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26/09/2024 | CJUE | N°C-255/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Orlen S.A., anciennement Polski Koncern Naftowy Orlen S.A., anciennement Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A. contre Commission européenne., 26/09/2024, C-255/22


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Concurrence – Marchés gaziers d’Europe centrale et orientale – Article 102 TFUE – Article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) – Abus de position dominante – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale –Règlement (CE) no 1/2003 – Article 9, paragraphe 1 – Décision de la Commission européenne rendant obligatoires les engagements individuels offerts par une entreprise – Recours en annulation – Adéquation d

e ces engagements au regard des préoccupations
en matière de concurrence identifiées dans la communication des grief...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Concurrence – Marchés gaziers d’Europe centrale et orientale – Article 102 TFUE – Article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) – Abus de position dominante – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale –Règlement (CE) no 1/2003 – Article 9, paragraphe 1 – Décision de la Commission européenne rendant obligatoires les engagements individuels offerts par une entreprise – Recours en annulation – Adéquation de ces engagements au regard des préoccupations
en matière de concurrence identifiées dans la communication des griefs – Nature du contrôle du juge de l’Union – Renonciation de la Commission à exiger des engagements concernant certaines des préoccupations initiales – Principe de bonne administration – Principe de proportionnalité – Obligation de motivation – Objectifs de la politique énergétique de l’Union européenne – Article 194 TFUE – Principe de solidarité énergétique »

Dans l’affaire C‑255/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 avril 2022,

Orlen S.A., anciennement Polski Koncern Naftowy Orlen S.A., venant aux droits de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A., établie à Płock (Pologne), représentée par Me K. Karasiewicz, radca prawny, Mes T. Kaźmierczak, K. Kicun et P. Moskwa, adwokaci,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. G. Meessen, Mme I. Söderlund et M. J. Szczodrowski, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

République de Lituanie,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, Mmes K. Rudzińska et S. Żyrek, en qualité d’agents,

Gazprom PJSC, établie à Moscou (Russie),

Gazprom export LLC, établie à Saint-Pétersbourg (Russie),

représentées par Mes E. Borovikov, J. Venit, avocats, Mes J. T. Hainz, J. Karenfort, W. Murzin, Rechtsanwälte, et Me N. Tuominen, avocată,

Overgas Inc., établie à Sofia (Bulgarie), représentée par Mes S. Cappellari, S. Gröss, N. Jacobi, Rechtsanwälte, et Me J. Sroczyński, radca prawny,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur), J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 février 2024,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juin 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, Orlen S.A., anciennement Polski Koncern Naftowy Orlen S.A., venant aux droits de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A., demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 2 février 2022, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo/Commission (Engagements de Gazprom) (T‑616/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:43), par lequel celui-ci a rejeté le recours tendant à l’annulation de la décision C(2018) 3106 final de la Commission, du 24 mai 2018, relative à
une procédure d’application de l’article 102 [TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.39816 – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale) (ci-après la « décision litigieuse »).

I. Les antécédents du litige

2 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 36 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« I. Antécédents du litige et développements postérieurs à l’introduction du recours

1 La requérante, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo [...], est la société mère du groupe PGNiG, lequel est actif dans le secteur gazier et pétrolier, principalement en Pologne. Ce groupe [exerce] notamment des activités d’exploration et de production de gaz et de pétrole brut ainsi que d’importation, de vente et de distribution de gaz.

2 La requérante demande l’annulation de la [décision litigieuse], ayant rendu obligatoires des engagements présentés par Gazprom PJSC et Gazprom export LLC (ci-après, dénommées ensemble, “Gazprom”).

3 La [décision litigieuse] a clos une procédure administrative menée par la Commission [européenne], laquelle a examiné, au regard de l’interdiction des abus de position dominante prévue à l’article 102 TFUE, la conformité de certaines pratiques de Gazprom affectant le secteur gazier dans certains pays d’Europe centrale et orientale (ci-après les “PECO”), à savoir en Bulgarie, en République tchèque, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie (ci-après, dénommés
ensemble, les “PECO concernés”).

A. Sur la procédure administrative ayant donné lieu à la [décision litigieuse]

4 Entre 2011 et 2015, la Commission a pris plusieurs mesures en vue d’enquêter sur le fonctionnement des marchés du gaz en Europe centrale et orientale. En particulier, elle a, au titre des articles 18 et 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), envoyé des demandes de renseignements à divers acteurs du marché, y compris à Gazprom et à certains de ses clients,
dont la requérante, et procédé à des inspections, y compris, en 2011, dans des locaux de cette dernière. La procédure administrative correspondant à cette enquête et qui est directement en cause en l’espèce a été enregistrée sous la référence “Affaire AT.39816 – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale” (ci-après l’“affaire AT.39816”).

5 Dans le cadre de cette affaire, la Commission a, formellement, ouvert, le 31 août 2012, une procédure en vue d’adopter, conformément à l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 et à l’article 2 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003.

6 Le 22 avril 2015, la Commission a, conformément à l’article 10 du règlement no 773/2004, envoyé une communication des griefs à Gazprom (ci-après la “CG”). Dans [la CG], la Commission avait conclu, à titre préliminaire, que Gazprom occupait une position dominante sur les marchés nationaux de la fourniture de gaz de gros en amont dans les PECO concernés et qu’elle abusait de cette position en déployant une stratégie anticoncurrentielle aux fins de fragmenter et d’isoler ces marchés et, ainsi,
d’empêcher la libre circulation du gaz dans les PECO concernés, en violation de l’article 102 TFUE.

7 La Commission avait estimé que cette stratégie de Gazprom recouvrait trois ensembles de pratiques anticoncurrentielles affectant ses clients dans les PECO concernés (ci-après les “clients concernés”) et leurs contrats conclus avec elle (ci-après les “contrats concernés”) :

– premièrement, Gazprom aurait imposé des restrictions territoriales dans le cadre de ses contrats de fourniture de gaz avec des grossistes ainsi qu’avec certains clients industriels dans les PECO concernés (ci-après les “griefs concernant les restrictions territoriales”), restrictions qui résulteraient de clauses contractuelles, interdisant l’exportation hors du territoire de livraison ou obligeant l’utilisation dans un territoire donné du gaz fourni ; Gazprom aurait également utilisé d’autres
mesures empêchant les flux transfrontaliers de gaz ;

– deuxièmement, ces restrictions territoriales auraient permis à Gazprom de mener une politique tarifaire déloyale dans cinq des PECO concernés, à savoir la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne (ci-après les “cinq PECO concernés par les pratiques tarifaires”), en imposant des prix excessifs en ce qu’ils auraient été nettement plus élevés que le niveau de ses coûts ou de certains prix considérés comme étant des prix de référence (ci-après les “griefs concernant les
pratiques tarifaires”) ;

– troisièmement, Gazprom aurait, en ce qui concerne la Bulgarie et la Pologne, subordonné ses fournitures de gaz à l’obtention de certaines assurances, de la part de grossistes, relatives à des infrastructures de transport gazier ; ces assurances portaient, d’une part, sur des investissements par le grossiste bulgare dans le projet de gazoduc South Stream et, d’autre part, sur l’acceptation par le grossiste polonais, à savoir la requérante, du renforcement du contrôle de Gazprom sur la gestion
du tronçon polonais du gazoduc Yamal, l’un des principaux gazoducs de transit en Pologne (ci-après les “griefs Yamal”).

8 Le 29 septembre 2015, Gazprom a répondu à la CG en contestant les préoccupations concurrentielles de la Commission, puis, conformément à l’article 12 du règlement no 773/2004, elle a été entendue lors d’une audition qui s’est tenue le 15 décembre 2015.

9 Le 14 février 2017, tout en continuant de contester les préoccupations concurrentielles [figurant dans] la CG, Gazprom a, en application de l’article 9 du règlement no 1/2003, présenté un projet formel d’engagements (ci-après les “engagements initiaux”). Ce projet avait été précédé par des propositions informelles d’engagements.

10 Le 16 mars 2017, afin de recueillir les observations des parties intéressées sur les engagements initiaux, la Commission a publié au Journal officiel de l’Union européenne une communication conformément à l’article 27, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 (JO 2017, C 81, p. 9), contenant un résumé de l’affaire AT.39816 ainsi que l’essentiel du contenu des engagements initiaux. En application de cette même disposition, les parties intéressées disposaient d’un délai de sept semaines à compter de
la date de publication de ladite communication pour soumettre leurs observations (ci-après la “consultation du marché”). La Commission a reçu 44 séries d’observations de parties intéressées, y compris de la requérante, du gouvernement polonais, du président de l’Urząd Regulacji Energetyki (Office de régulation de l’énergie polonais, ci-après l’“Office polonais”) et de Gaz-System S.A., le gestionnaire du tronçon polonais du gazoduc Yamal.

11 Le 15 mars 2018, après avoir reçu les versions non confidentielles des observations des parties intéressées sur les engagements initiaux, Gazprom a présenté un projet modifié d’engagements (ci‑après les “engagements finaux”).

12 Conformément à l’article 14 du règlement no 1/2003, la Commission a consulté le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes (ci-après le “comité consultatif”) et lui a notamment communiqué un avant-projet de décision. Le 2 mai 2018, le comité consultatif a rendu un avis favorable sur cet avant-projet. Par ailleurs, conformément à l’article 16 de la décision 2011/695/UE du président de la Commission [européenne], du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du
conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29), le conseiller-auditeur a rendu son rapport final le 2 mai 2018.

13 Le 24 mai 2018, la Commission a adopté la [décision litigieuse], à laquelle ont été annexés les engagements finaux. Par cette décision, elle a approuvé et rendu obligatoires lesdits engagements et a clos la procédure administrative en concluant qu’il n’y avait plus lieu qu’elle agît concernant les pratiques potentiellement abusives initialement identifiées dans la CG.

B. Sur la [décision litigieuse]

14 Dans la [décision litigieuse], la Commission a d’abord exposé une évaluation préliminaire des pratiques de Gazprom, avant de présenter les engagements initiaux, les résultats de la consultation du marché ainsi que les engagements finaux. Ensuite, elle a exposé son évaluation des engagements finaux et les raisons l’ayant conduite à les considérer comme satisfaisants au regard de ses préoccupations concurrentielles.

1. Sur l’évaluation préliminaire des pratiques en cause

15 Dans la section 4 de la [décision litigieuse], exposant l’évaluation préliminaire, la Commission a défini les marchés pertinents comme étant les marchés nationaux de la fourniture de gaz en gros en amont. À cet égard, elle a également constaté que Gazprom occupait une position dominante sur les marchés pertinents dans les PECO concernés.

16 La Commission a considéré que Gazprom pourrait avoir abusé de sa position dominante, en violation de l’article 102 TFUE, en déployant une stratégie anticoncurrentielle visant à empêcher la libre circulation du gaz dans les PECO concernés et, ce faisant, à isoler les marchés pertinents de ces pays. Plus particulièrement, elle a estimé que cette stratégie recouvrait trois ensembles de pratiques anticoncurrentielles correspondant essentiellement aux préoccupations concurrentielles identifiées dans
la CG et exposées au point 7 ci-dessus.

