ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
21 novembre 2012 ( *1 )
«Pêche — Mesures de conservation des ressources halieutiques — Article 105 du règlement (CE) no 1224/2009 — Déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison de dépassements des quotas attribués pour les années précédentes — Application dans le temps — Sécurité juridique — Interprétation garantissant le respect du droit primaire — Principe de légalité des peines — Non-rétroactivité»
Dans l’affaire T‑76/11,
Royaume d’Espagne, représenté par Me N. Díaz Abad, abogado del Estado,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. F. Jimeno Fernández et D. Nardi, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (UE) no 1004/2010 de la Commission, du 8 novembre 2010, procédant à des déductions sur certains quotas de pêche pour 2010 en raison de la surpêche pratiquée au cours de l’année précédente (JO L 291, p. 31),
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias, juges,
greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2012,
rend le présent
Arrêt
1 Par le présent recours, le Royaume d’Espagne demande l’annulation du règlement (UE) no 1004/2010 de la Commission, du 8 novembre 2010, procédant à des déductions sur certains quotas de pêche pour 2010 en raison de la surpêche pratiquée au cours de l’année précédente (JO L 291, p. 31, ci-après le «règlement attaqué»).
Cadre juridique
2 L’article 23 du règlement (CEE) no 2847/93 du Conseil, du 12 octobre 1993, instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO L 261, p. 1), s’énonce comme suit :
«1. Lorsque la Commission a constaté qu’un État membre a dépassé son quota, son allocation ou sa part pour un stock ou un groupe de stocks, [elle] procède à des déductions imputées sur le quota, l’allocation ou la part annuels dont dispose l’État membre qui a dépassé son quota. Ces déductions sont arrêtées conformément à la procédure prévue à l’article 36.
2. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, adopte des règles de déduction conformément aux objets et aux stratégies de gestion exposés à l’article 8 du règlement (CEE) no 3760/92 et tient compte en priorité des paramètres suivants :
— l’importance du dépassement,
— les éventuels dépassements pour le même stock au cours de l’année précédente,
— l’état biologique des ressources concernées.»
3 L’article 5 du règlement (CE) no 847/96 du Conseil, du 6 mai 1996, établissant des conditions additionnelles pour la gestion interannuelle des totaux admissibles des captures et quotas (JO L 115, p. 3), dispose :
«1. Sauf pour les stocks visés au paragraphe 2, tout le poisson débarqué en sus des débarquements autorisés respectifs est déduit des quotas attribués l’année suivante pour le même stock.
2. Pour les stocks visés à l’article 2, troisième tiret, tout dépassement par rapport aux débarquements autorisés entraîne une réduction du quota correspondant de l’année suivante, selon le barème ci-après.
Ampleur du dépassement par rapport aux débarquements autorisés Déduction
Les premiers 10 % Dépassement x 1,00
Les 10 % suivants jusqu’à un total de 20 % Dépassement x 1,10
Les 20 % suivants jusqu’à un total de 40 % Dépassement x 1,20
Tout dépassement supérieur à 40 % Dépassement x 1,40
Toutefois, une déduction égale [au dépassement] x 1,00 s’applique dans tous les cas de dépassement par rapport aux débarquements autorisés égaux ou inférieurs à 100 tonnes.
Une déduction supplémentaire de 3 % de la quantité pêchée en sus des débarquements autorisés est également opérée pour chaque année successive de dépassement des débarquements autorisés de plus de 10 %.»
4 L’article 23, paragraphe 4, du règlement (CE) no 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), est formulé comme suit :
«Lorsque la Commission a établi qu’un État membre a dépassé les possibilités de pêche qui lui ont été attribuées, la Commission procède à des déductions sur les futures possibilités de pêche dudit État membre.»
5 L’article 105 du règlement (CE) no 1224/2009 du Conseil, du 20 novembre 2009, instituant un régime communautaire de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche, modifiant les règlements no 847/96, no 2371/2002, (CE) no 811/2004, (CE) no 768/2005, (CE) no 2115/2005, (CE) no 2166/2005, (CE) no 388/2006, (CE) no 509/2007, (CE) no 676/2007, (CE) no 1098/2007, (CE) no 1300/2008, (CE) no 1342/2008 et abrogeant les règlements no 2847/93, (CE) no 1627/94 et (CE)
no 1966/2006 (JO L 343, p. 1), prévoit ce qui suit :
«1. Lorsque la Commission a établi qu’un État membre a dépassé les quotas qui lui ont été attribués, la Commission procède à des déductions sur les futurs quotas dudit État membre.
2. Dans le cas où un État membre a, au cours d’une année donnée, dépassé son quota, son allocation ou sa part pour un stock ou un groupe de stocks, la Commission procède à des déductions imputées sur le quota, l’allocation ou la part annuels dont dispose l’État membre en cause pour l’année ou les années suivantes ; elle applique à cette fin un coefficient multiplicateur selon le barème suivant :
Importance du dépassement par rapport aux débarquements autorisés Coefficient multiplicateur
Jusqu’à 5 % inclus Dépassement x 1,0
De 5 % à 10 % inclus Dépassement x 1,1
De 10 % à 20 % inclus Dépassement x 1,2
De 20 % à 40 % inclus Dépassement x 1,4
De 40 % à 50 % inclus Dépassement x 1,8
Tout dépassement de plus de 50 % Dépassement x 2,0
Toutefois, une déduction égale [au dépassement] x 1,00 s’applique dans tous les cas de dépassement par rapport aux débarquements autorisés égaux ou inférieurs à 100 tonnes.
3. Outre le coefficient multiplicateur visé au paragraphe 2, un facteur multiplicateur de 1,5 s’applique si :
a) un État membre a dépassé à plusieurs reprises, au cours des deux années précédentes, son quota, son allocation ou sa part pour un stock ou un groupe de stocks et si ces dépassements ont fait l’objet de déductions visées au paragraphe 2 ;
b) il ressort des avis scientifiques, techniques et économiques disponibles et, en particulier, des rapports établis par le CSTEP que le dépassement constitue une menace grave pour la conservation du stock concerné ; ou
c) le stock fait l’objet d’un plan pluriannuel.
