ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)
9 juin 2021 ( *1 )
« Clause compromissoire – Conventions de subvention conclues dans le cadre du programme d’appui stratégique en matière de technologie de l’information et de la communication (TIC) – Rapport d’audit – Notes de débit émises par la Commission – Enquête de l’OLAF – Recours en annulation – Demande reconventionnelle – Remboursement intégral des subventions – Dommages et intérêts »
Dans l’affaire T‑235/19,
Health Information Management (HIM) , établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me P. Zeegers, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. J. Estrada de Solà et Mme M. Ilkova, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d’une part, une demande principale fondée sur l’article 272 TFUE et tendant à faire constater que les notes de débit no 3241901815 et no 3241901886, du 4 février 2019, visant au remboursement des sommes respectives de 94445 euros et de 121517 euros, au titre des conventions de subvention no 225023, relative au projet « ElDeRly-friEndly Alarm handling and monitorING (Dreaming) », et no 250449, relative au projet « Health monitoring and sOcial integration environMEnt for Supporting
WidE ExTension of independent life at HOME (HOME SWEET HOME) », conclues dans le cadre du programme d’appui stratégique en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC) prévu par le programme-cadre établi par la décision 1639/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, établissant un programme-cadre pour l’innovation et la compétitivité (2007-2013), ont été émises par la Commission en violation de ses obligations contractuelles et que, partant, lesdites
sommes ne sont pas dues et, pour autant que nécessaire, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de ces notes de débit et, d’autre part, une demande reconventionnelle de la Commission tendant à la condamnation de HIM au remboursement intégral des subventions perçues au titre des conventions susvisées et au paiement de la somme de 58876,50 euros à titre de dommages et intérêts,
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
composé de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg et G. Hesse (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
Antécédents du litige
[omissis]
2 La requérante fait partie de deux consortiums composés des bénéficiaires de deux conventions de subvention conclues dans le cadre du programme d’appui stratégique en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC) prévu par le programme-cadre pour l’innovation et la compétitivité (2007-2013), établi par la décision 1639/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006 (JO L 310, p. 15, ci-après le « programme-cadre IC »).
3 La première convention, portant le numéro 225023, a été conclue le 10 octobre 2008 entre la Communauté européenne, représentée par la Commission européenne, et Tesan Televita Srl, agissant en qualité de coordinateur du projet « ElDeRly-friEndly Alarm handling and MonitorING (Dreaming) » (ci-après, respectivement, la « convention Dreaming » et le « projet Dreaming »). La seconde convention, portant le numéro 250449, a été conclue le 31 mai 2010, entre la Communauté, représentée par la Commission,
et Digipolis SCRL, agissant en qualité de coordinateur du projet « HOME SWEET HOME : Health monitoring and sOcial integration environMEnt for Supporting WidE ExTension of independent life at HOME » (ci-après, respectivement, la « convention HOME SWEET HOME » et le « projet HOME SWEET HOME »).
4 Les projets Dreaming et HOME SWEET HOME avaient pour objectif de permettre aux personnes âgées en perte d’autonomie de rester dans leur foyer grâce à une combinaison d’appareils et de systèmes technologiques, dont un téléphone portable adapté et un système de vidéo-conférence facile à utiliser, reliés à des centres d’assistance socio-médicale.
[omissis]
24 Dans le cadre de l’exécution de ces deux projets, un audit a été demandé par la Commission à un cabinet d’auditeurs, PKF Littlejohn LLP, qui a été effectué entre le 18 avril 2014 et le 27 mai 2015.
25 Entre-temps, le 30 avril 2015, l’OLAF avait ouvert une enquête concernant notamment des allégations d’actes frauduleux commis par la requérante dans l’exécution des conventions litigieuses.
[omissis]
35 Par une lettre de préinformation du 20 septembre 2018, la Commission a indiqué que, pour mettre en œuvre les conclusions du rapport d’audit, il y avait lieu de procéder au recouvrement des sommes de 94445 euros pour le projet Dreaming et de 121517 euros pour le projet HOME SWEET HOME, correspondant aux coûts non éligibles dans la mesure où ceux-ci avaient été financés par la Commission et versés par celle-ci à la requérante. Elle a invité la requérante à prendre position dans un délai de 30 jours
à compter de la réception de ladite lettre, à défaut de quoi elle émettrait des notes de débit afin de commencer le processus de recouvrement desdites sommes.
[omissis]
37 Le rapport de l’OLAF a été finalisé le 13 novembre 2018. Dans les conclusions de ce rapport, l’OLAF estimait, en substance, que, entre l’année 2008 et l’année 2014, plusieurs irrégularités avaient été commises par la requérante, notamment dans le cadre des projets Dreaming et HOME SWEET HOME. Trois types d’irrégularités ont été constatés. Le premier portait, en substance, sur un conflit d’intérêts à l’égard de la requérante, en ce qu’elle aurait influencé ses partenaires des consortiums chargés
de la mise en œuvre desdits projets (ci-après les « partenaires de consortium ») afin de choisir une société qui lui était liée en tant que fournisseur et qu’elle aurait perçu des commissions sur les ventes de cette dernière. Le deuxième qui figurait dans le rapport reprochait à la requérante d’avoir surfacturé les coûts de personnel. Le troisième type d’irrégularités consisterait, en substance, en une surfacturation du prix de certains produits nécessaires pour la mise en œuvre des projets en
cause.
[omissis]
39 Le 4 février 2019, la Commission a notifié à la requérante deux notes de débit visant à la récupération de la partie de la contribution financière de l’Union considérée comme injustifiée en ce qui concerne le projet Dreaming et le projet HOME SWEET HOME, à savoir, respectivement, la note de débit no 3241901815, d’un montant de 94445 euros, et la note de débit no 3241901886, d’un montant de 121517 euros. Dans les deux notes de débit, la Commission a fixé comme date ultime de paiement le 18 mars
2019.
Procédure et conclusions des parties
40 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 avril 2019, la requérante a introduit le présent recours.
41 Le 12 juillet 2019, la Commission a déposé au greffe du Tribunal un mémoire en défense contenant une demande reconventionnelle.
42 La requérante a déposé la réplique le 5 septembre 2019.
43 Le 7 novembre 2019, la requérante a déposé un mémoire complémentaire contenant une demande nouvelle visant à ce qu’il soit ordonné à la Commission de retirer le nom de la requérante du système de détection rapide et d’exclusion (EDES).
44 Le 6 janvier 2020, la Commission a déposé la duplique, laquelle contenait ses observations sur le mémoire complémentaire de la requérante.
