ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
26 juin 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Santé publique – Directive 2014/40/UE – Article 7, paragraphe 12 – Article 11, paragraphe 6 – Directive déléguée (UE) 2022/2100 – Validité – Fabrication, présentation et vente des produits du tabac – Délégation de pouvoir à la Commission européenne – Nouveaux produits du tabac – Produits du tabac chauffés – Pouvoir de retirer les exemptions relatives aux interdictions d’arômes et aux obligations d’étiquetage – Évolution notable de la situation »
Dans l’affaire C‑759/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 29 novembre 2023, parvenue à la Cour le 7 décembre 2023, dans la procédure
PJ Carroll & Company Ltd,
Nicoventures Trading Ltd
contre
The Minister for Health,
Ireland,
The Attorney General,
en présence de :
Philip Morris Ltd,
Philip Morris Products SA,
Philip Morris Manufacturing & Technology Bologna SpA,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. M. Gavalec, Z. Csehi et F. Schalin, juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 novembre 2024,
considérant les observations présentées :
– pour PJ Carroll & Company Ltd et Nicoventures Trading Ltd, par Mmes C. Barrett, K. O’Connor, N. Skelton, solicitors, Mes M. Schonberg et L. Van den Hende, advocaten,
– pour The Minister for Health, l’Ireland et The Attorney General, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, Mmes A. Burke, M. A. Joyce, S. Sheehy, en qualité d’agents, assistées de Mme E. Barrington, SC, et M. L. Mooney, BL,
– pour Philip Morris Ltd, Philip Morris Products SA et Philip Morris Manufacturing & Technology Bologna SpA, par M. N. Buckley, BL, M. M. Byrne, Mmes H. Kelly, R. McKittrick, R. Walsh, solicitors, M. E. McCullough, SC, et Me H. Saugmandsgaard Øe, advokat,
– pour le gouvernement français, par MM. B. Fodda, M. de Lisi et Mme B. Travard, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par MM. S. Fiorentino et F. Meloncelli, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes E. Schmidt et F. van Schaik, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 janvier 2025,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de la directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission, du 29 juin 2022, modifiant la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le retrait de certaines exemptions pour les produits du tabac chauffés (JO 2022, L 283, p. 4).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant PJ Carroll & Company Ltd et Nicoventures Trading Ltd à The Minister of Health (ministre de la Santé, Irlande), à l’Ireland (Irlande) et à The Attorney General (procureur général, Irlande), au sujet de la validité des European Union (Manufacture, Presentation and Sale of Tobacco and Related Products) (Amendment) Regulations 2023 [règles de l’Union européenne de 2023 (Fabrication, présentation et vente des produits du tabac et des
produits connexes) (Modifications)] (ci-après le « règlement de 2023 »), qui transposent dans le droit irlandais la directive déléguée 2022/2100.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2014/40/UE
3 Les considérants 19, 26 et 34 de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1), énoncent :
« (19) Dans la mesure où la présente directive met l’accent sur les jeunes, les produits du tabac autres que les cigarettes et le tabac à rouler devraient faire l’objet d’une dérogation à certaines prescriptions relatives aux ingrédients tant qu’aucune évolution notable de la situation n’est constatée du point de vue du volume des ventes ou des habitudes de consommation des jeunes.
[...]
(26) Les produits du tabac à fumer autres que les cigarettes et le tabac à rouler, dont la consommation est principalement le fait de consommateurs plus âgés et de groupes de population réduits, devraient continuer à bénéficier d’une dérogation à certaines obligations en matière d’étiquetage tant qu’aucune évolution notable de la situation n’est constatée s’agissant des volumes de vente ou des habitudes de consommation des jeunes. L’étiquetage de ces autres produits du tabac devrait être soumis à
des règles spécifiques à ceux-ci. Il convient de garantir la visibilité des avertissements sanitaires figurant sur les produits du tabac sans combustion. Ces avertissements devraient par conséquent être placés sur les deux surfaces principales du conditionnement des produits du tabac sans combustion. En ce qui concerne le tabac à pipe à eau, qui est souvent considéré comme moins nocif que le tabac à fumer traditionnel, il convient de recourir au régime d’étiquetage complet afin d’éviter
d’induire les consommateurs en erreur.
[...]
