ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
15 mai 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Fabrication, présentation et vente des produits du tabac – Directive 2014/40/UE – Article 2, point 40 – Notion de “mise sur le marché” – Article 23, paragraphe 2 – Contrôle de la mise en œuvre – Champ d’application – Mise sur le marché de produits du tabac dont l’emballage comprend des éléments non conformes – Fourniture des produits du tabac par un grossiste à un détaillant – Amende imposée au gérant d’une société agissant en qualité de
grossiste »
Dans l’affaire C‑717/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 17 novembre 2023, parvenue à la Cour le 27 novembre 2023, dans la procédure
Bundesminister für Soziales, Gesundheit, Pflege und Konsumentenschutz
contre
MM,
en présence de :
Bezirkshauptmannschaft Grieskirchen,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. M. Gavalec, Z. Csehi et F. Schalin, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 octobre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour MM, par Me C. Schneider, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par Mmes C. Jacob et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. P. Huurnink, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes E. Schmidt et F. van Schaik, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 janvier 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 40, de l’article 13, paragraphe 1, sous c), et de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO
2014, L 127, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Bundesminister für Soziales, Gesundheit, Pflege und Konsumentenschutz (ministre fédéral de la Santé, des Affaires sociales, des Soins et de la Protection des consommateurs, Autriche) (ci-après le « ministre ») à MM, le gérant d’une société grossiste en tabac, au sujet d’une amende imposée par la Bezirkshauptmannschaft Grieskirchen (autorité administrative du district de Grieskirchen, Autriche) (ci-après l’« autorité
administrative ») à MM à la suite d’une mise sur le marché de produits du tabac dont l’étiquetage de l’unité de conditionnement méconnaît les prescriptions relatives à la présentation de ces produits.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2014/40
3 Les considérants 8 et 59 de la directive 2014/40 énoncent :
« (8) Conformément à l’article 114, paragraphe 3, [TFUE], il y a lieu de prendre pour base un niveau de protection élevé en matière de santé pour les propositions législatives, et, en particulier, toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques devrait être prise en compte. Les produits du tabac ne sont pas des denrées ordinaires et, au vu des effets particulièrement nocifs du tabac sur la santé humaine, il convient de mettre l’accent sur la protection de la santé afin de réduire
notamment la prévalence du tabagisme chez les jeunes.
[...]
(59) [...] Il est [...] impératif de veiller à ce que les obligations imposées aux fabricants, aux importateurs et aux distributeurs de tabac et de produits connexes non seulement garantissent un niveau élevé de protection de la santé et des consommateurs, mais protègent également tous les autres droits fondamentaux et soient proportionnées eu égard au bon fonctionnement du marché intérieur. [...] »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », est ainsi libellé :
« La présente directive a pour objectif le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant :
[...]
b) certains aspects de l’étiquetage et du conditionnement des produits du tabac, notamment les avertissements sanitaires devant figurer sur les unités de conditionnement et sur tout emballage extérieur, ainsi que les dispositifs de traçabilité et de sécurité qui s’appliquent aux produits du tabac afin de garantir le respect de la présente directive par ceux-ci ;
[...]
en vue de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes, et de respecter les obligations de l’Union découlant de la [convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac]. »
5 Aux termes de l’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions » :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
40) “mise sur le marché”, le fait de mettre des produits, quel que soit leur lieu de fabrication, à la disposition des consommateurs de l’Union [européenne], à titre onéreux ou non, y compris par vente à distance ; dans le cas de la vente à distance transfrontalière, le produit est réputé mis sur le marché dans l’État membre où se trouve le consommateur ;
41) “détaillant”, tout point de vente dans lequel sont mis sur le marché des produits du tabac, y compris par une personne physique. »
6 L’article 13 de la même directive, intitulé « Présentation du produit », dispose :
« 1. L’étiquetage des unités de conditionnement, tout emballage extérieur ainsi que le produit du tabac proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément ou dispositif qui :
[...]
c) évoque un goût, une odeur, tout arôme ou tout autre additif, ou l’absence de ceux-ci ;
[...] »
7 L’article 23 de la directive 2014/40, intitulé « Coopération et contrôle de la mise en œuvre », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. Les États membres veillent à ce que les produits du tabac et les produits connexes non conformes à la présente directive, y compris aux actes d’exécution et aux actes délégués qui y sont prévus, ne soient pas mis sur le marché. Les États membres veillent à ce que les produits du tabac et les produits connexes ne soient pas mis sur le marché si les obligations de déclaration prévues dans la présente directive ne sont pas respectées.
