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26/09/2024 | CJUE | N°C-794/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, République fédérale d'Allemagne contre Commission européenne., 26/09/2024, C-794/21


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la République fédérale d’Allemagne en faveur de grands consommateurs d’électricité – Exonération des redevances de réseau pour la période 2012-2013 – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Délai de recours – Recevabilité – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Ressources d’État – Taxe par

afiscale ou autres prélèvements obligatoires »

Dans les affaires jointes C‑794/21 P et C‑800/21 P,

ayant pour objet deux pourvois au t...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la République fédérale d’Allemagne en faveur de grands consommateurs d’électricité – Exonération des redevances de réseau pour la période 2012-2013 – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Délai de recours – Recevabilité – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Ressources d’État – Taxe parafiscale ou autres prélèvements obligatoires »

Dans les affaires jointes C‑794/21 P et C‑800/21 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits respectivement les 16 et 17 décembre 2021,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

partie requérante dans l’affaire C‑794/21 P,

les autres parties à la procédure étant :

Infineon Technologies Dresden GmbH & Co. KG, établie à Dresde (Allemagne),

Infineon Technologies AG, établie à Neubiberg (Allemagne),

représentées par Mes L. Assmann et M. Peiffer, Rechtsanwälte,

parties demanderesses en première instance,

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann, MM. C. Kovács et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

et

Infineon Technologies AG, établie à Neubiberg,

Infineon Technologies Dresden GmbH & Co. KG, établie à Dresde,

représentées par Mes L. Assmann et M. Peiffer, Rechtsanwälte,

parties requérantes dans l’affaire C‑800/21 P,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann, MM. C. Kovács et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents, assistés de Me H. Heinrich, Rechtsanwalt,

partie défenderesse en première instance,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Piçarra, N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 juin 2023,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 9 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi dans l’affaire C‑794/21 P, la République fédérale d’Allemagne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2021, Infineon Technologies Dresden et Infineon Technologies/Commission(T‑233/19 et T‑234/19, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:647), par lequel celui-ci a rejeté les recours d’Infineon Technologies Dresden GmbH & Co. KG et d’Infineon Technologies AG (ci-après, ensemble, les « sociétés Infineon ») tendant à l’annulation de la décision (UE)
2019/56 de la Commission, du 28 mai 2018, relative à l’aide d’État SA.34045 (2013/C) (ex 2012/NN) accordée par l’Allemagne aux consommateurs de charge en continu au sens de l’article 19 du règlement StromNEV (JO 2019, L 14, p. 1, ci‑après la « décision litigieuse »).

2 Par leur pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P, les sociétés Infineon demandent l’annulation de l’arrêt attaqué.

3 Par ses pourvois incidents, formés dans chacune des affaires C‑794/21 P et C‑800/21 P, la Commission européenne demande également l’annulation de l’arrêt attaqué.

Le cadre juridique

4 Le considérant 39 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), énonce :

« Il importe, aux fins de la transparence et de la sécurité juridique, d’assurer la publicité des décisions de la Commission, tout en maintenant le principe selon lequel les décisions en matière d’aides d’État sont adressées à l’État membre concerné. Il convient, par conséquent, de publier toutes les décisions qui sont de nature à affecter les intérêts des parties intéressées, soit intégralement, soit sous forme résumée, ou de tenir à leur disposition des copies de ces décisions lorsque celles-ci
n’ont pas été publiées ou n’ont pas été publiées intégralement. »

5 L’article 1er, sous h), de ce règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

h) “partie intéressée” : tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles. »

6 L’article 32 dudit règlement, intitulé « Publication des décisions », prévoit, à son paragraphe 3 :

« La Commission publie au Journal officiel de l’Union européenne les décisions qu’elle prend en application de l’article 8, paragraphes 1 et 2 et de l’article 9. »

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

7 Les antécédents du litige, tels qu’ils sont exposés aux points 1 à 22 de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.

Sur les mesures législatives et réglementaires en cause

Sur le système de redevances de réseau avant l’introduction des mesures litigieuses

8 L’article 21 de l’Energiewirtschaftsgesetz (loi relative à la sauvegarde de l’approvisionnement en énergie), tel que modifié par le Gesetz zur Neuregelung energiewirtschaftsrechtlicher Vorschriften (loi portant nouvelle réglementation des dispositions relatives à l’approvisionnement en énergie), du 26 juillet 2011 (BGBl. 2011 I, p. 1554), et avant les modifications apportées par le Gesetz zur Weiterentwicklung des Strommarktes (loi relative à l’évolution du marché de l’électricité), du 26 juillet
2016 (BGBl. 2016 I, p. 1786) (ci‑après l’« EnWG 2011 »), prévoyait notamment que les redevances de réseau devaient être raisonnables, non discriminatoires, transparentes et calculées sur la base des coûts d’une exploitation efficace du réseau.

9 L’article 24 de l’EnWG 2011 habilitait le gouvernement fédéral allemand à établir, par voie réglementaire, des dispositions détaillées en ce qui concerne, d’une part, la définition de la méthode générale de détermination des redevances de réseau et, d’autre part, la réglementation des cas particuliers d’utilisation du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles l’autorité de régulation pouvait autoriser ou interdire des redevances de réseau individuelles.

10 L’article 17 de la Stromnetzentgeltverordnung (règlement fédéral relatif aux redevances de réseau), du 25 juillet 2005 (BGBl. 2005 I, p. 2225, ci-après le « règlement StromNEV 2005 »), définit la méthode de calcul à utiliser par les gestionnaires de réseau pour déterminer les redevances générales. Il s’agit d’une méthode en deux temps consistant, tout d’abord, à déterminer les différents éléments de coûts annuels de l’ensemble des réseaux et, ensuite, à calculer les redevances générales sur la
base du total annuel des coûts de réseau.

11 La détermination des redevances générales tient compte des deux éléments suivants, à savoir la « fonction de simultanéité », qui reflète la probabilité que la consommation individuelle d’un utilisateur contribue à la charge de pointe annuelle du niveau de réseau concerné, et le seuil maximum de recettes par gestionnaire, fixé par la Bundesnetzagentur (agence fédérale des réseaux, Allemagne) (ci-après la « BNetzA »), sur la base d’une analyse comparative avec d’autres gestionnaires de réseau,
visant à éviter que les coûts découlant de l’inefficacité soient compensés par les redevances de réseau.

12 L’article 19 du règlement StromNEV 2005 prévoit des redevances individuelles pour des catégories d’utilisateurs dont les profils de consommation et de charge sont très différents de ceux des autres utilisateurs (ci-après les « utilisateurs atypiques »). Ces redevances tiennent compte, conformément au principe selon lequel les droits de réseau reflètent les coûts du réseau, de la contribution de ces utilisateurs atypiques à la réduction ou à la prévention d’une hausse de ces coûts.

13 À cet égard, l’article 19, paragraphe 2, du règlement StromNEV 2005 instaure des redevances individuelles pour les deux catégories d’utilisateurs atypiques suivantes :

– les utilisateurs dont la contribution à la charge de pointe est susceptible de différer sensiblement de la charge de pointe annuelle simultanée de tous les autres utilisateurs raccordés au même niveau de réseau, c’est-à-dire les utilisateurs qui consomment systématiquement de l’électricité en dehors des heures de pointe (ci‑après les « consommateurs anticycliques »), et

– les utilisateurs dont la consommation annuelle d’électricité représente au moins 7000 heures d’utilisation et plus de 10 gigawatts/heure (ci-après les « consommateurs de charge en continu »).

14 Jusqu’à sa modification par l’EnWG 2011, le règlement StromNEV 2005 prévoyait que les consommateurs anticycliques et les consommateurs de charge en continu étaient assujettis à des redevances individuelles, lesquelles étaient calculées selon la « méthode du chemin physique », élaborée par la BNetzA. Cette méthode tenait compte des coûts de réseau engendrés par les consommateurs anticycliques et les consommateurs de charge en continu, avec une redevance minimale équivalant à 20 % des redevances
générales annoncées (ci‑après la « redevance minimale »). Cette dernière garantissait une rétribution pour l’exploitation du réseau auquel lesdits consommateurs étaient raccordés dans l’hypothèse où les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique auraient été plus basses que cette redevance minimale ou même proches de zéro.

Sur les mesures litigieuses

15 Conformément à l’article 19, paragraphe 2, deuxième et troisième phrases, du règlement StromNEV 2005, tel que modifié par l’EnWG 2011, à partir du 1er janvier 2011, date d’application rétroactive de cette disposition, les redevances individuelles pour les consommateurs de charge en continu ont été supprimées et remplacées par une exonération complète des redevances de réseau (ci-après l’« exonération litigieuse »), accordée par une autorisation de l’autorité de régulation compétente, à savoir la
BNetzA ou l’autorité de régulation du Land concerné. Le coût de cette exonération pesait sur les gestionnaires de réseau de transport ou de distribution selon le niveau de réseau auquel les bénéficiaires étaient raccordés.