(34) Tous les produits du tabac sont des sources potentielles de mortalité, de morbidité et d’incapacité. En conséquence, il convient d’en réglementer la fabrication, la distribution et la consommation. Il est donc important de surveiller l’évolution des nouveaux produits du tabac. Les fabricants et les importateurs devraient être tenus de soumettre une notification concernant les nouveaux produits du tabac, sans préjudice de la capacité des États membre[s] de les interdire ou de les autoriser. »
4 Aux termes de l’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions » :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
4) “produits du tabac”, des produits pouvant être consommés et composés, même partiellement, de tabac, qu’il soit ou non génétiquement modifié ;
[...]
14) “nouveau produit du tabac”, un produit du tabac qui :
a) ne relève d’aucune des catégories suivantes : cigarette, tabac à rouler, tabac à pipe, tabac à pipe à eau, cigare, cigarillo, tabac à mâcher, tabac à priser ou tabac à usage oral ; et
b) est mis sur le marché après le 19 mai 2014 ;
[...]
28) “évolution notable de la situation”, une augmentation du volume des ventes par catégorie de produits atteignant 10 % ou plus dans au moins cinq États membres, sur la base des données relatives aux ventes communiquées conformément à l’article 5, paragraphe 6, ou une augmentation d’au moins cinq points de pourcentage, dans au moins cinq États membres, du niveau de prévalence d’utilisation dans le groupe des consommateurs de moins de 25 ans pour la catégorie de produits concernée, sur la base du
rapport spécial 385 Eurobaromètre de mai 2012 ou d’études de prévalence équivalentes ; en tout état de cause, aucune évolution notable de la situation n’est réputée s’être produite si le volume des ventes de la catégorie de produits au niveau du commerce de détail ne dépasse pas 2,5 % des ventes totales de produits du tabac au niveau de l’Union ;
[...] »
5 L’article 5 de ladite directive, intitulé « Déclarations des ingrédients et des émissions », dispose, à ses paragraphes 5 et 6 :
« 5. La Commission [européenne] définit et met à jour si nécessaire, au moyen d’actes d’exécution, le modèle applicable à la transmission et à [la] mise à disposition des informations visées aux paragraphes 1 et 6 du présent article et à l’article 6. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 25, paragraphe 2.
6. [...] Les États membres font également obligation aux fabricants et aux importateurs de déclarer annuellement le volume de leurs ventes par marque et par type, exprimé en nombre de cigarettes/cigares/cigarillos ou en kilogrammes, et par État membre, en commençant à partir du 1er janvier 2015. Les États membres fournissent toute autre donnée dont ils disposent en ce qui concerne le volume des ventes. »
6 Avant sa modification par la directive déléguée 2022/2100, l’article 7 de la même directive, intitulé « Règlementation relative aux ingrédients », était ainsi libellé :
« 1. Les États membres interdisent la mise sur le marché de produits du tabac contenant un arôme caractérisant.
[...]
7. Les États membres interdisent la mise sur le marché de produits du tabac contenant des arômes dans l’un de leurs composants tels que les filtres, le papier, le conditionnement et les capsules, ou tout dispositif technique permettant de modifier l’odeur ou le goût des produits du tabac concernés ou leur intensité de combustion. Les filtres, le papier et les capsules ne doivent pas contenir de tabac ni de nicotine.
[...]
12. Les produits du tabac autres que les cigarettes et le tabac à rouler sont exemptés des interdictions visées aux paragraphes 1 et 7. La Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 27 pour retirer cette exemption pour une catégorie particulière de produits en cas d’évolution notable de la situation établie par un rapport de la Commission.
[...] »
7 L’article 9 de la directive 2014/40 porte sur l’avertissement général et le message d’information qui doivent figurer sur les unités de conditionnement et les emballages extérieurs des produits du tabac à fumer. L’article 10 de cette directive précise quant à lui les obligations relatives aux avertissements sanitaires qui doivent être mentionnés sur chaque unité de conditionnement ou tout emballage extérieurs de ces produits.
8 Avant sa modification par la directive déléguée 2022/2100, l’article 11 de la directive 2014/40, qui était alors intitulé « Étiquetage des produits du tabac à fumer autres que les cigarettes, le tabac à rouler et le tabac à pipe à eau », disposait :
« 1. Les États membres peuvent exempter les produits du tabac à fumer autres que les cigarettes, le tabac à rouler et le tabac à pipe à eau des obligations d’affichage du message d’information visé à l’article 9, paragraphe 2, et des avertissements sanitaires combinés visés à l’article 10. [...]
[...]
