ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
9 septembre 2020 ( *1 )
« Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Cotisation au système de garantie des dépôts ou au fonds de résolution unique au moyen des engagements de paiement irrévocables – Missions confiées à la BCE – Pouvoirs de surveillance spécifiques de la BCE – Article 4, paragraphe 1, sous f), et article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) no 1024/2013 – Mesure imposant la déduction du montant cumulé des encours des
engagements de paiement irrévocables sur les fonds propres de base de catégorie 1 – Absence d’examen individuel »
Dans les affaires T‑150/18 et T‑345/18,
BNP Paribas, établie à Paris (France), représentée par Mes A. Gosset-Grainville, M. Trabucchi et M. Dalon, avocats,
partie requérante,
contre
Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mme E. Koupepidou, MM. R. Bax et F. Bonnard, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision ECB/SSM/2017-R0MUWSFPU8MPRO8K5P83/248 de la BCE, du 19 décembre 2017, de la décision ECB-SSM-2018-FRBNP-17 de la BCE, du 26 avril 2018, et de la décision ECB-SSM-2019-FRBNP-12 de la BCE, du 14 février 2019,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),
composé de MM. E. Buttigieg, faisant fonction de président, F. Schalin (rapporteur), B. Berke, Mme M. J. Costeira et M. C. Mac Eochaidh, juges,
greffier : Mme M. Marescaux, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 septembre 2019,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1 À la suite de la crise financière de 2008, ayant donné lieu à la crise de la zone euro, un nouveau cadre réglementaire visant à assurer la stabilité et la sécurité de l’activité bancaire dans l’Union européenne et complétant l’union économique et monétaire et le marché intérieur a été mis en place. Ce nouveau cadre se caractérise par un corpus réglementaire unique applicable de manière identique aux établissements de crédit de tous les États membres concernés. L’union bancaire repose sur trois
piliers, en l’occurrence un mécanisme de surveillance unique, un mécanisme de résolution unique et un système européen de garantie des dépôts.
2 La directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338), et le règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux
établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1, rectificatifs JO 2013, L 208, p. 68, et JO 2013, L 321, p. 6), font partie du corpus réglementaire unique mentionné au point 1 ci-dessus et forment ensemble le cadre juridique régissant les activités bancaires, le cadre de surveillance et les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement. Le règlement no 575/2013 prévoit
que les établissements de crédit sont tenus de posséder un certain pourcentage de fonds propres en fonction de leur profil de risque. Parmi ces fonds propres, il existe les fonds propres de base de catégorie 1 (Common Equity Tier 1, CET 1), à savoir ceux destinés à assurer la continuité des activités d’un établissement de crédit et à prévenir les situations d’insolvabilité.
3 Les exigences prudentielles générales énoncées par le règlement no 575/2013 sont complétées par des dispositifs individuels à l’égard desquels les autorités compétentes devront adopter des décisions dans le cadre de la surveillance continue qu’elles exercent sur chaque établissement de crédit et entreprise d’investissement.
4 Le mécanisme de surveillance unique établi par le règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63) (le premier pilier de l’union bancaire mentionné au point 1 ci-dessus), a pour but de garantir la sécurité et la solidité des établissements de crédit. Ledit règlement donne compétence à la Banque centrale
européenne (BCE) pour remplir les missions de surveillance prudentielle mentionnées à son article 4, paragraphe 1. Conformément à l’article 6 du même règlement, la BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre du mécanisme de surveillance unique, composé d’elle-même et des autorités compétentes nationales. La BCE est en particulier compétente pour assurer la surveillance prudentielle des établissements de crédit de la zone euro classés comme « importants ».
5 Conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1024/2013, la BCE est tenue d’appliquer toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union aux fins de l’accomplissement des missions qui lui sont confiées. À cette fin, la BCE soumet ses décisions au respect « de tout acte législatif ou non législatif, y compris ceux visés aux article 290 et 291 TFUE » et « [e]lle est, en particulier, soumise aux normes techniques contraignantes de réglementation et d’exécution élaborées par
l’[Autorité bancaire européenne (ABE)] et adoptées par la Commission conformément aux articles 10 à 15 du règlement no 1093/2010, à l’article 16 dudit règlement, et aux dispositions dudit règlement relatives au manuel de surveillance européen élaboré par l’ABE conformément à ce règlement ».
6 Les autorités compétentes sont tenues, conformément à l’article 97 de la directive 2013/36, de mettre en place un processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP), afin notamment de déterminer « si les dispositions, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par les établissements et les fonds propres et liquidités qu’ils détiennent assurent une gestion et une couverture saines de leurs risques ».
7 De plus, conformément à l’article 107, paragraphe 3, de la directive 2013/36, l’Autorité bancaire européenne (ABE), instituée par le règlement (UE) no 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne), modifiant la décision no°716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/78/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 12), a établi le 19 décembre 2014 les orientations sur les procédures et les méthodologies
communes à appliquer dans le cadre du SREP (ABE/GL/2014/13).
8 Le mécanisme de résolution unique (qui relève du deuxième pilier mentionné au point 1 ci-dessus), tel qu’instauré par le règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement no 1093/2010 (JO 2014, L 225,
p. 1), prévoit la création d’un fonds de résolution unique auquel doivent contribuer les établissements de crédit. En outre, fait également partie du cadre juridique pertinent la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE,
2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36 et les règlements du Parlement européen et du Conseil no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190). Cette directive prévoit un régime spécifique de prévention et de gestion des défaillances bancaires. Elle impose notamment la création, dans chaque État membre, d’un dispositif destiné à financer la résolution au plan national, à savoir le fonds de résolution national, auquel doivent contribuer les
établissements de crédit de l’État membre concerné.