16 Conformément à l’article 19, paragraphe 2, sixième et septième phrases, du règlement StromNEV 2005, tel que modifié par l’EnWG 2011, les gestionnaires de réseau de transport étaient tenus de rembourser aux gestionnaires de réseau de distribution la moins-value résultant de l’exonération litigieuse et devaient compenser, entre eux, les coûts entraînés par cette exonération, au moyen d’une compensation financière conformément à l’article 9 du Kraft-Wärme-Kopplungsgesetz (loi sur la promotion de la
cogénération de chaleur et d’électricité), du 19 mars 2002 (BGBl. 2002 I, p. 1092), de sorte que chacun assumait la même charge financière calculée selon la quantité d’électricité qu’il fournissait aux consommateurs finals raccordés à son réseau.

17 À partir de l’année 2012, la décision de la BNetzA du 14 décembre 2011 (BK8-11-024) (ci-après la « décision BNetzA de 2011 ») a mis en place un mécanisme de financement. Selon ce mécanisme, les gestionnaires de réseau de distribution percevaient, auprès des consommateurs finals ou des fournisseurs d’électricité, une surtaxe (ci‑après la « surtaxe litigieuse ») dont le montant était reversé aux gestionnaires de réseau de transport pour compenser la perte de recettes provoquée par l’exonération
litigieuse.

18 Le montant de la surtaxe litigieuse était déterminé chaque année, à l’avance, par les gestionnaires de réseau de transport, sur la base d’une méthode établie par la BNetzA. Le montant relatif à l’année 2012, première année de mise en œuvre du mécanisme, a été fixé directement par la BNetzA.

19 Ces dispositions ne s’appliquaient pas aux coûts de l’exonération litigieuse pour l’année 2011 et, partant, chaque gestionnaire de réseau de transport et de distribution a dû supporter les pertes relatives à cette exonération pour cette année.

Sur le système de redevance de réseau postérieur aux mesures litigieuses

20 Pendant la procédure administrative qui a conduit à la décision litigieuse, l’exonération litigieuse a tout d’abord été déclarée nulle et non avenue par des décisions juridictionnelles de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) du 8 mai 2013 et du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) du 6 octobre 2015. Cette exonération a ensuite été abrogée, à partir du 1er janvier 2014, par le règlement StromNEV 2005, tel que modifié par la
Verordnung zur Änderung von Verordnungen auf dem Gebiet des Energiewirtschaftsrechts (règlement portant modification des règlements en matière d’énergie), du 14 août 2013 (BGBl. 2013 I, p. 3250) (ci-après le « règlement StromNEV 2013 »). Le règlement StromNEV 2013 a réintroduit, pour l’avenir, les redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique, avec l’application, au lieu de la redevance minimale, de redevances forfaitaires de 10, de 15 et de 20 % des redevances générales,
en fonction de la consommation d’électricité (respectivement 7000, 7500 et 8000 heures d’utilisation annuelle du réseau).

21 Le règlement StromNEV 2013 a introduit un régime transitoire, en vigueur à partir du 22 août 2013 et applicable, de manière rétroactive, aux consommateurs de charge en continu qui n’avaient pas encore bénéficié de l’exonération litigieuse pour les années 2012 et 2013. Au lieu des redevances individuelles calculées selon la méthode du chemin physique et de la redevance minimale, ce régime prévoyait exclusivement l’application à ces consommateurs de ces redevances forfaitaires.

Sur la procédure administrative et la décision litigieuse

22 À la suite de plusieurs plaintes, la Commission a publié, le 4 mai 2013, sa décision d’ouvrir la procédure au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE concernant le régime d’aides reposant sur les mesures litigieuses (JO 2013, C 128, p. 43).

23 Au terme d’une procédure au cours de laquelle la République fédérale d’Allemagne et d’autres parties intéressées ont présenté leurs observations, la Commission a adopté, le 28 mai 2018, la décision litigieuse.

24 Par cette décision, la Commission a constaté que, du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, la République fédérale d’Allemagne avait octroyé illégalement des aides d’État sous la forme de l’exonération litigieuse.

25 Plus particulièrement, la Commission a conclu que le montant des aides d’État correspondait aux coûts de réseau engendrés en 2012 et en 2013 par les consommateurs de charge en continu exonérés ou, si ces coûts étaient inférieurs à la redevance minimale, à cette dernière.

26 En outre, la Commission a relevé que les aides en question étaient incompatibles avec le marché intérieur, dès lors qu’elles ne relevaient d’aucune des exceptions prévues à l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE, et qu’elles ne pouvaient pas non plus être considérées comme étant compatibles pour d’autres motifs.

27 Par conséquent, la Commission a décidé ce qui suit :

– l’exonération litigieuse constituait une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où les consommateurs de charge en continu avaient été exonérés des redevances de réseau, correspondant aux coûts de réseau qu’ils engendraient, ou de la redevance minimale, si ces coûts étaient inférieurs à cette redevance ;

– l’aide en question avait été exécutée par la République fédérale d’Allemagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et n’était pas compatible avec le marché intérieur ;

– l’aide individuelle, octroyée au titre du régime en question, n’était pas constitutive d’une aide d’État si, au moment de son octroi, elle remplissait les conditions définies par un règlement concernant les aides « de minimis », adopté en vertu de l’article 2 du règlement (CE) no 994/98 du Conseil, du 7 mai 1998, sur l’application des articles [107] et [108 TFUE] à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO 1998, L 142, p. 1), et

– la République fédérale d’Allemagne, d’une part, était obligée de récupérer auprès des bénéficiaires les aides incompatibles avec le marché intérieur, octroyées au titre du régime d’aides en question, y compris les intérêts, et, d’autre part, était tenue d’annuler tous les paiements non encore effectués au titre de ce régime dès la date d’adoption de la décision litigieuse.

Les recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

28 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 9 avril 2019, les sociétés Infineon ont introduit, chacune, un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

29 Par décision du président de la sixième chambre du Tribunal du 15 mai 2019, les affaires T‑233/19 et T‑234/19 ont été jointes.

30 Par décision du président de la sixième chambre du Tribunal du 30 août 2019, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au soutien des conclusions des sociétés Infineon, conformément à la demande de cet État membre.

31 À l’appui de leur recours, les sociétés Infineon ont soulevé un moyen unique, tiré de l’absence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que l’exonération litigieuse n’aurait pas été financée au moyen de ressources d’État.

32 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a déclaré les recours recevables, puis a rejeté ce moyen et, par conséquent, les recours en annulation dans leur ensemble.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

33 Par son pourvoi dans l’affaire C‑794/21 P, la République fédérale d’Allemagne demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté le recours en annulation comme étant non fondé ;

– d’annuler la décision litigieuse, et

– de condamner la Commission aux dépens exposés devant le Tribunal et la Cour.

34 Les sociétés Infineon demandent à la Cour de faire droit au pourvoi dans l’affaire C‑794/21 P.

35 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑794/21 P et de condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens.

36 Par leur pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P, les sociétés Infineon demandent à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et

– de condamner la Commission aux dépens exposés devant le Tribunal et la Cour.

37 La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour de faire droit au pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P et de condamner la Commission aux dépens.

38 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P et de condamner les sociétés Infineon aux dépens.

39 Par ses pourvois incidents dans les affaires C‑794/21 P et C‑800/21 P, la Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de déclarer irrecevables les recours en annulation dans les affaires jointes T‑233/19 et T‑234/19 ;

– dans l’affaire C‑794/21 P, de condamner, d’une part, la République fédérale d’Allemagne aux dépens exposés devant la Cour et, d’autre part, les sociétés Infineon aux dépens exposés devant le Tribunal, et

– dans l’affaire C‑800/21 P, de condamner les sociétés Infineon aux dépens exposés devant la Cour et le Tribunal.

40 Les sociétés Infineon et la République fédérale d’Allemagne concluent au rejet des pourvois incidents et à la condamnation de la Commission aux dépens.

41 Par décision du président de la Cour du 18 avril 2023, les affaires C‑794/21 P et C‑800/21 P ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

Sur les pourvois incidents

42 Les pourvois incidents introduits par la Commission visent à contester la recevabilité du recours de première instance, ce qui constitue une question préalable à celles relatives au fond soulevées dans les pourvois principaux. Il y a donc lieu d’examiner les pourvois incidents en premier (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Changmao Biochemical Engineering/Distillerie Bonollo e.a., C‑461/18 P, EU:C:2020:979, point 43).

43 À l’appui de ses pourvois incidents, la Commission soulève deux moyens.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

44 Par le premier moyen soulevé à l’appui de ses pourvois incidents, la Commission reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, aux points 37 à 44 de l’arrêt attaqué, en retenant une interprétation large de la notion de « publication », au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE. Ainsi, le Tribunal aurait erronément considéré que toute publication au Journal officiel répond à cette notion, indépendamment du point de savoir si une telle publication conditionne l’entrée en vigueur de
l’acte en cause conformément à l’article 297 TFUE et si elle est prévue par le traité lui-même.

45 En premier lieu, l’interprétation du Tribunal serait contraire à la jurisprudence de la Cour telle qu’elle se dégagerait de l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384, points 34 à 40), ainsi que des ordonnances du 31 janvier 2019, Iordăchescu/Parlement e.a. (C‑426/18 P, EU:C:2019:89, point 22), et du 5 septembre 2019, Fryč/Commission (C‑230/19 P, EU:C:2019:685, point 15). Par cette jurisprudence, la Cour aurait établi un parallélisme entre l’article 263, sixième
alinéa, TFUE et l’article 297 TFUE, en ce sens que la publication de l’acte en cause ne constitue le point de départ du délai de recours que si elle conditionne l’entrée en vigueur de cet acte et si elle est prévue par le traité lui-même.

