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24/10/2024 | CJUE | N°C-476/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, „STAR POST“ ЕOOD contre Komisia za regulirane na saobshteniyata., 24/10/2024, C-476/23


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

24 octobre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Services postaux dans l’Union européenne – Directive 97/67/CE – Article 22, paragraphe 3 – Notion de “prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une autorité réglementaire nationale” – Droit de recours »

Dans l’affaire C‑476/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie),

par décision du 14 juillet 2023, parvenue à la Cour le 25 juillet 2023, dans la procédure

« STAR POST » ЕOOD

cont...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

24 octobre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Services postaux dans l’Union européenne – Directive 97/67/CE – Article 22, paragraphe 3 – Notion de “prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une autorité réglementaire nationale” – Droit de recours »

Dans l’affaire C‑476/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), par décision du 14 juillet 2023, parvenue à la Cour le 25 juillet 2023, dans la procédure

« STAR POST » ЕOOD

contre

Komisia za regulirane na saobshteniata,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias (rapporteur), président de chambre, M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre et M. Z. Csehi, juge,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 mai 2024,

considérant les observations présentées :

– pour « STAR POST » ЕOOD, par Mes K. Boncheva, M. Dokova-Kostadinova et M. Ekimdzhiev, advokati,

– pour la Komisia za regulirane na saobshteniata, par Mme T. Aleksandrova et M. I. Dimitrov,

– pour le gouvernement bulgare, par Mme T. Mitova et M. R. Stoyanov, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Halajová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Georgieva et M. M. Mataija, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14), telle que modifiée par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008 (JO 2008, L 52, p. 3) (ci-après la
« directive 97/67 modifiée »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « STAR POST » EOOD, société de droit bulgare, à la Komisia za regulirane na saobshteniata (commission de régulation des communications, Bulgarie) (ci-après la « KRS ») au sujet de la décision de cette dernière qui détermine le montant total des coûts nets de la fourniture du service postal universel par la société Balgarski Poshti (ci-après « BP ») et qui constate que ces coûts constituent pour BP une charge financière inéquitable.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 97/67 modifiée

3 Le considérant 39 de la directive 97/67 modifiée énonce :

« [C]onsidérant qu’il importe, pour le bon fonctionnement du service universel ainsi que pour le jeu d’une concurrence non faussée dans le secteur non réservé, de séparer l’organe de réglementation, d’une part, et l’opérateur, d’autre part ; qu’aucun opérateur postal ne doit être à la fois juge et partie ; qu’il appartient à l’État membre de définir le statut d’une ou de plusieurs autorités réglementaires nationales [(ci-après les “ARN”)], qui peuvent être une autorité publique ou une entité
indépendante désignée à cet effet ».

4 L’article 2 de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

1 bis) “prestataire de services postaux” : une entreprise qui fournit un ou plusieurs services postaux ;

[...]

13) “prestataire du service universel” : le prestataire de services postaux public ou privé qui assure la totalité ou une partie du service postal universel dans un État membre et dont l’identité a été communiquée à la Commission [européenne] conformément à l’article 4 ;

14) “autorisations” : toute autorisation fixant les droits et les obligations spécifiques du secteur postal et permettant à des entreprises de prester des services postaux et, le cas échéant, d’établir et/ou d’exploiter leurs réseaux pour la prestation de ces services, sous la forme d’une autorisation générale ou d’une licence individuelle telle que définies ci-après :

[...]

– par “licence individuelle”, on entend une autorisation qui est octroyée par une [ARN] et qui donne au prestataire de services postaux des droits spécifiques ou soumet les activités dudit prestataire à des obligations spécifiques complémentaires de l’autorisation générale le cas échéant, lorsque le prestataire de services postaux n’est pas habilité à exercer les droits concernés avant d’avoir reçu la décision de l’[ARN] ;

[...]

17) “utilisateur” : toute personne physique ou morale bénéficiaire d’une prestation de service postal en tant qu’expéditeur ou destinataire ;

18) “[ARN]” : dans chaque État membre, l’organe ou les organes auxquels l’État membre confie, entre autres, les fonctions réglementaires relevant de la présente directive ;

[...] »

5 Aux termes de l’article 7, paragraphes 1, 3 à 5, de ladite directive :

« 1.   Les États membres n’accordent pas ou ne maintiennent pas en vigueur de droits exclusifs ou spéciaux pour la mise en place et la prestation de services postaux. Les États membres peuvent financer la prestation de services universels par un ou plusieurs des moyens prévus aux paragraphes 2, 3 et 4 ou par tout autre moyen compatible avec le traité.

[...]

3.   Lorsqu’un État membre détermine que les obligations de service universel prévues par la présente directive font supporter un coût net, calculé en tenant compte des dispositions de l’annexe I, et constituent une charge financière inéquitable pour le ou les prestataires du service universel, il peut introduire :

a) un mécanisme de dédommagement des entreprises concernées par des fonds publics ; ou

b) un mécanisme de répartition du coût net des obligations de service universel entre les prestataires de services et/ou les utilisateurs.

