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13/02/2025 | CJUE | N°C-612/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Verbraucherzentrale Berlin eV contre Vodafone GmbH., 13/02/2025, C-612/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 février 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2002/22/CE (directive “service universel”) – Réseaux et services de communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs – Protection des consommateurs – Contrats conclus entre un consommateur et une entreprise fournissant des services de communications électroniques – Facilitation du changement de fournisseur – Article 30, paragraphe 5 – Durée d’engagement initiale – Notion »

Dans l’affaire C‑61

2/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberl...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 février 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2002/22/CE (directive “service universel”) – Réseaux et services de communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs – Protection des consommateurs – Contrats conclus entre un consommateur et une entreprise fournissant des services de communications électroniques – Facilitation du changement de fournisseur – Article 30, paragraphe 5 – Durée d’engagement initiale – Notion »

Dans l’affaire C‑612/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 21 septembre 2023, parvenue à la Cour le 6 octobre 2023, dans la procédure

Verbraucherzentrale Berlin eV

contre

Vodafone GmbH,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias (rapporteur), E. Regan, J. Passer et B. Smulders, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Verbraucherzentrale Berlin eV, par Me S. Fitzner, Rechtsanwältin,

– pour Vodafone GmbH, par Me C. Rohnke, Rechtsanwalt,

– pour la Commission européenne, par MM. O. Gariazzo, L. Malferrari et G. Meessen, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 30, paragraphe 5, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel ») (JO 2002, L 108, p. 51), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 11) (ci-après
la « directive “service universel” »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Verbraucherzentrale Berlin eV, une association de protection des consommateurs (ci-après l’ « association de protection des consommateurs »), à Vodafone GmbH, un fournisseur de services de télécommunications, y compris dans le domaine de la téléphonie mobile, au sujet d’une pratique commerciale mise en place par ce fournisseur à l’égard des consommateurs.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive « service universel »

3 Les considérants 2, 30 et 49 de la directive « service universel » énonçaient :

« (2) Aux termes de l’article 153 [CE], la Communauté [européenne] doit contribuer à la protection des consommateurs.

[...]

(30) Le contrat est un instrument important aux mains des utilisateurs et des consommateurs pour garantir un niveau minimal de transparence de l’information et de sécurité juridique. [...] Outre les dispositions de la présente directive, les exigences de la législation communautaire en vigueur en matière de protection des consommateurs dans le domaine des contrats [...] s’appliquent aux transactions effectuées par les consommateurs sur des réseaux et des services électroniques. En particulier, les
consommateurs devraient jouir d’un niveau minimal de sécurité juridique dans leurs relations contractuelles avec leur fournisseur direct de services téléphoniques, de manière à ce que les termes du contrat, les conditions, la qualité du service, les modalités de résiliation du contrat et de cessation du service, les mesures de compensation et le mode de règlement des litiges soient spécifiés dans le contrat. [...]

[...]

(49) La présente directive devrait prévoir certains éléments concernant la protection des consommateurs, notamment la clarté des conditions contractuelles et des moyens de règlement des litiges, et la transparence des tarifs pour les consommateurs. [...] »

4 L’article 20 de cette directive, intitulé « Contrats », prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, lors de la souscription de services fournissant la connexion à un réseau de communications public et/ou de services de communications électroniques accessibles au public, les consommateurs, ainsi que les autres utilisateurs finals qui le demandent, aient droit à un contrat conclu avec une ou plusieurs entreprises fournissant une telle connexion et/ou de tels services. [...] »

5 L’article 30 de ladite directive, intitulé « Facilitation du changement de fournisseur », disposait, à son paragraphe 5 :

« Les États membres veillent à ce que les contrats conclus entre un consommateur et une entreprise fournissant des services de communications électroniques n’imposent pas de durée d’engagement initiale excédant 24 mois. Les États membres veillent aussi à ce que les entreprises offrent aux utilisateurs la possibilité de souscrire un contrat d’une durée maximale de 12 mois. »