9 Le troisième pilier de l’union bancaire (voir point 1 ci-dessus), à savoir la création d’un système européen de garantie des dépôts, n’est pas encore achevé. A néanmoins été adoptée la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149), qui vise à renforcer la protection des déposants en instaurant un système de garantie préfinancé dans chaque État membre. Ce système assure à chaque déposant que son
épargne sera intégralement préservée à concurrence d’un montant maximal de 100000 euros.
10 En ce qui concerne le financement du fonds de résolution unique et des systèmes de garantie des dépôts instaurés dans le cadre des deuxième et troisième piliers, il importe de souligner que les cotisations que les établissements de crédit sont tenus de verser au fonds de résolution unique et au système de garantie des dépôts peuvent être payées soit par le biais d’un versement immédiat, soit par le biais d’un engagement de paiement irrévocable (ci-après l’« EPI »).
11 L’article 70, paragraphe 3, du règlement no 806/2014 prévoit ainsi que les établissements de crédit qui choisissent de cotiser en recourant à un EPI prennent l’engagement de verser le montant de la contribution au fonds de résolution unique et au système de garantie des dépôts à la première demande.
12 Selon l’article 70, paragraphe 3, du règlement no 806/2014, les EPI doivent être entièrement garantis par des actifs à faible risque non grevés de droits de tiers (mis à la libre disposition des autorités de résolution ou du système de garantie des dépôts) et pouvant être liquidés à bref délai. Cette exigence figure également à l’article 103, paragraphe 3, de la directive 2014/59 et à l’article 13, paragraphe 3, du règlement délégué (UE) 2015/63 de la Commission, du 21 octobre 2014, complétant la
directive 2014/59 en ce qui concerne les contributions ex ante aux dispositifs de financement pour la résolution (JO 2015, L 11, p. 44). La garantie prend en pratique la forme d’un dépôt d’espèces d’un montant équivalent à celui de l’EPI, mis à libre disposition des autorités de résolution ou du système de garantie des dépôts, ainsi qu’il résulte d’une décision prise par le Conseil de résolution unique, en 2016, et du droit français transposant la directive 2014/49.
13 Enfin, il y a lieu de mentionner que l’ABE a établi le 11 septembre 2015 des orientations sur les engagements de paiement au titre de la directive 2014/49 (EBA/GL/2015/09) (ci-après les « orientations sur les engagements de paiement »).
14 Les orientations sur les engagements de paiement, auxquelles la BCE a déclaré se conformer, confirment que, en certaines circonstances, les EPI sont susceptibles de faire l’objet de mesures prudentielles. En effet, il ressort des points 31 à 33 desdites orientations ce qui suit :
« 31. Le traitement prudentiel des engagements de paiement devrait viser à garantir des conditions de concurrence équitables et à atténuer l’effet procyclique de tels engagements selon leur traitement comptable.
32. Si, suite au traitement comptable, l’engagement de paiement figure dans le bilan (en tant que passif) ou le contrat de sûreté figure dans le compte de profits et pertes, il n’y a pas lieu d’appliquer un traitement prudentiel ad hoc afin d’atténuer les effets procycliques.
33. Si, au contraire, suite au traitement comptable, l’engagement de paiement et le contrat de sûreté ne figurent pas dans le bilan, dans le cadre du [SREP], les autorités compétentes devraient évaluer les risques auxquels seraient exposées les positions de fonds propres et de liquidité d’un établissement de crédit, si le [système de garantie des dépôts] exige que l’établissement paie l’engagement en espèces, et exercer les pouvoirs appropriés afin de garantir que l’effet procyclique est atténué
par des exigences supplémentaires de fonds propres/liquidité. »
Faits à l’origine du litige
15 La requérante, BNP Paribas, est une entité importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 et relève de la surveillance prudentielle directe de la BCE depuis le 4 novembre 2014.
16 Le 14 septembre 2017, la BCE a adressé à la requérante un projet de décision au terme du SREP portant, notamment, sur l’EPI. Ce projet comportait notamment l’exigence prudentielle que le montant cumulé des encours d’EPI fût déduit des fonds propres de base de catégorie 1. La requérante a été invitée à se prononcer sur ce projet.
17 Par courrier du 29 septembre 2017, la requérante a présenté ses observations.
18 Le 19 décembre 2017, la BCE a adopté la décision ECB/SSM/2017-R0MUWSFPU8MPRO8K5P83/248, prise en application de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16 du règlement no 1024/2013, imposant que les montants cumulés des EPI souscrits envers les systèmes de garantie des dépôts ou les fonds de résolution soient déduits des fonds propres de base de catégorie 1 (ci-après la « décision du 19 décembre 2017 »).
19 La requérante a formé un recours contre la décision du 19 décembre 2017 devant la commission administrative de réexamen de la BCE, qui a rendu un avis le 19 mars 2018.
20 Le 26 avril 2018, la BCE a décidé, à la suite de l’avis de la commission administrative de réexamen, de remplacer la décision du 19 décembre 2017 par la décision ECB-SSM-2018-FRBNP-17 (ci-après la « décision du 26 avril 2018 »). La section de cette décision portant sur les EPI est restée inchangée.