45 Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure adoptées les 9 juin et 4 août 2020 sur le fondement de l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal a posé des questions aux parties, qui y ont répondu dans les délais impartis.
46 Un membre de la dixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a, le 10 août 2020, désigné un autre juge pour compléter la chambre, en application de l’article 17, paragraphe 2, du règlement de procédure.
47 En l’absence de demande en ce sens formulée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, décidé de statuer sans phase orale de la procédure
48 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– dire pour droit qu’elle n’est pas redevable des notes de débit nos 3241901815 et 3241901886, émises le 4 février 2019 ;
– pour autant que nécessaire, prononcer la nullité de ces notes de débit ;
– ordonner à la Commission de retirer son nom de la base de données de l’EDES;
– rejeter la demande reconventionnelle comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondée ;
– condamner la Commission aux dépens.
49 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter comme non fondée la demande principale de la requérante, visant à faire constater l’inexistence des créances à son égard ;
– rejeter comme irrecevable la demande complémentaire de la requérante, visant à entendre déclarer nulles les notes de débit nos 3241901815 et 3241901886, émises le 4 février 2019 ;
– rejeter comme irrecevable la demande de la requérante formulée dans son mémoire complémentaire du 7 novembre 2019, visant à lui ordonner le retrait de son nom de la base de données de l’EDES;
– dire pour droit que les violations contractuelles imputées à la requérante dans la demande reconventionnelle ont le caractère d’irrégularités ;
– condamner la requérante à lui rembourser l’intégralité des subventions perçues à hauteur de 230348 euros, pour le projet Dreaming, et de 282451 euros, pour le projet HOME SWEET HOME ;
– condamner la requérante au paiement d’un montant de 58876,50 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la compétence du Tribunal et sur la recevabilité du recours et de la demande reconventionnelle
Sur la compétence du Tribunal
50 Il y a lieu de constater que le Tribunal est compétent pour connaître du présent recours, introduit au titre de l’article 272 TFUE, en vertu de la clause compromissoire figurant à l’article 10, troisième alinéa, de chacune des conventions litigieuses, laquelle attribue au Tribunal compétence pour statuer sur tout litige portant sur l’interprétation, l’exécution ou la validité de ces conventions.
51 Le Tribunal est également compétent, au même titre, pour statuer sur la demande reconventionnelle formulée par la Commission. En effet, selon la jurisprudence, la compétence du Tribunal, au jour de l’introduction du recours, pour connaître d’un recours introduit sur le fondement d’une clause compromissoire implique nécessairement celle de connaître d’une demande reconventionnelle formulée par une institution dans le cadre de ce même recours et qui dérive du lien contractuel ou du fait sur lequel
est fondée la demande principale ou a un rapport direct avec les obligations qui en découlent (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, Isotis/Commission, T‑59/11, EU:T:2014:679, point 265 et jurisprudence citée). Or, de même que le recours de la requérante, la demande reconventionnelle formulée par la Commission dérive du lien contractuel établi entre les parties par les conventions litigieuses. Par ailleurs, cette demande reconventionnelle concerne le remboursement de l’intégralité des
sommes versées à la requérante au titre des conventions litigieuses, de sorte qu’elle recouvre les montants qui font l’objet des notes de débit visées par le recours formé par la requérante.
[omissis]
Sur le fond
Sur la demande reconventionnelle
76 Il convient d’examiner en premier lieu la demande reconventionnelle, étant donné qu’elle tend au remboursement de l’intégralité des sommes versées à la requérante au titre des conventions litigieuses, de sorte qu’elle recouvre les montants qui font l’objet des notes de débit visées par le recours formé par la requérante.
77 La demande reconventionnelle a pour objet d’entendre condamner la requérante au paiement de la somme de 571675,5 euros au titre des conventions litigieuses. Cette demande est fondée sur les conclusions du rapport de l’OLAF.
78 S’agissant dudit rapport, la Commission fait valoir que des irrégularités ont été constatées à l’égard de la requérante dans le cadre de l’exécution des projets Dreaming et HOME SWEET HOME. La Commission met en exergue les deux irrégularités selon elle les plus fragrantes, à savoir, premièrement, l’existence d’un conflit d’intérêts et, deuxièmement, une surfacturation des prix des équipements et la perception de commissions de vente.
79 S’agissant de la première irrégularité alléguée, la Commission relève que la requérante détient 25 % des actions de la société XJ. Dans ce contexte, la Commission fait grief à la requérante d’avoir incité ses partenaires de consortium dans le cadre desdits projets à acquérir des équipements nécessaires pour la mise en œuvre de ceux-ci auprès de XJ. En outre, elle reproche à la requérante de ne pas avoir déclaré le risque de conflit d’intérêts, ni à la Commission ni à ses partenaires de
consortium. Bien plus, la requérante aurait produit deux fausses déclarations mentionnant l’absence de conflit d’intérêt avant qu’elle n’ait été acceptée comme bénéficiaire de subventions dans le cadre des deux projets en cause.
80 Pour ce qui concerne la seconde irrégularité reprochée, la Commission fait valoir, notamment, que la requérante a perçu de XJ des commissions de vente de 5 à 10 % en contrepartie de la vente à ses partenaires de consortium, par l’intermédiaire de la requérante, des équipements dans le cadre desdits projets. En outre, la requérante aurait contribué à augmenter artificiellement le prix de certains équipements. À cet égard, la Commission fait état du fait que, pour ces projets, l’achat du modèle de
téléphone portable Z était prévu, pour un prix unitaire de 1018 euros. Toutefois, ultérieurement, ce modèle aurait été remplacé par un modèle moins cher, à savoir le modèle Y au prix unitaire de 616 euros. La Commission cite une correspondance dont il ressortirait que, dans ce contexte, la requérante, XJ et une société tierce avaient décidé d’augmenter de manière artificielle le prix d’autres équipements prévus pour les projets en cause, afin de se répartir la différence de coûts de 70350 euros.
Ainsi, le prix d’une console aurait été augmenté en passant de 438,5 à 577 euros et le prix d’un logiciel pour téléconférence de 200 à 422 euros.
[omissis]
Sur les irrégularités alléguées
117 La Commission fait grief à la requérante d’avoir violé, en particulier, ses obligations contractuelles prévues au point II.3, sous g) et i), des conditions générales de chacune des conventions litigieuses ainsi que le principe d’exécution de bonne foi des contrats prévu par le droit belge, applicable à titre subsidiaire aux conventions litigieuses. À cette fin, elle allègue l’existence d’un conflit d’intérêts lié à la participation à l’actionnariat d’un fournisseur de certains équipements ainsi
qu’à la perception de commissions de vente et à des surfacturations.
