, ni à la fin du jeu, et les gagnants sont uniquement désignés par le sort ou par toute autre circonstance due au hasard ;

b) les jeux, sous quelque dénomination que ce soit, qui procurent aux participants à un concours de quelque nature qu’il soit, la chance de gagner des prix ou des primes en argent ou en nature, à moins que le concours ne débouche sur la conclusion d’un contrat entre les gagnants et l’organisateur de ce concours ;

2° “loteries” : chaque circonstance permettant par l’achat de billets de loterie, de concourir pour des prix ou des primes en argent ou en nature, où les gagnants sont désignés par le sort ou par toute autre circonstance due au hasard sur lesquels ils ne peuvent exercer aucune influence. »

5 L’article 44, paragraphe 3, du code de la taxe sur la valeur ajoutée, tel que modifié par la loi-programme du 1er juillet 2016, disposait :

« Sont encore exemptés de la taxe :

[...]

13°

a) les loteries ;

b) les autres jeux de hasard ou d’argent, à l’exception de ceux fournis par voie électronique tels que visés à l’article 18, § 1er, alinéa 2, 16° ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6 Chaudfontaine Loisirs propose des jeux de hasard et d’argent en ligne.

7 Cette activité était exonérée de la TVA en Belgique jusqu’au 1er juillet 2016, date à laquelle ont été adoptées des dispositions abrogeant l’exonération de la TVA sur les jeux de hasard ou d’argent en ligne autres que les loteries.

8 Ces dispositions ont été annulées par la Cour constitutionnelle (Belgique), par un arrêt du 22 mars 2018, en raison de la violation des règles répartitrices de compétences entre l’État fédéral belge et les régions belges prévues par le droit belge. Dans cet arrêt, cette juridiction n’a pas examiné les autres moyens présentés devant elle, en particulier ceux tirés d’une violation de la directive 2006/112, du principe de neutralité fiscale ainsi que des articles 107 et 108 TFUE, en considérant que
ces moyens ne pourraient pas mener à une annulation plus étendue desdites dispositions. Dans ledit arrêt, ladite juridiction a également décidé de maintenir les effets des mêmes dispositions en évoquant les difficultés budgétaires et administratives qu’occasionnerait le remboursement des taxes déjà payées.

9 Dans un arrêt du 8 novembre 2018, la Cour constitutionnelle a précisé que les effets des dispositions abrogeant l’exonération de la TVA sur les jeux de hasard ou d’argent en ligne autres que les loteries, qu’elle a annulées par son arrêt du 22 mars 2018, étaient maintenus pour les taxes qui avaient été payées pour la période allant du 1er juillet 2016 au 21 mai 2018.

10 À la suite de ces arrêts, Chaudfontaine Loisirs a inscrit, dans la partie de sa déclaration TVA du mois de novembre 2019, relative aux régularisations de TVA en sa faveur, un montant de 640478,82 euros, lequel correspond au montant de la TVA acquittée pour la période allant du 1er juillet 2016 au 21 mai 2018, et a demandé le remboursement d’un solde de TVA de 630240,56 euros.

11 Elle a réitéré cette demande dans un courrier du 16 décembre 2019, dans lequel elle a fait valoir que la Cour avait jugé, dans son arrêt du 27 juin 2019, Belgisch Syndicaat van Chiropraxie e.a. (C‑597/17, EU:C:2019:544), qu’une juridiction nationale ne peut pas faire usage d’une disposition nationale l’habilitant à maintenir certains effets d’un acte annulé.

12 Par décision du 1er décembre 2020, l’administration fiscale belge a rejeté cette demande et a précisé que cet arrêt concernait une situation dans laquelle les dispositions nationales annulées avaient été jugées contraires à la directive 2006/112, alors que, dans son arrêt du 22 mars 2018, la Cour constitutionnelle avait annulé les dispositions nationales en cause au principal en raison d’une violation des règles répartitrices des compétences prévues par le droit belge.

13 Le 7 décembre 2020, un relevé de régularisation a été établi par l’administration fiscale belge, dans lequel celle-ci a indiqué que Chaudfontaine Loisirs était redevable d’un montant de 640478,82 euros de TVA, d’un montant de 64047,88 euros d’amendes et d’intérêts de retard au taux de 0,8 % par mois sur le montant de la TVA due à compter du 21 décembre 2019.