4.   Lorsque le coût net est partagé conformément au paragraphe 3, point b), les États membres peuvent mettre en place un fonds de compensation qui peut être financé par une redevance imposée aux prestataires de services et/ou aux utilisateurs et administré à cette fin par un organisme indépendant du ou des bénéficiaires. [...]

5.   Les États membres veillent à ce que les principes de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité soient respectés lors de l’établissement du fonds de compensation et de la fixation du niveau des contributions financières visées aux paragraphes 3 et 4. Les décisions prises en vertu des paragraphes 3 et 4 se fondent sur des critères objectifs et vérifiables et sont rendues publiques. »

6 L’article 14 de la même directive dispose :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la comptabilité des prestataires du service universel réponde aux dispositions du présent article.

2.   Le ou les prestataires du service universel tiennent dans leur comptabilité interne des comptes séparés pour établir une nette distinction entre, d’une part, les services et produits qui font partie du service universel et, d’autre part, les services et produits qui n’en font pas partie. Cette distinction est prise en compte lorsque les États membres calculent le coût net du service universel. Cette comptabilité interne se fonde sur l’application cohérente des principes de la comptabilité
analytique, qui peuvent être objectivement justifiés.

3.   Sans préjudice du paragraphe 4, la comptabilité visée au paragraphe 2 répartit les coûts comme suit :

a) les coûts qui peuvent être directement affectés à un service ou un produit particulier le sont ;

b) les coûts communs, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent pas être directement affectés à un service ou un produit particulier, sont répartis comme suit :

i) chaque fois que cela est possible, les coûts communs sont répartis sur la base d’une analyse directe de l’origine des coûts eux-mêmes ;

ii) lorsqu’une analyse directe n’est pas possible, les catégories de coûts communs sont affectées sur la base d’un rapport indirect à une autre catégorie de coûts ou à un autre groupe de catégories de coûts pour lesquels une affectation ou imputation directe est possible ; le rapport indirect est fondé sur des structures de coût comparables ;

iii) lorsqu’il n’y a pas moyen de procéder à une imputation directe ou indirecte, la catégorie de coûts est imputée sur la base d’un facteur de répartition général calculé en établissant le rapport entre, d’une part, toutes les dépenses directement ou indirectement affectées ou imputées à chacun des services universels et, d’autre part, toutes les dépenses directement ou indirectement affectées ou imputées aux autres services ;

iv) les coûts communs nécessaires pour assurer à la fois les services universels et non universels sont imputés de la manière qu’il convient ; les mêmes facteurs de coût sont appliqués aux services tant universels que non universels.

4.   D’autres systèmes de comptabilité analytique ne peuvent être appliqués que s’ils sont compatibles avec les dispositions du paragraphe 2 et s’ils ont été approuvés par l’[ARN]. La Commission est informée avant l’application de ces autres systèmes.

5.   Les [ARN] veillent à ce que la conformité avec l’un des systèmes de comptabilité analytique décrits aux paragraphes 3 ou 4 soit vérifiée par un organe compétent indépendant du prestataire du service universel. Les États membres veillent à ce qu’une déclaration de conformité soit publiée périodiquement.

[...]

8.   Lorsqu’un État membre n’a pas eu recours à un mécanisme de financement pour la prestation du service universel, comme le permet l’article 7, et si l’[ARN] est convaincue qu’aucun des prestataires du service universel désignés dans cet État membre ne reçoit d’aide publique sous une forme déguisée ou autre et que la concurrence joue pleinement sur le marché, l’[ARN] peut décider de ne pas appliquer les exigences du présent article.

[...] »

7 L’article 22 de la directive 97/67 modifiée prévoit :

« 1.   Chaque État membre désigne une ou plusieurs [ARN] pour le secteur postal, juridiquement distinctes et fonctionnellement indépendantes des opérateurs postaux. Les États membres qui conservent la propriété ou le contrôle des prestataires de services postaux veillent à la séparation structurelle effective de la fonction de réglementation, d’une part, et des activités inhérentes à la propriété ou à la direction de ces entreprises, d’autre part.

[...]

2.   Les [ARN] ont en particulier pour tâche d’assurer le respect des obligations découlant de la présente directive, notamment en établissant des procédures de suivi et des procédures réglementaires afin de garantir la prestation du service universel. Elles peuvent également être chargées d’assurer le respect des règles de concurrence dans le secteur postal.

[...]

3.   Les États membres veillent à ce qu’il existe au niveau national des mécanismes efficaces permettant à tout utilisateur ou à tout prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une [ARN] d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. Dans l’attente de l’issue de la procédure, la décision de l’[ARN] est maintenue, sauf si l’organisme de recours en décide autrement. »

8 L’annexe I de cette directive, intitulée « Orientations pour le calcul du coût net éventuel du service universel », comporte une partie B, intitulée « Calcul du coût net », qui prévoit :

« Les [ARN] envisagent tous les moyens possibles pour inciter les prestataires de services postaux (désignés ou non) à remplir leurs obligations de service universel de manière rentable.