4. Dans le cas où un État membre a dépassé, au cours des années précédentes, son quota, son allocation ou sa part pour un stock ou un groupe de stocks, la Commission peut, après consultation de l’État membre concerné, procéder à des déductions sur les futurs quotas dudit État membre, conformément à la procédure visée à l’article 119, afin de tenir compte du dépassement.
5. Si une déduction au sens des paragraphes 1 et 2 ne peut être effectuée sur le quota, l’allocation ou la part pour un stock ou un groupe de stocks qui ont fait l’objet d’un dépassement parce que l’État membre concerné ne dispose pas ou ne dispose pas de manière suffisante d’un quota, d’une allocation ou d’une part pour un stock ou un groupe de stocks, la Commission peut, conformément au paragraphe 1 et après consultation de l’État membre concerné, procéder à des déductions imputées sur les
quotas des autres stocks ou groupes de stocks attribués à cet État membre dans la même zone géographique, ou avec la même valeur commerciale, pour l’année ou les années suivantes.
6. Des modalités d’application du présent article, notamment en ce qui concerne la fixation des quantités en cause, peuvent être arrêtées conformément à la procédure visée à l’article 119.»
6 Conformément à son article 124, le règlement no 1224/2009 est applicable à partir du 1er janvier 2010.
Antécédents du litige
7 Le règlement attaqué s’inscrit dans une série de règlements d’exécution de la Commission européenne par lesquels elle a procédé à des déductions sur les quotas de pêche attribués pour une année donnée en raison de dépassements de quotas survenus antérieurement. Ces règlements peuvent être catégorisés en quatre groupes.
8 Durant les années 2002 et 2003, la Commission a adopté le règlement (CE) no 2000/2002, du 8 novembre 2002, modifiant certains quotas de pêche au titre de 2002 conformément au règlement no 847/96 (JO L 308, p. 13), et le règlement (CE) no 728/2003, du 25 avril 2003, modifiant certains quotas de pêche au titre de 2003 conformément au règlement no 847/96 (JO L 105, p. 3). Dans ces règlements, qui sont fondés sur les règlements nos 2847/93 et 847/96, elle a procédé à des déductions sur les quotas
attribués pour une année donnée en raison des dépassements de quotas survenus pendant l’année antérieure.
9 Durant les années 2004 à 2008, la Commission a adopté le règlement (CE) no 762/2004, du 23 avril 2004, adaptant certains quotas de poissons pour l’année 2004 en application du règlement no 847/96 (JO L 120, p. 8), le règlement (CE) no 776/2005, du 19 mai 2005, modifiant certains quotas de pêche au titre de 2005 conformément au règlement no 847/96 (JO L 130, p. 7), le règlement (CE) no 742/2006, du 17 mai 2006, modifiant certains quotas de pêche au titre de 2006 conformément au règlement no 847/96
(JO L 130, p. 7), le règlement (CE) no 609/2007, du 1er juin 2007, modifiant certains quotas de pêche pour 2007, conformément au règlement no 847/96 (JO L 141, p. 33), et le règlement (CE) no 541/2008, du 16 juin 2008, modifiant certains quotas de pêche pour 2008, conformément au règlement no 847/96 (JO L 157, p. 23). Dans ces règlements, qui sont fondés sur les règlements nos 2371/2002 et 847/96, la Commission a procédé à des déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison des
dépassements de quotas survenus pendant l’année antérieure. Il ressort des annexes de ces règlements que, dans certains cas, la Commission n’a pas pu procéder à des déductions dans la mesure justifiée par les dépassements, puisque le montant de ces déductions aurait surpassé le montant des quotas attribués pour l’année donnée. Dans ces cas, la Commission s’est limitée à réduire les quotas respectifs pour l’année donnée à zéro, sans toutefois reporter le solde restant à l’année suivante.
10 Le nombre de cas dans lesquels la Commission n’a pu procéder à des déductions dans la mesure justifiée par les dépassements des quotas attribués pour l’année précédente ayant augmenté, elle a modifié son approche dans le règlement (CE) no 649/2009, du 23 juillet 2009, modifiant certains quotas de pêche pour 2009 dans le cadre de la gestion interannuelle des quotas de pêche (JO L 192, p. 14). Ce règlement est fondé sur les règlements nos 2371/2002 et 847/96, comme les règlements adoptés pendant
les années 2004 à 2008. Or, au neuvième considérant du règlement no 649/2009, la Commission a retenu qu’il convenait de faire en sorte que le montant complet des déductions justifiées par les dépassements des quotas attribués pour l’année 2008 soit déduit des quotas et que les déductions qui ne pouvaient être prises en compte au titre de l’année 2009 devaient être déduites des quotas attribués pour l’année 2010 et, le cas échéant, pour les années suivantes. Par ailleurs, elle a indiqué la
différence entre, d’une part, le montant des déductions justifiées pour les dépassements survenus pendant l’année 2008 et, d’autre part, le montant des quotas attribués pour l’année 2009, dans une colonne intitulée «Solde» figurant dans un tableau reproduit à l’annexe II de ce règlement.
11 Enfin, au cours de l’année 2010, la Commission a adopté le règlement attaqué, qui a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 9 novembre 2010. Ce règlement est fondé sur l’article 105, paragraphe 1, du règlement no 1224/2009.
12 Ses considérants 5 et 8 sont formulés comme suit :
«(5) Les déductions imputées sur les quotas de pêche de 2009 en raison du dépassement des quotas de 2008 sont appliquées conformément au règlement […]no 649/2009 […]. Cependant, pour certains États membres, les déductions à appliquer étaient plus élevées que leur quota respectif pour 2009 et n’ont donc pas pu être entièrement effectuées au cours de cette année. Afin de garantir qu’en pareil cas également, la quantité totale est déduite, les quantités restantes doivent être prises en compte lors
de l’établissement des déductions à imputer sur les quotas de 2010.