[omissis]
124 Il y a lieu de rappeler, d’emblée, que, dans le cadre d’un contrat qui contient une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE, il incombe à la partie qui a déclaré des coûts à la Commission pour l’attribution d’une contribution financière de l’Union d’apporter la preuve que lesdits coûts étaient des coûts réels qui avaient effectivement été nécessaires et encourus pour l’exécution du projet pendant la durée de celui-ci. Toutefois, dans l’hypothèse où la Commission demande le
remboursement d’une créance à la suite d’un audit financier, il lui incombe de prouver que, à condition que le bénéficiaire ait produit les relevés de frais et autres renseignements pertinents, la prestation contractuelle est défectueuse ou que les relevés de frais ne sont pas exacts ou crédibles (voir arrêt du 13 juillet 2017, Talanton/Commission, T‑65/15, non publié, EU:T:2017:491, point 54 et jurisprudence citée).
125 En l’occurrence, dès lors que la requérante a produit les relevés de frais et autres renseignements pertinents, il incombe à la Commission de présenter des preuves concrètes que les prestations contractuelles de la requérante ont été défectueuses au regard des obligations qu’elle a contractées dans le cadre des conventions litigeuses.
126 Il convient de relever, tout d’abord, qu’il résulte du point II.3, sous g), des conditions générales des conventions litigieuses qu’un risque de conflit d’intérêts suppose l’existence d’une convergence d’intérêts économiques, d’affinités politiques ou nationales, de liens familiaux ou affectifs ou de tout autre type d’intérêt. Cette convergence, ces affinités ou ces liens doivent donc être effectivement constatés à la suite d’une appréciation concrète de l’objet du contrat et de la situation des
parties concernées (voir, par analogie, arrêt du 22 janvier 2019, EKETA/Commission, T‑166/17, non publié, EU:T:2019:26, point 100 et jurisprudence citée)
127 En revanche, dans la mesure où ledit point des conditions générales vise un « risque » de conflit d’intérêts « susceptible » de compromettre l’exécution impartiale et objective du projet, il n’exige pas que soit apportée la preuve que ce conflit a ou a eu, de manière avérée, une influence sur l’exécution du contrat ou sur ses coûts (voir par analogie arrêt du 22 janvier 2019, EKETA/Commission, T‑166/17, non publié, EU:T:2019:26, point 100 et jurisprudence citée).
128 En l’espèce, la situation de conflit d’intérêts alléguée repose sur deux éléments, à savoir le fait que la requérante percevait des commissions de vente de la part de XJ et le fait que la requérante était actionnaire minoritaire de cette société.
– Sur les allégations de conflit d’intérêts liées à la participation de la requérante à l’actionnariat d’un fournisseur
129 Tout d’abord, il est constant que la requérante détenait 25 % des actions de XJ et qu’elle ne l’avait pas déclaré à la Commission.
130 Ensuite, la Commission a démontré que les agissements concrets de la requérante dans le cadre de l’exécution des deux projets en cause étaient de nature à compromettre l’exécution impartiale et objective de ceux-ci au sens du point II.3, sous g), des conditions générales des conventions litigeuses.
131 À cet égard, il y a lieu de constater que le choix des produits et des solutions proposés par XJ avait déjà été fait avant la signature de la convention Dreaming, à l’initiative de la requérante, ainsi qu’il ressort de la description du projet qui figure en annexe I de ladite convention. Ainsi que l’a fait valoir la Commission au point 72 du mémoire en défense, le projet HOME SWEET HOME étant une continuation du projet Dreaming, les mêmes produits ont été retenus.
132 En outre, il y a lieu de relever le manque de transparence de la requérante quant à ses liens avec XJ. Ainsi qu’il a été relevé aux point 108 et 109 ci‑dessus, il est établi qu’au moins certains partenaires de consortium n’étaient pas informés de la nature de ces liens. En outre, la requérante a omis d’informer la Commission quant à ses liens avec le fournisseur des équipements déjà visés dans la description du projet Dreaming et a même produit de fausses déclarations d’absence de conflit
d’intérêts, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 121 ci-dessus.
133 Enfin, la requérante a demandé de façon pressante à ses partenaires de consortium d’acquérir les équipements auprès de XJ au motif, notamment, qu’il n’y avait pas d’autres équipements appropriés sur le marché pour la mise en œuvre des projets. En effet, il ressort des échanges de courriels figurant dans l’annexe B.20, notamment du courriel du 10 août 2010 adressé par la requérante à ses partenaires du consortium chargés du projet HOME SWEET HOME, que la requérante s’est efforcée, en concertation
avec XJ, de recueillir les commandes desdits partenaires pour l’achat des produits de cette société, notamment en leur envoyant des formulaires de commande préimprimés.
134 Partant, il y a lieu de constater que la Commission a présenté des preuves concrètes que la requérante était impliquée dans un conflit d’intérêts susceptible de compromettre l’exécution impartiale et objective des conventions, en violation du point II.3, sous g), des conditions générales de chacune des conventions litigieuses, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 124 à 127 ci-dessus.
135 Les affirmations de la requérante ne sauraient remettre en cause ce qui précède.
136 La requérante fait valoir, en substance, que les liens entre elle-même et XJ n’auraient pas porté préjudice au budget des projets et que, dès lors, elle n’aurait pas manqué à ses obligations contractuelles relatives à l’existence d’un conflit d’intérêts. Elle fait valoir, notamment, que les équipements fournis par XJ étaient les seuls produits permettant l’exécution des projets.
137 Il convient de relever que la prétendue pertinence exclusive des équipements de XJ n’a pas été prouvée à suffisance de droit, eu égard, notamment, au fait que, ainsi qu’il ressort du point 76 du mémoire en défense de la Commission et de l’annexe B.25, l’appel d’offres organisé par XL a donné lieu à la présentation d’au moins quatre soumissions présentant un produit concurrent de celui de XJ pour le projet HOME SWEET HOME. En outre, ainsi que l’a relevé à bon droit la Commission, la requérante a
remplacé le modèle de téléphone initialement prévu par un autre modèle, ce qui indique qu’au moins certains appareils utilisés dans le cadre des deux projets étaient interchangeables. Par ailleurs, à supposer que la solution de XJ ait effectivement été la seule possible, la requérante n’explique pas la raison pour laquelle elle a adressé des lettres aux partenaires sociomédicaux responsables de l’achat du matériel en leur demandant de façon pressante d’engager des procédures devant aboutir à
l’achat des produits de cette société (voir point 133 ci-dessus). En effet, l’inexistence de solution technique concurrente de celle de XJ aurait dû avoir pour effet de placer cette dernière dans une position de négociation privilégiée. L’ingérence de la requérante dans ces procédures d’achat ne correspond donc à aucune explication autre que celle avancée par la Commission.
