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04/10/2024 | CJUE | N°C-579/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Cunsorziu di i Salamaghji Corsi - Consortium des Charcutiers Corses e.a. contre Commission européenne., 04/10/2024, C-579/23


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 octobre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Protection des appellations d’origine et des indications géographiques – Règlement (UE) no 1151/2012 – Articles 7 et 8 – Article 49, paragraphe 2, et article 50, paragraphe 1 – Étendue du contrôle de la Commission européenne sur les demandes d’enregistrement de dénomination en tant qu’indication géographique – Partage des compétences entre les autorités nationales et la Commission – Conditions d’enregistrement d’une dénomination »

Dans l

affaire C‑579/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union eu...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 octobre 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Protection des appellations d’origine et des indications géographiques – Règlement (UE) no 1151/2012 – Articles 7 et 8 – Article 49, paragraphe 2, et article 50, paragraphe 1 – Étendue du contrôle de la Commission européenne sur les demandes d’enregistrement de dénomination en tant qu’indication géographique – Partage des compétences entre les autorités nationales et la Commission – Conditions d’enregistrement d’une dénomination »

Dans l’affaire C‑579/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 septembre 2023,

Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses, établie à Borgo (France),

Charcuterie Fontana, établie à Borgo,

Costa et Fils, établis à Urtaca (France),

L’Aziana, établie à Bastelica (France),

Charcuterie Passoni, établie à Venzolasca (France),

Orezza – Charcuterie la Castagniccia, établie à San-Giuliano (France),

Salaisons Réunies, établies à Penta-di-Casinca (France),

Salaisons Joseph Pantaloni, établies à Sarrola-Carcopino (France),

Antoine Semidei, établi à Castellare-di-Casinca (France),

L’Atelu Corsu, établie à Ajaccio (France),

représentés par Mes T. de Haan et V. Le Meur-Baudry, avocats,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. M. Konstantinidis, Mme C. Perrin et M. B. Rechena, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 juin 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi, les requérants demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juillet 2023, Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses e.a./Commission (T‑34/22, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2023:386), par lequel celui‑ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2021/1879 de la Commission, du 26 octobre 2021, portant rejet de trois demandes de protection de dénomination en tant qu’indication géographique
conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil [« Jambon sec de l’Île de Beauté » (IGP), « Lonzo de l’Île de Beauté » (IGP), « Coppa de l’Île de Beauté » (IGP)] (JO 2021, L 383, p. 1, ci‑après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

2 Les considérants 19, 58 et 61 du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1), sont rédigés comme suit :

« (19) Garantir le respect uniforme dans l’ensemble de l’Union [européenne] des droits de propriété intellectuelle liés à des dénominations protégées dans l’Union constitue un objectif prioritaire qui peut être réalisé plus efficacement au niveau de l’Union.

[...]

(58) Afin de veiller à ce que les dénominations enregistrées des appellations d’origine et indications géographiques et des spécialités traditionnelles garanties satisfassent aux conditions établies par le présent règlement, il convient que l’examen des demandes soit effectué par les autorités nationales de l’État membre concerné, dans le respect de dispositions communes minimales incluant une procédure nationale d’opposition. Il convient que la Commission [européenne] procède ensuite à un examen
approfondi des demandes afin de s’assurer qu’elles ne comportent pas d’erreurs manifestes et qu’elles ont tenu compte du droit de l’Union et des intérêts des parties prenantes en dehors de l’État membre de demande.

[...]

(61) Il y a lieu de raccourcir et d’améliorer, notamment en ce qui concerne la prise de décision, la procédure d’enregistrement des appellations d’origine protégées, des indications géographiques protégées et des spécialités traditionnelles garanties, y compris les périodes d’examen et d’opposition. La Commission, assistée dans certains cas des États membres, devrait être responsable de la prise de décision en matière d’enregistrement. [...] »

3 Le titre II du règlement no 1151/2012, intitulé « Appellations d’origine protégées et indications géographiques protégées », contient l’article 6, lui-même intitulé « Caractère générique, conflits avec des noms de variétés végétales et de races animales, des homonymes et des marques », qui prévoit, à son paragraphe 3, premier alinéa :

« Une dénomination proposée à l’enregistrement qui est partiellement ou totalement homonyme avec une dénomination déjà inscrite dans le registre établi conformément à l’article 11 ne peut être enregistrée à moins que les conditions d’usages locaux et traditionnels et la présentation de l’homonyme enregistré ultérieurement soient suffisamment distinctes en pratique de la dénomination déjà inscrite au registre, compte étant tenu de la nécessité d’assurer un traitement équitable des producteurs
concernés et de ne pas induire le consommateur en erreur. »

4 L’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Cahier des charges du produit », indique :

« Une appellation d’origine protégée ou une indication géographique protégée respecte un cahier des charges qui comporte au moins les éléments suivants :

a) la dénomination devant être protégée en tant qu’appellation d’origine ou indication géographique telle qu’elle est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun, et uniquement dans les langues qui sont ou étaient historiquement utilisées pour décrire le produit spécifique dans l’aire géographique délimitée ;

[...] »

5 L’article 8, paragraphe 1, sous b), dudit règlement prévoit, notamment, qu’une demande d’enregistrement d’une indication géographique comprend au moins le cahier des charges du produit prévu à l’article 7.

