ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)
15 septembre 2016 ( *1 )
«Accès aux documents — Règlement (CE) no 1049/2001 — Documents élaborés dans le cadre des travaux préparatoires à l’adoption de la directive relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes — Refus d’accès — Exception relative à la protection des procédures juridictionnelles et des avis juridiques — Exception relative à la protection du
processus décisionnel — Intérêt public supérieur»
Dans l’affaire T‑796/14,
Philip Morris Ltd, établie à Richmond (Royaume-Uni), représentée par Mes K. Nordlander et M. Abenhaïm, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision Ares(2014) 3142109 de la Commission, du 24 septembre 2014, dans la mesure où elle refuse à la requérante un plein accès aux documents demandés, à l’exception des données personnelles modifiées qui y sont contenues,
LE TRIBUNAL (huitième chambre),
composé de M. D. Gratsias, président, Mme M. Kancheva et M. C. Wetter (rapporteur), juges,
greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 21 janvier 2016,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Par courriel du 22 janvier 2014, la requérante, Philip Morris Ltd, a adressé au secrétariat général de la Commission européenne un certain nombre de demandes d’accès à des documents au titre du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).
2 Ces demandes portaient toutes sur la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1, ci-après la « DPT »).
3 Par courriel du 21 février 2014, la direction générale (DG) « Santé et protection des consommateurs » de la Commission a informé la requérante qu’elle n’était pas en mesure de répondre dans le délai prévu à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, vu le volume des documents concernés, et a proposé de trouver une solution conformément à l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001.
4 Par lettre du 10 mars 2014, la requérante a accepté la proposition de la DG « Santé et protection des consommateurs », consistant en un partage des documents demandés en différents lots. Elle a toutefois refusé cette proposition si cela devait signifier qu’elle n’aurait en conséquence pas reçu de réponse concernant tous les documents visés par ses demandes pour le 25 avril 2014.
5 Par lettre du 21 mars 2014, le chef de l’unité D4 « Substances d’origine humaine et lutte contre le tabagisme » de la DG « Santé et protection des consommateurs » a indiqué que le délai proposé par la requérante n’était pas raisonnable, en précisant qu’une institution avait la possibilité de mettre en balance, d’une part, l’intérêt de l’accès du public aux documents et, d’autre part, la charge de travail qui en découlait, afin de préserver, dans des cas particuliers, l’intérêt d’une bonne
administration. Elle a également précisé qu’elle reviendrait sur cette question dans les meilleurs délais pour déterminer les étapes suivantes et les délais applicables.
6 Par lettre du 2 avril 2014, le directeur de la DG « Santé et protection des consommateurs » a répondu à certaines demandes d’accès et a informé la requérante qu’elle traiterait les demandes portant sur les autres documents identifiés en différents lots.
7 Par lettre du 23 avril 2014, la requérante a rappelé à la Commission que, en l’absence d’un arrangement équitable, cette dernière était liée par les délais prévus à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, précisant qu’elle s’était réservé le droit d’engager des recours dans le cas où ses demandes subsisteraient encore au 1er mai 2014. Elle a également demandé à modifier légèrement l’ordre de priorité des lots, ce qui a, pour une grande partie, été accepté par la Commission.
8 Par sa réponse initiale du 15 mai 2014, la DG « Santé et protection des consommateurs » a accordé, en ce qui concerne les documents relevant du lot no 1 (39 documents au total), du lot no 3 (24 documents au total) et du lot no 5 (5 documents au total), pour la plupart desdits documents (expurgés des données à caractère personnel), un accès complet. Elle a indiqué que l’examen des documents relevant des lots nos 2 et 4, ainsi que d’une partie des documents relevant du lot no 3, était encore en
cours. Pour 13 documents relevant du lot no 1 ou du lot no 3, la Commission a donné un accès partiel. Le refus de donner un accès complet était fondé sur la protection du processus décisionnel (prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001), des avis juridiques (prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001), des relations internationales [prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, du règlement no 1049/2001], des
intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale (prévue à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001) ainsi que sur la protection de la vie privée et de l’intégrité des individus [prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001].
9 Par lettre du 6 juin 2014, la requérante a présenté une demande confirmative à la Commission, visant un accès complet aux 13 documents pour lesquels la Commission avait uniquement accordé un accès partiel.
10 Le 1er juin 2014, le secrétariat général de la Commission a prolongé le délai de réponse de quinze jours ouvrables, conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.
11 Le 23 juillet 2014, une deuxième réponse d’attente a été envoyée à la requérante.
12 Le 24 septembre 2014, la Commission a adopté la décision Ares(2014) 3142109 en réponse à la demande confirmative (ci-après la « décision attaquée »), en refusant un accès complet à 6 des 13 documents concernés par la demande confirmative.
13 Ce refus a été motivé par la nécessité de la protection :
— en ce qui concerne les documents no 1 et nos 3 à 7, de la vie privée et de l’intégrité de l’individu [article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001] ;
— en ce qui concerne le document no 1, des avis juridiques (article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001) ;
— en ce qui concerne les documents nos 3 à 7, des procédures juridictionnelles (article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001) ;
— en ce qui concerne les documents no 1 et nos 3 à 7, du processus décisionnel (article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001) ;
— à titre subsidiaire, en ce qui concerne les documents no 1 et nos 3 à 7, du processus décisionnel (article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001).