Procédure et conclusions des parties
21 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er mars 2018, la requérante a introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision du 19 décembre 2017, enregistré sous le numéro d’affaire T‑150/18.
22 Le mémoire en défense, la réplique et la duplique dans l’affaire T‑150/18 ont été déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 30 mai, le 7 septembre et le 24 octobre 2018.
23 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juin 2018, la requérante a introduit un recours en annulation à l’encontre la décision du 26 avril 2018, enregistré sous le numéro d’affaire T‑345/18.
24 Le mémoire en défense, la réplique et la duplique dans l’affaire T‑345/18 ont été déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 26 juillet, le 20 septembre et le 5 novembre 2018.
25 Sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer les affaires T-150/18 et T-345/18 devant une formation de jugement élargie.
26 Le 23 avril 2019, à la suite de l’adoption de la décision ECB-SSM-2019-FRBNP-12 de la BCE, du 14 février 2019, qui a remplacé la décision du 26 avril 2018 à compter du 1er mars 2019 et qui a imposé la même mesure de déduction (ci-après la « décision du 14 février 2019 »), la requérante a déposé au greffe du Tribunal un mémoire en adaptation dans lequel elle conclut également à l’annulation partielle de la décision du 14 février 2019, sur le fondement des mêmes motifs que ceux invoqués dans la
requête à l’encontre de la décision du 26 avril 2018.
27 Par décision du président du Tribunal du 23 avril 2019, les présentes affaires ont été attribuées à un nouveau juge rapporteur, siégeant dans la deuxième chambre.
28 Par courrier du 17 mai 2019, la BCE a présenté ses observations sur le mémoire en adaptation et a conclu au rejet du recours dans son ensemble.
29 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
30 Par décision du 5 août 2019, le président de la deuxième chambre élargie a décidé de joindre les affaires aux fins de la phase orale de la procédure.
31 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 septembre 2019.
32 Dans l’affaire T‑150/18, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les points 9.1 à 9.3 de la décision du 19 décembre 2017 ;
– condamner la BCE aux dépens.
33 Dans l’affaire T‑150/18, la BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
34 Dans l’affaire T‑345/18, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les points 9.1 à 9.3 de la décision du 26 avril 2018 ;
– annuler les points 8.1 à 8.4 de la décision du 14 février 2019 ;
– condamner la BCE aux dépens.
35 Dans l’affaire T‑345/18, la BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
Décisions attaquées
36 Ainsi qu’il ressort des points 18, 20 et 26 ci-dessus, dans la décisions du 19 décembre 2017, celle du 26 avril 2018 et celle du 14 février 2019 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), la BCE a imposé à la requérante de déduire un montant équivalent à celui des EPI souscrits envers les systèmes de garantie des dépôts ou les fonds de résolution des fonds propres de base de catégorie 1.
37 Dans les décisions attaquées, la BCE a estimé qu’il était nécessaire de garantir une couverture solide des risques auxquels les EPI, étant traités comme des éléments hors bilan, exposaient la requérante. Au point 8.2 de la décision du 14 février 2019, elle a précisé le montant de la déduction par l’application de la formule suivante : CET1aj = CET1non aj – c. Dans ladite formule, « CET1aj » désignait les fonds propres de base de catégorie 1 de l’entité soumise à la surveillance prudentielle
concernée après l’ajustement, « CET1non aj » les fonds propres de base de catégorie 1 de cette entité avant l’ajustement et « c » le montant le plus faible entre, d’une part, la juste valeur des actifs grevés ou des garanties en espèces fournis afin de garantir le montant cumulé des encours d’EPI de l’entité soumise à la surveillance prudentielle concernée et, d’autre part, le montant nominal des encours totaux d’EPI de l’entité soumise à la surveillance prudentielle concernée qu’ils
garantissaient.
38 À cet égard, la BCE s’est appuyée, ainsi qu’il résulte du point 8.3 de la décision du 14 février 2019, sur les motifs suivants :
« [L]es garanties en espèces fournies afin de garantir les EPI sont indisponibles jusqu’à ce que le paiement soit effectué à la demande de l’autorité de résolution ou du système de garantie des dépôts :
– si un tel paiement est effectué, les encours d’EPI sont comptabilisés comme des charges ayant une incidence négative sur les fonds propres de base de catégorie 1, signifiant que les garanties en espèces fournies ne deviendront disponibles que lorsque le paiement en espèces aura déjà eu une incidence sur les fonds propres de base de catégorie 1 ;
– si un tel paiement n’est pas effectué, l’autorité de résolution ou le système de garantie de dépôt utilisera les garanties en espèces fournies, ce qui aura une incidence négative directe sur les fonds propres de base de catégorie 1.
Par conséquent, […] les garanties en espèces ne seront jamais disponibles pour couvrir des pertes que l’entité soumise à la surveillance prudentielle pourrait régulièrement subir. En outre, l’autorité de résolution et le système de garantie des dépôts sont tous deux susceptibles d’imposer l’exécution des EPI lorsqu’un établissement de crédit particulier fait l’objet d’une procédure de résolution ou de liquidation de sorte qu’un paiement en espèces des encours d’EPI sera alors comptabilisé comme
une perte ayant une incidence négative sur les fonds propres de base de catégorie 1, ce qui peut se produire au cours d’une période de tensions systématiques s’accompagnant de possibles effets procycliques. Le montant pour lequel des garanties en espèces sont fournies devrait donc être considéré comme n’étant pas disponible pour couvrir les pertes de l’établissement de crédit concerné. Actuellement, cela n’apparaît pas dans les fonds propres de base de catégorie 1 de l’entité soumise à la
surveillance prudentielle, ce qui, par conséquent, ne donne pas un aperçu exact de sa solidité financière réelle et des risques qu’elle encourt s’agissant de l’utilisation des EPI. »
39 Les parties s’accordent sur le fait que la décision du 14 février 2019 est en substance identique aux décisions du 19 décembre 2017 et du 26 avril 2018 s’agissant tant du dispositif que des motifs avancés à son soutien.