La directive 2009/136

6 Aux termes du considérant 47 de la directive 2009/136 :

« Pour tirer pleinement parti de l’environnement concurrentiel, les consommateurs devraient être à même de faire des choix en connaissance de cause et de changer de fournisseur lorsque cela est dans leur intérêt. Il est essentiel de garantir qu’ils puissent le faire sans rencontrer d’obstacles juridiques, techniques ou pratiques, notamment sous la forme de conditions, de procédures, de redevances contractuelles, etc. Cela n’empêche pas l’imposition de périodes contractuelles minimales raisonnables
dans les contrats conclus avec les consommateurs. La portabilité du numéro est un élément clé pour faciliter le choix des consommateurs et une réelle concurrence sur des marchés des communications électroniques concurrentiels et elle devrait être mise en œuvre dans les meilleurs délais, de sorte que le numéro soit activé et opérationnel dans un délai d’un jour ouvrable et que l’utilisateur ne soit pas privé de service pendant plus d’un jour ouvrable. Les autorités nationales compétentes peuvent
prescrire la procédure globale de portage des numéros, compte tenu des dispositions nationales en matière de contrats et des progrès technologiques. L’expérience, dans certains États membres, a montré qu’il existait un risque que des consommateurs se trouvent confrontés à un changement de fournisseur sans y avoir consenti. S’il est vrai que ce problème devrait être traité au premier chef par les autorités chargées de l’application du droit, les États membres devraient néanmoins être à même
d’imposer les mesures proportionnées minimales relatives à la procédure de changement de fournisseur qui sont nécessaires pour minimiser ce genre de risques et pour garantir que les consommateurs sont protégés tout au long de la procédure de changement de fournisseur, y compris des sanctions appropriées, sans rendre cette procédure moins attrayante pour les consommateurs. »

La directive (UE) 2018/1972

7 La directive « service universel » a été abrogée par la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, établissant le code des communications électroniques européen (JO 2018, L 321, p. 36). Selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe XIII de cette dernière, l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel » correspond à l’article 105, paragraphe 1, de la directive 2018/1972. Cet article 105, intitulé « Durée et résiliation des
contrats », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les conditions et procédures de résiliation de contrat ne soient pas un facteur dissuasif pour ce qui est du changement de fournisseur de services et que les contrats conclus entre un consommateur et un fournisseur de services de communications électroniques accessibles au public, autres que les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation et autres que les services de transmission utilisés pour la fourniture de services de
machine à machine, n’imposent pas une durée d’engagement supérieure à vingt-quatre mois. Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions imposant des durées d’engagement contractuel maximales plus courtes.

[...]

3.   Lorsqu’un contrat ou le droit national prévoit la prolongation automatique d’un contrat à durée déterminée portant sur des services de communications électroniques autres que des services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation et que des services de transmission utilisés pour la fourniture de services de machine à machine, les États membres veillent à ce que, après une telle prolongation, les utilisateurs finaux aient le droit de résilier le contrat à tout moment
moyennant un délai de préavis d’un mois maximum, déterminé par les États membres, et sans supporter de frais sauf les charges liées à la réception du service pendant le délai de préavis. Avant la prolongation automatique du contrat, les fournisseurs informent les utilisateurs finaux, clairement, en temps utile et sur un support durable, de la fin de l’engagement contractuel et des modalités de résiliation du contrat. En outre, et en même temps, les fournisseurs conseillent les utilisateurs finaux
sur le meilleur tarif qu’ils proposent pour leurs services. Les fournisseurs donnent aux utilisateurs finaux des informations sur le meilleur tarif au moins une fois par an.

[...] »

8 Conformément, respectivement, aux articles 124 et 125 de cette directive, le délai pour sa transposition dans les ordres juridiques des États membres expirait le 21 décembre 2020 et la directive « service universel » a été abrogée avec effet à cette même date.