6. La Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 27 pour retirer la possibilité d’accorder des exemptions pour une des catégories particulières de produits visés au paragraphe 1 en cas d’évolution notable de la situation établie par un rapport de la Commission pour la catégorie de produits concernée. »
9 Aux termes de l’article 19 de la directive 2014/40, intitulé « Notification des nouveaux produits du tabac » :
« 1. Les États membres font obligation aux fabricants et aux importateurs de nouveaux produits du tabac de soumettre une notification aux autorités compétentes des États membres concernant tout nouveau produit du tabac qu’ils ont l’intention de mettre sur le[s] marché[s] nationaux concernés. Cette notification e[s]t soumise sous forme électronique six mois avant la date prévue de mise sur le marché. Elle est assortie d’une description détaillée du nouveau produit du tabac concerné ainsi que des
instructions de son utilisation et des informations relatives aux ingrédients et aux émissions requises conformément à l’article 5. Les fabricants et les importateurs qui soumettent une notification concernant un nouveau produit du tabac communiquent également aux autorités compétentes :
[...]
2. Les États membres font obligation aux fabricants et aux importateurs de nouveaux produits du tabac de transmettre à leurs autorités compétentes toute information nouvelle ou actualisée sur les études, recherches et autres informations visées au paragraphe 1, points a) à c). Les États membres peuvent exiger des fabricants ou des importateurs de nouveaux produits du tabac qu’ils procèdent à des essais supplémentaires ou qu’ils présentent des informations complémentaires. Les États membres
mettent à la disposition de la Commission toute information reçue en application du présent article.
3. Les États membres peuvent instaurer un système d’autorisation de nouveaux produits du tabac. Les États membres peuvent percevoir des redevances proportionnelles auprès des fabricants et des importateurs en contrepartie de cette autorisation.
4. Les nouveaux produits du tabac mis sur le marché doivent être conformes aux exigences fixées par la présente directive. L’applicabilité des dispositions de la présente directive aux nouveaux produits du tabac dépend de la définition dont relèvent ces produits : celle des produits du tabac sans combustion ou celle du tabac à fumer. »
10 L’article 28 de ladite directive, intitulé « Rapport », est ainsi libellé :
« 1. Cinq ans au plus tard après le 20 mai 2016, et chaque fois que cela est nécessaire par la suite, la Commission soumet au Parlement européen, au Conseil [de l’Union européenne], au Comité économique et social européen et au Comité des régions un rapport sur l’application de la présente directive.
[...]
2. Dans ce rapport, la Commission indique, notamment, les éléments de la directive qui devraient être revus ou adaptés à la lumière des avancées scientifiques et techniques, y compris l’élaboration de règles et de normes sur les produits du tabac et des produits connexes, acceptées au niveau international. La Commission attache une attention particulière à :
[...]
b) l’évolution du marché des nouveaux produits du tabac, compte tenu, entre autres, des notifications reçues au titre de l’article 19 ;
c) l’évolution du marché qui constitue une évolution notable de la situation ;
[...]
Les États membres assistent la Commission et fournissent toutes les informations disponibles pour procéder à l’évaluation et préparer le rapport.
3. Le rapport est suivi par toutes les propositions de modification de la présente directive que la Commission juge nécessaires, en vue de son adaptation, dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour le bon fonctionnement du marché intérieur, aux évolutions intervenues dans le domaine des produits du tabac et des produits connexes et compte tenu de toute nouvelle avancée basée sur des faits scientifiques et de l’évolution des normes convenues au niveau international pour les produits du tabac
et les produits connexes. »
La directive déléguée 2022/2100
11 Aux termes de l’article 1er de la directive déléguée 2022/2100 :
« La directive [2014/40] est modifiée comme suit :
1) À l’article 7, le paragraphe 12 est remplacé par le texte suivant :
“12. Les produits du tabac autres que les cigarettes, le tabac à rouler et les produits du tabac chauffés sont exemptés des interdictions visées aux paragraphes 1 et 7. La Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 27 pour retirer cette exemption pour une catégorie particulière de produits en cas d’évolution notable de la situation établie par un rapport de la Commission.
Aux fins du premier alinéa, on entend par ‘produit du tabac chauffé’ un nouveau produit du tabac qui est chauffé pour produire une émission contenant de la nicotine et d’autres produits chimiques, qui est ensuite inhalé par les utilisateurs, et qui, selon ses caractéristiques, est un produit du tabac sans combustion ou un produit du tabac à fumer.”
