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04/10/2024 | CJUE | N°C-475/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Voestalpine Giesserei Linz contre Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Cluj et Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca., 04/10/2024, C-475/23


 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

4 octobre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 168, sous a) – Droit à déduction de la TVA – Acquisition d’un bien par un assujetti – Mise à disposition, à titre gratuit, de ce bien en faveur d’un sous-traitant en vue de la réalisation de travaux au profit de l’assujetti – Refus de la déduction de la TVA afférente audit bien »

Dans l’affaire C‑475/23,

ayant pour objet une demande de dé

cision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie),...

 ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

4 octobre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 168, sous a) – Droit à déduction de la TVA – Acquisition d’un bien par un assujetti – Mise à disposition, à titre gratuit, de ce bien en faveur d’un sous-traitant en vue de la réalisation de travaux au profit de l’assujetti – Refus de la déduction de la TVA afférente audit bien »

Dans l’affaire C‑475/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), par décision du 3 juillet 2023, parvenue à la Cour le 25 juillet 2023, dans la procédure

Voestalpine Giesserei Linz GmbH

contre

Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Cluj,

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu‑Matei, présidente de chambre, MM. J.‑C. Bonichot et S. Rodin (rapporteur), juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Voestalpine Giesserei Linz GmbH, par Me C. Dragoman, avocat,

– pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Antonie, E. Gane et L. Ghiţă, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. M. Herold, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions du titre X de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Voestalpine Giesserei Linz GmbH (ci-après « VGL ») à l’Administrația Județeană a Finanțelor Publice Cluj (administration départementale des finances publiques de Cluj, Roumanie) et à la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice Cluj-Napoca (direction générale régionale des finances publiques de Cluj-Napoca, Roumanie) (ci-après, ensemble, l’« autorité fiscale ») au sujet du refus par cette autorité de la déduction de la taxe
sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont lors de l’acquisition d’un bien par VGL, mis gratuitement à la disposition d’un sous-traitant en vue de la réalisation de travaux au profit de VGL.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le titre X de la directive 2006/112, intitulé « Déductions », comporte cinq chapitres. Sous le chapitre 1 de ce titre, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », figure notamment l’article 168 de cette directive. Cet article 168 prévoit :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

4 Le titre XI de ladite directive, relatif, notamment, aux obligations des assujettis, comporte un chapitre 4, intitulé « Comptabilité », sous lequel figure l’article 242 de la même directive, qui dispose :

« Tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale. »

Le droit roumain

5 L’article 297, paragraphe 4, sous a), de la Legea nr. 227/2015, privind Codul fiscal (loi no 227/2015, établissant le code des impôts), du 8 septembre 2015 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 688 du 10 septembre 2015), prévoit :

« Tout assujetti a le droit de déduire la taxe afférente aux achats si ces derniers sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : les opérations taxées. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6 VGL, une société établie en Autriche, produit, dans le cadre de son activité économique, différentes pièces moulées. Elle fait transformer ces pièces en Roumanie, où elle est identifiée à la TVA. À cette fin, elle a conclu un contrat-cadre avec Austrex Handels GmbH (ci-après « Austrex »), établie en Autriche, cette dernière société pouvant recourir aux services d’un sous-traitant, à savoir Global Energy Products SA (ci‑après « GEP »), établie en Roumanie.

7 Une fois la transformation effectuée, les pièces moulées sont envoyées et facturées par VGL à des clients dans l’Union européenne. Il ressort du dossier dont dispose la Cour que VGL indique son numéro de TVA roumain lors de la facturation de ces pièces.

8 Dans le cadre de l’activité de transformation, VGL met à disposition d’Austrex, en vertu d’un droit d’usage cessible à GEP, un immeuble situé à Cluj-Napoca (Roumanie), dont elle est propriétaire. Pour les besoins de GEP, qui effectue la transformation des pièces produites par VGL, cette dernière société met également à disposition, à titre gratuit, une grue qu’elle a acquise et a fait installer sur le terrain de cet immeuble.