14 En outre, la Commission a considéré qu’il n’existait pas davantage d’intérêt public supérieur, au sens de l’article 4, paragraphe 2, in fine, du règlement no 1049/2001 et de l’article 4, paragraphe 3, premier et second alinéas, in fine, du même règlement, qui justifierait que des documents fussent néanmoins divulgués.
15 Enfin, en appliquant l’article 4, paragraphe 6, du règlement no 1049/2001, la Commission a accordé un accès complet concernant les documents no 2 et nos 8 à 13 et un accès partiel plus élargi concernant les documents nos 1 et 3. Elle a considéré qu’un accès partiel additionnel des documents restants (documents no 1 et nos 3 à 7) n’était pas possible, du fait que les parties occultées dans lesdits documents relevaient, ainsi que cela avait déjà été expliqué, des exceptions invoquées.
Procédure et conclusions des parties
16 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2014, la requérante a formé le présent recours.
17 Le 16 mars 2015, la Commission a produit le mémoire en défense.
18 Conformément à l’article 47, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, le Tribunal (huitième chambre) a décidé qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire.
19 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
20 Par ordonnance du 11 novembre 2015, le Tribunal a ordonné à la Commission de produire une copie des documents demandés, au titre de l’article 91, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, et a indiqué que, conformément à l’article 104 dudit règlement, ces documents ne seraient pas communiqués à la requérante. La Commission a déféré à cette ordonnance dans le délai imparti.
21 Par décision du président de la huitième chambre du Tribunal du 16 décembre 2015, les affaires T‑796/14, T‑800/14 et T‑18/15 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure.
22 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 21 janvier 2016.
23 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— déclarer le recours recevable ;
— annuler la décision attaquée dans la mesure où elle refuse un plein accès aux documents no 1 et nos 3 à 7, énumérés dans la requête, à l’exception des données relatives à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu ;
— condamner la Commission aux dépens.
24 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— rejeter le recours ;
— condamner la requérante aux dépens.
En droit
25 À l’appui du recours, la requérante présente trois moyens, tirés, le premier, d’un défaut de motivation, le deuxième, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 et, le troisième, de la violation de l’article 4, paragraphe 3, de ce règlement.
Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée
26 La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir motivé son refus d’accès partiel. En effet, d’abord, la Commission aurait présenté des arguments généraux pour justifier son refus, sans préciser les motifs et les circonstances factuelles pertinentes de chaque refus. Ensuite, quant à la question de savoir s’il existait un intérêt public supérieur, au lieu de mettre en balance les exigences motif par motif, la Commission aurait effectué la même évaluation pour tous les différents motifs et
documents. Pour cette raison, la décision attaquée devrait être annulée. Puis, en appliquant l’exception de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, la décision attaquée n’expliquerait pas si la justification invoquée pour chaque occultation concernait un « avis juridique » ou une « procédure juridictionnelle ». Enfin, le principe d’égalité des armes ne saurait être pertinent dans le cadre d’un accès aux documents portant sur une procédure législative.
27 La Commission conteste le bien-fondé de ces arguments.
28 D’emblée, il convient d’observer que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35, et du 26 octobre 2011, Dufour/BCE, T‑436/09, EU:T:2011:634, point 52).
29 Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la
question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63 ; du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 55 ; du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 80, et
du 19 novembre 2014, Ntouvas/ECDC, T‑223/12, non publié, EU:T:2014:975, point 20).
30 S’agissant d’une demande d’accès aux documents, toute décision d’une institution au titre des exceptions énumérées à l’article 4 du règlement no 1049/2001 doit être motivée. Si une institution décide de refuser l’accès à un document dont la divulgation lui a été demandée, il lui incombe de fournir des explications quant à la question de savoir, premièrement, comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à
l’article 4 du règlement no 1049/2001 qu’elle invoque et, deuxièmement, dans les hypothèses visées aux paragraphes 2 et 3 de cet article, s’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant néanmoins la divulgation du document concerné (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 48 et 49 ; du 11 mars 2009, Borax Europe/Commission, T‑121/05, non publié, EU:T:2009:64, point 37, et du 12 septembre 2013, Besselink/Conseil, T‑331/11, non
publié, EU:T:2013:419, point 96).
31 Il appartient donc à l’institution ayant refusé l’accès à un document de fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier, d’une part, si le document demandé est effectivement concerné par le domaine visé par l’exception invoquée et, d’autre part, si le besoin de protection relatif à cette exception est réel (arrêts du 26 avril 2005, Sison/Conseil, T‑110/03, T‑150/03 et T‑405/03, EU:T:2005:143, point 61, et du 12 septembre 2013, Besselink/Conseil, T‑331/11, non publié,
EU:T:2013:419, point 99).