Le droit allemand

9 Aux termes de l’article 43b du Telekommunikationsgesetz (loi sur les télécommunications) du 22 juin 2004 (BGBI. 2004 I, p. 1190), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « TKG ») :

« La durée d’engagement initiale d’un contrat entre un consommateur et un fournisseur de services de communications accessibles au public ne doit pas excéder 24 mois. [...] »

10 L’article 307 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, ci-après le « BGB ») dispose :

« (1)   Les dispositions figurant dans des conditions générales de vente sont inapplicables lorsqu’elles désavantagent de façon indue et contraire aux principes de la bonne foi le cocontractant de la personne qui les utilise. Un désavantage indu peut également résulter du fait que la disposition en question n’est pas claire et compréhensible.

(2)   En cas de doute, il convient d’admettre qu’un désavantage indu existe lorsqu’une disposition

1. n’est pas compatible avec les idées fondamentales de la réglementation légale dont elle s’écarte, ou

2. limite les droits ou obligations essentielles résultant de la nature du contrat de telle sorte que la réalisation de l’objectif contractuel est menacée.

(3)   Les paragraphes 1 et 2 ainsi que les articles 308 et 309 ne s’appliquent qu’aux dispositions de conditions générales de vente qui ont pour objet de déroger à des dispositions légales ou de les compléter. D’autres dispositions peuvent être inapplicables au titre des dispositions combinées de la première et de la seconde phrase du paragraphe 1. »

11 Aux termes de l’article 309 du BGB :

« Même dans la mesure où il est permis de déroger aux dispositions légales, les dispositions [suivantes] figurant dans des conditions générales sont sans effet [:]

[...]

9. dans le cas d’une relation contractuelle ayant pour objet la fourniture régulière de marchandises ou la prestation régulière de services ou de travaux par l’utilisateur,

a) une durée de contrat liant l’autre partie du contrat pendant plus de deux ans,

b) un renouvellement tacite de la relation contractuelle liant l’autre partie au contrat, à moins que la relation contractuelle ne soit renouvelée pour une durée indéterminée et que l’autre partie au contrat se voit accorder le droit de résilier le contrat renouvelé à tout moment moyennant un préavis maximal d’un mois,

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12 L’association de protection des consommateurs a introduit une action en cessation devant le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) contre Vodafone, fondée sur une prétendue violation, par cette dernière, de la réglementation nationale en matière de protection des consommateurs au détriment de clients existants, tels que les clients nos 1 et 2 mentionnés dans la demande de décision préjudicielle.

13 Ces derniers clients avaient chacun conclu avec Vodafone un premier contrat pour une durée d’engagement déterminée. Au cours de l’année 2018, avant l’échéance de leurs contrats, chacun de ces deux clients a souhaité changer la formule de son abonnement, afin d’accéder, moyennant une tarification mensuelle plus élevée, à l’achat, à prix réduit, d’un nouveau téléphone portable.

14 À cette fin, le client no 1 a signé un avenant à son premier contrat dans lequel il était indiqué qu’il s’agissait d’un « nouveau contrat », conclu « avant la fin de la durée d’engagement » et qu’une nouvelle durée d’engagement de 24 mois commencerait à courir à partir du premier jour suivant l’expiration de la période d’engagement du premier contrat. Ce client a immédiatement reçu le téléphone portable convenu et Vodafone a immédiatement appliqué le nouveau tarif prévu par cet avenant.

15 Pour sa part, le client no 2 a signé un document intitulé « Prorogation du contrat » dans lequel était fixée une durée d’engagement de 26 mois. À cet égard, Vodafone a précisé à ce client que la durée résiduelle du premier contrat qu’il avait signé et qui n’avait pas encore atteint son terme devrait être ajoutée à la période contractuelle minimale de 24 mois.

16 À l’appui de son action en cessation, l’association de protection des consommateurs a fait valoir que, du fait de la pratique commerciale décrite aux points 14 et 15 du présent arrêt, les clients étaient liés pour une période supérieure à 24 mois, en violation de l’article 43b, première phrase, du TKG et, en tout état de cause, de l’article 309, point 9, sous a), du BGB. Vodafone a opposé que cette pratique commerciale concernait uniquement des prorogations de contrats convenues d’un commun
accord et ne relevant pas de ces dispositions.