2) L’article 11 est modifié comme suit :
a) le titre est remplacé par le texte suivant :
“Article 11
‘Étiquetage des produits du tabac à fumer autres que les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac à pipe à eau et les produits du tabac chauffés”’ ;
b) au paragraphe 1, le premier alinéa est remplacé par le texte suivant :
“Les États membres peuvent exempter les produits du tabac à fumer autres que les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac à pipe à eau et les produits du tabac chauffés au sens de l’article 7, paragraphe 12, deuxième alinéa, des obligations d’affichage du message d’information visé à l’article 9, paragraphe 2, et des avertissements sanitaires combinés visés à l’article 10. Dans ce cas, et outre l’avertissement général prévu à l’article 9, paragraphe 1, chaque unité de conditionnement ainsi
que tout emballage extérieur de ces produits portent l’un des messages d’avertissement figurant à l’annexe I. L’avertissement général précisé à l’article 9, paragraphe 1, fait référence aux services d’aide au sevrage tabagique visés à l’article 10, paragraphe 1, point b).” »
La décision d’exécution (UE) 2015/2186
12 L’article 2, paragraphe 1, de la décision d’exécution (UE) 2015/2186 de la Commission, du 25 novembre 2015, établissant un modèle pour la transmission et la mise à disposition d’informations relatives aux produits du tabac (JO 2015, L 312, p. 5), dispose :
« Les États membres font en sorte que les fabricants et les importateurs de produits du tabac transmettent des informations relatives aux ingrédients, aux émissions et au volume des ventes visées à l’article 5 de la directive [2014/40], y compris les modifications et les retraits du marché, conformément au modèle fourni en annexe. »
Le droit irlandais
13 Le règlement de 2023 transpose la directive déléguée 2022/2100 dans le droit irlandais. L’avis relatif à l’adoption de ce règlement a été publié dans l’Iris Oifigiúil (Journal officiel irlandais) du 30 juin 2023. Ledit règlement est entré en vigueur le 23 octobre 2023.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 PJ Carroll & Company et Nicoventures Trading (ci-après, ensemble, « PJ Carroll »), ainsi que Philip Morris, Philip Morris Products et Philip Morris Manufacturing & Technology Bologna (ci-après, ensemble, « Philip Morris ») commercialisent ou prévoient de commercialiser, dans toute l’Union européenne, des produits du tabac chauffés qui contiennent des « arômes caractérisants » ou des arômes dans leurs composants.
15 PJ Carroll estime que la Commission n’était pas habilitée à adopter la directive déléguée 2022/2100. Elle considère dès lors que celle-ci est invalide et que, par voie de conséquence, le règlement de 2023, qui la transpose dans le droit irlandais, est illégal.
16 Le 11 janvier 2023, la High Court (Haute Cour, Irlande), qui est la juridiction de renvoi, a autorisé PJ Carroll à engager une procédure de révision judiciaire (judicial review) visant, notamment, à obtenir une déclaration selon laquelle le règlement de 2023 est invalide. Cette juridiction observe qu’elle n’est pas compétente pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union et qu’il est dès lors nécessaire d’interroger au préalable la Cour. En effet, ladite juridiction estime que PJ Carroll a
invoqué des arguments tendant à démontrer que, en adoptant la directive déléguée 2022/2100, la Commission a exercé de manière illicite les compétences du législateur de l’Union, en violation de l’article 290 TFUE. Par ailleurs, cette institution n’aurait pas valablement évalué l’existence d’une « évolution notable de la situation », au sens de l’article 2, point 28, de la directive 2014/40.
17 S’agissant de la validité de la directive déléguée 2022/2100, la juridiction de renvoi relève, en substance, que, en définissant, dans cette directive déléguée, une nouvelle catégorie de produits du tabac, à savoir les produits du tabac chauffés, et en décidant qu’il convenait de retirer, pour cette nouvelle catégorie de produits, le bénéfice des exemptions prévues à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40, la Commission a fait de manière illicite un
choix politique. Selon cette juridiction, interdire, sur la base du volume des ventes, une catégorie de produits du tabac qui n’existait pas à la date d’adoption de cette directive et qui n’a pas fait l’objet d’évaluations politique et sanitaire spécifiques par le législateur de l’Union relève de la seule compétence de ce législateur et non de la Commission.