Le coût net des obligations de service universel correspond à tout coût lié et nécessaire à la gestion de la fourniture du service universel. Ce coût correspond à la différence entre le coût net supporté par un prestataire de service universel désigné lorsqu’il est soumis aux obligations de service universel et celui qui est supporté par le même prestataire de services postaux lorsqu’il n’est pas soumis à ces obligations.

Le calcul tient compte de tous les éléments pertinents, y compris les bénéfices immatériels et les avantages commerciaux dont le prestataire de services postaux désigné pour prester le service universel a bénéficié, le droit de réaliser un bénéfice raisonnable ainsi que les mesures d’incitation à l’efficacité économique.

[...]

[...] La vérification du calcul du coût net incombe à l’[ARN]. Les prestataires du service universel coopèrent avec l’[ARN] pour lui permettre de vérifier le coût net. »

La directive 2008/6

9 Les considérants 29, 41, 49 et 56 de la directive 2008/6 énoncent :

« (29) Les principes de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité énoncés dans la directive [97/67] devraient continuer à s’appliquer à tout mécanisme de financement, et toute décision prise dans ce domaine devrait être fondée sur des critères transparents, objectifs et vérifiables. En particulier, il convient d’établir le coût net du service universel, sous le contrôle des [ARN], en calculant la différence entre les coûts nets d’un prestataire du service universel désigné soumis
aux obligations de service universel et ceux d’un prestataire désigné non soumis à ces obligations. Le calcul devrait tenir compte de tous les autres éléments pertinents, y compris les avantages commerciaux dont ont bénéficié les prestataires de services postaux désignés pour prester le service universel, le droit de réaliser un bénéfice raisonnable ainsi que les mesures d’incitation à l’efficacité économique.

[...]

(41) Dans la perspective du passage à un marché pleinement concurrentiel et afin que les subventions croisées n’aient pas d’effet néfaste sur la concurrence, il convient de continuer à exiger des États membres qu’ils maintiennent l’obligation faite aux prestataires du service universel de tenir une comptabilité séparée et transparente, sous réserve des adaptations nécessaires.

Cette obligation devrait permettre aux [ARN], aux autorités de la concurrence et à la Commission de disposer des informations nécessaires à l’adoption de toute décision concernant le service universel et de contrôler l’équité des conditions du marché en attendant que la concurrence devienne effective. [...]

La tenue d’une comptabilité séparée et transparente devrait fournir aux États membres et à leurs [ARN] des informations comptables suffisamment détaillées pour :

– adopter des décisions relatives au service universel,

– servir à déterminer si les obligations de service universel imposées font supporter un coût net aux prestataires du service universel et constituent une charge financière inéquitable pour ceux-ci,

– [...]

(49) Il convient que toute partie faisant l’objet d’une décision de la part d’une [ARN] ait le droit d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant de cette autorité. Cet organisme peut être une juridiction. Une telle procédure de recours est sans préjudice de la répartition des compétences au sein des systèmes juridictionnels nationaux pas plus que des droits garantis aux personnes morales ou physiques en droit national. Afin de garantir la sécurité juridique et celle du marché, il est
nécessaire de garantir la validité temporaire de la décision arrêtée par les [ARN] dans l’attente de l’issue de la procédure.

[...]

(56) Étant donné que les objectifs de la présente directive, à savoir réaliser le marché intérieur des services postaux de la Communauté, assurer un niveau commun de service universel pour tous les utilisateurs et fixer des principes harmonisés pour la régulation du secteur postal, ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets de celle-ci, être mieux réalisés au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des
mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. [...] »

Le droit bulgare

10 Aux termes de l’article 147 de l’Administrativnoprotsesualen kodeks (code de procédure administrative) :

« (1)   Les citoyens et les organisations dont les droits, les libertés ou les intérêts légitimes ont été violés ou menacés par l’acte administratif ou pour lesquels il crée des obligations ont le droit de le contester.

[...] »

11 L’article 15 du Zakon za poshtenskite uslugi (loi sur les services postaux) dispose :

(1)   La [KRS] réglemente la prestation des services postaux conformément à la présente loi :

1. en assurant les conditions de prestation du service postal universel sur l’ensemble du territoire national ;

[...]

11. en élaborant une méthode pour le calcul des coûts nets de la prestation du service postal universel et pour la détermination des critères d’existence d’une charge financière inéquitable ; cette méthode de calcul est adoptée par le Conseil des ministres sur proposition de la [KRS] ;

[...]

(2)   Les décisions de la [KRS] mettant en œuvre la présente loi sont des actes administratifs individuels, réglementaires ou généraux et elles peuvent faire l’objet d’un recours introduit conformément au code de procédure administrative devant le tribunal administratif compétent.