46 Cette approche serait confirmée par une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

47 S’agissant, d’une part, du libellé de cette disposition, la Commission fait valoir que, dans toutes les versions linguistiques, à l’exception de la version en langue allemande, les termes « publication » et « notification » figurent tant à l’article 263, sixième alinéa, TFUE qu’à l’article 297 TFUE, ce qui démontre l’existence d’un parallélisme entre ces deux dispositions.

48 S’agissant, d’autre part, de l’esprit et de la finalité de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, les délais de recours fixés à cette disposition participeraient de l’objectif de sécurité juridique. Si un justiciable souhaitait attaquer un acte, il devrait en principe le faire dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la version définitive de son contenu a été portée à sa connaissance. En revanche, pour les actes de portée générale qui n’ont pas de destinataires, cette date serait
celle de la publication au Journal officiel. Pour les actes désignant un destinataire, ladite date serait celle de la notification à ce destinataire. Ce ne serait qu’à titre exceptionnel et subsidiaire que, s’agissant d’un acte ne devant être ni publié ni notifié, la prise de connaissance pourrait constituer un événement déclenchant le délai de recours. Ainsi, le parallélisme entre l’article 263, sixième alinéa, TFUE et l’article 297 TFUE garantirait qu’une publication ultérieure d’un acte au
Journal officiel à des fins d’information n’entraîne pas une prolongation des délais de recours et, partant, une insécurité juridique.

49 En deuxième lieu, la publication au Journal officiel d’une décision de la Commission de clore une procédure formelle d’examen ne saurait être assimilée à une « publication », au sens de l’article 297, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE. Elle ne constituerait donc pas le point de départ du délai de recours.

50 D’une part, une telle décision serait adressée à l’État membre concerné et ne serait notifiée qu’à celui-ci. Conformément à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, elle entrerait en vigueur par cette notification et non pas par sa publication au Journal officiel, laquelle ne viserait qu’à informer le public, y compris les bénéficiaires de l’aide auprès desquels l’État membre concerné devrait récupérer cette aide avant même la publication de la décision. D’autre part, ladite
publication dériverait non pas du traité FUE, mais de l’article 32 du règlement 2015/1589, lu à la lumière de son considérant 39. Dans ces conditions, pour déterminer le point de départ du délai de recours dont dispose une entreprise bénéficiaire pour attaquer une décision de clore la procédure formelle d’examen, il y aurait lieu de se fonder sur la prise de connaissance effective de cette décision. En l’absence de prise de connaissance préalable démontrable, la date de la publication de l’acte
au Journal officiel ferait office de prise de connaissance effective sur la base d’une fiction juridique.

51 En troisième lieu, la Commission invoque une série d’arguments qui, selon elle, confortent son interprétation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

52 Premièrement, elle se fonde sur l’économie de cette disposition pour soutenir que la publication et la notification d’un acte sont placées sur un pied d’égalité et que la prise de connaissance constitue un événement subsidiaire par rapport aux deux premières. Ce rapport de subsidiarité serait rompu par l’interprétation effectuée par le Tribunal, dès lors que, si la publication au titre de l’article 32 du règlement 2015/1589 équivalait à une publication au titre de l’article 297, paragraphe 1,
TFUE, le délai de recours devrait commencer à courir, y compris à l’égard de l’État membre concerné et malgré la notification, à la date de cette publication.

53 Deuxièmement, la Commission est d’avis que l’interprétation retenue par le Tribunal conduit à une inégalité des armes entre les entreprises auprès desquelles une aide est récupérée et leurs concurrentes qui n’ont pas reçu d’aide. Tandis que les premières recevraient en pratique une copie de la décision par l’État membre concerné, les secondes devraient attendre la publication de la décision au Journal officiel, conformément à l’article 32 du règlement 2015/1589, de sorte que les délais de recours
effectifs pour ces entreprises seraient différents. Cette interprétation conduirait également à une inégalité entre la Commission et les entreprises auprès desquelles l’aide doit être récupérée. En effet, pour répondre au recours d’une entreprise bénéficiaire, la Commission disposerait d’un délai de deux mois tandis que, du fait de ladite interprétation, ces entreprises bénéficieraient d’un délai plus long pour préparer leur recours.

54 Troisièmement, le Tribunal s’appuierait sur une lecture erronée de l’arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil (C‑122/95, EU:C:1998:94). En effet, à la différence de la décision litigieuse, la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt n’aurait désigné aucun destinataire.

55 Quatrièmement, le point 39 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a relevé que les sociétés Infineon pouvaient subjectivement escompter la publication de la décision litigieuse au Journal officiel, méconnaîtrait le caractère d’ordre public des délais de recours.

56 La République fédérale d’Allemagne et les sociétés Infineon rétorquent que le premier moyen n’est pas fondé.

Appréciation de la Cour

57 Par le premier moyen soulevé à l’appui de ses pourvois incidents, la Commission conteste le bien-fondé des appréciations du Tribunal figurant aux points 37 à 44 de l’arrêt attaqué. Selon elle, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé à ces points, le délai de recours en annulation de la décision litigieuse courait, pour les sociétés Infineon, à compter non pas de la date de publication de cette décision au Journal officiel, mais de la date de la prise de connaissance effective de ladite
décision par ces sociétés.

58 À cet égard, il convient de constater que, aux points 37 à 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté l’exception d’irrecevabilité de la Commission tirée de la prétendue tardiveté du recours en annulation de la décision litigieuse formé par les sociétés Infineon.

59 Il ressort d’une lecture d’ensemble des points 37 à 39 de cet arrêt que le Tribunal a estimé que le délai de recours courait, en l’espèce, à compter de la date de publication de la décision litigieuse au Journal officiel, qui a eu lieu le 16 janvier 2019, et que ce délai a été respecté.

60 À l’appui de cette considération, le Tribunal a rappelé, au point 38 dudit arrêt, que le critère de la date de prise de connaissance de l’acte, en tant que point de départ dudit délai, présente un caractère subsidiaire par rapport à ceux de la publication ou de la notification de l’acte. Tout en soulignant que la publication n’était pas une condition de la prise d’effet de la décision litigieuse, il a relevé, au point 39 du même arrêt, que cette décision devait être publiée au Journal officiel
conformément à l’article 32, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, de telle sorte que les sociétés Infineon pouvaient légitimement escompter que ladite décision ferait l’objet d’une publication.

61 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, « [l]es recours prévus au présent article doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance ».

62 Il ressort clairement du libellé de cette disposition, en particulier des expressions « suivant le cas » et « à défaut », que le point de départ du délai de recours est déterminé en fonction de la situation en cause et que les trois critères susceptibles de déclencher ce délai sont hiérarchisés.

63 Ainsi, le délai de recours en annulation commence à courir, à titre principal, à compter de la publication de l’acte ou de la notification de celui-ci au requérant. Ces deux critères principaux sont placés, dans l’économie de ladite disposition, sur un pied d’égalité en ce sens qu’aucun desdits critères n’est subsidiaire par rapport à l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑339/16 P, EU:C:2017:384, point 38).

64 En revanche, comme le Tribunal l’a relevé à bon droit au point 38 de l’arrêt attaqué, le critère de la date de prise de connaissance de l’acte attaqué en tant que point de départ du délai de recours présente un caractère subsidiaire par rapport à ceux de la publication ou de la notification de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, point 35), ce qui n’est au demeurant pas contesté en l’espèce.

65 En l’occurrence, la décision litigieuse, qui clôture une procédure formelle d’examen d’une aide d’État, désignait comme destinataire l’État membre concerné, à savoir la République fédérale d’Allemagne, et a été notifiée à celui-ci, conformément à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE. Corrélativement, cette décision a fait l’objet d’une publication au Journal officiel, conformément à l’article 32, paragraphe 3, du règlement 2015/1589.

66 Dans une telle hypothèse, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour le destinataire de l’acte auquel il devait être notifié, à savoir l’État membre concerné, le délai de recours en annulation court à compter de la date de cette notification, et ce même si l’acte fait également l’objet d’une publication au Journal officiel (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑339/16 P, EU:C:2017:384, point 37).

67 En revanche, il découle d’une interprétation littérale, téléologique et contextuelle de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, lu à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que le délai de recours en annulation court, pour les autres parties intéressées, telles que les sociétés Infineon, à compter de la publication de l’acte au Journal officiel, y compris lorsque cette publication procède non pas de l’article 297, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE, mais d’une disposition de droit dérivé, telle
que l’article 32, paragraphe 3, du règlement 2015/1589.

68 En effet, premièrement, il y a lieu de constater que le libellé de l’article 263, sixième alinéa, TFUE évoque la « publication » des actes en général (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, PPG et SNF/ECHA, C‑625/11 P, EU:C:2013:594, point 31). Ainsi, ce libellé n’assortit cette notion d’aucune condition spécifique, notamment quant au fondement juridique de l’obligation de publication.

69 Sur ce point, il est vrai que, comme la Commission l’allègue, la Cour a, notamment, jugé que la notion de « publication », au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, vise une publication au Journal officiel qui conditionne l’entrée en vigueur de l’acte et est prévue par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑339/16 P, EU:C:2017:384, point 36 ; ordonnances du 31 janvier 2019, Iordăchescu/Parlement e.a., C‑426/18 P, EU:C:2019:89, point 22, ainsi que du
5 septembre 2019, Fryč/Commission, C‑230/19 P, EU:C:2019:685, point 15).