3. Les États membres déterminent le régime des sanctions applicable aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de ces sanctions. Les sanctions prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives. Toute sanction administrative financière qui peut être imposée suite à une infraction intentionnelle peut être de nature à neutraliser l’avantage financier obtenu grâce à
l’infraction. »
Le règlement (UE) 2019/1020
8 Les considérants 12, 14 et 43 du règlement (UE) 2019/1020 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, sur la surveillance du marché et la conformité des produits, et modifiant la directive 2004/42/CE et les règlements (CE) no 765/2008 et (UE) no 305/2011(JO 2019, L 169, p. 1), énoncent :
« (12) Les opérateurs économiques présents sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement devraient agir de manière responsable et en totale conformité avec les exigences légales en vigueur lorsqu’ils mettent des produits sur le marché ou les mettent à disposition sur le marché, de manière à garantir le respect de la législation d’harmonisation de l’Union relative aux produits. [...]
[...]
(14) Des chaînes d’approvisionnement modernes englobent une grande variété d’opérateurs économiques qu’il convient de soumettre tous au contrôle de l’application de la législation d’harmonisation de l’Union, tout en tenant dûment compte de leur rôle respectif dans la chaîne d’approvisionnement et de la mesure dans laquelle ils contribuent à la mise à disposition de produits sur le marché de l’Union. Par conséquent, il est nécessaire d’appliquer le présent règlement aux opérateurs économiques qui
sont directement concernés par la législation d’harmonisation de l’Union énumérée à l’annexe I du présent règlement, [...]
[...]
(43) Les autorités de surveillance du marché agissent dans l’intérêt des opérateurs économiques, des utilisateurs finals et du public, afin de faire en sorte que les intérêts publics couverts par les dispositions pertinentes de la législation d’harmonisation de l’Union relatives aux produits soient systématiquement préservés et protégés au moyen de mesures exécutoires adéquates, et que le respect de cette législation soit garanti tout au long de la chaîne d’approvisionnement au moyen de contrôles
appropriés, en tenant compte du fait que, dans de nombreux cas, les contrôles administratifs ne peuvent remplacer les contrôles physiques et les contrôles en laboratoire afin de vérifier la conformité des produits à la législation d’harmonisation de l’Union en la matière. Par conséquent, les autorités de surveillance du marché devraient mener leurs activités en toute transparence et mettre à la disposition du public toute information qu’elles jugent pertinente pour protéger les intérêts des
utilisateurs finals dans l’Union. »
9 L’article 1er du règlement 2019/1020, intitulé « Objet », dispose, à son paragraphe 1 :
« L’objectif du présent règlement est d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur en renforçant la surveillance sur le marché des produits couverts par la législation d’harmonisation de l’Union visée à l’article 2, afin de veiller à ce que seuls les produits conformes qui répondent aux exigences garantissant un haut niveau de protection des intérêts publics tels que la santé et la sécurité en général, la santé et la sécurité sur le lieu de travail, la protection des consommateurs, la
protection de l’environnement et de la sécurité publique et de tout autre intérêt public protégé par ladite législation, soient mis sur le marché de l’Union. »
10 L’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement s’applique aux produits qui sont soumis à la législation d’harmonisation de l’Union dont la liste figure à l’annexe I (ci-après dénommée “législation d’harmonisation de l’Union”), pour autant qu’il n’existe pas, dans la législation d’harmonisation de l’Union, de dispositions spécifiques visant le même objectif et régissant plus spécifiquement des aspects particuliers de la surveillance du marché et de l’application effective de la législation. »
11 Aux termes de l’article 3 dudit règlement, intitulé « Définitions » :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
« 1) “mise à disposition sur le marché” : toute fourniture d’un produit destiné à être distribué, consommé ou utilisé sur le marché de l’Union dans le cadre d’une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit ;
2) “mise sur le marché” : la première mise à disposition d’un produit sur le marché de l’Union ;
[...] »
12 L’article 16 du même règlement, intitulé « Mesures de surveillance du marché », dispose, à son paragraphe 3 :
« Les mesures correctives qui peuvent être imposées à l’opérateur économique aux fins du paragraphe 2 sont notamment les suivantes :
[...]
b) empêcher que le produit soit mis à disposition sur le marché ;
[...] »
13 L’annexe I du règlement 2019/1020, intitulée « Liste de la législation d’harmonisation de l’Union », énumère les actes de l’Union qui relèvent de la législation d’harmonisation de l’Union visée à l’article 2 de ce règlement. Parmi ces actes figure, au point 55 de cette annexe, la directive 2014/40.
