ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
16 janvier 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Passation des marchés publics de travaux – Directive 2014/24/UE – Article 42 – Spécifications techniques – Formulation – Caractère limitatif de la liste figurant à l’article 42, paragraphe 3 – Appel d’offres exigeant la réalisation de travaux d’égouttage avec des tuyaux en grès et en béton – Exclusion des tuyaux en plastique – Article 42, paragraphe 4 – Référence à un type ou à une production déterminée – Cas dans lesquels une référence doit être accompagnée de la mention “ou
équivalent” »
Dans l’affaire C‑424/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent (tribunal de l’entreprise de Gand, division Gand, Belgique), par décision du 28 juin 2023, parvenue à la Cour le 11 juillet 2023, dans la procédure
DYKA Plastics NV
contre
Fluvius System Operator CV,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, MM. S. Rodin, D. Gratsias et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : Mme A. Lamote, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 mai 2024,
considérant les observations présentées :
– pour DYKA Plastics NV, par Mes S. Van Garsse et S. Verhoeven, advocaten,
– pour Fluvius System Operator CV, par Mes E. Gypen et G. Laenen, advocaten,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Halajová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par Mmes J. Schmoll et C. Pesendorfer, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara et G. Wils, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 septembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 42 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DYKA Plastics NV (ci-après « DYKA ») à Fluvius System Operator CV (ci‑après « Fluvius ») au sujet de la passation par cette dernière de marchés publics de travaux d’égouttage, dans le cadre desquels elle exige l’utilisation de tuyaux d’égouttage en grès et en béton.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 74 et 92 de la directive 2014/24 énoncent :
« (74) Il est nécessaire que les spécifications techniques établies par les acheteurs publics permettent d’ouvrir les marchés publics à la concurrence et d’atteindre les objectifs de durabilité. À cet effet, la présentation d’offres reflétant la diversité des solutions techniques, des normes et des spécifications techniques existant sur le marché, y compris celles définies sur la base de critères de performance liés au cycle de vie et à la durabilité du processus de production des travaux,
fournitures et services, devrait être possible.
Les spécifications techniques devraient donc être élaborées de manière à éviter de restreindre artificiellement la concurrence en instaurant des exigences qui favorisent un opérateur économique particulier en reprenant les principales caractéristiques des fournitures, services ou travaux qu’il propose habituellement. La rédaction des spécifications techniques en termes de performances et d’exigences fonctionnelles permet généralement d’atteindre au mieux cet objectif. Les exigences
fonctionnelles et celles liées aux performances sont également des moyens appropriés pour promouvoir l’innovation dans la passation de marchés publics et elles devraient être utilisées aussi largement que possible. Lorsqu’il est fait référence à une norme européenne ou, à défaut, à une norme nationale, les offres fondées sur des standards équivalents devraient être prises en compte par les pouvoirs adjudicateurs. [...]
[...]
[...]
(92) Lorsqu’ils évaluent le meilleur rapport qualité/prix, les pouvoirs adjudicateurs devraient établir les critères économiques et qualitatifs liés à l’objet du marché qu’ils appliqueront à cette fin. Ces critères devraient donc permettre une évaluation comparative du niveau de prestation offert par chaque soumissionnaire par rapport à l’objet du marché, tel qu’il est défini dans les spécifications techniques. [...]
[...] »
4 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application » :
« Au sens de la présente directive, la passation d’un marché est l’acquisition, au moyen d’un marché public de travaux, de fournitures ou de services par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs auprès d’opérateurs économiques choisis par lesdits pouvoirs, que ces travaux, fournitures ou services aient ou non une finalité publique. »
5 L’article 18 de ladite directive, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.
Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »
6 Aux termes de l’article 42 de la même directive, intitulé « Spécifications techniques » :
« 1. Les spécifications techniques définies au point 1 de l’annexe VII figurent dans les documents de marché. Les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures.
Ces caractéristiques peuvent également se référer au processus ou à la méthode spécifique de production ou de fourniture des travaux, des produits ou des services demandés ou à un processus propre à un autre stade de leur cycle de vie même lorsque ces facteurs ne font pas partie de leur contenu matériel, à condition qu’ils soient liés à l’objet du marché et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs.
[...]
2. Les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès à la procédure de passation de marché et n’ont pas pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.
3. Sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union, les spécifications techniques sont formulées de l’une des façons suivantes :
a) en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, y compris de caractéristiques environnementales, à condition que les paramètres soient suffisamment précis pour permettre aux soumissionnaires de déterminer l’objet du marché et aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer le marché ;
b) par référence à des spécifications techniques et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et de
réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures ; chaque référence est accompagnée de la mention “ou équivalent” ;
c) en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles visées au point a), en se référant, comme moyen de présumer la conformité à ces performances ou à ces exigences fonctionnelles, aux spécifications techniques visées au point b) ;
d) par référence aux spécifications visées au point b) pour certaines caractéristiques et aux performances ou exigences fonctionnelles visées au point a) pour d’autres caractéristiques.
4. À moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché, les spécifications techniques ne font pas référence à une fabrication ou [à] une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique, ni à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits. Cette référence est autorisée,
à titre exceptionnel, dans le cas où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3. Une telle référence est accompagnée des termes “ou équivalent”.
[...] »
7 L’annexe VII de la directive 2014/24, intitulée « Définition de certaines spécifications techniques », prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1. “spécification technique”[...] :
a) lorsqu’il s’agit de marchés publics de travaux, l’ensemble des prescriptions techniques contenues notamment dans les documents de marché, définissant les caractéristiques requises d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par le pouvoir adjudicateur ; ces caractéristiques comprennent les niveaux de performance environnementale et climatique, la conception pour tous les besoins (y compris l’accessibilité pour les
personnes handicapées) et l’évaluation de la conformité, la propriété d’emploi, la sécurité ou les dimensions, y compris les procédures relatives à l’assurance de la qualité, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, les instructions d’utilisation, ainsi que les processus et méthodes de production à tout stade du cycle de vie des ouvrages ; elles incluent également les règles de conception et de calcul des coûts, les conditions
d’essai, de contrôle et de réception des ouvrages, ainsi que les méthodes ou techniques de construction et toutes les autres conditions de caractère technique que le pouvoir adjudicateur est à même de prescrire, par voie de réglementation générale ou particulière, en ce qui concerne les ouvrages terminés et en ce qui concerne les matériaux ou les éléments constituant ces ouvrages ;
[...] »
Le droit belge
8 L’article 4 de la wet inzake overheidsopdrachten (loi relative aux marchés publics), du 17 juin 2016 (Belgisch Staatsblad, 14 juillet 2016, p. 44219), prévoit, à son premier alinéa :
« Les adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée. »
9 L’article 5, paragraphe 1, de cette loi est libellé comme suit :
« Un adjudicateur ne peut concevoir un marché public dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente loi ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques.
[...] »
10 L’article 53, paragraphes 2 à 4, de ladite loi dispose :
« 2. Les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès à la procédure de passation et ne peuvent avoir pour effet que des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence soient soulevés.
3. Sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union européenne, les spécifications techniques sont formulées de l’une des façons suivantes :
1° soit en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, en ce compris des caractéristiques environnementales, à condition qu’elles soient suffisamment précises pour permettre aux soumissionnaires de déterminer l’objet du marché et au pouvoir adjudicateur d’attribuer le marché ;
2° soit par référence à des spécifications techniques et par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et
de réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures. Chaque référence est accompagnée de la mention “ou équivalent” ;
3° soit en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles visées au 1° se référant aux spécifications visées au 2° comme un moyen de présomption de conformité à ces performances ou exigences fonctionnelles ;
4° soit par référence aux spécifications visées au 2° pour certaines caractéristiques et aux performances ou aux exigences fonctionnelles visées au 1° pour d’autres caractéristiques.
4. Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’une fabrication ou d’une provenance déterminée ou d’un procédé particulier qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits.
Cette mention ou référence n’est autorisée, à titre exceptionnel, que :
1° lorsqu’il ne serait pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3 ;
2° lorsqu’elle est justifiée par l’objet du marché.
Dans le cas visé à l’alinéa 2, 1°, la mention ou référence doit être accompagnée des termes “ou équivalent”.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Fluvius est une société de droit belge chargée, en Région flamande, de la construction, de la gestion et de l’entretien de plusieurs réseaux d’utilité publique, dont des réseaux d’égouttage.
12 Lorsqu’elle publie des avis de marché public pour l’installation ou le remplacement d’égouts, Fluvius exige l’utilisation de tuyaux en grès pour les systèmes d’évacuation des eaux usées et de tuyaux en béton pour les systèmes d’évacuation des eaux pluviales. L’utilisation d’autres matériaux n’est autorisée que dans des circonstances techniques particulières.
