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26/09/2024 | CJUE | N°C-403/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Luxone Srl, agissant pour son propre compte et en qualité de mandataire du GME à constituer avec Iren Smart Solutions SpA et Sofein SpA, anciennement Gi One SpA contre Consip SpA., 26/09/2024, C-403/23


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 47, paragraphe 3 – Article 48, paragraphe 4 – Exclusion de la procédure d’adjudication d’un soumissionnaire – Exclusion de la possibilité de réduire la composition initiale du groupement temporaire d’entreprises ayant présenté une offre – Incompatibilité – Durée de validité d’une offre – Absence de caducité de l’offre arrivée à échéance – Obligation prétorienne de retirer cet

te offre expressément – Perte de la garantie
provisoire accompagnant ladite offre – Application automatique de cette mesure ...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 47, paragraphe 3 – Article 48, paragraphe 4 – Exclusion de la procédure d’adjudication d’un soumissionnaire – Exclusion de la possibilité de réduire la composition initiale du groupement temporaire d’entreprises ayant présenté une offre – Incompatibilité – Durée de validité d’une offre – Absence de caducité de l’offre arrivée à échéance – Obligation prétorienne de retirer cette offre expressément – Perte de la garantie
provisoire accompagnant ladite offre – Application automatique de cette mesure – Article 2 – Principes relatifs à la passation des marchés publics – Principe de proportionnalité – Principe d’égalité de traitement – Obligation de transparence – Violation »

Dans les affaires jointes C‑403/23 et C‑404/23,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décisions du 16 juin 2023, parvenues à la Cour les 30 juin et 3 juillet 2023, dans les procédures

Luxone Srl, agissant pour son propre compte et en qualité de mandataire du groupement temporaire d’entreprises à constituer avec Iren Smart Solutions SpA (C‑403/23),

Sofein SpA, anciennement Gi One SpA (C‑404/23)

contre

Consip SpA,

en présence de :

Elba Compagnia di Assicurazioni e Riassicurazioni SpA,

Sofein SpA, anciennement Gi One SpA (C‑403/23),

Iren Smart Solutions SpA,

Consorzio Stabile Energie Locali Scarl,

City Green Light Srl,

Enel Sole Srl,

Luxone Srl (C‑404/23),

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Luxone Srl, agissant pour son propre compte et en qualité de mandataire du groupement temporaire d’entreprises à constituer avec Iren Smart Solutions SpA, ainsi que pour Sofein SpA, par Me P. Leozappa, avvocato,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. De Curtis, Mme L. Fiandaca et M. D. G. Pintus, avvocati dello Stato,

– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara et G. Wils, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114, et rectificatif JO 2004, L 351, p. 44), de l’article 6 TUE, des articles 49, 50, 54 et 56 TFUE, des articles 16, 49, 50 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »),
ainsi que de l’article 4 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, respectivement, Luxone Srl, agissant pour son propre compte et en qualité de mandataire du groupement temporaire d’entreprises à constituer avec Iren Smart Solutions SpA, dans l’affaire C‑403/23, et Sofein SpA, anciennement Gi One SpA, dans l’affaire C‑404/23, à un même pouvoir adjudicateur, Consip SpA, au sujet des décisions par lesquelles ce dernier a, d’une part, exclu le groupement temporaire d’entreprises, dont Luxone et
Sofein faisaient partie, d’une procédure de passation de marché public et, d’autre part, exécuté la garantie provisoire que les membres de ce groupement avaient constituée en vue de leur participation à cette procédure.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2004/18

3 Les considérants 2 et 32 de la directive 2004/18 énonçaient :

« (2) La passation de marchés conclus dans les États membres pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et d’autres organismes de droit public doit respecter les principes du traité, notamment les principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi que les principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence.
Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, il est recommandé d’élaborer des dispositions en matière de coordination communautaire des procédures nationales de passation de ces marchés qui soient fondées sur ces principes de manière à garantir leurs effets ainsi qu’une mise en concurrence effective des marchés publics. Par conséquent, ces dispositions de coordination devraient être interprétées conformément aux règles et principes précités ainsi qu’aux
autres règles du traité.

[...]

(32) Afin de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises [(PME)] aux marchés publics, il convient de prévoir des dispositions en matière de sous-traitance. »

4 Intitulé « Principes de passation des marchés », l’article 2 de cette directive disposait :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence. »

5 Intitulé « Opérateurs économiques », l’article 4 de ladite directive prévoyait, à son paragraphe 2 :

« Les groupements d’opérateurs économiques sont autorisés à soumissionner ou à se porter candidats. Pour la présentation d’une offre ou d’une demande de participation, les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent exiger que les groupements d’opérateurs économiques aient une forme juridique déterminée, mais le groupement retenu peut être contraint de revêtir une forme juridique déterminée lorsque le marché lui a été attribué, dans la mesure où cette transformation est nécessaire pour la bonne exécution du
marché. »

6 Intitulé « Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire », l’article 45 de la même directive disposait, à son paragraphe 2 :

« Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique :

[...]

c) qui a fait l’objet d’un jugement ayant autorité de chose jugée selon les dispositions légales du pays et constatant un délit affectant sa moralité professionnelle ;

d) qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier ;

[...]

g) qui s’est rendu gravement coupable de fausses déclarations en fournissant les renseignements exigibles en application de la présente section ou qui n’a pas fourni ces renseignements.

Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application du présent paragraphe. »

7 Intitulé « Capacité économique et financière », l’article 47 de la directive 2004/18 prévoyait, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.   Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités à cet effet.

3.   Dans les mêmes conditions un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 4 peut faire valoir les capacités des participants au groupement ou d’autres entités. »

8 Intitulé « Capacités techniques et/ou professionnelles », l’article 48 de cette directive énonçait :

« 1.   Les capacités techniques et/ou professionnelles des opérateurs économiques sont évaluées et vérifiées conformément aux paragraphes 2 et 3.

[...]

3.   Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur que, pour l’exécution du marché, il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités de mettre à la disposition de l’opérateur économique les moyens nécessaires.

4.   Dans les mêmes conditions, un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 4 peut faire valoir les capacités des participants au groupement ou à d’autres entités. »

9 Intitulée « Informations qui doivent figurer dans les avis pour les marchés publics », l’annexe VII A de ladite directive prévoyait, aux points 14 et 21 de sa section consacrée aux « Avis de marché », qu’un avis de marché devait mentionner, respectivement, « [l]e cas échéant, [le] cautionnement et [les] garanties demandés », ainsi que le « [d]élai pendant lequel le soumissionnaire est tenu de maintenir son offre (procédures ouvertes) ».

La directive 2004/17

10 Il découle des articles 3 à 9 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), que cette directive s’appliquait aux marchés publics qui portent sur une ou plusieurs activités dans les domaines suivants : le gaz, la chaleur et l’électricité, l’eau, les services de transport, les services postaux,
l’exploration et l’extraction du pétrole, du gaz, du charbon et d’autres combustibles solides.

11 L’article 11, paragraphe 2, de la directive 2004/17 était libellé dans les mêmes termes que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2004/18, si ce n’est que l’expression « les pouvoirs adjudicateurs » était remplacée par une référence aux « entités adjudicatrices ».

Le droit italien

12 Le decreto legislativo n.°163 – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE (décret législatif no 163, portant code des marchés publics de travaux, de services et de fournitures, en transposition des directives 2004/17/CE et 2004/18/CE), du 12 avril 2006 (GURI no 100, du 2 mai 2006, supplément ordinaire no 107, ci‑après l’« ancien code des contrats publics »), comportait un article 11, intitulé « Étapes des procédures
de passation de marchés », qui disposait, à son paragraphe 6 :

« Un soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre. L’offre engage le soumissionnaire pour la durée indiquée dans l’avis ou dans l’invitation à soumettre une offre et, si aucune durée n’est précisée, durant 180 jours à compter de l’expiration du délai de présentation de l’offre. L’entité adjudicatrice peut demander aux soumissionnaires le report de ce terme. »

13 Intitulé « Groupements temporaires et consortiums ordinaires de concurrents », l’article 37 de l’ancien code des contrats publics prévoyait, à ses paragraphes 8 à 10, 18 et 19 :

« 8.   Les personnes désignées à l’article 34, paragraphe 1, sous d) et e), peuvent présenter une offre même si elles ne sont pas encore constituées. Dans ce cas de figure, l’offre doit être signée par tous les opérateurs économiques qui constitueront les groupements temporaires ou consortiums ordinaires de concurrents et les mêmes opérateurs s’y engageront, en cas d’adjudication du marché, à donner un mandat collectif spécial de représentation à l’un d’entre eux, désigné dans l’offre et qualifié
de mandataire, lequel conclura le contrat en son nom et pour son compte ainsi que pour les mandants.

9.   [...] Sans préjudice des dispositions figurant aux paragraphes 18 et 19, toute modification de la composition des groupements temporaires et des consortiums ordinaires de concurrents par rapport à celle résultant de l’engagement pris au cours de l’appel d’offre est interdite.

10.   Le manquement aux interdictions édictées au paragraphe précédent entraîne l’annulation de l’adjudication ou la nullité du contrat, ainsi que l’exclusion des concurrents réunis en groupement ou consortium ordinaire de concurrents concomitants ou postérieurs des procédures de passation du même marché.

[...]

18.   En cas de faillite du mandataire ou, s’il s’agit d’un entrepreneur individuel, en cas de décès, d’interdiction, d’incapacité ou de faillite de ce dernier, ou dans les cas prévus par la législation antimafia, le pouvoir adjudicateur peut poursuivre le contrat de marché avec un autre opérateur économique désigné “mandataire” selon les modalités prévues par le présent code, pour autant que cet autre opérateur satisfasse aux conditions de qualification afférentes aux travaux, aux services ou
aux fournitures qui restent à exécuter ; en cas de non‑respect de ces conditions, le pouvoir adjudicateur a la faculté de résilier le contrat de marché public.