14 Le 13 avril 2021, Chaudfontaine Loisirs a saisi le tribunal de première instance de Liège (Belgique), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contre cette décision et ce relevé de régularisation. Elle invoque, à titre subsidiaire, la responsabilité de l’État belge en raison d’une faute de la Cour constitutionnelle, en ce que cette juridiction a décidé de maintenir les effets des dispositions qu’elle a annulées et, à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité de l’État belge en raison
d’une faute du législateur.

15 Dans ce contexte, le tribunal de première instance de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive [2006/112] et le principe de neutralité fiscale permettent-ils à un État membre d’exclure du bénéfice de l’exonération prévue par cette disposition les seuls jeux de hasard ou d’argent fournis par voie électronique alors que restent exemptés de [la] TVA les jeux de hasard ou d’argent qui ne sont pas fournis par voie électronique ?

2) L’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 et le principe de neutralité fiscale permettent-ils à un État membre d’exclure du bénéfice de l’exonération prévue par cette disposition les seuls jeux de hasard ou d’argent fournis par voie électronique à l’exclusion des loteries qui restent exemptées de [la] TVA qu’elles soient ou non fournies par voie électronique ?

3) L’article 267, troisième alinéa, [TFUE] permet-il qu’une juridiction supérieure décide de maintenir les effets d’une disposition de droit interne qu’elle annule en raison d’une violation de droit interne sans se prononcer sur la violation du droit de l’Union qui était également soulevée devant elle, et, donc, sans poser la question préjudicielle de la compatibilité de cette disposition de droit interne avec le droit de l’Union européenne ni interroger la Cour sur les conditions dans lesquelles
elle pourrait décider le maintien des effets de cette disposition en dépit de son incompatibilité avec le droit de l’Union ?

4) Si la réponse à l’une des questions précédentes est négative, la Cour constitutionnelle pouvait-elle maintenir les effets passés des dispositions qu’elle a annulées en raison de leur incompatibilité avec des règles nationales de répartition des compétences, alors que ces dispositions étaient également incompatibles avec la directive 2006/112, et ce pour éviter des difficultés budgétaires et administratives qu’occasionnerait le remboursement des taxes déjà payées ?

5) Si la réponse à la question précédente est négative, l’assujetti peut‑il se voir restituer la TVA qu’il a acquittée sur la marge brute réelle des jeux et paris qu’il opère, et ce sur la base de dispositions incompatibles avec la directive 2006/112 et le principe de neutralité fiscale ? »

Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

16 À la suite de la lecture des conclusions de Mme l’avocate générale lors de l’audience du 25 avril 2024, Chaudfontaine Loisirs a, par lettre parvenue au greffe de la Cour le 5 juin 2024, demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure.

17 À l’appui de cette demande, Chaudfontaine Loisirs fait valoir que les conclusions abordent une question de droit relative à la reconnaissance d’un effet direct à l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 qui n’a pas été soumise à la Cour par la juridiction de renvoi et sur laquelle elle n’a donc pas pu faire valoir ses observations. Elle exprime également son désaccord avec les conclusions de Mme l’avocate générale sur ce point.

18 À cet égard, il convient de relever que, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, l’avocat général entendu, ordonner à tout moment la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas encore été débattu entre les parties.

19 Il importe également de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

20 En outre, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles‑ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie avec les conclusions de l’avocat général,
quelles que soient les questions qu’il examine dans celles-ci, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la phase orale de la procédure (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

21 En l’occurrence, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer.

22 En particulier, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 20 du présent arrêt, il convient de relever que, contrairement à ce qu’avance Chaudfontaine Loisirs à l’appui de sa demande de réouverture de la phase orale de la procédure, dans la mesure où la cinquième question préjudicielle porte sur les effets qui doivent être reconnus à l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 devant une juridiction nationale, la juridiction de renvoi a nécessairement interrogé la Cour sur
la reconnaissance d’un effet direct à cette disposition. Il s’ensuit que Chaudfontaine Loisirs a eu l’occasion de faire valoir son point de vue à cet égard.

23 Partant, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

24 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec le principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui opère une différence de traitement entre, d’une part, l’achat de billets de loterie et la participation aux autres jeux de hasard ou d’argent proposés hors ligne et,
d’autre part, la participation aux jeux de hasard ou d’argent autres que les loteries proposés en ligne, en excluant cette dernière de l’exonération de la TVA applicable aux premiers.

