ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
16 décembre 2020 ( *1 )
« Responsabilité non contractuelle – Environnement – Classification, étiquetage et emballage des substances et des mélanges – Classification du brai de goudron de houille à haute température parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »
Dans l’affaire T‑635/18,
Industrial Química del Nalón, SA, établie à Oviedo (Espagne), représentée par Mes K. Van Maldegem, M. Grunchard, S. Saez Moreno et P. Sellar, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. M. Wilderspin, R. Lindenthal et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Royaume d’Espagne, représenté par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,
et par
Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä et M. W. Broere, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que la requérante aurait prétendument subi en raison de l’adoption du règlement (UE) no 944/2013 de la Commission, du 2 octobre 2013, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges (JO 2013, L 261, p. 5), qui a
classé le brai de goudron de houille à haute température parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410),
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
composé de MM. J. Svenningsen, président, R. Barents, C. Mac Eochaidh, Mme T. Pynnä et M. J. Laitenberger (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1 Le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 286/2011 de la Commission, du 10 mars 2011 (JO 2011, L 83, p. 1), a, selon son article 1er, « pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de
la santé humaine et de l’environnement, ainsi que la libre circulation des substances [et] des mélanges […] en : a) harmonisant les critères de classification des substances et des mélanges, ainsi que les règles relatives à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges dangereux ».
2 Les considérants 5 à 8 du règlement no 1272/2008 sont ainsi libellés :
« (5) En vue de faciliter les échanges internationaux tout en protégeant la santé humaine et l’environnement, des critères harmonisés de classification et d’étiquetage ont fait l’objet, pendant douze ans, d’une mise au point minutieuse au sein de la structure des Nations unies et ont abouti au système général harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques (ci-après dénommé “ le SGH ”).
(6) Le présent règlement fait suite à diverses déclarations par lesquelles la Communauté a confirmé son intention de contribuer à l’harmonisation générale des critères de classification et d’étiquetage, non seulement au niveau des Nations unies, mais aussi en intégrant dans le droit communautaire les critères du SGH établis au niveau international.
(7) Plus il y aura de pays dans le monde qui intégreront les critères du SGH dans leur législation, plus les avantages pour les entreprises seront importants. Il convient que la Communauté joue un rôle de premier plan dans ce processus afin d’encourager d’autres pays à la suivre et de donner un avantage concurrentiel aux entreprises de la Communauté.
(8) Il est donc essentiel d’harmoniser les dispositions et les critères relatifs à la classification et à l’étiquetage des substances, des mélanges et de certains articles spécifiques dans la Communauté, en tenant compte des critères de classification et des règles d’étiquetage du SGH, mais aussi en se fondant sur l’expérience acquise pendant quarante ans grâce à la mise en œuvre de la législation communautaire dans le domaine des produits chimiques et en maintenant le niveau de protection atteint
grâce au système d’harmonisation de la classification et de l’étiquetage, aux classes communautaires de danger qui ne font pas encore partie du SGH et aux règles actuelles en matière d’étiquetage et d’emballage. »
3 L’article 3, premier alinéa, du règlement no 1272/2008 dispose :
« Une substance ou un mélange qui répond aux critères relatifs aux dangers physiques, aux dangers pour la santé ou aux dangers pour l’environnement, tels qu’ils sont énoncés [à] l’annexe I, parties 2 à 5, est dangereux et est classé dans une des classes de danger prévues à l’annexe I. »
4 L’annexe I du règlement no 1272/2008 présente les critères de classification des substances et des mélanges dans les classes de danger.
5 Le point 4.1.1.1 définit la notion de « toxicité aquatique » :
« a) Par “toxicité aquatique aiguë”, on entend la propriété intrinsèque d’une substance de provoquer des effets néfastes sur des organismes aquatiques lors d’une exposition aquatique de courte durée.
[…]
g) Par “toxicité aquatique chronique”, on entend la propriété intrinsèque d’une substance de provoquer des effets néfastes sur des organismes aquatiques lors d’expositions aquatiques déterminées en relation avec le cycle de vie de ces organismes.
[…] »
6 En ce qui concerne plus précisément les critères de classification des mélanges, le point 4.1.3 prévoit :
« 4.1.3.1. Le système de classification des mélanges reprend toutes les catégories de classification utilisées pour les substances, c’est-à-dire la catégorie de toxicité aiguë 1 et les catégories de toxicité chronique 1 à 4. L’approche qui suit est appliquée, le cas échéant, pour exploiter toutes les données disponibles aux fins de la classification des dangers du mélange pour le milieu aquatique :
Les “composants à prendre en compte” dans un mélange sont ceux qui sont classés comme ayant une toxicité aiguë – catégorie 1 ou une toxicité chronique – catégorie 1 et qui sont présents à une concentration égale ou supérieure à 0,1 % (poids/poids), et ceux qui sont classés comme ayant une toxicité chronique – catégorie 2, une toxicité chronique – catégorie 3 ou une toxicité chronique – catégorie 4 et qui sont présents à une concentration égale ou supérieure à 1 % (poids/poids), sauf s’il y a lieu
de penser (comme dans le cas des composants fortement toxiques, voir point 4.1.3.5.5.5) qu’un composant présent à une concentration inférieure peut malgré tout avoir une influence sur la classification d’un mélange comme dangereux pour le milieu aquatique. D’une manière générale, pour les substances classées “toxicité aiguë catégorie 1” ou “toxicité chronique catégorie 1”, la concentration à prendre en compte est (0,1/M) % (le facteur M fait l’objet d’une explication au point 4.1.3.5.5.5.).
4.1.3.2. La classification des mélanges dangereux pour le milieu aquatique s’effectue selon une démarche par étapes et dépend du type d’informations disponibles sur le mélange proprement dit et ses composants. La figure 4.1.2 décrit la marche à suivre.
La démarche par étapes comprend :
– une classification fondée sur des mélanges testés;
– une classification fondée sur des principes d’extrapolation;
– la méthode de la “somme des composants classés” et/ou l’application d’une “formule d’additivité”. »
7 Le point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, intitulé « Méthode de la somme des composants », dispose :
« 4.1.3.5.5.1.1. Dans le cas des catégories de toxicité chronique 1 à 3, les critères de toxicité sous-jacents diffèrent d’un facteur 10 d’une catégorie à l’autre. Des substances classées dans une plage de toxicité élevée contribuent donc à la classification d’un mélange dans une plage de toxicité inférieure. Dans le calcul de ces catégories de classification, il convient donc de tenir compte de la contribution de toute substance classée dans la catégorie de toxicité chronique 1, 2 ou 3.
4.1.3.5.5.1.2. Si un mélange contient des composants classés dans la catégorie de toxicité aiguë 1 ou de toxicité chronique 1, il convient d’être attentif au fait que, lorsque leur toxicité aiguë est inférieure à 1 mg/l et/ou leur toxicité chronique est inférieure à 0,1 mg/l (s’ils ne se dégradent pas rapidement) et à 0,01 mg/l (s’ils se dégradent rapidement), ces composants contribuent à la toxicité du mélange, même s’ils ne sont présents qu’à une faible concentration. Les composants actifs des
pesticides sont souvent très toxiques pour le milieu aquatique, mais il en va de même pour d’autres substances, telles que les composés organométalliques. Dans ces conditions, l’application des limites de concentration génériques normales entraîne une “sous-classification” du mélange. Il convient dès lors d’appliquer des facteurs de multiplication pour tenir compte des composants très toxiques, conformément au point 4.1.3.5.5.5. »
8 En ce qui concerne la classification dans la catégorie de toxicité aiguë 1, le point 4.1.3.5.5.3.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 dispose :
« Tout d’abord, tous les composants classés dans la catégorie de toxicité aiguë 1 sont examinés. Si la somme des concentrations (en %) de ces composants multipliée par leurs facteurs M correspondants est supérieure à 25 %, le mélange en tant que tel est classé dans la catégorie de toxicité aiguë 1. »
9 S’agissant de la classification dans les catégories de toxicité chronique 1, 2, 3 et 4, le point 4.1.3.5.5.4.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 dispose :
« Tout d’abord, tous les composants classés dans la catégorie de toxicité chronique 1 sont examinés. Si la somme des concentrations (en %) de ces composants multipliée par leurs facteurs M correspondants est égale ou supérieure à 25, le mélange est classé dans la catégorie de toxicité chronique 1. Si le calcul donne lieu à une classification du mélange dans la catégorie de toxicité chronique 1, la procédure de classification est terminée. »
10 En ce qui concerne les mélanges avec des composants hautement toxiques, le point 4.1.3.5.5.5 de cette annexe prévoit :
« 4.1.3.5.5.5.1. Les composants relevant de la catégorie de toxicité aiguë 1 et de la catégorie de toxicité chronique 1 dont la toxicité est inférieure à 1 mg/l et/ou dont la toxicité chronique est inférieure à 0,1 mg/l (s’ils ne sont pas rapidement dégradables) ou à 0,01 mg/l (s’ils sont rapidement dégradables) contribuent à la toxicité du mélange, même à une faible concentration, et doivent normalement se voir attribuer un poids plus important dans la méthode de la somme, appliquée en vue de la
classification. Lorsqu’un mélange contient des composants classés dans les catégories de toxicité aiguë 1 ou de toxicité chronique 1, l’une des méthodes suivantes est appliquée :
– la méthode par étapes décrite aux [points] 4.1.3.5.5.3 et 4.1.3.5.5.4, en multipliant les concentrations des composants relevant des catégories de toxicité aiguë 1 et de toxicité chronique 1 par un facteur de façon à obtenir une somme pondérée, au lieu d’additionner les pourcentages tels quels. Autrement dit, la concentration de composants classés en “toxicité aiguë 1” dans la colonne de gauche du tableau 4.1.1 et la concentration de composants classés en “toxicité chronique 1” dans la colonne
de gauche du tableau 4.1.2 sont multipliées par le facteur approprié. Les facteurs de multiplication à appliquer à ces composants sont définis d’après la valeur de la toxicité, conformément au tableau 4.1.3. Pour classer un mélange qui contient des composants relevant des catégories de toxicité aiguë 1 ou toxicité chronique 1, le classificateur doit donc connaître la valeur du facteur M en vue d’appliquer la méthode de la somme.