Le droit autrichien
14 L’article 1er du Tabak- und Nichtraucherinnen- bzw. Nichtraucherschutzgesetz (loi sur le tabac et la protection des non‑fumeurs) (BGBl. I, 431/1995), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. I, 66/2019) (ci-après la « loi sur le tabac »), dispose :
« Aux fins de la présente loi, on entend par :
[...]
2. “mise sur le marché”, le fait de mettre des produits, quel que soit leur lieu de fabrication, à la disposition des consommatrices ou consommateurs de l’Union, à titre onéreux ou non,
[...] »
15 Selon l’article 2, paragraphe 1, point 1, de la loi sur le tabac, la mise sur le marché de « produits du tabac et produits connexes qui ne respectent pas les articles 4 à 10e ou les réglementations édictées » en vertu de cette loi est interdite.
16 L’article 5d de la loi sur le tabac est ainsi libellé :
« (1) L’étiquetage des unités de conditionnement, tout emballage extérieur ainsi que le produit du tabac proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément ou dispositif qui :
[...]
3. évoque un goût, une odeur, tout arôme ou tout autre additif, ou l’absence de ceux-ci,
[...]
(3) Les éléments et dispositifs qui sont interdits en vertu des paragraphes 1 et 2 sont en particulier les messages, symboles, noms, marques commerciales, signes figuratifs ou autres.
[...] »
17 L’article 14 de la loi sur le tabac énonce, à son paragraphe 1 :
« Toute personne qui
1. met sur le marché des produits du tabac ou des produits connexes en violation de l’article 2,
[...]
commet une infraction administrative, à moins que les faits ne soient passibles d’une sanction plus sévère en vertu d’autres dispositions administratives, et doit être condamnée à une amende administrative pouvant atteindre 7500 euros, 15000 euros en cas de récidive.
[...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
18 Par une décision du 30 mai 2022, l’autorité administrative a infligé à MM, le gérant d’une société agissant en qualité de grossiste en tabac, une amende administrative de 1000 euros, susceptible, en cas de non‑recouvrement de celle-ci, d’être convertie en une peine privative de liberté se substituant à une amende, au motif que cette société a livré à un buraliste des cigarettes dans une unité de conditionnement sur laquelle figuraient les mentions « parfaitement arrondies » et « avec slow
curing », lesquelles évoqueraient un goût, en méconnaissance de l’article 14, paragraphe 1, point 1, de la loi sur le tabac, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, point 1, et l’article 5d, paragraphe 1, point 3, de cette loi.
19 MM a introduit un recours contre cette décision devant le Landesverwaltungsgericht Oberösterreich (tribunal administratif régional de Haute-Autriche, Autriche). Celui-ci a, par un jugement du 1er septembre 2022, accueilli ce recours, annulé la décision du 30 mai 2022 et mis fin à la procédure de sanction administrative engagée contre MM.
20 Cette juridiction a considéré que, dans sa décision, l’autorité administrative s’était fondée sur le fait que la livraison du produit du tabac au buraliste avait entraîné sa « mise sur le marché », au sens de l’article 1er, point 2, de la loi sur le tabac. Or, cette disposition reprenant la définition de la notion de « mise sur le marché » figurant à l’article 2, point 40, de la directive 2014/40, ladite juridiction a estimé que cette notion devait être interprétée de manière restrictive, comme
visant le fait de mettre des produits, quel que soit leur lieu de fabrication, à la disposition des consommateurs, à titre onéreux ou non. Cette directive ne définissant pas ce qu’il convient d’entendre par une telle « mise à disposition », la même juridiction a considéré qu’il convenait de se fonder sur la définition de la notion de « détaillant », figurant à l’article 2, point 41, de ladite directive.
21 Il s’ensuivrait qu’un produit devrait être considéré comme étant « mis sur le marché » lorsqu’il est disponible chez les détaillants ou par vente à distance. Relèverait ainsi d’une « mise à disposition » la détention d’un stock de produits du tabac en vue d’une fourniture directe aux consommateurs, c’est-à-dire à la dernière étape précédant la vente aux consommateurs, qui a lieu en général dans un bureau de tabac.
22 Le Landesverwaltungsgericht Oberösterreich (tribunal administratif régional de Haute-Autriche) en a conclu que la société dont MM est le gérant n’avait pas procédé à une « mise sur le marché » du produit du tabac en cause, parce qu’elle l’avait livré à un détaillant qui est une entreprise et non un consommateur.