[...] »

12 L’article 24 de cette loi prévoit :

« Le service postal universel est assuré par un opérateur postal auquel la loi a imposé l’obligation de fournir ce service sur l’ensemble du territoire du pays au moyen d’un réseau postal organisé et géré par lui. »

13 Aux termes de l’article 29 de ladite loi :

« (1)   L’opérateur postal tenu d’assurer le service postal universel reçoit une compensation du budget de l’État lorsque l’obligation d’assurer le service postal universel entraîne des coûts nets et constitue une charge financière inéquitable.

(2)   Le montant de la charge financière inéquitable de la fourniture du service postal universel est déterminé par la [KRS] sur la base des coûts nets calculés conformément à la méthodologie prévue à l’article 15, paragraphe 1, point 11.

[...] »

14 Conformément à l’article 29a de la loi sur les services postaux, sur demande de l’opérateur postal tenu d’assurer le service universel, la KRS statue sur le montant des coûts nets de fourniture du service postal universel ainsi que sur l’existence et le montant d’une charge financière inéquitable résultant de la fourniture du service postal universel. Il ressort de la décision de renvoi que, ainsi qu’il ressort de l’article 29a de cette loi, la KRS ne se prononce pas sur le montant de la
compensation à accorder au prestataire de service universel en cas de constatation de charge financière inéquitable pesant sur ce dernier. La KRS présente sa décision et les éléments y afférents au vice-Premier ministre responsable qui, pour sa part, soumet au ministre des Finances une proposition visant à inclure dans le projet de loi sur le budget de l’État pour l’année suivante le montant des fonds destinés à compenser cette charge financière.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

15 La requérante au principal est une société bulgare titulaire d’une licence pour la prestation de services relevant du service postal universel. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, par sa décision no 289 du 18 août 2022, la KRS avait révoqué cette licence et avait interdit à la requérante au principal, pour une période de deux ans, de demander une nouvelle licence individuelle pour la prestation de tels services, de se voir accorder une telle licence et d’acquérir des parts ou
des actions dans le capital d’une société commerciale ayant la qualité d’opérateur postal agréé dans le domaine d’activités concerné.

16 La requérante au principal a introduit un recours contre cette décision, qui a été rejeté en première instance. Selon les informations fournies à la Cour par la requérante au principal et confirmées par la République de Bulgarie lors de l’audience devant celle-ci, ce rejet ainsi que ladite décision ont été définitivement annulés par un arrêt du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie) du 29 janvier 2024.

17 BP, opérateur postal historique en Bulgarie, est, depuis l’année 2010 et pour une période de quinze ans, chargée de l’obligation d’assurer le service postal universel.

18 À la suite d’une demande de compensation, au sens de l’article 29a de la loi sur les services postaux, formulée par cet opérateur, la KRS a considéré, par sa décision no 332 du 13 octobre 2022 (ci-après la « décision litigieuse »), au terme d’une procédure d’audit, pour laquelle un auditeur indépendant avait été mandaté, que le montant total des coûts nets de la prestation du service postal universel assurée par ledit opérateur pour l’année 2021 s’élevait à 28456000 leva bulgares (BGN) (environ
14500000 euros) et que ces coûts nets constituaient une charge financière inéquitable pour celui-ci.

19 La requérante au principal a introduit un recours contre la décision litigieuse devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), qui, par ordonnance, a été rejeté pour défaut d’intérêt à agir, au motif que la requérante au principal n’est pas la destinataire de cette décision, qui ne créerait pas de droits ou d’obligations directs et immédiats à son égard et n’affecterait pas ses droits et ses intérêts légitimes.

20 La requérante au principal a introduit un pourvoi contre cette ordonnance devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême), qui est la juridiction de renvoi, en faisant valoir qu’elle est en concurrence avec BP tant sur le marché des services relevant du service postal universel que sur celui des services postaux non universels. Elle allègue avoir participé à plusieurs procédures de passation de marchés publics et indique que les offres anormalement basses présentées dans ce
cadre par BP l’ont conduite à soupçonner cette dernière d’avoir utilisé les subventions reçues par l’État pour l’exécution de l’obligation de service postal universel également aux fins de financer d’autres activités, entraînant ainsi une distorsion de la concurrence, laquelle aurait une influence directe sur ses activités commerciales exercées sur le marché concerné. Elle aurait introduit plusieurs recours, au soutien desquels elle aurait fait valoir que BP avait bénéficié d’aides d’État. Ses
allégations n’auraient jamais été examinées, au motif que « les coûts du service postal universel [auraient] été convenus annuellement par la KRS dans le cadre d’une procédure administrative initiée par une demande de [BP] “visant à compenser la charge financière inéquitable que représente l’exécution de l’obligation de service postal universel” ».

21 Devant la juridiction de renvoi, la requérante au principal fait valoir, en particulier, que le calcul du coût net de la fourniture du service postal universel ne constitue pas une simple procédure comptable mais doit permettre à l’autorité de régulation de procéder à une évaluation complète du marché en cause. La décision y afférente relèverait des décisions visées à l’article 14 de la directive 97/67 modifiée, lu en combinaison avec l’article 22 de celle-ci, et serait, dès lors, susceptible
d’être attaquée par « tout usager » du service postal universel ainsi que par « tout prestataire de services postaux » affecté par celle-ci.