19.   En cas de faillite d’un des mandants ou, s’il s’agit d’un entrepreneur individuel, en cas de décès, d’interdiction, d’incapacité ou de faillite de ce dernier, ou dans les cas prévus par la législation antimafia, le mandataire est tenu, s’il ne désigne pas un autre opérateur économique qui satisfait aux exigences d’aptitude prescrites pour remplacer le précédent, d’assurer l’exécution du marché soit directement soit par l’intermédiaire des autres mandants, pour autant que ces derniers
satisfassent aux conditions de qualification afférentes aux travaux, aux services ou aux fournitures qui restent à exécuter. »

14 Intitulé « Conditions générales », l’article 38 de ce code comportait un paragraphe 1, sous f), libellé comme suit :

« Est exclue de la participation aux procédures d’adjudication des concessions et des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, ne peut pas se voir attribuer de marchés de sous-traitance et ne peut pas conclure de contrats qui y sont afférents, toute personne :

[...]

f) qui, selon l’appréciation motivée du pouvoir adjudicateur, s’est rendue coupable de grave négligence ou de mauvaise foi dans l’exécution des prestations qui lui ont été attribuées par le pouvoir adjudicateur ayant publié l’avis de marché, ou qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont le pouvoir adjudicateur pourra justifier [...] »

15 Intitulé « Vérification du respect des conditions », l’article 48 dudit code énonçait, à son paragraphe 1 :

« Les pouvoirs adjudicateurs demandent, avant l’ouverture des enveloppes des offres présentées, à un nombre de soumissionnaires au moins égal à 10 % des offres présentées, arrondi au nombre immédiatement supérieur, choisis par tirage au sort public, de prouver, dans un délai de dix jours à compter de la date de cette demande, qu’ils satisfont aux exigences de capacité économique, financière et technique/organisationnelle éventuellement prévues dans l’avis de marché, en produisant les documents
indiqués dans cet avis ou dans la lettre d’invitation. Les pouvoirs adjudicateurs, lors du contrôle, vérifient que les soumissionnaires remplissent les conditions de qualification pour l’exécution des travaux au moyen du registre informatisé visé à l’article 7, paragraphe 10, ou au moyen du site Internet du ministère des Infrastructures et des Transports, pour les marchés confiés à des entrepreneurs généraux, pour les fournisseurs et les prestataires de services, la vérification du respect de
l’exigence visée à l’article 42, paragraphe 1, sous a), du présent code, est effectuée au moyen de la base de données nationale des marchés publics visée à l’article 6 bis du présent code. Si cette preuve n’est pas fournie, ou si elle ne confirme pas les déclarations figurant dans la demande de participation ou dans l’offre, les pouvoirs adjudicateurs procèdent à l’exclusion du concurrent de l’appel d’offres, à l’exécution de la garantie provisoire qui y est afférente et au signalement de ce fait
à l’autorité pour les mesures visées à l’article 6, paragraphe 11. L’autorité procède également à la suspension, pour un à douze mois, [du droit à] la participation aux procédures d’adjudication. »

16 Aux termes de l’article 75 du même code, intitulé « Garanties accompagnant l’offre » :

« 1.   L’offre est accompagnée d’une garantie, égale à deux pour cent du prix de base indiqué dans l’avis de marché ou dans l’invitation, sous forme de dépôt ou de cautionnement, au choix du soumissionnaire. [...]

[...]

6.   La garantie couvre le défaut de signature du contrat dû au fait de l’attributaire et elle est automatiquement libérée à la signature du contrat.

[...]

9.   Le pouvoir adjudicateur, dans l’acte par lequel il communique l’attribution du marché aux soumissionnaires non retenus, procède en même temps pour ces derniers à la levée de la garantie visée au paragraphe 1, sans retard et en tout cas dans un délai n’excédant pas trente jours à compter de l’attribution du marché, même lorsque la garantie est toujours en cours de validité. »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

17 Par un avis publié le 21 décembre 2015, Consip a lancé un appel d’offres ouvert en vue de la passation d’un marché divisé en douze lots et destiné à la fourniture d’un service d’éclairage ainsi que de services connexes et optionnels.

18 Un groupement temporaire d’entreprises à constituer, dont Luxone était le chef de file (ci-après le « GTE Luxone »), a présenté une offre pour quatre de ces douze lots. Ce groupement comprenait également Consorzio Stabile Energie Locali Scarl (ci-après « CSEL »), Iren Servizi e Innovazione SpA (devenue Iren Smart Solutions), Gestione Integrata Srl et Exitone SpA.

19 Par une lettre du 28 septembre 2018, Gi One, devenue Sofein, a demandé à Consip de prendre acte du fait qu’elle succédait à Exitone et à Gestione Integrata « dans tous leurs droits et obligations ».

20 Bien que Consip se soit réservée le droit, lors de l’ouverture de la procédure de contrôle des anomalies des offres, d’apprécier si Exitone satisfaisait sans interruption aux conditions d’ordre général prévues à l’article 38 de l’ancien code des contrats publics, elle n’a pas ouvert de procédure subséquente.

21 La procédure de passation du marché en cause au principal, qui devait s’achever au plus tard le 18 avril 2017, a fait l’objet de huit prorogations ayant pour « finalité d’assurer à Consip le temps nécessaire pour achever la procédure ». Chacune de ces prorogations a entraîné la nécessité, d’une part, de confirmer les offres arrivées, entre-temps, à échéance et, d’autre part, de prolonger les garanties provisoires accompagnant ces offres.

22 À la suite de la formulation, le 2 mars 2020, de la septième demande de confirmation de ces offres, les membres du GTE Luxone ont informé Consip, par une lettre du 30 mars 2020, que Luxone et Iren Smart Solutions confirmaient les offres qu’elles avaient présentées antérieurement, contrairement à Sofein et à CSEL. En substance, ces dernières indiquaient que, compte tenu de la longueur des opérations préparatoires à l’attribution du marché en cause au principal, les offres formulées au cours de
l’année 2016 « ne [seraient] désormais plus viables du point de vue commercial ni de celui d’une bonne et prudente gestion des entreprises ».