138 Les autres arguments avancés par la requérante ne sont pas non plus de nature à infirmer les preuves concrètes présentées par la Commission.
139 Ainsi, s’il est vrai que la Commission avait connaissance de l’intention d’acquérir les équipements auprès de XJ avant de s’engager dans le financement des projets, ainsi que le fait valoir la requérante, il n’en reste pas moins que la Commission n’était pas au courant des liens de la requérante avec XJ avant l’enquête de l’OLAF.
140 En outre, l’argument de la requérante selon lequel le fait qu’elle était actionnaire minoritaire d’un des fournisseurs dans le cadre des deux projets en cause ne présente pas de risque de conflit d’intérêts ne saurait non plus prospérer. En effet, le fait d’être actionnaire, fût-ce minoritaire, du principal fournisseur d’équipements dans le cadre desdits projets implique un risque de convergence d’intérêts économiques rentrant dans les prévisions du point II.3, sous g), des conditions générales
des conventions litigieuses.
141 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas réfuté à suffisance de droit les éléments de preuve présentés par la Commission quant à l’existence d’un conflit d’intérêts en ce qui la concernait, qui était de nature à influer sur l’exécution des projets en cause et sur le montant des subventions à charge du budget géré par l’Union, étant donné que, eu égard à la participation de la requérante à l’actionnariat de XJ, celle-ci n’a pas prouvé que l’acquisition des
équipements commercialisés par cette société était la seule possibilité et que, si tel n’était pas le cas, ce choix était uniquement fondé sur le rapport qualité-prix de ces produits.
142 Partant, il résulte de toutes ces considérations que sont établies les allégations de la Commission relatives à l’existence d’un conflit d’intérêts non déclaré en ce qui concerne la participation de la requérante à l’actionnariat d’un fournisseur.
– Sur les allégations de conflit d’intérêts liées à la perception par la requérante de commissions sur les ventes réalisées par un fournisseur et sur les surfacturations alléguées
143 S’agissant, en premier lieu, des commissions de vente que la requérante aurait perçues, il convient de constater qu’il n’est pas contesté que cette dernière a établi une facture destinée à XJ pour une commission de vente de 45991 euros dans le cadre du projet Dreaming pour les années 2008 et 2009. À cet égard, XJ a confirmé qu’elle payait des commissions de vente de 5 à 10 % pour les ventes réalisées avec l’intervention de la requérante. La Commission se réfère à une lettre de cette dernière
dont il ressortirait qu’elle reconnaît avoir reçu des commissions de vente notamment pour les ventes réalisées dans le cadre du projet Dreaming et qu’elle aurait dû déclarer ces revenus.
144 La Commission fait valoir que le fait de percevoir une commission de vente constitue une violation de plusieurs règles applicables en l’espèce, à savoir le point II.3, sous g) et i), des conditions générales des conventions litigieuses et du principe d’exécution de bonne foi des contrats, et donc de l’article 1134 du code civil belge. Les agissements en cause devraient également être qualifiés d’irrégularités au sens du point II.1 desdites conditions générales.
145 La requérante rétorque qu’aucune règle légale, réglementaire ou contractuelle n’a été violée par le fait qu’elle a perçu des commissions de vente dans le cadre du projet Dreaming. Ce serait une pratique commerciale courante. En tout état de cause, il ne serait pas établi que le fait de recevoir de telles commissions ait causé une augmentation des prix des produits acquis pour l’exécution de ce projet.
146 Il convient de rappeler que le fait que la requérante a reçu des commissions de vente s’inscrit dans le contexte de l’existence d’un conflit d’intérêts en ce qui la concerne résultant de ses liens avec XJ, constaté aux points 126 à 140 ci-dessus. D’une part, ainsi qu’il a été exposé au point 137 ci-dessus, la requérante n’a pas démontré que le choix des équipements commercialisés par cette société ait été fondé sur le rapport qualité-prix des équipements concernés, et non pas uniquement sur ses
intérêts économiques. Ainsi, la perception de commissions de vente par la requérante était à tout le moins susceptible d’influer sur le choix desdits équipements. D’autre part, le versement de commissions de vente par XJ à la requérante était de nature à faire augmenter le coût total des équipements et, de ce fait, à porter préjudice aux budgets alloués aux projets en cause.
147 Or, la requérante se borne à arguer que le fait que XJ a pu vendre un certain nombre de produits grâce à son intervention a entraîné une baisse des prix unitaires. Toutefois, cette allégation n’est fondée sur aucun élément de preuve concret. En particulier, il n’a aucunement été établi que la perception de commissions de vente aurait eu un effet positif pour les budgets alloués aux projets en cause.
148 Il s’ensuit que la requérante n’est pas parvenue à infirmer la conclusion que la perception de commissions de vente était de nature à compromettre l’exécution impartiale et objective des projets en cause.
149 S’agissant, en second lieu, de la surfacturation alléguée, la Commission expose que le projet Dreaming comportait initialement l’installation du modèle de téléphone portable Z dans les domiciles des personnes âgées, cet appareil étant vendu au prix unitaire de 1018 euros. En cours d’exécution dudit projet, ce modèle aurait été remplacé par un modèle de téléphone portable moins cher, à savoir le modèle Y vendu au prix unitaire de 616 euros.
150 La Commission reproche à la requérante de ne pas avoir répercuté cette réduction de coûts sur le projet en diminuant le coût des équipements technologiques pour chacun des participants, mais, au contraire, avec la complicité de XJ et de la société XM, d’avoir conservé le bénéfice résultant de la différence de coûts, qualifié d’inattendu, qui aurait été réparti à parts égales entre la requérante et ces deux sociétés. La Commission invoque notamment à cet égard un courriel du 17 novembre 2008
adressé par XJ à la requérante et à XM.
151 À cette fin, la requérante et les deux sociétés susmentionnées auraient artificiellement augmenté les prix d’autres équipements nécessaires pour la réalisation du projet, ainsi que le démontrerait le tableau repris au point 90 du mémoire en défense. Ainsi, sans raison objective, le prix d’une console serait passé de 438,50 à 577 euros et le prix d’un logiciel pour téléconférence de 200 à 400 euros.