22 À l’appui de son pourvoi, la requérante au principal invoque tant sa qualité de « prestataire de services postaux » que celle d’« usager du service postal universel » et considère que l’ordonnance de l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) attaquée devant la juridiction de renvoi viole l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ainsi que l’article 22 de la directive 97/67 modifiée. Elle fait valoir que les entreprises concurrentes du prestataire chargé d’assurer le service universel peuvent contester les décisions de l’ARN si celles-ci violent le jeu d’une concurrence non faussée. En l’occurrence, la KRS aurait pris une décision de manière sommaire et automatique, en prenant appui, d’une part, sur un rapport rédigé par BP, qui n’aurait jamais été rendu
public et, d’autre part, sur l’analyse d’un auditeur indépendant qui n’aurait, toutefois, pas effectué de vérifications approfondies dans la comptabilité de BP et n’aurait été rendue publique qu’en partie.

23 Pour sa part, la KRS rappelle que le mécanisme prévu à l’article 22 de la directive 97/67 modifiée a été mis en œuvre au niveau national au moyen de la procédure de recours prévue par le code de procédure administrative et que le cercle des personnes habilitées à introduire un recours contre ses décisions n’est pas illimité. Les personnes « affectées », au sens de cette directive, seraient celles qui subissent « les effets de droit matériel » de telles décisions, à savoir une extinction ou une
limitation de droits subjectifs existants, une création de nouvelles obligations juridiques, une extension d’obligations existantes ou encore une impossibilité d’exercer des droits subjectifs. En l’occurrence, l’annulation de la décision litigieuse n’entraînerait aucun changement dans la sphère juridique de la requérante au principal, alors qu’admettre la thèse défendue par cette dernière entraînerait une extrême insécurité juridique.

24 Au regard de ces arguments, la juridiction de renvoi considère que, pour répondre à la question de savoir si la requérante au principal a un intérêt à agir contre la décision litigieuse, il est nécessaire d’interpréter la notion de « prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une [ARN] », au sens de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée. Selon la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu d’examiner, dans le cadre du litige au principal, la notion
d’« utilisateur » de services postaux, au sens de cette disposition, dans la mesure où la requérante au principal aurait exposé uniquement des arguments relatifs à son activité de prestataire de « services relevant du service postal universel » se trouvant en concurrence avec BP sur le marché concerné, sans fournir d’éléments factuels permettant de déduire une utilisation de sa part du service postal universel fourni par BP. Partant, selon la juridiction de renvoi, toute question préjudicielle
relative à la qualité d’« utilisateur » de services postaux serait hypothétique.

25 Dans ces conditions, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Comment convient-il d’interpréter l’expression “prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une [ARN]” et, en particulier, le terme “affecté”, au sens de l’article 22, paragraphe 3, de la directive [97/67 modifiée] ? Convient-il d’interpréter le terme “affecté” en ce sens qu’il exige que la décision de l’[ARN] soit rendue expressément à l’égard du prestataire de services postaux ? Une société fournissant des services postaux qui est en concurrence avec le prestataire
du service postal universel dans le cadre de procédures de passation de marchés publics est-elle “affectée”, au sens de l’article 22, paragraphe 3, de la directive [97/67 modifiée], lorsque, dans le cadre d’un recours contre [des décisions adoptées lors d]esdites procédures, cette société avance des arguments relatifs au subventionnement croisé organisé par le prestataire du service postal universel mais que ces arguments sont rejetés par le juge au motif qu’il existe des décisions de
l’[ARN], lesquelles approuvent le montant des coûts nets de la fourniture du service postal universel par le prestataire du service postal universel et constatent que ces coûts constituent pour ledit prestataire une charge financière inéquitable d’un montant déterminé ?

2) Les dispositions de l’article 22, paragraphe 3, de la directive [97/67 modifiée] et de l’article 47 de la [Charte] permettent-elles une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un prestataire de services postaux concurrent du prestataire du service postal universel ne peut pas contester devant un organisme indépendant une décision de l’[ARN] approuvant le montant des coûts nets de la prestation du service postal universel du prestataire du service universel et constatant
que ces coûts constituent une charge financière inéquitable d’un montant déterminé, laquelle découle de l’exécution du service postal universel ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

26 Dans ses observations écrites, la République de Bulgarie conteste la recevabilité de la première question préjudicielle, en alléguant, notamment, que celle-ci est fondée sur des allégations factuelles qui ont été invoquées par la seule requérante au principal et qui n’ont pas été établies devant la juridiction de renvoi. Cette question serait, dès lors, hypothétique. La République de Bulgarie s’interroge, par ailleurs, sur l’utilité de la réponse de la Cour à ladite question dans le cadre du
litige au principal.

27 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, dès lors que les questions posées dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle présentée au titre de l’article de l’article 267 TFUE portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. En effet, de telles questions posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour
de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas d’éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui
sont posées (arrêt du 6 juin 2024, INGSTEEL, C‑547/22, EU:C:2024:478, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).