40 La BCE a ainsi conclu que le recours aux EPI donnait lieu à la situation problématique visée à l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 et que, afin de remédier à ce problème, elle pouvait exercer les pouvoirs que lui conférait l’article 16, paragraphe 2, sous d), de ce règlement pour exiger de tout destinataire de ces décisions qu’il appliquât à ses actifs une politique spéciale de provisionnement ou un traitement spécial en termes d’exigences de fonds propres.
En droit
41 Les parties ayant été entendues sur ce point lors de l’audience, le Tribunal décide de joindre les présentes affaires aux fins de la décision mettant fin à l’instance, conformément à l’article 68 du règlement de procédure.
42 Dans le cadre des présents recours, visant à l’annulation partielle des décisions attaquées, la requérante avance quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’un défaut de base légale en ce que la BCE aurait imposé une exigence prudentielle de portée générale alors que ce pouvoir est réservé au législateur. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur de droit résultant d’une interprétation erronée des dispositions du droit de l’Union permettant le recours aux EPI et d’une privation d’effet utile de ces
dispositions. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur d’appréciation et de la violation du principe de bonne administration.
43 Le premier moyen, tiré d’un défaut de base légale, s’articule autour de deux griefs. Dans le cadre du premier grief, la requérante fait valoir, en substance, que, au vu des règles qui encadrent la mise en œuvre par la BCE de sa mission de surveillance prudentielle, les décisions attaquées posent une exigence prudentielle nouvelle de portée générale. La BCE n’aurait procédé à aucune évaluation des risques de solvabilité et de liquidité de la requérante et n’aurait pas apprécié le profil de risque
de la requérante.
44 Le second grief repose sur le fait que la BCE a excédé les pouvoirs prévus par l’article 4, paragraphe 1, sous f), et l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013. En premier lieu, la requérante soutient que l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 a été violé au motif que la BCE n’a pas établi en quoi les dispositifs, les stratégies, les processus et les mécanismes qu’elle avait mis en œuvre de même que les fonds propres et les liquidités qu’elle détenait
n’assuraient pas une gestion saine et une couverture de ses risques, la BCE se limitant à dresser la liste de considérations de nature générale et vague. En deuxième lieu, elle avance que l’article 4, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1024/2013 prévoit que la BCE ne peut imposer aux établissements de crédit des exigences spécifiques de fonds propres supplémentaires que lorsque des dispositions des règlements concernés et de la directive 2013/36 permettent expressément aux autorités
compétentes d’agir. Or, aucune disposition ne permettrait aux autorités compétentes d’imposer une exigence de capital additionnelle par le biais d’une déduction forfaitaire au titre d’éléments hors bilan. La déduction intégrale et permanente des EPI n’est en effet pas prévue par la réglementation applicable. La déduction des fonds propres n’est prévue qu’à l’article 36 du règlement no 575/2013. En troisième lieu et en tout état de cause, la déduction ne pourrait être appliquée, en vertu de
l’article 104, paragraphe 1, sous d), de la directive 2013/36 et de l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, qu’à des éléments d’actifs, et non à des éléments hors bilan. Les orientations du SREP prévoiraient la possibilité d’imposer une exigence de capital supplémentaire soit par une exigence additionnelle de fonds propres, soit par des mesures prévues à l’article 104 de la directive 2013/36, à savoir un traitement des actifs inscrits au bilan.
45 La BCE réfute ce moyen. Concernant le premier grief, elle souligne n’avoir imposé aucune règle nouvelle et générale et fait valoir que le traitement prudentiel des EPI est étranger aux textes régissant ces derniers (la directive 2014/49 et le règlement no 806/2014). Les décisions attaquées auraient été adoptées dans le cadre du processus de surveillance et d’évaluation prudentielle défini à l’article 4, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1024/2013 et en respectant l’article 16, paragraphe l,
sous c), du même règlement. Dans ce cadre, elle réfute l’absence d’examen individuel, en soulignant que le niveau de fonds propres n’influe pas sur l’existence du risque qui justifie les décisions attaquées, ce risque étant que les fonds propres de base de catégorie 1 réellement disponibles ne mettent pas la requérante en position de couvrir un niveau de risque équivalent à celui qui devrait être couvert par les fonds propres de base de catégorie 1 tels qu’ils figurent dans son bilan.
46 En outre, les décisions attaquées ne seraient qu’un faisceau de décisions individuelles opposables aux seuls destinataires, fixant des exigences propres à chaque entité, et dont les effets différeraient pour chacune d’elles. De plus, les établissements de crédit étant exposés à des risques identiques, les mesures devraient logiquement être formulées de façon identique.
47 Quant au second grief, la BCE réfute avoir excédé les pouvoirs dont la réglementation l’a dotée, en avançant qu’elle a fait un usage correct de ses prérogatives pour mettre l’établissement de crédit en position de couvrir correctement les risques auxquels il s’exposait. La mesure en cause serait fondée sur l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements
de crédit. En effet, selon la BCE, l’examen de la situation individuelle de la requérante avait mis en évidence que certains risques auxquels elle était exposée n’étaient pas correctement couverts. Un tel constat suffirait à démontrer que la requérante était dans l’une des situations visées par cet article et justifierait qu’une mesure fût imposée pour y remédier.