[…] »
11 Le tableau 4.1.3 de la même annexe définit les facteurs de multiplication en fonction de la valeur de toxicité pour les composants hautement toxiques de mélanges.
12 En ce qui concerne la procédure administrative, l’article 37, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008, qui habilite les États membres à proposer une classification harmonisée pour une substance, dispose :
« Une autorité compétente peut soumettre à l’Agence une proposition de classification et d’étiquetage harmonisés de substances et, le cas échéant, des limites de concentration spécifiques ou des facteurs M, ou une proposition en vue de leur révision. »
13 Selon l’article 37, paragraphe 4, dudit règlement, le comité d’évaluation des risques de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) (ci-après le « CER »), institué conformément à l’article 76, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des
produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), adopte un avis sur toute proposition « soumise conformément aux paragraphes 1 et 2 dans un délai de dix-huit mois à compter de la réception de la proposition,
en donnant aux parties concernées l’occasion de formuler des observations » et l’ECHA « transmet cet avis et toutes les observations à la Commission ».
14 Enfin, la procédure d’adoption des classifications proposées est prévue à l’article 37, paragraphe 5, dudit règlement dans les termes suivants :
« Lorsque la Commission estime que l’harmonisation de la classification et de l’étiquetage de la substance concernée est appropriée, elle soumet à bref délai un projet de décision concernant l’inclusion de cette substance et des éléments de classification et d’étiquetage pertinents dans l’annexe VI, partie 3, tableau 3.1, et, le cas échéant, des limites de concentration spécifiques ou des facteurs M.
[…] »
Antécédents du litige
15 La requérante, Industrial Química del Nalón, SA, fabrique du brai de goudron de houille à haute température (ci-après le « BGHHT »). Son activité se concentre sur le secteur de la carbochimie et repose sur la distillation de la houille de goudron à haute température, un produit dérivé de la fabrication de coke, utilisé dans les hauts fourneaux pour produire de la fonte brute. La requérante exerce son activité de carbochimie sur son site situé à Trubia (Espagne), au sein d’un ensemble d’usines
autonomes qui fonctionnent comme une unité complètement intégrée.
16 Le BGHHT est, selon sa description dans les tableaux 3.1 et 3.2 figurant à l’annexe VI du règlement no 1272/2008, le résidu de la distillation du goudron de houille à haute température, un solide noir présentant un point de ramollissement approximatif compris entre 30 et 180 °C, composé principalement d’un mélange complexe d’au moins trois hydrocarbures aromatiques à noyaux condensés. Cette substance fait partie des substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes
ou de matières biologiques, parce qu’elle ne peut être complètement identifiée par sa composition chimique. Le BGHHT est principalement utilisé pour produire des liants pour électrodes destinés à l’industrie de l’aluminium et à la sidérurgie.
17 En septembre 2010, le Royaume des Pays-Bas a soumis à l’ECHA un dossier, conformément à l’article 37 du règlement no 1272/2008, proposant que le BGHHT soit classé en tant que cancérogène 1A (H350), mutagène 1B (H340), toxique pour la reproduction 1B (H360FD), et substance de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).
18 Après avoir reçu des observations sur le dossier en cause lors d’une consultation publique, l’ECHA a renvoyé ce dossier au CER.
19 Le 21 novembre 2011, le CER a adopté un avis sur le BGHHT confirmant par consensus la proposition présentée par le Royaume des Pays-Bas. Cet avis était accompagné d’un document d’information contenant l’analyse détaillée du CER (ci-après le « document d’information ») et d’un document contenant les réponses du Royaume des Pays-Bas aux observations soumises sur le dossier établi par cet État membre.
20 S’agissant de la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique, le CER a indiqué dans son avis, ainsi qu’il avait été proposé par le Royaume des Pays-Bas dans son dossier soumis à l’ECHA, que celle-ci ne pouvait être fondée sur les données résultant d’études suivant l’approche « Water-Accommodated Fraction » (approche de fraction adaptée à l’eau). Le CER a motivé cette considération en indiquant, d’une part, que ces données avaient été obtenues en l’absence d’irradiation aux
rayons ultraviolets (UV), alors que certains composants hydrocarbures aromatiques polycycliques (ci-après « HAP ») du BGHHT seraient phototoxiques, et, d’autre part, que les études en cause n’avaient été effectuées qu’avec une seule charge. Ainsi que cela avait été proposé par le Royaume des Pays-Bas dans son dossier soumis à l’ECHA, il a donc considéré que la classification de cette substance devait être fondée sur une approche différente, consistant à considérer le BGHHT comme un mélange. Selon
cette approche, les seize constituants HAP du BGHHT, qui ont été définis en tant que substances prioritaires par l’Environmental Protection Agency (EPA, agence pour la protection de l’environnement des États-Unis) et pour lesquels une quantité suffisante de données relatives aux effets et à l’exposition était disponible, ont été analysés séparément en fonction de leurs effets toxiques aquatiques. En appliquant la méthode visée au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, qui
consistait à effectuer la somme des résultats obtenus en attribuant des facteurs de multiplication (ci-après les « facteurs M ») aux différents HAP afin de donner plus de poids aux composants du BGHHT hautement toxiques (ci-après la « méthode de la somme »), cette analyse avait démontré, selon l’avis du CER, que le BGHHT devait être classifié parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).
21 Le 2 octobre 2013, sur la base de l’avis du CER, la Commission européenne a adopté le règlement (UE) no 944/2013 modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement no 1272/2008 (JO 2013, L 261, p. 5). En vertu de l’article 1er, paragraphe 2), sous a), i), et sous b), i), du règlement no 944/2013, lu en combinaison avec les annexes II et IV du même règlement, le BGHHT a été classifié parmi les substances cancérogènes de catégorie 1A (H350), mutagènes de
catégorie 1B (H340), toxiques pour la reproduction de catégorie 1B (H360FD), de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410). En vertu de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 944/2013, cette classification était applicable à compter du 1er avril 2016. Selon le considérant 5 du règlement no 944/2013, une période de transition plus longue était prévue en ce qui concerne le BGHHT, avant que l’application de la classification harmonisée
ne devienne obligatoire, afin de permettre aux opérateurs de se conformer aux obligations qui découlent des nouvelles classifications harmonisées des substances très toxiques pour les organismes aquatiques et pouvant entraîner des effets néfastes à long terme pour l’environnement aquatique, en particulier les obligations énoncées à l’article 3 et à l’annexe III de la directive 2008/68/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, relative au transport intérieur des marchandises
dangereuses (JO 2008, L 260, p. 13).
22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 décembre 2013 et enregistrée sous le numéro d’affaire T‑689/13, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation partielle du règlement no 944/2013 dans la mesure où il classifiait le BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).
23 Par arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), le Tribunal a annulé le règlement no 944/2013 dans la mesure où il classifiait le BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).
24 Plus précisément, le Tribunal a, aux points 30 à 34 de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), notamment jugé ce qui suit :
« 30 En l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que, en classifiant le BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) sur la base de ses constituants, elle a manqué à son obligation de prendre en considération tous les éléments et circonstances pertinents afin de prendre dûment en compte le taux de présence des seize constituants HAP dans le BGHHT
et leurs effets chimiques.
31 En effet, selon le point 7.6 du document d’information, aux fins de la classification du BGHHT sur la base de ses constituants, il a été présumé que tous les HAP présents dans le BGHHT se dissolvaient en phase aqueuse et que, partant, ils étaient disponibles pour les organismes aquatiques. Il est également mentionné que cela entraîne probablement une surestimation de la toxicité du BGHHT et que, dans la mesure où la composition du WAF était incertaine, cette estimation de toxicité pouvait être
considérée comme le scénario le plus défavorable.
32 Toutefois, ni la Commission ni l’ECHA n’ont été en mesure d’établir devant le Tribunal que, en fondant la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) sur la présomption selon laquelle tous les HAP présents dans cette substance se dissolvaient en phase aqueuse et étaient disponibles pour les organismes aquatiques, la Commission a pris en considération le fait que, selon le point 1.3,
intitulé “Propriétés physicochimiques”, du document d’information, les constituants du BGHHT ne pouvaient être extraits du BGHHT que dans une mesure limitée et que cette substance présentait une grande stabilité.
33 En effet, premièrement, ni l’avis du CER sur le BGHHT ni le document d’information ne contiennent un raisonnement qui démontrerait que, en présumant que tous les HAP présents dans cette substance se dissolvent en phase aqueuse et sont disponibles pour les organismes aquatiques, il a été tenu compte de la faible solubilité du BGHHT dans l’eau […].
34 Deuxièmement, il convient de constater que, selon le point 1.3 du document d’information, le taux de solubilité dans l’eau le plus élevé du BGHHT relatif à une charge était de 0,0014 % au maximum. Compte tenu de cette faible solubilité dans l’eau du BGHHT, la Commission n’a aucunement démontré qu’elle pouvait fonder la classification en cause de cette substance sur la présomption selon laquelle tous les HAP présents dans le BGHHT se dissolvaient en phase aqueuse et étaient disponibles pour les
organismes aquatiques. En effet, il ressort du tableau 7.6.2 du document d’information que les seize constituants HAP du BGHHT sont présents dans cette substance à hauteur de 9,2 %. En partant de l’hypothèse que tous ces HAP se dissolvent dans l’eau, la Commission a donc, en substance, fondé la classification en cause sur l’hypothèse que 9,2 % du BGHHT pouvait se dissoudre dans l’eau. Cependant, ainsi qu’il ressort du point 1.3 du document d’information, une telle valeur n’est pas réaliste, le
taux maximal étant de 0,0014 %. »
25 Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 décembre 2015, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767). Le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume des Pays-Bas ont été admis par le président de la Cour à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
26 Le 24 mars 2016, la requérante a présenté une demande au titre des articles 278 et 279 TFUE visant à voir ordonner le sursis à exécution et la suspension des effets du règlement no 944/2013 jusqu’à ce que la Cour ait statué sur le pourvoi de la Commission.