152 Afin de calculer le montant de la surfacturation alléguée, la Commission a calculé le nombre d’unités surfacturées en se fondant sur une analyse des factures figurant dans le dossier produit par la Commission. La surfacturation porterait sur un montant de 45697,50 euros pour le projet Dreaming et de 26064,50 euros pour le projet HOME SWEET HOME, soit au total 71762 euros.
153 Selon la requérante, les allégations de la Commission ne sont pas conformes aux faits. Au cours de la mise en œuvre du projet Dreaming, il serait apparu que le téléphone Z n’était plus commercialisé. En sa qualité de fournisseur du matériel technique, XJ aurait dès lors proposé d’utiliser un autre produit, soit le téléphone Y, vendu au prix de 616 euros. Entre-temps, le coût d’autres équipements aurait augmenté. En tout état de cause, l’opération aurait été globalement largement déficitaire pour
XJ.
154 Par ailleurs, la requérante admet que les modifications de prix ont été discutées avec XM, également bénéficiaire de subvention dans le cadre du projet Dreaming, et XJ, notamment dans un courriel du 16 décembre 2008. Toutefois, les propositions exprimées dans ce courriel de compenser la baisse du prix d’un produit par une augmentation des prix des autres produits n’auraient pas été mises en œuvre. En outre, l’objectif de la requérante n’aurait pas été de réaliser des bénéfices. Selon elle,
aucune règle contractuelle, légale ou réglementaire, pas plus que les usages honnêtes en matière commerciale ou encore l’exécution de bonne foi des conventions, n’impose à un fournisseur de réduire le coût de son offre en cas de baisse du prix d’un des éléments à fournir. Il en serait d’autant plus ainsi quand le prix d’autres produits, quant à eux, augmentent et que le coût global reste le même.
155 Le Tribunal considère que la Commission a prouvé à suffisance de droit que la requérante, en concertation étroite avec XJ et XM, a augmenté de manière artificielle les prix de la console et du logiciel à la suite du remplacement du modèle de téléphone Z par le modèle Y, d’un prix inférieur, par les pièces produites, notamment sur le fondement de la correspondance échangée entre les dirigeants des trois sociétés concernées, constituant l’annexe B.21. En effet, il ressort notamment de cette
correspondance que, « lorsque le modèle Z a été remplacé par le Y, la différence de prix de 402 euros a été transférée aux budgets de la société XM pour le logiciel et la console » et qu’« il est correct de partager le solde de 402 euros à parts égales entre [XJ, XM et la requérante] ».
156 L’allégation de la requérante selon laquelle cette proposition de répartition du solde n’a jamais été mise en œuvre ne peut pas être admise, au regard des preuves produites par la Commission. Ainsi, il ressort du tableau annexé à l’un des courriels échangés entre la requérante, XM et XJ (annexe B.21, p 1124) que le prix des consoles et du logiciel pour téléconférence ont augmenté. Ensuite, il ressort des factures nos 151, 157, 158, 165 et 179 envoyées par XJ aux acheteurs des équipements
concernés que les prix augmentés ont effectivement été facturés. Quant à la thèse de la requérante selon laquelle l’augmentation des prix du logiciel et de la console correspond à une augmentation réelle des prix de ces produits sur le marché, celle-ci n’est étayée par aucun élément de preuve.
157 C’est donc à bon droit que la Commission reproche à la requérante d’avoir violé le point II.3, sous g) et i), des conditions générales ainsi que le principe d’exécution de bonne foi des contrats.
Sur la qualification des violations des obligations contractuelles d’irrégularités au sens du point II.1 des conditions générales des conventions litigieuses
158 Par son troisième chef de conclusions, la Commission demande au Tribunal de dire pour droit que les violations des obligations contractuelles imputées à la requérante ont le caractère d’irrégularités au sens du point II.1 des conditions générales des conventions litigieuses.
159 La notion d’irrégularité correspond, selon ledit point II. 1, à la définition suivante :
« Irrégularité : désigne toute violation d’une disposition du droit [de l’Union] ou toute méconnaissance d’une disposition de cette convention de subvention résultant d’un acte ou d’une omission d’un ou des contractants qui porte ou qui pourrait porter préjudice au budget [de l’Union]. »
160 Force est de constater que la notion d’irrégularité est ainsi définie par deux critères cumulatifs : une violation d’une règle de droit ou d’une stipulation contractuelle et le fait pour celle-ci d’entraîner ou d’être susceptible d’entraîner des conséquences financières en mettant à la charge des budgets gérés par l’Union des dépenses injustifiées. Une telle définition ne comporte, en revanche, aucun seuil de gravité (voir, par analogie, arrêt du 2 octobre 2012, ELE.SI.A/Commission, T‑312/10,
non publié, EU:T:2012:512, point 107).
161 À cet égard, la Commission a prouvé à suffisance de droit que les agissements reprochés à la requérante pouvaient entraîner des conséquences négatives pour les budgets gérés par l’Union. En effet, en raison du conflit d’intérêts concernant la requérante et de la perception de commissions sur les ventes de certains équipements acquis par des partenaires de consortium dans le cadre de la mise en œuvre des projets en cause, il y avait un risque sérieux que le rapport qualité-prix desdits
équipements ne soit pas équivalent à celui pouvant résulter d’une procédure transparente de négociation. Pour ce qui concerne, ensuite, la surfacturation du logiciel et de la console, il est manifeste qu’elle a généré des dépenses injustifiées, étant donné qu’elle a eu pour conséquence que la baisse du prix des téléphones n’a pas été répercutée au profit du budget du projet.
162 Partant, le Tribunal constate que, par ses agissements, la requérante a méconnu ses obligations contractuelles d’une façon susceptible d’entraîner des conséquences financières pour les budgets gérés par l’Union. En conséquence, les agissements concernés doivent être qualifiés d’irrégularités au sens du point II. 1 des conditions générales de chacune des conventions litigieuses.
163 Il y a lieu, dès lors, de dire pour droit que les violations contractuelles imputées à la requérante relatives à l’existence d’un conflit d’intérêts, à la perception de commissions de vente et à une surfacturation constituent des irrégularités au sens de ladite stipulation contractuelle.
Sur le remboursement intégral des sommes versées
164 La Commission demande, en premier lieu, le remboursement intégral des sommes versées à la requérante, notamment sur le fondement de l’article 119 du règlement financier et de l’article 183 du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement no 1605/2002 (JO 2002, L 357, p. 1), lus conjointement avec le point II.26, paragraphe 6, et le point II.28, paragraphe 5, des conditions générales des conventions litigieuses ainsi
qu’avec l’article 9, paragraphe 1, de la décision no 1639/2006.