28 En l’occurrence, il ne saurait être contesté ni que la première question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée ni que cette disposition et, en particulier, son champ d’application personnel sont pertinents pour la solution du litige au principal.

29 Certes, par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la qualité de « prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une [ARN] », au sens de l’article 22, paragraphe 3, de cette directive, qui est revendiquée par la requérante au principal, peut être déterminée en fonction d’éléments factuels ayant trait à des procédures administratives et juridictionnelles autres que la procédure au principal, éléments qui, selon la République de Bulgarie, n’auraient pas
été établis en l’occurrence.

30 Or, selon une jurisprudence constante, s’il peut être avantageux, selon les circonstances, que les faits d’une affaire soient établis au moment du renvoi à la Cour, il n’empêche que les juridictions nationales ont la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire devant elles soulève des questions comportant une interprétation ou une appréciation des dispositions du droit de l’Union nécessitant une décision de leur part (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015,
Kernkraftwerke Lippe-Ems, C‑5/14, EU:C:2015:354, point 31 et jurisprudence citée). Ces juridictions sont notamment libres d’exercer cette faculté à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié (arrêt du 14 novembre 2018, Memoria et Dall’Antonia, C‑342/17, EU:C:2018:906, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

31 Dès lors, une demande de décision préjudicielle ne saurait être déclarée irrecevable au seul motif qu’elle serait survenue à un stade précoce de la procédure au principal (arrêt du 14 novembre 2018, Memoria et Dall’Antonia, C‑342/17, EU:C:2018:906, point 34).

32 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

33 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 20 avril 2023, DIGI Communications, C‑329/21, EU:C:2023:303, point 23 et
jurisprudence citée).

34 Ainsi, il convient de considérer que, par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un prestataire de services postaux concurrent du prestataire du service postal universel ne peut contester devant un organisme indépendant une
décision de l’ARN, dont il n’est pas destinataire, par laquelle celle-ci procède, en application de l’article 7, paragraphe 3, de cette directive, au calcul du montant des coûts nets supportés par le prestataire du service postal universel et constate que ces coûts constituent une charge financière inéquitable, au sens de cette dernière disposition.

35 Afin de répondre à cette question, il convient d’interpréter la notion de « prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une [ARN] » figurant à l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée, qui, en l’absence de tout renvoi exprès au droit des États membres, doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2008, Tele2 Telecommunication, C‑426/05, EU:C:2008:103, point 26 et jurisprudence citée).

36 À cet égard, il y a lieu, à l’instar de la République de Bulgarie et de la Commission, de relever que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée est libellé en des termes substantiellement identiques à ceux de l’article 4, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33),
désormais repris à l’article 31, paragraphe 1, de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, établissant le code des communications électroniques européen (JO 2018, L 321, p. 36).

37 Selon l’article 4, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2002/21, « [l]es États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté(e) par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées ».

38 Or, selon une jurisprudence constante, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21 constitue une émanation du principe de protection juridictionnelle effective, garanti par les dispositions de l’article 47 de la Charte, en vertu duquel il incombe aux juridictions des États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (arrêt du 20 avril 2023, DIGI Communications, C‑329/21, EU:C:2023:303, point 33 et jurisprudence citée).

39 L’interprétation de cette disposition doit, dès lors, tenir compte de l’importance de ce droit fondamental telle qu’elle résulte du système mis en œuvre par la Charte dans son ensemble. Il convient notamment de prendre en considération que, si l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet des limitations à l’exercice du droit fondamental en cause, cette disposition exige, toutefois, que toute limitation respecte le contenu essentiel de ce droit fondamental et que, dans le respect du principe de
proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2023, DIGI Communications, C‑329/21, EU:C:2023:303, point 40 et jurisprudence citée).

40 Dans ce contexte, la Cour a considéré que, au vu des obligations des ARN en matière de promotion de la concurrence dans le secteur des communications électroniques, une interprétation stricte de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21, selon laquelle cette disposition ne conférerait pas un droit de recours à des personnes autres que les destinataires des décisions de ces autorités, serait difficilement compatible avec les objectifs généraux et les principes réglementaires découlant,
pour lesdites autorités, de cette directive et, en particulier, avec l’objectif de promotion de la concurrence (arrêt du 20 avril 2023, DIGI Communications, C‑329/21, EU:C:2023:303, point 35 et jurisprudence citée).

41 Ainsi, selon une jurisprudence constante, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21 vise tant les destinataires de la décision de l’ARN en cause que les entreprises qui fournissent des réseaux ou des services de communications électroniques et qui peuvent être des concurrents de ces destinataires, pour autant que l’ARN se prononce dans le cadre d’une procédure qui vise à sauvegarder la concurrence et que cette décision est susceptible d’avoir une incidence sur la position de ces
entreprises sur le marché (voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2015, T-Mobile Austria, C‑282/13, EU:C:2015:24, point 39, ainsi que du 20 avril 2023, DIGI Communications, C‑329/21, EU:C:2023:303, points 32 et 36).