25 Conformément à l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, les paris, les loteries et les autres jeux de hasard ou d’argent sont exonérés de la TVA, sous réserve des conditions et des limites déterminées par chaque État membre.

26 Il résulte des termes mêmes de cette disposition que celle-ci laisse une large marge d’appréciation aux États membres quant à l’exonération ou à la taxation des opérations concernées, dès lors qu’elle permet à ces États membres de fixer les conditions et les limites auxquelles le bénéfice de cette exonération peut être subordonné (voir, par analogie, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

27 En outre, la Cour a précisé que l’exercice de la faculté dont disposent les États membres pour fixer des conditions et des limites à l’exonération de la TVA prévue par ladite disposition permet à ceux-ci de n’exonérer de cette taxe que certains jeux de hasard ou d’argent (arrêt du 24 octobre 2013, Metropol Spielstätten, C‑440/12, EU:C:2013:687, point 29 et jurisprudence citée).

28 Toutefois, lorsque, conformément à la même disposition, les États membres font usage de la faculté de déterminer les conditions et les limites de l’exonération et, partant, de soumettre ou non des opérations à la TVA, ils doivent respecter le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

29 Selon une jurisprudence bien établie, le principe de neutralité fiscale s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

30 Afin de déterminer si deux prestations de services sont semblables, il y a lieu de tenir principalement compte du point de vue du consommateur moyen, tout en évitant des distinctions artificielles fondées sur des différences insignifiantes (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

31 Deux prestations de services sont donc semblables lorsqu’elles présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins auprès du consommateur, en fonction d’un critère de comparabilité dans l’utilisation, et lorsque les différences existantes n’influent pas de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’une ou à l’autre desdites prestations (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 44 ainsi que jurisprudence
citée).

32 En d’autres termes, il s’agit d’examiner si les prestations en cause se trouvent, du point de vue du consommateur moyen, dans un rapport de substitution. En effet, dans cette hypothèse, une différence de traitement du point de vue de la TVA est susceptible d’affecter le choix du consommateur, ce qui indiquerait, par conséquent, une violation du principe de neutralité fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2022, Finanzamt A, C‑515/20, EU:C:2022:73, point 45 et jurisprudence citée).

33 À cet égard, il convient de tenir compte non seulement des différences qui concernent les propriétés des prestations en cause ainsi que l’utilisation de ces prestations et qui sont, dès lors, inhérentes auxdites prestations, mais également des différences tenant au contexte dans lequel les mêmes prestations sont effectuées, pour autant que ces différences contextuelles soient susceptibles de créer une distinction aux yeux du consommateur moyen, en termes de réponse à ses besoins propres, et
qu’elles soient, dès lors, de nature à influer sur le choix de ce consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Phantasialand, C‑406/20, EU:C:2021:720, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

34 Ainsi, la Cour a jugé que des facteurs d’ordre culturel, tels que des coutumes ou des traditions, peuvent être pertinents dans le cadre d’un tel examen (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Phantasialand, C‑406/20, EU:C:2021:720, point 44).

35 En outre, la Cour a précisé, s’agissant des jeux de hasard, que des différences relatives aux planchers et aux plafonds des mises et des gains, aux chances de gagner, aux formats disponibles et à la possibilité d’interactions entre le joueur et le jeu sont susceptibles d’avoir une influence considérable sur la décision du consommateur moyen, l’attrait des jeux de hasard ou d’argent résidant principalement dans la possibilité de gagner (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group,
C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 57).

36 En revanche, il y a lieu de rappeler que l’identité des prestataires, la forme juridique sous laquelle ceux-ci exercent leurs activités, la catégorie de licence dont relèvent les jeux concernés et le régime juridique applicable en matière de contrôle et de régulation ne sont, en principe, pas pertinents pour apprécier le caractère comparable de ces catégories de jeux (voir, par analogie, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, points 46 et 51).

37 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la réglementation en cause institue une double différence de traitement. D’une part, cette règlementation distingue les loteries des autres jeux de hasard ou d’argent, en exonérant de TVA tout achat de billets de loterie, tant en ligne que hors ligne. D’autre part, ladite réglementation institue une différence de traitement entre les jeux de hasard et d’argent autres que les loteries en ligne et hors ligne, en excluant les jeux en ligne de
l’exonération applicable aux jeux hors ligne.