17 Le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) a fait droit, pour partie, à cette action en jugeant que, si la pratique commerciale contestée n’était pas contraire aux dispositions susmentionnées, ces dernières visant uniquement la durée des premiers contrats et non pas celle des contrats subséquents tels que ceux résultant de la signature de l’avenant et du document visés respectivement aux points 14 et 15 du présent arrêt, les accords conclus avec les clients no s 1 et 2
comportaient, toutefois, des conditions générales enfreignant l’article 307 du BGB.

18 Les parties au principal ont chacune interjeté appel de ce jugement devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi. Cette dernière a accueilli l’appel de l’association de protection des consommateurs et rejeté celui de Vodafone, au motif que la pratique commerciale visée par l’action en cessation était effectivement contraire auxdites dispositions nationales, interprétées à la lumière du droit de l’Union.

19 Cet arrêt a été annulé par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) qui a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi, estimant qu’il y avait des éléments factuels du litige qui n’avaient pas été établis avec suffisamment de précision.

20 Saisie de nouveau de ce litige, la juridiction de renvoi considère que l’avenant et le document signés, respectivement, par les clients no 1 et no 2 devaient entrer en vigueur et être exécutés dès la date de leur signature.

21 Or, cette juridiction s’interroge sur l’interprétation de la notion de « durée d’engagement initiale » figurant à l’article 43b, première phrase, du TKG, dont la portée serait controversée en Allemagne.

22 Selon un premier point de vue, cette notion concernerait uniquement les premiers contrats conclus entre un client et un prestataire de services de communication. Partant, la limitation temporelle prévue à l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel » ne s’appliquerait pas aux prolongations de tels contrats, tant tacites que résultant d’un nouvel accord conclu entre les mêmes parties, et cela indépendamment de la question de savoir si ces prolongations entraînent des
modifications des conditions contractuelles.

23 Selon un second point de vue, défendu par la juridiction de renvoi, par « durée d’engagement initiale », il conviendrait d’entendre toute durée d’engagement, étant entendu que le consommateur doit en tout cas avoir la possibilité de mettre fin au contrat à l’expiration de la période contractuelle n’excédant pas 24 mois visée par la directive « service universel ». À cet égard, premièrement, une telle interprétation serait cohérente avec l’objectif visé au considérant 47 de la directive 2009/136
et tenant à accorder au consommateur la possibilité de mettre fin à un contrat à l’expiration d’une période contractuelle minimale raisonnable « pour tirer pleinement partie de l’environnement concurrentiel ». Deuxièmement, une interprétation de la notion de « durée d’engagement initiale » telle que celle énoncée au point 22 du présent arrêt impliquerait qu’il n’existerait pas de prescriptions claires s’agissant de la durée des contrats subséquents conclus entre les parties aux premiers contrats.
Troisièmement, cette dernière interprétation instaurerait une distinction entre la simple prorogation d’un contrat et la conclusion d’un nouveau contrat impliquant la résiliation du contrat antérieur, ce qui ferait dépendre l’application de la directive « service universel » de concepts nationaux.

24 Selon la juridiction de renvoi, l’omission, à l’article 105, paragraphe 1, de la directive 2018/1972, du mot « initiale » figurant à l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel » s’expliquerait par le fait que la question des prolongations automatiques des contrats à durée déterminée est désormais régie par l’article 105, paragraphe 3, de cette directive.