13 En tant que fabricant et fournisseur de tuyaux d’égouttage en plastique, DYKA estime que son exclusion des procédures de passation de marché public organisées par Fluvius viole les principes de passation des marchés publics énoncés aux articles 4, 5 et 53 de la loi relative aux marchés publics, qui mettent en œuvre les articles 18 et 42 de la directive 2014/24.
14 Le 4 juin 2020, DYKA a mis Fluvius en demeure d’adapter ses appels d’offres de telle sorte que les tuyaux d’égouttage en plastique puissent être proposés dans le cadre de ceux-ci.
15 Par ailleurs, le 7 octobre 2020, DYKA a demandé à Fluvius de préciser, dans les documents de l’appel d’offres relatif à un marché public d’installation d’un égouttage dans la commune de Beringen (Belgique), les raisons pour lesquelles les tuyaux en plastique étaient exclus de ce marché.
16 Dans sa réponse du 15 octobre 2020, Fluvius a confirmé que seuls les tuyaux en grès, pour l’évacuation des eaux usées, et en béton, pour l’évacuation des eaux pluviales, étaient acceptés. Elle considère qu’elle ne doit pas motiver davantage ce choix de matériaux.
17 DYKA a saisi l’ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent (tribunal de l’entreprise de Gand, division Gand, Belgique), qui est la juridiction de renvoi, en lui demandant d’ordonner à Fluvius de mettre fin à cette pratique et de la condamner au versement d’une indemnité.
18 Devant cette juridiction, Fluvius soutient qu’il est légitime, notamment du point de vue de la durabilité, d’opter par défaut, c’est-à-dire en l’absence de circonstances techniques particulières, pour des tuyaux d’égouttage en grès et en béton. Elle estime, en substance, qu’une telle exigence ne viole pas les principes énoncés aux articles 18 et 42 de la directive 2014/24.
19 La juridiction de renvoi observe qu’il découle de l’article 42 de la directive 2014/24 que les spécifications techniques doivent être élaborées de manière à éviter de restreindre artificiellement la concurrence. Ainsi qu’il ressortirait du paragraphe 3 de cet article 42, lu en combinaison avec le considérant 74 de cette directive, la formulation de spécifications techniques en termes de performances et d’exigences fonctionnelles permettrait généralement d’atteindre au mieux l’objectif d’ouverture
à la concurrence.
20 Cette juridiction n’exclut pas que l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doive être interprété en ce sens que le pouvoir adjudicateur est tenu de formuler les spécifications techniques de l’une des façons énumérées à cette disposition. Or, il semblerait que la formulation utilisée par Fluvius, consistant à se référer à des tuyaux en grès et en béton, ne relève d’aucune de ces façons de formuler et qu’elle a, par ailleurs, pour effet d’éliminer certaines entreprises ou certains
produits, ce qui pourrait relever de l’interdiction énoncée à l’article 42, paragraphe 4, de cette directive. Il pourrait s’ensuivre que les principes énoncés à l’article 18, paragraphe 1, et à l’article 42, paragraphe 2, de ladite directive ont été méconnus.
21 Dans ces conditions, l’ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent (tribunal de l’entreprise de Gand, division Gand) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 42, paragraphe 3, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que l’énumération des façons dont les spécifications techniques doivent être formulées a un caractère limitatif et qu’un pouvoir adjudicateur a donc l’obligation de concevoir les spécifications techniques de ses marchés publics de l’une des façons énumérées dans cette disposition ?
2) L’article 42, paragraphe 4, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que les références à des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné) dans les spécifications techniques des appels d’offres doivent être considérées comme relevant de l’une ou de plusieurs des références énumérées dans cette disposition, par exemple des références à des types déterminés ou à une production déterminée de tuyaux ?
3) L’article 42, paragraphe 4, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que les références faites dans les spécifications techniques des appels d’offres à un produit unique, par exemple à des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné), en tant que solutions techniques spécifiques, produisent déjà l’effet requis par cette disposition (à savoir “de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits”) puisqu’elles ont
pour effet d’exclure a priori, et donc de défavoriser, les entreprises qui proposent des solutions autres que le produit prescrit, malgré le fait que plusieurs entreprises en concurrence les unes avec les autres soient bel et bien en mesure de proposer le produit prescrit, ou faut-il qu’il n’y ait absolument aucune forme de concurrence autour du produit visé, par exemple des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné), et que l’effet susvisé ne
puisse être envisagé que si le produit en question caractérise une entreprise déterminée qui est la seule à l’offrir sur le marché ?