6 En vertu de l’article 11, paragraphe 1, du même règlement :

« La Commission adopte [...] des actes d’exécution qui établissent et tiennent à jour un registre accessible au public des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées reconnues au titre du présent système. »

7 L’article 13 du règlement no 1151/2012, intitulé « Protection », énonce :

« 1.   Les dénominations enregistrées sont protégées contre:

[...]

b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients ;

[...]

3.   Les États membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l’utilisation illégale visée au paragraphe 1 d’appellations d’origine protégées ou d’indications géographiques protégées qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire.

À cette fin, les États membres désignent, conformément aux procédures que chaque État membre a établies, les autorités chargées de prendre ces mesures.

Ces autorités offrent des garanties adéquates d’objectivité et d’impartialité et disposent du personnel qualifié et des ressources nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. »

8 L’article 49 de ce règlement, intitulé « Demande d’enregistrement de dénominations », précise :

« [...]

2.   Lorsque la demande au titre du système énoncé au titre II concerne une aire géographique dans un État membre ou lorsqu’une demande au titre du système énoncé au titre III est préparée par un groupement établi dans un État membre, la demande est adressée aux autorités de cet État membre.

L’État membre examine la demande par les moyens appropriés afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions du système correspondant.

3.   Dans le cadre de l’examen visé au paragraphe 2, deuxième alinéa, du présent article, l’État membre entame une procédure nationale d’opposition garantissant une publicité suffisante de la demande et octroyant une période raisonnable pendant laquelle toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime et établie ou résidant sur son territoire peut déclarer son opposition à la demande.

[...]

4.   Si, après avoir évalué les déclarations d’opposition reçues, l’État membre considère que les exigences du présent règlement sont respectées, il peut rendre une décision favorable et déposer un dossier de demande auprès de la Commission. Dans ce cas, il informe la Commission des oppositions recevables déposées par une personne physique ou morale ayant légalement commercialisé les produits en question en utilisant les dénominations concernées de façon continue pendant au moins cinq ans
précédant la date de publication visée au paragraphe 3.

[...] »

9 L’article 50 dudit règlement, intitulé « Examen par la Commission et publication aux fins d’opposition », dispose :

« 1.   La Commission examine par des moyens appropriés toute demande qu’elle reçoit conformément à l’article 49, afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions du système correspondant. Cet examen ne devrait pas durer plus de six mois. Lorsque ce délai est dépassé, la Commission indique par écrit les raisons de ce retard au demandeur.

[...]

2.   Lorsque, en se fondant sur l’examen réalisé en vertu du paragraphe 1, premier alinéa, la Commission estime que les conditions définies dans le présent règlement sont remplies, elle publie au Journal officiel de l’Union européenne :

a) pour les demandes au titre du système énoncé au titre II, le document unique et la référence à la publication du cahier des charges du produit ;

[...] »

10 L’article 52 du même règlement, intitulé « Décision concernant l’enregistrement », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsque, sur la base des informations dont elle dispose et à partir de l’examen effectué conformément à l’article 50, paragraphe 1, premier alinéa, la Commission estime que les conditions requises pour l’enregistrement ne sont pas remplies, elle adopte des actes d’exécution rejetant la demande. [...] »

Les antécédents du litige

11 Les antécédents du litige ont été résumés aux points 4 à 10 de l’arrêt attaqué comme suit :

« 4 Les dénominations “Jambon sec de Corse”/“Jambon sec de Corse – Prisuttu”, “Lonzo de Corse”/“Lonzo de Corse – Lonzu” et “Coppa de Corse”/“Coppa de Corse – Coppa di Corsica” ont fait l’objet d’un enregistrement en tant qu’appellations d’origine protégées (AOP) le 28 mai 2014, respectivement par les règlements d’exécution (UE) no 581/2014 de la Commission (JO 2014, L 160, p. 23), (UE) no 580/2014 de la Commission (JO 2014, L 160, p. 21) et (UE) no 582/2014 de la Commission (JO 2014, L 160,
p. 25) [...]

5 Au mois de décembre 2015, [Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses] a déposé sept demandes d’enregistrement en tant qu’indications géographiques protégées (IGP) auprès des autorités nationales françaises, en application du règlement [no 1151/2012]. Les sept demandes portent sur les dénominations suivantes, qu’exploitent les requérants : “Jambon sec de l’Île de Beauté”, “Coppa de l’Île de Beauté”, “Lonzo de l’Île de Beauté”, “Saucisson sec de l’Île de Beauté”,
“Pancetta de l’Île de Beauté”, “Figatelli de l’Île de Beauté » et “Bulagna de l’Île de Beauté”.