17 S’agissant des griefs Yamal, alors que, dans le cadre de la consultation du marché, certaines des parties intéressées avaient mis en cause l’absence d’engagements remédiant à ces griefs, la Commission a expliqué, au considérant 138 de la [décision litigieuse], que, après avoir enquêté davantage, ses préoccupations concurrentielles préliminaires n’avaient pas été confirmées. D’une part, elle a indiqué que, dans une décision du 19 mai 2015 certifiant Gaz-System en tant que gestionnaire de réseau
indépendant (ci-après le “GRI”) du tronçon polonais du gazoduc Yamal (ci-après la “décision de certification”), l’Office polonais avait notamment conclu que Gaz-System exerçait un contrôle décisif sur les décisions en matière d’investissements relatives à ce tronçon ainsi que sur leur mise en œuvre. Partant, ni System Gazociągów Tranzytowych EuRoPol Gaz S.A. (ci-après “EuRoPol”), en tant que propriétaire [de ce] gazoduc, ni Gazprom, en tant qu’actionnaire d’EuRoPol, n’étaient en mesure de
bloquer ces décisions. D’autre part, la Commission a relevé le caractère intergouvernemental des relations entre les parties actives dans le secteur gazier en Pologne, tout particulièrement en ce qui concerne la construction et la gestion du tronçon polonais du gazoduc Yamal, et a conclu que cette circonstance pouvait, dans une large mesure, avoir déterminé le comportement des parties concernées.

2. Sur le contenu des engagements finaux

18 Les engagements finaux, qui sont annexés à la [décision litigieuse], sont censés répondre aux préoccupations concurrentielles de la Commission.

19 S’agissant, en premier lieu, des engagements en vue de répondre aux [griefs concernant les] restrictions territoriales (ci-après les “engagements relatifs aux restrictions territoriales”), d’abord, Gazprom s’est, en substance, engagée à supprimer, dans les contrats [...] concernés, toutes les clauses qui interdisaient ou entravaient, directement ou indirectement, la libre circulation du gaz dans la région constituée par [les PECO concernés].

20 Ensuite, afin de permettre un flux de gaz entre, d’une part, la Bulgarie et les pays baltes et, d’autre part, les autres PECO concernés, malgré l’isolement infrastructurel des premiers, Gazprom s’est engagée à prendre des mesures afin d’accorder aux clients concernés la possibilité de demander que l’ensemble ou une partie de leurs volumes de gaz contractuels fournis à certains points de livraison en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie soient livrés à un autre point de livraison en Bulgarie ou
dans les pays baltes. À la suite de la consultation du marché, Gazprom a, dans les engagements finaux, notamment renforcé sa proposition relative à la modification des points de livraison.

21 En outre, afin de permettre au gestionnaire de réseau de transport bulgare de contrôler les flux en Bulgarie, Gazprom s’est en particulier engagée à prendre des mesures pour modifier les contrats pertinents de fourniture et de transport de gaz afin de permettre la conclusion de contrats en matière d’interconnexion entre la Bulgarie et d’autres États membres, en particulier la Grèce, ainsi que l’ajustement de la méthode d’attribution du gaz.

22 S’agissant, en deuxième lieu, des engagements en vue de répondre aux [griefs concernant les pratiques tarifaires] (ci-après les “engagements relatifs aux pratiques tarifaires”), Gazprom s’est engagée à introduire des clauses de révision de prix ou, le cas échéant, à modifier les clauses existantes dans les contrats avec ses clients concernés en Bulgarie, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne. Ces clauses nouvelles ou modifiées de révision des prix prévoient notamment que, si les
parties ne parviennent pas à un accord au sujet d’un nouveau prix dans un délai de 120 jours, chaque partie pourra renvoyer le différend devant un tribunal arbitral, qui devra se fonder sur les orientations tarifaires incluses dans ces clauses et être institué au sein de l’Union européenne. De plus, les prix révisés s’appliqueront rétroactivement à partir de la date de notification de la demande de révision de prix.

23 S’agissant, en troisième lieu, des engagements liés aux préoccupations concurrentielles relatives à la subordination de l’approvisionnement en gaz à un prix donné à l’obtention, de la part du grossiste bulgare, d’une assurance concernant des investissements dans le projet de gazoduc South Stream, Gazprom s’est engagée à permettre aux partenaires bulgares impliqués dans ce projet de se retirer de celui-ci sans rechercher leur responsabilité civile et sans récupérer les rabais sur les prix du gaz
qu’elle avait accordés en contrepartie de leur participation audit projet. Par ailleurs, eu égard au renoncement annoncé du tronçon bulgare de ce projet de gazoduc, Gazprom s’est également engagée à ne pas réclamer des dommages et intérêts, à titre de compensation spécifique liée à ce renoncement.

3. Sur l’évaluation et la mise en œuvre des engagements finaux

24 Dans la [décision litigieuse], la Commission a conclu, en substance, que les engagements finaux étaient efficaces et nécessaires, sans être disproportionnés, pour répondre à ses préoccupations concurrentielles, en indiquant avoir tenu compte, à cet égard, des développements sur les marchés du gaz depuis la notification de la CG. En particulier, elle a relevé, premièrement, que Gazprom avait déjà pris certaines mesures en vue de rendre son comportement davantage conforme aux règles du droit de
la concurrence, deuxièmement, que la situation en termes d’infrastructures gazières s’était améliorée dans certains des PECO concernés, à savoir en République tchèque, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie, de manière à rendre possibles des flux transfrontaliers de gaz, même si les marchés du gaz dans les pays baltes et en Bulgarie demeuraient isolés des autres marchés du gaz de l’Union, et, troisièmement, que, à la suite de la chute des prix du pétrole, certains des prix à long terme du gaz,
résultant de formules comportant une indexation par référence aux prix de produits pétroliers, avaient également baissé.

25 En conséquence, la Commission a décidé de rendre obligatoires les engagements finaux, en application de l’article 9 du règlement no 1/2003. S’agissant de leur durée d’application, la [décision litigieuse] prévoit que ceux-ci sont applicables pour une période de huit ans à compter de la date de notification à Gazprom de ladite décision, à l’exception des engagements relatifs au projet de gazoduc South Stream, évoqués au point 23 ci-dessus, qui sont obligatoires pour une période de quinze ans à
compter de cette date.

26 Le dispositif de la [décision litigieuse] se lit comme suit :

“Article premier

Les Engagements listés dans l’annexe sont obligatoires pour [Gazprom], ainsi que toute entité juridique directement ou indirectement contrôlée par celle-ci, pour une période de huit années, à l’exception des engagements identifiés au point 21 de l’annexe qui sont obligatoires pour une période de quinze années, et ce à compter de la date définie dans les engagements.

Article 2

Il est conclu qu’il n’y a plus lieu [pour la Commission d’agir] dans cette affaire [...]”

C. Sur la plainte

27 En parallèle à la procédure administrative engagée par la Commission et ayant donné lieu à la [décision litigieuse], la requérante avait, le 9 mars 2017 et en application de l’article 5 du règlement no 773/2004, déposé une plainte dénonçant de prétendues pratiques abusives de Gazprom (ci-après la “plainte”). Ces pratiques, lesquelles recoupaient, en grande partie, les préoccupations déjà exposées dans la CG, incluaient notamment des allégations relatives à des abus de Gazprom liés au tronçon
polonais du gazoduc Yamal.

28 Le 29 mars 2017, la Commission a accusé réception de la plainte, laquelle a ensuite été enregistrée sous la référence “Affaire AT.40497 – Prix polonais du gaz” (ci-après l’“affaire AT.40497”).

29 Dans une lettre du 31 mars 2017 adressée à la requérante, la Commission a relevé que les pratiques exposées dans la plainte et celles concernées par les engagements initiaux semblaient se chevaucher et l’a invitée à soumettre des observations sur ces engagements dans le cadre de la consultation du marché lancée le 16 mars 2017. Après avoir obtenu une prorogation du délai applicable, la requérante a déposé ses observations le 19 mai 2017.

30 Le 15 mai 2017, Gazprom a communiqué ses observations concernant la plainte à la Commission.

31 Par une lettre adressée à la requérante le 23 janvier 2018 (ci-après la “lettre d’intention de rejet”), la Commission a, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, indiqué qu’elle prévoyait de rejeter la plainte et l’a invitée à faire connaître son point de vue dans un délai de quatre semaines à compter de la réception de ladite lettre. La Commission a également envoyé une version non confidentielle de la CG ainsi qu’une version non confidentielle des observations de
Gazprom concernant la plainte, évoquées au point 30 ci-dessus.

32 Le 2 mars 2018, la requérante a déposé des observations en réponse à la lettre d’intention de rejet. Outre qu’elle exprimait son insatisfaction quant aux conclusions contenues dans ladite lettre, la requérante critiquait la conduite de l’enquête par la Commission et notait que cette dernière avait enfreint ses droits en tant que plaignante dans l’affaire AT.39816, en particulier en ce que, malgré de nombreuses demandes, la Commission ne lui aurait ni donné accès à la CG pendant près d’une
année, ni permis de déposer des observations sur cette communication.

33 Le 5 septembre 2018, soit postérieurement à l’adoption de la [décision litigieuse], la requérante a envoyé au conseiller-auditeur une demande motivée, au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la décision 2011/695, dans laquelle elle réclamait l’accès à tous les documents sur lesquels la Commission fondait son appréciation provisoire exposée dans la lettre d’intention de rejet, notamment l’accès à une version de la CG comportant moins d’informations omises. Le 17 septembre 2018, le
conseiller-auditeur a transféré à la direction générale (DG) “Concurrence” de la Commission les demandes d’accès formulées dans cet envoi du 5 septembre 2018. Par lettre du 25 septembre 2018, la Commission a rejeté les demandes d’accès à des documents formulées par la requérante dans ses lettres des 2 mars et 5 septembre 2018.

34 Le 24 janvier 2019, la requérante a envoyé une lettre à la membre de la Commission chargée de la concurrence dans laquelle elle invitait la Commission, au titre de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, à agir soit en adoptant une décision rejetant la plainte, soit en poursuivant la procédure dans l’affaire AT.40497. Le 8 février 2019, la Commission a répondu à cette lettre en rappelant que la plainte avait déjà donné lieu à plusieurs échanges entre elles. La Commission a également indiqué,
s’agissant de l’affaire AT.39816, qu’elle avait adopté la [décision litigieuse], laquelle, notamment, tenait compte des observations présentées par la requérante dans le cadre de la consultation du marché, et, s’agissant de l’affaire AT.40497, qu’elle avait envoyé la lettre d’intention de rejet, à laquelle avait répondu la requérante, et qu’elle finalisait son analyse de la plainte.

35 Le 17 avril 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 3003 final, relative à un rejet de plainte (Affaire AT.40497 – Prix polonais du gaz).

36 Le 25 juin 2019, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal contre cette décision de rejet de la plainte, enregistré sous le numéro d’affaire T‑399/19. »

II. Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

3 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 15 octobre 2018, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

4 Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 26 février 2019, Gazprom a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par des actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, les 25, 27 et 28 février 2019, Overgas Inc., la République de Lituanie et la République de Pologne ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo.