4) L’article 42, paragraphe 2, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens qu’une méconnaissance avérée de l’article 42, paragraphe 3, et/ou de l’article 42, paragraphe 4, de la directive [2014/24], en raison du recours illicite à des références dans les spécifications techniques des appels d’offres [par exemple à des références à des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné)], implique également, d’emblée, une méconnaissance de
l’article 42, paragraphe 2, de la directive [2014/24] et de l’article 18, paragraphe 1, de la directive [2014/24] qui s’y rattache ? »
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
22 À titre liminaire, il convient de relever que, dans ses observations écrites, la Commission européenne s’interroge sur la directive applicable.
23 Il convient de rappeler qu’une question préjudicielle doit être examinée à la lumière de toutes les dispositions des traités et du droit dérivé susceptibles d’avoir une pertinence par rapport au problème posé. La circonstance que la juridiction de renvoi a formulé sa question en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait donc pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie,
qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions (arrêt du 16 juin 2022, Obshtina Razlog, C‑376/21, EU:C:2022:472, point 51 et jurisprudence citée).
24 Fluvius est chargée de l’installation, de la gestion et de l’entretien de réseaux s’assainissement. Les travaux liés à cette activité sont, en règle générale, régis par la directive 2014/24, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci.
25 Toutefois, l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243), prévoit que relèvent du champ d’application de cette directive les activités liées au transport et à la distribution d’eau potable ou à l’alimentation en eau potable.
L’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/25 précise, à cet égard, que des marchés ou concours qui sont passés ou organisés par les entités adjudicatrices exerçant une activité visée au paragraphe 1 de cet article 10 et qui sont liés à l’évacuation ou au traitement des eaux usées relèvent également du champ d’application de cette directive.
26 La demande de décision préjudicielle ne permet pas d’établir si Fluvius, en tant que pouvoir adjudicateur, exerce une activité liée au transport et à la distribution d’eau potable ou à l’alimentation en eau potable. Cela étant, lors de l’audience, Fluvius, soutenue par la Commission et DYKA, a affirmé qu’elle n’était pas active dans ce domaine. Il apparaît ainsi, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, que c’est la directive 2014/24 qui est applicable en l’occurrence.
27 En tout état de cause, il convient de noter que les dispositions qui concernent les spécifications techniques dans les directives 2014/24 et 2014/25 sont substantiellement les mêmes.
Sur la première question
28 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que l’énumération, à cette disposition, des méthodes de formulation des spécifications techniques est exhaustive.
29 À cet égard, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, les spécifications techniques sont formulées, conformément au point a) de cette disposition, en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, ou bien, conformément au point b) de ladite disposition, par référence à des spécifications techniques et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux
spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et de réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures, ou bien encore, conformément aux points c) ou d) de la même disposition, par une combinaison de ces deux méthodes. Il
n’existe pas de hiérarchie entre les méthodes de formulation des spécifications techniques énumérées aux points a) à d) du paragraphe 3 de cet article 42 (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, points 26 et 28).
30 Ainsi qu’il découle de la phrase « les spécifications techniques sont formulées de l’une des façons suivantes », qui précède ces points a) à d), il incombe au pouvoir adjudicateur de formuler les spécifications techniques conformément à l’un desdits points et non pas selon une autre méthode. Partant, l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit, ainsi que l’a fait observer, en substance, M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, être compris en ce sens qu’il énumère de
manière exhaustive les méthodes de formulation des spécifications techniques devant figurer dans les documents de marché. En effet, si le législateur de l’Union avait entendu admettre des méthodes supplémentaires, il aurait exprimé sa volonté en employant une formule allant en ce sens, telle que « peuvent être formulées ».
31 Cette interprétation n’est pas infirmée par la précision, qui figure au début de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, selon laquelle cette disposition est « [s]ans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union ». Cette précision est certes susceptible, en cas de présence d’une règle technique nationale, de conduire à des situations dans lesquelles des pouvoirs adjudicateurs peuvent déroger à la règle
énoncée à cet article 42, paragraphe 3, mais elle n’altère pas, en tant que telle, le sens de cette règle. Lorsque, comme en l’occurrence, aucune « règle technique nationale obligatoire » n’est invoquée, les spécifications techniques doivent, sans préjudice de l’article 42, paragraphe 4, de cette directive, être formulées conformément à l’une des méthodes prévues aux points a) à d) dudit article 42, paragraphe 3.