70 Toutefois, contrairement à la position défendue par la Commission, il ne saurait en être déduit que la notion de « publication », au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, se limite à cette hypothèse.

71 En effet, les précédents cités au point 69 du présent arrêt ne sauraient être lus de manière isolée, mais s’intègrent dans une jurisprudence de la Cour qui a interprété la notion de « publication », au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, de manière large. Ainsi, relèvent de cette notion, outre l’hypothèse visée à ce point 69, une publication de l’acte attaqué au Journal officiel qui procède non d’une obligation imposée par le traité, mais d’une pratique constante des institutions de
l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, points 36 et 39), ou d’une disposition de droit dérivé, telle que l’article 32, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 (voir, en ce sens, ordonnance du 25 novembre 2008, S.A.BA.R./Commission, C‑501/07 P, EU:C:2008:652, point 23), voire une publication sur le site Internet d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union lorsque celle-ci est prévue par le droit dérivé (voir, en ce sens,
arrêt du 26 septembre 2013, PPG et SNF/ECHA, C‑625/11 P, EU:C:2013:594, points 30 à 32).

72 Deuxièmement, s’agissant des objectifs de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les délais de recours au titre de cette disposition sont d’ordre public et ne sont pas à la disposition des parties et du juge. Ils ont été institués dans l’objectif de sauvegarder la sécurité juridique en évitant la remise en cause indéfinie des actes de l’Union entraînant des effets de droit ainsi que d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire
dans l’administration de la justice (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1967, Muller-Collignon/Commission, 4/67, EU:C:1967:51, p. 479 ; du 23 janvier 1997, Coen, C‑246/95, EU:C:1997:33, point 21 ; ordonnances du 16 novembre 2010, Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Commission, C‑73/10 P, EU:C:2010:684, point 52, ainsi que du 31 janvier 2019, Iordăchescu/Parlement e.a., C‑426/18 P, EU:C:2019:89, point 21).

73 Or, d’une part, s’agissant d’une décision telle que la décision litigieuse, qui clôture une procédure formelle d’examen d’une aide d’État, il apparaît que, à la différence de la date de la prise de connaissance, la date de la publication d’un acte au Journal officiel peut être établie, dans l’intérêt de la sécurité juridique, de manière objective et avec certitude à l’égard de l’ensemble des parties intéressées auxquelles cette décision n’a pas été notifiée. Il est indifférent, à cet égard, que
ces dernières ont pu prendre connaissance de cet acte antérieurement à sa publication.

74 Cela explique d’ailleurs que, dans l’économie générale de l’article 263, sixième alinéa, TFUE et dans l’intérêt de la sécurité juridique, la date de publication prime celle de la prise de connaissance, qui est, ainsi que cela a été rappelé au point 64 du présent arrêt, un critère subsidiaire de départ du délai de recours. La Commission ne saurait donc être suivie lorsqu’elle suggère, en réalité, d’inverser le rapport entre ces deux critères visés à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

75 D’autre part, contrairement aux allégations de la Commission, l’interprétation retenue aux points 67 et 71 du présent arrêt est également de nature à éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice et à assurer, ainsi, l’égalité des armes des bénéficiaires de l’aide d’État et des entreprises concurrentes. En effet, pour l’ensemble de ces parties intéressées, le délai de recours commence à courir à compter de la même date, à savoir celle de la publication
de la décision au Journal officiel. En outre, dans la mesure où la Commission est l’auteure d’une telle décision et est responsable de sa publication au Journal officiel, elle ne saurait valablement tirer argument d’une prétendue inégalité des armes à son détriment.

76 Troisièmement, s’agissant du contexte, la structure des traités milite également contre le parallélisme strict, suggéré par la Commission, entre les notions de « publication » employées respectivement à l’article 263, sixième alinéa, et à l’article 297, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE. En effet, il suffit de constater, à cet égard, que, si ces deux dispositions relèvent du titre I de la sixième partie du traité FUE, elles ne régissent pas le même objet. Alors que la première figure à son
chapitre 1, consacré aux institutions, et, plus spécifiquement, à sa section 5, dédiée à la Cour de justice de l’Union européenne, la seconde s’inscrit dans son chapitre 2, consacré aux actes juridiques de l’Union et à leurs procédures d’adoption.

77 Pour l’ensemble de ces motifs, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 37 à 44 de l’arrêt attaqué, que le délai de recours commençait à courir, pour les sociétés Infineon, à la date de publication de la décision litigieuse au Journal officiel.

78 Partant, le premier moyen soulevé à l’appui des pourvois incidents doit être écarté comme étant non fondé.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

79 Par le second moyen soulevé à l’appui de ses pourvois incidents, la Commission reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit au point 42 de l’arrêt attaqué.

80 En affirmant, à ce point 42, qu’« il n’a pas été démontré que, en l’espèce, les [sociétés Infineon] ont eu une connaissance “digne de foi” de la décision [litigieuse] » avant la publication de celle-ci, le Tribunal aurait dénaturé les faits et les éléments de preuve. Il serait en effet manifeste, au vu des éléments avancés par la Commission devant le Tribunal, que ces sociétés avaient eu connaissance de l’existence de la décision litigieuse avant sa publication au Journal officiel, au plus tard
le 26 septembre 2018.

81 La République fédérale d’Allemagne considère que, le premier moyen des pourvois incidents n’étant pas fondé, le second moyen est dépourvu de pertinence pour l’issue des présents pourvois. Les sociétés Infineon estiment que le second moyen est non fondé.

Appréciation de la Cour

82 Au point 42 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que « en tout état de cause, il n’a pas été démontré que, en l’espèce, les [sociétés Infineon] ont eu une connaissance “digne de foi” de la décision [litigieuse] ».

83 À cet égard, l’expression « en tout état de cause » indique que ce motif forme un motif surabondant de l’arrêt attaqué. Or, selon une jurisprudence constante, les arguments dirigés contre des motifs surabondants d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (arrêt du 21 décembre 2023, United Parcel Service/Commission, C‑297/22 P, EU:C:2023:1027, point 55 et jurisprudence citée).

84 Partant, le second moyen soulevé à l’appui des pourvois incidents doit être écarté comme étant inopérant.

85 Par conséquent, les pourvois incidents doivent être rejetés dans leur intégralité.

Sur les pourvois principaux

86 Au soutien de son pourvoi dans l’affaire C‑794/21 P, la République fédérale d’Allemagne, soutenue par les sociétés Infineon, soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

87 Au soutien de leur pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P, les sociétés Infineon invoquent deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et, le second, de dénaturations du droit national ainsi que des faits. La République fédérale d’Allemagne soutient le premier moyen soulevé par les sociétés Infineon.

Sur le moyen unique dans l’affaire C‑794/21 P et le premier moyen dans l’affaire C‑800/21 P

88 Par le moyen unique dans l’affaire C‑794/21 P et par le premier moyen dans l’affaire C‑800/21 P, respectivement, la République fédérale d’Allemagne et les sociétés Infineon reprochent au Tribunal d’avoir méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce qu’il a considéré, à tort, que l’exonération litigieuse constitue une aide accordée au moyen de « ressources d’État », au sens de cette disposition.

89 Le moyen unique soulevé par la République fédérale d’Allemagne est divisé en trois branches qui ont trait, la première, au critère juridique permettant d’apprécier l’existence d’une mesure accordée au moyen de « ressources d’État », la deuxième, à l’existence d’une taxe obligatoire et, la troisième, au contrôle étatique.

90 Le premier moyen soulevé par les sociétés Infineon peut être divisé en quatre griefs dont les trois premiers portent, en substance, sur le critère juridique visé au point précédent et, le quatrième, sur l’existence d’une taxe obligatoire.

Sur le critère juridique permettant d’apprécier l’existence d’une mesure accordée au moyen de « ressources d’État »

– Argumentation des parties

91 La République fédérale d’Allemagne, par la première branche de son moyen unique, et les sociétés Infineon, par les trois premiers griefs de leur premier moyen, reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir appliqué un critère juridique erroné pour apprécier la nature étatique des ressources en cause.

92 En premier lieu, dans le cadre de ses écritures déposées devant la Cour, la République fédérale d’Allemagne a contesté les points 63 à 65 et 77 de l’arrêt attaqué au motif que le Tribunal a erronément considéré que, afin de déterminer la nature étatique ou non des ressources, l’existence d’une charge obligatoire pesant sur les consommateurs ou clients finals et le contrôle étatique sur les fonds ou sur les gestionnaires de ces fonds sont deux éléments qui « font partie d’une alternative », de
sorte qu’il lui suffisait de vérifier si la surtaxe litigieuse était une charge obligatoire assimilable à une taxe parafiscale. Il s’agirait, au contraire, de critères cumulatifs, ainsi qu’il ressortirait de la jurisprudence issue, notamment, des arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C‑206/06, EU:C:2008:413, points 66, 69, 70, 72 et 75), du 28 mars 2019, Allemagne/Commission (C‑405/16 P, EU:C:2019:268, point 72), du 15 mai 2019, Achema e.a. (C‑706/17, EU:C:2019:407), ainsi que du
16 septembre 2021, FVE Holýšov I e.a./Commission (C‑850/19 P, EU:C:2021:740).