9 VGL a été soumise à un contrôle fiscal anticipé par l’autorité fiscale en raison de l’enregistrement d’une déclaration de TVA portant sur le mois de juin 2021 et faisant apparaître un solde négatif avec option de remboursement. Lors de ce contrôle, cette autorité a constaté, d’une part, que VGL n’avait pas établi les balances générales des comptes faisant apparaître les recettes et les dépenses réalisées dans le cadre de son activité en Roumanie et, d’autre part, que l’immeuble dans lequel GEP
effectue ses activités avait été mis à disposition d’Austrex à titre gratuit. Compte tenu de ces éléments, ladite autorité a considéré que VGL n’avait pas apporté la preuve que l’acquisition de la grue avait été effectuée aux fins de son activité économique et a refusé la déduction de la TVA afférente à cette acquisition.

10 VGL a contesté l’avis d’imposition de l’autorité fiscale devant le Tribunalul Cluj (tribunal de grande instance de Cluj, Roumanie), lequel a rejeté le recours, essentiellement pour les mêmes motifs que ceux avancés par l’autorité fiscale. Ce tribunal a ajouté que l’activité de transformation exercée en Roumanie générait des revenus pour VGL uniquement de manière indirecte, les bénéficiaires directs de cette activité étant Austrex et GEP, dans la mesure où ces deux sociétés facturaient des travaux
à VGL pour la réalisation desquels la grue acquise était utilisée.

11 VGL a formé un recours contre le jugement dudit tribunal devant la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.

12 Cette dernière juridiction s’interroge, d’une part, sur la compatibilité avec les dispositions du titre X de la directive 2006/112, relatif aux déductions, d’une pratique nationale consistant à refuser le droit à déduction de la TVA à un assujetti lorsqu’un bien acquis par celui-ci est mis à disposition, à titre gratuit, d’un sous-traitant afin que ce dernier effectue des travaux au profit de cet assujetti, au motif que le bien est considéré comme étant acquis pour les besoins des opérations
taxées non pas dudit assujetti, mais de ce sous-traitant. D’autre part, elle se demande si la circonstance que VGL n’a pas tenu de comptabilité distincte pour son établissement stable en Roumanie a une incidence à cet égard.

13 Dans ces conditions, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions de la [directive 2006/112] relatives au droit à déduction de la TVA s’opposent-elles à une pratique nationale en vertu de laquelle, lorsqu’une société acquiert un bien, qu’elle met ensuite, à titre gratuit, à la disposition d’un sous-traitant, afin que celui-ci effectue des travaux au profit de cette société, celle-ci se voit refuser le droit à déduction de la TVA afférente au bien acquis, au motif que [ce] bien est considéré comme ayant été acquis pour les besoins des
opérations taxées du sous-traitant et non pas pour les besoins des opérations taxées de ladite société ?

2) Les dispositions de la directive 2006/112 relatives au droit à déduction de la TVA s’opposent-elles à une pratique nationale en vertu de laquelle le droit à déduction est refusé à un [assujetti] au motif que celui-ci n’a pas tenu une comptabilité distincte pour son établissement stable en Roumanie, raison pour laquelle les autorités fiscales ne sont pas en mesure de vérifier, d’une part, les coûts de la main-d’œuvre appliquée aux pièces moulées dont [cet assujetti] est propriétaire et, d’autre
part, l’ensemble de l’activité de transformation réalisée en Roumanie ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

14 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle, lorsqu’un assujetti acquiert un bien qu’il met ensuite, à titre gratuit, à la disposition d’un sous-traitant, afin que celui-ci effectue des travaux au profit de cet assujetti, ce dernier se voit refuser la déduction de la TVA afférente à l’acquisition de ce bien, au motif que
ledit bien est considéré comme ayant été acquis pour les besoins des opérations taxées de ce sous-traitant, et non pas pour les besoins des opérations taxées dudit assujetti.

15 L’article 168, sous a), de cette directive prévoit que, dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti.

16 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit à déduction prévu à l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 25 et jurisprudence citée).