32 Ladite interprétation n’est pas non plus infirmée par l’indication, figurant à l’article 42, paragraphe 4, deuxième phrase, de la directive 2014/24, selon laquelle il peut y avoir des cas « où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3 » de cet article 42.
33 Selon l’article 42, paragraphe 4, deuxième et troisième phrases, de cette directive, le pouvoir adjudicateur peut, dans de tels cas, exceptionnellement faire référence à une fabrication ou à une provenance déterminée, à un procédé particulier ou encore à un autre élément particulier mentionné au paragraphe 4, première phrase, de cet article 42, en y adjoignant les termes « ou équivalent ».
34 Lorsque cette exception s’applique, en raison de l’impossibilité de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, le pouvoir adjudicateur peut inclure, dans les spécifications techniques, une référence aux éléments dont la mention est en principe interdite par l’article 42, paragraphe 4, première phrase, de cette directive, pour autant que cette référence soit accompagnée des termes « ou
équivalent ».
35 Par ailleurs, dans la mesure où l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 précise, dans sa première phrase, que l’interdiction d’employer les références qui y sont mentionnées ne s’applique pas lorsqu’une telle référence est justifiée par l’objet du marché, il y a lieu de considérer que ce cas de figure déroge, à l’instar de celui prévu à l’article 42, paragraphe 4, deuxième phrase, de cette directive, visé aux points 32 à 34 du présent arrêt, à l’applicabilité exclusive des méthodes de
formulation des spécifications techniques énumérées à l’article 42, paragraphe 3, de ladite directive.
36 Cela étant, en dehors des cas de figure énoncés à l’article 42, paragraphe 4, de la même directive et en l’absence de toute règle technique nationale obligatoire, au sens du paragraphe 3 de cet article 42, la liste des méthodes de formulation des spécifications techniques énumérées à l’article 42, paragraphe 3, sous a) à d), de la directive 2014/24 doit être considérée comme étant exhaustive.
37 Ainsi qu’il ressort de l’ensemble des éléments qui précèdent, l’interprétation énoncée au point 30 du présent arrêt, qui découle clairement des termes « sont formulées de l’une des façons suivantes » figurant à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, s’impose en principe, à savoir sans préjudice de la précision contenue au début de cette disposition, d’une part, et de celles contenues à l’article 42, paragraphe 4, de cette directive, d’autre part. Au regard de la jurisprudence
constante de la Cour selon laquelle, lorsque le sens d’une disposition du droit de l’Union ressort sans ambiguïté du libellé même de celle-ci, la Cour ne saurait s’en départir (arrêt du 4 octobre 2024, Agentsia po vpisvaniyata, C‑200/23, EU:C:2024:827, point 56 et jurisprudence citée), il n’y a pas lieu d’examiner davantage la portée de cet article 42, paragraphe 3.
38 Partant, il y a lieu de répondre à la première question posée que l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que l’énumération, à cette disposition, des méthodes de formulation des spécifications techniques est exhaustive, sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires qui sont compatibles avec le droit de l’Union, au sens de ladite disposition, et sans préjudice de l’article 42, paragraphe 4, de cette directive.
Sur les deuxième et troisième questions
39 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que les pouvoirs adjudicateurs peuvent préciser, dans les spécifications techniques d’un marché public de travaux, de quels matériaux les produits proposés par les soumissionnaires doivent être constitués.
40 À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que, dans une procédure de passation d’un marché public de travaux, la formulation des spécifications techniques vise, conformément à l’article 42, paragraphe 1, de la directive 2014/24, à définir « les caractéristiques requises des travaux ». En ce qu’elles déterminent ces caractéristiques, les spécifications techniques définissent, comme cela découle du considérant 92 de cette directive, l’objet même du marché public.
41 Parmi ces spécifications peuvent notamment figurer, conformément au point 1, sous a), de l’annexe VII de ladite directive, les caractéristiques requises « d’un produit ou d’une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par le pouvoir adjudicateur ». Ces caractéristiques incluent, notamment, toutes les « conditions de caractère technique que le pouvoir adjudicateur est à même de prescrire, par voie de réglementation générale ou particulière, en ce qui concerne
les ouvrages terminés et en ce qui concerne les matériaux ou les éléments constituant ces ouvrages ».