27 Par ordonnance du 7 juillet 2016, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:597), la demande de sursis à exécution et de mesures provisoires a été rejetée en raison du caractère non suffisamment urgent des mesures sollicitées.
28 Par arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), et en suivant en cela les conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:646), la Cour a rejeté le pourvoi de la Commission.
29 Plus précisément, la Cour a, aux points 39, 41 à 47 et 51 à 55, notamment jugé ce qui suit :
« 39 Il est vrai que le point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 n’envisage pas le recours à d’autres critères que ceux expressément visés à cette disposition. Toutefois, il y a lieu de constater qu’aucune disposition n’interdit expressément la prise en considération d’autres éléments susceptibles d’être pertinents pour la classification d’une substance [faisant partie des substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes ou matières biologiques].
[…]
41 […] l’emploi des expressions “le cas échéant” (“where appropriate” dans la version en langue anglaise de ce point) et “toutes les données disponibles”, tend à infirmer l’interprétation selon laquelle la prise en considération d’informations autres que celles expressément retenues dans le cadre de la méthode de la somme devrait, en toutes circonstances, être exclue.
42 Par ailleurs, il ressort des considérants 4 à 8 du règlement no 1272/2008 que le législateur de l’Union a entendu “contribuer à l’harmonisation générale des critères de classification et d’étiquetage, non seulement au niveau des Nations unies, mais aussi en intégrant dans le droit communautaire les critères du [SGH] établis au niveau international”. À cet effet, l’annexe I de ce règlement reproduit à l’identique la quasi-totalité des dispositions du [SGH].
43 […] il ressort du texte même du [SGH], en particulier de son annexe 9, intitulée “Document guide sur les dangers pour le milieu aquatique”, que l’approche méthodologique indiquée pour déterminer la classification des dangers pour le milieu aquatique de substances est délicate en raison, notamment, du fait que “le terme substance couvre une large palette de produits chimiques, dont un grand nombre est très difficile à classer selon un système reposant sur des critères rigides”. Ce document
souligne ainsi “les problèmes d’interprétation complexes, même pour des experts” que suscite la classification, notamment des substances dites “complexes ou à multi composants” dont “les caractéristiques de biodégradation, de bioaccumulation, de coefficient de partage et de solubilité dans l’eau posent tous des problèmes d’interprétation, dans la mesure où chaque composant du mélange peut se comporter différemment”.
44 Les auteurs de ce document ont donc ainsi entendu attirer l’attention sur les limitations inhérentes aux critères méthodologiques, prévus par le [SGH], de classification des dangers pour le milieu aquatique, à l’égard de certaines substances caractérisées, notamment, par leur complexité, leur stabilité ou leur faible hydrosolubilité.
45 Le législateur de l’Union a intégré les dispositions du [SGH] dans l’annexe I du règlement no 1272/2008, sans manifester l’intention de s’écarter de cette approche. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a, en intégrant ainsi le [SGH] dans le règlement no 1272/2008, fait abstraction de ces limitations méthodologiques.
46 L’application stricte et automatique de la méthode de la somme en toutes circonstances est susceptible de conduire à sous-évaluer la toxicité pour le milieu aquatique d’une substance [faisant partie des substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes ou matières biologiques] dont peu de constituants seraient connus. Un tel résultat ne saurait être considéré comme compatible avec la finalité de protection de l’environnement et de la santé humaine poursuivie par
le règlement no 1272/2008.
47 […] lorsqu’elle applique la méthode de la somme pour déterminer si une substance [faisant partie des substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes ou matières biologiques] relève des catégories de toxicité aiguë et de toxicité chronique pour le milieu aquatique, la Commission n’est pas tenue de limiter son appréciation aux seuls éléments expressément visés au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, à l’exclusion de tout autre. Conformément à
son obligation de diligence, la Commission est tenue d’examiner avec soin et impartialité d’autres éléments qui, bien que non expressément visés par lesdites dispositions, sont néanmoins pertinents.
[…]
51 La méthode de classification visée au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 repose sur l’hypothèse selon laquelle les constituants pris en considération sont 100 % solubles. Sur la base de cette hypothèse, cette méthode de la somme implique qu’il existe un niveau de concentration des constituants en deçà duquel le seuil de 25 % ne peut être atteint et consiste ainsi à calculer la somme des concentrations des constituants relevant des catégories de toxicité aiguë ou chronique,
pondérées, chacune, du facteur M correspondant à leur profil de toxicité.
52 Il est toutefois inhérent à cette méthode que celle-ci perd en fiabilité dans des situations dans lesquelles la somme pondérée des constituants excède le niveau de concentration correspondant au seuil de 25 % dans une proportion inférieure au rapport entre le taux de solubilité observé au niveau de la substance considérée prise dans son ensemble et le taux de solubilité hypothétique de 100 %. En effet, dans de telles situations, il devient alors possible que la méthode de la somme aboutisse,
dans des cas particuliers, à un résultat supérieur ou inférieur au niveau correspondant au seuil réglementaire de 25 %, selon qu’est pris en considération le taux de solubilité hypothétique des constituants ou celui de la substance prise dans son ensemble.
53 Il est constant qu’il ressort du tableau 7.6.2 de l’annexe I du rapport joint à l’avis du CER que, d’une part, la méthode de la somme aboutit au résultat de 14521 % et que, d’autre part, ce résultat est 581 fois supérieur au niveau minimal requis pour que le seuil de 25 %, après pondération par les facteurs M, soit atteint. Il n’est pas non plus contesté qu’il ressort en outre du point 1.3 de ce document, intitulé “Propriétés physicochimiques”, que le taux maximal de solubilité dans l’eau du
BGHHT était de 0,0014 %, soit un taux environ 71000 fois inférieur au taux de solubilité hypothétique de 100 % utilisé pour les constituants pris en considération.
54 C’est donc sans commettre de dénaturation ni d’erreur de qualification juridique des faits que le Tribunal a jugé, au point 34 de [l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767)], que, “en partant de l’hypothèse que tous ces [constituants] se dissolvent dans l’eau, la Commission a donc, en substance, fondé la classification en cause sur l’hypothèse que 9,2 % du BGHHT pouvait se dissoudre dans l’eau. Cependant, ainsi qu’il ressort du
point 1.3 du document d’information [annexé à l’avis du CER], une telle valeur n’est pas réaliste, le taux maximal étant de 0,0014 %”.
55 Ayant constaté, au point 32 de [l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767)], que “ni la Commission ni l’ECHA n’[avaient] été en mesure d’établir [...] que [...] la Commission [avait] pris en considération le fait que, selon le point 1.3, intitulé ‘Propriétés physicochimiques’, du document d’information [annexé à l’avis du CER], les constituants du BGHHT ne pouvaient être extraits du BGHHT que dans une mesure limitée et que cette
substance présentait une grande stabilité”, le Tribunal a, sans commettre d’erreur de droit, jugé au point 30 dudit arrêt que “la Commission [avait] commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que, en classifiant le BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) sur la base de ses constituants, elle [avait] manqué à son obligation de prendre en considération tous les éléments et circonstances pertinents
afin de prendre dûment en compte le taux de présence des seize constituants [...] dans le BGHHT et leurs effets chimiques”. »
30 Le 9 juillet 2018, la Commission a publié une notice au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2018, C 239, p. 3) constatant que l’annulation partielle du règlement no 944/2013 prononcée par le Tribunal était maintenue à la suite du rejet du pourvoi et que le BGHHT n’était « plus classifié comme substance de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 ».
Procédure et conclusions des parties
31 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 octobre 2018, la requérante a introduit le présent recours en indemnité fondé sur l’article 268 TFUE.
32 Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 11 février et le 7 mars 2019, le Royaume d’Espagne et l’ECHA ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
33 Par actes séparés, déposé au greffe du Tribunal les 13 mars, 5 avril, 29 et 31 mai et 21 août 2019, la requérante a demandé, au titre de l’article 144, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le traitement confidentiel à l’égard du Royaume d’Espagne et de l’ECHA de certaines informations contenues dans les annexes de la requête, dans le mémoire en défense, dans la réplique et ses annexes, ainsi que dans la duplique.
34 Le mémoire en défense a été déposé au greffe du Tribunal le 14 mars 2019.
35 La réplique a été déposée le 17 mai 2019.
36 Par ordonnances du président de la cinquième chambre du Tribunal, du 20 juin 2019, le Royaume d’Espagne et l’ECHA ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
37 Par actes déposés au greffe du Tribunal les 8 juillet et 30 août 2019, le Royaume d’Espagne s’est opposé aux demandes de traitement confidentiel. Par actes déposés les 9 juillet et 5 septembre 2019, l’ECHA a confirmé ne pas avoir d’objections concernant les demandes de traitement confidentiel.
38 La duplique a été déposée le 24 juillet 2019.
39 Le 6 septembre 2019, le Royaume d’Espagne et l’ECHA ont déposé leurs mémoires en intervention respectifs.
40 La composition des chambres ayant été modifiée, l’affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur siégeant dans la huitième chambre.
41 Par ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal, du 25 novembre 2019, les demandes de traitement confidentiel ont été rejetées en ce qui concerne le Royaume d’Espagne.
42 Le 8 janvier 2020, la requérante a demandé, au titre de l’article 69, sous c), du règlement de procédure, une suspension de la procédure jusqu’à ce qu’une audience, portant prioritairement sur la question de l’existence d’une responsabilité de l’Union européenne, soit tenue dans l’affaire T‑638/18 et qu’un arrêt soit rendu par le Tribunal sur cette question. La Commission a marqué son accord avec une suspension de la présente affaire par lettre du 28 janvier 2020.