[omissis]
166 La requérante soutient, en substance, que, à supposer que l’existence d’un conflit d’intérêts soit établie, ce fait ne justifie pas le recouvrement de l’intégralité des subventions, d’autant que, selon elle, cette situation n’a pas eu de répercussion négative pour le budget des projets en cause. Elle fait valoir également que ces projets ont été achevés et que les résultats atteints auraient été qualifiés de suffisants. Par ailleurs, elle souligne que le recouvrement des subventions mènerait à
sa faillite.
167 Tout d’abord, il convient de rappeler que, conformément à l’article 10, premier alinéa, de chacune des conventions litigieuses, celles-ci, et donc l’octroi de la subvention en faisant l’objet, étaient régis par les stipulations de ces conventions, par les actes de l’Union concernant le programme-cadre IC, par le règlement financier et ses règles d’exécution ainsi que par d’autres dispositions du droit de l’Union et, à titre subsidiaire, par le droit belge.
168 En premier lieu, s’agissant des stipulations contractuelles pertinentes, il convient de relever que, conformément au point II.26, paragraphe 6, des conditions générales des conventions litigieuses, chaque paiement peut faire l’objet d’un audit ou d’un contrôle et peut être modifié ou recouvré sur le fondement des résultats de cet audit ou de ce contrôle. Selon le point II.28, paragraphe 5, desdites conditions générales, la Commission prend des mesures appropriées sur le fondement des conclusions
de l’audit, y compris l’émission d’un ordre de recouvrement concernant tout ou une partie des paiements effectués et l’application de sanctions.
169 Ces stipulations n’excluent donc pas la possibilité pour la Commission de procéder au recouvrement intégral des sommes versées au titre desdites conventions. Au contraire, il en résulte explicitement que tous les paiements peuvent être recouvrés.
170 En deuxième lieu, le règlement financier dispose, à son article 119 :
«1. Le montant de la subvention ne devient définitif qu’après l’acceptation par l’institution des rapports et des comptes finaux, sans préjudice des contrôles ultérieurs effectués par l’institution.
2. En cas de non-respect par le bénéficiaire de ses obligations, la subvention est suspendue, réduite ou supprimée dans les cas prévus par les modalités d’exécution après que le bénéficiaire a été mis en mesure de formuler ses observations. »
171 L’emploi du terme « supprimée » audit article 119, paragraphe 2, vise ainsi l’hypothèse d’un recouvrement de l’intégralité des sommes perçues.
172 Cette conclusion est également conforme au principe de bonne et saine gestion financière des ressources de l’Union prévu à l’article 317 TFUE. Ainsi, en cas de non-respect des conditions fixées par une convention de subvention, l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union est tenu de récupérer la subvention versée à concurrence des montants considérés comme non fiables ou non vérifiables.
173 De surcroît, le juge de l’Union a déjà jugé que, dans le système d’octroi des concours financiers de l’Union, l’utilisation de ces concours est soumise à des règles qui peuvent aboutir à la restitution partielle ou totale d’un concours déjà octroyé (arrêts du 7 juillet 2010, Commission/Hellenic Ventures e.a., T‑44/06, non publié, EU:T:2010:284, point 85, et du 16 décembre 2010, Commission/Arci Nuova associazione comitato di Cagliari et Gessa, T‑259/09, non publié, EU:T:2010:536, point 61).
174 Il ressort également de la jurisprudence que le bénéficiaire d’une subvention n’acquiert aucun droit définitif au paiement intégral de cette subvention s’il ne respecte pas les conditions auxquelles le soutien était subordonné (voir arrêt du 10 octobre 2019, Help – Hilfe zur Selbsthilfe/Commission, T‑335/17, non publié, EU:T:2019:736, point 200 et jurisprudence citée).
175 Il s’ensuit que les stipulations contractuelles et les dispositions pertinentes du règlement financier n’empêchent pas la Commission de procéder à un recouvrement de l’intégralité des sommes versées à la requérante au titre des conventions litigeuses.
176 Ensuite, il convient de vérifier si, dans les circonstances de l’espèce, la Commission est fondée à obtenir le remboursement intégral desdites sommes.
177 À cet égard, il importe de relever, ainsi qu’il a été établi au point 162 ci-dessus, que les reproches faits à la requérante peuvent être qualifiés d’« irrégularités » au sens du point II.1 des conditions générales des conventions litigieuses.
178 Par ailleurs, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit cette stipulation contractuelle, il convient de relever qu’il résulte du point II.10, paragraphe 3, sous f), desdites conditions générales que le fait de commettre une irrégularité est un acte ou une omission d’une gravité telle qu’il peut justifier la résiliation de la convention en question avec effet immédiat. En outre, le point II.5, paragraphe 3, sous d), quatrième tiret, de ces conditions générales prévoit que la Commission peut
suspendre, à tout moment, le paiement, pour tout ou partie du montant destiné au bénéficiaire concerné, en cas de suspicion d’une irrégularité commise par un ou plusieurs bénéficiaires.
179 En l’occurrence, il y a lieu de considérer que la requérante, en ne déclarant pas le risque de conflit d’intérêts, en ayant perçu des commissions de vente et en ayant participé à la surfacturation de certains équipements n’a pas respecté le principe d’exécution de bonne foi des contrats, tel qu’établi, en droit belge, par l’article 1134, troisième alinéa, et l’article 1135 du code civil.
180 En effet, il a été établi aux points 128 et 129 ci-dessus que la requérante se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts par rapport à XJ, qui a été à la base du choix de cette dernière pour la fourniture d’équipements. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, il est impossible de chiffrer les répercussions de ce conflit d’intérêts sur le budget des projets en cause, du fait que le prix voire même la nécessité de l’achat de ces équipements en l’absence de ce conflit d’intérêt ne
sauraient être déterminés. Il résulte, ensuite, du point 141 ci-dessus que la requérante n’a pas démontré que ses agissements n’avaient pas entraîné de répercussions négatives sur le budget desdits projets. Ainsi, elle n’a pas prouvé que les produits de XJ étaient les seuls permettant la réalisation de ces projets et que, dès lors, le choix de ces produits avait été fondé sur des considérations objectives. De même, elle n’a pas démontré que le fait qu’elle avait perçu des commissions de vente
n’avait pas influé sur le prix des produits en cause. Compte tenu dudit conflit d’intérêts, il n’est pas établi que les équipements acquis présentaient le meilleur rapport qualité-prix. Dans ces conditions, il convient de constater que ce conflit d’intérêts a eu une influence sur l’ensemble de la relation contractuelle entre la requérante et la Commission.