18 Il ressortirait de l’économie de la directive 2014/40 que le législateur de l’Union régulerait la mise sur le marché des nouveaux produits du tabac à la lumière des progrès scientifiques et techniques réalisés. L’interdiction totale de tels produits relèverait de la législation de base suivant les choix politiques opérés par ce législateur quant à la meilleure façon de réglementer ces nouveaux produits. Il en serait ainsi, en particulier, lorsque lesdits nouveaux produits ne peuvent pas être
facilement classés en produits du tabac sans combustion ou en produits du tabac à fumer et peuvent avoir une teneur en tabac différente des produits existants.
19 Il serait donc possible de soutenir que la définition d’une nouvelle catégorie de produits, qui relèvent à la fois des produits du tabac sans combustion et des produits du tabac à fumer, afin d’interdire immédiatement une version aromatisée de ces nouveaux produits, porte atteinte à l’article 290, paragraphe 1, second alinéa, TFUE. En effet, en adoptant une telle définition, la Commission aurait légiféré sur un « élément essentiel » de la directive 2014/40 dès lors que la portée, le contenu et
l’objectif sous-tendant une telle définition n’ont pas été explicitement définis dans cette directive. Pour que la directive déléguée 2022/2100 fût valide, la Commission aurait dû détenir le pouvoir délégué lui permettant de retirer les exemptions prévues à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40 pour tous les nouveaux produits du tabac aromatisés qui remplissent les conditions de volume des ventes prévues à l’article 2, point 28, de cette directive,
indépendamment de leur teneur en tabac ou de leur impact sur la santé par rapport aux produits existants.
20 S’agissant de la détermination de l’« évolution notable de la situation », au sens de l’article 2, point 28, de la directive 2014/40, la juridiction de renvoi considère que, dans son analyse quantitative du volume des ventes, la Commission a comparé des éléments qui n’étaient pas comparables lorsqu’elle a examiné si le niveau de pénétration des produits du tabac chauffés sur le marché était de nature à justifier l’interdiction de tels produits aromatisés.
21 Selon cette juridiction, l’un des principaux objectifs de la directive 2014/40 serait la protection de la santé eu égard aux effets nocifs du tabac. Partant, la teneur en tabac des produits du tabac serait une préoccupation majeure qui sous-tendrait les mesures réglementaires prévues dans cette directive. Une approche qui aurait été axée sur la teneur globale en tabac des produits et qui aurait consisté à évaluer le volume des ventes sur cette base aurait ainsi été plus conforme à cet objectif.
Or la Commission n’aurait pas essayé, dans l’élaboration de sa méthodologie, d’harmoniser les critères de mesure de la teneur en tabac des produits du tabac chauffés et des cigarettes ainsi que des autres produits du tabac. Une telle harmonisation aurait pourtant été nécessaire afin de garantir que la comparaison requise porte sur des éléments comparables.
22 C’est dans ces conditions que la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
«1) La directive déléguée 2022/2100 est-elle dépourvue de validité au motif qu’elle outrepasse les pouvoirs conférés à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive [2014/40], lus à la lumière de l’article 290 TFUE et en considération de l’article 2, point 14, et des articles 19 et 28 de [cette directive] ?
2) La directive déléguée 2022/2100 est-elle dépourvue de validité au motif que la Commission n’était pas habilitée à conclure à l’existence d’une évolution notable de la situation, au sens de l’article 7, paragraphe 12, et/ou de l’article 11, paragraphe 6, et/ou de l’article 2, point 28, de la directive [2014/40] ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si la directive déléguée 2022/2100 est invalide au motif que la Commission aurait outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40, lus à la lumière de l’article 290 TFUE ainsi que de l’article 2, point 14, et des articles 19 et 28 de cette directive.
24 L’article 7, paragraphe 12, et l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40 habilitent la Commission à adopter des actes délégués, en cas d’évolution notable de la situation, afin de retirer les exemptions dont bénéficient certains produits du tabac visés à ces dispositions. Ces exemptions concernent, d’une part, l’interdiction d’utilisation des arômes caractérisants dans ces produits et l’interdiction des arômes dans leurs composants ainsi que, d’autre part, l’obligation d’apposer un
message d’information et des avertissements sanitaires combinés sur les unités de conditionnement ou les emballages extérieurs desdits produits.
25 PJ Carroll et Philip Morris soutiennent, en substance, que cette délégation de pouvoir se limite aux « catégories particulières de produits » spécifiées par cette directive. Ladite délégation de pouvoir ne concernerait donc pas les « nouveaux produits du tabac », au sens de l’article 2, point 14, de ladite directive. Il s’ensuivrait que, en créant et en définissant une nouvelle catégorie de produits par l’adoption de la directive déléguée 2022/2100, la Commission aurait outrepassé les pouvoirs
qui lui ont été délégués à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40.