43 Le 2 avril 2020, la huitième chambre a décidé de ne pas suspendre la procédure.
44 Le 20 avril 2020, sur proposition de la huitième chambre, le Tribunal a décidé en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
45 Par mesure d’organisation de la procédure du 22 avril 2020, le Tribunal a adressé aux parties des questions pour réponse écrite, auxquelles elles ont répondu dans le délai imparti.
46 Par mesure d’organisation de la procédure du 15 juin 2020, le Tribunal a invité chacune des parties à présenter ses observations sur les réponses aux questions écrites du Tribunal du 22 avril 2020. Les parties ont soumis leurs observations respectives dans le délai imparti.
47 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Toutefois, par lettre du 8 juin 2020, les parties principales ont, en substance, indiqué que leurs conseils ne pourraient pas participer physiquement à l’audience de plaidoiries dont la tenue était prévue au siège du Tribunal à Luxembourg (Luxembourg) et que, dans l’éventualité où leur participation à cette audience par visioconférence ne serait pas matériellement possible,
elles renonceraient à être entendues en leurs plaidoiries. Dans ces conditions, s’estimant en outre suffisamment éclairé par les pièces du dossier et, notamment, par les réponses des parties à ses questions ainsi que leurs observations respectives sur lesdites réponses, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé, en application de l’article 108, paragraphe 2, du règlement de procédure, de clore la phase orale de la procédure.
48 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– dire et juger que le présent recours est recevable et bien fondé ;
– juger qu’elle doit être indemnisée du préjudice que lui a causé la Commission ;
– condamner la Commission à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à titre de conséquence directe de la classification illégale, chiffrés à la somme totale de 652733 euros, ou à tout autre montant dont elle justifiera le bien-fondé au cours de la procédure ou que le Tribunal évaluera;
– à titre subsidiaire, juger à titre provisoire que la Commission est tenue de réparer le préjudice subi et ordonner aux parties de produire devant le Tribunal, dans un délai raisonnable à compter de la date de l’arrêt, les chiffres relatifs au montant de l’indemnisation convenue entre elles ou, à défaut d’accord, ordonner aux parties de produire devant le Tribunal, dans le même délai, leurs prétentions accompagnées des éléments justificatifs chiffrés détaillés;
– condamner la Commission à lui payer des intérêts compensatoires au taux par défaut à compter de la date des pertes subies (c’est‑à‑dire soit à partir de la date de l’entrée en vigueur de la classification illégale, soit à partir de la date de la matérialisation du dommage);
– condamner la Commission à payer des intérêts de retard au taux de 8 %, ou à tout autre taux que le Tribunal jugera approprié, calculés sur le montant payable à compter de la date de l’arrêt du Tribunal à intervenir et jusqu’au paiement effectif;
– condamner la Commission aux entiers dépens de la procédure.
49 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours en indemnité ;
– condamner la requérante aux dépens de l’instance ;
– à titre subsidiaire, si le Tribunal devait se prononcer en faveur de la requérante en ce qui concerne la responsabilité, accorder aux parties un délai de six mois pour se mettre d’accord sur le montant des dommages.
50 Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours en indemnité ;
– condamner la requérante aux dépens.
51 L’ECHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours en indemnité ;
– condamner la requérante aux dépens de la présente procédure.
En droit
52 À l’appui de sa demande indemnitaire, la requérante fait valoir, en substance, que la classification illégale du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) telle qu’effectuée par le règlement no 944/2013 lui a causé un préjudice matériel qu’elle évalue à 652733 euros. D’une part, ce préjudice correspondrait aux coûts engendrés par l’adaptation de l’emballage ainsi que par les modalités de transport telles
qu’elles résulteraient des règlements types des Nations unies pour le transport des marchandises dangereuses, à savoir notamment l’accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route, le règlement concernant le transport international ferroviaire des marchandises dangereuses et le code maritime international des marchandises dangereuses. D’autre part, la requérante revendique également un préjudice causé par les coûts additionnels, engendrés par la
classification prévue par le règlement no 944/2013 en vue de mettre à jour des fiches de données de sécurité conformément au règlement no 1907/2006.
53 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne et l’ECHA, rétorque, premièrement, qu’elle n’a commis aucune violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, deuxièmement, que la requérante n’a pas prouvé l’existence d’un préjudice réel et certain et, troisièmement, que la requérante n’a pas établi de lien de causalité entre l’illégalité et le préjudice prétendument subi.
54 Il convient de constater qu’il est de jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées
(voir arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 32 et jurisprudence citée).
55 Selon une jurisprudence également constante, dès lors que l’une de ces trois conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (voir arrêt du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, EU:C:1994:329, point 81 et jurisprudence citée).
56 S’agissant de la première de ces conditions, la requérante soutient que la classification illégale du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410), telle que constatée par la Cour dans son arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux
particuliers.
57 Afin d’apprécier l’existence d’une illégalité commise par la Commission susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, il convient de vérifier préalablement si la requérante a établi l’existence en l’espèce d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence, à laquelle il aurait été porté atteinte, puis si la violation de cette règle était suffisamment caractérisée au sens de la jurisprudence.
Sur la nature de la règle méconnue par la Commission lors de l’adoption du règlement no 944/2013
58 Selon une jurisprudence constante, une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsque la violation concerne une disposition qui engendre des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder, de sorte qu’elle a un effet direct, qui engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis, qui a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers ou qui procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être
suffisamment identifié (voir arrêt du 16 octobre 2014, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑297/12, non publié, EU:T:2014:888, point 76 et jurisprudence citée).
59 La requérante estime que les règles que la Commission a violées se trouvent au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, à savoir la méthode de la somme, ainsi que dans son obligation de diligence qui serait inhérente au principe de bonne administration. La combinaison de ces règles conférerait aux particuliers un droit qui leur permettrait de protéger les intérêts de leur entreprise individuelle dans la mesure où la Commission serait tenue de faire preuve de diligence lors de la
classification d’une substance.
60 En réponse à une question posée par le Tribunal, la requérante a précisé que, selon elle, les dispositions du règlement no 1272/2008 étaient susceptibles de protéger les intérêts des particuliers dans la mesure où elles imposeraient ou aggraveraient des obligations auxquelles les opérateurs comme la requérante doivent se conformer afin de pouvoir jouir de leur droit de mettre sur le marché les substances et les mélanges chimiques classifiés. À cet égard, la requérante renvoie notamment à
l’article 4, paragraphe 10, dudit règlement qui dispose que « [l]es substances et les mélanges ne sont mis sur le marché que s’ils sont conformes au présent règlement ». Or, une classification incorrecte porterait atteinte au droit de la requérante de mettre sur le marché des substances et des mélanges qui sont, in fine, conformes audit règlement.
61 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne et l’ECHA, soutient, en revanche, que les dispositions de l’annexe I du règlement no 1272/2008 et particulièrement la méthode de la somme prévue au point 4.1.3.5.5 de ladite annexe ne confèrent pas de droits aux particuliers. Ces dispositions, selon la Commission purement méthodologiques, provenant du SGH, regrouperaient des critères techniques et scientifiques en vue de la classification de substances et de mélanges sur la base des propriétés
intrinsèques des substances. Les règles relatives à la méthode de la somme figurant à l’annexe I dudit règlement seraient simplement conçues afin de déterminer la dangerosité liée à la toxicité aquatique de substances et de mélanges sur la base de données scientifiques et ne nécessiteraient pas une mise en balance des intérêts des particuliers. En outre, elles ne prévoiraient pas de règles procédurales visant à protéger les intérêts des particuliers. Ainsi, ni l’entité soumettant la proposition
initiale de classification, ni le CER, ni la Commission ne seraient obligés de mettre en balance les intérêts des particuliers.
62 À cet égard, il convient de constater que, selon les arrêts du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), et du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a appliqué la méthode de la somme visée au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008. Ainsi, il ressort notamment du point 47 de l’arrêt du 22 novembre 2017,
Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), que, « lorsqu’elle applique la méthode de la somme pour déterminer si une substance [faisant partie des substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes ou matières biologiques] relève des catégories de toxicité aiguë et de toxicité chronique pour le milieu aquatique, la Commission n’est pas tenue de limiter son appréciation aux seuls éléments expressément visés au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du
règlement no 1272/2008, à l’exclusion de tout autre ». Or, selon le point 32 de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), ni la Commission ni l’ECHA n’ont été en mesure d’établir devant le Tribunal que la Commission avait pris en considération la faible solubilité dans l’eau du BGHHT. Dès lors, il y a lieu de constater que la règle violée, ainsi que le Tribunal puis la Cour l’ont constaté dans leurs arrêts respectifs, se trouve au
point 4.1.3.5.5 de l’annexe I dudit règlement, et qu’il s’agit de la méthode de la somme.
63 Force est de constater que la méthode de la somme visée au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 constitue une méthode de classification des mélanges dangereux pour le milieu aquatique. En tant que telle, cette méthode ne confère aucun droit au sens strict aux particuliers. En revanche, ainsi que le soutient en substance la requérante, la classification d’un mélange parmi les substances de toxicité aquatique en vertu de ces dispositions est susceptible de créer ou d’aggraver des
obligations auxquelles des opérateurs comme la requérante doivent, le cas échéant, se conformer afin de pouvoir mettre sur le marché un tel mélange.
64 En l’espèce, il y a lieu de relever que le règlement no 1272/2008, selon son article 1er, paragraphe 1, a pour objet d’assurer non seulement un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, mais également la libre circulation des substances.
65 Ainsi, dans la mesure où la classification harmonisée des substances et des mélanges déclenche certaines obligations pour les fabricants et fournisseurs de substances chimiques qui conditionnent leur participation à la libre circulation des substances et mélanges chimiques, elle affecte nécessairement les intérêts économiques de ces opérateurs. Cela ressort notamment des considérants 4 et 5 du règlement no 944/2013 dans lesquels il est indiqué qu’un certain délai est nécessaire pour permettre aux
opérateurs d’adapter l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges aux nouvelles classifications et d’écouler les stocks.