93 En outre, pour la République fédérale d’Allemagne, cette interprétation du Tribunal, fondée sur des critères alternatifs, entrerait en contradiction avec les points 98 à 110 de l’arrêt attaqué, auxquels le Tribunal aurait examiné l’existence d’un contrôle étatique, alors même qu’il avait déjà conclu à l’existence d’une charge obligatoire.

94 En deuxième lieu, selon la République fédérale d’Allemagne, cette approche du Tribunal ne serait pas davantage confortée par les articles 30 et 110 TFUE, qui viseraient essentiellement la suppression et l’interdiction des mesures protectionnistes.

95 En troisième lieu, la République fédérale d’Allemagne soutient que l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, selon laquelle il y aurait lieu de présumer que toute taxe a une origine étatique, indépendamment des objectifs poursuivis par cette disposition, est erronée en droit. Cette interprétation aboutirait à une conséquence non prévue par les traités, à savoir que toute régulation des prix du marché conduirait à une utilisation des ressources d’État et devrait ainsi être notifiée,
conformément à l’article 108 TFUE. Or, une telle régulation relèverait du champ d’application de la libre circulation des marchandises et non des règles relatives aux aides d’État.

96 Pour leur part, les sociétés Infineon reprochent au Tribunal d’avoir erronément retenu, au point 63 de l’arrêt attaqué, deux éléments principaux pour apprécier le caractère étatique des ressources, à savoir, d’une part, l’existence d’une charge obligatoire pesant sur les consommateurs ou client finals et, d’autre part, le contrôle étatique sur la gestion du système.

97 À l’appui de cette affirmation, ces sociétés soulignent, en premier lieu, qu’il est de jurisprudence constante que seule une aide dont le financement « coûte de l’argent à l’État » constitue une aide accordée au moyen de « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il ne suffirait donc pas qu’une mesure étatique impose de manière obligatoire l’utilisation de ressources privées.

98 En deuxième lieu, lesdites sociétés font valoir que le critère pertinent pour distinguer les ressources étatiques des ressources privées est constitué par l’existence d’un lien suffisamment direct avec le budget de l’État. Une redistribution obligatoire de ressources privées, qui serait imposée par des mesures étatiques, ne devrait pas, à défaut d’un tel lien, relever de la notion de « ressources d’État ».

99 En troisième lieu, l’existence de ce lien devrait être établie au cas par cas à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que le Tribunal aurait méconnue. Selon cette jurisprudence, ledit lien existerait lorsque l’État fait usage de prérogatives de puissance publique aux fins de la perception de la contribution obligatoire, par exemple lorsqu’il fixe directement le montant de cette contribution par la loi à l’encontre des débiteurs de ladite contribution ou prévoit des sanctions administratives
en cas de non-respect de l’obligation de paiement. Un lien pourrait encore être constaté lorsqu’un éventuel excédent des fonds collectés doit être versé au budget de l’État, lorsque l’État fournit une garantie publique ou lorsque la société gestionnaire des fonds appartient à l’État. À l’inverse, un lien suffisamment direct entre la contribution obligatoire et le budget de l’État ferait défaut lorsque l’État ne renonce à aucune ressource ou lorsque les charges obligatoires conservent leur
caractère privé pendant tout leur parcours. Contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé au point 77 de l’arrêt attaqué, un régime obligatoire instauré par la loi ne serait dès lors pas suffisant pour conclure à l’existence de « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

100 La Commission considère que la première branche du moyen unique soulevé par la République fédérale d’Allemagne est, en tant que telle, inopérante. Elle allègue que les trois premiers griefs du premier moyen soulevé par les sociétés Infineon ne visent qu’à exposer leur interprétation, au demeurant erronée, de la jurisprudence de la Cour et devraient être examinés ensemble avec le quatrième grief de ce moyen.

– Appréciation de la Cour

101 La République fédérale d’Allemagne et les sociétés Infineon reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir appliqué un critère juridique erroné pour déterminer si les montants résultant de la surtaxe litigieuse ont pour origine des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

102 Selon une jurisprudence constante, la qualification d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, suppose la réunion de quatre conditions, à savoir qu’il existe une intervention de l’État ou « au moyen de ressources d’État », que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, que ladite intervention accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et que la même intervention fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêt du 12 janvier
2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

103 S’agissant de la première de ces conditions, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une mesure peut être qualifiée d’intervention de l’État ou d’aide accordée « au moyen de ressources d’État » si, d’une part, la mesure est accordée directement ou indirectement au moyen de ces ressources et, d’autre part, la mesure est imputable à un État membre (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

104 S’agissant, plus particulièrement, de la condition tenant à ce que l’avantage soit accordé « au moyen de ressources d’État », la Cour a, au fil de sa jurisprudence, dégagé deux critères permettant d’établir que des fonds au moyen desquels un avantage tarifaire est accordé, en vertu de la législation nationale, constituent des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, points 34,
38, 39 et 42).

105 Ainsi, en premier lieu, les fonds alimentés par une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires en vertu de la législation nationale et gérés et répartis conformément à cette législation constituent des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 38).

106 Selon la jurisprudence de la Cour précisant ce critère, des montants résultant du supplément de prix imposé par l’État aux acheteurs d’électricité s’apparentent à une taxe qui frappe l’électricité et ont pour origine des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Pour être considérés comme telles, les fonds doivent provenir de contributions obligatoires imposées par la législation de l’État membre concerné et être gérés et répartis conformément à cette législation,
indépendamment du point de savoir si le mécanisme de financement relève, au sens strict, de la catégorie des prélèvements de nature fiscale dans le droit national. En revanche, il ne suffit pas que les gestionnaires de réseau répercutent sur le prix de vente de l’électricité à leurs clients finals les surcoûts provoqués par leur obligation d’acheter l’électricité produite à partir de certaines sources d’énergie aux tarifs fixés par la loi, si cette compensation résulte non pas d’une obligation
légale, mais seulement d’une pratique. En effet, dans un tel cas, le prélèvement ne pourrait pas être considéré comme étant obligatoire (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, points 34 à 37 ainsi que jurisprudence citée).

107 En second lieu, le fait que des sommes restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de « ressources d’État », au sens de cette disposition (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

108 Les critères mentionnés aux points 105 et 107 du présent arrêt constituent des critères alternatifs permettant d’établir qu’une mesure est accordée « au moyen de ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 42), ainsi que la République fédérale d’Allemagne l’a reconnu à l’audience de plaidoiries en réponse à une question de la Cour au sujet de la portée de l’arrêt du 12 janvier
2023, DOBELES HES (C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1).

109 Il s’ensuit, premièrement, que c’est sans commettre d’erreur de droit que, aux points 63 à 65 et 77 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le caractère étatique des ressources, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, peut être établi par deux conditions alternatives tenant, l’une, à l’existence d’une charge obligatoire pesant sur les consommateurs ou clients finals et, l’autre, au contrôle étatique sur la gestion du système et, notamment, sur les fonds ou les gestionnaires de ces
fonds. Compte tenu des réponses apportées par la République fédérale d’Allemagne lors de l’audience de plaidoiries, l’ensemble des arguments de cet État membre visant à contester cette appréciation doivent être écartés.

110 En outre, dans la mesure où les sociétés Infineon allèguent, en substance, que le Tribunal aurait dû appliquer un critère tenant à l’existence d’un lien suffisamment direct entre le budget de l’État et la surtaxe litigieuse, force est de constater que, conformément à la jurisprudence de la Cour exposée aux points 105 à 107 du présent arrêt, aucune des alternatives retenues à bon droit par le Tribunal ne fait état d’un tel critère. Dans le cadre des présents pourvois, ces sociétés contestent
uniquement l’existence d’une charge obligatoire, au sens de la jurisprudence visée au point 105 du présent arrêt, laquelle doit être appréciée à la lumière des éléments relevés au point 106 de celui-ci. Ceux-ci ont été déterminés par la jurisprudence de la Cour restituée aux points 55 à 62 de l’arrêt attaqué et récapitulés aux points 34 à 37 de l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1), sans que cela soit spécifiquement contesté dans le cadre des présents
pourvois. Or, les sociétés Infineon ne démontrent ni même n’allèguent que le Tribunal a omis de tenir dûment compte de ces éléments. En toute hypothèse, il importe d’ajouter que, ainsi qu’il ressort des points 77 et 78 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a bien cherché à vérifier, sur la base de cette jurisprudence, si la surtaxe litigieuse était imposée par l’État et intégralement répercutée, par une obligation légale, sur les débiteurs ultimes de cette surtaxe.

111 Deuxièmement, contrairement à ce qu’allègue la République fédérale d’Allemagne, il ne saurait être fait grief au Tribunal d’avoir estimé opportun d’examiner, aux points 98 à 110 de l’arrêt attaqué, l’existence d’un contrôle étatique sur les fonds perçus au titre de la surtaxe litigieuse ou sur les gestionnaires de réseau, après avoir constaté, au point 97 de cet arrêt, l’existence d’une taxe parafiscale ou d’une charge obligatoire impliquant l’utilisation de ressources d’État.