32 En l’espèce, il ressort des motifs de la décision attaquée que la Commission a fondé le refus d’accès intégral, pour autant qu’il intéresse la présente affaire, sur les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret (protection des procédures juridictionnelles et des avis juridiques), et à l’article 4, paragraphe 3, premier et second alinéas (protection du processus décisionnel), du règlement no 1049/2001.
33 Il en résulte également que, lus en combinaison avec la décision initiale, les documents litigieux, pour lesquels seul un accès partiel a été accordé, concernent les documents suivants :
— document no 1 : « Note au dossier – Réunion de l’Unité C6 avec le LS et le SG », du 6 mai 2011, contenant un procès-verbal d’une réunion entre des représentants de la DG « Santé et protection des consommateurs » et le service juridique de la Commission ;
— document no 3 : procès-verbal de la réunion du groupe de pilotage de l’analyse d’impact relative à la révision de la directive relative aux produits du tabac, organisée le 19 juillet 2012 ;
— document no 4 : courriel d’un fonctionnaire de la DG « Entreprises et industrie » du 13 mars 2012, portant sur certaines questions débattues en interne au cours du processus d’élaboration de la directive relative aux produits du tabac ;
— document no 5 : courriel d’un fonctionnaire de la DG « Marché intérieur et services » du 11 mai 2011, adressé à diverses directions générales concernant la quatrième réunion du groupe de pilotage de l’analyse d’impact ;
— document no 6 : courriel d’un fonctionnaire de la DG « Marché intérieur et services » du 20 mars 2012, adressé à diverses directions générales ;
— document no 7 : courriel d’un fonctionnaire de la DG « Marché intérieur et services » du 20 juillet 2012, adressé à d’autres fonctionnaires de la même DG et contenant un procès-verbal d’une réunion organisée le 19 juillet 2012 entre divers services de la Commission.
34 D’une part, la Commission a considéré que la divulgation du document no 1, qui contenait un avis du service juridique, porterait atteinte à des avis juridiques tels que protégés par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, exception qui visait à protéger l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets. La divulgation mettrait dans le domaine public des avis internes sur des questions
très sensibles qui étaient devenues l’objet d’un litige. En ce qui concerne les documents nos 3 à 7, rédigés pour un usage interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires concernant l’adoption de propositions législatives et contenant des observations de divers services de la Commission relatives à l’emballage et à l’étiquetage des produits du tabac et les modalités de vente des produits du tabac, elle a estimé que leur divulgation porterait atteinte à des procédures
juridictionnelles également protégées par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001.
35 Tant dans le cadre de la protection des avis juridiques que dans le cadre de la protection des procédures juridictionnelles, la Commission a estimé qu’une divulgation complète des documents demandés pouvait avoir une incidence négative sur la possibilité qu’elle avait de défendre, de façon effective, la validité de la DPT. Elle a indiqué que ce risque d’atteinte à l’intérêt protégé n’était pas hypothétique, mais réel et tangible et a mentionné à cet égard :
— le recours introduit par la Pologne devant la Cour de justice de l’Union européenne contre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne [affaire ayant donné lieu depuis à l’arrêt du 4 mai 2016, Pologne/Parlement et Conseil (C‑358/14, EU:C:2016:323)] ;
— le fait que l’adoption de la DPT avait été fortement contestée par l’industrie du tabac et, partant, que des questions préjudicielles portant sur la validité de cette directive et des mesures des États membres étaient attendues dans un avenir proche, comme lors de la première directive sur les produits du tabac ;
— le fait que, entre-temps, la requérante elle-même avait annoncé l’introduction d’un litige devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni] contre la DPT, ce qui impliquerait que, selon toute vraisemblance, la Cour de justice de l’Union européenne devrait connaître de l’affaire par l’intermédiaire d’un renvoi préjudiciel ;
— les divers litiges pendants devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (ce dernier motif ayant uniquement été invoqué dans le cadre de l’exception relative à des procédures juridictionnelles pour les documents nos 3 à 7).
36 En outre, la Commission a estimé que la divulgation des documents no 1 et nos 3 à 7 porterait également atteinte à la protection du processus décisionnel prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. La directive sur les produits du tabac faisant l’objet d’un recours juridictionnel devant la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission n’exclurait pas, dans le cas où la DPT serait annulée, que le processus décisionnel législatif portant sur ce dossier
doive être relancé et qu’un tel processus législatif éventuel soit grandement affecté par la divulgation complète des documents contenant des réflexions à ce sujet. Dans ce contexte, la Commission a considéré dans la décision attaquée que la divulgation des parties occultées des documents en cause porterait atteinte au processus décisionnel au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 et que, tant que la procédure juridictionnelle serait en instance, le
processus décisionnel ne pourrait être considéré comme définitivement terminé. À titre subsidiaire, la Commission a estimé que les documents étaient également couverts par l’exception prévue par le second alinéa de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001.
37 D’autre part, la Commission a écarté l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation. Tout en reconnaissant l’importance de la transparence afin de permettre la participation des citoyens au processus démocratique et la présomption de transparence en ce qui concerne les documents portant sur un processus législatif, la Commission a cependant estimé que la protection de ses réflexions internes, du principe d’égalité des armes et de son processus décisionnel avait plus
d’importance. En outre, elle a considéré que l’intérêt invoqué par la requérante était privé et non public.