66 Cependant, s’agissant plus particulièrement de la règle spécifique violée dans le cas d’espèce, à savoir la méthode de la somme telle que visée au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, force est de constater que celle-ci vise uniquement à permettre, sur la base de critères techniques et scientifiques, de déterminer la dangerosité liée à la toxicité aquatique d’un mélange en tenant notamment compte de la toxicité aquatique de ses composants aux fins de la classification d’un tel
mélange. Cette évaluation de la dangerosité liée à la toxicité exclut toute considération qui n’est pas liée aux propriétés intrinsèques de la substance. Aucune mise en balance des intérêts des particuliers n’est notamment prévue lors de son application.
67 Ainsi, la méthode de la somme se présente comme une règle méthodologique, comparable à une règle procédurale, ayant pour unique but de guider l’évaluation de la dangerosité des mélanges chimiques sur la base de leurs propriétés intrinsèques, et non d’assurer la protection des intérêts des particuliers (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 13 septembre 2007, Common Market Fertilizers/Commission, C‑443/05 P, EU:C:2007:511, points 143 à 145, et du 29 avril 2020, Tilly-Sabco/Commission,
T‑437/18, non publié, EU:T:2020:159, point 52).
68 Cette interprétation est confortée par le fait que ni la Cour ni le Tribunal, dans leurs arrêts du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), et du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), n’ont considéré que l’erreur manifeste d’appréciation relevait d’une méconnaissance par la Commission des intérêts des fabricants et des fournisseurs de BGHHT. Au contraire, ces arrêts ont constaté l’existence
d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où la Commission, lors de l’application de la méthode de la somme, n’a pas pris en compte la faible solubilité du mélange en soi, à savoir un élément qui peut affecter la dangerosité aquatique du mélange. En d’autres termes, la violation de la règle en question constatée dans lesdits arrêts se limite à une méconnaissance de sa portée technique et scientifique.
69 La règle de la méthode de la somme ne visant pas, de par sa nature, à protéger les intérêts des particuliers, la requérante ne saurait donc pas se prévaloir, stricto sensu, d’une méconnaissance de celle-ci à l’appui de sa demande indemnitaire.
70 Cependant, le Tribunal estime que la jurisprudence citée au point 58 ci-dessus n’exclut pas nécessairement que la violation d’une règle de droit n’ayant pas pour objet de conférer stricto sensu des droits aux particuliers, mais qui est plutôt susceptible d’entraîner l’imposition ou l’aggravation des obligations pesant sur les particuliers au titre d’autres règles du droit de l’Union, puisse être considérée comme étant susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. En effet,
à l’instar de ce qui a été retenu par la Cour s’agissant des conditions d’invocabilité de règles de droit international coutumier (arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 107), il pourrait être considéré que le comportement illégal d’une institution de l’Union affectant la situation juridique d’une personne physique ou morale composée de ses droits et, symétriquement, de ses obligations, peut, dans certains cas, justifier l’engagement
de la responsabilité non contractuelle de l’Union, qu’il s’agisse de la violation de droits ou de l’ajout ou l’aggravation d’obligations illégales. À cet égard, au regard de l’atteinte portée à cette situation juridique, il pourrait être indifférent, selon les circonstances de l’espèce, que le comportement de l’administration, prétendument illégal, ait consisté en la violation de droits ou ait entraîné l’ajout ou l’aggravation d’obligations au titre du droit de l’Union. Néanmoins, dans le cas
d’espèce, si la règle de la méthode de la somme ne confère pas, en soi, de droits aux particuliers, il se poserait toujours la question de savoir si les obligations déclenchées par une application erronée de la méthode de la somme sont de nature à affecter la situation juridique de la requérante de sorte que cette dernière peut être considérée comme détenant, in fine, un droit subjectif à l’application correcte de la méthode de la somme, ou si, au contraire, ces obligations ne constituent qu’une
conséquence purement indirecte de l’application de cette règle affectant uniquement la situation économique de la requérante.
71 En tout état de cause, la réponse à la question de savoir si, dans le cas d’espèce, la violation de la règle de la méthode de la somme sur laquelle repose la classification illégale du BGHHT peut ou non être invoquée à l’appui de la présente demande indemnitaire, sous l’angle de l’ajout ou de l’aggravation d’obligations affectant la situation juridique de la requérante, ne serait décisive pour la solution du présent litige que dans le cas où cette violation serait suffisamment caractérisée au
sens de la jurisprudence précitée, ce qu’il conviendra d’examiner ci-après.
72 S’agissant de la violation du devoir de diligence inhérente au principe de bonne administration, telle qu’alléguée par la requérante dans sa réplique, force est de constater que, formellement, dans la requête, la requérante n’avait pas allégué de façon spécifique et autonome la violation dudit devoir de diligence au soutien de sa demande indemnitaire. Il n’apparaît pas non plus que cette allégation puisse être considérée comme une ampliation d’un argument déjà contenu dans la requête. Dans ces
conditions, en ce qu’elle se fonde sur une violation du devoir de diligence, la demande indemnitaire doit, ainsi que l’a soutenu la Commission dans ses observations sur les réponses à une question écrite adressée à la requérante à cet égard, être déclarée irrecevable.
Sur la gravité de la violation alléguée de la règle de la méthode de la somme
73 En ce qui concerne la condition selon laquelle la violation de la règle de droit doit être suffisamment caractérisée aux fins du déclenchement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, la requérante fait valoir que les termes des arrêts du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), et du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), ne laissent aucune place au doute quant au fait que l’erreur
manifeste d’appréciation de la Commission, à savoir sa méconnaissance de l’étendue réelle de son pouvoir d’appréciation en adoptant la classification illégale du BGHHT, constitue une violation d’une telle nature.
74 La requérante estime que, dans le cadre d’un recours en indemnité, ce sont les actes, faits et comportement de l’institution de l’Union concernée avant que le préjudice ne se produise qui doivent faire l’objet d’un examen attentif. Or, les actes, les faits et le comportement indiqueraient clairement que la Commission estimait n’avoir aucune marge d’appréciation dans l’application de la méthode de la somme. Partant, dans le cadre d’un recours en indemnité, il y aurait lieu de considérer que la
règle violée était une règle ne laissant aucune marge d’appréciation, de sorte que, en vertu de l’arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, EU:C:2000:361), la simple infraction au droit suffirait à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.
75 En s’appuyant sur l’arrêt du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission (5/66, 7/66, 13/66 à 16/66 et 18/66 à 24/66, non publié, EU:C:1967:31), la requérante fait valoir que, dans la mesure où la Commission aurait refusé d’exercer son pouvoir d’appréciation et persisté dans cette voie jusqu’à ce que son pourvoi devant la Cour ait été rejeté, elle se serait « livrée à une application abusive des normes substantielles pertinentes », ce qui serait le critère applicable dans le cadre du présent
recours.
76 La requérante estime d’ailleurs que la législation en cause ne présentait pas de défauts et que, partant, la Commission ne saurait ni invoquer un manque de clarté des textes, ni s’« excuser en renvoyant la responsabilité pour l’erreur commise au Parlement européen et au Conseil ». Le droit aurait d’ailleurs toujours été parfaitement clair quant à la question de savoir si la Commission disposait ou non d’un pouvoir d’appréciation lors de l’examen de la classification du BGHHT. La requérante
s’appuie à cet égard notamment sur l’ordonnance du 22 mai 2014, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (C‑287/13 P, non publiée, EU:C:2014:599), et l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106), qui confirmeraient, bien que dans le contexte du règlement no 1907/2006, que la Commission peut déroger des règles prescrites en faisant usage de son pouvoir d’appréciation pour s’écarter de conclusions indues en cas d’application stricte desdites règles.
77 La requérante souligne notamment le caractère selon elle irréel des résultats du calcul effectué par la Commission au moyen de la méthode de la somme, ce que la Cour aurait également mis en évidence au point 53 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882). Les parties requérantes dans l’affaire précitée auraient dénoncé à plusieurs reprises à la Commission l’absurdité de ces résultats avant l’adoption du règlement no 944/2013 ainsi que durant
la procédure écrite dans le cadre de l’affaire T‑689/13. Le choix de la Commission aurait eu pour effet une classification du BGHHT comme une substance de toxicité aquatique, alors que, selon la requérante, il ne se dissoudrait pas dans l’eau et, au contraire, se solidifierait et coulerait dans l’eau. Selon la requérante, un tel choix « confinerait […] à l’arbitraire » au sens de l’arrêt du 5 décembre 1979, Amylum et Tunnel Refineries/Conseil et Commission (116/77 et 124/77, EU:C:1979:273), et ne
saurait être celui d’une administration normalement prudente.
78 Enfin, la requérante fait valoir que les décisions de la Commission de former un pourvoi contre l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), et de contester la demande de suspension provisoire auraient eu pour effet d’aggraver et de faire perdurer l’erreur qu’elle avait commise.
79 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne et l’ECHA, conteste ces arguments.
80 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, la constatation de l’illégalité d’un acte juridique ne suffit pas en soi, pour regrettable que soit cette illégalité, pour considérer que la condition d’engagement de la responsabilité de l’Union tenant à l’illégalité du comportement reproché aux institutions est remplie (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 31 et jurisprudence citée). En effet, selon la
jurisprudence, le recours en indemnité a été institué comme une voie autonome, ayant sa fonction particulière dans le système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique (arrêt du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./Conseil et Commission, 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, EU:C:1981:311, point 4). Ainsi, le recours en indemnité ne vise pas à assurer la réparation du préjudice causé par toute illégalité (arrêt du
3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, EU:T:2010:60, point 51).
