ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)
2 juin 2021 ( *1 )
« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative représentant un joueur de polo – Dessin ou modèle national antérieur – Motif relatif de nullité – Article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE) no 40/94 [devenu article 60, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) 2017/1001] »
Dans l’affaire T‑169/19,
Style & Taste, SL, établie à Madrid (Espagne), représentée par Me L. Plaza Fernández-Villa, avocat,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme S. Palmero Cabezas et M. H. O’Neill, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
The Polo/Lauren Company LP, établie à New York, New York (États-Unis), représentée par Me M. Garayalde Niño, avocate,
ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 7 janvier 2019 (affaire R 1272/2018‑5), relative à une procédure de nullité entre Style & Taste et The Polo/Lauren Company,
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),
composé de MM. S. Papasavvas, président, A. Kornezov, E. Buttigieg, Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteure) et M. G. Hesse, juges,
greffier : M. E. Coulon,
vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 19 mars 2019,
vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 20 juin 2019,
vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 10 juin 2019,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 29 septembre 2004, l’intervenante, The Polo/Lauren Company LP, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié,
lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].
2 La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :
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3 L’enregistrement a été demandé pour des produits relevant des classes 9, 18, 20, 21, 24 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.
4 La marque a été enregistrée le 3 novembre 2005 sous le numéro 4049201.
5 Le 23 février 2016, la requérante, Style & Taste, SL, a présenté une demande en nullité de la marque contestée sur le fondement d’un droit de propriété industrielle visé à l’article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement no 40/94 [devenu article 60, paragraphe 2, sous d), du règlement 2017/1001].
6 La demande en nullité était fondée sur le dessin ou modèle espagnol enregistré le 4 mars 1997 sous le numéro D0024087, reproduit ci-après :
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7 Par décision du 10 mai 2018, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.
8 Le 5 juillet 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.
9 Par décision du 7 janvier 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours au motif que l’enregistrement du dessin ou modèle antérieur avait expiré le 22 mai 2017.
Conclusions des parties
10 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal de réformer la décision attaquée en déclarant la nullité de la marque contestée.
11 L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
12 À titre liminaire, il convient de rappeler que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 29 septembre 2004, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 40/94 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 29 janvier 2020, Sky e.a., C‑371/18, EU:C:2020:45,
point 49). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales des règlements no 207/2009 et 2017/1001.
Sur la recevabilité
13 À titre principal, l’EUIPO soutient que l’unique chef de conclusions de la requérante est irrecevable. En effet, dans la mesure où la chambre de recours n’aurait pas pris position sur l’ensemble des conditions d’application de l’article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement no 40/94, le Tribunal ne pourrait pas déclarer la nullité de la marque contestée. L’EUIPO ajoute que le Tribunal ne pourrait pas davantage lui adresser une injonction tendant à ce qu’il déclare la nullité de la marque
contestée.
14 À titre subsidiaire, l’EUIPO considère que, en tout état de cause, la requérante n’a pas intérêt à agir compte tenu de l’expiration de l’enregistrement du dessin ou modèle antérieur.
15 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que la requérante demande non pas que le Tribunal adresse une injonction à l’EUIPO, mais qu’il réforme la décision attaquée.
16 Or, d’une part, si l’EUIPO fait valoir, à juste titre, que la recevabilité d’une demande en réformation doit être appréciée au regard des compétences qui sont conférées à la chambre de recours [voir arrêt du 18 octobre 2016, Raimund Schmitt Verpachtungsgesellschaft/EUIPO (Brauwelt), T‑56/15, EU:T:2016:618, point 12 et jurisprudence citée], il suffit de relever que, en l’espèce, la chambre de recours était compétente pour déclarer nulle la marque contestée, conformément à l’article 71,
paragraphe 1, et à l’article 163, paragraphe 1, du règlement 2017/1001.
17 D’autre part, il y a lieu de rappeler, à l’instar de l’EUIPO, que le pouvoir de réformation reconnu au Tribunal n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et, pas davantage, de procéder à une appréciation sur laquelle ladite chambre n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé
l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 72). Toutefois, la question de savoir si, en l’espèce, les conditions pour l’exercice du pouvoir de réformation du Tribunal sont réunies est une question de fond qui est sans incidence sur la recevabilité du recours
[voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2020, Sumol + Compal Marcas/EUIPO – Heretat Mont-Rubi (SUM011), T‑296/19, non publié, EU:T:2020:93, point 22].