[…]
(8) Cependant, les déductions à imputer concernent des dépassements qui ont eu lieu en 2009, et le règlement […]no 1224/2009 n’était pas encore applicable à cette époque. Par conséquent, il convient, pour des raisons de prévisibilité juridique, d’appliquer des déductions qui ne soient pas plus sévères que celles qui auraient résulté de l’application des règles alors en vigueur, à savoir celles prévues à l’article 5, paragraphe 2, du règlement […]no 847/96 établissant des conditions additionnelles
pour la gestion interannuelle des totaux admissibles des captures et quotas.»
13 L’article 1, paragraphe 1, du règlement attaqué dispose :
«Les quotas de pêche fixés dans les règlements (CE) no 1226/2009, (CE) no 1287/2009, (CE) no 1359/2008 et (UE) no 53/2010 sont réduits comme indiqué à l’annexe.»
14 L’annexe du règlement attaqué contient une colonne intitulée «Déductions restantes de 2009 (R.649/09)», où sont repris certains des montants indiqués dans la colonne intitulée «Solde» de l’annexe II du règlement no 649/2009.
15 Par ailleurs, à l’instar du règlement no 649/2009, l’annexe du règlement attaqué contient elle-même une colonne intitulée «Solde», qui indique les déductions auxquelles la Commission n’a pu procéder en raison du fait que le montant des déductions était plus élevé que le montant des quotas attribués pour 2010.
Procédure et conclusions des parties
16 Par requête enregistrée le 2 février 2010 au greffe du Tribunal, le Royaume d’Espagne a introduit un recours en annulation à l’encontre du règlement attaqué en vertu de l’article 263 TFUE.
17 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé, d’une part, d’ouvrir la procédure orale et, d’autre part, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure au sens de l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, d’inviter la Commission à répondre à des questions. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.
18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 avril 2012.
19 Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— annuler le règlement attaqué ;
— condamner la Commission aux dépens.
20 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— rejeter le recours comme non fondé ;
— condamner le requérant aux dépens.
En droit
21 Par le règlement attaqué, la Commission a procédé à des déductions sur certains quotas de pêche des États membres pour 2010. Elle a fondé ce règlement sur l’article 105 du règlement no 1224/2009, qui est applicable à partir du 1er janvier 2010. Cette disposition prévoit que, lorsque la Commission a établi qu’un État membre a dépassé les quotas de pêche qui lui ont été attribués pour une année donnée, elle procède à des déductions sur les futurs quotas de pêche dudit État membre. Elle lui permet
donc de procéder à des déductions non seulement sur les quotas alloués pour l’année suivant le dépassement, mais aussi sur ceux attribués au titre des années postérieures. Par conséquent, dans un règlement procédant à des déductions sur les quotas attribués pour une année donnée, la Commission peut procéder à des déductions non seulement en raison des dépassements de quotas survenus pendant l’année précédente, mais aussi en raison des dépassements de quotas pour des années antérieures, dans la
mesure où ces derniers n’ont pas encore donné lieu aux déductions correspondantes.
22 Le recours en annulation du Royaume d’Espagne est fondé sur quatre moyens. Par le premier moyen, il est soutenu que l’article 105 du règlement no 1224/2009, sur lequel la Commission a fondé le règlement attaqué, n’était pas applicable ratione temporis. Par les deuxième et troisième moyens, le Royaume d’Espagne reproche à la Commission d’avoir violé le principe de légalité des peines, le principe de sécurité juridique et le principe de non-rétroactivité des dispositions répressives moins
favorables en procédant à des déductions sur les quotas pour 2010 en raison des dépassements de quotas non seulement pour 2009, mais aussi pour 2008, alors que la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009 n’aurait permis de procéder à des déductions que s’agissant des dépassements de quotas pour 2009. Par le quatrième moyen, le Royaume d’Espagne avance qu’il ne peut pas être permis à la Commission de choisir la réglementation applicable en fonction du moment où elle
décide de commencer à examiner un comportement.
Sur le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité ratione temporis de l’article 105 du règlement no 1224/2009
23 Le Royaume d’Espagne reproche à la Commission d’avoir fondé le règlement attaqué sur l’article 105 du règlement no 1224/2009. Le règlement attaqué procéderait à des déductions sur certains quotas en raison de dépassements de quotas survenus avant 2010. Par conséquent, il ne pourrait être fondé sur l’article 105 du règlement no 1224/2009, qui est applicable à partir du 1er janvier 2010.
24 Dans ce contexte, il convient de retenir, à titre liminaire, que le règlement no 1224/2009 ne contient pas de règles spécifiques quant à l’application dans le temps de son article 105.
25 Il y a donc lieu d’appliquer les règles générales sur l’application des normes dans le temps, qui distinguent, d’une part, les règles de procédure et, d’autre part, les règles de fond [arrêts de la Cour du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e. a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9 ; du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C-121/91 et C-122/91, Rec. p. I-3873, point 22, et du 9 mars 2006, Beemsterboer Coldstore Services, C-293/04, Rec. p. I-2263,
points 19 à 21]. L’article 105 du règlement no 1224/2009 détermine le régime des déductions sur les quotas et constitue donc une règle de fond.
26 Quant aux règles de fond, il est de jurisprudence constante que, en principe, elles doivent être interprétées comme ne visant que des situations acquises postérieurement à leur entrée en vigueur, en vue du respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Toutefois, dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leurs finalités ou de leur économie qu’elles visent également des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur, des règles
de fond peuvent également être appliquées à des situations acquises avant leur entrée en vigueur (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 15 juillet 1993, GruSa Fleisch, C-34/92, Rec. p. I-4147, point 22, et Beemsterboer Coldstore Services, point 25 supra, point 21).