26 À cet égard, il importe de rappeler qu’il ressort de l’article 290, paragraphe 1, TFUE qu’un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de cet acte législatif. Conformément au second alinéa de cette disposition, les objectifs, le contenu, la portée ainsi que la durée de la délégation de pouvoir doivent être explicitement délimités par l’acte législatif conférant une
telle délégation. Selon une jurisprudence constante, cette exigence implique que l’attribution d’un pouvoir délégué vise l’adoption de règles qui s’insèrent dans le cadre réglementaire tel que défini par l’acte législatif de base (voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil, C‑427/12, EU:C:2014:170, point 38 ; du 17 mars 2016, Parlement/Commission, C‑286/14, EU:C:2016:183, point 30, ainsi que du 26 juillet 2017, République tchèque/Commission, C‑696/15 P,
EU:C:2017:595, point 49).
27 Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que les éléments essentiels d’un acte législatif de base sont ceux dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union, en ce qu’elle implique une pondération des intérêts divergents en cause sur la base d’appréciations multiples, ou si elle permet des ingérences dans des droits fondamentaux des personnes concernées d’une importance telle qu’est rendue nécessaire
l’intervention du législateur de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil, C‑355/10, EU:C:2012:516, points 65, 76 et 77, ainsi que du 26 juillet 2017, République tchèque/Commission, C‑696/15 P, EU:C:2017:595, point 78).
28 S’agissant de la directive 2014/40, le cadre réglementaire dans lequel doivent s’insérer les pouvoirs délégués à la Commission à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40 se fonde sur les choix politiques que le législateur de l’Union a exprimés à l’article 7, paragraphes 1 et 7, aux articles 9 et 10 de cette directive ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 4, de celle-ci.
29 Avec ces dispositions, le législateur de l’Union a, premièrement, choisi d’établir un régime général d’utilisation des arômes et d’obligations d’étiquetage en interdisant l’utilisation des arômes caractérisants dans les produits du tabac ainsi que l’usage des arômes dans leurs composants et en imposant l’apposition d’un message d’information et des avertissements sanitaires combinés sur les unités de conditionnement ou les emballages extérieurs des produits du tabac à fumer.
30 Ce législateur a, deuxièmement, estimé que certains produits du tabac, dont la consommation est principalement le fait de consommateurs plus âgés et de groupe de population réduits, sont exemptés de ce régime général. Toutefois, ledit législateur a décidé que ces exemptions devaient être retirées, par la Commission, dans l’hypothèse où une « évolution notable de la situation », telle que définie à l’article 2, point 28, de la directive 2014/40, lu à la lumière des considérants 19 et 26 de
celle-ci, devrait être constatée au niveau du volume des ventes de l’un des produits du tabac concernés ou des habitudes de consommations des jeunes à l’égard de ce produit.
31 Le législateur de l’Union a, troisièmement, fait le choix de soumettre les « nouveaux produits du tabac » aux exigences fixées par la directive 2014/40, les conditions pour reconnaître un « nouveau produit du tabac » étant énoncées à l’article 2, point 14, de cette directive.
32 Or, il doit être constaté que, en adoptant la directive déléguée 2022/2100 afin de retirer, pour les nouveaux produits du tabac que constituent les produits du tabac chauffés, le bénéfice des exemptions prévues à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40, la Commission a agi dans le respect du cadre réglementaire résumé aux points 28 à 31 du présent arrêt et n’a procédé à aucun choix politique relevant des responsabilités propres du législateur de
l’Union.
33 En effet, premièrement, la constatation de l’existence de ces produits et celle de l’évolution de leur consommation se fonde sur les critères objectifs énoncés à l’article 2, points 14 et 28, de la directive 2014/40.
34 Deuxièmement, sur la base de ces constatations, la Commission a appliqué auxdits produits les dispositions de cette directive qui concrétisent juridiquement les choix politiques opérés par le législateur de l’Union, à savoir, d’une part, celui d’interdire l’utilisation des arômes caractérisants dans les produits du tabac et des arômes dans leurs composants, et, d’autre part, celui d’imposer l’apposition d’un message d’information et des avertissements sanitaires combinés sur les unités de
conditionnement ou les emballages extérieurs.
35 Aucun argument invoqué devant la Cour n’est susceptible de remettre en cause la validité de la directive déléguée 2022/2100.