6 Le 20 avril 2018, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et le ministre de l’Économie et des Finances ont pris sept arrêtés procédant à l’homologation des sept cahiers des charges correspondants en vue de leur transmission à la Commission européenne pour approbation.

7 Parallèlement, par requêtes introduites le 27 juin 2018 devant le Conseil d’État (France), le syndicat détenteur des cahiers des charges des AOP “Jambon sec de Corse – Prisuttu”, “Coppa de Corse – Coppa di Corsica” et “Lonzo de Corse – Lonzu” a demandé l’annulation des arrêtés du 20 avril 2018 concernant l’homologation des cahiers des charges des dénominations “Jambon sec de l’Île de Beauté”, “Coppa de l’Île de Beauté” et “Lonzo de l’Île de Beauté” en vue de la transmission de leurs demandes
d’enregistrement en tant qu’IGP à la Commission, au motif notamment que le terme “Île de Beauté” imitait ou évoquait le terme “Corse” et introduisait donc une confusion avec les dénominations déjà enregistrées en tant qu’AOP.

8 Le 17 août 2018, les sept demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations en cause ont été transmises à la Commission. En ce qui concerne les demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations “Jambon sec de l’Île de Beauté”, “Lonzo de l’Île de Beauté” et “Coppa de l’Île de Beauté”, la Commission a envoyé deux lettres, le 12 février 2019 et le 24 novembre 2020, aux autorités nationales demandant des éclaircissements, notamment en ce qui concernait la question de leur
éventuelle inéligibilité à l’enregistrement. Les autorités nationales ont répondu, en substance, qu’elles considéraient que les deux groupes de produits (c’est-à-dire les AOP enregistrées et les demandes de protection en tant qu’IGP) étaient clairement différents en ce qui concerne les produits et que les dénominations leur paraissaient suffisamment distinctes.

9 Par un arrêt du 19 décembre 2019, relatif à la dénomination “Jambon sec de l’Île de Beauté” (IGP), et deux arrêts du 13 février 2020, relatifs respectivement aux dénominations “Coppa de l’Île de Beauté” (IGP) et “Lonzo de l’Île de Beauté” (IGP), le Conseil d’État a rejeté les trois requêtes précitées (voir point 7 ci-dessus), au motif, notamment, que “l’emploi de termes différents et la différence des protections conférées par une appellation d’origine, d’une part, et par une indication
géographique, d’autre part, sont de nature à écarter le risque que des consommateurs normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés aient, en présence de l’indication géographique contestée, directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation d’origine protégée déjà enregistrée[ ; p]ar suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions […] de l’article 13, paragraphe 1, sous b) du
règlement [no 1151/2012]” (point 5 des trois arrêts du Conseil d’État).

10 Par la décision [litigieuse], la Commission a rejeté les trois demandes d’enregistrement en tant qu’IGP des dénominations “Jambon sec de l’Île de Beauté”, “Lonzo de l’Île de Beauté” et “Coppa de l’Île de Beauté” au motif que, ces dénominations ayant été utilisées en contrevenant à l’article 13 du règlement no 1151/2012, lesdites demandes ne respectaient pas les conditions d’éligibilité à l’enregistrement, à savoir l’article 7, paragraphe 1, sous a), dudit règlement. »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2022, les requérants ont introduit un recours ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

13 Au soutien de leur recours, les requérants soulevaient deux moyens tirés, d’une part, de ce que la Commission aurait outrepassé ses compétences ainsi que, d’autre part, de ce que les autorités nationales et le Conseil d’État auraient suffisamment démontré la conformité avec les articles 7 et 13 du règlement no 1151/2012 des trois demandes d’enregistrement rejetées par la décision litigieuse.

14 En premier lieu, après avoir exposé, tout d’abord, aux points 21 à 24 de l’arrêt attaqué, les principes qui sous-tendent le système de protection des AOP et des IGP instauré par le règlement no 1151/2012, le Tribunal a rappelé, au point 38 de cet arrêt, qu’il appartient à la Commission, en vertu de l’article 52, paragraphe 1, de ce règlement, de refuser un enregistrement si elle considère illégale l’utilisation de la dénomination candidate à l’enregistrement dans le commerce.

15 Ensuite, aux points 42 à 44 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que la Commission disposait d’une marge d’appréciation autonome dans le cadre de l’examen des demandes d’enregistrement. Le Tribunal a constaté, au point 49 de cet arrêt, que la Commission avait bien procédé à un examen approfondi des demandes d’enregistrement.

16 Enfin, pour les motifs exposés aux points 51 à 60 dudit arrêt, le Tribunal a rejeté les arguments par lesquels les requérants soutenaient que la Commission ne dispose que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante, lors de l’examen d’une demande d’enregistrement d’une dénomination en tant qu’AOP ou IGP.