38 Il y a lieu d’observer qu’il ressort de ces motifs de la décision attaquée que, conformément à la jurisprudence citée aux points 29 et 30 ci-dessus, la Commission a indiqué, d’une façon suffisamment claire et compréhensible, les raisons pour lesquelles elle considérait, d’une part, que l’accès aux documents demandés porterait concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par les exceptions de l’article 4 du règlement no 1049/2001 invoquées et, d’autre part, qu’il n’existait pas
d’intérêt public supérieur justifiant néanmoins leur divulgation.
39 De plus, il importe d’ajouter que, ainsi qu’il ressort des écritures de la requérante, la motivation de la décision attaquée lui a permis de comprendre les raisons d’un refus d’accès et de préparer son recours. En outre, cette motivation est également suffisante pour permettre au Tribunal d’exercer son contrôle.
40 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que la décision attaquée est suffisamment motivée. La question du bien-fondé des exceptions invoquées pour les documents demandés doit faire l’objet d’un examen dans le cadre des deuxième et troisième moyens.
41 Partant, le premier moyen doit être écarté comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001
42 Par le deuxième moyen, en premier lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir démontré comment une divulgation dans chaque cas porterait concrètement et effectivement atteinte à la protection des avis juridiques ou des procédures juridictionnelles. En second lieu, elle estime que l’exception relative aux procédures juridictionnelles n’est pas applicable.
43 S’agissant des justifications à l’égard des avis juridiques, la requérante estime que les institutions devraient – en règle générale – révéler les avis de leurs services juridiques sur le processus législatif et que la Commission n’a fourni aucune explication démontrant pourquoi, en l’espèce, une divulgation totale des documents en cause porterait concrètement et effectivement atteinte à la protection des avis juridiques. Or, des références abstraites à la capacité qu’avait le service juridique à
défendre la validité de la DPT ne seraient pas pertinentes, ni pour l’exception protégeant les avis juridiques ni pour l’exception protégeant les « procédures juridictionnelles ». Enfin, la Commission n’aurait pas effectué une évaluation précise et spécifique de la question de savoir si un intérêt public supérieur pourrait justifier la communication de chacun des documents en cause.
44 S’agissant de l’exception relative aux procédures juridictionnelles, la requérante estime que celle-ci n’est pas applicable. Les documents en cause ont été élaborés uniquement dans le cadre de consultations et de délibérations préliminaires en vue de l’adoption de la proposition législative en cause et aucun de ces documents n’a été créé dans le cadre d’une procédure juridictionnelle en instance, close ou future.
45 Quant à la référence faite par la Commission à la procédure de l’OMC, la requérante fait valoir que l’obligation d’interpréter les exceptions de manière restrictive exclut nécessairement cette procédure, car le mécanisme de règlement des litiges de l’OMC ne constitue pas une « juridiction ». En outre, la procédure de l’OMC serait fondée sur un cadre juridique totalement distinct et les documents demandés ne sauraient être pertinents pour une affaire de l’OMC.
46 La Commission conteste le bien-fondé de ces arguments.
47 La Commission estime que, s’agissant de la protection de l’avis juridique, elle a donné suffisamment de raisons expliquant que le document no 1 méritait une protection.
48 S’agissant de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, la Commission fait valoir que cette exception ne peut que s’interpréter comme couvrant, avant et après l’ouverture de la procédure judiciaire, non seulement les documents versés au dossier judiciaire et les documents rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière, mais aussi d’autres documents internes étroitement « apparentés » ou « pertinents » pour les procédures juridictionnelles à
venir ou pendantes, dès lors que la divulgation de ces documents romprait le principe d’égalité des armes et nuirait à la sérénité et au bon déroulement de la procédure juridictionnelle.
49 Il y a lieu de rappeler que, conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le considérant 2 de ce règlement, le droit d’accès du
public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 34 ; du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 68, et du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 72).
50 À cette fin, le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 33 ; du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 69, et du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496,
point 73).
51 Certes, ce droit n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. Plus spécifiquement, et en conformité avec son considérant 11, le règlement no 1049/2001 prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 62 ;
du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P,EU:C:2010:541, points 70 et 71 ; du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 74, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 29).
52 Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, EU:C:2007:75, point 63 ; du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 36 ; du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 73, et du 21 juillet 2011,
Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 75).
53 Cependant, la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception au droit d’accès prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière (arrêts du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 51, et du 13 avril 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commission, T‑2/03, EU:T:2005:125, point 69).
54 En effet, d’une part, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par l’exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 qu’elle invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et
non purement hypothétique (voir arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 76 et jurisprudence citée).
55 D’autre part, lorsqu’une institution applique l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, il lui incombe de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et, notamment, l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible, eu égard aux avantages découlant, ainsi que le relève le considérant 2 du règlement no 1049/2001, d’une transparence accrue, à savoir une meilleure participation des citoyens au processus
décisionnel ainsi qu’une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 45 ; du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 32, et du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 53).