36 Certes, la Commission a inséré la définition des produits du tabac chauffés en dehors de la liste des définitions établie à l’article 2 de la directive 2014/40. Toutefois, l’article 7, paragraphe 12, et l’article 11, paragraphe 6, de cette directive ne renvoient pas aux catégories de produits figurant à l’article 2, point 14, de ladite directive en ce qui concerne le retrait du bénéfice de ces exemptions. De surcroît, la Commission n’avait d’autre choix que de définir le « nouveau produit du
tabac » faisant l’objet de la directive déléguée 2022/2100, dans la mesure où la catégorie des « nouveaux produits du tabac » est nécessairement ouverte et appelée à être précisée en fonction de l’apparition et du développement de ces nouveaux produits sur le marché.
37 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a expliqué aux points 87 et 91 de ses conclusions, l’exercice du pouvoir délégué de la Commission à l’égard des « nouveaux produits du tabac » permet de répondre au double objectif poursuivi par la directive 2014/40, qui consiste à faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur des produits du tabac et des produits connexes, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé humaine, particulièrement pour les jeunes (voir, en ce sens, arrêts
du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, points 143 et 220, ainsi que du 22 novembre 2018, Swedish Match, C‑151/17, EU:C:2018:938, point 67).
38 À cet égard, PJ Carroll ne peut être suivie dans son argumentation lorsqu’elle invoque, au soutien de l’invalidité de la directive déléguée 2022/2100, l’article 168, paragraphe 5, TFUE, en vertu duquel le législateur de l’Union serait empêché d’harmoniser la politique de la santé en matière de tabac et dont il résulterait que la compétence d’autoriser la vente de certains nouveaux produits du tabac, en particulier ceux qui présenteraient des risques réduits pour la santé par rapport à d’autres
produits du tabac, serait réservée aux États membres.
39 Il est exact que, si, aux termes de cette disposition, le législateur de l’Union peut adopter, notamment, des mesures ayant directement pour objectif la protection de la santé publique en ce qui concerne le tabac, c’est, toutefois, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.
40 Cela étant, il y a lieu de relever que la directive 2014/40 n’est pas fondée pas sur ladite disposition, mais sur l’article 114 TFUE, lequel permet le rapprochement des dispositions qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Or il ressort d’une jurisprudence constante que, lorsque les conditions du recours à cet article comme base juridique sont satisfaites, le législateur de l’Union ne saurait être empêché de se fonder sur cette base juridique du fait que la
protection de la santé publique est déterminante dans les choix à faire [arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 62 ; du 12 décembre 2006, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 39, ainsi que du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 60].
41 Il convient, en outre, de souligner que l’article 168, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE prévoit qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union et que l’article 114, paragraphe 3, TFUE exige de façon expresse que, dans l’harmonisation réalisée, un niveau élevé de protection de la santé des personnes soit garanti [arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial
Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 62 ; du 12 décembre 2006, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑380/03, EU:C:2006:772, point 40, ainsi que du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 61].
42 Il ne saurait en aller différemment pour la directive déléguée 2022/2100 dès lors que cette directive déléguée a été adoptée par la Commission sur la base d’une délégation de pouvoir du législateur de l’Union, prévue à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40, conformément à l’article 290 TFUE.
43 Il résulte donc de l’interdépendance des deux objectifs poursuivis par la directive 2014/40 que la Commission a pu légitimement exercer son pouvoir délégué afin que les « produits du tabac chauffés » soient soumis au régime général d’utilisation des arômes ainsi que des obligations d’étiquetage imposé par la directive 2014/40 (voir, par analogie, arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 222).
44 En outre, en ayant soumis dans la directive déléguée 2022/2100 les produits du tabac chauffés à l’interdiction des arômes et aux obligations d’étiquetage imposées par la directive 2014/40, la Commission n’obvie en aucun cas la compétence des États membres, telle qu’elle est définie à l’article 19, paragraphes 1 à 3, de la directive 2014/40, à l’égard des « nouveaux produits du tabac ». Ces États restent, en particulier, libres de soumettre ces produits à un système d’autorisation préalable.
45 Enfin, en ce qui concerne l’obligation de présentation d’un rapport d’évaluation établie à l’article 28 de la directive 2014/40, il est exact que la Commission doit, aux termes de l’article 28, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de cette directive, attacher une attention particulière, notamment, à l’évolution du marché des nouveaux produits du tabac et à celle qui constitue une évolution notable de la situation.