112 Il est vrai que le Tribunal aurait pu faire l’économie de cet examen relatif à l’existence d’un contrôle étatique, compte tenu de la nature alternative des deux critères qu’il a examinés. Toutefois, rien ne s’oppose à ce que, notamment pour des motifs de bonne administration de la justice, le Tribunal poursuive son raisonnement par des considérations surabondantes, telles que, en l’occurrence, celles relatives à l’existence d’un contrôle étatique, de la même manière que la Cour l’a fait au
point 41 de l’arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES (C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1).

113 Troisièmement, dans la mesure où la République fédérale d’Allemagne argue qu’il serait contraire aux objectifs de l’article 107, paragraphe 1, TFUE de présumer que toute taxe a une origine étatique, son argumentation est fondée sur une prémisse et une lecture de l’arrêt attaqué erronées.

114 En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 105 du présent arrêt, ce sont non pas les fonds alimentés par toute taxe, mais seulement ceux qui sont alimentés par une taxe obligatoire, prévue par la législation nationale, gérée et répartie conformément à cette législation, qui sont susceptibles de constituer des « ressources d’État », au sens de cette disposition. D’autre part, comme relevé au point 110 du présent arrêt, le Tribunal s’est précisément employé, ainsi qu’il ressort des
points 77 et 78 de l’arrêt attaqué, à vérifier si la surtaxe litigieuse était imposée par l’État et intégralement répercutée, par une obligation légale, sur les débiteurs ultimes de cette surtaxe.

115 Quatrièmement, pour ce qui est de l’argumentation développée par la République fédérale d’Allemagne au sujet des articles 30 et 110 TFUE, il y a lieu de constater que, au point 86 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tenu compte, dans un motif surabondant introduit par la locution adverbiale« [p]ar ailleurs », de la jurisprudence afférente à ces dispositions. Il en a déduit que la qualité du débiteur de la taxe importait peu, pour autant que la taxe ait porté sur le produit en cause ou sur une
activité nécessaire en relation avec ce produit. Il a ajouté que l’élément décisif est alors constitué par le fait que les entités ayant perçu la taxe sont non pas simplement tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres, mais mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État.

116 Ce point énonçant un motif surabondant, l’argumentation le critiquant est inopérante.

117 En tout état de cause, il y a lieu de considérer que le Tribunal s’est référé à la jurisprudence relative aux articles 30 et 110 TFUE non pas pour apprécier la surtaxe litigieuse à l’aune de ces dispositions, mais pour corroborer son analyse de cette surtaxe au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Partant, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir confondu les régimes juridiques distincts issus, respectivement, des deux premières de ces dispositions du traité FUE et de la troisième
de celles-ci.

118 Il découle des motifs qui précèdent que la première branche du moyen unique soulevé par la République fédérale d’Allemagne ainsi que les trois premiers griefs du premier moyen soulevé par les sociétés Infineon doivent être écartés comme étant, en partie, inopérants et, en partie, non fondés.

Sur l’existence d’une taxe obligatoire

– Argumentation des parties

119 La République fédérale d’Allemagne, par la deuxième branche de son moyen unique, et les sociétés Infineon, par le quatrième grief de leur premier moyen, font valoir, en substance, que, aux points 78 à 97 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a appliqué de manière erronée l’article 107, paragraphe 1, TFUE en qualifiant la surtaxe litigieuse de taxe parafiscale ou de charge obligatoire impliquant l’utilisation de « ressources d’État », au sens de cette disposition.

120 La République fédérale d’Allemagne fait valoir, d’une part, que, notamment aux points 78, 83, 84 et 86 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, à tort, que la relation entre le fournisseur et le consommateur final d’électricité n’était pas déterminante pour conclure à l’existence d’une charge obligatoire, au motif erroné que la surtaxe litigieuse est prélevée non pas sur la consommation d’électricité, mais sur l’utilisation du réseau. D’autre part, aux points 85 et 87 à 90 de cet arrêt, le
Tribunal se serait erronément référé, et sans aucune motivation, à l’obligation de prélèvement et en aurait erronément déduit une obligation de paiement de la surtaxe litigieuse prévue par la loi nationale. En l’absence d’obligation légale de paiement de cette surtaxe, la perception de celle-ci ne pourrait avoir eu lieu que sur le fondement des règles du droit civil. Le raisonnement du Tribunal pour parvenir à ce constat et à cette déduction serait en contradiction avec la jurisprudence de la
Cour.

121 Les sociétés Infineon estiment que le Tribunal a erronément considéré que la surtaxe litigieuse constituait une ressource d’État, alors même que cette surtaxe ne présente pas de lien suffisamment direct avec le budget de l’État et demeure, par conséquent, une ressource privée.

122 Ainsi, premièrement, il n’existerait aucune charge obligatoire imposée par un acte de puissance publique et aucune obligation légale de paiement pesant sur le débiteur de la surtaxe litigieuse. Jusqu’à l’année 2012, les gestionnaires de réseau auraient été non pas tenus, mais simplement en droit de percevoir cette surtaxe. À compter de cette année, la perception de ladite surtaxe aurait été réglementée, exclusivement, par la décision BNetzA de 2011, qui ne créerait pas d’obligation légale de
paiement. Par cette décision, l’État ne serait intervenu qu’indirectement dans la relation de droit civil entre les gestionnaires de réseau et les utilisateurs du réseau. En outre, ces utilisateurs n’étant pas destinataires de ladite décision, ils ne seraient pas liés par elle. Au demeurant, ils ne sauraient être assimilés à des consommateurs finals d’électricité. Ainsi, la surtaxe litigieuse, perçue au cours d’une étape intermédiaire, ne constituerait pas une charge obligatoire pour le
consommateur final d’électricité. Au point 84 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait méconnu l’importance d’une répercussion de cette surtaxe sur ce consommateur final.

123 Deuxièmement, le Tribunal aurait erronément conclu, au point 75 de l’arrêt attaqué, que l’invalidité de la décision BNetzA de 2011 n’était pas déterminante puisque cette dernière aurait été effectivement appliquée. Dépourvue de base légale en droit allemand, cette décision n’aurait jamais été valide puisque le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) l’aurait annulée avec effet rétroactif à la date de son adoption. Or, seules des mesures étatiques valides permettraient d’établir un lien avec
le budget de l’État. Un tel lien ne saurait être établi sur la base des seuls effets produits par la décision BNetzA de 2011. Au demeurant, ce serait à tort que le Tribunal a considéré l’argument des sociétés Infineon, tiré de la nullité de cette décision et présenté dans leur réponse aux questions du Tribunal, comme tardif.

124 Troisièmement, le montant de la surtaxe litigieuse ne serait pas imposé par l’État, mais devrait être calculé par les gestionnaires de réseau privés à leurs propres risques. Ainsi que le Tribunal l’aurait constaté au point 95 de l’arrêt attaqué, la Commission a reconnu que les pertes résultant des créances irrécouvrables en cas d’insolvabilité de l’utilisateur du réseau étaient supportées par le gestionnaire de réseau. Or, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que cet
aspect n’est pas essentiel pour déterminer si des ressources d’État ont été engagées.

125 Quatrièmement, la surtaxe litigieuse conserverait son caractère privé pendant tout son parcours. Les gestionnaires de réseau la percevraient sur la base du contrat d’utilisation du réseau, qui relève d’une relation de droit privé. Aucune sanction administrative ne serait prévue en cas de non-paiement de cette surtaxe. L’État ne fournirait aucune garantie publique en cas de non-paiement ou dans l’hypothèse où les ressources collectées ne suffiraient pas à couvrir les exonérations des redevances
de réseau. L’État ne disposerait pas du pouvoir de disposer directement ou indirectement des montants perçus, mais se contenterait de surveiller l’utilisation régulière de ladite surtaxe.

126 La Commission rétorque que les arguments avancés par la République fédérale d’Allemagne reposent sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué et de la jurisprudence de la Cour et qu’ils sont, en tout état de cause, inopérants. Elle estime que le quatrième grief du premier moyen soulevé par les sociétés Infineon est, pour partie, inopérant et, en toute hypothèse, non fondé.

– Appréciation de la Cour

127 À titre liminaire, il convient de constater que le quatrième grief du premier moyen soulevé par les sociétés Infineon est inopérant. En effet, par ce grief, ces sociétés contestent, en substance, les appréciations consacrées par le Tribunal à l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires, au sens de la jurisprudence citée au point 105 du présent arrêt. En revanche, lesdites sociétés ne contestent nullement les appréciations consacrées par le Tribunal à l’existence d’un contrôle
étatique, au sens de la jurisprudence citée au point 107 du présent arrêt, dans le cadre du pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P. Or, compte tenu de la nature alternative de ces deux critères, relevée au point 108 du présent arrêt, l’existence d’un contrôle étatique est à elle seule suffisante pour justifier la conclusion selon laquelle la surtaxe litigieuse implique l’utilisation de ressources d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

128 Cela étant, les sociétés Infineon ont, dans leur mémoire en réponse déposée dans le cadre de l’affaire C‑794/21 P, réitéré, en substance, les arguments sous-jacents à leur quatrième grief soulevé à l’appui du premier moyen de leur pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P. Or, dans l’affaire C‑794/21 P, la deuxième branche du moyen unique de la République fédérale d’Allemagne, relative à l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires, ne saurait d’emblée être écartée comme étant
inopérante, dès lors que cette dernière conteste également, par la troisième branche de ce moyen, les appréciations relatives à l’existence d’un contrôle étatique. Dans ces conditions, il convient de tenir compte des arguments avancés par les sociétés Infineon dans le cadre de l’affaire C‑794/21 P.