42 Si les pouvoirs adjudicateurs jouissent d’une large marge d’appréciation à ce sujet, qui est justifiée par le fait qu’ils connaissent le mieux les fournitures dont ils ont besoin et les exigences auxquelles il doit être satisfait afin d’obtenir les résultats souhaités, la directive 2014/24 pose néanmoins certaines limites qu’ils doivent respecter. Ceux-ci doivent veiller, conformément à l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de
celle-ci, à ce que les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés et n’aient pas pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, points 29 à 33).
43 Dans le même ordre d’idées, il découle du considérant 74 de cette directive que les spécifications techniques formulées en vue de la passation d’un marché public doivent ouvrir ce marché public à la concurrence et donc permettre que soient présentées des offres qui reflètent notamment la diversité des solutions techniques existant sur le marché (voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, point 36, et du 24 octobre 2024, Obshtina Pleven, C‑513/23,
EU:C:2024:917, point 36).
44 Ce même considérant 74 précise que la formulation de spécifications techniques en termes de performances et d’exigences fonctionnelles permet généralement d’atteindre au mieux l’objectif d’ouverture à la concurrence et que, partant, cette méthode de formulation, qui promeut l’innovation dans la passation des marchés publics, devrait être utilisée aussi largement que possible.
45 Cette façon de formuler les spécifications techniques, visée à l’article 42, paragraphe 3, sous a), de la directive 2014/24, permet, en effet, à tout opérateur économique dont les produits satisfont aux performances et aux exigences fonctionnelles imposées par le pouvoir adjudicateur de soumissionner, indépendamment, notamment, du procédé suivi dans la fabrication de ses produits et du matériau dont ceux-ci sont constitués.
46 Pour que la méthode de formulation prévue à l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24 garantisse elle aussi une ouverture adéquate à la concurrence, le législateur de l’Union a prévu que les spécifications techniques formulées selon cette méthode doivent être accompagnées de la mention « ou équivalent ».
47 L’ouverture à la concurrence étant ainsi garantie en cas d’application de l’une des méthodes visées à l’article 42, paragraphe 3, sous a) et b), de la directive 2014/24, elle est également garantie dans les cas visés à l’article 42, paragraphe 3, sous c) et d), de celle-ci, qui consistent en une combinaison de ces deux méthodes.
48 En revanche, l’inclusion, dans les spécifications techniques, d’une référence « à une fabrication ou [à] une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique », ou « à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits » est en principe interdite, en vertu de l’article 42,
paragraphe 4, de cette directive.
49 En effet, de telles références, loin de contribuer à ouvrir le marché public à la concurrence, ont pour effet de restreindre celle-ci.
50 Cela étant, à titre exceptionnel, un pouvoir adjudicateur peut, dans les documents du marché contenant les spécifications techniques, inclure une référence visée à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, pourvu que, comme le prévoit en substance la deuxième phrase de cette disposition, les performances ou exigences fonctionnelles mentionnées conformément à l’article 42, paragraphe 3, sous a), de cette directive ou les spécifications mentionnées conformément à l’article 42,
paragraphe 3, sous b), de ladite directive, ou une combinaison des deux, ne permettent pas, par elles-mêmes, de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché. Dans un tel cas, le pouvoir adjudicateur doit, conformément à la troisième phrase de l’article 42, paragraphe 4, de la même directive, accompagner cette référence de la mention « ou équivalent ».
51 Ainsi qu’il ressort, par ailleurs, de l’incise « [à] moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché », contenue dans la première phrase de l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, les références visées à cette disposition peuvent également être faites lorsque cela est légitime au regard de l’objet du marché. Eu égard à son emplacement au début de ce paragraphe 4 et à l’emploi des termes « [à] moins que », ce cas de figure, qui est distinct de celui prévu au paragraphe 4,
deuxième phrase, de cet article 42, doit être compris comme une circonstance qui permet au pouvoir adjudicateur d’écarter l’applicabilité même du contenu normatif de ce paragraphe 4, lequel comporte l’interdiction de principe énoncée à la première phrase dudit paragraphe, l’exception à cette interdiction prévue à la deuxième phrase de celui-ci et l’exigence, prévue à la troisième phrase de ce dernier, d’ajouter, en cas d’applicabilité de cette exception, la mention « ou équivalent ».
52 Par conséquent, lorsqu’une référence telle que celle mentionnée à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 est justifiée par l’objet du marché, elle peut être introduite dans les spécifications techniques, sans que l’interdiction énoncée à la première phrase de cette disposition ou les conditions prévues aux deuxième et troisième phrases de celle-ci s’appliquent.