18 En second lieu, il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir de la partie requérante suppose que l’annulation ou la réformation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée). Or, il convient de
constater que, conformément à l’article 54, paragraphe 2, du règlement no 40/94 (devenu article 62, paragraphe 2, du règlement 2017/1001), une marque qui a été déclarée nulle est réputée n’avoir pas eu, dès l’origine, les effets prévus par ce règlement. Il s’ensuit que la nullité de la marque contestée, laquelle n’est susceptible d’intervenir qu’à la suite de l’annulation ou de la réformation de la décision attaquée, est susceptible d’avoir des conséquences juridiques de nature à procurer à la
requérante un bénéfice au titre de la période antérieure à l’expiration de l’enregistrement du dessin ou modèle antérieur. Par conséquent, et contrairement à ce qu’allègue, en substance, l’EUIPO, ni la circonstance que l’enregistrement du dessin ou modèle antérieur a expiré, ni la circonstance que la requérante ne peut interdire, en vertu de ce dessin ou modèle, l’usage d’autres marques enregistrées postérieurement à l’expiration de l’enregistrement dudit dessin ou modèle ne prive la requérante
d’un intérêt à voir annuler ou réformer la décision attaquée.
19 Par conséquent, il y a lieu de considérer que le recours de la requérante est recevable.
Sur le fond
20 À l’appui du recours, la requérante soulève, en dépit d’une argumentation peu claire, un moyen unique tiré, en substance, de ce que la chambre de recours a rejeté, à tort, la demande en nullité au motif que l’enregistrement du dessin ou modèle antérieur avait expiré à la date de l’adoption de la décision attaquée. Elle fait valoir, à cet égard, que le droit espagnol ne lui permettait pas de renouveler l’enregistrement de ce dessin ou modèle, mais que ce dernier n’avait pas disparu du fait de son
expiration et qu’il lui suffisait d’établir aux fins de la procédure de nullité que ledit dessin ou modèle était antérieur à la marque contestée et qu’un risque de confusion était établi, conformément au droit espagnol.
21 L’EUIPO et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.
22 L’article 52 du règlement no 40/94 énumère les causes de nullité relative d’une marque de l’Union européenne. Plus particulièrement, l’article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement no 40/94 dispose que « [l]a marque [de l’Union européenne] est […] déclarée nulle sur demande présentée auprès de l’[EUIPO] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon si son usage peut être interdit en vertu d’un autre droit antérieur et notamment […] d’un droit de propriété industrielle, selon
la législation [de l’Union européenne] ou le droit national qui en régit la protection ».
23 À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions du règlement no 40/94 doivent être interprétées à la lumière du principe de priorité en vertu duquel le droit antérieur prime les marques enregistrées postérieurement (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2013, Fédération Cynologique Internationale,C‑561/11, EU:C:2013:91, point 39). Par conséquent, les droits conférés par une marque de l’Union européenne s’exercent sans préjudice des droits de titulaires acquis avant la date de dépôt ou
de priorité de cette marque.
24 Dans ces conditions, il convient de relever que l’article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement no 40/94 vise à protéger les intérêts individuels des titulaires de droits de propriété industrielle antérieurs qui entrent en conflit avec des marques de l’Union européenne postérieures. Ainsi, afin de demander la nullité de telles marques au titre de cette disposition, lesdits titulaires de droits antérieurs doivent nécessairement établir l’existence d’un conflit avec ces marques dès la date de
dépôt ou de priorité de celles-ci.
25 Il s’ensuit que, afin de demander la nullité d’une marque de l’Union européenne au titre de l’article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement no 40/94, le titulaire du droit de propriété industrielle antérieur visé par cette disposition doit nécessairement établir que ce droit lui permet d’interdire l’usage de cette marque à la date de dépôt ou de priorité de celle-ci.