27 Il convient donc d’examiner s’il résulte de l’économie du règlement no 1224/2009 et des objectifs qu’il poursuit que son article 105 doit servir de base juridique au règlement attaqué, alors que ce dernier règlement procède à des déductions sur certains quotas attribués pour 2010 en raison de dépassements de quotas survenus avant l’applicabilité temporelle de cet article, le 1er janvier 2010.
28 Dans ce contexte, il convient de retenir, tout d’abord, que, en vertu de la réglementation applicable, la Commission n’était pas en état de procéder aux déductions sur les quotas attribués pour 2010 avant le 15 janvier 2010.
29 D’une part, les quotas alloués pour l’année 2010 ont été attribués par le règlement (UE) no 53/2010 du Conseil, du 14 janvier 2010, établissant, pour 2010, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques applicables dans les eaux de l’UE et, pour les navires de l’UE, dans les eaux soumises à des limitations de capture et modifiant les règlements (CE) no 1359/2008, (CE) no 754/2009, (CE) no 1226/2009 et (CE) no 1287/2009 (JO L 21, p. 1, rectificatif
JO L 24, p. 14).
30 D’autre part, la Commission ne disposait de l’ensemble des données concernant les pêches intervenues en 2009 qu’à partir du 15 janvier 2010. En effet, il ressort de l’article 33, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1224/2009 que les États membres n’étaient tenus de notifier les données concernant la pêche pendant le mois de décembre 2009 que pour le 15 janvier 2010.
31 Ensuite, il y a lieu de constater que, en 2010, la Commission ne pouvait plus fonder le règlement attaqué sur les bases juridiques prévues par la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009, à savoir l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96. En effet, en vertu de l’article 121, paragraphe 2, sous b), et de l’article 121, paragraphe 1, du règlement no 1224/2009, les dispositions susmentionnées n’étaient plus en vigueur à
partir du 1er janvier 2010.
32 La seule base juridique sur laquelle la Commission pouvait fonder le règlement attaqué était donc l’article 105 du règlement no 1224/2009. Une interprétation de cet article selon laquelle il n’était pas applicable à des dépassements de quotas survenus avant le 1er janvier 2010 aurait comme conséquence que ces dépassements ne pourraient donner lieu à des déductions et resteraient donc sans conséquence. Or, un tel résultat serait manifestement contraire aux finalités poursuivies par le règlement
no 1224/2009, notamment à l’objectif de faire pleinement respecter les limites des possibilités de pêche, mentionné à son considérant 43.
33 La Commission n’a donc pas commis d’erreur de droit en fondant le règlement attaqué sur l’article 105 du règlement no 1224/2009.
34 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument, avancé par le Royaume d’Espagne, selon lequel l’application de l’article 105 du règlement no 1224/2009 à des situations acquises avant son entrée en vigueur pourrait mener à des résultats contraires au principe de sécurité juridique. En effet, comme il ressort des observations précédentes, la Commission est obligée de faire suite aux indications claires du législateur de l’Union et d’appliquer l’article 105 du règlement no 1224/2009
à partir du 1er janvier 2010. Dans l’hypothèse où l’application de cet article à des situations acquises avant son entrée en vigueur ou son applicabilité temporelle s’avérerait problématique au vu du principe de sécurité juridique, il lui incomberait de l’interpréter restrictivement afin de garantir le respect de ce principe de droit primaire.
35 Le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité ratione temporis de l’article 105 du règlement no 1224/2009, doit donc être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique et du principe de légalité des peines
36 Par le deuxième moyen, le Royaume d’Espagne reproche à la Commission d’avoir violé le principe de sécurité juridique et le principe de légalité des peines.
Sur le principe de sécurité juridique
37 Le Royaume d’Espagne reproche à la Commission d’avoir violé le principe de sécurité juridique en fondant le règlement attaqué sur l’article 105 du règlement no 1224/2009 et en appliquant ainsi une nouvelle réglementation, moins favorable à une situation acquise sous le régime de la réglementation antérieure.
38 Il ne critique donc pas une application rétroactive au sens propre du terme, à savoir la prévision, par une norme, d’effets juridiques antérieurs à la date de son entrée en vigueur.
39 Or, comme le Royaume d’Espagne le retient à bon droit, l’application d’une nouvelle réglementation à une situation de fait acquise avant son entrée en vigueur sous l’empire de la réglementation antérieure peut également soulever des problèmes par rapport au principe de sécurité juridique. En effet, dans un tel cas, des conséquences juridiques pour le présent ou le futur sont attachées à une situation passée qui, en tant que telle, ne peut plus être modifiée. Pour cette raison, le principe de
sécurité juridique s’oppose à l’application d’une nouvelle réglementation plus sévère à une situation acquise sous le régime d’une réglementation antérieure plus favorable, dans la mesure où la personne concernée peut se prévaloir d’une confiance légitime quant à la réglementation antérieure (voir, en ce sens, arrêt Beemsterboer Coldstore Services, point 25 supra, point 24).
40 En ce qui concerne le règlement attaqué, qui procède à des déductions sur certains quotas attribués pour 2010 en raison de dépassements survenus lors d’années antérieures, il convient de retenir que, en le fondant sur l’article 105 du règlement no 1224/2009, applicable à partir du 1er janvier 2010, la Commission a appliqué une nouvelle réglementation à une situation de fait acquise sous le régime de la réglementation antérieure.
41 Il convient donc d’examiner si la Commission a soumis ces dépassements à un régime moins favorable que celui prévu par la réglementation en vigueur au moment où ils sont survenus.
42 Dans ce contexte, il convient de constater, en premier lieu, que les coefficients pour le calcul des déductions prévus par l’article 105, paragraphe 2, du règlement no 1224/2009 sont moins favorables que ceux prévus par l’article 5 du règlement no 847/96. Or, comme il ressort du considérant 8 du règlement attaqué, la Commission n’a pas appliqué ces coefficients moins favorables. À cet égard, elle a donc procédé à une interprétation de l’article 105 du règlement no 1224/2009 qui vise à garantir le
respect du principe de sécurité juridique (voir point 34 ci-dessus).