17 En second lieu, après avoir rejeté les arguments des requérants visant à démontrer que la Commission serait liée par les appréciations des autorités nationales en ce qui concerne le risque d’évocation induit par les dénominations candidates à l’enregistrement, le Tribunal a procédé, aux points 78 à 108 de l’arrêt attaqué, à l’examen des éléments sur la base desquels la Commission a rejeté les demandes en cause. Il en a conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur d’appréciation à cet
égard.

18 Par conséquent, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

Les conclusions des parties

19 Les requérants demandent à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse, et

– de condamner la Commission aux dépens.

20 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérants aux dépens.

Sur la demande de renvoi à la grande chambre

21 Par acte déposé au greffe de la Cour le 23 janvier 2024, les requérants ont demandé que la présente affaire soit attribuée à une chambre élargie de la Cour, voire à la grande chambre.

22 À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée qu’aucune disposition du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou du règlement de procédure de la Cour ne prévoit le traitement de ce type de demande de la part d’une partie à l’instance autre qu’un État membre ou qu’une institution de l’Union, dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2014, Leone, C‑173/13, EU:C:2014:2090, point 19).

23 En vertu de l’article 60, paragraphe 3, du règlement de procédure, la formation de jugement devant laquelle une affaire a été renvoyée peut, certes, à tout stade de la procédure, demander à la Cour de renvoyer cette affaire à une formation de jugement plus importante, mais il s’agit là d’une mesure que la chambre à laquelle l’affaire a été attribuée adopte, en principe, d’office et librement (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2014, Leone, C‑173/13, EU:C:2014:2090, point 20).

24 En l’occurrence, la première chambre de la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la présente affaire à la grande chambre.

Sur le pourvoi

25 Au soutien de leur pourvoi, les requérants soulèvent quatre moyens. Le premier moyen est tiré de la violation des articles 7 et 13 du règlement no 1151/2012, en ce le Tribunal aurait permis à la Commission de rejeter une demande d’enregistrement sur le fondement de l’article 13 de ce règlement. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 49, 50 et 52 dudit règlement, en ce que le Tribunal aurait autorisé la Commission à outrepasser ses compétences. Le troisième moyen est tiré de la
violation de l’article 50 du même règlement ainsi que du principe général de bonne administration, en ce que le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas tenue de prendre en compte les appréciations des autorités et des juridictions nationales. Le quatrième moyen est tiré de la violation des articles 7 et 13 du règlement no 1151/2012 ainsi que de l’obligation du Tribunal de motiver ses arrêts.

26 Dès lors que, par leur deuxième moyen, les requérants allèguent la violation par le Tribunal des règles de partage des compétences entre les autorités nationales, d’une part, et la Commission, d’autre part, dans le cadre de l’examen des demandes d’enregistrement de dénominations en tant qu’IGP, il convient d’examiner d’emblée ce moyen avant de statuer sur les premier, troisième et quatrième moyens relatifs à l’application des conditions requises pour un tel enregistrement.

Sur le deuxième moyen

Argumentation des parties

27 Par leur deuxième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal, en jugeant, au point 44 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas outrepassé les limites de sa compétence au titre du règlement no 1151/2012, a commis une erreur de droit. Selon les requérants, eu égard aux règles de partage de compétences entre cette institution et les autorités nationales, telles qu’instaurées à l’article 49, paragraphe 2, et à l’article 50, paragraphe 1, de ce règlement, la compétence de la Commission
serait limitée, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé aux points 50 à 61 de l’arrêt attaqué, à vérifier que les autorités nationales lui ont transmis des dossiers complets sans commettre d’erreurs manifestes d’appréciation des conditions d’éligibilité des dénominations visées par ces demandes. Or, la décision litigieuse ne serait pas fondée sur de tels motifs.

28 En tout état de cause, il n’appartiendrait pas à la Commission de substituer son appréciation à celles des autorités nationales, à plus forte raison lorsque le motif de refus invoqué par cette institution a déjà été écarté par une juridiction nationale en vertu d’une décision passée en force de chose jugée.

29 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

30 Premièrement, en vertu du libellé de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, lorsqu’une demande d’enregistrement de dénomination en tant qu’IGP concerne une aire géographique dans un État membre, elle est adressée aux autorités de cet État membre, lequel l’examine par les « moyens appropriés » afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions d’enregistrement prévues par ledit règlement. Ledit État membre doit, conformément à l’article 49, paragraphe 3, du
même règlement, entamer une procédure nationale d’opposition garantissant une publicité suffisante de la demande et octroyant une période raisonnable pendant laquelle toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime et établie ou résidant sur son territoire peut déclarer son opposition à la demande.

31 Après avoir examiné la recevabilité des déclarations d’opposition reçues, si l’État membre considère que la demande respecte les exigences du règlement no 1151/2012, il peut, en vertu de l’article 49, paragraphe 4, de ce règlement, rendre une décision favorable en veillant à ce que celle-ci soit publiée et que toute personne ayant un intérêt légitime dispose de voies de recours. Au terme de cette phase nationale, cet État membre dépose un dossier de demande auprès de la Commission, qu’il informe
des oppositions recevables.