48 En outre, l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013 lui permettrait d’imposer « un traitement spécial en termes d’exigence de fonds propres » et la déduction d’EPI constituerait un tel traitement. Partant, la mesure de déduction s’inscrivant dans le cadre du second pilier, la référence que fait la requérante à l’article 36 du règlement no 575/2013 et à la liste de déductions des fonds propres de base de catégorie 1 que cet article établit serait dénuée de pertinence. Enfin,
selon la BCE et contrairement à ce que prétend la requérante, les EPI en tant qu’éléments hors bilan peuvent faire l’objet de mesures prudentielles. Elle se réfère à cet égard, notamment, aux orientations de l’ABE qui lui enjoignent de prendre des mesures appropriées pour couvrir le risque procyclique si l’engagement de paiement et la garantie l’accompagnant ne figurent pas dans le bilan. Selon la BCE, l’ABE considère qu’aucun risque procyclique n’est encouru dans la seule hypothèse où les EPI
font l’objet d’un traitement comptable identique à celui d’une contribution en espèces. La BCE rappelle également que la garantie qui accompagne l’EPI constitue un actif enregistré au bilan de l’établissement. Ledit engagement se refléterait donc dans la garantie qui l’accompagne, ce qui impliquerait qu’ils doivent être traités comme un ensemble indissociable.
Sur le premier grief, relatif à une éventuelle absence de base légale
49 En termes d’exigences prudentielles, à l’instar des parties au présent litige, il y a lieu de faire une distinction entre, d’une part, les obligations de nature réglementaire, également dénommées, dans ce cadre, « pilier 1 », et, d’autre part, les mesures prudentielles additionnelles, dénommées quant à elle, dans ce cadre, « pilier 2 ».
50 Ainsi, les exigences prudentielles minimales générales sont fixées par le législateur et figurent principalement dans le règlement no 575/2013, conformément à ce qui a déjà été mentionné au point 2 ci-dessus. Ledit règlement fixe des exigences en matière de fonds propres applicables à l’ensemble des établissements de crédit assujettis. Il en découle que chaque établissement doit disposer, à tout moment, d’un niveau suffisant de fonds propres. En outre, en ce qui concerne les fonds propres de base
de catégorie 1, le règlement no 575/2013 définit les instruments qui peuvent être classés parmi ces fonds et exige que les établissements de crédit appliquent les filtres prudentiels mentionnés aux articles 32 à 35 de ce règlement, consistant notamment à exclure certains éléments, à corriger leur valeur ou à déduire des fonds propres de base de catégorie 1 les éléments énumérés aux articles 36 à 47 du même règlement.
51 De façon concrète, l’article 26, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 575/2013 énumère les éléments de fonds propres de base de catégorie 1 comme étant les suivants : « a) les instruments de capital […] ; b) les comptes des primes d’émission liés aux instruments [de capital] ; c) les résultats non distribués ; d) les autres éléments du résultat global accumulés ; e) les autres réserves ; f) les fonds pour risques bancaires généraux ». Ces fonds propres de base de catégorie 1 représentent
ceux parmi les plus solides dont dispose l’établissement de crédit et ils sont utilisables immédiatement et sans restriction.
52 L’article 36 du règlement no 575/2013 prévoit que plusieurs éléments doivent être déduits des fonds propres de base de catégorie 1, dont, notamment, les résultats négatifs de l’exercice en cours, les immobilisations incorporelles, les actifs d’impôt différé dépendant de bénéfices futurs et les participations dans d’autres établissements de crédit ou financiers.
53 À côté de ces ajustements prudentiels applicables de façon générale à l’ensemble des établissements de crédit, le droit de l’Union autorise le superviseur, en l’occurrence la BCE, à imposer d’autres mesures, au cas par cas et compte tenu de la situation particulière de chaque établissement, notamment dans le cadre de sa mission consistant à mener des contrôles prudentiels conformément à l’article 4, paragraphe 1), sous f), du règlement no 1024/2013.
54 En ce qui concerne la question de savoir si la BCE a outrepassé sa compétence en ce qu’elle aurait imposé une exigence prudentielle de portée générale, il y a lieu de relever qu’il est constant que la BCE n’a pas de pouvoir réglementaire dans le cadre du premier pilier, qui concerne les obligations de nature réglementaire, ce pouvoir étant de la compétence exclusive du législateur de l’Union.
55 En effet, la compétence de la BCE est subordonnée, dans le cadre de ses missions de surveillance prudentielle, notamment celle qu’elle exerce en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1024/2013, à la réalisation d’un examen individuel afin de vérifier l’adéquation des fonds propres des entités supervisées directement avec les risques auxquels elles sont ou pourraient être exposées. Une fois ces vérifications effectuées, la BCE peut, sur la base des vulnérabilités et des
faiblesses recensées, imposer des mesures correctives.