129 À titre principal, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 105 du présent arrêt, les fonds alimentés par une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires en vertu de la législation nationale et gérés et répartis conformément à cette législation constituent des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

130 En l’occurrence, après avoir apprécié, aux points 78 à 96 de l’arrêt attaqué, la surtaxe litigieuse, le Tribunal a conclu, au point 97 de cet arrêt, que cette surtaxe impliquait l’utilisation de ressources d’État. À l’appui de cette conclusion, il a relevé que la décision BNetzA de 2011 imposait aux gestionnaires de réseau de distribution l’obligation de percevoir la surtaxe litigieuse auprès des utilisateurs du réseau et de transférer les recettes correspondantes aux gestionnaires de réseau de
transport. Il a également estimé que le mécanisme de cette surtaxe assurait aux gestionnaires de réseau la compensation intégrale de la moins-value qu’ils subissaient en raison de l’exonération litigieuse, puisque le montant de ladite surtaxe était adapté au montant des ressources requises en raison de cette exonération. Il a encore souligné que ce montant était déterminé selon une méthodologie fixée par la décision BNetzA de 2011, étant précisé que, pour l’année 2012, cette décision a fixé le
montant initial de la même surtaxe.

131 La République fédérale d’Allemagne et les sociétés Infineon contestent ces appréciations par quatre séries d’arguments.

132 En premier lieu, il convient d’examiner l’argument par lequel les sociétés Infineon reprochent au Tribunal d’avoir déduit l’obligation de perception de la surtaxe litigieuse de la décision BNetzA de 2011 alors que cette décision a été déclarée nulle par les juridictions allemandes.

133 À cet égard, premièrement, au point 75 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que l’argument pris de l’absence d’effets de la décision BNetzA de 2011 a été soulevé tardivement devant lui.

134 Ce constat n’est entaché d’aucune erreur de droit.

135 En effet, il est constant que, devant le Tribunal, les sociétés Infineon ont soulevé cet argument seulement au stade d’une réponse à des questions posées par le Tribunal. Ledit argument ne saurait, en outre, être considéré comme étant une ampliation du moyen unique soulevé dans la requête en première instance, tiré de l’absence d’une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors que ce moyen ne remettait pas en cause l’existence, en tant que telle, d’effets produits par
la décision BNetzA de 2011, mais visait à critiquer les appréciations que la Commission a tirées de cette décision. Par conséquent, le Tribunal a fait une exacte application des dispositions de l’article 84, paragraphe 1, de son règlement de procédure en constatant que le même argument était irrecevable en raison de sa tardiveté.

136 Deuxièmement, en tout état de cause, il convient de relever que les arguments visés au point 132 du présent arrêt ne sauraient prospérer.

137 En effet, ni l’illégalité éventuelle d’un régime d’aides, au regard notamment du droit national, ni son annulation ne lui retirent son caractère d’« aide d’État », dans la mesure où, malgré une telle illégalité ou annulation, un tel régime a produit des effets en pratique (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, EU:C:2005:130, point 38, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 69), comme
le Tribunal l’a, en substance, jugé à bon droit au point 75 de l’arrêt attaqué. Au demeurant, ainsi que le Tribunal l’a également relevé à bon droit à ce point, l’effectivité des règles en matière d’aides d’État serait considérablement affaiblie si l’application de celles-ci pouvait être écartée en raison du seul fait qu’une mesure d’aide, qui a, en pratique, été appliquée, a ultérieurement été déclarée nulle ab initio. Ainsi, il est dépourvu de pertinence, à cet égard, que l’annulation
éventuelle du régime d’aides est rétroactive, dès lors que, pendant une certaine période, le régime a bien été appliqué en pratique (voir, par analogie, arrêt du 6 novembre 2012, Commission/Hongrie, C‑286/12, EU:C:2012:687, points 44 et 45).

138 En deuxième lieu, la République fédérale d’Allemagne et les sociétés Infineon allèguent que le Tribunal a constaté, à tort, l’existence d’une obligation de paiement de la surtaxe litigieuse à la charge des consommateurs finals, lesquels ont, en outre, été erronément définis comme incluant les utilisateurs du réseau.

139 Premièrement, s’agissant de l’identification des débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse, le Tribunal a considéré, au point 83 de l’arrêt attaqué, que cette surtaxe ne concernait que la relation entre les gestionnaires de réseau et les utilisateurs du réseau, dès lors que cette surtaxe est perçue en conséquence non pas de la consommation d’électricité, mais de l’utilisation du réseau. Il en a déduit, au point 84 de cet arrêt, que la question de savoir si les fournisseurs d’électricité étaient
à leur tour obligés de répercuter ladite surtaxe sur les consommateurs finals d’électricité était dénuée de pertinence. Selon lui, en effet, les débiteurs ultimes de la surtaxe étaient les utilisateurs du réseau, c’est-à-dire les fournisseurs eux-mêmes ainsi que les consommateurs finals directement raccordés au réseau, et non les autres consommateurs finals.

140 À cet égard, la considération selon laquelle la surtaxe litigieuse est perçue en conséquence de l’utilisation du réseau et celle selon laquelle les utilisateurs du réseau doivent être appréhendés comme étant des consommateurs finals relèvent d’une appréciation factuelle. Or, il n’appartient pas à la Cour de contrôler une telle appréciation, en l’absence de toute allégation de dénaturation.

141 En effet, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit
soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 46 et jurisprudence citée).

142 Deuxièmement, s’agissant de l’existence d’une obligation de paiement dans le chef des utilisateurs du réseau, il ressort des points 85 et 87 à 89 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a fait siennes les appréciations de la Commission selon lesquelles la décision BNetzA de 2011 imposait, aux gestionnaires de réseau de distribution, l’obligation de perception et de répercussion de la surtaxe litigieuse et que cette décision prévoyait de transférer mensuellement les recettes issues de cette surtaxe
aux différents gestionnaires de réseau de transport. Il en a conclu que la surtaxe litigieuse, introduite par une autorité administrative au moyen d’une mesure réglementaire, avait un caractère obligatoire à l’égard des utilisateurs du réseau.

143 Il ressort ainsi des constatations factuelles effectuées par le Tribunal, qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler, que la décision BNetzA de 2011 obligeait les gestionnaires de réseau de distribution à percevoir la surtaxe litigieuse auprès des utilisateurs du réseau. Il est également constant, au vu des constatations factuelles du Tribunal aux points 12, 67 et 94 de l’arrêt attaqué, qu’il ne revient pas à la Cour de contrôler, que cette décision prévoyait la méthode selon laquelle le
montant de la surtaxe litigieuse devait être déterminé, chaque année, par les gestionnaires de réseau de transport.

144 Or, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 106 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que des montants résultant d’un prélèvement obligatoire qui, tel que la surtaxe litigieuse, est imposé par une mesure réglementaire, identifiant les entités, fussent-elles privées, chargées de la perception de ce prélèvement auprès des débiteurs également identifiés par cette mesure et définissant la méthode, fût‑elle générale, permettant de déterminer le montant dudit prélèvement et son
adaptation annuelle, ont pour origine des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En particulier, dès lors que le même prélèvement trouve sa source dans une mesure réglementaire, qui fait obligation aux gestionnaires de réseau de le percevoir, il ne saurait être affirmé que celui-ci procède d’une simple pratique.

145 Il est indifférent, à cet égard, que la mesure réglementaire prévoie seulement une obligation de perception de la surtaxe litigieuse à la charge des gestionnaires de réseau sans identifier explicitement une obligation de paiement de cette surtaxe à la charge des utilisateurs du réseau. L’effet utile de l’obligation légale de perception de ladite surtaxe implique, en effet, nécessairement une obligation symétrique de paiement de cette taxe par ses débiteurs.

146 Il découle également de ce qui précède que la circonstance qu’un prélèvement tel que la surtaxe litigieuse est perçu à un « niveau intermédiaire », sans répercussion obligatoire par les fournisseurs d’électricité sur leurs clients finals, n’est pas un élément décisif aux fins de la qualification de cette surtaxe en tant que taxe ou prélèvement obligatoire, au sens de la jurisprudence visée au point 105 du présent arrêt.

147 En outre, dans la mesure où les sociétés Infineon tirent argument de l’absence de toute obligation de perception de la surtaxe litigieuse avant l’année 2012, il suffit de constater que, ainsi qu’il ressort du point 24 du présent arrêt, la décision litigieuse ne porte que sur la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013.

148 En troisième lieu, s’agissant de la compensation des coûts engendrés par l’exonération litigieuse, d’une part, le Tribunal, en se référant à la décision BNetzA de 2011, a fait sienne, aux points 91, 92 et 95 de l’arrêt attaqué, la constatation effectuée par la Commission dans la décision litigieuse selon laquelle le mécanisme de la surtaxe litigieuse assurait aux gestionnaires de réseau la compensation intégrale de la moins-value qu’ils subissaient en raison de l’exonération litigieuse, puisque
le montant de cette surtaxe était adapté à celui des ressources requises en raison de cette exonération.