23 L’autorité administrative a introduit un recours en Revision contre le jugement du 1er septembre 2022 devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), qui est la juridiction de renvoi. Le ministre est ensuite intervenu en lieu et place de l’autorité administrative dans cette procédure.
24 La juridiction de renvoi estime que, afin de statuer sur le litige au principal, il lui faut décider si l’interdiction de mettre sur le marché un produit du tabac, dont l’unité de conditionnement dispose d’un étiquetage méconnaissant les prescriptions relatives à la présentation de ce produit, prévues tant par le droit de l’Union que par le droit national, s’applique dès le stade de la fourniture dudit produit par un grossiste à un détaillant, ou seulement à celui de sa fourniture par ce
détaillant à un consommateur.
25 Cette juridiction relève, à cet égard, que, selon l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, les États membres doivent veiller à ce que les produits du tabac et les produits connexes non conformes à cette directive ne soient pas mis sur le marché. En vertu de l’article 2, point 40, de ladite directive, la notion de « mise sur le marché » désignerait le fait de mettre des produits, quel que soit leur lieu de fabrication, à la disposition des consommateurs de l’Union, à titre onéreux ou
non, y compris par vente à distance. Toutefois, la même directive ne contiendrait pas de définition de la notion de « mise à disposition des produits », laquelle serait pourtant essentielle pour interpréter la notion de « mise sur le marché » précitée.
26 Dans ce contexte, ladite juridiction souligne, premièrement, que la version en langue allemande de l’article 2, point 40, de la directive 2014/40 n’exclut pas une interprétation de la notion de « mise sur le marché » qui inclurait la mise à disposition du produit à un détaillant.
27 Deuxièmement, la Cour aurait jugé, au point 20 de son arrêt du 9 mars 2023, Pro Rauchfrei II (C‑356/22, EU:C:2023:174), que, conformément au sens usuel des termes « mettre à la disposition » employés à cette disposition, un produit du tabac doit être considéré comme ayant fait l’objet d’une « mise sur le marché » lorsque les consommateurs peuvent se le procurer. Tel serait le cas uniquement lorsque ce produit est disponible à la vente, même avant d’avoir été acheté et payé.
28 Toutefois, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, qui concernait l’interprétation d’une autre disposition de cette directive, portait sur l’application de la notion de « mise sur le marché » à une forme spécifique de vente de produits du tabac aux consommateurs chez un détaillant et non, comme dans l’affaire au principal, à la mise à disposition par un grossiste de produits du tabac à un détaillant. La juridiction de renvoi se demande, partant, si l’interprétation retenue par la Cour dans ledit
arrêt doit être comprise en ce sens qu’une « mise sur le marché » de produits du tabac suppose toujours, indépendamment de la disposition concernée de ladite directive, que le produit du tabac soit mis à la disposition d’un consommateur directement, et non à un stade antérieur de la chaîne d’approvisionnement.
29 Troisièmement, cette juridiction relève que, à la différence du législateur autrichien, le législateur allemand a précisé, aux fins de la définition de la notion de « mise sur le marché », que la mise à disposition de produits comprend toute fourniture d’un produit destiné à être distribué, consommé ou utilisé sur le marché de l’Union dans le cadre d’une activité commerciale. Le législateur allemand aurait ainsi retenu la définition de la notion de « mise sur le marché » qui figure désormais à
l’article 3, point 2, du règlement 2019/1020, afin d’assurer une cohérence entre les dispositions de fond et les mesures de surveillance du marché.
30 C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions combinées de l’article 23, paragraphe 2, et de l’article 2, point 40, ainsi que de l’article 13, paragraphe 1, sous c), de la [directive 2014/40] doivent-elles être interprétées en ce sens que l’interdiction de mettre sur le marché un produit du tabac dont l’unité de conditionnement comprend des éléments ou dispositifs qui évoquent un goût, s’applique dès le stade de la fourniture dudit produit du tabac par un grossiste à un détaillant, ou seulement à la vente aux consommateurs
chez un détaillant ? »
Sur la question préjudicielle
31 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. Il lui appartient, à cet égard, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment
de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 1978, Redmond, 83/78, EU:C:1978:214, point 26 ; du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C‑88/99, EU:C:2000:652, point 18, et du 30 avril 2024, M.N. (EncroChat), C‑670/22, EU:C:2024:372, point 78].