42 Or, une interprétation stricte de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée serait, pour des raisons analogues à celles mentionnées aux points 38 à 40 du présent arrêt, difficilement compatible avec les objectifs poursuivis par cette dernière.

43 S’agissant, à cet égard, d’une part, des objectifs de la réglementation de l’Union en la matière, il ressort du considérant 56 de la directive 2008/6 que les objectifs poursuivis par celle-ci sont de réaliser le marché intérieur des services postaux de l’Union, d’assurer un niveau commun de service universel pour tous les utilisateurs et de fixer des principes harmonisés pour la régulation de ce secteur. Il ressort, néanmoins, du considérant 41 de cette directive que ces objectifs sont poursuivis
« dans la perspective du passage à un marché pleinement concurrentiel ».

44 En ce qui concerne, d’autre part, les missions confiées aux ARN du secteur postal, il ressort du considérant 39 de la directive 97/67 modifiée que la garantie de leur statut d’entité indépendante vise à assurer le « jeu d’une concurrence non faussée ». Par ailleurs, conformément à l’article 22, paragraphe 2, de cette directive, lesdites autorités peuvent également être chargées d’assurer le respect des règles de concurrence dans le secteur postal et, ainsi qu’il ressort du paragraphe 1 de cet
article, les mêmes autorités sont tenues de se consulter et de coopérer avec les autorités nationales chargées de l’application du droit de la concurrence.

45 Dans ces conditions, il n’y a aucune raison d’interpréter de manière différente deux dispositions du droit de l’Union libellées de manière substantiellement identique, telles que, d’une part, l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée et, d’autre part, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21, étant donné, par ailleurs, que ces deux directives régissent des domaines voisins de ce droit, attribuent des compétences analogues aux ARN désignées pour chacun de ceux-ci et
poursuivent des objectifs similaires (voir, par analogie, arrêt du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, C‑513/99, EU:C:2002:495, points 90 et 91).

46 Il convient, dès lors, de considérer que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée vise tant les destinataires d’une décision telle que la décision litigieuse que les prestataires de services postaux concurrents de ces destinataires, pour autant que cette décision a été adoptée dans le cadre d’une procédure visant à assurer le jeu d’une concurrence non faussée et qu’elle est susceptible d’avoir une incidence sur la position de ces prestataires concurrents sur le marché.

47 Certes, le considérant 49 de la directive 2008/6 énonce que « toute partie faisant l’objet d’une décision de la part d’une [ARN] [a] le droit d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant de cette autorité ». Toutefois, ce considérant se limite à évoquer la possibilité, pour quiconque est visé par une décision d’une ARN, de former un recours contre une telle décision. Or, la simple évocation, à un tel considérant, d’une telle possibilité, n’implique nullement qu’un tel recours est
exclu pour d’autres personnes, telles que les entreprises concurrentes du destinataire de ladite décision (voir, par analogie, arrêt du 21 février 2008, Tele2 Telecommunication, C‑426/05, EU:C:2008:103, point 45).

48 Dans ce contexte et afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient d’examiner, au regard des considérations énoncées au point 46 du présent arrêt, si une décision de l’ARN chargée du secteur postal telle que la décision litigieuse, à savoir une décision qui procède au calcul du montant des coûts nets supportés par le prestataire du service postal universel et qui constate que ces coûts constituent une charge financière inéquitable, constitue une décision, d’une part,
adoptée dans le cadre d’une procédure visant à assurer le jeu d’une concurrence non faussée et, d’autre part, susceptible d’avoir une incidence sur la position sur le marché d’un concurrent de ce prestataire.

49 Il importe de rappeler, à titre liminaire, que, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée, les États membres déterminent si les obligations de service universel prévues par cette dernière font supporter un coût net, calculé en tenant compte des dispositions de l’annexe I de cette directive, et si elles constituent une charge financière inéquitable pour le ou les prestataires du service universel. Ainsi qu’il ressort des articles 7, 14 et 22 de la directive 97/67
modifiée, lus à la lumière des considérants 29 et 41 de la directive 2008/6, le calcul des coûts nets du service universel est établi sous le contrôle des ARN, qui accomplissent leurs missions en toute indépendance par rapport tant aux acteurs du marché qu’aux autorités étatiques (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2023, Nexive Commerce e.a., C‑226/22, EU:C:2023:637, point 42). Par ailleurs, il est précisé à l’annexe I, partie B, de la directive 97/67 modifiée que la vérification du calcul du
coût net incombe à l’ARN. Il convient, dès lors, de considérer que les décisions prises par les ARN dans l’exercice des compétences qui leur incombent en vertu desdites dispositions produisent des effets juridiques obligatoires, la circonstance que ces décisions puissent, le cas échéant, s’inscrire dans le cadre d’autres procédures régies par le droit national en vue de la détermination du montant de la compensation à accorder aux prestataires du service universel étant sans pertinence à cet
égard.