23 Par une lettre du 9 juin 2020, Consip a demandé, pour la huitième fois, à tous les membres du GTE Luxone leur confirmation de l’offre qui était arrivée à échéance, ainsi que la prolongation de la validité de la garantie provisoire qui y était relative jusqu’au 30 novembre 2020.

24 Par une lettre du 18 juin 2020, à laquelle Consip n’a pas répondu, Luxone et Iren Smart Solutions ont réitéré leurs offres, tout en rappelant que, de leur côté, Sofein et CSEL ne souhaitaient pas confirmer les leurs.

25 Par une lettre du 30 septembre 2020, Consip a ouvert une procédure afin de vérifier que la condition prévue à l’article 38, paragraphe 1, sous f), de l’ancien code des contrats publics était respectée et d’évaluer la légalité du retrait de Sofein et de CSEL. Consip considérait, en effet, que, à défaut d’avoir confirmé leurs offres, ces deux sociétés se seraient illégalement « retirées » du GTE Luxone.

26 Par une décision du 11 novembre 2020 (ci-après la « décision d’exclusion du 11 novembre 2020 »), Consip a exclu le GTE Luxone de la procédure de passation du marché en cause au principal.

27 En premier lieu, Consip relevait que l’article 11, paragraphe 6, de l’ancien code des contrats publics conférait au seul soumissionnaire, soit, en l’occurrence, le GTE Luxone dans son ensemble, le droit de se délier de l’offre après l’écoulement d’un certain délai. Ce droit ne saurait, par conséquent, être exercé par une partie seulement des membres de ce groupement.

28 En deuxième lieu, Consip faisait, plus spécifiquement, grief à Sofein de s’être retirée dudit groupement afin de contourner l’article 38, paragraphe 1, de ce code. En effet, en vertu de cette disposition, Sofein aurait dû être exclue de la procédure de passation du marché en cause au principal, en raison des comportements des deux sociétés auxquelles elle avait succédé qui étaient de nature à affecter sa fiabilité et dont elle devait répondre. Consip reprochait également à Sofein des conduites
pénalement répréhensibles.

29 En troisième lieu, Consip alléguait un prétendu « défaut de moralité professionnelle » de Luxone, dont témoigneraient le renvoi en jugement pour obstruction aux procédures publiques d’appels d’offres et le jugement rendu le 14 juillet 2020 par le Tribunale di Messina (tribunal de Messine, Italie) à l’encontre du président, jusqu’au 22 juillet 2019, de la société à laquelle Luxone a succédé.

30 En quatrième lieu, Consip faisait grief à CSEL de s’être retirée du GTE Luxone afin, en substance, de dissimuler que cette société ne remplissait pas les conditions prévues et qu’elle ne disposait pas des moyens nécessaires pour l’exécution du marché en cause au principal.

31 Par une décision du 12 novembre 2020, Consip a ordonné l’exécution des garanties provisoires, d’un montant total de 2950000 euros, qui avaient été constituées pour les quatre lots pour lesquels le GTE Luxone avait soumissionné.

32 En réponse aux décisions de Consip des 11 et 12 novembre 2020, CSEL a prétendu, par une lettre du 20 novembre 2020, avoir rempli continument toutes les conditions prévues pour participer à la procédure en cause au principal. Par ailleurs, l’absence de confirmation par CSEL de l’offre, qui ne pouvait être qualifiée de retrait du GTE Luxone, s’inscrirait dans le cadre d’une réorganisation globale de l’entreprise.

33 Par une lettre du 10 décembre 2020, Consip a confirmé la décision d’exclusion du 11 novembre 2020.

34 Luxone, agissant pour son propre compte et en qualité de mandataire du GTE Luxone, et Sofein ont vainement contesté, par deux recours distincts, devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) la décision d’exclusion du 11 novembre 2020 et la décision du 12 novembre 2020. Aussi, ont-t-elle interjeté appel des jugements de ce tribunal devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui est la juridiction de renvoi.

35 Cette dernière juridiction indique avoir ordonné le sursis à l’exécution des garanties provisoires, en raison notamment de l’importance de leur montant total.

36 Cette juridiction estime opportun, avant même d’examiner les recours en ce qu’ils sont dirigés contre la décision d’exclusion du 11 novembre 2020, d’évaluer la compatibilité avec le droit de l’Union de l’article 11, paragraphe 6, de l’ancien code des contrats publics, qui est interprété par les juridictions administratives italiennes en ce sens que l’absence de confirmation d’une offre ou la confirmation seulement partielle de celle-ci, au moment où cette offre arrive à échéance et perd son
caractère contraignant pour le soumissionnaire concerné, est assimilée au retrait du groupement temporaire d’entreprises qui l’avait présentée.

37 En cas de retrait de certains membres d’un tel groupement, ladite juridiction considère que l’article 11, paragraphe 6, l’article 37, paragraphes 8 à 10, 18 et 19, ainsi que l’article 38, paragraphe 1, sous f), de ce code imposaient au pouvoir adjudicateur d’exclure les opérateurs réunis au sein de ce groupement, compte tenu de l’interdiction de modifier la composition de celui-ci. Les seules exceptions au principe d’immutabilité d’un groupement temporaire d’entreprises auraient été énoncées à
l’article 37, paragraphes 18 et 19, dudit code.