32 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, il est constant que la société dont MM est le gérant a livré à un commerce de détail des produits du tabac dont l’étiquetage des unités de conditionnement comprenait un élément ou un dispositif évoquant un goût, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/40. Il ne ressort toutefois pas de cette décision que l’interprétation de cette disposition soit nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de
statuer sur le litige au principal.
33 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa question, cette juridiction demande, en substance, si l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, lu en combinaison avec l’article 2, point 40, de celle‑ci, doit être interprété en ce sens que l’obligation faite aux États membres de veiller à ce que ne soient pas mis sur le marché des produits du tabac dont l’étiquetage de l’unité de conditionnement méconnaît les prescriptions relatives à la présentation de ces produits, est
circonscrite au stade de leur fourniture par un détaillant au consommateur.
34 En vertu de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, les États membres veillent à ce que les produits du tabac et les produits connexes non conformes à cette directive, ainsi qu’aux actes d’exécution et aux actes délégués qui y sont prévus, ne soient pas mis sur le marché. L’article 2, point 40, de ladite directive définit la notion de « mise sur le marché » comme étant le fait de mettre des produits, quel que soit leur lieu de fabrication, à la disposition des consommateurs de
l’Union, à titre onéreux ou non, y compris par vente à distance.
35 Sur la base de cette définition, la Cour a jugé qu’il y a lieu de considérer qu’un produit du tabac a fait l’objet d’une « mise sur le marché » lorsque les consommateurs peuvent se le procurer, c’est-à-dire dès que ce produit est disponible à la vente (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2023, Pro Rauchfrei II, C‑356/22, EU:C:2023:174, point 20).
36 Toutefois, cette interprétation de la notion de « mise sur le marché », fondée sur le sens usuel des termes « mettre [...] à la disposition » figurant à l’article 2, point 40, de la directive 2014/40, ne permet pas, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 46 et 49 de ses conclusions, de déterminer si les États membres sont tenus, afin de respecter l’obligation imposée à l’article 23, paragraphe 2, de cette directive, d’exercer un contrôle au seul stade de la vente par
le détaillant au consommateur ou également à un stade antérieur de la chaîne d’approvisionnement.
37 Par ailleurs, la version en langue allemande de cette disposition, à laquelle se réfère la juridiction de renvoi, qui diffère notamment des versions de ladite disposition en langues française ou anglaise, ne saurait davantage être déterminante. En effet, conformément à une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un
caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques (voir, en ce sens, arrêts du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, EU:C:1969:57, point 3, et du 21 mars 2024, Cobult, C‑76/23, EU:C:2024:253, point 25).
38 Afin de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient dès lors de tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40 et des objectifs poursuivis par la réglementation dont cette disposition fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak, C‑220/17, EU:C:2019:76, point 60).
39 S’agissant, en premier lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, il convient d’observer, premièrement, que cette disposition a une portée transversale dans la mesure où elle vise à ce que les produits du tabac et les produits connexes non conformes à une quelconque des dispositions de cette directive, y compris aux actes d’exécution et aux actes délégués qui y sont prévus, ne soient pas mis sur le marché.
40 Deuxièmement, pour garantir l’effectivité de ladite disposition, l’article 23, paragraphe 3, de ladite directive impose aux États membres de déterminer le régime des sanctions applicable aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la même directive et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de ces sanctions. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 55 de ses conclusions, la mise en place de ce régime de sanctions concerne toutes les
dispositions de la directive 2014/40, quel que soit le stade de la chaîne d’approvisionnement auquel elles s’appliquent, et n’est ainsi pas circonscrite au stade de la fourniture de produits du tabac non conformes par un détaillant aux consommateurs.
41 Dans ces conditions, retenir une interprétation de l’obligation faite aux États membres à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, qui serait limitée à la mise à disposition des produits du tabac aux consommateurs, non seulement serait incohérent avec la possibilité, prévue au paragraphe 3 de cet article 23, de sanctionner tout comportement non conforme aux dispositions de cette directive, quel que soit le stade de la chaîne d’approvisionnement auquel ces dispositions s’appliquent,
mais porterait également atteinte à l’effectivité de l’obligation de contrôle imposée aux États membres et, partant, à ladite directive elle-même.
42 Troisièmement, l’interprétation de cette obligation faite aux États membres, selon laquelle ladite obligation vise les différents stades de la chaîne d’approvisionnement sans se limiter au seul stade de la fourniture de produits du tabac par un détaillant aux consommateurs, est également corroborée par le contexte réglementaire plus large dans lequel s’inscrit la directive 2014/40.