5 Par une décision du 5 avril 2019, la présidente de la première chambre du Tribunal a, les parties principales entendues, admis l’intervention de la République de Pologne. Par des ordonnances du 17 mai 2019, elle a, les parties principales entendues, admis les interventions de la République de Lituanie, de Gazprom et d’Overgas.

6 Le 4 octobre 2019, la composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la huitième chambre, à laquelle l’affaire T‑616/18 a, par conséquent, été attribuée.

7 Par des lettres du greffe du Tribunal du 17 décembre 2019, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo a été invitée à produire plusieurs documents et la Commission a été invitée à répondre par écrit à une question concernant la confidentialité de certaines informations figurant dans la version confidentielle de la CG.

8 Par une ordonnance du même jour, le Tribunal a ordonné à la Commission, au titre, d’une part, de l’article 24, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, de l’article 91, sous b), et de l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, et sous réserve de l’application de l’article 103 de ce règlement, de produire une copie intégrale de la version confidentielle de la CG.

9 Les parties ont dûment déféré, dans les délais impartis, aux mesures d’organisation de la procédure adoptées le 17 décembre 2019 ainsi qu’à cette ordonnance.

10 Le 8 juin 2020, sur proposition de la huitième chambre du Tribunal, ce dernier a décidé de renvoyer l’affaire T‑616/18 devant la huitième chambre élargie. Un membre de cette chambre élargie ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a été désigné pour compléter ladite chambre élargie par décision du 15 juin 2020.

11 S’agissant de la copie intégrale de la version confidentielle de la CG produite par la Commission, le Tribunal a décidé de porter ce document à la connaissance des représentants de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo, à condition qu’ils souscrivent préalablement des engagements de confidentialité, afin que celle-ci puisse faire valoir des observations à cet égard. Ces représentants ayant fourni des engagements de confidentialité signés, ledit document leur a été signifié et Polskie Górnictwo
Naftowe i Gazownictwo a présenté ses observations le 8 décembre 2020.

12 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience des 18 et 19 mai 2021. À cette occasion, le Tribunal a également indiqué avoir pris note des observations sur le rapport d’audience présentées par la Commission le 27 avril 2021.

13 En outre, dans le cadre de questions posées par le Tribunal relativement à la recevabilité du recours, la Commission a revu sa position quant à cette recevabilité et soutenu que Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo n’avait pas démontré son intérêt à agir dans la présente affaire, de sorte que le recours n’aurait pas été recevable.

14 Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo a présenté des demandes de traitement confidentiel à l’égard de la République de Lituanie, de la République de Pologne, de Gazprom et d’Overgas quant à certaines informations figurant dans divers actes de la procédure. Ces dernières n’ont pas émis d’objections à l’égard de ces demandes.

15 À l’appui de son recours, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo soulevait six moyens, tirés, en substance :

– le premier, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les griefs Yamal n’étaient pas fondés et en acceptant des engagements qui ne répondraient aucunement à ces griefs ;

– le deuxième, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a accepté les engagements finaux alors qu’ils ne répondraient pas adéquatement aux griefs concernant les pratiques tarifaires ;

– le troisième, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a accepté les engagements finaux alors qu’ils ne répondraient pas adéquatement aux griefs concernant les restrictions territoriales ;

– le quatrième, d’une violation de l’article 194, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 7 TFUE, en ce que la décision litigieuse serait contraire aux objectifs de la politique énergétique de l’Union et en ce que la Commission n’aurait pas tenu compte de l’incidence négative de cette décision sur le marché européen de la fourniture de gaz ;

– le cinquième, d’une violation de l’article 18, paragraphe 1, TFUE et du principe d’égalité de traitement, en ce que la Commission aurait opéré une discrimination entre les clients de Gazprom actifs dans les États membres d’Europe occidentale et ceux actifs dans les PECO concernés, et

– le sixième, d’un détournement de pouvoir et d’une violation des formes substantielles, en ce que, par la décision litigieuse, la Commission aurait méconnu l’objectif de l’article 9 du règlement no 1/2003 ainsi que les limites de ses pouvoirs dans la gestion de la procédure administrative.

16 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces moyens et, partant, ce recours dans son intégralité.

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi et au pourvoi incident

17 Par son pourvoi, Orlen demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue conformément à l’arrêt de la Cour, et

– de condamner la Commission aux dépens dans la présente instance et à ceux exposés devant le Tribunal.

18 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

19 Gazprom demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

20 Overgas et la République de Pologne demandent à la Cour d’accueillir le pourvoi.

21 Par son pourvoi incident, Overgas demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué et

– de condamner la Commission aux dépens.

22 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi incident et

– de condamner Overgas aux dépens de ce pourvoi.

23 Gazprom demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi incident et

– de condamner Overgas aux dépens de ce pourvoi.

24 Orlen demande à la Cour :

– d’accueillir le pourvoi incident en son premier moyen et

– d’annuler l’arrêt attaqué.

IV. Sur le pourvoi principal

25 À l’appui de son pourvoi, Orlen soulève quatre moyens tirés, le premier, d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, le deuxième, d’une violation de l’article 194 TFUE, lu en combinaison avec l’article 9 de ce règlement, le troisième, d’une violation de l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement, et le quatrième, d’une violation de l’article 9, paragraphe 2, du même règlement.

A. Sur la recevabilité

1.   Argumentation des parties

26 Gazprom soutient, sans toutefois soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, que le pourvoi est irrecevable.

27 Orlen n’aurait ainsi pas d’intérêt né et actuel à l’annulation de l’arrêt attaqué, un tel intérêt ne pouvant concerner une situation future et hypothétique. Or, l’annulation escomptée de cet arrêt ne serait pas de nature à lui donner satisfaction, puisque, dès le mois de novembre 2019, elle aurait informé Gazprom qu’elle n’avait pas l’intention de reconduire le contrat de fourniture de gaz à long terme au-delà de l’année 2022. Elle aurait entrepris les démarches nécessaires pour mettre fin aux
relations commerciales avec Gazprom avant la fin de cette dernière année. Dès lors, Orlen et la République de Pologne ne seraient plus intéressées par la fourniture de gaz par Gazprom, de telle sorte que même l’issue la plus favorable du pourvoi ne serait pas de nature à donner satisfaction à Orlen.

28 Gazprom estime, en outre, que leur absence de clarté suffisante doit conduire la Cour à écarter comme étant irrecevables les griefs exposés aux points 154 et 161 du pourvoi.

29 La Commission, pour sa part, fait valoir que sont en partie irrecevables la première branche du premier moyen du pourvoi, en ce qu’Orlen y contesterait le contrôle de légalité effectué par le Tribunal concernant des opérations économiques complexes sans avoir pourtant allégué l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation, et la seconde branche du troisième moyen de ce pourvoi, pour une absence de clarté des allégations y figurant.

2.   Appréciation de la Cour

30 En premier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que toute personne physique ou morale qui forme un pourvoi doit, de même que lorsqu’elle forme un recours en annulation, avoir un intérêt à agir, dont l’existence doit être appréciée au regard de l’objet de ce pourvoi ou de ce recours, d’une part, et à la date à laquelle celui-ci est introduit, d’autre part. Le non-respect de cette exigence essentielle constitue une fin de non-recevoir d’ordre public qui peut, à tout moment,
être relevée d’office par le juge de l’Union (arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission, C‑619/20 P et C‑620/20 P, EU:C:2022:722, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

31 En outre, cet intérêt à agir doit, tout comme l’objet du litige lui-même, perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle. En conséquence, la disparition dudit intérêt ou de cet objet en cours d’instance peut conduire le juge de l’Union à constater, le cas échéant d’office, qu’il n’y a plus lieu de statuer (arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission, C‑619/20 P et C‑620/20 P, EU:C:2022:722, point 82 ainsi que jurisprudence citée).

32 De manière générale, tant l’existence que la persistance de l’intérêt à agir supposent que le recours ou le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la personne physique ou morale qui l’a formé. Dans tous les cas, cette question doit être appréciée de façon concrète (arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission, C‑619/20 P et C‑620/20 P, EU:C:2022:722, point 83 ainsi que jurisprudence citée).

33 En l’espèce, Gazprom conteste la recevabilité du pourvoi au motif qu’Orlen n’a pas d’intérêt né et actuel à l’annulation de l’arrêt attaqué, étant donné, notamment, la cessation de leurs relations contractuelles au 31 décembre 2022. À cet égard, il est constant que, jusqu’à cette date, et donc également postérieurement à l’introduction du pourvoi, le 8 avril 2022, des relations contractuelles ont lié Gazprom et Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo.

34 Dès lors que, au cours de la période allant du 8 avril 2022 au 31 décembre 2022, la décision litigieuse a produit des effets de droit sur le marché gazier et pétrolier polonais sur lequel opère Orlen, en ce que sa devancière en droit était un partenaire contractuel de Gazprom, Orlen pourrait se prévaloir, conformément à la jurisprudence de la Cour, des conséquences des illégalités qu’elle allègue et de la nature du préjudice qu’elle prétend avoir subi (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023,
Versobank/BCE, C‑803/21 P, EU:C:2023:630, point 160 et jurisprudence citée) en vue d’obtenir la réparation de ce préjudice.

35 Par ailleurs, Orlen a précisé dans son mémoire en réplique, sans être contredite, que plusieurs procédures d’arbitrage l’opposant à Gazprom concernant la mise en œuvre du contrat relatif au gazoduc Yamal, y compris des questions de prix, étaient en cours. De plus, après l’introduction du pourvoi, une procédure relative à l’interruption, par Gazprom, de ses fournitures de gaz depuis le 27 avril 2022 aurait été engagée.

36 Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que Gazprom conteste l’existence d’un intérêt né et actuel d’Orlen à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

37 En second lieu, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine
d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 11 janvier 2024, Foz/Conseil, C‑524/22 P, EU:C:2024:23, point 26 et jurisprudence citée).

38 En l’occurrence, contrairement aux allégations de la Commission concernant le caractère insuffisamment clair de la seconde branche du troisième moyen du pourvoi et à celles de Gazprom, de même nature, relatives aux griefs exposés aux points 154 et 161 de ce pourvoi, celui‑ci identifie avec suffisamment de précision, en chacun des passages en question, les éléments critiqués de l’arrêt attaqué et expose les motifs pour lesquels ils seraient révélateurs d’une méconnaissance de la jurisprudence
relative à la notion d’erreur manifeste d’appréciation et d’une erreur de droit concernant l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003.

39 Ces fins de non-recevoir doivent donc être écartées.

40 Quant à l’irrecevabilité alléguée par la Commission de la première branche du premier moyen du pourvoi, à propos de l’absence d’invocation, par Orlen, de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation concernant des opérations économiques complexes, elle doit être rejetée. En effet, Orlen a présenté cette première branche dans le cadre d’un moyen tiré d’une violation, par le Tribunal, de l’article 9 du règlement no 1/2003. Elle y a soutenu, certes succinctement, que le Tribunal aurait dû
vérifier si, en acceptant les engagements de Gazprom, la Commission les avait correctement analysés à la lumière de la CG, « c’est-à-dire sans commettre d’erreur manifeste ». Ainsi, Orlen a mis la Cour parfaitement en mesure d’identifier la portée de ladite première branche et de se prononcer sur le bien-fondé de l’analyse figurant à cet égard dans l’arrêt attaqué.