81 À cet égard, il convient de rappeler que l’exigence d’une violation suffisamment caractérisée vise, quelle que soit la nature de l’acte illicite en cause, à éviter que le risque d’avoir à supporter les dommages allégués par les entreprises concernées n’entrave la capacité de l’institution concernée à exercer pleinement ses compétences dans l’intérêt général tant dans le cadre de son activité à portée normative ou impliquant des choix de politique économique que dans la sphère de sa compétence
administrative, sans pour autant laisser peser sur des particuliers la charge des conséquences de manquements flagrants et inexcusables (voir arrêt du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, EU:T:2010:60, point 55 et jurisprudence citée).
82 L’annulation éventuelle d’un acte de la Commission se trouvant à l’origine des préjudices invoqués par une partie requérante, même lorsqu’une telle annulation serait décidée par un arrêt du Tribunal prononcé avant l’introduction du recours indemnitaire, ne constitue pas la preuve irréfragable d’une violation suffisamment caractérisée de la part de cette institution permettant de constater, ipso jure, la responsabilité de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Export Development Bank of
Iran/Conseil, T-553/15, non publié, EU:T:2019:308, point 55).
83 Le critère décisif, qui permet de considérer que l’exigence de ne pas laisser peser sur ces particuliers les conséquences de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable est respectée, est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir, à cet effet, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 43, et du 30 mai 2017,
Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30). Cette notion de méconnaissance manifeste et grave ne se confond pas avec la notion d’erreur manifeste d’appréciation, mais doit en être distinguée. En effet, faute d’une telle distinction, toute erreur manifeste d’appréciation et, partant, toute erreur de l’administration de l’Union dans des situations lui conférant une marge d’appréciation serait susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle. Or, comme il a été
mentionné, la jurisprudence précitée en la matière ne considère pas que toute illégalité fonde, en soi, une telle responsabilité. Ce qui est donc déterminant pour établir l’existence d’une telle violation, c’est la marge d’appréciation dont disposait l’institution en cause. Il découle ainsi des critères jurisprudentiels que, lorsque l’institution concernée ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire à
établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 35 et jurisprudence citée).
84 Toutefois, cette jurisprudence n’établit aucun lien automatique entre, d’une part, l’absence de pouvoir d’appréciation de l’institution concernée et, d’autre part, la qualification de l’infraction de violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union (voir arrêt du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, EU:T:2010:60, point 59).
85 En effet, bien qu’elle présente un caractère déterminant, l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’institution concernée ne constitue pas un critère exclusif. Au contraire, il y a lieu de tenir compte, notamment, de la complexité des situations à régler et des difficultés d’application ou d’interprétation des textes (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, points 36 et 37 et jurisprudence citée) ou, plus généralement, du domaine, des conditions et du contexte dans
lesquels la règle méconnue s’impose à l’institution ou à l’organe de l’Union concerné (voir arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 40 et jurisprudence citée).
86 Il s’ensuit que seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet d’engager la responsabilité de l’Union (voir arrêt du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, EU:T:2010:60, point 62).
87 À cet égard, la jurisprudence a en outre précisé que le manquement à une obligation légale ne pouvait être tenu pour constitutif d’une violation suffisamment caractérisée aux fins de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union que si celui-ci se traduisait par un acte manifestement contraire à la règle de droit et gravement préjudiciable aux intérêts de tiers qui ne saurait trouver ni justification ni explication dans les contraintes particulières qui s’imposent objectivement
au service dans le cadre d’un fonctionnement normal (arrêt du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission, T‑212/03, EU:T:2008:315, point 43).
88 Il appartient dès lors au juge de l’Union, après avoir déterminé, d’abord, si l’institution concernée disposait d’une marge d’appréciation, de prendre en considération, ensuite, la complexité de la situation à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes, le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur commise (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 40 et jurisprudence
citée).
89 À la lumière de ces critères, il y a lieu d’analyser si le manquement de la Commission tel que constaté dans les arrêts du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), et du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), constitue une violation suffisamment caractérisée au sens de la jurisprudence susmentionnée.
90 À ces fins, il y a lieu de rappeler les considérations qui ont amené le Tribunal puis la Cour à constater que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation lors de la classification du BGHHT sur la base de la méthode de la somme.
91 S’agissant de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), il y a lieu de relever qu’il ressort du point 24 de celui-ci que le Tribunal est parti de l’hypothèse selon laquelle la Commission disposait d’« un large pouvoir d’appréciation » lors de la classification du BGHHT. Or, selon le point 30 de ce même arrêt, « la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que, en classifiant le BGHHT parmi les substances de
toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) sur la base de ses constituants, elle a manqué à son obligation de prendre en considération tous les éléments et circonstances pertinents afin de prendre dûment en compte le taux de présence des seize constituants HAP dans le BGHHT et leurs effets chimiques ». Le Tribunal a donc estimé que la Commission n’avait pas été en mesure d’établir qu’elle avait pris en considération le fait que les
constituants du BGHHT ne pouvaient être extraits du BGHHT que dans une mesure limitée et que cette substance présentait une grande stabilité et partant une faible solubilité dans l’eau. De plus, le Tribunal a souligné le fait que, en partant de l’hypothèse que tous les HAP du BGHHT se dissolvaient dans l’eau, la Commission a fondé la classification du BGHHT sur l’hypothèse que 9,2 % du BGHHT pouvait se dissoudre dans l’eau, alors qu’il ressortait du document d’information qu’une telle valeur
n’était pas réaliste, le taux de solubilité dans l’eau le plus élevé du BGHHT étant de 0,0014 %. De plus, le Tribunal a renvoyé à la définition de la toxicité aquatique aiguë contenue au point 4.1.1.1 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 qui comprenait, selon le Tribunal, les propriétés de la substance et non pas seulement celles de ses constituants. En outre, le Tribunal s’est appuyé sur la jurisprudence de la Cour, telle que citée au point 29 de son arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de
Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), selon laquelle il ne saurait être considéré, du seul fait qu’un constituant d’une substance possède un certain nombre de propriétés, que cette substance les possède également.
92 Dans son arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), la Cour n’a pas remis en cause la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission disposait d’un large pouvoir d’appréciation afin de procéder à la classification d’une substance au titre du règlement no 1272/2008 ainsi que dans le cadre de l’examen des évaluations scientifiques et techniques complexes qu’elle devait opérer à cette fin. La Cour a également jugé que le Tribunal n’avait pas
commis d’erreur de droit en jugeant que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation. La Cour a notamment renvoyé au fait que l’annexe I du règlement no 1272/2008 avait intégré dans le droit de l’Union les critères du SGH en reproduisant la quasi-totalité de ces dispositions à l’identique. Or, ce document soulignerait les problèmes d’interprétations complexes, même pour des experts, que suscite la classification, et notamment celle des substances dites « complexes ou à multi
composants » dont « les caractéristiques […] de solubilité dans l’eau posent […] des problèmes d’interprétation, dans la mesure où chaque composant du mélange peut se comporter différemment » (arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a., C‑691/15 P, EU:C:2017:882, point 43).
93 Ainsi, selon la Cour, les auteurs du SGH entendaient attirer l’attention sur les limitations inhérentes aux critères méthodologiques de classification des dangers pour le milieu aquatique à l’égard de certaines substances caractérisées par leur complexité, leur stabilité ou leur faible hydrosolubilité. Aussi, d’après la Cour, le législateur de l’Union n’aurait pas fait abstraction de ces limitations méthodologiques en intégrant le SGH dans le règlement no 1272/2008. Partant, la Cour était d’avis
que la Commission n’était pas tenue de limiter son appréciation aux seuls éléments expressément visés au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, à l’exclusion de tout autre.
94 À cet égard, la Cour a également noté que, selon le point 4.1.3.1, introduisant les critères de classification des mélanges, l’approche suivie « est appliquée, le cas échéant, pour exploiter toutes les données disponibles aux fins de la classification des dangers du mélange pour le milieu aquatique », ce qui tendait, selon la Cour, à infirmer l’interprétation selon laquelle la prise en considération d’informations autres que celles expressément retenues dans le cadre de la méthode de la somme
devrait, en toutes circonstances, être exclue. De plus, la Cour a relevé qu’il était inhérent à la méthode de la somme appliquée par la Commission en l’espèce que celle-ci perde en fiabilité dans certaines situations, comme dans le cas d’espèce, dans lequel la méthode de la somme aboutit au résultat de 14521 % qui est 581 fois supérieur au niveau minimal requis pour que le seuil de 25 %, après pondération par les facteurs M, soit atteint et que le taux maximal de solubilité dans l’eau du BGHHT
était de 0,0014 %, soit un taux environ 71000 fois inférieur au taux de solubilité hypothétique de 100 % utilisé pour les constituants pris en considération.
95 Compte tenu de la constatation du Tribunal, telle que confirmée par la Cour, selon laquelle la Commission a, dans le cas d’espèce, violé une règle lui confiant une marge d’appréciation, il convient d’écarter l’argument de la requérante tiré de ce que la Commission a estimé que la méthode de la somme était une règle stricte ne lui laissant aucune marge d’appréciation. En effet, le dommage dont la requérante pourrait éventuellement se prévaloir découle de l’erreur manifeste d’appréciation commise
par la Commission dans l’application de cette méthode. Or, la même méthode ne saurait, aux fins de la détermination de la responsabilité non contractuelle de l’autorité qui l’a appliquée, être considérée à la fois comme laissant une marge d’appréciation s’agissant du critère de manquement et stricte s’agissant du critère de la violation suffisamment caractérisée.