56 Par ailleurs, la Cour a également jugé que ces considérations sont, à l’évidence, d’une pertinence toute particulière lorsque le Conseil agit en sa qualité de législateur, ainsi qu’il résulte du considérant 6 du règlement no 1049/2001, selon lequel un accès plus large aux documents doit être autorisé précisément dans un tel cas. La transparence à cet égard contribue à renforcer la démocratie en permettant aux citoyens de contrôler l’ensemble des informations qui ont constitué le fondement d’un
acte législatif. En effet, la possibilité, pour les citoyens, de connaître les fondements des actions législatives est une condition de l’exercice effectif, par ces derniers, de leurs droits démocratiques (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 46, et du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:671, point 33). Bien que cette jurisprudence concerne une demande d’accès à des documents du Conseil, elle est également
pertinente en ce qui concerne les documents de la Commission établis dans le cadre d’un processus législatif.
Sur la protection des avis juridiques
57 La requérante critique en substance les justifications vagues invoquées par la Commission, justifications qui, selon elle, ont, en tout état de cause, déjà été rejetées par la jurisprudence.
58 S’agissant de l’exception afférente aux avis juridiques prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, il résulte de la jurisprudence que l’examen à effectuer par l’institution concernée lorsque la divulgation d’un document lui est demandée doit nécessairement se dérouler en trois temps correspondant aux trois critères figurant dans cette disposition (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 37, et du
3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 95).
59 Ainsi, dans un premier temps, l’institution doit s’assurer que le document dont la divulgation est demandée concerne bien un avis juridique. Dans un deuxième temps, elle doit examiner si la divulgation des parties du document en question identifiées comme concernant des avis juridiques porte atteinte à la protection dont doivent bénéficier ces derniers, dans le sens qu’elle porterait préjudice à l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et
complets. Le risque d’atteinte à cet intérêt doit, pour pouvoir être invoqué, être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Dans un troisième et dernier temps, si l’institution considère que la divulgation d’un document porterait atteinte à la protection due aux avis juridiques telle qu’elle vient d’être définie, il lui incombe de vérifier qu’il n’existe pas un intérêt public supérieur justifiant cette divulgation, nonobstant l’atteinte qui serait portée à son aptitude à demander
des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets (voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 38 à 44, et du 3 juillet 2014, Conseil/in ’t Veld, C‑350/12 P, EU:C:2014:2039, point 96).
60 La Cour a également jugé que, dans la mesure où la divulgation des avis du service juridique d’une institution émis dans le cadre de procédures législatives serait susceptible de porter atteinte à l’intérêt à la protection de l’indépendance de ce service juridique, ce risque devrait être pondéré par les intérêts publics supérieurs qui sous-tendent le règlement no 1049/2001. Constitue un tel intérêt public supérieur le fait que la divulgation des documents contenant l’avis du service juridique
d’une institution sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à augmenter la transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit démocratique des citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif, tel que visé, en particulier, aux considérants 2 et 6 dudit règlement (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 67).
61 Il ressort des considérations susmentionnées que le règlement no 1049/2001 impose, en principe, une obligation de divulguer les avis du service juridique d’une institution relatifs à un processus législatif (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 68).
62 Ce constat ne fait néanmoins pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif, mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif en cause, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques. Dans un tel cas, il incomberait à l’institution concernée de motiver le refus de façon circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et
Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69).
63 En l’espèce, le Tribunal a pu constater, à la suite de la production des documents dans le cadre de la mesure d’instruction adoptée par l’ordonnance du Tribunal du 11 novembre 2015, que le document no 1 était un avis du service juridique de la Commission.
64 Bien qu’il résulte de l’arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374), que, en principe, un avis juridique doit être divulgué, ledit arrêt n’exclut pas la non-divulgation d’un avis juridique dans des cas spécifiques.
65 En outre, il est certes vrai que la Cour a réfuté l’argument selon lequel la divulgation d’un avis juridique pouvait porter atteinte à la capacité de l’institution à défendre ultérieurement la validité d’un acte législatif devant une juridiction comme un argument d’ordre si général qu’il ne pouvait justifier une exception à la transparence prévue par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 65).
66 Toutefois, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil (C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374), il y a lieu de constater que, en l’espèce, au moment de l’adoption de la décision attaquée, le 24 septembre 2014, un recours introduit fin juin par la requérante, contestant la DPT et impliquant la forte probabilité d’un renvoi préjudiciel, vu les questions juridiques controversées liées à la DPT et l’historique du processus législatif relatif à
l’adoption de la DPT (voir point 91 ci-après), était pendant devant les juridictions du Royaume-Uni.
67 C’est donc à bon droit que la Commission a pu estimer qu’un renvoi préjudiciel était prévisible dans un avenir proche. En outre, la République de Pologne avait introduit, le 22 juillet 2014, devant la Cour de justice de l’Union européenne un recours contestant la validité d’un certain nombre de dispositions de la DPT qui violeraient, selon elle, l’article 114 TFUE, le principe de proportionnalité ainsi que le principe de subsidiarité.