41 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le pourvoi est recevable.

B. Sur le fond

1.   Observations liminaires

42 Il ressort de l’article 9 du règlement no 1/2003 que la Commission peut, lorsqu’elle envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction, rendre obligatoires les engagements offerts par les entreprises concernées lorsqu’ils sont de nature à répondre aux préoccupations dont elle a informé ces entreprises dans son évaluation préliminaire.

43 Cet article vise à assurer une application efficace des règles de concurrence prévues par le traité FUE à travers l’adoption de décisions qui rendent obligatoires des engagements proposés par les parties et jugés appropriés par la Commission afin d’apporter une solution plus rapide aux problèmes de concurrence qu’elle a identifiés, au lieu d’agir par la voie de la constatation formelle d’une infraction. Plus particulièrement, ledit article est inspiré par des considérations d’économie de
procédure et permet aux entreprises de participer pleinement à la procédure, en proposant les solutions qui leur semblent les plus appropriées et adéquates pour répondre auxdites préoccupations de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 35).

44 Si, contrairement à l’article 7 du règlement no 1/2003, l’article 9 de ce dernier ne se réfère pas expressément à la notion de proportionnalité, il n’en demeure pas moins que, en tant que principe général du droit de l’Union, le principe de proportionnalité constitue un critère de la légalité de tout acte des institutions de l’Union, y compris des décisions que la Commission adopte en sa qualité d’autorité de la concurrence (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377,
point 36).

45 Étant donné que l’article 9 de ce règlement prévoit uniquement que, dans le cadre d’une procédure engagée au titre de cet article, ainsi que le confirme le considérant 13 dudit règlement, la Commission est dispensée de l’obligation de qualifier et de constater l’infraction, son rôle se limite à l’examen et à l’éventuelle acceptation des engagements proposés par les entreprises concernées, à la lumière des problèmes qu’elle a identifiés dans son évaluation préliminaire et au regard des buts
qu’elle poursuit. La mise en œuvre, par la Commission, du principe de proportionnalité dans le contexte dudit article 9 ne concerne que la vérification que les engagements en question répondent aux préoccupations dont elle a informé les entreprises concernées et que ces dernières n’ont pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate à ces préoccupations (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, points 40 et 41).

46 Dans l’exercice de cette vérification, la Commission doit toutefois prendre en considération les intérêts des tiers, le fait que les engagements individuels offerts par une entreprise ont été rendus obligatoires par la Commission n’impliquant pas que d’autres entreprises sont dépourvues de la possibilité de protéger leurs droits éventuels dans le cadre de leurs relations avec cette entreprise (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, points 41 et 49). Lorsque la
Commission vérifie les engagements non pas sous l’angle de leur adéquation à ses préoccupations en matière de concurrence, mais au regard de leur incidence sur les intérêts des tiers, le principe de proportionnalité requiert que les droits dont ces derniers sont titulaires ne soient pas vidés de leur substance (arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 106).

47 Il résulte des considérations qui précèdent que, en raison de la nature spécifique de l’article 9 du règlement no 1/2003, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a exprimé au point 39 de ses conclusions, le critère approprié, au regard des préoccupations de la Commission telles qu’exprimées dans son évaluation préliminaire, est celui de savoir si les engagements sont de nature suffisante pour répondre de façon adéquate à ces préoccupations sans que la Commission soit tenue de rechercher
elle-même des solutions moins rigoureuses ou plus modérées que les engagements qui lui ont été proposés et, d’autre part, le contrôle juridictionnel de l’analyse de ces derniers par la Commission porte uniquement sur le point de savoir si cette institution a commis une erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 42).

48 Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a indiqué au point 97 de ses conclusions, un tel contrôle ne tend pas à ce que l’analyse de la Commission soit exempte de toute irrégularité, une certaine marge d’appréciation lui ayant été consentie, pourvu que le seuil de ce qui est manifeste ne soit pas franchi.

49 Par ailleurs, sur le plan procédural, il importe de souligner que l’article 9 du règlement no 1/2003 laisse la Commission libre de définir la forme que doit revêtir « son évaluation préliminaire », mentionnée au paragraphe 1 de cet article. En pratique, ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience, cette évaluation correspond souvent à une communication des griefs adressée à l’entreprise qui se voit reprocher des comportements contraires à l’article 101 ou à l’article 102 TFUE, sur le
fondement de l’article 7 de ce règlement. Lorsque tel est le cas, comme ce le fut en l’espèce, la jurisprudence relative à de tels actes de procédure trouve à s’appliquer, aucune disposition dudit règlement ne justifiant de traiter différemment une communication des griefs selon que celle-ci sert de fondement à une décision adoptée sur la base de l’article 7 ou de l’article 9 du même règlement, ce dernier article ne prévoyant pas, en particulier, l’hypothèse d’une révision de l’évaluation
préliminaire.

50 Il résulte, à cet égard, d’une jurisprudence constante que la communication des griefs est un document de caractère procédural et préparatoire qui, en vue d’assurer l’exercice efficace des droits de la défense, circonscrit l’objet de la procédure administrative engagée par la Commission, empêchant ainsi cette dernière de retenir d’autres griefs dans sa décision mettant fin à la procédure concernée. Il est donc inhérent à la nature de cette communication d’être provisoire et susceptible de
modifications lors de l’évaluation à laquelle la Commission procède ultérieurement sur la base des observations qui lui ont été présentées en réponse par les parties ainsi que d’autres constatations factuelles. En effet, la Commission doit tenir compte des éléments résultant de l’intégralité de la procédure administrative soit pour abandonner des griefs qui seraient non fondés, soit pour aménager et compléter tant en fait qu’en droit son argumentation à l’appui des griefs qu’elle retient (arrêt
du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 66 ainsi que jurisprudence citée).

51 Ainsi, la Commission n’est pas tenue d’expliquer, dans une décision qu’elle adopte en application de l’article 9 du règlement no 1/2003, les raisons pour lesquelles elle a abandonné un ou plusieurs griefs qui correspondaient à certaines de ses préoccupations initiales, que ce soit à l’égard de l’entreprise dont les engagements sont rendus obligatoires, seule destinataire de la communication des griefs et, plus généralement, de l’évaluation préliminaire visée à cet article 9, ou à l’égard des
tiers intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

52 Cela ne fait naturellement pas obstacle à ce que la Commission considère, de son propre chef, qu’il est utile de fournir des indications à cet égard, afin de permettre une meilleure compréhension de cette décision.

2.   Sur la demande de substitution de motifs de la Commission

53 Au point 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, « dans les conditions de l’espèce et, en particulier, en l’absence d’évaluation préliminaire révisée, l’article 9 du règlement no 1/2003 imposait à la Commission, contrairement à ce qu’elle soutient, d’avoir des raisons justifiant l’absence d’engagement répondant aux griefs Yamal ». Il a ajouté, au point 85 de cet arrêt, que, « [en l’espèce, en toute hypothèse, force est de constater que la Commission a présenté les raisons pour lesquelles
elle n’avait pas imposé d’engagement répondant aux griefs Yamal, lesquelles prennent la forme des deux motifs figurant au considérant 138 de la [décision litigieuse] », à savoir la décision de certification et le caractère intergouvernemental des relations dans le secteur gazier en Pologne.

54 Dans son mémoire en réponse, la Commission a souligné que cette analyse était constitutive d’une erreur de droit, mais a indiqué que celle‑ci demeurait sans incidence sur le dispositif de l’arrêt attaqué et ne pouvait, dès lors, conduire à l’annulation de ce dernier. Elle a donc demandé à la Cour de procéder à une substitution de motifs à cet égard.

55 Il convient de faire droit à cette demande et de juger, à la lumière des considérations exposées aux points 49 à 52 du présent arrêt, que c’est à tort que le Tribunal a fait état de la nécessité, pour la Commission, en cas d’abandon de certains griefs figurant dans la CG, qui a fait office d’évaluation préliminaire au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, de procéder à l’envoi d’une évaluation préliminaire révisée.

56 Cela étant, cette erreur n’a, en effet, pas affecté le dispositif de l’arrêt attaqué, le Tribunal ayant justement relevé que la Commission avait motivé la décision litigieuse concernant les raisons de l’abandon des griefs Yamal, comme cela a été rappelé au point 53 du présent arrêt, ce qu’il lui était loisible de faire.

57 Il convient d’ajouter que, du fait de l’abandon de ces griefs, ce n’est que dans la mesure où Orlen démontrerait que cet abandon a rendu manifestement insuffisants les engagements pris par Gazprom et approuvés par la Commission qu’Orlen serait fondée à contester la régularité de la décision litigieuse en raison dudit abandon.

3.   Sur le premier moyen

58 Le premier moyen du pourvoi principal, tiré d’une violation de l’article 9 du règlement no 1/2003, est composé de trois branches.

a)   Sur la première branche du premier moyen

1) Argumentation des parties

59 Par la première branche de son premier moyen, Orlen soutient que le Tribunal a enfreint l’article 9 du règlement no 1/2003 en ce qu’il a considéré que la Commission avait correctement apprécié le caractère adéquat des engagements offerts par Gazprom, bien que ceux-ci n’aient pas répondu aux préoccupations qu’elle avait énoncées dans la CG et ne fussent pas prospectifs, c’est-à-dire en mesure, par leur nature, de prévenir de futures violations similaires. Or, en l’espèce, le Tribunal aurait dû
vérifier si la Commission avait analysé le caractère adéquat de ces engagements à la lumière des problèmes de concurrence qu’elle avait identifiés dans la CG.

60 En particulier, Orlen estime que, aux points 208, 209 et 237 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé le caractère adéquat desdits engagements en les dissociant totalement de la CG.

61 En agissant ainsi, le Tribunal aurait porté atteinte au principe de protection de la confiance légitime, c’est-à-dire à la confiance d’Orlen en ce que la décision rendant les mêmes engagements obligatoires, bien qu’elle n’ait pas le même caractère qu’une décision fondée sur l’article 7 du règlement no 1/2003, réponde à toutes les préoccupations de la Commission et mette fin aux violations de Gazprom.

62 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

63 L’argumentation d’Orlen ne saurait être accueillie.

64 Premièrement, il apparaît que, à tout le moins implicitement, en critiquant l’absence de prise en compte exhaustive, par le Tribunal, pour apprécier le caractère suffisant des engagements pris par Gazprom, des griefs exposés dans la CG, Orlen inclut les griefs Yamal, qui ont été abandonnés par la Commission avant l’adoption de la décision litigieuse, ainsi que cela résulte du point 17 de l’arrêt attaqué, reproduit au point 2 du présent arrêt. Cette argumentation est donc, en partie, inopérante.