96 Il ressort de la jurisprudence constante précitée qu’il convient d’écarter également l’argument de la requérante selon lequel une erreur manifeste d’appréciation constitue dans tous les cas une violation suffisamment caractérisée d’une règle discrétionnaire. Comme il a été relevé aux points 80 à 83 ci-dessus, le recours en indemnité étant une voie procédurale autonome, l’illégalité d’un acte de la Commission ne suffit pas, en soi, pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. En
effet, la qualification d’une erreur d’appréciation comme étant manifeste a trait au dépassement de la marge d’appréciation et vise donc à distinguer entre les situations dans lesquelles ce dépassement est constitutif d’une violation de droit et des situations marquées par de simples désaccords sur l’exercice approprié de cette marge de discrétion. Par conséquent, dans une situation dans laquelle l’institution en cause dispose d’un large pouvoir d’appréciation, la détermination d’une violation
suffisamment caractérisée ne peut intervenir qu’après la constatation d’une erreur manifeste d’appréciation et vise à identifier, en se fondant sur les critères visés au point 88 ci-dessus, les erreurs les plus graves et inexcusables qui équivalent à une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de l’institution concernée.
97 S’agissant, en premier lieu, du critère relatif au degré de clarté et de précision de la règle violée, à savoir le point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008, il y a lieu de relever que, selon le libellé de ce point, la méthode de la somme se présente comme un calcul quasi mécanique, en vertu duquel la Commission vérifie si la somme des concentrations (en pourcentage) des constituants hautement toxiques du mélange multipliées par leurs facteurs M correspondants est égale ou
supérieure à 25 %. Si tel est le cas, le mélange, en l’espèce le BGHHT, « est classé » dans les catégories de toxicité aigüe ou chronique 1 (voir points 4.1.3.5.5.3.1 et 4.1.3.5.5.4.2 de l’annexe I du règlement no 1272/2008). Comme il a été constaté par la Cour au point 39 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), le point 4.1.3.5.5 de l’annexe I dudit règlement n’envisage pas explicitement le recours à d’autres critères que ceux
expressément visés à cette disposition.
98 À cet égard, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106), peut être considéré comme constituant un précédent qui aurait éclairci l’approche de la méthode de la somme. Comme il a été relevé par la Commission à juste titre, ni le Tribunal ni la Cour n’ont fait référence à cet arrêt. De plus, force est de constater que ledit arrêt ne portait pas sur la classification d’un mélange au titre du
règlement no 1272/2008, telle que celui en cause dans le cas d’espèce, mais sur une toute autre question, à savoir l’identification du BGHHT comme substance extrêmement préoccupante au titre de l’article 57 du règlement no 1907/2006. Ainsi, dans la mesure où le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (T‑93/10, EU:T:2013:106), que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que le BGHHT possédait certaines propriétés, en
l’occurrence notamment les propriétés « persistantes et bioaccumulables », du fait que ses constituants possédaient ces propriétés, le Tribunal n’a pas établi une règle générale selon laquelle, lorsqu’une législation établit des critères de prise de décision sans interdire spécifiquement et expressément de tenir compte d’autres facteurs, une institution pourrait, voire devrait toujours prendre en compte d’autres facteurs. En tout état de cause, comme l’a également relevé la Commission, à supposer
même que cet arrêt du Tribunal ait établi une jurisprudence claire concernant la question soulevée, quod non, force est de constater que ledit arrêt n’est devenu définitif qu’à la suite du rejet du pourvoi par la Cour par ordonnance du 22 mai 2014, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA (C‑287/13 P, non publiée, EU:C:2014:599), à savoir après l’adoption du règlement no 944/2013, ce qui implique qu’il ne pouvait, de ce seul fait, constituer un précédent que la Commission aurait pu et dû prendre en
compte lors de l’adoption du règlement no 944/2013.
99 Dès lors, le point 4.1.3.5.5 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 ne peut pas être considéré comme ayant constitué, à la date d’adoption du règlement no 944/2013, une règle tout à fait claire quant à l’existence de la marge d’appréciation dont disposait la Commission dans l’application de la méthode de la somme. Son libellé ne suggère pas l’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire et surtout ne mentionne pas que la solubilité d’un mélange est un facteur à prendre en compte. À cet égard, il y
a lieu de constater que le Tribunal et plus particulièrement la Cour ont reconnu l’existence d’une marge d’appréciation, qui aurait dû amener la Commission à prendre en compte d’autres éléments que ceux expressément visés au point 4.1.3.5.5, en se fondant sur des considérations qui ne découlent pas directement, ni explicitement, du libellé dudit point lui-même. Plus particulièrement, la Cour a eu recours à des considérations liées au contexte réglementaire plus général, à savoir notamment le fait
que la méthode de la somme ne fait pas abstraction des limitations méthodologiques telles qu’identifiées par le SGH que le règlement no 1272/2008 vise à intégrer dans le droit de l’Union selon son considérant 6. Comme la Cour l’a relevé au point 43 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), ce document souligne les problèmes d’interprétation liés à la classification de substances complexes ou à multi composants comme le BGHHT. Ces
difficultés d’interprétation qui compliquent l’application de la méthode de la somme et dont ledit arrêt est d’ailleurs révélateur s’opposent à ce que le comportement de la Commission puisse être qualifié de manifestement et gravement contraire à la règle de droit violée (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission, T‑212/03, EU:T:2008:315, point 43). S’il est vrai que, conformément aux arrêts du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P,
EU:C:2017:882), et du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), ce comportement n’est pas légal, celui-ci peut à tout le moins s’expliquer en raison du libellé dudit point 4.1.3.5.5 et des difficultés d’interprétation en vue de la classification de substances complexes.
100 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si l’erreur commise par la Commission, telle que constatée par le Tribunal, puis par la Cour, revêt un caractère intentionnel ou inexcusable, il y a lieu de constater ce qui suit.
101 Tout d’abord, force est de noter que ni le Tribunal ni la Cour n’ont remis en cause le recours à la méthode de la somme. Comme il a été relevé au point 26 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation « lors de l’application de la méthode de la somme ».
102 De plus, il convient de constater que la Commission a appliqué la méthode de la somme en suivant rigoureusement le libellé du point 4.1.3.5.5. Elle a procédé à un calcul de la somme des concentrations des constituants hautement toxiques du BGHHT après avoir appliqué les facteurs M correspondants. Une telle application de cette méthode dans le respect du libellé du point 4.1.3.5.5 indique que la Commission entendait agir dans les limites de ses compétences, ce qui, en règle générale, peut être
considéré comme étant une approche prudente dans une situation caractérisée par une complexité particulière au niveau scientifique et technique. Ainsi qu’il a été relevé au point 75 des conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:646), le principe d’« une telle approche ne peut qu’être loué », bien qu’elle se soit révélée erronée dans le cas d’espèce.
103 S’il est vrai que cette approche a été jugée comme étant entachée d’une erreur manifeste par la Cour et le Tribunal, qualifier d’inexcusable une telle approche qui suit un libellé plutôt prescriptif d’une règle de droit dans un domaine caractérisé par une haute complexité scientifique et technique et qui, de surcroît, s’inscrit dans une législation qui, selon l’article 1er du règlement no 1272/2008, « a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement,
ainsi que la libre circulation des substances [et] des mélanges […] en [...] harmonisant les critères de classification des substances et des mélanges, ainsi que les règles relatives à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges dangereux », irait au-delà des indicateurs d’une violation suffisamment caractérisée établis par la jurisprudence mentionnée ci-dessus. Notamment, une telle approche ne constitue pas un acte manifestement et gravement contraire à la règle de droit qui ne
saurait trouver ni justification ni explication dans les contraintes particulières qui s’imposent objectivement à la Commission dans le cadre de l’exercice de ses compétences en matière de classification des substances de composition inconnue (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission, T‑212/03, EU:T:2008:315, point 43).
104 De surcroît, il convient de rappeler que, en l’occurrence, la Commission a suivi l’avis du CER qui, à son tour, est le résultat d’un processus prévu par le règlement no 1272/2008. Ce processus a été lancé par la proposition de classification soumise par le Royaume des Pays-Bas en vertu de l’article 37, paragraphe 1, dudit règlement. Cette proposition a par la suite fait l’objet d’une consultation publique avant que le CER, qui, quant à lui, est composé de représentants des États membres,
n’adopte l’avis en cause par consensus conformément à l’article 37, paragraphe 4, dudit règlement.
105 La faible solubilité du BGHHT a été soulevée dans la contribution à la consultation publique du dossier établi conformément à l’annexe VI du règlement no 1272/2008 soumise par le groupe sectoriel des substances chimiques issues de la houille le 15 novembre 2010. De plus, ce groupe a, dans une lettre du 27 juin 2011, adressée au secrétariat du CER, précisé, en se référant à une publication scientifique, que la solubilité maximale dans l’eau du BGHHT était de 0,0004 %. Dès lors, il y a lieu de
constater que l’avis du CER a été rendu en toute connaissance de la faible solubilité du BGHHT. Ainsi, la faible solubilité du BGHHT a été abordée par le CER à la page 92 du document d’information dans la mesure où il y est précisé que, aux fins de l’application de la méthode de la somme, il est présumé que toutes les HAP se dissolvaient dans l’eau et que cette présomption contribue probablement à une surestimation de la toxicité du BGHHT. Dans un même temps, le CER a cependant expliqué dans son
avis qu’une telle toxicité pouvait être considérée comme étant le pire des cas (worst case) étant donné que la composition du BGHHT était incertaine et qu’il ne pouvait pas être exclu que d’autres constituants du BGHHT contribuaient à la toxicité du BGHHT en tant que tel. L’avis du CER contient donc une explication ayant trait, à tout le moins, à la tension entre, d’une part, la présomption que toutes les HAP se dissolvent dans l’eau et, d’autre part, la faible solubilité dans l’eau du BGHHT.