25 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Faut-il entendre, par “durée d’engagement initiale” [au sens de l’article 30, paragraphe 5, de la directive “service universel”], uniquement la période contractuelle d’un contrat initial, ou bien également celle d’un contrat de prorogation fondé sur des déclarations de volonté actualisées, conclu et mis à exécution longtemps avant l’expiration du contrat initial, lorsqu’il a pour objet des [obligations] modifiées du professionnel et du client par rapport au contrat initial ? »

Sur la question préjudicielle

26 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel » doit être interprété en ce sens que la notion de « durée d’engagement initiale » figurant à cette disposition vise tant la durée du premier contrat conclu entre un consommateur et un fournisseur de services de communications électroniques que celle d’un contrat subséquent conclu entre les mêmes parties, de telle sorte que ce contrat subséquent ne peut pas imposer
de durée d’engagement excédant 24 mois, y compris lorsque il a été signé et mis à exécution avant l’expiration du premier contrat.

27 À titre liminaire, il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi considère que la directive « service universel », désormais abrogée et remplacée par la directive 2018/1972, est applicable ratione temporis au litige au principal. Elle indique notamment, à cet égard, que, conformément au droit national applicable à ce litige, une action telle que celle introduite par la partie requérante au principal ne peut être accueillie que si la pratique commerciale contestée était illégale à l’époque
des faits qui sont à la base d’une telle action. Or, en l’occurrence, ces faits auraient eu lieu avant l’entrée en vigueur de la directive 2018/1972, de telle sorte que ce serait au regard de la directive « service universel » qu’il conviendrait d’évaluer la pratique commerciale en cause au principal.

28 Il suffit, à cet égard, de rappeler qu’il appartient aux seules juridictions nationales de définir le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elles posent [ordonnance du 25 mars 2022, IP e.a. (Établissement de la matérialité des faits au principal), C‑609/21, EU:C:2022:232, point 21 ainsi que jurisprudence citée]. En ce qui concerne l’interprétation des dispositions relevant de l’ordre juridique national, la Cour est en principe tenue de se fonder sur les
qualifications résultant de la décision de renvoi. En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit interne d’un État membre (arrêt du 5 décembre 2023, Deutsche Wohnen, C‑807/21, EU:C:2023:950, point 36 et jurisprudence citée).

29 Au vu de ces considérations, il convient d’interpréter l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel ».

30 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du libellé de cette disposition, force est de constater qu’il peut être déduit des versions de celle-ci en langues espagnole, allemande, grecque, anglaise et française que l’adjectif « initiale », formé au féminin, vise à qualifier non pas les « contrats » ou l’« engagement », mais la « durée d’engagement », ce qui signifierait que le législateur de l’Union n’a pas eu l’intention d’établir une distinction entre les premiers contrats et les contrats
subséquents conclus entre les mêmes parties. Néanmoins, d’autres versions linguistiques de cette disposition, telles que celles en langues italienne et portugaise, peuvent être interprétées en ce sens qu’elles ne visent à imposer une exigence de durée d’engagement n’excédant pas 24 mois que s’agissant de l’« engagement initial », à savoir, en substance, le premier contrat signé par les parties concernées.

31 Or, il ressort d’une jurisprudence constante que les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union, et, en cas de divergence entre ces diverses versions, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 17 janvier 2023, Espagne/Commission, C‑632/20 P, EU:C:2023:28,
point 42 et jurisprudence citée).

32 À cet égard, il importe de relever, en second lieu, qu’une interprétation de l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel » selon laquelle il ne saurait y avoir de distinction entre le premier contrat et le contrat subséquent conclu entre les mêmes parties est conforme à l’objectif de cette directive.

33 En effet, ainsi qu’il ressort de l’intitulé même de l’article 30 de la directive « service universel » et du considérant 47 de la directive 2019/136, le principal objectif de cet article 30 est de faciliter aux consommateurs le changement, en connaissance de cause, de fournisseur, lorsque cela est dans leur intérêt, afin de permettre à ces consommateurs de tirer pleinement partie de l’environnement concurrentiel. Or, une interprétation dudit article 30 en ce sens que l’expression « durée
d’engagement initiale » ne viserait que celle des premiers contrats conclus entre les parties concernées et non pas celle des contrats subséquents conclus entre les mêmes parties aurait pour conséquence de rendre plus difficile, potentiellement pendant de longues périodes, le changement de fournisseur par lesdits consommateurs et, ainsi, le cas échéant, de les priver de la possibilité de tirer pleinement partie du jeu de concurrence dans le domaine concerné.