65 Deuxièmement, comme la Commission l’a fait observer à juste titre, Orlen n’établit pas, dans le cadre de la première branche de son premier moyen, l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation, par la Commission, du caractère adéquat des engagements proposés par Gazprom afin de remédier aux préoccupations qu’elle avait exprimées dans la CG, ni une absence de censure, par le Tribunal, d’une telle erreur manifeste d’appréciation. Orlen se borne, à cet égard, à de simples
affirmations. Or, comme cela a été rappelé aux points 47 et 48 du présent arrêt, le contrôle juridictionnel d’une décision adoptée en application de l’article 9 du règlement no 1/2003 porte uniquement sur le point de savoir si la Commission a commis une telle erreur, ce qui doit être concrètement démontré par la partie qui en fait l’allégation.

66 Troisièmement, les critiques d’Orlen relatives à un défaut d’analyse prospective servant à apprécier l’adéquation des engagements proposés par Gazprom, d’une part, ne permettent pas d’établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation à cet égard et, d’autre part, portent sur des conclusions tirées par le Tribunal de constatations de fait non remises en cause par Orlen, à savoir que, du moins pour un certain nombre de contrats concernés, il ne pouvait être considéré que ceux-ci incluaient
des renvois, dans les clauses de détermination ou de révision des prix, à des prix de référence concurrentiels et clairement définis. Le Tribunal en a souverainement déduit que l’absence, dans les clauses de révision de prix, d’un prix de référence clairement défini, concurrentiel et publiquement disponible, tel que les prix sur les plateformes de négoce du gaz concurrentielles, était l’un des principaux facteurs qui auraient pu donner lieu à des prix non équitables dans les cinq PECO concernés
par les pratiques tarifaires.

67 Quatrièmement, procède d’une interprétation erronée de l’arrêt attaqué comme de la décision litigieuse l’assertion selon laquelle le Tribunal aurait entériné le choix de la Commission de permettre la correction ultérieure des engagements proposés. En premier lieu, la simple mention, au point 423 de cet arrêt, du fait que les institutions de l’Union ou les autorités nationales de régulation dans le secteur du gaz peuvent intervenir afin de modifier la réglementation dans ce secteur ou, le cas
échéant, afin d’en assurer le respect ne se rapporte pas, contrairement aux affirmations d’Orlen, à la possibilité de corriger de tels engagements. En second lieu, le seul fait, pour la Commission, de rappeler que les engagements en cause sont susceptibles de donner lieu, s’ils ne sont pas respectés par l’entreprise concernée, à une réouverture de la procédure en application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 traduit une volonté non pas de compléter ex post ces engagements, mais
de veiller à leur respect.

68 Cinquièmement, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence bien établie, le principe de protection de la confiance légitime s’inscrit parmi les principes fondamentaux de l’Union et que la possibilité de s’en prévaloir est ouverte à tout opérateur économique chez lequel une institution, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées (arrêt du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR/Commission, C‑411/15 P, EU:C:2017:11, point 134 ainsi que
jurisprudence citée).

69 Or, un opérateur économique ne peut se fonder sur la teneur d’une communication des griefs, dont le caractère préparatoire et provisoire a été rappelé au point 50 du présent arrêt, y compris lorsqu’elle tient lieu d’évaluation préliminaire, dont la dénomination reflète le caractère non définitif, pour considérer que la Commission lui a fourni des assurances précises quant au fait que l’ensemble des préoccupations figurant dans de tels documents correspondrait à des engagements figurant dans la
décision finale (voir, par analogie, arrêt du 12 janvier 2017, Timab Industries et CFPR/Commission, C‑411/15 P, EU:C:2017:11, point 135 ainsi que jurisprudence citée).

70 La première branche du premier moyen doit donc être écartée.

b)   Sur la deuxième branche du premier moyen

1) Argumentation des parties

71 Par la deuxième branche de son premier moyen, Orlen fait valoir que le Tribunal a manifestement dénaturé les faits, à de nombreuses reprises, ce qui l’aurait conduit à une application incorrecte de l’article 9 du règlement no 1/2003 et à considérer à tort que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation quant au caractère adéquat des engagements offerts par Gazprom.

72 Ainsi, tout d’abord, le Tribunal aurait considéré à tort que la pratique de Gazprom consistait essentiellement à empêcher les importations de gaz, alors que ses pratiques visaient principalement, en réalité, tel que cela serait décrit explicitement dans la CG, à empêcher la réexportation de gaz par les opérateurs des PECO concernés, ce qui aurait eu des répercussions directes sur la fluidité du marché de gros du gaz. Ce faisant, le Tribunal serait passé à côté du cœur de la question des
restrictions territoriales appliquées par Gazprom, indiquées dans la CG, qui consistaient à empêcher non pas les importations de gaz vers les PECO, mais sa revente par ces derniers. En l’absence d’une telle dénaturation, le Tribunal aurait été obligé d’admettre que Gazprom n’avait pas répondu de manière adéquate aux griefs concernant les restrictions territoriales formulés dans la CG.

73 Ensuite, il aurait jugé à tort que la Commission avait identifié, dans la CG, quatre formes de procédés extracontractuels et omis la menace des mesures de rétorsion, de diverse nature, de la part de Gazprom, ce qui l’aurait conduit à considérer à tort que l’engagement de cette dernière qui ne couvrait pas toutes les préoccupations de la Commission énoncées dans la CG était néanmoins adéquat.

74 Enfin, il aurait indiqué à tort que le fait que les juridictions nationales puissent faire droit à une demande d’annulation d’une sentence arbitrale lorsqu’elles estiment qu’une telle sentence est contraire à l’article 102 TFUE ou à une décision fondée sur l’article 9 du règlement no 1/2003 pouvait conduire les tribunaux arbitraux à s’assurer que leurs sentences respectent les dispositions du traité FUE, alors qu’une telle affirmation serait spéculative et non étayée.

75 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

76 Il convient de relever à nouveau que l’objectif poursuivi par la Commission, lorsqu’elle adopte une décision rendant obligatoires les engagements d’une entreprise, au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, est de remédier aux préoccupations qu’elle a exprimées concernant l’existence de comportements anticoncurrentiels et, dans un souci d’économie de procédure, d’obtenir rapidement, grâce à ces engagements, un fonctionnement concurrentiel satisfaisant sur le marché concerné.
Cela étant, en l’espèce, il n’est pas exclu que, après l’adoption de la décision litigieuse, les remèdes objectifs approuvés par la Commission et tendant à rétablir sur le marché polonais, sur lequel opère Orlen, des conditions d’approvisionnement et de distribution de gaz pleinement concurrentielles n’aient pas produit d’emblée leurs effets ou n’aient pas correspondu aux attentes subjectives d’un opérateur économique particulier, en l’occurrence Orlen. Il n’y a pas lieu d’en inférer, pour
autant, que cette décision est entachée d’erreurs manifestes d’appréciation, que le Tribunal aurait omis de sanctionner.

77 En particulier, comme la Commission le fait valoir, le Tribunal a correctement évalué les importations de gaz d’Allemagne vers la Pologne dans le cadre de son appréciation de l’obligation de modifier les points de livraison, ce qui était déjà mentionné au considérant 170 de la décision litigieuse. Ainsi, il n’est pas contesté que, depuis l’adoption de la CG, la Pologne a bénéficié de l’amélioration de l’infrastructure transfrontalière de transport gazier dans une mesure importante, puisque les
importations sont devenues possibles sans modifier le point de livraison. Dès lors, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit dans le contrôle de l’appréciation, par la Commission, de la question des importations de gaz vers la Pologne en lien avec l’évaluation du caractère adéquat de l’absence d’engagement de Gazprom relatif à la mise en place d’un plus grand nombre de points de livraison susceptibles de modification et affectant la Pologne.

78 Si Orlen fait valoir que le Tribunal a omis de prendre en compte, concernant l’évaluation du caractère adéquat des engagements de Gazprom, des actes tels que les diverses menaces de rétorsion de la part de celle-ci, il apparaît qu’un tel argument manque en fait, le Tribunal ayant, en particulier, mentionné de tels comportements au point 95 de l’arrêt attaqué.

79 Enfin, c’est à bon droit que le Tribunal a indiqué que les tribunaux arbitraux seront enclins à s’assurer que la sentence arbitrale adoptée respecte l’article 102 TFUE, cette considération ne pouvant, en tout état de cause, emporter l’annulation de l’arrêt attaqué.

80 Il convient donc d’écarter la deuxième branche du premier moyen.

c)   Sur la troisième branche du premier moyen

81 Par la troisième branche de son premier moyen, Orlen fait valoir que le Tribunal a omis de prendre en considération l’obligation de la Commission d’agir, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir légal d’appréciation des questions économiques et techniques complexes, dans le respect des dispositions du traité FUE ainsi que des principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union. Le principe de solidarité énergétique, tiré de l’article 194 TFUE et ayant le statut de principe général du droit
de l’Union, ferait partie de ces principes fondamentaux. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission en la matière serait donc limité par l’obligation qui lui est faite d’agir en conformité avec les dispositions du traité FUE et les principes généraux du droit de l’Union.

82 En limitant les critères qui devraient guider la Commission lors de l’examen des engagements en cause, le Tribunal aurait violé l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, car la Commission, en se fondant sur une interprétation trop restrictive des lignes directrices découlant des arrêts du 29 juin 2010, Commission/Alrosa (C‑441/07 P, EU:C:2010:377), et du 15 septembre 2016, Morningstar/Commission (T‑76/14, EU:T:2016:481), aurait non seulement omis de tenir compte du principe de solidarité
énergétique, mais aurait également ignoré le fait que la nature de l’affaire relève du domaine énergétique.

83 La Commission conteste ces arguments.

84 La Cour juge opportun d’examiner la troisième branche du premier moyen conjointement avec le deuxième moyen.

4.   Sur le deuxième moyen

a)   Argumentation des parties

85 Le deuxième moyen d’Orlen porte sur une violation de l’article 194 TFUE, lu en combinaison avec l’article 9 du règlement no 1/2003. Le Tribunal aurait ainsi commis de nombreuses erreurs en interprétant l’article 194 TFUE.

86 Il résulterait de la jurisprudence la plus récente, illustrée par l’arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Commission (C‑848/19 P, EU:C:2021:598, points 43, 44, 47, 50 et 51), que le principe de solidarité figurant à ce dernier article sous-tend l’ensemble des objectifs de la politique de l’Union en matière d’énergie, en les regroupant et en leur donnant une cohérence, et que, par conséquent, les actes adoptés par les institutions de l’Union, y compris par la Commission au titre de cette politique,
doivent être interprétés, et leur légalité appréciée, à la lumière de ce principe, sans que son applicabilité dépende de l’invocation de questions relevant du domaine énergétique lors de la procédure diligentée par la Commission. Ledit principe ne saurait être assimilé ou se limiter à l’exigence d’assurer la sécurité de l’approvisionnement.

87 L’interprétation correcte de l’article 194 TFUE se résumerait donc en un test comportant trois étapes. Il conviendrait, en premier lieu, d’apprécier s’il s’agit d’un acte relevant de la matière énergétique. En deuxième lieu, que les parties aient ou non invoqué des questions se rapportant à cette matière, les organes de l’Union seraient tenus de vérifier si l’adoption de cet acte porterait atteinte aux intérêts des différents acteurs concernés. En troisième lieu, il conviendrait d’évaluer si les
avantages procurés par l’adoption dudit acte prévalent sur ses effets négatifs.