32 En vertu de l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, la Commission examine par des « moyens appropriés » la demande qu’elle reçoit conformément à l’article 49 de ce règlement, afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions de l’enregistrement de la dénomination sollicité.

33 Il s’ensuit que les dispositions du règlement no 1151/2012 établissent un système de partage des compétences, dans le cadre duquel la Commission ne peut prendre la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou en tant qu’IGP que si les autorités de l’État membre concerné lui ont soumis une demande à cette fin, demande dont ces autorités doivent avoir vérifié qu’elle est justifiée et remplit les conditions d’enregistrement prévues par ce règlement (voir, par analogie, arrêt du
6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 53). C’est dans cette perspective que la Cour a relevé, au point 36 de l’arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros (C‑785/18, EU:C:2020:46), que la décision d’enregistrement de la Commission est conditionnée par la décision préalable prise par les autorités compétentes nationales sur la demande d’enregistrement.

34 En outre, si la Cour a déjà jugé que la Commission peut fonder son appréciation sur celle faite préalablement par les autorités nationales lorsque celle-ci n’est pas entachée d’une erreur manifeste (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 60, ainsi que du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, points 90, 93 et 99), elle n’a pas dit pour droit que cette institution serait liée par l’appréciation de ces autorités en
ce qui concerne, notamment, la compatibilité de la dénomination en cause avec le droit de l’Union.

35 À cet égard, dans le cadre de ce partage des compétences, il convient de relever, d’une part, que tant le libellé de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012 que celui de l’article 50, paragraphe 1, de ce règlement précisent qu’il doit être procédé à l’examen des demandes d’enregistrement, aussi bien par les autorités nationales que par la Commission, par des « moyens appropriés ». Ainsi que l’a constaté le Tribunal au point 43 de l’arrêt attaqué en ce qui concerne l’article 50,
paragraphe 1, dudit règlement, cette disposition ne définit pas la notion de « moyens appropriés », mais laisse le soin à la Commission d’apprécier la nature et l’étendue de ces moyens, de sorte que les requérants ne sauraient faire valoir que l’examen effectué par les autorités nationales au titre de l’article 49, paragraphe 2, du même règlement s’imposerait à la Commission.

36 D’autre part, l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 indique que la Commission vérifie si les demandes d’enregistrement sont justifiées et remplissent les conditions requises par ce règlement.

37 Or, il ne ressort nullement de cette disposition que l’examen des conditions d’enregistrement par la Commission serait limité, d’une quelconque façon que ce soit, par l’examen initial conduit par les autorités nationales.

38 Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a pu juger, au point 44 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’est pas liée par l’appréciation des autorités nationales et qu’elle dispose, en ce qui concerne sa décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’IGP, d’une marge d’appréciation autonome. En effet, ainsi qu’il ressort du point 59 de cet arrêt, la marge d’appréciation de cette institution n’est « limitée ou inexistante » que s’agissant de l’appréciation de la légalité des pièces
constitutives du dossier de la demande d’enregistrement réunies par les autorités nationales (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros, C‑785/18, EU:C:2020:46, points 25, 26 et 36).

39 Deuxièmement, ce pouvoir autonome d’appréciation de la Commission se trouve conforté, d’une part, par la lecture du considérant 19 du règlement no 1151/2012, qui énonce que la garantie du respect uniforme dans l’ensemble de l’Union des droits de propriété intellectuelle liés à des dénominations protégées dans l’Union constitue un objectif prioritaire qui peut être réalisé plus efficacement au niveau de l’Union. En effet, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, la
Commission se trouve investie, dans le cadre de la réalisation de cet objectif, du pouvoir d’assurer l’application uniforme des conditions d’enregistrement, de sorte que, en l’absence d’un pouvoir autonome d’appréciation à cet égard, cette institution ne serait pas en mesure d’empêcher que ces conditions d’enregistrement reçoivent une application différenciée au sein des États membres.

40 D’autre part, le considérant 58 du règlement no 1151/2012 précise que l’examen des demandes est effectué par les autorités nationales, dans le respect des dispositions communes minimales incluant une procédure nationale d’opposition. Selon ce même considérant, la Commission procède ensuite « à un examen approfondi des demandes afin de s’assurer qu’elles ne comportent pas d’erreurs manifestes et qu’elles ont tenu compte du droit de l’Union et des intérêts des parties prenantes en dehors de l’État
membre de demande ».

41 Or, si l’examen des demandes d’enregistrement par la Commission devait être limité, ainsi que le font valoir les requérants, à vérifier que les dossiers sont complets et l’absence d’erreurs manifestes, cette institution serait dans l’incapacité de procéder à l’« examen approfondi » que prévoit le considérant 58 du règlement no 1151/2012. Dans le cadre de cet examen, la Commission ne saurait être empêchée de vérifier la conformité de cette demande avec les conditions d’enregistrement fixées par ce
règlement, comme l’exige l’article 50, paragraphe 1, dudit règlement. Cela est corroboré par l’importance que les termes de ce considérant accordent au respect, tant par la demande d’enregistrement que par les autorités nationales, des exigences communes minimales résultant notamment dudit règlement.