43 En second lieu, il convient d’examiner le grief du Royaume d’Espagne selon lequel, dans le règlement attaqué, la Commission a procédé à des déductions sur les quotas en cause non seulement en raison des dépassements de quotas survenus pendant l’année précédente, mais aussi en raison des dépassements de quotas survenus pendant une année antérieure, alors que cela n’aurait pas été possible en vertu de la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009, qui n’aurait permis de
procéder à des déductions qu’en raison des dépassements survenus pendant l’année précédente.
44 À cet égard, il convient de rappeler que la dernière disposition étant entrée en vigueur avant l’article 105 du règlement no 1224/2009 était l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002.
45 Or, selon le libellé de cette dernière disposition, «la Commission procède à des déductions sur les futures possibilités de pêche». Cette disposition permet donc à la Commission, lorsqu’elle constate un dépassement de quotas pour une année donnée, de procéder à des déductions non seulement sur les quotas attribués pour l’année suivante, mais aussi sur ceux des années ultérieures, dans la mesure où l’ensemble des déductions justifiées en raison des dépassements de quotas au titre d’une année
donnée n’a pu être pris en compte dans le cadre des déductions sur les quotas attribués pour l’année suivante.
46 Cette interprétation de l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 est confirmée par des considérations d’ordre téléologique. Comme il ressort des considérants 3 et 4 de ce règlement, celui-ci vise notamment à conserver et à gérer les ressources aquatiques vivantes ainsi que l’exploitation durable de ces ressources. Or, seule une approche permettant de procéder à l’ensemble des déductions justifiées en raison des dépassements intervenus au cours des années antérieures est conforme à
ces objectifs.
47 Par ailleurs, seule une telle interprétation de l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 permet de respecter le principe de non-discrimination. Si l’imputation des déductions ne pouvait être pratiquée que sur les quotas attribués pour l’année suivant les dépassements, les États membres qui respectent leurs quotas risqueraient d’être discriminés par rapport aux États membres qui les dépassent de manière significative. En effet, dans l’hypothèse où les dépassements de quotas attribués
pour une année donnée justifient des déductions dont le montant dépasse celui des quotas attribués pour l’année suivante, plus la surpêche est importante, plus l’avantage généré par le dépassement est grand. Or, il n’est pas acceptable qu’un État membre tire avantage d’un comportement qui non seulement est opposé aux objectifs de conservation et de gestion des ressources aquatiques vivantes ainsi que d’exploitation durable de ces ressources, mais constitue aussi un comportement déloyal à l’égard
des États membres qui respectent leurs quotas.
48 Dans ce contexte, le Royaume d’Espagne objecte que la disposition régissant les déductions jusqu’à l’applicabilité du règlement no 1224/2009 à partir du 1er janvier 2010 n’était pas l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 mais l’article 5 du règlement no 847/96 et que ce dernier permet de procéder à des déductions seulement sur les quotas «attribués l’année suivante». En vertu de cette disposition, la Commission n’aurait pu procéder à des déductions sur les quotas attribués pour une
année postérieure à celle suivant immédiatement les dépassements en cause.
49 Or, même à supposer que l’article 5 du règlement no 847/96 doive être interprété de cette façon, qui ne serait guère conforme au principe d’égalité de traitement (voir point 47 ci-dessus), et qu’il existe donc un conflit entre cet article et l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002, ce serait la solution retenue par l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002, et non celle retenue par l’article 5 du règlement no 847/96, qui prévaudrait.
50 En effet, il convient de rappeler l’ordre chronologique dans lequel ces dispositions ont été adoptées. Tout d’abord, le Conseil a adopté le règlement no 2847/93, dont l’article 23, paragraphe 1, prévoit que, lorsqu’un État membre a dépassé son quota, la Commission procède à des déductions sur les quotas dont dispose cet État membre. Ensuite, il a concrétisé le régime des déductions sur les quotas dans l’article 5 du règlement no 847/96. Enfin, il a adopté le règlement no 2371/2002. L’article 23,
paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 est donc une disposition postérieure à l’article 5 du règlement no 847/96.
51 En l’absence de règle spéciale régissant la relation entre l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002, d’une part, et l’article 5 du règlement no 847/96, d’autre part, il convient d’appliquer la règle générale selon laquelle la loi postérieure prévaut sur la loi antérieure. Par conséquent, dans la mesure où il existerait un conflit entre l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96, c’est l’article 23, paragraphe 4, du règlement
no 2371/2002 qui s’imposerait. Cette approche est d’ailleurs conforme au considérant 19 du règlement no 2371/2002, selon lequel ce règlement vise à reprendre et renforcer les principales dispositions de contrôle, d’inspection et d’exécution des règles de la politique commune de la pêche prévues par le règlement no 2847/93.
52 Contrairement à ce qu’avance le Royaume d’Espagne, cette conclusion n’est pas remise en cause par le considérant 19 du règlement no 2371/2002, selon lequel le règlement no 2847/93 doit rester en vigueur jusqu’à ce que l’ensemble des modalités d’application nécessaires ait été adopté. Le Royaume d’Espagne en déduit que, en l’absence de modalités d’application, l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 n’était pas applicable.
53 Même à supposer que ce considérant ne vise pas uniquement les dispositions du règlement no 2847/93, mais également celles du règlement no 847/96, il ne peut pas en être déduit que l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 n’était pas applicable à partir du moment de son entrée en vigueur. En effet, ce considérant concerne uniquement des situations dans lesquelles, lorsque les dispositions du règlement no 2371/2002 ne sont pas suffisamment concrètes, il convient de continuer à
appliquer les dispositions de la réglementation antérieure jusqu’à l’adoption des modalités d’application nécessaires. Ce considérant vise donc à éviter un vide juridique.
54 Or, en ce qui concerne l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002, le risque d’un tel vide juridique n’existe pas.