38 S’il appartient à la seule juridiction de renvoi d’apprécier, au regard des considérations figurant aux points 29 à 37 du présent arrêt, le caractère semblable de ces prestations de services, il incombe à la Cour de lui fournir des indications utiles à cet effet pour permettre à celle-ci de trancher le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2024, GEMA, C‑135/23, EU:C:2024:526, point 32).

39 En particulier, il y a lieu de relever que des facteurs d’ordre culturel et des différences relatives aux planchers et aux plafonds des mises et des gains ainsi qu’aux chances de gagner peuvent créer une distinction, aux yeux du consommateur moyen, tant entre les loteries et les autres jeux de hasard ou d’argent qu’entre les jeux de hasard ou d’argent autres que les loteries proposés en ligne et hors ligne.

40 S’agissant, plus précisément, en premier lieu, de l’examen du caractère semblable des loteries et des autres jeux de hasard ou d’argent, il ressort de la décision de renvoi que, conformément à la réglementation nationale en cause au principal, d’une part, à la différence d’autres jeux de hasard ou d’argent, dans lesquels les aptitudes du joueur, telles que l’habileté ou la connaissance, peuvent avoir une influence sur les probabilités de gain, dans le cadre des loteries au sens de cette
réglementation, les gagnants sont déterminés par la seule œuvre du hasard, sans que leurs aptitudes puissent exercer une quelconque influence à cet égard. D’autre part, dans ce cadre, le gagnant étant désigné à une date précise, le délai entre l’achat du billet de loterie et le résultat peut être significatif.

41 Les loteries telles que définies par la réglementation nationale en cause au principal se caractérisent ainsi par une combinaison d’un délai d’attente pour la détermination des gagnants et d’une absence totale d’influence des aptitudes des joueurs sur l’issue du jeu.

42 Or, de telles différences objectives par rapport aux autres jeux de hasard ou d’argent paraissent susceptibles d’influer de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’une ou à l’autre catégorie de jeux, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

43 S’agissant, en second lieu, de l’examen du caractère semblable de la participation aux jeux de hasard ou d’argent autres que les loteries, proposés en ligne et hors ligne, il y a lieu, en particulier, de tenir compte des facteurs d’ordre contextuel entourant ces jeux.

44 En effet, des différences relatives à l’accessibilité géographique et temporelle des jeux, aux possibilités d’anonymat ainsi qu’au caractère physique ou virtuel des interactions entre les joueurs ou entre ces derniers et les organisateurs des jeux paraissent susceptibles d’influer de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’une ou à l’autre catégorie de jeux, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

45 Eu égard aux considérations exposées aux points 29 à 44 du présent arrêt, il semble, de prime abord, que les prestations visées au point 37 du présent arrêt ne sont pas semblables, ce qui impliquerait que des différences de traitement telles que celles en cause au principal sont compatibles avec le principe de neutralité fiscale. Il incombe néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier concrètement, au regard de tout élément pertinent, si cette réglementation viole ce principe.

46 En conséquence, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec le principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui opère une différence de traitement entre, d’une part, l’achat de billets de loterie et la participation aux autres jeux de hasard ou d’argent proposés hors ligne et, d’autre part, la participation aux jeux de
hasard ou d’argent autres que les loteries proposés en ligne, en excluant cette dernière de l’exonération de la TVA applicable aux premiers, pour autant que les différences objectives entre ces catégories de jeux de hasard ou d’argent soient susceptibles d’influer de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’une ou à l’autre de ces catégories de jeux.

Sur les troisième et quatrième questions

47 Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 267, troisième alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel peut faire usage d’une disposition nationale l’habilitant à maintenir les effets de dispositions nationales qu’elle a jugées incompatibles avec les normes supérieures de son droit national, sans
examiner un grief selon lequel ces dispositions sont également incompatibles avec le droit de l’Union et sans saisir la Cour de ces questions d’interprétation de ce droit.

48 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises [arrêt du 16 mai 2024, Toplofikatsia Sofia (Notion de domicile du défendeur), C‑222/23, EU:C:2024:405,
point 63 et jurisprudence citée].