88 En l’espèce, il serait incontestable que la décision litigieuse relève du domaine énergétique, dès lors que, par cette décision, la Commission aurait obligé Gazprom à modifier ses modalités de collaboration avec les clients concernés et que, partant, cette décision a produit des effets sur le marché gazier de l’Union et les conditions qui y prévalaient pour au moins les huit années suivant son adoption. La Commission aurait d’ailleurs présenté la procédure ayant conduit à l’adoption de la même
décision comme constituant un élément essentiel des mesures de promotion d’un marché ouvert et intégré pour le gaz. Pourtant, le Tribunal, tout comme la Commission, aurait complètement omis le fait que la décision litigieuse relevait du domaine énergétique, suggérant à tort, notamment, que la Commission n’était pas liée, dans le cadre de l’examen des engagements de Gazprom, par le principe de solidarité énergétique. Or, rien ne permettrait de soutenir que l’application de ce principe est exclue
ou limitée dans le cadre de l’action de la Commission fondée sur le règlement no 1/2003, y compris l’article 9 de ce dernier, lorsque cette action peut être identifiée comme relevant du domaine énergétique.

89 Selon Orlen, l’approche du Tribunal priverait l’article 194 TFUE de tout effet utile à l’égard de l’action de la Commission visant à mettre en œuvre à la fois les objectifs du droit de la concurrence au sens large et ceux liés au fonctionnement du marché énergétique de l’Union. L’absence d’analyse de ces engagements sous l’angle dudit principe priverait aussi d’effet utile l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.

90 La Commission conteste cette argumentation.

b)   Appréciation de la Cour

91 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, rien ne permet de considérer que le principe de solidarité figurant à l’article 194, paragraphe 1, TFUE ne saurait, comme tel, produire d’effet juridique contraignant pour les États membres et les institutions de l’Union. Au contraire, ce principe, ainsi qu’il découle du libellé et de la structure mêmes de cette disposition, sous-tend l’ensemble des objectifs de la politique de l’Union en matière d’énergie, en les regroupant et en
leur donnant une cohérence (arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 43).

92 Il s’ensuit, en particulier, que les actes adoptés par les institutions de l’Union, y compris par la Commission au titre de cette politique, doivent être interprétés, et leur légalité appréciée, à la lumière du principe de solidarité énergétique (arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 44).

93 Ce principe, à l’instar des principes généraux du droit de l’Union, constitue un critère d’appréciation de la légalité des mesures adoptées par les institutions de l’Union (arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 45).

94 Ainsi, le principe de solidarité énergétique, visé à l’article 194 TFUE, doit être pris en compte par les institutions de l’Union ainsi que par les États membres, dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et, notamment, de celui du gaz naturel, en veillant à assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique dans l’Union, ce qui implique non seulement de faire face à des situations d’urgence, lorsqu’elles se produisent, mais également d’adopter des mesures visant
à prévenir les situations de crise. À cette fin, il est nécessaire d’évaluer l’existence de risques pour les intérêts énergétiques des États membres et de l’Union, et notamment pour la sécurité d’approvisionnement en énergie (arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 69).

95 En l’occurrence, premièrement, au point 420 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que les engagements pris à la suite d’une procédure fondée sur l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 ne sauraient aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques des traités. Il s’ensuit que le Tribunal a ainsi retenu, à bon droit, d’une part, que la Commission, en agissant au titre de cette disposition, devait cependant se conformer à l’obligation d’agir en conformité avec
les dispositions du traité FUE et les principes généraux du droit de l’Union, et, d’autre part, qu’il lui appartenait de vérifier si les engagements offerts dans le cadre de cette procédure n’enfreignaient pas, en tant que tels, les dispositions du traité FUE, y compris l’article 194, paragraphe 1, TFUE.

96 Ces obligations impliquent que, ainsi que M. l’avocat général l’a exposé au point 58 de ses conclusions, la Commission ne pourrait pas accepter des engagements qui risqueraient de s’avérer contraires à l’article 194 TFUE et de mettre ainsi en péril les objectifs poursuivis par le principe de solidarité énergétique ou la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Union, malgré le fait que ces engagements puissent répondre aux préoccupations concurrentielles de la Commission sur le marché
concerné. Néanmoins, cela ne signifie pas que la Commission, agissant en tant que régulateur de la concurrence dans le cadre de la procédure prévue par le règlement no 1/2003, détiendrait la compétence d’imposer des obligations indépendantes et allant au-delà de celles visant à remédier aux problèmes de concurrence constatés lors de son enquête, en exigeant sur cette base des engagements plus contraignants.

97 C’est donc sans commettre d’erreur de droit que, au point 422 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a refusé d’assimiler l’application du principe de solidarité énergétique par la Commission à l’imposition d’obligations positives imputables à cette dernière, allant au-delà du cadre des griefs soulevés à l’égard de Gazprom, ou à l’imposition d’obligations plus contraignantes à celle-ci.

98 Par ailleurs, Orlen n’indique pas en quoi la décision litigieuse méconnaîtrait les objectifs spécifiques de la politique énergétique de l’Union.

99 À cet égard, le fait que la Commission n’a pas expressément évoqué le principe de solidarité énergétique dans la décision litigieuse ne signifie pas qu’elle n’en ait pas tenu compte et que cette décision ne le respecte pas.

100 Au contraire, la décision litigieuse contient des éléments indiquant clairement que la Commission, au moment de l’adoption de cette décision, a tenu compte des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie, en veillant, notamment, à assurer la libre circulation transfrontalière du gaz et à fournir aux consommateurs des PECO concernés des approvisionnements alternatifs à partir des pays voisins, ainsi qu’à garantir que les prix ne s’écartent pas des indices de concurrence de
l’Europe occidentale, lorsqu’elle a apprécié le caractère adéquat des engagements de Gazprom.

101 Il y a donc lieu d’écarter la troisième branche du premier moyen et, par suite, de rejeter le premier moyen dans son ensemble ainsi que le deuxième moyen.

5.   Sur le troisième moyen

102 Par son troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, Orlen soutient que le Tribunal a interprété de manière erronée la notion d’« erreur manifeste d’appréciation » lors de son examen de l’appréciation, par la Commission, des questions économiques et techniques complexes se rapportant à l’analyse du caractère adéquat des engagements de Gazprom. Cette notion correspondrait, selon la jurisprudence de la Cour, à quatre cas de figure, à savoir l’absence
d’appréciation correcte des faits pertinents sous-tendant l’analyse de l’auteur de la décision, l’absence de prise en compte, par ce dernier, d’éléments essentiels, le fait d’avoir fondé cette analyse sur un élément non pertinent et le non-respect du niveau de preuve. Dans ces conditions, le Tribunal serait notamment tenu d’apprécier si les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée sont suffisamment précis, fiables et cohérents, s’ils constituent un ensemble de données
pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe, s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées par la Commission et, enfin, s’ils permettent, par leur qualité, de procéder à une analyse prospective.

103 Ce moyen comporte deux branches.

a)   Sur la première branche du troisième moyen

1) Argumentation des parties

104 Par la première branche de son troisième moyen, portant sur l’absence de prise en considération, par le Tribunal, de l’effet cumulatif des erreurs de la Commission sur son analyse globale du caractère adéquat des engagements de Gazprom, Orlen fait notamment valoir que la nécessité de tenir compte de cet effet cumulatif résulte d’une jurisprudence constante du juge de l’Union. Or, le Tribunal aurait considéré, à tort, dans l’arrêt attaqué, qu’il pouvait évaluer ces erreurs indépendamment les unes
des autres, c’est-à-dire analyser séparément toute mesure et toute erreur potentielle de la Commission, en renonçant ainsi à une appréciation globale de l’action de cette institution. Ce serait sur le fondement de telles analyses séparées que le Tribunal aurait conclu à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, alors qu’une prise en compte cumulée desdites erreurs l’aurait conduit à reconnaître l’existence d’une telle erreur manifeste, étant donné que les différents éléments des engagements
de Gazprom n’étaient ni isolés ni dépourvus d’incidence les uns sur les autres. En effet, les engagements de Gazprom relatifs aux pratiques tarifaires et aux restrictions territoriales seraient des mécanismes complexes, composés d’éléments qui seraient largement interdépendants.

105 Une telle application erronée des critères de contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation serait notamment présente dans l’appréciation, par le Tribunal, de l’abandon des griefs Yamal par la Commission.

106 En tout état de cause, la décision litigieuse aurait également dû être annulée par le Tribunal dans la mesure où elle ne répondrait pas à toutes les préoccupations en matière de concurrence exprimées par la Commission.

107 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

108 Premièrement, en ce qui concerne les arguments se rapportant à l’abandon des griefs Yamal et à l’absence de réponse à la totalité des préoccupations initiales de la Commission incluant ces griefs, il y a lieu de les rejeter par renvoi aux points 57 et 64 du présent arrêt.

109 Deuxièmement, il appartient à la partie requérante concluant à l’annulation d’une décision adoptée par la Commission au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003 de démontrer que celle-ci a commis une erreur manifeste d’appréciation. Or, en l’espèce, Orlen se contente d’un raisonnement abstrait, fondé sur l’idée d’un cumul d’erreurs, sans en démontrer la pertinence concrète. À cet égard, la Commission précise qu’Orlen n’avait d’ailleurs pas soutenu devant le Tribunal qu’une évaluation
d’ensemble de toutes les erreurs reprochées à la Commission aurait dû être effectuée. Il ressort, en effet, du point 398 de l’arrêt attaqué que seule Overgas avait soulevé un tel argument, qui a été examiné, puis rejeté, à bon droit par le Tribunal.

110 Troisièmement, contrairement à ce que soutient Orlen, il ne ressort ni de la décision litigieuse ni de l’arrêt attaqué que la Commission ou le Tribunal auraient renoncé à procéder à une analyse globale des engagements souscrits par Gazprom.

111 Ainsi, en ce qui concerne la Commission, l’approche globale que celle‑ci a adoptée dans le cadre de l’examen des engagements est attestée par les considérants 160 à 164 de la décision litigieuse. À cet égard, le choix de cette institution de présenter séparément la proportionnalité de chaque engagement par rapport aux préoccupations dont elle avait fait état ne saurait suffire à remettre en question cette approche globale.

112 En ce qui concerne le Tribunal, il ressort respectivement des points 195 à 202 et 310 à 319 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a procédé à une appréciation globale tant des engagements relatifs aux pratiques tarifaires que de ceux relatifs aux restrictions territoriales. Le point 398 de l’arrêt attaqué, déjà mentionné au point 109 du présent arrêt, constitue un autre exemple d’une évaluation d’ensemble pour apprécier l’existence éventuelle d’une erreur manifeste d’appréciation.

113 Quatrièmement, doit être réfutée l’assertion d’Orlen selon laquelle le Tribunal aurait dû constater qu’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission découlait, en l’espèce, de l’accumulation de simples erreurs que celle-ci aurait commises. Cela ne pourrait être exact que si le Tribunal avait constaté le caractère inadéquat d’au moins l’un des engagements acceptés par la Commission susceptible de remettre également en cause d’autres engagements et s’il avait été démontré que ceux-ci
présentaient un lien entre eux. Or, tel n’est pas le cas.