181 En outre, il importe de souligner que les violations d’obligations contractuelles commises par la requérante ont été d’une gravité telle qu’elle justifie le remboursement intégral des subventions. En effet, la requérante a porté gravement atteinte à sa relation contractuelle avec la Commission en ne déclarant pas l’existence d’un conflit d’intérêts ainsi que la perception de commissions de vente et en procédant à une surfacturation des prix de certains produits.
182 Dans ces conditions, le recouvrement intégral des sommes versées au titre des conventions litigieuses n’est pas disproportionné.
183 Cette conclusion n’est pas affectée par le fait que les projets en cause ont été effectivement réalisés par la requérante ni par les résultats obtenus.
184 En effet, il ne suffit pas de démontrer qu’un projet a été réalisé pour justifier l’attribution d’une subvention spécifique. Le bénéficiaire de l’aide doit, de surcroît, apporter la preuve qu’il a exposé les frais déclarés conformément aux conditions fixées pour l’octroi de la subvention concernée. Son obligation de respecter les conditions financières fixées constitue un engagement essentiel et, de ce fait, conditionne l’attribution de la subvention de l’Union (arrêt du 10 octobre 2019, Help –
Hilfe zur Selbsthilfe/Commission, T‑335/17, non publié, EU:T:2019:736, point 201).
185 Partant, la demande de remboursement de l’intégralité des sommes versées dans le cadre des conventions litigieuses est fondée, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à ce chef de conclusions de la demande reconventionnelle de la Commission.
Sur la demande de dommages et intérêts
186 En sus du remboursement des subventions, la Commission demande le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 58876,50 euros.
187 Selon la Commission, les trois conditions pour engager la responsabilité contractuelle de la requérante sont remplies, à savoir la violation d’une ou de plusieurs stipulations contractuelles, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement mis en cause et le préjudice invoqué.
188 La Commission fait valoir que la perception, par la requérante, de commissions de vente pour 45991 euros a été prouvée. Elle part de la prémisse selon laquelle XJ aurait réduit ses prix au moins de ce montant si ces commissions n’avaient pas été dues. En tout état de cause, une exécution correcte et loyale du contrat aurait dû amener la requérante à déclarer et à rétrocéder cette ristourne au profit des partenaires de consortium chargés de l’exécution du projet concerné.
189 S’agissant de la surfacturation de la console et du logiciel, la Commission déduit des éléments figurant dans le rapport de l’OLAF que, dans le cadre du projet Dreaming, 135 unités de la console et du logiciel ont été vendues. Un montant de 338,50 euros par unité aurait été surfacturé, soit donc un montant total de 45697,50 euros. Dans le cadre du projet HOME SWEET HOME, 77 unités auraient été vendues, ce qui aurait entraîné un surcoût de 26064,50 euros.
190 Du fait que la Commission n’a financé que la moitié de ces projets, elle aurait subi un dommage total de 58876,50 euros.
191 Selon la requérante, à supposer qu’elle ait commis les violations de règles légales ou contractuelles qui lui sont reprochées, ce qu’elle conteste, la réalité du dommage et le lien de causalité entre ses agissements et ce prétendu dommage n’ont pas été prouvés. À cet égard, elle fait valoir que le prix des produits concernés n’aurait pas été inférieur si elle n’avait pas fait fonction d’intermédiaire, étant donné que ce serait grâce à elle que XJ a pu vendre un nombre plus important de produits
à un prix unitaire moins élevé. Pour ce qui est de l’augmentation du prix de la console et du logiciel, le prix de ces équipements sur le marché aurait réellement augmenté, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de surfacturation.
192 Il y a lieu de relever, tout d’abord, que la demande en cause a pour objet l’engagement de la responsabilité contractuelle de la requérante. En effet, la Commission fait valoir que les dommages dont l’indemnisation est réclamée ont été causés par la violation, par la requérante, de ses obligations contractuelles. Dès lors, le Tribunal est compétent, sur le fondement de l’article 272 TFUE, pour connaître de cette demande, qui dérive du même lien contractuel que celui sur lequel est fondée la
demande reconventionnelle.
193 Ensuite, il importe de constater que, saisi dans le cadre d’une clause compromissoire en vertu de l’article 272 TFUE, le Tribunal doit trancher le litige sur la base du droit matériel applicable au contrat (voir arrêts du 29 novembre 2016, ANKO/REA, T‑270/15, non publié, EU:T:2016:681, point 43 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, Universiteit Antwerpen/REA, T‑208/15, non publié, EU:T:2017:136, point 53 et jurisprudence citée). Le droit applicable au contrat est celui qui est
expressément prévu dans celui-ci, les stipulations contractuelles exprimant la commune volonté des parties devant primer sur tout autre critère, utilisable seulement dans le silence du contrat (voir arrêt du 8 septembre 2015, Amitié/Commission, T‑234/12, non publié, EU:T:2015:601, point 74 et jurisprudence citée).
194 Il convient de rappeler que, conformément à l’article 10 de chacune des conventions litigieuses, celles-ci sont régies par leurs propres dispositions, par les dispositions pertinentes du droit de l’Union et, à titre subsidiaire, par le droit belge.
195 Or, force est de constater que la Commission ne cite aucune clause desdits contrats qui prévoirait la responsabilité contractuelle de la requérante.
196 En outre, il y a lieu de relever que le droit de l’Union ne comporte pas de disposition matérielle régissant la responsabilité contractuelle pour les dommages causés par un cocontractant de l’Union.
197 À cet égard, la Commission se réfère, au point 99 du mémoire en défense, à l’arrêt du 12 avril 2018, PY/EUCAP Sahel Niger (T‑763/16, EU:T:2018:181), qui concerne la responsabilité contractuelle de l’Union en vertu de l’article 340 TFUE et le droit applicable dans une telle situation. Au point 66 dudit arrêt, le Tribunal a considéré que la responsabilité contractuelle pouvait être examinée « sur le seul fondement des contrats d’emploi en cause […] à la lumière des principes généraux du droit de
l’Union en matière d’engagement de la responsabilité contractuelle » et que, « selon ces principes, trois conditions doivent être remplies pour qu’une action en responsabilité contractuelle puisse aboutir, à savoir, tout d’abord, que l’institution en cause n’ait pas rempli ses obligations contractuelles, ensuite, que la partie requérante ait subi un dommage et, enfin, qu’il existe un lien de causalité entre le comportement de ladite institution et ce dommage ».