38 La raison d’être de la règle figurant à l’article 11, paragraphe 6, de l’ancien code des contrats publics aurait été d’assurer le maintien de l’offre présentée pendant toute la durée prévisible de la procédure de passation de marché public et non d’en limiter l’effet dans le temps. Pour le Consiglio di Stato (Conseil d’État), cette disposition ne signifiait pas que cette offre devenait caduque de plein droit une fois le délai écoulé, mais seulement que le soumissionnaire concerné pouvait s’en
délier, sous réserve de se prévaloir expressément de cette faculté. En outre, le principe d’immutabilité subjective d’un groupement temporaire d’entreprises se serait appliqué même dans les cas où ce groupement n’était pas encore formellement constitué.

39 Par ailleurs, en l’occurrence, l’exclusion du GTE Luxone de la procédure de passation du marché en cause au principal serait également justifiée par l’attitude de Sofein qui aurait tenté, en se retirant de ce groupement, d’échapper au contrôle de sa « fiabilité morale » qui avait été annoncé. Or, il ressortirait de la jurisprudence du Consiglio di Stato (Conseil d’État) que le retrait d’un des membres d’un groupement doit être dicté par des nécessités d’organisation propres à l’association
temporaire d’entreprises ou au consortium.

40 La juridiction de renvoi estime que les dispositions contestées de l’ancien code des contrats publics sont compatibles avec l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2004/18, de même qu’avec l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2004/17, lequel est libellé de façon similaire.

41 Luxone et Sofein critiquent toutefois la jurisprudence du Consiglio di Stato (Conseil d’État) en ce qu’elle contraint, en pratique, les membres d’un groupement temporaire d’entreprises à rester liés par leur offre pour une durée indéfinie, y compris lorsque cette offre contraignante est venue à échéance plusieurs fois. Une telle interprétation heurterait le principe de la liberté d’entreprise garanti à l’article 16 de la Charte, les principes de proportionnalité et de concurrence, ainsi que la
liberté d’établissement et la libre prestation des services consacrées aux articles 49, 50, 54 et 56 TFUE.

42 La juridiction de renvoi reconnaît que, tout particulièrement dans des procédures qui se prolongent significativement dans le temps, l’interdiction pour un membre d’un tel groupement de se délier de l’offre présentée venue une nouvelle fois à échéance, sous peine d’exclusion de ce groupement dans son ensemble, paraît disproportionnée pour garantir le sérieux de cette offre, à tout le moins lorsque les opérateurs économiques ayant confirmé ladite offre demeurent en mesure de satisfaire eux-mêmes à
la totalité des conditions de participation à la procédure de passation de marché public. Or, conformément à l’article 2 de la directive 2004/18, lu en combinaison avec le considérant 2 de celle-ci, les mesures adoptées par les États membres ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

43 Par ailleurs, Luxone et Sofein soutiennent que l’illégalité de la décision du 12 novembre 2020, portant exécution des garanties provisoires, découle de celle de la décision d’exclusion du 11 novembre 2020, ainsi que de vices qui lui sont propres. L’exécution de ces garanties ne pourrait, en effet, intervenir que dans les deux hypothèses respectivement prévues à l’article 48, paragraphe 1, et à l’article 75, paragraphe 6, de l’ancien code des contrats publics, à savoir lorsque le concurrent
faisant l’objet de la vérification ne prouvait pas qu’il satisfaisait « aux exigences de capacité économique, financière et technique/organisationnelle » et lorsqu’un contrat n’était pas signé en raison du « fait de l’attributaire ». Or, les litiges au principal ne relèveraient d’aucune de ces deux hypothèses.

44 En dépit du fait que la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) a conclu, dans son arrêt no 198, du 26 juillet 2022, que l’exécution d’une garantie n’avait pas le caractère de sanction pénale, la juridiction de renvoi considère, à l’instar de Luxone et de Sofein, que, en raison de l’ampleur du « sacrifice patrimonial » qui est imposé à ces sociétés, l’exécution automatique des garanties provisoires présenterait à l’égard desdites sociétés les caractéristiques d’une telle sanction.

45 À cet égard, l’article 49, paragraphe 3, de la Charte préciserait que « [l]’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction ». De même, l’article 1er du protocole additionnel no 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé à Paris le 20 mars 1952, et l’article 17 de la Charte auraient été interprétés comme visant à garantir le respect de la proportionnalité entre le comportement adopté et la sanction
infligée, en interdisant de restreindre sans raison le droit de propriété et, partant, en évitant un « sacrifice excessif et disproportionné » à l’objectif poursuivi. Le principe de proportionnalité serait également exprimé de manière générale au considérant 2 de la directive 2004/18.

46 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La directive [2004/18], les articles 16 et 52 de la [Charte] et les principes de proportionnalité, de concurrence, de liberté d’établissement et de libre prestation des services consacrés aux articles 49, 50, 54 et 56 TFUE s’opposent-ils à des dispositions nationales [article 11, paragraphe 6, article 37, paragraphes 8, 9, 10, 18 et 19, et article 38, paragraphe 1, sous f), de l’ancien code des contrats publics] qui, dans le cas où le délai de validité de l’offre présentée à l’origine par un
groupement temporaire d’entreprises à constituer vient à échéance, excluent la possibilité de réduire la composition originaire du groupement lors de la prorogation de la validité de cette offre ? En particulier, ces dispositions nationales sont-elles compatibles avec les principes généraux du droit de l’Union de la liberté d’initiative économique et de l’effet utile ainsi qu’avec l’article 16 de la [Charte] ?