149 Or, l’appréciation selon laquelle la méthode de détermination du montant de la surtaxe litigieuse prévue par la décision BNetzA de 2011 devait permettre de couvrir l’intégralité des coûts liés à l’exonération litigieuse relève d’une appréciation factuelle du Tribunal qu’il ne revient pas à la Cour de contrôler au stade du pourvoi en l’absence de toute allégation de dénaturation, conformément à la jurisprudence rappelée au point 141 du présent arrêt.

150 D’autre part, s’agissant des pertes de recettes due à une insolvabilité, qui sont supportées économiquement par les gestionnaires de réseau de distribution, le Tribunal a considéré, au point 95 de l’arrêt attaqué, qu’une telle perte ne constitue pas une perte de recettes au sens du régime en question et se justifie par le fait que les relations entre les gestionnaires de réseau et les débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse sont des relations de droit privé.

151 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État, gérés et répartis conformément à cette législation, peuvent être considérés comme étant des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, même s’ils sont gérés par des entités distinctes de l’autorité publique (arrêts du 19 décembre 2013, Association Vent De Colère ! e.a., C‑262/12, EU:C:2013:851, point 25, ainsi que du 15 mai
2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 54).

152 Partant, et pour autant que de telles entités, à l’instar des gestionnaires de réseau, soient soumises à une obligation de perception des prélèvements en cause, la circonstance que les relations entre ces gestionnaires et les débiteurs ultimes de la surtaxe litigieuse sont des relations de droit privé ne fait pas obstacle à ce que les fonds alimentés par cette surtaxe soient considérés comme étant des ressources d’État. Il en va de même de la circonstance que les pertes de recettes, y compris
des impayés de surtaxe litigieuse, sont supportées, en cas d’insolvabilité, par lesdits gestionnaires. En tout état de cause, les sociétés Infineon n’ont présenté aucun argument visant, spécifiquement, à démontrer que la considération émise par le Tribunal selon laquelle de telles pertes ne constituent pas une perte de recettes au sens du régime en cause est entachée d’une erreur de droit.

153 En quatrième lieu, s’agissant des arguments pris, par les sociétés Infineon, de l’absence de sanction ou de garantie publique en cas de non-paiement de la surtaxe litigieuse et de la circonstance que l’État n’a pas le pouvoir de disposer directement des montants collectés, il suffit de constater que, au regard de la jurisprudence citée au point 106 du présent arrêt, ces éléments ne sont pas strictement indispensables pour constater l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires
impliquant l’usage de ressources d’État, au sens de la jurisprudence citée au point 105 de cet arrêt.

154 À la lumière des motifs qui précèdent, la deuxième branche du moyen unique soulevé par la République fédérale d’Allemagne, soutenue par les sociétés Infineon, doit être écartée comme étant non fondée. Le quatrième grief du premier moyen soulevé par les sociétés Infineon est inopérant, de telle sorte que ce moyen doit être écarté dans son intégralité.

Sur le contrôle étatique

– Argumentation des parties

155 Par la troisième branche de son moyen unique, la République fédérale d’Allemagne reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant qu’il existe un contrôle étatique sur les fonds issus de la surtaxe litigieuse.

156 La Commission estime que cette branche est non fondée et, en tout hypothèse, inopérante.

– Appréciation de la Cour

157 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 104 à 108 du présent arrêt, l’existence d’une taxe ou d’autres prélèvements obligatoires en vertu de la législation nationale et gérés et répartis conformément à cette législation et l’existence d’un contrôle étatique sur les sommes en cause constituent deux critères alternatifs permettant d’identifier des « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

158 En l’occurrence, le Tribunal a constaté, au point 97 de l’arrêt attaqué, que la surtaxe litigieuse constituait une taxe parafiscale ou une charge obligatoire impliquant l’usage de « ressources d’État », au sens de cette jurisprudence. Ainsi qu’il ressort des points 127 à 154 du présent arrêt, la République fédérale d’Allemagne n’est pas parvenue à démontrer que cette constatation du Tribunal est entachée d’une erreur de droit.

159 Or, ladite constatation est, à elle seule, suffisante pour considérer que la mesure en cause était octroyée au moyen de « ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans qu’il soit besoin d’examiner si les sommes en cause étaient sous contrôle étatique.

160 Partant, la troisième branche du moyen unique de la République fédérale d’Allemagne est inopérante.

161 Il découle de l’ensemble des motifs qui précèdent que le moyen unique soulevé à l’appui du pourvoi dans l’affaire C‑794/21 P doit être écarté dans son intégralité comme étant, en partie, inopérant et, en partie, non fondé.

Sur le second moyen dans l’affaire C‑800/21 P

Argumentation des parties

162 Les sociétés Infineon font valoir que le Tribunal a dénaturé les faits et le droit national à plusieurs reprises.

163 Premièrement, contrairement aux affirmations figurant aux points 12, 66, 93 et 99 de l’arrêt attaqué, la BNetzA n’aurait pas fixé le montant de la surtaxe litigieuse. Cette surtaxe serait, au contraire, déterminée par les gestionnaires de réseau, ainsi qu’il ressortirait des considérants 61, 75 et 123 de la décision litigieuse.

164 Deuxièmement, à l’inverse de ce que le Tribunal aurait constaté au point 92 de l’arrêt attaqué, la BNetzA n’aurait pas imposé aux gestionnaires de réseau de transport une méthode très détaillée de calcul de ladite surtaxe. La décision BNetzA de 2011 ne contiendrait, à cet égard, que des exigences très générales, ainsi qu’il ressortirait des considérants 61, 75 et 123 de la décision litigieuse.

165 Troisièmement, contrairement aux constatations faites aux points 93, 99 ainsi que 106 et suivants de l’arrêt attaqué, les pertes de recettes des gestionnaires de réseau résultant des exonérations des redevances de réseau ne seraient pas intégralement financées par la surtaxe litigieuse. Le Tribunal aurait méconnu, à cet égard, le fait que la décision BNetzA de 2011 ne traite que des mesures de recouvrement à l’égard des utilisateurs du réseau insolvables qui ne remplissent pas les conditions de
l’exonération des redevances de réseau. En revanche, les gestionnaires de réseau supporteraient les conséquences du non‑paiement de la surtaxe litigieuse par les utilisateurs du réseau.

166 Quatrièmement, contrairement à ce que le Tribunal aurait affirmé au point 85 de l’arrêt attaqué, les gestionnaires de réseau ne seraient pas obligés de percevoir la surtaxe litigieuse en vertu du droit national. D’une part, la décision BNetzA de 2011 aurait été déclarée nulle et n’aurait pas pu produire d’effets juridiques. D’autre part, en vertu du droit national, cette décision ne pourrait produire aucun effet à l’égard des utilisateurs du réseau.

167 La Commission estime que ce moyen devrait être écarté comme étant manifestement non fondé.

Appréciation de la Cour

168 Ainsi qu’il a été rappelé au point 141 du présent arrêt, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal étant seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve, l’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

169 Partant, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit (arrêts du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 79, et du 14 décembre 2023, Commission/Amazon.com e.a., C‑457/21 P, EU:C:2023:985, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Une
dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 80).

170 En outre, lorsqu’il allègue une dénaturation des faits ou des éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à
cette dénaturation (arrêts du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 99, ainsi que du 28 avril 2022, Yieh United Steel/Commission, C‑79/20 P, EU:C:2022:305, point 53).

171 En l’occurrence, il y a lieu de constater que si, par leur second moyen, les sociétés Infineon reprochent au Tribunal plusieurs dénaturations des éléments de droit national et de faits, elles se contentent toutefois d’énoncer les affirmations reproduites aux points 163 à 166 du présent arrêt. Sans la moindre explication ni démonstration, elles allèguent ainsi de prétendues contradictions entre les affirmations du Tribunal et celles figurant dans la décision litigieuse ou le contenu de la
décision BNetzA de 2011. Des affirmations aussi vagues ne sauraient suffire pour établir l’existence d’une dénaturation.

172 Il s’ensuit qu’il convient d’écarter le second moyen soulevé à l’appui du pourvoi dans l’affaire C‑800/21 P comme étant manifestement non fondé.

173 Par conséquent, l’ensemble des moyens soulevés à l’appui des pourvois principaux dans les affaires C‑794/21 P et C‑800/21 P ayant été rejetés, ces pourvois doivent être rejetés dans leur intégralité.

Sur les dépens

174 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, rendus applicables à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens, et que, si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens.

175 En l’occurrence, la République fédérale d’Allemagne et les sociétés Infineon ont succombé dans l’ensemble de leurs conclusions concernant, respectivement, le pourvoi principal dans l’affaire C‑794/21 P et le pourvoi principal dans l’affaire C‑800/21 P, tandis que la Commission a succombé dans l’ensemble de ses conclusions concernant les pourvois incidents dans ces affaires.

176 Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que chaque partie supporte ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

  1) Les pourvois principaux et les pourvois incidents sont rejetés.

  2) La République fédérale d’Allemagne, Infineon Technologies Dresden GmbH & Co. KG, Infineon Technologies AG et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-794/21
Date de la décision : 26/09/2024

Analyses

Pourvoi – Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la République fédérale d’Allemagne en faveur de grands consommateurs d’électricité – Exonération des redevances de réseau pour la période 2012-2013 – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur – Recours en annulation – Délai de recours – Recevabilité – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Notion d’“aide d’État” – Ressources d’État – Taxe parafiscale ou autres prélèvements obligatoires.


Parties
Demandeurs : République fédérale d'Allemagne
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:796

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