106 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi, dans le cas d’espèce, que, au regard du cadre juridique complexe applicable, toute administration normalement prudente et diligente aurait considéré nécessaire de douter de la plausibilité de l’avis du CER au point de devoir s’en écarter à la faveur de la prise en compte d’un critère non expressément prévu par le règlement no 1272/2008. À cet égard, il est important de rappeler que le fait que le BGHHT est une substance
de composition inconnue et complexe constituait une contrainte particulière à laquelle la Commission s’est vu confrontée au moment de l’adoption du règlement no 944/2013. Dans une telle situation d’incertitude quant à la composition exacte du BGHHT, ne peut à tout le moins pas être considéré comme étant une erreur inexcusable le fait qu’une administration suive, dans un souci de prudence, l’avis d’un groupe d’experts comme le CER qui, de surcroît, avait été adopté par consensus et était fondé
sur l’identification d’un risque de sous-estimation de la toxicité du BGHHT, étant donné qu’il était indiqué à la page 92 de cet avis que ce risque constituait le pire des cas (worst case)dans une situation où la contribution des autres constituants à la toxicité aquatique du BGHHT était inconnue.
107 À cet égard, il y a lieu de rappeler de nouveau que la classification des substances et des mélanges tels que le BGHHT, selon l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008, a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. De plus, bien que le principe de précaution ne soit pas expressément mentionné dans le règlement no 1272/2006, ce principe, sur lequel reposent notamment les dispositions du règlement no 1907/2006, ne peut être ignoré lors
de la classification de substances et de mélanges chimiques qui est un domaine étroitement lié à celui qui est visé par le règlement no 1907/2006. Le principe de précaution, qui constitue un principe général du droit de l’Union, habilite en cas d’incertitude les autorités compétentes à prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient
pleinement démontrées (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Acino/Commission, C‑269/13 P, EU:C:2014:255, point 57 et jurisprudence citée).
108 C’est dans ce contexte réglementaire que le règlement no 1272/2008 confère à la Commission la compétence de procéder à la classification de substances chimiques. Comme cela est illustré par la présente affaire, l’exercice de cette compétence peut impliquer la nécessité de parvenir à des conclusions sur la toxicité de substances complexes. Or, l’exercice de cette compétence risquerait effectivement d’être entravé au détriment des objectifs mentionnés ci-dessus si une prise de décision sur la
classification de substances complexes était susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union sans que la complexité scientifique et l’insécurité qui en découlent soient considérées, au même titre que la complexité du cadre réglementaire applicable, comme des facteurs qui pourraient rendre excusable une erreur potentielle.
109 En tout état de cause, l’erreur commise par la Commission ne constitue pas un comportement confinant à l’arbitraire au sens de l’arrêt du 5 décembre 1979, Amylum et Tunnel Refineries/Conseil et Commission (116/77 et 124/77, EU:C:1979:273). Contrairement à ce qu’allègue la requérante, le résultat élevé auquel a mené l’application de la méthode de la somme en l’espèce ne permet pas de conclure que la Commission a fait preuve d’un comportement confinant à l’arbitraire. Certes, la Cour a fait
référence au résultat de 14521 % comme étant révélateur d’une situation dans laquelle la méthode de la somme perdait en fiabilité. Néanmoins, ce résultat de 14521 %, à première vue frappant, notamment comparé au seuil de 25 % nécessaire pour conclure à une toxicité aiguë et chronique de catégorie 1, est le résultat mathématiquement nécessaire de l’application de la méthode de la somme, car certains composants du BGHHT présentent un facteur M très élevé. À titre d’exemple, il y a lieu de
constater qu’un facteur M de 10000 a été appliqué à certains constituants du BGHHT, comme en l’espèce au fluoranthène. Partant, il n’y a pas lieu de supposer que le résultat élevé d’un tel calcul atteste, en soi, du caractère inexcusable de l’erreur commise par la Commission. Étant donné que la Commission pouvait raisonnablement croire, à l’époque de l’adoption du règlement no 944/2013, qu’elle ne disposait pas de marge d’appréciation dans la classification du BGHHT sur la base de la méthode de
la somme et vu le contexte réglementaire dans lequel s’inscrit cette classification, qui est caractérisé par l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement dans le plein respect du principe de précaution, le fait que, en présence de facteurs M très élevés comme en l’espèce, le résultat de 14521 % ne l’a pas amené à remettre en cause son application de la méthode de la somme, semble au contraire excusable.
110 La Commission a ainsi fait preuve d’un comportement qui se rapproche davantage du comportement qui pourrait être attendu d’une administration normalement prudente et diligente plutôt que de celui d’une administration qui confinerait à l’arbitraire. En effet, dans une situation analogue et en l’absence d’une méthode alternative expressément prévue par le règlement no 1272/2008, il n’aurait pas été totalement surprenant qu’une administration puisse estimer qu’elle s’exposait à un risque
d’annulation en décidant de prendre en compte d’autres facteurs que ceux expressément prévus à l’annexe I du règlement no 1272/2008, et notamment au point 4.1.3.5.5 de celui-ci.
111 Force est de constater d’ailleurs que ni le Tribunal ni la Cour ne se sont prononcés sur la question de savoir si la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) était matériellement correcte ou incorrecte. Comme cela a été relevé également par M. l’avocat général Bobek au point 70 de ses conclusions dans l’affaire Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15, EU:C:2017:646), le litige
ne portait pas sur l’exactitude de la classification du BGHHT, mais uniquement sur la question de savoir quels facteurs auraient dû être pris en considération lors de l’application de la méthode de la somme. Il n’est notamment pas exclu que, même si la Commission avait pris en considération la faible solubilité du BGHHT dans l’eau, elle serait toutefois arrivée à la même conclusion concernant la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de
toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410).
112 À cet égard, il convient également de constater qu’aucune nouvelle initiative de classification n’a été entamée à la suite de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882). Comme l’a expliqué la Commission en réponse à une question écrite du Tribunal à cet égard, l’absence d’une nouvelle classification peut s’expliquer notamment, d’une part, par le fait que le BGHHT pourrait être considéré comme moins prioritaire étant donné que, en vertu du
règlement (UE) 2017/999 de la Commission, du 13 juin 2017, modifiant l’annexe XIV du règlement no 1907/2006 (JO 2017, L 150, p. 7), le BGHHT a été inclus dans l’annexe XIV du règlement no 1907/2006 en raison de ses propriétés cancérogènes, de ses propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques et de ses propriétés très persistantes et très bioaccumulables et, partant, son utilisation doit dès lors être soumise à une procédure d’autorisation à partir du 4 octobre 2020. D’autre part, la
Commission a évoqué comme possible raison le fait que la question de l’application correcte de la méthode de la somme à une substance ou à un mélange faiblement soluble dans l’eau est restée ouverte à la suite dudit arrêt de la Cour.
113 Certes, le caractère hypothétique de la question de savoir quelles sont les raisons de l’absence de nouvelle classification s’oppose à une appréciation finale de leur pertinence en l’espèce. Néanmoins, il y a lieu de considérer que le fait que l’erreur commise par la Commission, telle que constatée par le Tribunal puis par la Cour, n’a pas été corrigée par le biais d’une nouvelle classification, peut illustrer les difficultés liées à l’application correcte de la méthode de la somme. Le caractère
difficilement corrigeable de l’erreur commise par la Commission, tel que potentiellement mis en évidence en l’occurrence, s’oppose ainsi, également, à ce que cette erreur puisse être qualifiée d’inexcusable.
114 Enfin, contrairement à ce que semble alléguer la requérante, le fait que la Commission a exercé ses droits procéduraux en s’opposant à la demande de sursis à exécution ainsi qu’en formant un pourvoi contre l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), ne saurait constituer un facteur aggravant la faute commise. À cet égard, il peut raisonnablement être attendu de toute administration normalement prudente et diligente, dans une situation
analogue, de former un pourvoi afin d’obtenir une clarification par la Cour concernant l’étendue de ses obligations lors de la classification de substances complexes. Il convient d’ailleurs de noter que l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), comporte un certain nombre d’éléments d’interprétation à tout le moins complémentaires à l’analyse de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié,
EU:T:2015:767).
115 À la lumière de ce qui précède, l’erreur commise par la Commission se présente donc comme excusable. Étant donné le manque de clarté et les difficultés d’interprétation des dispositions pertinentes se trouvant à l’annexe I du règlement no 1272/2008 quant à la prise en considération d’autres facteurs que ceux expressément prévus lors de l’application de la méthode de la somme, le comportement de la Commission n’est pas éloigné de celui qui pourrait être raisonnablement attendu d’une
administration normalement prudente et diligente dans une situation analogue, à savoir une situation caractérisée par une complexité scientifique liée à la classification d’une substance de composition inconnue comme le BGHHT dans l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Un tel comportement n’équivaut pas à une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission. Dès lors, l’erreur commise ne
constitue pas une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit, de sorte que la responsabilité non contractuelle de l’Union, en tout état de cause, n’est pas engagée en l’espèce. Ce constat vaut tant pour la violation de la méthode de la somme que, à titre surabondant et pour des motifs exposés ci-dessus, pour la violation alléguée du devoir de diligence.
116 La requérante n’ayant pas démontré l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, il y a lieu de rejeter comme non fondée la demande indemnitaire sans qu’il soit nécessaire de revenir sur la question de la violation d’une règle conférant des droits à des particuliers ou d’examiner les conditions de l’existence d’un préjudice réel et certain ainsi que d’un lien de causalité.
117 Par conséquent, le premier chef de conclusions doit être rejeté comme étant, en tout état de cause, non fondé et, par suite, il convient de rejeter l’ensemble des autres chefs de conclusions et, en définitive, le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
118 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
119 Selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Selon l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure, le terme « institutions » désigne les institutions de l’Union visées à l’article 13, paragraphe 1, TUE ainsi que les organes ou organismes créés par les traités ou par un acte pris pour leur exécution et qui peuvent être parties devant le Tribunal. Selon
l’article 100 du règlement no 1907/2006, l’ECHA est un organisme de l’Union. Il s’ensuit que le Royaume d’Espagne et l’ECHA supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Industrial Química del Nalón, SA, supportera, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.
3) Le Royaume d’Espagne et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) supporteront leurs propres dépens.
Svenningsen
Barents
Mac Eochaidh
Pynnä
Laitenberger
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2020.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.