49 À ces fins, la Cour peut extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les normes et les principes du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal [arrêt du 21 mars 2024, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy (Possibilité de correction en cas de taux erroné), C‑606/22, EU:C:2024:255, point 20 et jurisprudence citée].

50 En l’occurrence, si les troisième et quatrième questions portent sur les obligations que le droit de l’Union impose à une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel, il ressort de la décision de renvoi que cette question est posée par une juridiction nationale de première instance, laquelle s’interroge sur les conséquences d’une éventuelle incompatibilité avec l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec
le principe de neutralité fiscale, d’une disposition nationale qui a été annulée par la Cour constitutionnelle de son État membre en raison d’une violation de normes supérieures de son droit national et dont les effets ont été maintenus par cette dernière juridiction.

51 Dans ce contexte, il apparaît ainsi que la juridiction de renvoi est appelée, dans l’affaire au principal, non pas à se prononcer directement sur le comportement de la Cour constitutionnelle de son État membre, mais, le cas échéant, à tirer les conséquences de l’incompatibilité de cette disposition nationale avec le droit de l’Union dans un litige opposant un assujetti à une administration fiscale au sujet du montant de la TVA due par cet assujetti.

52 Dans ces conditions, il y a lieu de reformuler les troisième et quatrième questions préjudicielles en ce sens que, par ces questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de coopération loyale tel que consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE et le principe de primauté du droit de l’Union imposent au juge national de laisser inappliquées des dispositions nationales jugées incompatibles avec l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison
avec le principe de neutralité fiscale, sans que l’existence d’un arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale décidant le maintien des effets de ces dispositions nationales ait une incidence à cet égard.

53 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, en vertu du principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union et qu’une telle obligation incombe, dans le cadre de ses compétences, à chaque organe de l’État membre concerné (arrêt du 5 octobre 2023, Osteopathie Van Hauwermeiren, C‑355/22, EU:C:2023:737, point 27 et jurisprudence citée).

54 Dès lors, lorsqu’elles constatent qu’une réglementation nationale est incompatible avec le droit de l’Union, les autorités de l’État membre concerné doivent, tout en conservant le choix des mesures à prendre, veiller à ce que, dans les meilleurs délais, le droit national soit mis en conformité avec le droit de l’Union et qu’il soit donné plein effet aux droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (arrêt du 5 octobre 2023, Osteopathie Van Hauwermeiren, C‑355/22, EU:C:2023:737, point 28
et jurisprudence citée).

55 Il importe également de rappeler que le principe de primauté du droit de l’Union impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou
pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 53 et jurisprudence citée].

56 Or, l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112 est doté d’un effet direct (voir, par analogie, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

57 Certes, ainsi qu’il a été relevé au point 26 du présent arrêt, cette disposition laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent une réglementation prévoyant les conditions et fixant les limites de l’exonération de la TVA prévue à ladite disposition.

58 Cela étant, la circonstance que les États membres disposent, en vertu d’une disposition d’une directive, d’une marge d’appréciation n’exclut pas qu’un contrôle juridictionnel puisse être effectué afin de vérifier si les autorités nationales n’ont pas outrepassé cette marge d’appréciation [voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 2014, Traum, C‑492/13, EU:C:2014:2267, point 47 ; du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 30, et du
27 avril 2023, M.D. (Interdiction d’entrée en Hongrie), C‑528/21, EU:C:2023:341, point 98].

59 Or, les limites de ladite marge d’appréciation résultent, notamment, du principe de neutralité fiscale. Ainsi, la Cour a déjà jugé que, lorsque les conditions ou les limites auxquelles un État membre subordonne le bénéfice de l’exonération de la TVA pour les jeux de hasard ou d’argent sont contraires au principe de neutralité fiscale, cet État membre ne saurait se fonder sur de telles conditions ou limites pour refuser à un exploitant de tels jeux l’exonération à laquelle celui-ci peut
légitimement prétendre au titre de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 68).

60 Il importe encore de rappeler que seule la Cour peut, à titre exceptionnel et pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, accorder une suspension provisoire de l’effet d’éviction exercé par une règle du droit de l’Union à l’égard du droit national contraire à celle-ci. Une telle limitation dans le temps des effets de l’interprétation de ce droit donnée par la Cour ne peut être accordée que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée (arrêt du 5 octobre 2023,
Osteopathie Van Hauwermeiren, C‑355/22, EU:C:2023:737, point 30 et jurisprudence citée).