34 En particulier, d’une part, s’il peut, certes, être considéré que, en décidant de s’engager de nouveau avec le même prestataire, le consommateur fait preuve de confiance à l’égard de ce dernier, cela ne devrait pas pour autant, au regard de cet objectif, avoir pour conséquence d’empêcher ce consommateur de changer de prestataire si une offre plus intéressante se présentait à lui.

35 D’autre part, il ressort, en substance, des considérants 2 et 30 de la directive « service universel » que la protection des consommateurs constitue l’un des objectifs visés par cette directive. Or, si, lorsqu’il décide de s’engager de nouveau avec le même prestataire au terme d’une première période contractuelle, le consommateur a, certes, une certaine expérience des pratiques commerciales de son cocontractant, il n’en demeure pas moins que cette expérience est susceptible de s’avérer dénuée de
pertinence si le nouvel engagement pris implique, de part et d’autre, des prestations d’une nature différente de celles concernées par le premier contrat. Ainsi, le niveau de protection dont doit bénéficier le consommateur ne saurait être moins élevé lorsque celui-ci consent à des modifications d’un contrat le liant à un prestataire que lorsqu’il s’engage par un tel contrat pour la première fois avec un nouveau prestataire.

36 Tel est a fortiori le cas dans une situation, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, où le contrat subséquent conclu entre les parties concernées comporte des modifications concernant des clauses essentielles par rapport au premier contrat conclu entre ces parties, telles que celles portant sur la tarification, le contenu ou la nature des prestations concernées.

37 Certes, ainsi qu’il ressort du considérant 47 de la directive 2009/136, l’élimination de tout obstacle juridique, technique ou pratique qui pourrait rendre difficile pour les consommateurs de changer de prestataire ne va pas jusqu’à empêcher l’imposition de périodes contractuelles minimales raisonnables dans les contrats conclus avec ces derniers. Toutefois, une interprétation de l’article 30, paragraphe 5, de la directive 2002/22 permettant à un prestataire d’imposer, pour un nouvel engagement
pris avec l’un de ses abonnés, une durée plus longue que la durée d’engagement maximale imposée par cette disposition ne saurait être considérée comme conforme aux objectifs poursuivis par le législateur de l’Union qui a fixé, par cette disposition, une limitation temporelle à ne pas dépasser.

38 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 30, paragraphe 5, de la directive « service universel » doit être interprété en ce sens que la notion de « durée d’engagement initiale » figurant à cette disposition vise tant la durée du premier contrat conclu entre un consommateur et un fournisseur de services de communications électroniques que celle d’un contrat subséquent conclu entre les mêmes parties, de telle sorte que ce
contrat subséquent ne peut pas imposer de durée d’engagement excédant 24 mois, y compris lorsqu’il a été signé et mis à exécution avant l’expiration du premier contrat.

Sur les dépens

39 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  L’article 30, paragraphe 5, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009,

  doit être interprété en ce sens que :

  la notion de « durée d’engagement initiale » figurant à cette disposition vise tant la durée du premier contrat conclu entre un consommateur et un fournisseur de services de communications électroniques que celle d’un contrat subséquent conclu entre les mêmes parties, de telle sorte que ce contrat subséquent ne peut pas imposer de durée d’engagement excédant 24 mois, y compris lorsqu’il a été signé et mis à exécution avant l’expiration du premier contrat.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-612/23
Date de la décision : 13/02/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Directive 2002/22/CE (directive “service universel”) – Réseaux et services de communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs – Protection des consommateurs – Contrats conclus entre un consommateur et une entreprise fournissant des services de communications électroniques – Facilitation du changement de fournisseur – Article 30, paragraphe 5 – Durée d’engagement initiale – Notion.


Parties
Demandeurs : Verbraucherzentrale Berlin eV
Défendeurs : Vodafone GmbH.

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:82

Source

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