2) La directive [2004/18], les articles 16, 49, 50 et 52 de la [Charte], l’article 4 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 6 TUE, les principes de proportionnalité, de concurrence, de liberté d’établissement et de libre prestation des services consacrés aux articles 49, 50, 54 et 56 TFUE s’opposent-ils à des dispositions nationales [article 38, paragraphe 1, sous f), et articles 48 et 75 de l’ancien code des
contrats publics] qui prévoient l’application de la sanction de l’exécution d’une garantie provisoire comme conséquence automatique de l’exclusion d’un opérateur économique d’une procédure d’attribution d’un marché public de services, de surcroît indépendamment du fait que le service en cause ait été attribué ou non à cet opérateur ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

47 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence
dans l’énoncé de sa question. En effet, la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de
l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1990, SARPP, C‑241/89, EU:C:1990:459, point 8 et du 5 décembre 2023, Nordic Info, C‑128/22, EU:C:2023:951, point 99 et jurisprudence citée).

48 En l’occurrence, le marché en cause au principal ne porte pas sur une ou plusieurs des activités mentionnées aux articles 3 à 9 de la directive 2004/17 auxquelles celle-ci s’applique. Il convient donc de considérer que ce marché entre dans le champ d’application de la directive 2004/18.

49 Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 47, paragraphe 3, et l’article 48, paragraphe 4, de la directive 2004/18, lus en combinaison avec le principe général de proportionnalité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale excluant la possibilité, pour des membres originaires d’un groupement temporaire d’entreprises soumissionnaire, de se retirer de ce
groupement, lorsque le délai de validité de l’offre présentée par ledit groupement vient à échéance et que le pouvoir adjudicateur sollicite la prorogation de la validité des offres qui lui ont été soumises.

50 D’emblée, il convient de rappeler que l’article 47, paragraphe 2, et l’article 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 confèrent à un opérateur économique le droit de faire valoir, d’une part, les capacités économiques et financières et, d’autre part, les capacités techniques et/ou professionnelles des participants au groupement ou d’autres entités, à condition de prouver au pouvoir adjudicateur que le groupement disposera des moyens nécessaires pour l’exécution du marché. Cette directive
permet ainsi le cumul des capacités de plusieurs opérateurs économiques en vue de satisfaire aux exigences minimales de capacité fixées par le pouvoir adjudicateur, sous réserve que le candidat ou le soumissionnaire, qui se prévaut des capacités d’une ou de plusieurs autres entités, prouve au pouvoir adjudicateur qu’il disposera effectivement des moyens de ces dernières qui sont nécessaires à l’exécution du marché. Une telle interprétation est conforme à l’objectif d’ouverture des marchés publics
à la concurrence la plus large possible que poursuivent les directives en la matière au bénéfice non seulement des opérateurs économiques, mais également des pouvoirs adjudicateurs. Elle est également de nature à faciliter l’accès des PME aux marchés publics, ce à quoi tend également la directive 2004/18, ainsi que l’énonce son considérant 32 (voir, en ce sens, arrêts du 10 octobre 2013, Swm Costruzioni 2 et Mannocchi Luigino, C‑94/12, EU:C:2013:646, points 29, 33 et 34, ainsi que du 2 juin 2016,
Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, points 25 à 27).

51 Il ressort également de l’article 47, paragraphe 3, et de l’article 48, paragraphe 4, de ladite directive qu’un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 4 de la même directive peut, dans les mêmes conditions, faire valoir les capacités des participants au groupement ou d’autres entités.

52 Cela étant, ni l’article 47, paragraphe 3, ni l’article 48, paragraphe 4, de la directive 2004/18 ne prévoient de règles concernant spécifiquement les modifications survenues quant à la composition d’un groupement d’opérateurs économiques soumissionnaire, de sorte que la réglementation d’une telle situation relève de la compétence des États membres (voir, par analogie, arrêt du 24 mai 2016, MT Højgaard et Züblin, C‑396/14, EU:C:2016:347, point 35).

53 En l’occurrence, il résulte de l’article 37, paragraphes 9, 10, 18 et 19, de l’ancien code des contrats publics que, sauf en cas de faillite du chef de file ou d’un membre d’un groupement temporaire d’entreprises, toute modification affectant la composition originaire d’un tel groupement était interdite, sous peine d’entraîner l’exclusion de l’ensemble des membres de ce groupement de la procédure de passation de marché public.

54 Cette interdiction de modifier la composition d’un groupement temporaire d’entreprises doit toutefois être appréciée au regard des principes généraux du droit de l’Union, notamment du principe d’égalité de traitement, de l’obligation de transparence qui découle de ce dernier et du principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2016, MT Højgaard et Züblin, C‑396/14, EU:C:2016:347, point 36).

55 Ce dernier principe, qui est rappelé au considérant 2 de la directive 2004/18, requiert que les règles établies par les États membres ou les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de ladite directive n’aillent pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés par la même directive (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2008, Michaniki, C‑213/07, EU:C:2008:731, point 48 et du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras,
C‑927/19, EU:C:2021:700, point 155).

56 Le principe d’égalité de traitement accorde aux soumissionnaires les mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres, ce qui implique que ces offres soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires. L’obligation de transparence, qui en constitue le corollaire, a pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Cette obligation implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution
soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (voir, en ce sens, arrêts
du 6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda, C‑42/13, EU:C:2014:2345, point 44 et du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 36).