61 Il serait porté atteinte à la primauté et à l’application uniforme du droit de l’Union si des juridictions nationales avaient le pouvoir de donner aux dispositions nationales la primauté par rapport au droit de l’Union auquel ces dispositions contreviennent, serait-ce même à titre provisoire (arrêt du 5 octobre 2023, Osteopathie Van Hauwermeiren, C‑355/22, EU:C:2023:737, point 31 et jurisprudence citée).

62 Le principe de primauté impose ainsi au juge national de laisser inappliquées les dispositions nationales jugées contraires au droit de l’Union d’effet direct, même lorsque la juridiction constitutionnelle nationale a préalablement décidé d’ajourner la perte de force obligatoire de ces dispositions, jugées inconstitutionnelles (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak, C‑314/08, EU:C:2009:719, point 85).

63 La Cour a également précisé que le juge national ayant exercé la faculté que lui confère l’article 267, deuxième alinéa, TFUE est lié, pour la solution du litige au principal, par l’interprétation des dispositions en cause donnée par la Cour et doit, le cas échéant, écarter les appréciations de la juridiction supérieure s’il estime, eu égard à cette interprétation, que celles-ci ne sont pas conformes au droit de l’Union (arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C‑173/09, EU:C:2010:581, point 30).

64 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que le principe de coopération loyale tel que consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE et le principe de primauté du droit de l’Union imposent au juge national de laisser inappliquées des dispositions nationales jugées incompatibles avec l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec le principe de neutralité fiscale, sans que l’existence d’un arrêt de
la juridiction constitutionnelle nationale décidant le maintien des effets de ces dispositions nationales ait une incidence à cet égard.

Sur la cinquième question

65 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un assujetti peut se voir restituer la TVA qu’il a acquittée, en violation de la directive 2006/112 et du principe de neutralité fiscale, sur la marge brute réelle des jeux et des paris qu’il propose.

66 En l’occurrence, si la juridiction de renvoi se réfère, dans sa cinquième question, au mode de calcul relatif au remboursement de la TVA acquittée en violation du droit de l’Union, il y a lieu de relever qu’elle ne fournit aucune explication à cet égard dans sa décision de renvoi.

67 En revanche, il ressort de cette décision que, par sa cinquième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans l’hypothèse où elle constaterait que l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec le principe de neutralité fiscale, s’oppose à la réglementation nationale en cause au principal, la requérante au principal aurait le droit d’obtenir le remboursement du montant de la TVA acquittée sur le fondement de cette réglementation.

68 Cette question doit donc être comprise comme portant sur l’interprétation des règles du droit de l’Union relatives à la répétition de l’indu (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a., C‑398/09, EU:C:2011:540).

69 Dans ces conditions, et compte tenu de la jurisprudence rappelée aux points 48 et 49 du présent arrêt, il convient de reformuler la cinquième question préjudicielle en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les règles du droit de l’Union relatives à la répétition de l’indu doivent être interprétées en ce sens qu’elles confèrent à l’assujetti un droit à obtenir le remboursement du montant de la TVA perçue dans un État membre en violation de l’article 135,
paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112.

70 Il ressort d’une jurisprudence constante que le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union prohibant de telles taxes, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour. Les États membres sont donc tenus, en principe, de rembourser les impositions perçues en violation du droit de l’Union [arrêt du 28 septembre 2023,
Administrația Județeană a Finanțelor Publice Brașov (Transfert du droit au remboursement), C‑508/22, EU:C:2023:715, point 34 et jurisprudence citée].

71 Il appert ainsi que le droit à répétition de l’indu tend à remédier aux conséquences de l’incompatibilité de la taxe avec le droit de l’Union en neutralisant la charge économique qu’elle a fait indûment peser sur l’opérateur qui l’a, en définitive, effectivement supportée (arrêt du 16 mai 2013, Alakor Gabonatermelő és Forgalmazó, C‑191/12, EU:C:2013:315, point 24 et jurisprudence citée).