114 S’il est vrai que, dans le cadre de son analyse du caractère adéquat des engagements concernant les points de livraison, le Tribunal a relevé certaines irrégularités affectant l’évaluation de ces engagements par la Commission, il n’a pas considéré, toutefois, que ces irrégularités seraient de nature à avoir une quelconque incidence sur l’effectivité de ces derniers. Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 96 de ses conclusions, les considérations critiques du Tribunal à l’égard de
l’appréciation de la Commission portent davantage sur l’approche méthodologique retenue par celle-ci dans le cadre de son analyse que sur l’insuffisance des engagements.

115 Il convient également de rappeler, comme cela a été souligné au point 48 du présent arrêt, que l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation ne saurait correspondre à la présence d’une simple irrégularité ou omission de la part de la Commission, un certain seuil de gravité, à même de remettre en cause le bien-fondé de l’analyse que celle-ci a effectuée, devant être atteint.

116 Il en résulte que la première branche du troisième moyen doit être écartée.

b)   Sur la seconde branche du troisième moyen

1) Argumentation des parties

117 Par la seconde branche de son troisième moyen, tirée de l’absence de prise en compte du caractère prospectif des engagements de Gazprom dans le cadre de l’analyse du caractère adéquat des différents éléments composant ces derniers, Orlen soutient que, selon la jurisprudence de la Cour, en ce qui concerne les engagements visant à supprimer les préoccupations en matière de concurrence (à savoir mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles identifiées par la Commission dans l’évaluation
préliminaire, rétablir la concurrence sur le marché et éviter que les infractions ne se reproduisent), la Commission doit aborder avec une prudence particulière les hypothèses prévoyant une évolution négative de la situation. Dans ce contexte, le Tribunal serait tenu de vérifier si la Commission a correctement effectué cette analyse, en se fondant à la fois sur l’« expérience historique applicable » et sur la « vérification de la probabilité que toutes les conditions soient respectées,
lesquelles doivent être réunies cumulativement ».

118 En l’occurrence, l’analyse du caractère adéquat de l’engagement consistant à insérer une clause de révision de prix seulement au regard de la situation existant sur le marché à la date d’adoption de la décision litigieuse, en faisant totalement abstraction de l’élément prospectif, constituerait le premier exemple d’une erreur commise par Tribunal.

119 Un second exemple d’un tel défaut de contrôle, par le Tribunal, de l’existence d’une analyse prospective suffisante de la Commission serait constitué par l’absence de vérification du nombre de conditions cumulatives devant être réunies pour atteindre l’objectif de l’engagement tarifaire, énoncé au point 135 de la décision litigieuse, visant à assurer aux clients de Gazprom un droit contractuel clair garantissant que leurs prix du gaz restent équitables et concurrentiels à l’avenir.

120 Partant, le Tribunal n’aurait pas apprécié correctement les faits pertinents sous-tendant son analyse et chacune des erreurs susmentionnées aurait eu une incidence directe sur la décision litigieuse.

121 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

122 Les assertions d’Orlen sont infirmées par la teneur tant de la décision litigieuse que de l’arrêt attaqué.

123 Ainsi, contrairement à ce que soutient Orlen, la Commission et le Tribunal ont clairement pris en compte l’évolution future potentielle du marché, tel que cela ressort du point 158 de l’arrêt attaqué, raison pour laquelle, au point 155 de cet arrêt, le Tribunal a estimé suffisant que les engagements finaux continssent une clause de révision de prix et non une modification immédiate des formules tarifaires prescrites par les clauses existantes.

124 Orlen fait une interprétation erronée de ce dernier point de l’arrêt attaqué en soutenant que le Tribunal n’a apprécié l’adéquation de la clause de révision de prix proposée par Gazprom qu’au regard de la situation du marché existant au moment de l’adoption de la décision litigieuse. Le Tribunal y a seulement confirmé que la Commission avait également correctement pris en compte, dans son appréciation, la situation du marché existant au moment de l’adoption de cette décision. Par ailleurs, il
ressort clairement des points 156 à 158 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a effectivement contrôlé l’exactitude de l’appréciation prospective de la Commission. À cet égard, le fait que, lors de l’adoption de ladite décision, les prix étaient concurrentiels devait être appréhendé en lien avec l’octroi à Gazprom d’un délai de dix semaines pour modifier tous les contrats et pour introduire une clause de révision des prix dans ceux-ci.

125 De plus, le Tribunal a également apprécié de manière suffisante la manière dont, grâce aux clauses de révision des prix introduites par les engagements, il était possible d’éviter la répétition d’une situation dans laquelle les prix auraient été excessifs.

126 Par conséquent, il y a lieu d’écarter la seconde branche du troisième moyen et, partant, de rejeter ce moyen.

6.   Sur le quatrième moyen

127 Le quatrième moyen est tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

128 Ce moyen comporte deux branches.

a)   Sur la première branche du quatrième moyen

1) Argumentation des parties

129 Par la première branche de son quatrième moyen, Orlen soutient que le Tribunal a fondé la faculté, prévue à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, de rouvrir la procédure sur la violation d’un engagement dont le contenu a été interprété par lui à partir des motifs de la décision litigieuse et non de son dispositif.

130 Il découlerait clairement de cet article 9, paragraphe 2, sous b), que, en cas d’inexécution, par l’entreprise concernée, des engagements qui avaient été acceptés par la Commission, cette dernière est autorisée à rouvrir la procédure. Il serait donc crucial de déterminer sans ambiguïté le contenu de l’engagement en cause.

131 À cet égard, l’interprétation du dispositif de la décision litigieuse devrait consister non pas à compléter le contenu des engagements figurant dans ce dispositif, comme l’aurait fait le Tribunal, mais à interpréter ceux-ci, notamment en cas de doutes quant à l’interprétation littérale dudit dispositif. Cela serait corroboré par la jurisprudence selon laquelle, en principe, un recours doit être dirigé contre le dispositif d’un acte juridique et non contre ses motifs, à moins que le contenu de
ces derniers n’ait une incidence sur la substance de la décision figurant dans le dispositif de cet acte ou constitue le support nécessaire de celui-ci.

132 Or, le Tribunal aurait non seulement interprété le contenu des engagements relatifs aux pratiques tarifaires, faisant partie du dispositif de la décision litigieuse, à la lumière des motifs de celle-ci, mais il aurait également, d’une part, élargi à tort ce contenu en y englobant des éléments qui, de toute évidence, ne figuraient pas dans ce dispositif et, d’autre part, fait état, sur le fondement de cette décision ainsi élargie, de la faculté de rouvrir la procédure, notamment en cas de
non-respect, par les juridictions arbitrales, des données relatives aux « prix plateformes » permettant de définir des prix révisés. La Commission n’ayant pas clairement précisé ce qu’elle entendait par inexécution d’un engagement à la lumière des motifs de réouverture de la procédure, le Tribunal n’aurait pu légalement en tirer un argument en faveur du caractère adéquat de l’engagement en cause.

133 Par ailleurs, la Commission ne serait pas tenue de rouvrir la procédure en cas de violation, par Gazprom, de ses engagements, car elle disposerait, à cet égard, d’un large pouvoir discrétionnaire. Partant, l’argument selon lequel la faculté de rouvrir la procédure dont dispose la Commission en cas de violation de ces engagements prouverait le caractère adéquat de ceux-ci ne serait pas fondé.

134 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

135 Comme cela a déjà été mentionné au point 67 du présent arrêt, le seul fait de rappeler que les engagements sont susceptibles de donner lieu, s’ils ne sont pas respectés par l’entreprise concernée, à une réouverture de la procédure en application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 traduit une volonté non pas de compléter ex post ces engagements, mais de veiller à leur respect. C’est dans le même esprit que le Tribunal a évoqué la possibilité de rouvrir la procédure et d’imposer
une amende, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003, en cas de manquement, par Gazprom, à ses engagements. Il s’agit d’un simple rappel destiné à ce que Gazprom se conforme à ces derniers.

136 Par ailleurs, il est parfaitement logique que le Tribunal ait interprété le contenu du dispositif de la décision litigieuse à la lumière des motifs de celle-ci. Le fait de se fonder sur la motivation de cette décision pour étayer l’interprétation correcte de son dispositif constitue non pas une erreur de droit, mais relève d’une technique interprétative usuelle. Ce faisant, contrairement à ce qu’affirme Orlen, le Tribunal a non pas complété ce dispositif par des éléments qui n’y figuraient pas,
mais l’a seulement interprété à la lumière du contenu de cette motivation. En particulier, le Tribunal s’est borné à expliquer, en réponse aux allégations d’Orlen, ce qu’il convenait d’entendre par l’engagement décrit au point 19, sous iv), des engagements finaux, sans contredire ni aller au-delà du libellé de ce point, mais en se livrant à une interprétation raisonnable de cet engagement sur la base de son contenu et de son objectif.

137 La première branche du quatrième moyen doit donc être écartée.

b)   Sur la seconde branche du quatrième moyen

1) Argumentation des parties

138 Par la seconde branche de son quatrième moyen, Orlen avance l’argument selon lequel le Tribunal a fondé la faculté, prévue à l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003, de rouvrir la procédure en mettant en avant des circonstances sur lesquelles la décision litigieuse n’était pas fondée et qui ne présentaient aucun lien avec l’objet de cette dernière.

139 L’exacte interprétation de cette disposition permettrait à la Commission de rouvrir la procédure lorsque l’un des faits sur lesquels la décision concernée repose subit un changement important. Ladite disposition concernerait donc des faits qui existaient au moment où la Commission a adopté sa décision et qui, de ce fait, avaient été examinés par elle. Or, le Tribunal aurait méconnu cette interprétation en l’appliquant, en particulier, à l’égard de deux types de circonstances.

140 D’une part, le Tribunal aurait considéré que, même si la convergence des prix du gaz et du pétrole était un fait de courte durée, toute absence de convergence à l’avenir constituerait un changement des circonstances existant au moment de l’adoption de la décision litigieuse, qui autoriserait la Commission à agir en vertu de la même disposition.

141 D’autre part, Orlen fait valoir que le Tribunal a également estimé que l’absence de certaines circonstances au moment de l’adoption de cette décision, telles que le caractère non opérationnel du gazoduc Nord Stream 2, l’absence de restrictions d’approvisionnement en gaz de la part de Gazprom ou l’absence de nouvelles conditions à la fourniture du gaz imposées par Gazprom, devait être prise en compte, car, si de tels faits devaient se manifester à l’avenir, ils seraient susceptibles d’entraîner
une réouverture de la procédure par la Commission au titre de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003.

142 Partant, le Tribunal aurait estimé que des événements futurs et indéterminés quant à leur étendue et à leur caractère, qui, par leur nature, ne constituaient pas des faits sous-tendant la décision litigieuse, justifieraient une telle réouverture, ce qui serait contraire à l’interprétation correcte de cette disposition.