198 La Commission part du principe que cette jurisprudence est applicable par analogie à la responsabilité contractuelle du cocontractant d’une institution de l’Union, en l’occurrence la requérante. Toutefois, la situation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 avril 2018, PY/EUCAP Sahel Niger (T‑763/16, EU:T:2018:181), est différente de la situation ici en cause. En effet, il ressort du point 62 dudit arrêt que les contrats d’emploi en cause dans cette affaire ne spécifiaient pas le droit
applicable à ceux-ci, tandis que, en l’espèce, les conventions litigieuses comportent une stipulation relative au droit applicable.
199 Cela étant, en l’espèce, les conditions pour l’engagement de la responsabilité contractuelle de la requérante doivent être recherchées dans le droit belge, applicable à titre subsidiaire aux conventions litigieuses.
200 En matière de responsabilité contractuelle, l’article 1142 du code civil belge, qui s’insère dans le titre III du livre III, intitulé « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général », dispose que « [t]oute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ».
201 En outre, selon l’article 1147 du code civil belge, « [l]e débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
202 Il résulte de l’article 1147 du code civil belge que trois conditions doivent être réunies pour qu’un dommage d’origine contractuelle soit indemnisé, à savoir l’inexécution totale ou partielle du contrat, un préjudice et un lien de causalité entre l’inexécution et le préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2017, Meta Group/Commission, T‑744/14, non publié, EU:T:2017:304, point 271 et jurisprudence citée).
203 Le Tribunal considère que, en l’espèce, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre l’inexécution des obligations contractuelles imputée à la requérante et le préjudice allégué, à supposer que ce dernier soit avéré.
204 En premier lieu, il est constant que la requérante n’a pas vendu d’équipement aux partenaires de consortium concernés dans le cadre des conventions litigieuses, ni demandé le remboursement de dépenses relatives à l’achat d’équipements. En effet, les équipements ayant fait l’objet de surfacturation ou de commissions de vente ont été achetés non pas par la requérante, mais par d’autres entités, non liées à celle-ci, auxquelles la Commission a remboursé les dépenses encourues à l’occasion desdits
achats.
205 En second lieu, il est également constant que la responsabilité des achats des équipements ayant fait l’objet de surfacturation et de commissions de vente revenait non pas à la requérante, mais aux membres des consortiums ayant effectué lesdits achats. Cela est confirmé par la réponse de la Commission à une question posée par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, dans laquelle elle a affirmé que « le choix des produits ou [des] matériaux utilisés dans les projets
du bénéficiaire sont de l’entière responsabilité de celui‑ci, même si la description d’un équipement se trouve dans l’annexe I de la convention ».
206 Or, la Commission, à qui il incombe, conformément au principe actori incumbit probatio, de prouver que les trois conditions mentionnées au point 202 ci-dessus sont remplies, reste en défaut de démontrer l’existence d’un lien de causalité direct. En effet, elle se borne à affirmer à cet égard, dans une seule phrase et sans aucune démonstration concrète, que le lien de causalité serait « évident », car la requérante aurait participé « activement » aux violations contractuelles en cause, sans
lesquelles le préjudice réclamé n’aurait pas eu lieu.
207 Toutefois, de telles affirmations générales ne suffisent pas pour démontrer à suffisance de droit l’existence d’un lien de causalité direct entre le préjudice allégué et les violations contractuelles en cause dans une situation se caractérisant par l’interposition de plusieurs personnes tierces, telle que celle décrite aux points 204 et 205 ci-dessus.
208 En outre, et en tout état de cause, il y a lieu de relever que, dans le contexte de l’exécution d’obligations contractuelles, le respect du principe de proportionnalité participe de l’obligation plus générale des parties à un contrat de l’exécuter de bonne foi. Par ailleurs, en vertu du droit belge, l’obligation d’exécuter de bonne foi les contrats, prévue à l’article 1134 du code civil, interdit à une partie d’exercer un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice
normal de ce droit par une personne prudente et diligente (Cass. 16 novembre 2007, AR nr C.06.0349.F.1) (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2018, Nova/Commission, T‑299/15, non publié, EU:T:2018:713, point 140).
209 Or, compte tenu, d’une part, du fait que les projets faisant l’objet des conventions litigieuses ont été exécutés sans retard et conformément aux objectifs desdits projets, ce qui n’est pas contesté, et, d’autre part, des conséquences particulièrement graves devant résulter, pour la requérante, du recouvrement intégral des subventions, le Tribunal considère que la demande de dommages et intérêts, qui s’ajouterait audit recouvrement intégral, excède manifestement les limites de l’exercice normal
du droit en cause.
210 Il s’ensuit que la demande en indemnisation doit être rejetée comme non fondée.
Conclusion
211 Il résulte des considérations qui précèdent que l’intégralité des montants versés à la requérante au titre des conventions litigieuses doit être remboursée par celle-ci en raison des irrégularités commises par elle. Dès lors, les conclusions de la requérante, visant à entendre dire pour droit qu’elle n’est pas redevable des notes de débit nos 3241901815 et 3241901886, sont devenues inopérantes.
212 Au vu de tout ce qui précède, il convient, d’une part, de rejeter le recours principal et, d’autre part, de faire droit à la demande reconventionnelle de la Commission dans la mesure où celle-ci vise à entendre dire pour droit que les violations contractuelles imputées à la requérante sont des irrégularités au sens du point II.1 des conditions générales des conventions litigieuses et à obtenir le remboursement des sommes versées à celle-ci dans le cadre desdites conventions. La demande
reconventionnelle sera rejetée pour le surplus.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours principal est rejeté.
2) Les violations des conventions de subvention no 225023, relative à la réalisation du projet intitulé « ElDeRly-friEndly Alarm handling and monitorING (Dreaming) », et no 250449, relative à la réalisation du projet intitulé « Health monitoring and sOcial integration environMEnt for Supporting WidE ExTension of independent life at HOME (HOME SWEET HOME) », commises par Health Information Management (HIM) constituent des irrégularités au sens du point II.1 des conditions générales desdites
conventions.
3) HIM est condamnée à rembourser à la Commission européenne la somme de 512799 euros.
4) La demande reconventionnelle de la Commission est rejetée pour le surplus.
5) HIM est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par la Commission.
Kornezov
Buttigieg
Hesse
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le français.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.