50 Cela étant précisé, en ce qui concerne, en premier lieu, la question de savoir si une décision telle que la décision litigieuse a été adoptée dans le cadre d’une procédure visant à assurer le jeu d’une concurrence non faussée, il convient de déduire du considérant 41 de la directive 2008/6 que l’objectif principal de l’article 14 de la directive 97/67 modifiée, dont le paragraphe 2 exige du ou des prestataires du service universel de tenir une comptabilité transparente distinguant entre les
services et les produits qui font partie du service universel et ceux qui n’en font pas partie, est d’amener les États membres à vérifier l’équité des conditions du marché des services postaux, tant à l’égard du ou des prestataires du service universel qu’à l’égard des concurrents de ceux-ci. Cette interprétation est, par ailleurs, confirmée par l’article 14, paragraphe 8, de cette dernière directive, aux termes duquel les exigences prévues par les dispositions de cet article en matière de
comptabilité analytique peuvent ne pas être appliquées par l’ARN si celle-ci est convaincue qu’aucun des prestataires du service universel ne reçoit d’aide publique sous une forme déguisée ou autre et que la concurrence joue pleinement sur le marché.

51 Or, dans la mesure où, conformément à l’article 14, paragraphe 2, de la directive 97/67 modifiée, c’est en tenant compte des éléments fournis conformément aux exigences prévues à cet article que l’ARN exerce les compétences qui lui incombent en vertu de l’article 7, paragraphe 3, de cette directive, il convient de considérer que les décisions prises dans le cadre de cet exercice visent à sauvegarder la concurrence, au sens de la jurisprudence citée au point 41 du présent arrêt.

52 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si une décision telle que la décision litigieuse est susceptible d’avoir une incidence sur la position sur le marché des concurrents du destinataire d’une telle décision, il y a lieu de considérer que cette condition est satisfaite si les droits des concurrents en cause sont potentiellement affectés par la décision de l’ARN concernée en raison, d’une part, de son contenu et, d’autre part, de l’activité exercée ou envisagée par ces concurrents
(voir, par analogie, arrêt du 20 avril 2023, DIGI Communications, C‑329/21, EU:C:2023:303, point 50 et jurisprudence citée).

53 Or, l’exigence d’adopter une décision telle que la décision litigieuse en vue de vérifier l’équité des conditions du marché concerné, relevée au point 50 du présent arrêt, est fondée sur la prémisse que, si ces conditions ne sont pas équitables, le contenu de cette décision est susceptible d’avoir une incidence sur la concurrence entre les opérateurs dudit marché. Une telle décision est, ainsi, par nature susceptible d’avoir une incidence sur la position des entreprises concurrentes du
destinataire de cette décision, dans la mesure où celles-ci exercent ou envisagent d’exercer une activité telle que celle visée par la jurisprudence citée au point 52 du présent arrêt, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.

54 En effet, il y a lieu de constater, à l’instar de la République de Bulgarie, que la procédure visant à déterminer les coûts nets de la fourniture du service postal universel et à constater que ces coûts constituent une charge inéquitable pesant sur le prestataire de ce service a pour objectif de rétablir l’égalité entre ce dernier et les autres acteurs du marché, non soumis à l’obligation d’assurer un tel service. Il ressort de cette constatation que, si la décision prise au terme d’une telle
procédure est fondée sur des éléments erronés ou arbitraires, la position de ce prestataire sur le marché concerné risque d’être renforcée de manière artificielle, ce qui affecterait, nécessairement, la position de ses concurrents sur ce marché, et cela indépendamment du mécanisme d’indemnisation des coûts nets choisi par l’État membre concerné en vertu de l’article 7 de la directive 97/67 modifiée.

55 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67 modifiée, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un prestataire de services postaux concurrent du prestataire du service postal universel ne peut contester devant un organisme indépendant une décision de l’ARN, dont il n’est pas
destinataire, par laquelle celle-ci procède, en application de l’article 7, paragraphe 3, de cette directive, au calcul du montant des coûts nets supportés par le prestataire du service postal universel et constate que ces coûts constituent une charge financière inéquitable, au sens de cette dernière disposition.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service, telle que modifiée par la directive 2008/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il
  s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un prestataire de services postaux concurrent du prestataire du service postal universel ne peut contester devant un organisme indépendant une décision de l’autorité réglementaire nationale, dont il n’est pas destinataire, par laquelle celle-ci procède, en application de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 97/67, telle que modifiée, au calcul du montant des coûts nets supportés par le prestataire du service postal universel et
constate que ces coûts constituent une charge financière inéquitable, au sens de cette dernière disposition.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-476/23
Date de la décision : 24/10/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Services postaux dans l’Union européenne – Directive 97/67/CE – Article 22, paragraphe 3 – Notion de “prestataire de services postaux affecté par une décision prise par une autorité réglementaire nationale” – Droit de recours.


Parties
Demandeurs : „STAR POST“ ЕOOD
Défendeurs : Komisia za regulirane na saobshteniyata.

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:921

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