56 À cet égard, il y a lieu de constater que, lors de l’adoption des décisions attaquées, la BCE s’est inscrite dans le cadre des contrôles et des évaluations prudentiels relevant du second pilier. En effet, premièrement, dans la partie introductive des décisions attaquées, la BCE a indiqué avoir exercé la surveillance prudentielle au titre de l’article 4, paragraphe l, sous f), du règlement no 1024/2013. En vertu de cette disposition, la BCE s’est vu conférer la compétence exclusive pour exercer la
mission consistant à mener des contrôles prudentiels visant à déterminer si les dispositifs, les stratégies, les processus et les mécanismes mis en place par les établissements de crédit et les fonds propres qu’ils détiennent garantissent la bonne gestion et la couverture de leurs risques et, sur la base de ce contrôle prudentiel, imposer aux établissements de crédit notamment des exigences spécifiques de fonds propres supplémentaires, des exigences spécifiques de liquidité et d’autres mesures
lorsque les dispositions pertinentes du droit de l’Union permettent expressément aux autorités compétentes d’agir.
57 Deuxièmement, il ressort des points consacrés aux EPI dans les décisions attaquées et visés par la demande en annulation partielle, à savoir le point 9 de la décision du 19 décembre 2017, le point 9 de la décision du 26 avril 2018 et le point 8 de la décision du 14 février 2019, que la BCE s’est fondée sur deux dispositions pour imposer la déduction des EPI des fonds propres de base de catégorie 1.
58 Il s’agit, d’une part, de l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013. Celui-ci prévoit que, pour l’accomplissement des missions visées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1024/2013, la BCE dispose de pouvoirs, tels qu’énoncés à l’article 16, paragraphe 2, du même règlement, l’habilitant à exiger des établissements de crédit qu’ils prennent les mesures nécessaires pour remédier aux problèmes constatés dans certaines situations. Parmi ces situations, il y a celle où,
dans le cadre d’un examen prudentiel effectué en application de l’article 4, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1024/2013, la BCE constate que les dispositifs, les stratégies, les processus et les mécanismes mis en œuvre par l’établissement de crédit, de même que les fonds propres et les liquidités que ce dernier détient, n’assurent pas une gestion saine et une couverture de ses risques.
59 Il s’agit, d’autre part, de l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, qui sert de fondement au point 9 des décisions du 19 décembre 2019 et du 26 avril 2018 et au point 8 de la décision du 14 février 2019. Cette disposition prévoit que la BCE est investie, en particulier, du pouvoir d’exiger des établissements qu’ils appliquent à leurs actifs une politique spéciale de provisionnement ou un traitement spécial en termes d’exigences de fonds propres.
60 Il s’ensuit que la démarche de la BCE s’est inscrite dans le cadre de ses pouvoirs de surveillance prudentielle relevant du second pilier. En conséquence, la mesure adoptée par la BCE n’est pas dépourvue de base légale. Partant, dans la mesure où la requérante, par le premier grief du premier moyen, a mis en cause l’absence de base légale, celui-ci doit être rejeté.
Sur le seconde grief, relatif à une éventuelle absence d’examen individuel
61 Dans le cadre du second grief, il convient de vérifier si la BCE a correctement exercé, en l’espèce, les pouvoirs qui lui sont confiés en vertu du second pilier. À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 58 et 59 ci-dessus, afin d’exercer ses pouvoirs au titre de l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, la BCE doit procéder à un examen individuel de la situation de chaque établissement de crédit afin de pouvoir évaluer si « les dispositifs, stratégies, processus et
mécanismes mis en œuvre par l’établissement de crédit, et les fonds propres et liquidités que ce dernier détient, n’assurent pas une gestion saine et une couverture de ses risques ».
62 À cet égard, il convient d’examiner, en s’appuyant sur le raisonnement figurant dans les décisions attaquées, comment la BCE a exercé, en l’espèce, ses pouvoirs de contrôle et d’évaluation prudentielle à l’égard de la requérante.
63 Il résulte du raisonnement suivi en l’espèce par la BCE, tel que repris au point 38 ci-dessus, que le risque qu’elle a identifié était la surévaluation des fonds propres de base de catégorie 1, risque trouvant son origine dans le fait que les EPI sont traités comme un élément hors bilan, qu’ils ne sont donc pas inscrits au passif du bilan de l’établissement de crédit et que la garantie attachée aux EPI est indisponible jusqu’au paiement des EPI.
64 En effet, lorsqu’un établissement de crédit souscrit un EPI, les fonds propres de base de catégorie 1 de cet établissement restent à un niveau inchangé. Pour autant, les sommes transférées au titre de la garantie ne peuvent plus être mobilisées pour couvrir en continuité les pertes éventuelles de l’activité.
65 Étant donné que le risque réside, selon la BCE, dans la différence entre le montant affiché par l’établissement en cause de ses fonds propres de base de catégorie 1 et le montant réel des pertes qu’il est capable de supporter, la BCE, dans son rôle de superviseur prudentiel, a estimé, ainsi qu’il résulte des décisions attaquées résumées aux points 38 et 40 ci-dessus, qu’une telle situation ne donnait pas un aperçu exact de la solidité financière réelle de l’établissement de crédit concerné, ni
des risques que celui-ci encourait s’agissant de l’utilisation des EPI.
66 Force est de constater que le raisonnement tenu par la BCE ne procède pas d’une pure abstraction, puisqu’il s’appuie sur le constat que la requérante a recouru aux EPI et qu’elle traite ces EPI comme des éléments hors bilan.