55 Dans la mesure où il ressort de cette disposition que les dépassements de quotas pendant une année donnée peuvent justifier des déductions sur les quotas non seulement au titre de l’année suivante, mais aussi lors des années ultérieures, ladite disposition était suffisamment concrète. Il n’était donc pas nécessaire d’adopter des modalités d’application à cet égard.
56 Quant aux coefficients concernant le calcul des déductions, il est, certes, vrai que l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 n’en prévoit pas. Toutefois, il n’était pas non plus nécessaire d’adopter des modalités d’application à cet égard. En effet, l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 ne prévoyant pas de nouvelles règles concernant le calcul des déductions, cette disposition n’a pas remis en cause les règles spéciales sur les coefficients prévues à l’article 5 du
règlement no 847/96. À cet égard, l’article 23, paragraphe 4 n’a donc pas dérogé à l’article 5 du règlement no 847/96. Ainsi, l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002, lu en combinaison avec les règles spéciales sur les coefficients prévues à l’article 5 du règlement no 847/96, était suffisamment concret pour être appliqué sans l’adoption préalable de modalités d’application.
57 Cette approche concernant l’interprétation de la relation entre ces deux dispositions est d’ailleurs corroborée par l’article 121 du règlement no 1224/2009, dont il ressort que l’article 5 du règlement no 847/96 n’a été abrogé qu’au moment, à partir duquel l’article 105 du règlement no 1224/2009, qui contient un nouveau régime de coefficients, était applicable.
58 Il convient donc de rejeter l’objection tirée du considérant 19 du règlement no 2371/2002. Par ailleurs, il ressort des observations précédentes que, en ce qui concerne les limites temporelles des déductions, contrairement à ce qu’affirme le Royaume d’Espagne, l’article 5 du règlement no 847/96 ne peut être considéré comme une loi spéciale par rapport à l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002.
59 Enfin, il y a lieu d’examiner l’argument avancé par le Royaume d’Espagne selon lequel il peut être déduit de l’existence du règlement (CE) no 338/2008 du Conseil, du 14 avril 2008, prévoyant l’adaptation des quotas de pêche de cabillaud qui seront alloués à la Pologne, en mer Baltique (subdivisions 25 à 32, eaux communautaires), de 2008 à 2011 (JO L 107, p. 1), et du règlement (CE) no 635/2008 de la Commission, du 3 juillet 2008, portant adaptation des quotas de pêche de cabillaud qui seront
alloués à la Pologne, en mer Baltique (subdivisions 25 à 32, eaux communautaires), de 2008 à 2011, conformément au règlement no 338/2008 (JO L 176, p. 8), que, en vertu de la réglementation applicable avant l’entrée en vigueur du règlement no 1224/2009, la Commission n’était pas en droit de procéder à des déductions sur les quotas attribués pour une année postérieure à celle suivant le dépassement.
60 Comme il ressort du considérant 3 du règlement no 338/2008, celui-ci concerne une situation dans laquelle la Commission a constaté, en juillet 2007, que les captures de cabillaud auxquelles avaient procédé les navires battant pavillon de la Pologne étaient déjà trois fois supérieures aux quantités initialement déclarées et qu’il s’agissait d’un dépassement très important du quota attribué à cet État membre. Par ailleurs, il ressort des considérants 9 et 10 de ce règlement que, en présence de
cette situation, le Conseil a décidé de déroger à la règle prévue à l’article 5 du règlement no 847/96 et de permettre une déduction sur les quotas durant une période de quatre ans.
61 Or, contrairement à ce qu’avance le Royaume d’Espagne, il ne peut être déduit des considérants susmentionnés que la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009 ne permettait pas de procéder à des déductions sur les quotas relatifs à une année postérieure à celle suivant le dépassement. Il importe notamment de souligner que le considérant 10 du règlement no 338/2008, selon lequel la dérogation était nécessaire pour atténuer les conséquences socio-économiques des déductions
«particulièrement […] pendant la première année», s’oppose à une telle lecture. Comme il ressort clairement de ce considérant, le législateur de l’Union estimait que, en vertu de la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009, le dépassement de quotas pendant une année donnée pouvait donner lieu à des déductions sur les quotas non seulement attribués pour l’année suivante, mais aussi pour les années ultérieures. La dérogation introduite par le règlement no 338/2008 ne
porte donc pas sur cet aspect.
62 Par conséquent, la dérogation mentionnée aux considérants 9 et 10 susvisés concerne un autre élément. Ainsi qu’il ressort du considérant 10 du règlement no 338/2008, le Conseil a voulu éviter que les déductions aient des conséquences d’ordre socio-économique qu’il estimait excessives. La dérogation porte donc sur le montant maximal des déductions auxquelles il convient de procéder par année. À cet égard, ce règlement prévoit un échelonnement des déductions sur plusieurs années.
63 Il y a donc lieu de rejeter l’objection tirée de l’existence du règlement no 338/2008.
64 Pour conclure, il convient de constater que, en vertu de la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009, la Commission était déjà en droit de procéder à des déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison des dépassements non seulement des quotas de l’année précédente, mais aussi de ceux relatifs aux années antérieures à celle-ci.
65 Par conséquent, le grief tiré d’une violation du principe de sécurité juridique doit être rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si, dans le règlement attaqué, la Commission a procédé à des déductions non seulement en raison de dépassements de quotas attribués pour l’année antérieure, mais également en raison de dépassements de quotas attribués pour une année précédant cette année.
Sur le principe de légalité des peines
66 Quant au principe de légalité des peines, il convient de rappeler qu’il exige que toute sanction, même si elle n’a pas de caractère répressif, doit reposer sur une base légale claire et non ambiguë (arrêts de la Cour du 25 septembre 1984, Könecke, 117/83, Rec. p. 3291, point 11, et du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister, C-210/00, Rec. p. I-6453, point 52).
67 Dans ce contexte, il convient de constater, tout d’abord, que l’article 105 du règlement no 1224/2009 constitue une base légale claire et non ambiguë, qui permet à la Commission de procéder à des déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison des dépassements de quotas intervenus non seulement lors de l’année précédente, mais aussi au cours des années antérieures.