68 De ce fait, l’argument de la Commission tiré de l’atteinte à sa capacité de défendre sa position lors de procédures juridictionnelles et au principe d’égalité des armes n’est pas dépourvu de fondement.
69 En effet, il ressort des parties divulguées du document no 1 que le service juridique était d’avis que, pour certains choix politiques, dont certains avaient été occultés, contenus dans le projet d’analyse d’impact et liés aux produits du tabac, l’Union européenne n’avait pas la compétence pour légiférer ou que ce choix politique n’était pas proportionnel à la lumière de l’article 114 TFUE.
70 Or, la divulgation des parties occultées dans le document no 1 pourrait compromettre la protection des avis juridiques, c’est-à-dire la protection de l’intérêt d’une institution à demander des avis juridiques et à recevoir des avis francs, objectifs et complets ainsi que la position du service juridique de la Commission dans sa défense de la validité de la DPT devant la Cour de justice de l’Union européenne, sur un pied d’égalité avec les autres parties, dans la mesure où elle révélerait la
position de son service juridique sur des questions sensibles et litigieuses avant même d’avoir eu l’opportunité de la présenter pendant la procédure juridictionnelle, alors qu’aucune obligation similaire n’était imposée à l’autre partie.
71 Enfin, en ce qui concerne l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas effectué une évaluation précise et spécifique de la question de savoir si un intérêt public supérieur pourrait justifier la divulgation des documents en cause, il convient de constater qu’il résulte de la décision attaquée que la Commission a donné les motifs afférents à son droit de la défense qui justifiaient de subordonner l’intérêt public lié à la transparence aux motifs sous-jacents à l’exception qu’elle avait
soulevée. Elle a aussi expliqué que l’intérêt de la requérante à obtenir l’accès le plus étendu possible aux documents n’était pas un intérêt public, mais de toute évidence un intérêt privé. Par conséquent, il ne saurait être considéré que la Commission n’a pas réalisé une analyse concrète ou qu’elle n’a pas énoncé les motifs justifiant sa décision.
72 Partant, le grief portant sur la violation de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, visant la protection des avis juridiques, doit être écarté.
Sur la protection des procédures juridictionnelles
73 Ainsi que cela a été mentionné au point 44 ci-dessus, la requérante conteste l’applicabilité de l’exception relative à des procédures juridictionnelles pour les documents nos 3 à 7. En outre, la Commission n’aurait pas expliqué pourquoi une divulgation porterait concrètement et effectivement atteinte à la protection des procédures juridictionnelles.
74 Il y a lieu de rappeler que parmi les exceptions énumérées limitativement à l’article 4 du règlement no 1049/2001 se trouve celle relative à la protection des procédures juridictionnelles.
75 Il ressort de la jurisprudence que l’expression « procédures juridictionnelles » est à interpréter en ce sens que la protection de l’intérêt public s’oppose à la divulgation du contenu des documents rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière (voir arrêts du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, points 88 et 89 et jurisprudence citée, et du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil, T‑63/10, EU:T:2012:516, point 66 et jurisprudence
citée).
76 De même, il a été jugé que, par « documents rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière », il fallait comprendre les mémoires ou actes déposés, les documents internes concernant l’instruction de l’affaire en cours, les communications relatives à l’affaire entre la DG concernée et le service juridique ou un cabinet d’avocats, cette délimitation du champ d’application de l’exception dans ladite affaire ayant pour but de garantir, d’une part, la protection du travail
interne à la Commission et, d’autre part, la confidentialité et la sauvegarde du principe du secret professionnel des avocats (arrêt du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/04, EU:T:2006:190, point 90).
77 En outre, a été reconnue l’existence d’une présomption générale pour les mémoires relevant d’une procédure juridictionnelle prévue par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001, tant que ladite procédure est pendante (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 94).
78 Dans ce contexte, la Cour a considéré que les mémoires déposés devant elle dans le cadre d’une procédure juridictionnelle possédaient des caractéristiques tout à fait particulières, en ce qu’ils participaient, de par leur nature même, à l’activité juridictionnelle de la Cour bien plus qu’à l’activité administrative de la Commission, cette dernière activité n’exigeant pas, par ailleurs, la même étendue d’accès aux documents que l’activité législative d’une institution de l’Union.
79 En effet, selon cette jurisprudence, ces mémoires sont rédigés exclusivement aux fins de ladite procédure juridictionnelle et en constituent l’élément essentiel. C’est par l’acte introductif d’instance que le requérant délimite le litige et c’est en particulier dans le cadre de la phase écrite de cette procédure que les parties fournissent au juge de l’Union les éléments sur lesquels celui-ci est amené à rendre sa décision juridictionnelle (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et
Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 78).
80 La Cour a également considéré que l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles impliquait que fussent assurés le respect du principe d’égalité des armes ainsi que la bonne administration de la justice. En effet, l’accès aux documents par une partie serait susceptible de fausser l’équilibre indispensable entre les parties à un litige, équilibre qui était à la base du principe d’égalité des armes, dans la mesure où seule l’institution concernée par une demande d’accès à des
documents, et non l’ensemble des parties à la procédure, serait soumise à l’obligation de divulgation (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 85 à 87).