67 Eu égard, notamment, à l’importance des fonds propres de base de catégorie 1 dans la solidité financière des établissements et, plus globalement, dans la stabilité du secteur financier, l’existence du risque ainsi identifié par la BCE ne peut pas être niée, et ce risque est par ailleurs confirmé par les orientations sur les engagements de paiement de l’ABE. En effet, il ressort de ces orientations (voir point 14 ci-dessus) que les autorités compétentes, y inclus la BCE, doivent évaluer, dans le
cadre du SREP, les risques auxquels seraient exposées les positions de fonds propres et de liquidité d’un établissement de crédit traitant ses EPI hors bilan.
68 Au demeurant, à cet égard, il y a lieu de constater que les parties s’accordent sur le fait que, sur le plan du traitement comptable, les EPI sont généralement comptabilisés, comme en l’espèce, en tant qu’éléments hors bilan et ne seront enregistrés dans le bilan en tant que perte, diminuant d’autant les fonds propres de base de catégorie 1, qu’au moment où l’établissement de crédit sera tenu de verser la somme à l’un des fonds concernés.
69 En outre, il y a lieu de constater que ce ne sont pas les EPI en tant que tels qui font l’objet de la mesure de déduction en cause, mais les sommes placées en garantie, ainsi qu’il découle également du point 8.2 de la décision du 14 février 2019. Les sommes placées en garantie constituent généralement un actif enregistré au bilan de l’établissement de crédit. En effet, les garanties des EPI sont obligatoirement des actifs liquides présentant un faible risque. Celles-ci prennent en pratique la
forme d’un dépôt d’espèces d’un montant équivalent à celui des EPI, mis à la libre disposition des autorités de résolution ou du système de garantie des dépôts. Autrement dit, les EPI se reflètent dans sa garantie et ces deux éléments ont un lien indissociable et ne peuvent donc pas s’envisager séparément.
70 Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, la BCE a pu considérer, sans commettre d’erreur de droit sur ce point, que le traitement prudentiel des EPI, et donc de la garantie qui lui est indissociable, pouvait donner lieu à la mise en œuvre de l’une des mesures prévues à l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, et ce nonobstant le fait que, sur un plan comptable, les EPI en tant que tels sont comptabilisés comme éléments hors bilan.
71 Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la requérante tenant au fait que, les EPI étant traités hors bilan, ils ne peuvent pas, de ce fait, être visés par la politique spéciale prévue à l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013.
72 Cela étant, il convient d’examiner si, en l’espèce, la BCE a procédé à l’examen individuel que lui imposait l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 (voir point 61 ci-dessus) du profil de risque de la requérante et, plus concrètement, si les dispositifs, les stratégies, les processus et les mécanismes que cette dernière avait mis en œuvre et les fonds propres et les liquidités qu’elle détenait ne lui permettaient pas de faire face au risque ainsi identifié résultant du
traitement comptable des EPI comme des éléments hors bilan et de l’indisponibilité de la garantie attachée à ceux-ci.
73 À cet égard, la requérante et la BCE ont des opinions opposées en ce qui concerne l’examen effectué par cette dernière.
74 La BCE avance qu’elle a examiné l’ensemble des circonstances pertinentes. En revanche, la requérante estime que le raisonnement de la BCE est fondé uniquement sur des considérations d’ordre général, et non sur un quelconque examen in concreto qui aurait eu pour objet, notamment, d’évaluer le profil de risque d’un établissement en particulier. Selon la requérante, un tel examen, s’il avait été conduit, aurait démontré que le montant des fonds propres de base de catégorie 1 dont elle disposait
était suffisant pour faire face à d’éventuelles pertes qu’elle aurait pu être amenée à subir dans l’hypothèse où les EPI qu’elle avait souscrits devaient être appelés.
75 En l’espèce, il résulte des décisions attaquées que la BCE a constaté que la requérante avait recouru au dispositif de l’EPI et qu’elle traitait l’EPI comme un élément hors bilan alors que la garantie y afférente figurait en tant qu’actif dans le bilan. La BCE a indiqué, dans la décision du 14 février 2019, le montant total des encours d’EPI pour lesquels des garanties en espèces étaient fournies par la requérante, tant au niveau consolidé que par établissement de la requérante. Puis elle a
calculé le pourcentage du montant d’exposition au risque en application de l’article 92, paragraphe 3, du règlement no 575/2013. Ce faisant, la BCE a établi le niveau de l’exposition de la requérante au risque né du fait d’avoir souscrit aux EPI. Il résulte également du dossier devant le Tribunal que, bien qu’un tel exercice de calcul ne figurât pas dans les décisions du 19 décembre 2017 et du 26 avril 2018, la BCE disposait, au moment de l’adoption de ces décisions, des informations pertinentes
pour l’évaluer.
76 Or, le raisonnement de la BCE revient à considérer que le traitement comptable des EPI hors bilan est, en soi, problématique, car ce traitement implique par définition une surévaluation des fonds propres de base de catégorie 1. La position de la BCE ressort notamment de ses écrits devant le Tribunal et de ses déclarations lors de l’audience. Elle a en effet déclaré que le risque auquel devait remédier la mesure en cause résultait du fait que le traitement comptable applicable aux EPI ne reflétait
pas l’indisponibilité des sommes mobilisées à ce titre dans le ratio des fonds propres de base de catégorie 1 de l’établissement contributeur. Selon la BCE, cette situation lui aurait permis de recourir, de façon proportionnée, aux pouvoirs dont elle disposait en vertu de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1024/2013. Un tel raisonnement, bien qu’il soit appliqué concrètement à la requérante, relève toutefois de constatations de nature générale susceptibles de s’appliquer à n’importe quel
établissement de crédit optant pour le traitement hors bilan des EPI sans prendre en compte une quelconque circonstance propre à l’établissement concerné.