143 La Commission conteste cette argumentation.

2) Appréciation de la Cour

144 Ainsi que la Commission l’a fait observer dans son mémoire en réponse, l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 illustre le fait que les engagements approuvés par cette institution n’ont de raison d’être que pour autant que les circonstances ayant mené à leur adoption ne subissent pas de changements substantiels, à défaut de quoi une réouverture de la procédure s’impose, afin d’ajuster les engagements concernés aux nouvelles circonstances.

145 Premièrement, contrairement à ce que soutient Orlen, le Tribunal s’est borné à rappeler, au point 426 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait, le cas échéant, faire usage de la faculté, prévue à cette disposition, de rouvrir la procédure si l’un des faits sur lesquels la décision concernée repose subissait un changement important, notamment en cas d’évolution des marchés gaziers.

146 Deuxièmement, il n’a pas commis d’erreur de droit dans l’interprétation des termes « si l’un des faits sur lesquels la décision repose subit un changement important », figurant à ladite disposition. En particulier, il n’a pas indiqué que tous les événements futurs auxquels se rapportaient les craintes d’Orlen, en particulier concernant le gazoduc Nord Stream 2, constituaient un tel changement.

147 Le Tribunal n’a donc pas élargi de manière excessive le champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1/2003.

148 Il convient, par conséquent, d’écarter la seconde branche du quatrième moyen.

149 Il découle de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter ce moyen et, partant, le pourvoi dans sa totalité.

V. Sur le pourvoi incident

150 Par son pourvoi incident, Overgas demande l’annulation de l’arrêt attaqué.

A. Sur la recevabilité du pourvoi incident

1.   Argumentation des parties

151 Gazprom fait valoir qu’Overgas n’a pas d’intérêt à former le pourvoi incident. En outre, elle ne serait pas directement affectée par l’arrêt attaqué. Par conséquent, ce pourvoi serait irrecevable.

152 D’une part, les engagements finaux ne porteraient pas atteinte aux intérêts économiques ou juridiques d’Overgas. Même si elle reconnaît qu’il devait probablement y avoir de meilleurs engagements, cela ne prouverait pas que les engagements finaux soient préjudiciables à cette dernière.

153 D’autre part, l’invalidation des engagements finaux ne conférerait aucun avantage à Overgas. Au contraire, si ceux-ci avaient dû être invalidés, il n’aurait pas été certain que la Commission aurait rendu obligatoires des engagements plus stricts ou que Gazprom aurait été disposée à en prendre. La simple possibilité hypothétique et théorique de l’existence d’engagements prétendument « meilleurs » ne suffirait pas à établir la recevabilité du pourvoi incident.

154 Dans son mémoire en réplique, Overgas fait valoir que le pourvoi incident est recevable, puisqu’elle est directement affectée, au sens de l’article 56, paragraphe 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par la décision litigieuse. Il serait clairement dans son intérêt économique d’obtenir une décision plus favorable de la Commission, consistant en des mesures juridiques efficaces. Un tel résultat ne pourrait être atteint de jure tant que la décision litigieuse n’est pas
annulée.

155 Orlen conclut également à la recevabilité du pourvoi incident.

2.   Appréciation de la Cour

156 Il suffit de constater que l’intérêt d’Overgas à former le pourvoi incident est établi, même si elle opère sur le marché du gaz en Bulgarie, lequel ne fait pas directement l’objet des engagements finaux rendus obligatoires par la décision litigieuse, étant donné qu’elle était partie intervenante en première instance au soutien des conclusions de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo, et que, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de cette dernière.

B. Sur le fond

157 Overgas soulève deux moyens au soutien du pourvoi incident.

1.   Sur le premier moyen

a)   Argumentation des parties

158 Par son premier moyen, Overgas soutient que le Tribunal a enfreint l’article 40, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 53, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en ce qu’il a considéré que les arguments exposés par Overgas dans son mémoire en intervention étaient irrecevables en tant qu’ils concernaient le système gazier bulgare.

159 Ce serait à tort que le Tribunal aurait considéré que ces arguments excédaient l’objet du litige. Il n’appartiendrait pas au Tribunal, mais au seul requérant, c’est-à-dire, en l’occurrence, à Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo, de déterminer l’objet du litige dans le cadre d’un recours en annulation. Or, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo aurait défini l’objet du litige de manière large, y compris en ce qui concerne les restrictions territoriales. Dès lors, les engagements concernant
la Bulgarie s’y inscriraient. En outre, l’interprétation, par le Tribunal, de l’approche adoptée par Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo, en particulier s’agissant des limitations potentielles de l’objet du litige, serait partiellement contradictoire, dans une large mesure ambiguë et, de manière générale, irréconciliable avec la position claire de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo, telle qu’exposée dans sa requête.

160 Au soutien de cette analyse, Overgas déclare que les moyens avancés en première instance par Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo concernaient un certain nombre de problèmes et d’erreurs mis en évidence dans le contenu de la décision litigieuse, pour lesquels le marché polonais, dont cette dernière société avait une meilleure connaissance, n’était qu’un exemple parmi d’autres, sans que cela implique d’exclure le marché gazier bulgare de l’objet du litige.

161 Orlen estime qu’il convient de faire droit au premier moyen et à la conclusion d’Overgas tendant à ce que l’arrêt attaqué soit annulé dans son intégralité.

162 La Commission, quant à elle, conclut au rejet du premier moyen.

b)   Appréciation de la Cour

163 Tout d’abord, il convient de rappeler que, dans le cadre de l’engagement relatif à la Bulgarie, Gazprom s’est engagée à modifier les contrats de fourniture et de transport de gaz afin de supprimer les obstacles contractuels pour le gestionnaire de réseau de transport bulgare et de mettre ainsi ce réseau en conformité avec les exigences du droit dérivé de l’Union. Ces exigences concernent, notamment, la mise en œuvre d’un système entrée-sortie, la conclusion d’accords d’interconnexion entre
gestionnaires de réseaux de pays voisins et les règles de répartition des volumes de gaz entre plusieurs utilisateurs du réseau aux points d’interconnexion. Lesdites exigences facilitent les échanges transfrontières de gaz, favorisent la concurrence et garantissent l’intégration du marché intérieur.

164 Ensuite, dans sa requête devant le Tribunal, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo n’a fait référence à l’engagement relatif à la Bulgarie qu’une seule fois et n’a avancé aucun moyen portant sur l’adéquation de cet engagement. Bien au contraire, elle a fait valoir que Gazprom aurait dû proposer, et que la Commission aurait dû rendre obligatoire, pour d’autres marchés gaziers dans les PECO, y compris la Pologne, un engagement analogue à celui relatif à la Bulgarie. Ainsi, il n’est pas douteux
que ce dernier engagement excédait l’objet du litige porté devant le Tribunal.

165 Enfin, au point 409 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, certes, a répondu au moyen de Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo portant sur le caractère inadéquat des engagements relatifs aux restrictions territoriales dans leur globalité et a constaté, à cet égard, que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Toutefois, le Tribunal a tenu compte, dans son appréciation, du fait que Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo n’avait nullement contesté le caractère adéquat de
l’engagement relatif à la Bulgarie.

166 Il est donc établi que l’engagement relatif à la Bulgarie ne relevait pas de l’objet du litige tel que délimité dans la requête déposée devant le Tribunal, de telle sorte que c’est à juste titre que ce dernier a jugé que les arguments exposés par Overgas dans son mémoire en intervention étaient irrecevables en tant qu’ils concernaient le système gazier bulgare.

167 Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen.

2.   Sur le second moyen

a)   Argumentation des parties

168 Par son second moyen, Overgas soutient que le Tribunal a violé l’obligation de motivation lui incombant conformément à l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 53, paragraphe 1, de celui-ci.

169 En particulier, le Tribunal n’aurait pas spécifié les modalités de calcul des quatre facteurs limitant le champ d’application des engagements relatifs aux points de livraison, la manière dont il fallait mesurer les effets cumulés de ces quatre facteurs, ni le point de référence utilisé pour parvenir à la conclusion selon laquelle même ces effets cumulés ne se traduisaient pas par une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission au moment de l’acceptation de ces engagements. Le
Tribunal n’aurait fourni aucune explication quant à la méthode qu’il aurait appliquée à cet égard, ni encore moins quant à son application aux circonstances propres à l’espèce.

170 Orlen ne prend pas position s’agissant du second moyen. La Commission estime qu’il est irrecevable, car trop imprécis.

b)   Appréciation de la Cour

171 Il importe de rappeler que l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal lui impose seulement de faire connaître de façon claire et non équivoque le raisonnement qu’il a suivi, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (arrêt du 26 juillet 2017, Staatliche Porzellan-Manufaktur Meissen/EUIPO, C‑471/16 P, EU:C:2017:602, point 28 et jurisprudence citée), mais non de fournir une motivation qui
réponde de manière exhaustive à l’ensemble des arguments avancés par les parties au litige (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Liaño Reig/CRU, C‑947/19 P, EU:C:2021:172, point 27 et jurisprudence citée).

172 En l’occurrence, il résulte notamment des points 77 et 114 du présent arrêt que le Tribunal a contrôlé et motivé son analyse de l’appréciation, par la Commission, des engagements concernant les points de livraison. La circonstance que les passages concernés de l’arrêt attaqué ne sont pas aussi détaillés qu’Overgas l’aurait souhaité ne permet pas d’en conclure que le Tribunal a insuffisamment motivé cet arrêt à cet égard.

173 Il convient donc de rejeter le second moyen et, par voie de conséquence, le pourvoi incident dans son ensemble.

VI. Sur les dépens

174 L’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour prévoit que, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

175 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

176 En l’espèce, Orlen ayant succombé s’agissant du pourvoi, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par Gazprom dans le cadre de ce pourvoi, conformément aux conclusions de ces dernières. Overgas ayant succombé dans son pourvoi incident, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission et par Gazprom dans le cadre de ce pourvoi incident, conformément aux conclusions de ces dernières.

177 Par ailleurs, l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, également rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République de Pologne, partie intervenante en première instance, supportera donc ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés.

  2) Orlen S.A. supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, Gazprom PJSC et Gazprom export LLC dans le cadre du pourvoi.

  3) Overgas Inc. supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne, Gazprom PJSC et Gazprom export LLC dans le cadre du pourvoi incident.

  4) La République de Pologne supporte ses propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-255/22
Date de la décision : 26/09/2024

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Marchés gaziers d’Europe centrale et orientale – Article 102 TFUE – Article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) – Abus de position dominante – Approvisionnement en gaz en amont en Europe centrale et orientale – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 9, paragraphe 1 – Décision de la Commission européenne rendant obligatoires les engagements individuels offerts par une entreprise – Recours en annulation – Adéquation de ces engagements au regard des préoccupations en matière de concurrence identifiées dans la communication des griefs – Nature du contrôle du juge de l’Union – Renonciation de la Commission à exiger des engagements concernant certaines des préoccupations initiales – Principe de bonne administration – Principe de proportionnalité – Obligation de motivation – Objectifs de la politique énergétique de l’Union européenne – Article 194 TFUE – Principe de solidarité énergétique.


Parties
Demandeurs : Orlen S.A., anciennement Polski Koncern Naftowy Orlen S.A., anciennement Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo S.A.
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:790

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