46 Toutefois, cette disposition ne contredit pas l’article 19, paragraphe 4, de ladite directive, qui dispose que les nouveaux produits du tabac mis sur le marché doivent, d’ores et déjà, et donc indépendamment de toute proposition de la Commission qui ferait suite à un rapport d’évaluation, être conformes aux exigences fixées par la même directive. Dans ces circonstances, l’article 28 de la directive 2014/40 ne saurait être interprété comme étant une règle qui limite l’exercice du pouvoir délégué à
la Commission à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de cette directive.
47 Il résulte de l’ensemble des motifs qui précèdent que l’examen de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive déléguée 2022/2100.
Sur la seconde question
48 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive déléguée 2022/2100 est invalide au motif que la Commission aurait dû se fonder sur la teneur globale en tabac des produits du tabac chauffés pour conclure à l’existence d’une « évolution notable de la situation », au sens de l’article 7, paragraphe 12, et de l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40, lus en combinaison avec l’article 2, point 28, de cette directive, plutôt que sur le nombre d’unités
vendues.
49 L’existence d’une « évolution notable de la situation » est une exigence du déclenchement du pouvoir délégué de la Commission qui est imposée tant à l’article 7, paragraphe 12, qu’à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40.
50 Cette notion est définie à l’article 2, point 28, de cette directive par référence aux volumes des ventes de la catégorie de produits du tabac concernée. Cette disposition ne mentionne aucunement le poids du tabac ou, plus généralement, la quantité de tabac présente dans une catégorie de produits donnée. En revanche, ladite disposition renvoie aux données relatives aux ventes communiquées conformément à l’article 5, paragraphe 6, de ladite directive. Or il ressort du libellé de cette dernière
disposition que les États membres doivent obliger les fabricants et les importateurs à déclarer annuellement le volume de leurs ventes par marque et par type, exprimé en nombre de cigarettes, de cigares, de cigarillos ou en kilogrammes.
51 À cet égard, comme M. l’avocat général l’a expliqué au point 111 de ses conclusions, la décision d’exécution 2015/2186, qui précise les caractéristiques des informations qui doivent être transmises par les États membres, fait également référence au volume des ventes de produits du tabac par unité ou en poids dans le modèle obligatoire auquel cette décision d’exécution renvoie à son article 2.
52 Dans ces conditions, rien n’empêche la Commission d’apprécier l’existence d’une « évolution notable de la situation » d’une catégorie de produits du tabac spécifique en calculant le volume des ventes de cette catégorie sur la base soit du nombre d’unités du produit concerné vendues, soit de la quantité de tabac présente dans celui-ci en poids.
53 En tout état de cause, mesurer l’« évolution notable de la situation » en ayant égard au volume des ventes calculé par unité de produit est conforme à l’objectif spécifique qui sous-tend les exemptions prévues à l’article 7, paragraphe 12, et à l’article 11, paragraphe 6, de la directive 2014/40, tout en assurant un niveau élevé de protection de la santé humaine.
54 En effet, d’une part, il ressort des considérants 19 et 26 de cette directive que, dans la mesure où celle-ci met l’accent sur les jeunes, ces exemptions ne devraient plus s’appliquer si une évolution notable de la situation devait être constatée du point de vue des ventes ou des habitudes de consommation de cette catégorie de la population. D’autre part, il découle d’une lecture combinée du considérant 34 de ladite directive et de la définition des « produits du tabac » donnée à l’article 2,
point 4, de la même directive que, aux yeux du législateur de l’Union, tout produit composé de tabac, même partiellement, est une source potentielle de mortalité, de morbidité et d’incapacité.
55 Dans une telle perspective, il ne saurait être considéré que se référer au poids du tabac contenu dans un produit pour évaluer l’évolution des habitudes de consommation des jeunes est la seule méthodologie admissible. Il s’ensuit que la Commission ne devait pas nécessairement se fonder sur la teneur globale en tabac des produits du tabac chauffés pour conclure à l’existence d’une « évolution notable de la situation », au sens de l’article 7, paragraphe 12, et de l’article 11, paragraphe 6, de la
directive 2014/40.
56 Il résulte de l’ensemble des motifs qui précèdent que l’examen de la seconde question n’a relevé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive déléguée 2022/2100.
Sur les dépens
57 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’examen des questions préjudicielles posées par la High Court (Haute Cour, Irlande) n’a relevé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission, du 29 juin 2022, modifiant la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le retrait de certaines exemptions pour les produits du tabac chauffés.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.