57 Les principes de transparence et d’égalité de traitement qui régissent toutes les procédures de passation de marchés publics exigent que les conditions de fond et de procédure concernant la participation à un marché soient clairement définies au préalable et rendues publiques, en particulier les obligations pesant sur les soumissionnaires, afin que ceux‑ci puissent connaître exactement les contraintes de la procédure et être assurés du fait que les mêmes exigences valent pour tous les concurrents
(voir, en ce sens, arrêts du 9 février 2006, La Cascina e.a., C‑226/04 et C‑228/04, EU:C:2006:94, point 32, ainsi que du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 37).

58 À cet égard, le point 21 de l’annexe VII A de la directive 2004/18 prévoit que le « [d]élai pendant lequel le soumissionnaire est tenu de maintenir son offre (procédures ouvertes) » fait partie intégrante des informations qui doivent figurer dans les avis de marchés.

59 Or, en premier lieu, il découle de l’arrêt du 24 mai 2016, MT Højgaard et Züblin (C‑396/14, EU:C:2016:347, points 44 et 48) que l’article 47, paragraphe 3, et l’article 48, paragraphe 4, de la directive 2004/18 doivent être interprétés en ce sens que des membres d’un groupement temporaire d’entreprises peuvent, sans méconnaître le principe d’égalité de traitement, se retirer de ce dernier, pourvu qu’il soit établi, d’une part, que les membres restants de ce groupement satisfont aux conditions de
participation à la procédure de passation de marché public définies par le pouvoir adjudicateur et, d’autre part, que la continuation de leur participation à cette procédure n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

60 Dès lors, en imposant strictement le maintien de l’identité juridique et matérielle d’un groupement temporaire d’entreprises, l’article 37, paragraphes 9, 10, 18 et 19, de l’ancien code des contrats publics porte manifestement atteinte au principe de proportionnalité.

61 Il en va d’autant plus ainsi qu’aucune dérogation n’est prévue dans l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur sollicite, à plusieurs reprises, le report de la date de validité des offres. Or, un tel report exige de l’ensemble des membres d’un groupement temporaire d’entreprises, d’une part, d’immobiliser certaines ressources, aussi bien en personnels qu’en matériels, dans la perspective d’une attribution éventuelle du marché en cause et, d’autre part, de proroger la garantie provisoire constituée,
ce qui peut représenter une charge importante, en particulier pour une PME.

62 En second lieu, il découle de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi interprétait l’article 11, paragraphe 6, de l’ancien code des contrats publics en ce sens qu’il n’entraînait pas la caducité de plein droit de l’offre une fois écoulé le délai indiqué dans l’offre. Partant, le soumissionnaire devait se prévaloir expressément de la faculté de se délier de son offre. Il ressort également de la demande de décision préjudicielle que la précision selon laquelle le retrait
d’un membre d’un groupement temporaire d’entreprises devait être dicté par des nécessités d’organisation propres à ce groupement résulte uniquement de la jurisprudence de la juridiction de renvoi.

63 Or, la Cour a jugé, à plusieurs reprises, qu’une situation dans laquelle les conditions de la participation à une procédure de passation d’un marché public découlent de l’interprétation jurisprudentielle du droit national est particulièrement préjudiciable pour les soumissionnaires établis dans d’autres États membres, dans la mesure où leur niveau de connaissance de ce droit national et de son interprétation ne peut être comparé à celui des soumissionnaires de l’État membre concerné (arrêt du
2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 46 et ordonnance du 13 juillet 2017, Saferoad Grawil et Saferoad Kabex, C‑35/17, EU:C:2017:557, point 22).

64 Enfin, dans la mesure où il a également été reproché aux deux sociétés qui ont refusé de renouveler leur offre d’avoir cherché à contourner le contrôle du respect des critères de sélection et, partant, à échapper à une exclusion de la procédure de passation du marché en cause au principal, il convient d’ajouter que, si le pouvoir adjudicateur peut, à tout moment, vérifier la fiabilité des membres d’un groupement temporaire d’entreprises et, à ce titre, s’assurer que ceux-ci ne sont pas visés par
une des causes d’exclusion d’une procédure de passation de marché énumérées à l’article 45 de la directive 2004/18, il lui appartient de veiller, dans le cadre de cette appréciation, à respecter le principe de proportionnalité, tel que défini au point 55 du présent arrêt.

65 Dès lors, lorsqu’il applique des motifs facultatifs d’exclusion d’une procédure de passation de marché public, un pouvoir adjudicateur doit accorder une attention d’autant plus importante à ce principe que l’exclusion prévue par la réglementation nationale frappe l’ensemble d’un groupement d’opérateurs économiques non pas pour un manquement imputable à l’ensemble de ses membres, mais pour un manquement qui a été commis par un ou plusieurs d’entre eux seulement et sans que le chef de file de ce
groupement ait disposé d’un quelconque pouvoir de contrôle vis-à-vis du ou des opérateur(s) économique(s) avec le(s)quel(s) il entendait constituer un tel groupement (voir, par analogie, arrêts du 30 janvier 2020, Tim, C‑395/18, EU:C:2020:58, point 48, et du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, point 156).