43 À cet égard, il ressort de l’article 2 du règlement 2019/1020 et du point 55 de l’annexe I de ce règlement que ledit règlement s’applique aux produits qui relèvent de la directive 2014/40. Selon l’article 1er du même règlement, l’objectif du règlement 2019/1020 consiste à renforcer la surveillance sur le marché des produits couverts par une législation d’harmonisation de l’Union entrant dans son champ d’application afin de veiller à ce que seuls les produits conformes soient mis sur le marché de
l’Union.
44 Selon l’article 3, point 2, du règlement 2019/1020, la notion de « mise sur le marché » doit s’entendre comme « la première mise à disposition d’un produit sur le marché de l’Union », c’est-à-dire, conformément à l’article 3, point 1, de ce règlement, la première « fourniture d’un produit destiné à être distribué, consommé ou utilisé sur le marché de l’Union dans le cadre d’une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit ».
45 Or une interprétation de l’obligation faite aux États membres à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, qui serait circonscrite à la fourniture par un détaillant de produits du tabac aux consommateurs ne serait pas cohérente avec l’objet du règlement 2019/1020. Il en va d’autant plus ainsi que, ainsi qu’il ressort des considérants 12 et 14 de ce règlement, il convient d’appliquer ledit règlement à tous les opérateurs économiques qui interviennent dans les chaînes d’approvisionnement
et qui sont directement concernés par les législations d’harmonisation de l’Union visée par celui-ci.
46 En outre, le considérant 43 du même règlement énonce que les autorités de surveillance du marché agissent dans l’intérêt des opérateurs économiques, des utilisateurs finals et du public afin que le respect desdites législations soit garanti tout au long de la chaîne d’approvisionnement au moyen de contrôles appropriés. Or, parmi les mesures de surveillance du marché qui peuvent être imposées par ces autorités figure, à l’article 16, paragraphe 3, sous b), du règlement 2019/1020, la possibilité
d’empêcher qu’un produit soit mis à disposition sur le marché.
47 Il ressort ainsi du contexte dans lequel s’inscrit l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40 que l’obligation faite aux États membres visée à cette disposition ne saurait être interprétée comme étant circonscrite au stade de la fourniture de produits du tabac par un détaillant aux consommateurs.
48 En second lieu, l’objectif de protection de la santé et des consommateurs poursuivi par cette directive conforte une telle interprétation.
49 Fondée sur l’article 114 TFUE, ladite directive poursuit, selon son article 1er, un double objectif, qui consiste à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, en prenant pour base un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes (arrêts du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil, C‑358/14, EU:C:2016:323, point 80, ainsi que du 30 janvier 2019, Planta Tabak, C‑220/17, EU:C:2019:76, point 38). La volonté du
législateur de l’Union de garantir un niveau élevé de protection de la santé et des consommateurs est exprimée sans ambiguïté aux considérants 8 et 59 de la directive 2014/40.
50 Si l’obligation de contrôle imposée aux États membres à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40 devait être circonscrite au stade de la fourniture de produits du tabac par un détaillant aux consommateurs, il en résulterait, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 69 de ses conclusions, un risque non négligeable que des produits non conformes à cette directive, et donc préjudiciables pour la santé des consommateurs, puissent être mis à leur disposition.
51 Afin d’atteindre l’objectif de garantir un niveau élevé de protection de la santé et des consommateurs, cette obligation de contrôle suppose l’exercice d’une surveillance aux différents stades de la chaîne d’approvisionnement, en assurant que, pour chaque opération qui conduit à ce que le produit soit in fine mis à la disposition des consommateurs, les États membres veillent au respect des prescriptions de la directive 2014/40.
52 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40, lu en combinaison avec l’article 2, point 40, de celle-ci, doit être interprété en ce sens que l’obligation faite aux États membres de veiller à ce que ne soient pas mis sur le marché des produits du tabac dont l’étiquetage de l’unité de conditionnement méconnaît les prescriptions relatives à la présentation de ces produits, n’est pas circonscrite au
stade de leur fourniture par un détaillant au consommateur.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’article 23, paragraphe 2, de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE, lu en combinaison avec l’article 2, point 40, de la directive 2014/40,
doit être interprété en ce sens que :
l’obligation faite aux États membres de veiller à ce que ne soient pas mis sur le marché des produits du tabac dont l’étiquetage de l’unité de conditionnement méconnaît les prescriptions relatives à la présentation de ces produits, n’est pas circonscrite au stade de leur fourniture par un détaillant au consommateur.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.