42 En outre, il convient de relever que, en vertu du considérant 61 de ce règlement, la Commission devrait être responsable de la prise de décision en matière d’enregistrement. Or, cette institution ne saurait endosser la responsabilité finale de la prise de décision en matière d’enregistrement que si elle dispose d’un pouvoir autonome d’appréciation, sans être liée par le résultat auquel a abouti l’examen préalable des conditions d’enregistrement par les autorités nationales.

43 Partant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 44 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’a pas méconnu les limites de sa compétence lorsqu’elle a vérifié, en application de l’article 50 du règlement no 1151/2012, si les conditions d’enregistrement d’une dénomination sont remplies.

44 Il a en outre estimé, à juste titre, aux points 63 et 64 de l’arrêt attaqué, que, dès lors que la Commission dispose d’un pouvoir autonome d’appréciation, une décision d’une juridiction nationale passée en force de chose jugée ne saurait être invoquée en vue de remettre en cause l’appréciation de la Commission.

45 Dès lors, le deuxième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

46 Par leur premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal, en jugeant que l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012 pouvait servir de fondement à une décision de refus de demande d’enregistrement par la Commission, a commis une erreur de droit.

47 Premièrement, au point 35 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait considéré, à tort, que la Commission est compétente pour vérifier l’existence d’une violation de la protection des dénominations enregistrées contre toute évocation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012, alors même que l’article 13, paragraphe 3, de ce règlement réserverait cette compétence aux États membres.

48 Deuxièmement, en procédant de la sorte, le Tribunal aurait élargi le nombre des conditions d’éligibilité à l’enregistrement prévues à l’article 7 dudit règlement, en y incluant erronément l’examen de l’exigence visée à l’article 13, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement, à savoir que la dénomination dont l’enregistrement est demandé en tant qu’IGP ne viole pas la protection contre l’évocation.

49 Troisièmement, le Tribunal se serait contenté, aux points 38 et 39 de l’arrêt attaqué, de valider l’affirmation erronée de la Commission selon laquelle l’utilisation dans le commerce des dénominations concernées par les demandes d’enregistrement était illégale, alors même que cette institution ne disposerait pas des éléments lui permettant d’apprécier les conditions dans lesquelles les produits concernés par ces dénominations sont commercialisés. L’erreur de droit ainsi commise par le Tribunal
conduirait en outre à interdire toute coexistence entre une AOP et une IGP.

50 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

51 En vertu de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012, les dénominations enregistrées sont protégées contre toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que genre, type, méthode, façon, imitation, ou d’une expression similaire.

52 Il ressort de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ce règlement que l’élaboration du cahier des charges, que doit respecter une IGP, constitue une étape nécessaire de la procédure d’enregistrement. Celui-ci doit notamment, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, comporter la dénomination dont la protection est demandée telle qu’elle « est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun ».

53 Ainsi que l’a jugé le Tribunal, en substance, au point 36 de l’arrêt attaqué, une dénomination ne saurait bénéficier de l’enregistrement en tant qu’IGP s’il devait être constaté que celle-ci est évocatrice d’une dénomination qui est déjà enregistrée en tant qu’AOP. En effet, comme le relève M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, un tel enregistrement priverait nécessairement d’effet utile la protection octroyée à la dénomination préalablement enregistrée.

54 Certes, l’article 13, paragraphe 3, du même règlement précise que les États membres préviennent et arrêtent l’utilisation de dénominations évoquant une dénomination enregistrée en tant qu’AOP ou IGP qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire. Ainsi, l’évocation ne peut être constatée qu’à la suite de l’appréciation globale des autorités nationales, incluant l’ensemble des éléments pertinents de l’affaire (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du
Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 60).

55 Toutefois, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 42 de l’arrêt attaqué, l’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 exige que la Commission vérifie que la demande d’enregistrement remplit les conditions de ce règlement.

56 Or, dans la mesure où une dénomination qui est évocatrice d’une dénomination déjà enregistrée n’est pas conforme à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012, elle ne saurait bénéficier de la protection prévue par ce règlement. En effet, l’exigence qui découle de l’article 7, paragraphe 1, sous a), et de l’article 8, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, selon laquelle, pour être éligible à l’enregistrement, la dénomination doit être mentionnée dans le cahier des charges
contenu dans cette demande telle que cette dénomination « est utilisée dans le commerce ou dans le langage commun », implique nécessairement une utilisation exempte de toute violation des dispositions du même règlement.