17 Le régime des déductions vise, en effet, à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit ainsi la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate
Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 26 et jurisprudence citée).

18 Il résulte de l’article 168 de la directive 2006/112 que, dans la mesure où l’assujetti, agissant en tant que tel au moment où il acquiert un bien, utilise le bien pour les besoins de ses opérations taxées, il est autorisé à déduire la TVA due ou acquittée pour ledit bien (arrêt du 22 octobre 2015, Sveda, C‑126/14, EU:C:2015:712, point 18 et jurisprudence citée).

19 Plus spécifiquement, il ressort de cet article 168 que, pour pouvoir bénéficier du droit à déduction, deux conditions doivent être remplies. Premièrement, l’intéressé doit être un « assujetti », au sens de cette directive. Deuxièmement, les biens ou les services invoqués pour fonder ce droit doivent être utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et, en amont, ces biens doivent être livrés ou ces services doivent être rendus par un autre assujetti (arrêt
du 7 mars 2024, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole, C‑341/22, EU:C:2024:210, point 28 et jurisprudence citée).

20 S’agissant de la première partie de cette seconde condition, seule en cause au principal, il convient de rappeler que, pour qu’un droit à déduction de la TVA en amont soit reconnu à l’assujetti, il est, en principe, nécessaire qu’il existe un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction. Le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées
pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction (arrêt du 7 mars 2024, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole, C‑341/22, EU:C:2024:210, point 29 et jurisprudence citée).

21 Un droit à déduction est cependant également admis en faveur de l’assujetti, même en l’absence de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, lorsque les coûts des biens et des services en cause font partie des frais généraux de cet assujetti et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit. De tels coûts entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat
avec l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti (arrêts du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 29 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 mars 2024, Feudi di San Gregorio Aziende Agricole, C‑341/22, EU:C:2024:210, point 30 et jurisprudence citée).

22 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de l’application du critère du lien direct par les administrations fiscales et les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations concernées et de tenir compte des seules opérations qui sont objectivement liées à l’activité imposable de l’assujetti. L’existence d’un tel lien doit ainsi être appréciée au regard du
contenu objectif de l’opération en question (arrêt du 25 novembre 2021, Amper Metal, C‑334/20, EU:C:2021:961, point 34 et jurisprudence citée).

23 Ainsi, afin de répondre à la question de savoir si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, VGL a le droit de déduire la TVA payée en amont pour l’acquisition de la grue qu’elle a mise gratuitement à la disposition de son cocontractant, Austrex, et du sous‑traitant de celui-ci, GEP, il convient de déterminer s’il existe un lien direct et immédiat entre, d’une part, l’acquisition de ce bien et, d’autre part, une ou plusieurs opérations taxées effectuées en aval par VGL ou,
à défaut, l’ensemble de l’activité économique de cette dernière société.

24 Il découle des circonstances de l’affaire au principal décrites dans la décision de renvoi que, sans la grue acquise par VGL, la transformation des pièces moulées, dont le poids est supérieur à dix tonnes, n’aurait pas été possible, de sorte que l’acquisition de celle-ci était indispensable pour réaliser cette transformation et que, par conséquent, à défaut d’une telle acquisition, VGL n’aurait pas pu exercer son activité économique consistant à vendre des pièces moulées (voir, par analogie,
arrêt du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 33).

25 La circonstance qu’Austrex et son sous-traitant GEP tirent un bénéfice direct de la grue en question, du fait de sa mise à disposition à titre gratuit, ne saurait conduire à refuser à VGL le droit à déduction de la TVA relative à l’acquisition de celle-ci si l’existence d’un lien direct et immédiat est établie entre cette acquisition et soit une ou plusieurs opérations taxées effectuées en aval par VGL, soit l’ensemble de l’activité économique de celle-ci, ce qu’il appartient à la juridiction de
renvoi de vérifier (voir, par analogie, arrêts du 22 octobre 2015, Sveda, C‑126/14, EU:C:2015:712, point 34, ainsi que du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, points 35 et 40).