26 En outre, d’une part, il convient de relever que l’usage du présent à l’article 52 du règlement no 40/94 suggère que l’EUIPO doit vérifier que les conditions pour déclarer nulle une marque de l’Union européenne au titre de cette disposition sont réunies à la date à laquelle il se prononce sur la demande en nullité. L’article 52, paragraphe 1, de ce règlement dispose ainsi qu’une marque de l’Union européenne peut être déclarée nulle lorsque le droit antérieur visé par cette disposition « existe »
et que les conditions « sont remplies », ainsi que le relève d’ailleurs, à juste titre, l’EUIPO dans ses directives relatives à l’article 60, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001. De même, l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 40/94 dispose qu’une telle marque peut être déclarée nulle si son usage « peut être interdit ». Au demeurant, il convient également de constater que la règle 37, sous b), iii), du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant
modalités d’application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1), prévoit que, dans le cadre d’une demande en nullité présentée en application de l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 40/94, le demandeur en nullité doit établir qu’il « est titulaire » de l’un des droits visés par cette disposition ou qu’il « est habilité » à faire valoir un tel droit.
27 D’autre part, il ressort de l’économie des autres dispositions du règlement no 40/94 relatives aux causes de nullité relative qu’une demande en nullité doit être rejetée lorsqu’il est établi, avec certitude, que le conflit avec la marque de l’Union européenne antérieure a cessé à l’issue de la procédure de nullité.
28 À cet égard, par exemple, il résulte de l’article 56, paragraphe 2, du règlement no 40/94 que, sur requête du titulaire d’une marque de l’Union européenne, la demande en nullité de cette marque doit être rejetée dans l’hypothèse où la marque de l’Union européenne antérieure invoquée à l’appui de cette demande n’aurait pas fait l’objet d’un usage sérieux dans les cinq années précédant la date de ladite demande et serait, par voie de conséquence, susceptible d’être déchue au titre de l’article 50,
paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94. Ainsi, l’article 56, paragraphe 2, du règlement no 40/94 permet au titulaire d’une marque de l’Union européenne d’éviter que sa marque soit déclarée nulle si le demandeur en nullité est dans l’incapacité de prouver que le conflit avec la marque de l’Union européenne antérieure perdurera à l’issue de la procédure de nullité.
29 Il s’ensuit que la circonstance qu’une marque de l’Union européenne invoquée à l’appui d’une demande en nullité ne bénéficie plus de la protection de l’Union à la date à laquelle se prononce l’EUIPO sur cette demande doit conduire au rejet de celle-ci.
30 Dans ces conditions, il convient de considérer que, dans le cadre de l’application de l’article 52, paragraphe 2, sous d), du règlement no 40/94, le titulaire d’un droit de propriété industrielle antérieur visé par cette disposition doit établir qu’il peut interdire l’usage de la marque de l’Union européenne litigieuse non seulement à la date de dépôt ou de priorité de cette marque, ainsi qu’il a été relevé au point 24 ci-dessus, mais également à la date à laquelle se prononce l’EUIPO sur la
demande en nullité.
31 En l’espèce, d’une part, il n’est pas contesté que l’enregistrement du dessin ou modèle antérieur a expiré au cours de l’année 2017, soit avant l’adoption de la décision attaquée le 7 janvier 2019. D’autre part, la requérante fait valoir que le droit espagnol ne lui permettait pas de renouveler l’enregistrement de ce dessin ou modèle, mais que ce dernier n’avait pas disparu du fait de son expiration. Toutefois, elle n’allègue ni, a fortiori, ne démontre que, conformément au droit espagnol, il
serait possible d’interdire l’usage d’une marque de l’Union européenne en vertu d’un tel dessin ou modèle après l’expiration de son enregistrement. Au contraire, elle reconnaît que le dessin ou modèle antérieur est, du fait de son expiration, tombé dans le domaine public et qu’il peut, en conséquence, être utilisé par « tous les Espagnols ».
32 Par conséquent, il convient de constater que l’usage de la marque contestée ne pouvait plus être interdit en vertu du dessin ou modèle antérieur à la date de la décision attaquée. Il s’ensuit que la chambre de recours a rejeté, à juste titre, la demande en nullité présentée par la requérante.
33 Il résulte de ce qui précède que le moyen unique de la requérante doit être écarté, de sorte que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
34 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de l’EUIPO et de l’intervenante, conformément aux conclusions de ceux-ci.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Style & Taste, SL, est condamnée aux dépens.
Papasavvas
Kornezov
Buttigieg
Kowalik-Bańczyk
Hesse
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 juin 2021.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.