68 Toutefois, comme le principe de sécurité juridique s’oppose, en principe, à ce que la Commission applique une nouvelle réglementation moins favorable à une situation acquise sous le régime de la réglementation antérieure plus favorable, il convient d’examiner également la question de savoir si le principe de légalité des peines permet à la Commission de procéder à de telles déductions en se fondant sur la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009.
69 Dans ce contexte, il convient d’examiner, tout d’abord, si le principe de légalité des peines s’applique à des déductions telles qu’elles étaient prévues par l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96. Il y a donc lieu d’analyser la question de savoir si ces déductions sont des mesures répressives au sens dudit principe.
70 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le système des quotas de pêche poursuit l’objectif de garantir la conservation et l’exploitation durable des ressources halieutiques. Les déductions sur les quotas visent à faire respecter les quotas et ont donc la même finalité. Cependant, comme le Royaume d’Espagne le retient à juste titre, le seul fait que les déductions ont un tel objectif ne permet pas d’exclure qu’il s’agisse de sanctions au sens du principe susmentionné, puisque des mesures
répressives peuvent également poursuivre ces objectifs.
71 Toutefois, il convient de rappeler qu’une mesure qui se limite à prévoir une compensation pour un dommage causé et qui se borne donc à restituer le statu quo ante ne constitue pas une mesure répressive au sens du principe de légalité des sanctions (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C-110/99, Rec. p. I-11569, point 56, et du 21 février 2006, Halifax e.a., C-255/02, Rec. p. I-1609, point 93). Par conséquent, il y a lieu d’examiner si les déductions prévues
par l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96 se limitent à compenser le dommage causé par le dépassement des quotas ou si elles contiennent des éléments excédant cet objectif.
72 L’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 847/96 se limitent à prévoir des déductions consistant en la simple compensation du dépassement des quotas et ne prévoient donc pas de sanction, c’est-à-dire de mesure excédant cette compensation.
73 Dans ce contexte, le Royaume d’Espagne avance l’argument selon lequel les déductions ne sont pas des mesures présentant un lien direct avec la conservation et l’exploitation durable des ressources halieutiques, puisque la Commission procède à des déductions, même s’il s’avère que, au niveau de l’Union, le total admissible de captures pour ce stock n’a pas été dépassé. Par conséquent, il s’agirait d’une mesure sanctionnant le comportement d’un État membre et donc d’une mesure répressive.
74 Cet argument n’emporte pas la conviction. À titre liminaire, il convient de rappeler que le régime des quotas de pêche prévoit un système de contrôle décentralisé, dans le cadre duquel il incombe aux États membres de surveiller que les quotas qui leur ont été attribués ne sont pas dépassés. Or, une approche selon laquelle il serait procédé à des déductions sur les quotas des États membres uniquement dans la double hypothèse, premièrement, qu’un État membre a dépassé ses quotas et, deuxièmement,
que, au niveau de l’Union, les totaux admissibles de captures ont été dépassés risquerait de remettre en cause l’effectivité même du régime des quotas. En effet, une telle approche permettrait aux États membres de justifier le dépassement de leurs quotas en invoquant a posteriori le fait que les totaux admissibles de captures au niveau de l’Union n’ont pas été dépassés. Une telle approche pourrait inciter les États membres à ne pas procéder à un contrôle strict des quotas leur ayant été
attribués, puisqu’un dépassement pourrait éventuellement rester sans effet. Cela augmenterait le risque que, par la suite, les totaux admissibles de captures au niveau de l’Union soient également dépassés. Par ailleurs, il convient de rappeler que le dépassement de ses quotas confère un avantage injustifié à un État membre. Les déductions ont donc également un effet compensatoire par rapport aux États membres ayant respecté leurs quotas. Dans ce contexte, il convient de rappeler que les États
membres ont la possibilité de dépasser un quota s’ils négocient un échange de quotas avec un autre État membre, avant que le quota pour le stock concerné soit épuisé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 20 mars 1990, Commission/France, C-62/89, Rec. p. I-925, point 20). Le Royaume d’Espagne aurait donc pu négocier un tel échange, ce qui lui aurait permis de dépasser le quota initial sans augmenter le risque que le total admissible de captures au niveau de l’Union soit dépassé et sans se
procurer un avantage injustifié par rapport aux États membres ayant respecté leurs quotas.
75 L’absence de prise en compte du montant total des captures au niveau de l’Union est donc un élément qui résulte de la nature et de l’économie d’un régime qui, d’une part, attribue des quotas individuels pour chaque État membre et, d’autre part, prévoit un système de contrôle décentralisé. Contrairement à ce que soutient le Royaume d’Espagne, il ne peut en être déduit que les déductions n’ont pas de lien direct avec la conservation et l’exploitation durable des ressources halieutiques. Il s’ensuit
que, en dépit du fait que la Commission procède à des déductions sur les quotas sans prendre en compte le point de savoir si les totaux admissibles de captures au niveau de l’Union ont été dépassés, ces déductions constituent une mesure compensatoire et non une sanction.
76 Quant à l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et à l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 847/96, il est, certes, vrai qu’ils prévoient des coefficients multiplicateurs pour le calcul des déductions. Toutefois, ces coefficients multiplicateurs ne peuvent être considérés comme des sanctions excédant l’objectif d’une compensation. Comme la Commission l’a retenu à juste titre, ces coefficients visent à garantir une restitution intégrale du dommage causé par le dépassement des
quotas. En effet, la surpêche a une incidence négative sur la capacité de reproduction du stock concerné, qui est susceptible de ralentir son rétablissement et d’entraîner sa décroissance.