26 Il découle de ce qui précède que, conformément à la jurisprudence visée aux points 20 et 21 du présent arrêt, pour constater l’existence d’un droit à déduction en l’occurrence, il importe que les dépenses exposées, en amont, pour acquérir la grue soient un élément constitutif du prix d’une ou de plusieurs opérations taxées effectuées en aval par VGL ou, à défaut, en tant que dépenses faisant partie des frais généraux de celle‑ci, un élément constitutif du prix des biens et des services qu’elle
fournit dans le cadre de son activité économique. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ces éléments factuels.

27 Dans ce contexte, il convient de préciser que l’influence éventuelle du fait que les coûts d’acquisition de la grue ont été exposés par VGL sur le prix facturé par GEP pour la transformation des produits de VGL est sans incidence, dès lors que la circonstance que GEP a profité gratuitement de la grue ne saurait, à elle seule, justifier que la déduction de la TVA afférente à ces coûts soit refusée à VGL, ainsi que cela a été relevé au point 25 du présent arrêt.

28 Cela étant, il convient d’ajouter qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si la mise à disposition de la grue s’est limitée à ce qui était nécessaire pour assurer la transformation des pièces moulées pour le compte de VGL ou si elle a excédé ce qui était nécessaire à cette fin (voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 37).

29 En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, si la mise à disposition de la grue s’est limitée à ce qui était nécessaire à ladite fin, le droit à déduction devrait être reconnu pour l’ensemble des frais engendrés par l’acquisition de celle-ci. En revanche, si cette mise à disposition a excédé ce qui était nécessaire pour assurer la transformation des pièces moulées, le lien direct et immédiat entre l’acquisition de la grue, d’une part, et les opérations taxées effectuées en aval ou, à
défaut, l’activité économique de VGL, d’autre part, est en partie rompu, de sorte que le droit à déduction ne doit être reconnu que pour la TVA acquittée en amont ayant grevé la partie des frais encourus pour l’acquisition de la grue en cause qui a été objectivement nécessaire pour permettre à VGL d’effectuer ses opérations taxées ou d’exercer son activité économique (voir, par analogie, arrêts du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683,
points 38 et 39, ainsi que du 16 septembre 2020, Mitteldeutsche Hartstein-Industrie, C‑528/19, EU:C:2020:712, point 38).

30 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle, lorsqu’un assujetti a acquis un bien qu’il met ensuite, à titre gratuit, à la disposition d’un sous-traitant, afin que celui-ci effectue des travaux au profit de cet assujetti, ce dernier se voit refuser la déduction de la TVA afférente à l’acquisition de ce bien, dans la
mesure où cette mise à disposition n’excède pas ce qui est nécessaire pour permettre audit assujetti d’effectuer une ou plusieurs opérations taxées en aval ou, à défaut, d’exercer son activité économique, et où le coût d’acquisition dudit bien fait partie des éléments constitutifs du prix soit des opérations effectuées par le même assujetti, soit des biens ou des services qu’il fournit dans le cadre de son activité économique.

Sur la seconde question

31 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle la déduction de la TVA payée en amont est refusée à un assujetti au motif que celui-ci n’a pas tenu une comptabilité distincte pour son établissement stable dans l’État membre où est effectué le contrôle fiscal, raison pour laquelle les autorités fiscales ne sont pas en mesure de
vérifier certains éléments factuels.

32 Comme cela a déjà été exposé, en substance, aux points 16 et 17 du présent arrêt, en principe, le droit à déduction prévu au titre X de cette directive, qui vise à garantir la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, à condition qu’elles soient elles-mêmes soumises à la TVA, ne peut être limité et s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont.

33 Selon une jurisprudence constante, le principe fondamental de neutralité de la TVA impose que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêt du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 31 et jurisprudence citée).