72 Toutefois, par exception, une telle restitution peut être refusée lorsqu’elle entraîne un enrichissement sans cause des ayants droit. La protection des droits garantis en la matière par l’ordre juridique de l’Union n’impose donc pas le remboursement des impôts, des droits et des taxes perçus en violation du droit de l’Union lorsqu’il est établi que la personne astreinte au paiement de ces droits les a effectivement répercutés sur d’autres sujets [voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2013, Alakor
Gabonatermelő és Forgalmazó, C‑191/12, EU:C:2013:315, point 25, ainsi que du 21 mars 2024, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy (Possibilité de correction en cas de taux erroné), C‑606/22, EU:C:2024:255, points 34 et 35].

73 Cette exception doit néanmoins être interprétée de manière restrictive, en tenant compte notamment du fait que la répercussion d’une taxe sur le consommateur ne neutralise pas nécessairement les effets économiques de l’imposition sur l’assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a., C‑147/01, EU:C:2003:533, point 95).

74 Ainsi, même dans l’hypothèse où il est établi que la charge de la taxe indue a été répercutée sur des tiers, le remboursement de celle-ci à l’opérateur n’entraîne pas nécessairement l’enrichissement sans cause de ce dernier, l’intégration du montant de ladite taxe dans les prix pratiqués pouvant lui occasionner un préjudice lié à la diminution du volume de ses ventes [voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a., C‑398/09, EU:C:2011:540, point 21, ainsi que du 21 mars 2024,
Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy (Possibilité de correction en cas de taux erroné), C‑606/22, EU:C:2024:255, point 28].

75 Il importe également de rappeler que l’existence et la mesure de l’enrichissement sans cause que le remboursement d’une imposition indûment perçue au regard du droit de l’Union engendrerait pour un assujetti ne pourront être établies qu’au terme d’une analyse économique qui tienne compte de toutes les circonstances pertinentes [voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2008, Marks & Spencer, C‑309/06, EU:C:2008:211, point 43, ainsi que du 21 mars 2024, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w
Bydgoszczy (Possibilité de correction en cas de taux erroné), C‑606/22, EU:C:2024:255, point 38].

76 Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre à la cinquième question que les règles du droit de l’Union relatives à la répétition de l’indu doivent être interprétées en ce sens qu’elles confèrent à l’assujetti un droit à obtenir le remboursement du montant de la TVA perçue dans un État membre en violation de l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, à condition que ce remboursement n’entraîne pas un enrichissement sans cause de cet assujetti.

Sur les dépens

77 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  1) L’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lu en combinaison avec le principe de neutralité fiscale,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui opère une différence de traitement entre, d’une part, l’achat de billets de loterie et la participation aux autres jeux de hasard ou d’argent proposés hors ligne et, d’autre part, la participation aux jeux de hasard ou d’argent autres que les loteries proposés en ligne, en excluant cette dernière de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux premiers, pour autant que les différences objectives entre ces catégories de jeux
de hasard ou d’argent soient susceptibles d’influer de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’une ou à l’autre de ces catégories de jeux.

  2) Le principe de coopération loyale tel que consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE et le principe de primauté du droit de l’Union imposent au juge national de laisser inappliquées des dispositions nationales jugées incompatibles avec l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, lu en combinaison avec le principe de neutralité fiscale, sans que l’existence d’un arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale décidant le maintien des effets de ces dispositions nationales
ait une incidence à cet égard.

  3) Les règles du droit de l’Union relatives à la répétition de l’indu doivent être interprétées en ce sens qu’elles confèrent à l’assujetti un droit à obtenir le remboursement du montant de la taxe sur la valeur ajoutée perçue dans un État membre en violation de l’article 135, paragraphe 1, sous i), de la directive 2006/112, à condition que ce remboursement n’entraîne pas un enrichissement sans cause de cet assujetti.

Arabadjiev

Bay Larsen

von Danwitz

Kumin

Ziemele
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2024.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

A. Arabadjiev

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-73/23
Date de la décision : 12/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 135, paragraphe 1, sous i) – Exonérations – Paris, loteries et autres jeux de hasard ou d’argent – Conditions et limites – Principe de neutralité fiscale – Maintien des effets d’une réglementation nationale – Droit au remboursement – Enrichissement sans cause.


Parties
Demandeurs : Chaudfontaine Loisirs SA
Défendeurs : État belge, représenté par le Ministre des Finances.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:734

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