81 En outre, la Cour a considéré que la présomption s’opposant à la divulgation des mémoires se justifiait au regard du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et des règlements de procédure des juridictions de l’Union (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 96 à 99).
82 Enfin, la Cour a jugé que la présomption générale évoquée ci-dessus était uniquement applicable à une procédure spécifique pendante. Alors que la divulgation des mémoires déposés dans le cadre d’une procédure juridictionnelle pendante était présumée porter atteinte à la protection de cette procédure, en raison de la circonstance que les mémoires constituaient le fondement sur lequel s’exerçait l’activité juridictionnelle, la Cour a jugé qu’il en allait autrement lorsque la procédure en question
avait été close par une décision juridictionnelle (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 130).
83 Une fois la procédure juridictionnelle terminée, il n’y a plus lieu de présumer que la divulgation des mémoires déposés dans le cadre de ladite procédure peut porter atteinte à la protection de cette procédure. La Cour n’a pas exclu que la divulgation de mémoires concernant une procédure juridictionnelle close, mais liée à une autre procédure encore pendante pût donner lieu à un risque d’atteinte à cette dernière procédure, notamment lorsque les parties à celle-ci n’étaient pas les mêmes que
celles de la procédure close. Toutefois, un tel risque dépend de plusieurs facteurs, dont, notamment, le degré de similitude entre les arguments avancés dans les deux procédures. En effet, si les mémoires de la Commission ne se répétaient que partiellement, une divulgation partielle pourrait suffire pour éviter tout risque d’atteinte à la procédure pendante. Or, dans ces circonstances, seul un examen concret des mémoires concernés dont l’accès est demandé peut permettre à la Commission d’établir
si leur divulgation peut être refusée au titre de l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement no 1049/2001 (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 132 à 135).
84 En l’espèce, il est constant que les documents nos 3 à 7 ont été rédigés au cours des années précédant le début d’une quelconque procédure juridictionnelle. En effet, ainsi qu’il résulte clairement de la décision attaquée, lesdits documents ont été rédigés dans le cadre de consultations et de délibérations préliminaires en vue de l’adoption de la proposition législative en cause. Partant, ils ne sauraient, de ce seul fait, être regardés comme rédigés aux seules fins d’une procédure
juridictionnelle particulière (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil, T‑63/10, EU:T:2012:516, point 76).
85 Cela étant, la Commission demande, dans le cadre de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, une interprétation couvrant également des documents qui ne sont pas rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle, en substance, au motif du principe d’égalité des armes et de son droit de la défense, qui peuvent être affectés par une interprétation restrictive de cette exception. En effet, selon la Commission, si la divulgation des mémoires liés à une procédure
juridictionnelle particulière pourrait compromettre sa position procédurale, il en va de même en ce qui concerne un document révélant au public sa position sur des questions pouvant être l’objet d’un litige futur non encore entamé, mais raisonnablement prévisible.
86 Il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 52 ci‑dessus, les exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001 doivent être interprétées et appliquées strictement.
87 De même, il convient de rappeler que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 2010, Suède e. a./API et Commission (C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541), traite surtout de documents spécifiques, à savoir les mémoires, et de la question de savoir dans quel cas une présomption générale est applicable et dans quel cas un examen concret doit être effectué en ce qui concerne les mémoires.
88 Cependant, il ne résulte pas de la jurisprudence citée ci-dessus que d’autres documents sont exclus, le cas échéant, du champ d’application de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles. En effet, il résulte de cette jurisprudence que le principe d’égalité des armes ainsi que la bonne administration de la justice sont au cœur de cette exception (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 85). Or,
le besoin d’assurer l’égalité des armes devant le juge justifie la protection non seulement des documents rédigés pour les seuls besoins d’un litige particulier, tels les mémoires, mais aussi des documents dont la divulgation est susceptible de compromettre, dans le cadre d’un litige particulier, l’égalité en question, qui constitue un corollaire de la notion même de procès équitable. Toutefois, pour que cette exception puisse s’appliquer, il faut que les documents demandés, au moment de la prise
de la décision refusant l’accès auxdits documents, aient un lien pertinent avec un litige pendant devant le juge de l’Union, pour lequel l’institution concernée invoque l’exception, et que leur divulgation, bien que lesdits documents n’aient pas été élaborés dans le cadre d’une procédure juridictionnelle pendante, porte atteinte au principe d’égalité des armes et potentiellement à la capacité de défense de l’institution concernée dans ladite procédure. En d’autres termes, il faut que les
documents divulguent la position de l’institution concernée sur des questions litigieuses soulevées dans la procédure juridictionnelle invoquée.
89 Les considérations mentionnées ci-dessus peuvent s’appliquer également pour des procédures pendantes devant une juridiction nationale au moment de l’adoption d’une décision refusant l’accès aux documents demandés, à condition qu’elles soulèvent une question d’interprétation ou de validité d’un acte du droit de l’Union de sorte que, eu égard au contexte de l’affaire, un renvoi préjudiciel paraît particulièrement plausible.