53 Ce cas de figure visé par les termes « [à] moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché » doit, sous peine de porter atteinte à l’objectif d’ouverture des marchés publics à la concurrence, être interprété de manière restrictive, de sorte qu’il couvre uniquement les situations dans lesquelles une exigence tenant à l’utilisation d’un produit d’un type ou d’une origine voire d’une marque déterminés, ou obtenu sur le fondement d’un brevet ou d’un procédé déterminés, découle
inévitablement de l’objet du marché.
54 C’est au regard de l’ensemble des précisions fournies ci-dessus au sujet de la portée de l’article 42 de la directive 2014/24 qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si Fluvius peut ou non limiter, au moyen des spécifications techniques qu’elle formule en vue de la passation de marchés publics de travaux d’égouttage, ces marchés publics aux opérateurs économiques qui fournissent des tuyaux d’égouttage en grès pour l’évacuation des eaux usées et des tuyaux en béton pour
l’évacuation des eaux pluviales.
55 S’il incombera à la seule juridiction de renvoi d’appliquer les règles énoncées à cet article 42, telles qu’interprétées par la Cour, cette dernière peut néanmoins donner des indications afin de déterminer dans quelle mesure ces règles sont susceptibles de s’appliquer à une référence, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, consistant à exiger l’utilisation de tuyaux « en grès » et « en béton ».
56 À ce titre, il y a lieu d’indiquer, premièrement, que le matériau dont un produit est constitué ne saurait être qualifié de « performance » ou d’« exigence fonctionnelle », au sens de l’article 42, paragraphe 3, sous a), de la directive 2014/24. En effet, si un matériau peut contribuer à la performance d’un produit ou à l’aptitude de celui-ci à remplir une exigence fonctionnelle, il ne constitue pas, en lui-même, une « performance » ou une « exigence fonctionnelle ».
57 Dans un cas tel que celui en cause dans l’affaire au principal, où il existe, dans le secteur économique concerné, des produits différenciables selon leur fabrication et, en particulier, le matériau dont ils sont constitués, l’exigence d’utiliser des produits constitués d’un certain matériau doit, ainsi que l’a fait observer M. l’avocat général aux points 72 et 73 de ses conclusions, être qualifiée de référence à un « type » ou à une « production déterminée » ayant « pour effet de favoriser ou
d’éliminer certaines entreprises ou certains produits », au sens de l’article 42, paragraphe 4, première phrase, de la directive 2014/24, dès lors que cette référence conduit à éliminer les entreprises qui fournissent des produits constitués d’un matériau autre que celui exigé.
58 Deuxièmement, il importe d’indiquer que, lors de l’audience devant la Cour, Fluvius a déclaré, en réponse à une question posée par celle-ci, qu’elle n’avait pas accompagné la spécification technique en cause dans l’affaire au principal, selon laquelle les tuyaux pour l’évacuation des eaux usées doivent être en grès et ceux pour l’évacuation des eaux pluviales en béton, de la mention « ou équivalent ».
59 Si tel devait être le cas, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il s’ensuivrait, sans qu’il soit nécessaire d’examiner s’il est possible, en application de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet de chaque marché en cause au principal, que Fluvius ne pourrait utilement invoquer l’exception prévue à l’article 53, paragraphe 4, deuxième alinéa, sous 1°, de la loi relative aux marchés
publics, qui transpose dans le droit belge l’article 42, paragraphe 4, deuxième phrase, de cette directive, puisque l’exigence formulée à la troisième phrase du paragraphe 4 de cet article 42, transposée dans le droit belge par l’article 53, paragraphe 4, troisième alinéa, de cette loi, ne serait pas satisfaite.
60 S’agissant, troisièmement, du cas de figure visé au début de l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, interprété aux points 51 à 53 du présent arrêt et transposé dans le droit belge par l’article 53, paragraphe 4, deuxième alinéa, sous 2°, de ladite loi, il y a lieu de considérer que l’exigence relative à l’utilisation d’un matériau déterminé pour un marché public ou pour une partie de celui-ci peut, en particulier, découler inévitablement de l’objet du marché lorsqu’elle se fonde sur
l’esthétique recherchée par le pouvoir adjudicateur ou sur la nécessité d’obtenir l’adéquation d’un ouvrage à son environnement, ou lorsque, au regard d’une performance ou d’une exigence fonctionnelle formulée en application de l’article 42, paragraphe 3, sous a), de cette directive, il est inévitable d’utiliser des produits constitués de ce matériau. En effet, dans de telles situations, aucune alternative fondée sur une solution technique différente n’est envisageable.