34 Il découle de ce qui précède que, lorsque l’administration fiscale d’un État membre dispose des données nécessaires pour établir que les exigences de fond sont satisfaites, elle ne saurait imposer, en ce qui concerne le droit de l’assujetti de déduire cette taxe, des conditions supplémentaires pouvant avoir pour effet de réduire à néant l’exercice de ce droit (arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

35 Il peut cependant en aller autrement si la violation de telles exigences formelles a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 46 et jurisprudence citée).

36 À cet égard, il convient de préciser que les exigences de fond du droit à déduction sont celles qui régissent le fondement même et l’étendue de ce droit, telles que celles prévues au chapitre 1 du titre X de la directive 2006/112, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », tandis que les exigences formelles dudit droit règlent les modalités et le contrôle de l’exercice de celui-ci ainsi que le bon fonctionnement du système de la TVA, telles que celles relatives à la comptabilité, à
la facturation et à la déclaration (arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 47 et jurisprudence citée).

37 Ainsi, aux fins de l’application de la TVA et de son contrôle par l’administration fiscale, le titre XI de cette directive énumère certaines obligations qui incombent notamment aux assujettis redevables de cette taxe, en particulier la tenue d’une comptabilité adéquate, imposée à l’article 242 de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 48).

38 Il s’ensuit qu’un assujetti ne saurait être empêché d’exercer son droit à déduction au motif qu’il n’aurait pas tenu une comptabilité suffisamment détaillée si l’autorité fiscale est en mesure d’effectuer son contrôle et de vérifier que les exigences de fond sont satisfaites. En l’occurrence, bien que l’assujetti ne tienne pas une comptabilité distincte pour son établissement stable en Roumanie, l’autorité fiscale ne saurait refuser qu’il puisse exercer son droit à déduction de la TVA payée en
amont si cette autorité est en mesure de procéder à toute vérification nécessaire pour établir l’existence et l’étendue de ce droit, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

39 En outre, la Cour a jugé que le fait de sanctionner le non-respect par l’assujetti de ses obligations comptables et déclaratives par un refus du droit à déduction va clairement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’assurer l’application correcte de ces obligations, dès lors que le droit de l’Union n’empêche pas les États membres d’infliger, le cas échéant, une amende ou une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité d’une infraction aux exigences formelles liées au
droit à déduction (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 34 et jurisprudence citée).

40 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle la déduction de la TVA payée en amont est refusée à un assujetti au motif que celui-ci n’a pas tenu une comptabilité distincte pour son établissement stable dans l’État membre où est effectué le contrôle fiscal lorsque les autorités fiscales sont en mesure de vérifier si
les conditions de fond du droit à déduction sont réunies.

Sur les dépens

41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 168, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle, lorsqu’un assujetti a acquis un bien qu’il met ensuite, à titre gratuit, à la disposition d’un sous-traitant, afin que celui-ci effectue des travaux au profit de cet assujetti, ce dernier se voit refuser la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à l’acquisition de ce bien, dans la mesure où cette mise à disposition n’excède pas ce qui est nécessaire pour permettre audit assujetti d’effectuer une ou plusieurs opérations
taxées en aval ou, à défaut, d’exercer son activité économique, et où le coût d’acquisition dudit bien fait partie des éléments constitutifs du prix soit des opérations effectuées par le même assujetti, soit des biens ou des services qu’il fournit dans le cadre de son activité économique.

  2) L’article 168, sous a), de la directive 2006/112

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont est refusée à un assujetti au motif que celui-ci n’a pas tenu une comptabilité distincte pour son établissement stable dans l’État membre où est effectué le contrôle fiscal lorsque les autorités fiscales sont en mesure de vérifier si les conditions de fond du droit à déduction sont réunies.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-475/23
Date de la décision : 04/10/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 168, sous a) – Droit à déduction de la TVA – Acquisition d’un bien par un assujetti – Mise à disposition, à titre gratuit, de ce bien en faveur d’un sous-traitant en vue de la réalisation de travaux au profit de l’assujetti – Refus de la déduction de la TVA afférente audit bien.


Parties
Demandeurs : Voestalpine Giesserei Linz
Défendeurs : Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Cluj et Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:866

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