57 En outre, l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 prévoit expressément qu’une dénomination proposée à l’enregistrement qui est partiellement ou totalement homonyme avec une dénomination déjà inscrite dans le registre établi conformément à l’article 11 de ce règlement ne peut pas être enregistrée, à moins que les conditions d’usages locaux et traditionnels et la présentation de l’homonyme enregistré ultérieurement soient suffisamment distinctes en pratique de la dénomination déjà
inscrite au registre. Conformément à cette disposition, le respect de la protection octroyée à une dénomination préalablement enregistrée figure parmi les conditions d’enregistrement que la Commission est tenue de vérifier au titre de l’article 50, paragraphe 1, de ce règlement.

58 Partant, la Commission est tenue, avant d’adopter une décision d’enregistrement, de vérifier que la dénomination dont l’enregistrement est demandé ne porte pas atteinte à la protection dont bénéficie, dans toute l’Union, une autre dénomination déjà enregistrée.

59 Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 36 et 37 de l’arrêt attaqué, qu’il appartenait, en l’espèce, à la Commission de vérifier que l’utilisation des dénominations candidates à l’enregistrement ne violait pas la protection contre l’évocation prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012 dont bénéficie une dénomination enregistrée en tant qu’AOP.

60 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument des requérants selon lequel cette appréciation du Tribunal reviendrait à remettre en question le principe d’une coexistence entre une dénomination enregistrée en tant qu’AOP et une dénomination enregistrée en tant qu’IGP.

61 En effet, d’une part, il est constant que la Cour reconnaît aux principes dégagés dans le cadre de chaque régime de protection une application transversale, de sorte à assurer une application cohérente des dispositions du droit de l’Union relatives à la protection des dénominations et des indications géographiques (arrêt du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 32).

62 D’autre part, un risque d’évocation peut exister indépendamment du régime dont bénéficient les dénominations déjà enregistrées et celui auquel les dénominations sont candidates à l’enregistrement. En effet, il est constant que la notion d’« évocation » recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d’une dénomination protégée, de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la
marchandise bénéficiant de cette dénomination (arrêt du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 55 et jurisprudence citée).

63 Dans ces conditions, c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu constater, au point 39 de l’arrêt attaqué, qu’il existait un risque d’évocation entre une dénomination protégée en tant qu’AOP et les dénominations candidates à l’enregistrement en tant qu’IGP.

64 Dans la mesure où les requérants contestent les appréciations du Tribunal, aux points 38 et 39 de l’arrêt attaqué, relatives à la comparaison entre les dénominations enregistrées en tant qu’AOP et les dénominations candidates, il convient de rappeler que ces appréciations factuelles ne peuvent être remises en cause, sous réserve du cas de la dénaturation des faits, au stade du pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, C‑56/16 P,
EU:C:2017:693, point 126). Les requérants n’ayant pas fait valoir une telle dénaturation, leurs arguments à cet égard doivent être rejetés comme étant irrecevables.

65 Il en résulte que le premier moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.

Sur le troisième moyen

Argumentation des parties

66 Par leur troisième moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a enfreint l’article 51 du règlement no 1151/2012 ainsi que le principe de bonne administration en refusant de reconnaître, au point 76 de l’arrêt attaqué, que, lors de son examen des demandes d’enregistrement, la Commission est tenue de prendre en compte les appréciations des autorités et des juridictions nationales.

67 La Commission conclut au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

68 Premièrement, ainsi qu’il a été jugé au point 43 du présent arrêt, le Tribunal a jugé à bon droit que la Commission dispose d’un pouvoir autonome d’appréciation lors de l’examen des demandes d’enregistrement.

69 En outre, il ressort de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, que la Commission, lorsqu’elle adopte des actes d’exécution rejetant une demande d’enregistrement, se fonde non seulement sur l’examen effectué conformément à l’article 50, paragraphe 1, de ce règlement, mais également « sur la base des informations dont elle dispose », cette dernière précision incluant nécessairement les éléments transmis par l’État membre.

70 Or, force est de constater que les requérants, sous couvert de soutenir que la Commission n’avait pas pris en considération les appréciations des autorités nationales lors de l’adoption de la décision litigieuse contrevenant au principe de bonne administration, font en réalité valoir que la Commission était liée par ces appréciations et devait, en conséquence, accorder l’enregistrement des dénominations demandées. Or, cette argumentation se confond avec celle avancée au soutien du deuxième moyen
qui n’a pas été accueilli.

71 Deuxièmement, les requérants contestent les appréciations du risque d’évocation auxquelles s’est livré le Tribunal pour confirmer le rejet des demandes d’enregistrement par la Commission, sans toutefois démontrer que cette juridiction, ce faisant, a commis une dénaturation des éléments de preuve et des faits.

72 Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 64 du présent arrêt, ces appréciations de nature factuelle ne sauraient être remises en cause au stade du pourvoi.

73 Par conséquent, le troisième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant, en partie, non fondé et, en partie, irrecevable.