66 Le principe de proportionnalité impose, en effet, au pouvoir adjudicateur de se livrer à une appréciation concrète et individualisée de l’attitude de l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2012, Forposta et ABC Direct Contact, C‑465/11, EU:C:2012:801, point 31). À ce titre, le pouvoir adjudicateur doit prendre en compte les moyens que le soumissionnaire avait à sa disposition pour vérifier l’existence d’un manquement à l’égard de l’entité aux capacités desquelles il entendait
recourir (arrêts du 3 juin 2021, Rad Service e.a., C‑210/20, EU:C:2021:445, point 40, ainsi que du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, point 157).

67 Dans ces conditions, l’article 47, paragraphe 3, et l’article 48, paragraphe 4, de la directive 2004/18, lus en combinaison avec le principe général de proportionnalité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale excluant la possibilité, pour des membres originaires d’un groupement temporaire d’entreprises soumissionnaire, de se retirer de ce groupement, lorsque le délai de validité de l’offre présentée par ledit groupement vient à échéance et que le
pouvoir adjudicateur sollicite la prorogation de la validité des offres qui lui ont été soumises, pour autant qu’il soit établi, d’une part, que les membres restants du même groupement satisfont aux exigences définies par le pouvoir adjudicateur et, d’autre part, que la continuation de leur participation à la procédure de passation en question n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

Sur la seconde question

68 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, ainsi que l’obligation de transparence, tels qu’énoncés à l’article 2 et au considérant 2 de la directive 2004/18, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant l’exécution automatique de la garantie provisoire constituée par un soumissionnaire à la suite de l’exclusion de celui-ci d’une procédure d’attribution
d’un marché public de services, alors même que le service en cause ne lui a pas été attribué.

69 À cet égard, ainsi qu’il résulte des points 61 et 62 de l’arrêt du 28 février 2018, MA.T.I. SUD et Duemme SGR (C‑523/16 et C‑536/16, EU:C:2018:122), la préfixation par le pouvoir adjudicateur du montant de la garantie provisoire à constituer dans l’avis de marché répond, certes, aux exigences découlant des principes d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, de transparence et de sécurité juridique, en ce qu’elle permet objectivement d’éviter tout traitement discriminatoire ou arbitraire
de ces derniers par ce pouvoir adjudicateur. Néanmoins, l’exécution automatique de cette garantie ainsi préfixée, indépendamment de la nature des régularisations éventuellement opérées par le soumissionnaire négligent et, partant, en l’absence de toute motivation individualisée n’apparaît pas compatible avec les exigences découlant du respect du principe de proportionnalité.

70 De même, si l’exécution de ladite garantie constitue un moyen approprié en vue de réaliser les objectifs légitimes poursuivis par l’État membre concerné, tenant à la nécessité, d’une part, de responsabiliser les soumissionnaires dans la présentation de leurs offres et, d’autre part, de compenser la charge financière que représente pour le pouvoir adjudicateur le contrôle de la régularité des offres, le montant qu’elle atteint dans une situation telle que celle en cause au principal apparaît
manifestement excessif au regard du déroulement de la procédure de marché en cause (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2018, MA.T.I. SUD et Duemme SGR, C‑523/16 et C‑536/16, EU:C:2018:122, points 63 et 64).

71 Dès lors, il y a lieu de considérer que les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, ainsi que l’obligation de transparence, tels qu’énoncés à l’article 2 et au considérant 2 de la directive 2004/18, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant l’exécution automatique de la garantie provisoire constituée par un soumissionnaire à la suite de l’exclusion de celui-ci d’une procédure d’attribution d’un marché public de services, alors
même que le service en cause ne lui a pas été attribué.

Sur les dépens

72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 47, paragraphe 3, et l’article 48, paragraphe 4, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, lus en combinaison avec le principe général de proportionnalité,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale excluant la possibilité, pour des membres originaires d’un groupement temporaire d’entreprises soumissionnaire, de se retirer de ce groupement, lorsque le délai de validité de l’offre présentée par ledit groupement vient à échéance et que le pouvoir adjudicateur sollicite la prorogation de la validité des offres qui lui ont été soumises, pour autant qu’il soit établi, d’une part, que les membres restants du même groupement satisfont aux exigences
définies par le pouvoir adjudicateur et, d’autre part, que la continuation de leur participation à la procédure de passation en question n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

  2) Les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, ainsi que l’obligation de transparence, tels qu’énoncés à l’article 2 et au considérant 2 de la directive 2004/18,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant l’exécution automatique de la garantie provisoire constituée par un soumissionnaire à la suite de l’exclusion de celui-ci d’une procédure d’attribution d’un marché public de services, alors même que le service en cause ne lui a pas été attribué.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-403/23
Date de la décision : 26/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/18/CE – Article 47, paragraphe 3 – Article 48, paragraphe 4 – Exclusion de la procédure d’adjudication d’un soumissionnaire – Exclusion de la possibilité de réduire la composition initiale du groupement temporaire d’entreprises ayant présenté une offre – Incompatibilité – Durée de validité d’une offre – Absence de caducité de l’offre arrivée à échéance – Obligation prétorienne de retirer cette offre expressément – Perte de la garantie provisoire accompagnant ladite offre – Application automatique de cette mesure – Article 2 – Principes relatifs à la passation des marchés publics – Principe de proportionnalité – Principe d’égalité de traitement – Obligation de transparence – Violation.


Parties
Demandeurs : Luxone Srl, agissant pour son propre compte et en qualité de mandataire du GME à constituer avec Iren Smart Solutions SpA et Sofein SpA, anciennement Gi One SpA
Défendeurs : Consip SpA.

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:805

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