90 Dans ces deux cas, bien que lesdits documents n’aient pas été élaborés dans le cadre d’une procédure juridictionnelle particulière, l’intégrité de la procédure juridictionnelle concernée et l’égalité des armes entre les parties pourraient être sérieusement mises à mal si des parties bénéficiaient d’un accès privilégié à des informations internes de l’autre partie ayant un rapport étroit avec les aspects juridiques d’un litige pendant ou potentiel, mais imminent.
91 Il est notoire, à cet égard, que la proposition législative en matière de produits du tabac est l’une des propositions de l’Union les plus discutées parmi celles adoptées récemment. Ainsi, à l’instar de la première directive sur les produits du tabac, qui avait fait l’objet de controverses juridiques opiniâtres, il était donc prévisible que la DPT aurait également été l’objet de telles controverses juridiques.
92 En effet, il s’est avéré que, ainsi que cela a déjà été relevé ci-dessus, au moment de l’adoption de la décision attaquée, un recours contestant la DPT et introduit par la requérante fin juin 2014 était pendant devant les juridictions du Royaume-Uni. En juillet 2014, la République de Pologne avait également introduit devant la Cour de justice de l’Union européenne un recours contestant la validité de nombre de dispositions de la DPT qui violeraient l’article 114 TFUE, le principe de
proportionnalité ainsi que le principe de subsidiarité.
93 C’est donc à bon droit que la Commission a pu estimer, vu l’historique du processus législatif relatif à l’adoption de la DPT, qu’un renvoi préjudiciel était fortement probable dans un avenir proche et, partant, que la divulgation des documents en cause pouvait porter atteinte au principe d’égalité des armes dans la procédure préjudicielle attendue.
94 Il convient donc d’examiner si les documents nos 3 à 7 sont « pertinents » pour les deux procédures juridictionnelles mentionnées ci-dessus et, partant, si la divulgation de ces documents pourrait porter atteinte au principe d’égalité des armes, raison principale invoquée par la Commission pour justifier le refus d’une divulgation complète desdits documents.
95 Il convient de relever que la Commission a accordé un accès intégral ou partiel très étendu à la plupart des documents demandés. De même, il y a lieu de relever que, vu la brièveté des parties occultées dans certains documents, il n’était pas possible pour la Commission d’expliquer plus en détail le contenu de ces documents sans les révéler.
96 Par ailleurs, il y a lieu de constater, à la suite de la production des documents dans le cadre de la mesure d’instruction ordonnée le 11 novembre 2015, que les parties occultées des documents nos 3 à 7 visaient des questions concernant l’emballage et l’étiquetage ainsi que les accords de vente des produits du tabac, questions susceptibles d’être liées à la compétence législative de l’Union, à la base légale choisie et à la proportionnalité de la mesure proposée. En outre, il y a lieu de
constater qu’il s’agit des positions prises par les fonctionnaires des différentes directions générales de la Commission en ce qui concerne la légalité des différents choix envisagés.
97 En effet, le principe d’égalité des armes requiert que l’institution dont émane l’acte incriminé soit en mesure de défendre devant le juge, de manière efficace, la légalité de son action. Or, cette possibilité serait sérieusement mise à mal si l’institution en question était obligée de se défendre non seulement à l’égard des moyens et arguments soulevés par la partie requérante ou, comme en l’espèce, dans le cadre d’une procédure préjudicielle à venir, mais aussi à l’égard des positions prises en
interne sur la légalité des différents choix envisagés dans le cadre de l’élaboration de l’acte en question. En particulier, contrairement à ce qui est le cas des documents qui contiennent les éléments constituant le substrat factuel de l’exercice de la compétence de la Commission, dont la divulgation peut se révéler nécessaire pour satisfaire aux objectifs énoncés au point 30 ci-dessus, la divulgation des documents contenant ce type de positions est de nature à obliger, de fait, l’institution
concernée à se défendre contre des appréciations de son propre personnel, qui n’ont finalement pas été retenues. Cette circonstance est susceptible de rompre l’équilibre entre les parties à une procédure juridictionnelle, dans la mesure où la partie requérante ne pourrait pas être obligée de divulguer des appréciations internes de ce type (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 87).
98 Partant, la divulgation de tels documents au public alors qu’il y a une procédure juridictionnelle en cours portant sur l’interprétation et la légalité de l’acte en cause pourrait compromettre la position de défense de la Commission ainsi que le principe d’égalité des armes, dans la mesure où elle communiquerait déjà les positions internes de nature juridique émanant de ses services sur des questions litigieuses alors qu’aucune obligation similaire ne serait imposée à l’autre partie.
99 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen. En outre, étant donné que la Commission s’est fondée sur plusieurs exceptions et que l’invocation de l’exception relative à la protection des avis juridiques était justifiée pour le document no 1 et celle relative à la protection des procédures juridictionnelles pour les documents nos 3 à 7, il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé du troisième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 3, du règlement
no 1049/2001, concernant l’exception relative à la protection du processus décisionnel, lequel ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.
100 Il en résulte que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
101 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Philip Morris Ltd est condamnée aux dépens.
Gratsias
Kancheva
Wetter
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2016.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.