Sur le quatrième moyen

Argumentation des parties

74 Par leur quatrième moyen, les requérants font valoir, en premier lieu, que, en jugeant, aux points 88, 89 et 94 de l’arrêt attaqué, qu’une synonymie entre deux appellations entraîne nécessairement une évocation au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012, le Tribunal a commis une erreur de droit. Ainsi, la synonymie des appellations ne serait pas suffisante à elle seule pour entraîner un risque d’évocation, un tel constat n’étant possible que sur le fondement d’une
appréciation globale des faits figurant dans le dossier.

75 En second lieu, aux points 78 et 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait, à tort, fait sienne l’appréciation de la Commission en vertu de laquelle seul un public particulièrement averti connaîtrait les différences qualitatives entre les produits dont les dénominations sont protégées en tant qu’AOP et ceux dont les dénominations font l’objet d’une demande d’enregistrement en tant qu’IGP. En effet, la différence de prix entre les produits concernés permettrait aux consommateurs de les distinguer.

76 La Commission conteste cette argumentation.

Appréciation de la Cour

77 S’agissant du premier grief, il y a lieu de relever que, au point 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé qu’il convient de prendre en compte, aux fins de l’appréciation d’un risque d’évocation, l’entièreté de la dénomination telle qu’elle est enregistrée et l’entièreté de la dénomination candidate à l’enregistrement.

78 Les requérants ayant fait valoir en première instance que l’examen de l’évocation ne portait que sur les termes géographiques des dénominations en conflit, le Tribunal s’est borné à constater, au point 94 de cet arrêt, que, eu égard à la synonymie des éléments géographiques des dénominations concernées, faire droit à cet argument conduirait nécessairement au constat d’une évocation et desservirait la cause défendue par les requérants. Il s’ensuit que le premier grief procède d’une lecture erronée
du point 94 dudit arrêt.

79 Quant au second grief, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir confirmé, aux points 78 et 81 de l’arrêt attaqué, que seul un public particulièrement averti connaît les différences qualitatives entre les dénominations protégées en tant qu’AOP et les dénominations candidates à un enregistrement en tant qu’IGP, alors que la différence de prix des produits en cause serait une indication de la différence de qualité.

80 Il convient de rappeler que le risque d’évocation est établi lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP. À cet égard, l’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, à savoir, en particulier, de l’incorporation partielle de l’appellation protégée, de la parenté phonétique et visuelle entre les deux
dénominations et de la similitude en résultant, et, même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination. Dans le cadre de l’appréciation effectuée par la Commission, il importe qu’elle tienne compte de l’ensemble des éléments pertinents entourant l’usage de la dénomination en cause (arrêt du 9 septembre 2021,
Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 66).

81 Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a pu considérer, au point 83 de l’arrêt attaqué, que la différence de prix entre les produits bénéficiant d’une protection en tant qu’AOP et les produits pour lesquels l’enregistrement d’une dénomination est demandé en tant qu’IGP n’est pas à elle seule déterminante pour éliminer l’évocation susceptible de résulter de l’appréciation des éléments rappelés au point précédent du présent arrêt.

82 En tout état de cause, en faisant valoir que le Tribunal n’a pas correctement identifié le public dont il conviendrait de tenir compte pour exclure tout risque d’évocation, les requérants cherchent, en substance, à remettre en cause les constatations du Tribunal relatives aux caractéristiques du public pertinent. Or, il résulte d’une jurisprudence constante que de telles constatations relèvent du domaine des appréciations de nature factuelle pour lesquelles le Tribunal est seul compétent
(ordonnance du 29 octobre 2020, Kerry Luxembourg/EUIPO, C‑305/20 P, EU:C:2020:882, point 18 et jurisprudence citée).

83 Partant, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant, en partie, inopérant et, en partie, irrecevable.

84 Aucun des moyens soulevés à l’appui du pourvoi n’ayant été accueilli, ce dernier doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

85 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

86 Les requérants ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu, eu égard aux conclusions de la Commission, de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) Cunsorziu di i Salamaghji Corsi – Consortium des Charcutiers Corses, Charcuterie Fontana, Costa et Fils, L’Aziana, Charcuterie Passoni, Orezza – Charcuterie la Castagniccia, Salaisons Réunies, Salaisons Joseph Pantaloni, Antoine Semidei et L’Atelu Corsu sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

Arabadjiev

von Danwitz

Xuereb

Kumin

Ziemele
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 octobre 2024.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

A. Arabadjiev

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-579/23
Date de la décision : 04/10/2024

Analyses

Pourvoi – Protection des appellations d’origine et des indications géographiques – Règlement (UE) no 1151/2012 – Articles 7 et 8 – Article 49, paragraphe 2, et article 50, paragraphe 1 – Étendue du contrôle de la Commission européenne sur les demandes d’enregistrement de dénomination en tant qu’indication géographique – Partage des compétences entre les autorités nationales et la Commission – Conditions d’enregistrement d’une dénomination.


Parties
Demandeurs : Cunsorziu di i Salamaghji Corsi - Consortium des Charcutiers Corses e.a.
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:832

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