77 Contrairement à ce qu’avance le Royaume d’Espagne, ce raisonnement ne saurait être mis en doute par le fait que des coefficients se trouvent appliqués à des dépassements de quotas concernant des stocks qui ne font pas l’objet de mesures visant à reconstituer le stock. En effet, il convient de rappeler que les plans de reconstitution du stock concernent des stocks se trouvant en deçà des limites biologiques sûres et ont comme objectif de leur permettre d’atteindre à nouveau ces limites. En
revanche, les déductions sur les quotas poursuivent l’objectif de conservation et d’exploitation durable des ressources halieutiques. Elles visent donc à garantir que les stocks restent dans des limites biologiques sûres. Il s’ensuit que le dépassement des quotas peut justifier en lui-même des déductions visant à restituer intégralement le dommage causé par le dépassement des quotas.
78 Par conséquent, les déductions prévues par l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96 ne constituent pas des sanctions et ne sont donc pas soumises au principe de légalité des peines.
79 Contrairement à ce qu’avance le Royaume d’Espagne, cette conclusion n’est pas remise en cause par le huitième considérant du règlement no 847/96. Certes, ce considérant mentionne la finalité des déductions, à savoir «pénaliser» les dépassements de quotas. Toutefois, il ne peut en être déduit que le législateur de l’Union a considéré qu’il s’agisse là de sanctions répressives. Une telle lecture de ce considérant est contredite notamment par le considérant 43 du règlement no 1224/2009. En effet,
bien que ce règlement postérieur prévoie un régime de coefficients plus sévère que celui prévu à l’article 5 du règlement no 847/96, il ressort de son considérant 43 que l’objectif des déductions est de réparer les dommages causés aux ressources halieutiques concernées et aux autres États membres et de rétablir la situation qui prévalait antérieurement. En tout état de cause, la nature des déductions sur les quotas ne saurait dépendre du contenu du huitième considérant du règlement no 847/96,
mais doit être appréciée en application de critères objectifs mentionnés aux points 71 à 78 ci-dessus.
80 Ensuite, même dans l’hypothèse où le principe de légalité des peines serait applicable aux déductions prévues par l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96, force serait de constater que ce principe ne s’oppose pas à ce que la Commission se fonde sur ces dispositions pour imposer des déductions sur les quotas attribués pour une année donnée en raison des dépassements de quotas intervenus non seulement pendant l’année précédente, mais aussi pendant
les années antérieures.
81 En effet, l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et l’article 5 du règlement no 847/96, non seulement constituent une base légale pour de telles déductions, mais sont aussi suffisamment clairs et précis. En effet, comme il a été exposé aux points 43 à 64 ci-dessus, une lecture combinée de ces dispositions permet de comprendre que, au plus tard à partir de l’entrée en vigueur de l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002, la Commission était en droit, en présence d’un
dépassement de quotas pendant une année donnée, de procéder à des déductions non seulement sur les quotas attribués pour l’année suivante, mais aussi sur ceux attribués pour les années ultérieures. Eu égard au libellé de l’article 23, paragraphe 4, du règlement no 2371/2002 et au fait que seule cette interprétation pouvait être considérée comme conforme au principe de non-discrimination et aux objectifs poursuivis par ce règlement, le Royaume d’Espagne ne pouvait se prévaloir d’un doute
raisonnable à cet égard.
82 Cette constatation n’est pas remise en cause par le fait que, pendant la période allant de 2004 à 2008, la Commission s’est limitée à imposer des déductions sur les quotas attribués pour l’année suivant le dépassement (voir point 9 ci-dessus). En effet, le caractère clair et non ambigu d’une base juridique doit être apprécié en application de critères objectifs et ne dépend donc pas de l’interprétation de la Commission.
83 Par conséquent, le grief tiré d’une violation du principe de légalité des peines doit également être rejeté comme non fondé.
84 Il convient donc de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de non-rétroactivité des dispositions répressives moins favorables
85 Par son troisième moyen, le Royaume d’Espagne reproche à la Commission d’avoir violé le principe de non-rétroactivité des dispositions répressives moins favorables, en appliquant le régime plus sévère de l’article 105 du règlement no 1224/2009 à une situation acquise sous le régime de la réglementation antérieure.
86 Ce moyen doit également être rejeté. En premier lieu, il ressort des points 70 à 79 ci-dessus que les déductions sur les quotas ne sont pas de nature répressive. En second lieu, il convient de rappeler que, comme il a été exposé aux points 37 à 65 ci-dessus, la Commission n’a pas appliqué un régime plus sévère que celui prévu par la réglementation antérieure à l’article 105 du règlement no 1224/2009.
Sur le quatrième moyen, tiré de l’impossibilité de laisser à la Commission le choix de la base juridique applicable
87 Par le quatrième moyen, le Royaume d’Espagne soutient, en substance, qu’il ne peut être permis à la Commission de choisir la disposition sur laquelle elle base un acte juridique comme le règlement attaqué. Afin d’exclure un tel choix, il conviendrait de ne pas appliquer l’article 105 du règlement no 1224/2009 à des dépassements de quotas survenus avant le 1er janvier 2010.
88 Ce moyen n’est pas fondé.
89 Comme il a été exposé aux points 27 à 33 ci-dessus, la Commission ne disposait pas d’un choix quant à la base juridique devant permettre l’adoption du règlement attaqué. En effet, l’article 105 du règlement no 1224/2009 était la seule disposition sur laquelle elle pouvait fonder un règlement procédant à des déductions sur les quotas pour 2010.
90 Dans ce contexte, il convient également de rappeler que, contrairement à ce qu’avance la Commission, elle ne dispose pas d’un choix quant à l’opportunité d’appliquer ou non l’article 105 du règlement no 1224/2009. En principe, elle est obligée d’appliquer les règles prévues par cet article. Ce n’est que dans la mesure où des principes de droit primaire, comme le principe de sécurité juridique, l’imposent qu’elle doit procéder à une interprétation restrictive de cette disposition, afin de garantir
le respect dudit droit.
91 Le quatrième moyen doit donc également être rejeté et, dès lors, le recours dans son entièreté.
Sur les dépens
92 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
93 Le Royaume d’Espagne ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.
Czúcz
Labucka
Gratsias
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 novembre 2012.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.