77 En revanche, les décisions attaquées ne font état d’aucun examen individuel auquel aurait procédé la BCE et visant à vérifier si la requérante avait mis en œuvre des dispositifs, des stratégies, des processus et des mécanismes au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 afin de faire face aux risques prudentiels liés au traitement des EPI hors bilan et, le cas échéant, à s’assurer de leur pertinence au regard de tels risques.
78 À cet égard, il y a lieu de remarquer que le recours aux EPI est expressément admis et encadré par le législateur. Certes, comme le fait valoir la BCE, le règlement no 806/2014 et la directive 2014/49 n’abordent pas le sujet du traitement comptable des EPI. En outre, la possibilité prévue par le législateur de recourir, pour un pourcentage limité, aux EPI afin de financer les fonds et les systèmes de garantie n’empêche pas l’existence d’un risque prudentiel. L’éventualité d’un tel risque peut
également être déduite des orientations sur les engagements de paiement. Toutefois, et sans avoir à se prononcer sur l’exactitude de l’interprétation que la BCE a donnée aux orientations sur les engagements de paiement, à savoir que la seule façon d’exclure un risque procyclique consiste à traiter comptablement les EPI de manière identique à une contribution en espèces, il n’en demeure pas moins qu’il résulte de l’article 16 du règlement no 1024/2013, ainsi que des orientations sur les
engagements de paiement dans la mesure où elles feraient référence à l’examen mis en œuvre dans le cadre du SREP, qu’un examen au cas par cas est exigé.
79 Or, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir point 76 ci-dessus), il découle de l’approche de la BCE que celle-ci a estimé que, dès lors qu’un établissement optait pour le recours aux EPI et un traitement hors bilan, il existait un risque, rendant inutile tout examen plus circonstancié de la situation propre à cet établissement.
80 Au demeurant, l’argumentation de la BCE selon laquelle la mesure en cause a été adoptée dans le cadre du SREP, chaque décision adoptée dans ce cadre étant donc une décision individuelle dont la portée ne dépasserait pas son destinataire, n’est pas pertinente. Certes, comme le fait valoir la BCE, des risques identiques peuvent être couverts par des mesures identiques. Toutefois, le fait que la mesure en cause a été adoptée dans le cadre de l’exercice découlant de la mise en œuvre du SREP
n’implique pas que la mesure prudentielle prise dans ce contexte est forcément une décision adoptée à la suite d’un examen individuel prenant en compte les circonstances propres à la requérante.
81 En outre, l’argument de la BCE selon lequel elle aurait procédé préalablement à l’adoption des décisions attaquées à un examen individuel à l’occasion de l’étude d’impact ne saurait davantage prospérer. En effet, un tel examen vise tout au plus à évaluer les conséquences de l’adoption d’une mesure au regard des objectifs recherchés. Il est certes exact qu’une étude d’impact peut présenter une utilité aux fins d’apprécier le caractère proportionnel de la mesure en cause, ainsi que cela ressort, en
substance, de l’argumentation de la BCE lorsqu’elle soutient que ladite étude démontre que la mesure n’aurait qu’un faible impact en termes de fonds propres supplémentaires et ne devrait donc pas présenter une charge disproportionnée pour la requérante. Cependant, cette étude poursuit un autre objectif et relève d’une logique différente de celle qui est sous-jacente à l’analyse qui incombe à la BCE en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16, paragraphe 1, sous c), et
paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013. En vertu de ces dispositions, il appartient en effet à la BCE d’évaluer la nécessité d’adopter la mesure en cause au regard de la situation individuelle de l’établissement concerné en tenant compte, notamment, des éventuels dispositifs, stratégies, processus ou mécanismes que celui-ci aurait mis en œuvre.
82 Partant, force est de constater que, en ne poursuivant pas son examen au-delà du seul constat du risque potentiel engendré par l’EPI en raison de son traitement comptable comme élément hors bilan, en n’examinant pas la situation concrète de la requérante, et notamment son profil de risque ainsi que son niveau de liquidité, et en ne tenant pas compte d’éventuels facteurs atténuants le risque potentiel, la BCE n’a pas procédé à l’examen prudentiel individuel de la requérante tel qu’imposé par
l’article 4, paragraphe 1, sous f), et l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, de sorte que ces dispositions ont été violées.
83 Dans la mesure où le grief portant sur l’absence d’examen individuel est fondé, le premier moyen doit être accueilli.
84 Il s’ensuit que le présent recours, en ce qu’il tend à l’annulation partielle des décisions attaquées, doit être déclaré fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante.
Sur les dépens
85 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La BCE ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Les affaires T‑150/18 et T‑345/18 sont jointes aux fins du présent arrêt.
2) Les points 9.1 à 9.3 de la décision ECB/SSM/2017-R0MUWSFPU8MPRO8K5P83/248 de la Banque centrale européenne (BCE), du 19 décembre 2017, les points 9.1 à 9.3 de la décision ECB-SSM-2018-FRBNP-17 de la BCE, du 26 avril 2018, et les points 8.1 à 8.4 de la décision ECB-SSM-2019-FRBNP-12 de la BCE, du 14 février 2019, sont annulés.
3) La BCE est condamnée aux dépens.
Buttigieg
Schalin
Berke
Costeira
Mac Eochaidh
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 septembre 2020.
Le greffier
E. Coulon
Le président
S. Papasavvas
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( *1 ) Langue de procédure : le français.