61 En dehors des cas où l’utilisation d’un matériau découle inévitablement de l’objet du marché, le pouvoir adjudicateur ne peut, sans ajout de la mention « ou équivalent », exiger l’utilisation d’un matériau déterminé. Il doit alors, dans le cadre des spécifications techniques, s’abstenir d’imposer l’emploi d’un matériau déterminé, soit en évitant de faire mention d’un tel matériau dans les documents du marché, soit en faisant mention d’un ou de plusieurs matériaux tout en y ajoutant la mention
« ou équivalent ». Ainsi, le pouvoir adjudicateur sera amené, conformément à l’objectif d’ouverture à la concurrence poursuivi par la directive 2014/24, à appliquer les critères d’attribution à une diversité d’offres, pouvant comprendre aussi bien celles qui proposent des produits constitués de matériaux dont l’utilisation est courante dans le secteur concerné que celles qui proposent des produits constitués de matériaux moins habituels, voire innovants. Le pouvoir adjudicateur donne ainsi aux
opérateurs économiques intéressés la possibilité de démontrer l’équivalence de tels matériaux.
62 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions posées que l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas, sans ajout de la mention « ou équivalent », préciser, dans les spécifications techniques d’un marché public de travaux, de quels matériaux les produits proposés par les soumissionnaires doivent être constitués, à moins que l’utilisation d’un matériau déterminé découle
inévitablement de l’objet du marché, aucune alternative fondée sur une solution technique différente n’étant envisageable.
Sur la quatrième question
63 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens que l’obligation de donner aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés publics et l’interdiction de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence, énoncées à cette dernière disposition,
sont nécessairement méconnues lorsqu’un pouvoir adjudicateur élimine, par une spécification technique qui n’est pas compatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de ladite directive, certaines entreprises ou certains produits.
64 Il ressort sans ambiguïté du libellé de l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 que cette disposition a pour objet de rappeler, en ce qui concerne la formulation des spécifications techniques, certaines des règles énoncées à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, à savoir, d’une part, l’obligation de traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et, d’autre part, l’interdiction de limiter artificiellement la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018,
Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, points 32 et 33).
65 Cette teneur de l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 est, à son tour, concrétisée par les paragraphes 3 et 4 de cet article 42. Ainsi qu’il découle de l’examen des première à troisième questions préjudicielles, ces paragraphes se fondent, eux aussi, ainsi qu’il est confirmé par le considérant 74 de la directive 2014/24, sur lesdites obligation et interdiction.
66 Par conséquent, lorsque certaines entreprises ou certains produits se trouvent exclus en raison d’une spécification technique qui est incompatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24, cette exclusion porte nécessairement atteinte à l’obligation, énoncée au paragraphe 2 de cet article 42, de veiller à ce que les spécifications techniques donnent un accès égal à la procédure de passation et ne limitent pas indûment la concurrence.
67 Partant, il y a lieu de répondre à la quatrième question posée que l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, doit être interprété en ce sens que l’obligation de donner aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés publics et l’interdiction de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence, énoncées à cette dernière disposition, sont
nécessairement méconnues lorsqu’un pouvoir adjudicateur élimine, par une spécification technique qui n’est pas compatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de ladite directive, certaines entreprises ou certains produits.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,
doit être interprété en ce sens que :
l’énumération, à cette disposition, des méthodes de formulation des spécifications techniques est exhaustive, sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires qui sont compatibles avec le droit de l’Union, au sens de ladite disposition, et sans préjudice de l’article 42, paragraphe 4, de cette directive.
2) L’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24
doit être interprété en ce sens que :
les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent pas, sans ajout de la mention « ou équivalent », préciser, dans les spécifications techniques d’un marché public de travaux, de quels matériaux les produits proposés par les soumissionnaires doivent être constitués, à moins que l’utilisation d’un matériau déterminé découle inévitablement de l’objet du marché, aucune alternative fondée sur une solution technique différente n’étant envisageable.
3) L’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 1, de cette directive,
doit être interprété en ce sens que :
l’obligation de donner aux opérateurs économiques une égalité d’accès aux procédures de passation de marchés publics et l’interdiction de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence, énoncées à cette dernière disposition, sont nécessairement méconnues lorsqu’un pouvoir adjudicateur élimine, par une spécification technique qui n’est pas compatible avec les règles énoncées à l’article 42, paragraphes 3 et 4, de ladite directive, certaines entreprises ou
certains produits.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.